Salut F
Teh, ça bave. Bah, c’est pas comme si t’allais lire. Pas comme si une rature ou deux à ton prénom allaient changer grand-chose. Pas comme si comme ces mots avaient une chance d’être lus. J’ai cassé la bouteille, du coup on fera sans quand je l'enverrai en mer. Quand je pisserai ces lignes dans les flots depuis le bastingage à regarder le rien où je navigue à vue. Message pour qui ? Pour quoi ? Eh. Pas comme si je voulais qu’ils soient lus. Pas pour toi je pense bien, tu t’en fous depuis le temps. Soit ta magnificence transcendée réincarnée je sais pas quoi m’a pardonné, soit t’es passé à autre chose, soit tu te marres bien à me regarder mener ma vie de con depuis notre… séparation. T’as remarqué que ça bave plus ? Soit t’existes simplement plus, vraiment plus nulle part ailleurs que dans mes souvenirs, simple résidu d’écho éjaculé à la surface par ma conscience désorganisée du passé, du présent et du futur quand elle trouve que je vais trop bien et s’imagine qu’un petit coup de torture là comme ça ça ferait du bien. Sûrement ça. J’ai vu assez de cas comme le mien pour pas être dupe. Et si t’es rien du coup c’est pour ma pomme que je prends la plume, hein. Pas pour les autres, qui d’autre ? Maman ? Ha. Maman. Je devrais t’en parler, m’en parler. Mais même si je croyais que t’existais assez pour en avoir quelque chose à carrer, de la très belle, je saurais pas faire. Il faudrait déjà que je l’aie revue. Ou alors je pourrais inventer ? Mais si j’inventais alors que je m’écris à moi-même, en vrai ce serait un peu con, non ? Pas pire, ouais. Sans doute pas pire… Et puis de l’extérieur personne verrait rien. Y aura personne à l’extérieur de toute façon. Voilà, tout est paré, j’ai plus qu’à. Non, je le ferai pas. J’ai rien à dire sur elle. Rien qui vaille la peine, elle est bien, mieux, bien mieux ailleurs que sur cette lettre. J’espère, bien mieux. Je crois, je sais pas. J’ai foi qu’elle vit encore, vivre bien ça je sais pas. Pour elle ce serait plus agréable. Je me demande si elle est encore avec Mundan. Si Mundan traine encore dans le coin où elle vit. Si elle a trouvé un type pour le tenir à l’écart. Un type différent de ses gars qu’elle a enfantés. Moins mort, moins fou. Elle aurait bougé pour ça, pas sur Troop qu’elle aurait trouvé la perle à son pied. Je pense qu’elle vit encore, je saurais. Je sais bien pour Izya. Je savais pas pour elle jusqu’à y a peu remarque. Si ça se trouve je sais pas parce qu’elle est morte elle aussi. Bah. Sans doute mieux pour elle si c’est le cas. Son fils mort lui manque pas et son fils pas mort est pas fou. Elle est avec toi d’ailleurs sans doute, si c’est le cas. Avec toi dans l’écho que ma conscience éj… Dans ma tête. Elle est en paix pendant que lui s’en fout depuis entre les deux eaux où il a garé son cerveau. S’en fout toujours, sûrement le mieux qu’il y puisse. Ça non plus c’est pas pire, il pourrait aussi lui faire des misères encore. On s’y connait en misères, de père en fils. En misère aussi… Ou alors c’est pour Izya que j’écris ? Mais si je lui écrivais j’enverrais ça à Red ensuite et c’est pas ce que je vais faire alors bon, ça peut pas être ça. Pis elle non plus je saurais pas quoi dire. Lui dire à elle et dire de elle. Ou alors si, qu’elle est bien à la rigueur. Mais on dit pas de sa fille qu’elle est bien, ça la vexe parce que ça fait pas très impliqué, pas très concerné. On dit qu’on en est fier de sa fille, on en dit qu’elle change le monde, c’est ça que les pères doivent dire. Mais je suis pas vraiment son père alors moi je suis pas obligé. Je le suis ? Ptet bien que je le suis. Ptet bien que je suis fier aussi, je me suis jamais vraiment posé la question. J’ai jamais vraiment été son père. Je tourne trop en rond pour être père, je le saurais si je l’étais. Elle a changé le monde, sûr. Je suis un peu son père, d’accord. Et alors quoi ? Je lui dirai quand je la verrai. Si j’y pense, si ça me vient je lui dirai. Et alors quoi ? J’écris pour comprendre des trucs ? Personne écrit pour ça, sinon personne voudrait lire. Personne veut comprendre des trucs, ça fout tout en l’air. J’écrivais pour ça ? Et maintenant c’est bon, je peux arrêter ? Pourquoi je continue alors, c’est pas fini ? J’ai quoi à comprendre encore ? Le monde ? T’es con Tahar, tu peux pas comprendre le monde, tu peux même pas le changer. T’es pas la fille de quelqu’un, toi, t’as pas de père qui dira que tu changes le monde. Te casse pas, t’es juste un fils et les fils ont juste des mères qui sont écrites pour être fières par défaut. C’est pas la même comme relation. Ha. Tu vois, c’était pas à moi que j’écrivais, ça servait à rien que je continue. Ça servait à rien que je commence aussi, je sais. J’avais pas envie de commencer, j’ai pas eu le choix. Y avait cette musique dans ma tête, un air bête à la harpe, rythmé par ma douleur dans la jambe et qui résonnait comme moi je déraisonne, jusque partout, même dans les échos de souvenirs dans ma conscience. C’était distordu comme bruit, et après y a eu le silence de la pluie sur la mer et le silence du blanc sous ma plume. Tu te rappelles, y avait le même bruit quand t’es mort. Tu te rappelles ? Les cigales en fond se sont tues, il était plus l’heure pour les mâles de montrer leur grosse voix aux femelles, il était plus l’heure pour le soleil de faire son malin dans le ciel là-haut sur les champs, il s’est couché. Nah, il était plus l’heure que pour la boue où on avait joué tout l’aprèm d’être froide sous leurs regards à tous quand ils sont arrivés, quand ils ont réalisé. Il était plus l’heure que pour la nuit d’éteindre ton œil pendant que le moulin continuait à tourner. Tu te rappelles ? Moi je me rappelle. Même la paille sous les chevaux où ils m’ont fait passer la nuit en attendant d’avoir pris une décision, elle était froide. Ma main était froide aussi dans mon poing serré. Ton sang qui restait sur mes phalanges, il était rouge et froid aussi dans le noir. Et toi tu devais être froid mais je savais pas où on t’a mis. T’étais plus là au matin, et moi non plus j’étais plus là quand ils sont arrivés avec leur décision qu’ils avaient prise... Ils ont dû t’enterrer sans attendre. Ou alors te filer aux poissons, mais je crois pas que Maman les a laissé faire. Hein ? C’est ça que je dois comprendre ? Tu m’attends là-bas, sous terre ? Je pense pas que je repasserai, tu sais.
Teh, ça bave. Bah, c’est pas comme si t’allais lire. Pas comme si une rature ou deux à ton prénom allaient changer grand-chose. Pas comme si comme ces mots avaient une chance d’être lus. J’ai cassé la bouteille, du coup on fera sans quand je l'enverrai en mer. Quand je pisserai ces lignes dans les flots depuis le bastingage à regarder le rien où je navigue à vue. Message pour qui ? Pour quoi ? Eh. Pas comme si je voulais qu’ils soient lus. Pas pour toi je pense bien, tu t’en fous depuis le temps. Soit ta magnificence transcendée réincarnée je sais pas quoi m’a pardonné, soit t’es passé à autre chose, soit tu te marres bien à me regarder mener ma vie de con depuis notre… séparation. T’as remarqué que ça bave plus ? Soit t’existes simplement plus, vraiment plus nulle part ailleurs que dans mes souvenirs, simple résidu d’écho éjaculé à la surface par ma conscience désorganisée du passé, du présent et du futur quand elle trouve que je vais trop bien et s’imagine qu’un petit coup de torture là comme ça ça ferait du bien. Sûrement ça. J’ai vu assez de cas comme le mien pour pas être dupe. Et si t’es rien du coup c’est pour ma pomme que je prends la plume, hein. Pas pour les autres, qui d’autre ? Maman ? Ha. Maman. Je devrais t’en parler, m’en parler. Mais même si je croyais que t’existais assez pour en avoir quelque chose à carrer, de la très belle, je saurais pas faire. Il faudrait déjà que je l’aie revue. Ou alors je pourrais inventer ? Mais si j’inventais alors que je m’écris à moi-même, en vrai ce serait un peu con, non ? Pas pire, ouais. Sans doute pas pire… Et puis de l’extérieur personne verrait rien. Y aura personne à l’extérieur de toute façon. Voilà, tout est paré, j’ai plus qu’à. Non, je le ferai pas. J’ai rien à dire sur elle. Rien qui vaille la peine, elle est bien, mieux, bien mieux ailleurs que sur cette lettre. J’espère, bien mieux. Je crois, je sais pas. J’ai foi qu’elle vit encore, vivre bien ça je sais pas. Pour elle ce serait plus agréable. Je me demande si elle est encore avec Mundan. Si Mundan traine encore dans le coin où elle vit. Si elle a trouvé un type pour le tenir à l’écart. Un type différent de ses gars qu’elle a enfantés. Moins mort, moins fou. Elle aurait bougé pour ça, pas sur Troop qu’elle aurait trouvé la perle à son pied. Je pense qu’elle vit encore, je saurais. Je sais bien pour Izya. Je savais pas pour elle jusqu’à y a peu remarque. Si ça se trouve je sais pas parce qu’elle est morte elle aussi. Bah. Sans doute mieux pour elle si c’est le cas. Son fils mort lui manque pas et son fils pas mort est pas fou. Elle est avec toi d’ailleurs sans doute, si c’est le cas. Avec toi dans l’écho que ma conscience éj… Dans ma tête. Elle est en paix pendant que lui s’en fout depuis entre les deux eaux où il a garé son cerveau. S’en fout toujours, sûrement le mieux qu’il y puisse. Ça non plus c’est pas pire, il pourrait aussi lui faire des misères encore. On s’y connait en misères, de père en fils. En misère aussi… Ou alors c’est pour Izya que j’écris ? Mais si je lui écrivais j’enverrais ça à Red ensuite et c’est pas ce que je vais faire alors bon, ça peut pas être ça. Pis elle non plus je saurais pas quoi dire. Lui dire à elle et dire de elle. Ou alors si, qu’elle est bien à la rigueur. Mais on dit pas de sa fille qu’elle est bien, ça la vexe parce que ça fait pas très impliqué, pas très concerné. On dit qu’on en est fier de sa fille, on en dit qu’elle change le monde, c’est ça que les pères doivent dire. Mais je suis pas vraiment son père alors moi je suis pas obligé. Je le suis ? Ptet bien que je le suis. Ptet bien que je suis fier aussi, je me suis jamais vraiment posé la question. J’ai jamais vraiment été son père. Je tourne trop en rond pour être père, je le saurais si je l’étais. Elle a changé le monde, sûr. Je suis un peu son père, d’accord. Et alors quoi ? Je lui dirai quand je la verrai. Si j’y pense, si ça me vient je lui dirai. Et alors quoi ? J’écris pour comprendre des trucs ? Personne écrit pour ça, sinon personne voudrait lire. Personne veut comprendre des trucs, ça fout tout en l’air. J’écrivais pour ça ? Et maintenant c’est bon, je peux arrêter ? Pourquoi je continue alors, c’est pas fini ? J’ai quoi à comprendre encore ? Le monde ? T’es con Tahar, tu peux pas comprendre le monde, tu peux même pas le changer. T’es pas la fille de quelqu’un, toi, t’as pas de père qui dira que tu changes le monde. Te casse pas, t’es juste un fils et les fils ont juste des mères qui sont écrites pour être fières par défaut. C’est pas la même comme relation. Ha. Tu vois, c’était pas à moi que j’écrivais, ça servait à rien que je continue. Ça servait à rien que je commence aussi, je sais. J’avais pas envie de commencer, j’ai pas eu le choix. Y avait cette musique dans ma tête, un air bête à la harpe, rythmé par ma douleur dans la jambe et qui résonnait comme moi je déraisonne, jusque partout, même dans les échos de souvenirs dans ma conscience. C’était distordu comme bruit, et après y a eu le silence de la pluie sur la mer et le silence du blanc sous ma plume. Tu te rappelles, y avait le même bruit quand t’es mort. Tu te rappelles ? Les cigales en fond se sont tues, il était plus l’heure pour les mâles de montrer leur grosse voix aux femelles, il était plus l’heure pour le soleil de faire son malin dans le ciel là-haut sur les champs, il s’est couché. Nah, il était plus l’heure que pour la boue où on avait joué tout l’aprèm d’être froide sous leurs regards à tous quand ils sont arrivés, quand ils ont réalisé. Il était plus l’heure que pour la nuit d’éteindre ton œil pendant que le moulin continuait à tourner. Tu te rappelles ? Moi je me rappelle. Même la paille sous les chevaux où ils m’ont fait passer la nuit en attendant d’avoir pris une décision, elle était froide. Ma main était froide aussi dans mon poing serré. Ton sang qui restait sur mes phalanges, il était rouge et froid aussi dans le noir. Et toi tu devais être froid mais je savais pas où on t’a mis. T’étais plus là au matin, et moi non plus j’étais plus là quand ils sont arrivés avec leur décision qu’ils avaient prise... Ils ont dû t’enterrer sans attendre. Ou alors te filer aux poissons, mais je crois pas que Maman les a laissé faire. Hein ? C’est ça que je dois comprendre ? Tu m’attends là-bas, sous terre ? Je pense pas que je repasserai, tu sais.