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Epidémie de Rouboule du Mouton


Bienvenue à bord. Nous sommes en 1620, soit bien avant que Dogaku ne mette les pieds dans la milice, ni ne fasse connaissance avec les Chevaliers de Nowel. Notre blondinet avait alors dix-neuf ans, et n’était guère qu’un petit sous-officier sans importance dans la marine marchande. Le bâtiment sur lequel il travaillait s’appelait le Rugissant, en référence à sa figure de proue taillée pour évoquer immanquablement la tête d’un Cachalion.

C’était l’un des animaux emblématiques de cette portion de North Blue. Mi-cachalot, mi-lion, c’était une créature véritablement impressionnante que respectaient tous les marins du coin. Son rugissement était tel qu’un Cachalion pouvait être entendu à des dizaines de kilomètres à la ronde : comme ils se déplaçaient systématiquement en meute, à l’exception des jeunes mâles, c’étaient de véritables concerts tonitruants que l’on pouvait entendre à l’occasion.

L’animal était pourtant parfaitement pacifique, et ne représentait un danger que pour les bancs de poissons qu’ils consommaient en énormes quantités. Ses énormes crocs et sa crinière circulaire, semblable à une anémone solaire, étaient surtout là pour dissuader ses agresseurs, d’une manière ou d’une autre.

Pour sa part, le Rugissant était simplement un bâtiment de fret, appartenant à l’un des principaux armateurs de l’île de Tanuki. Althias de Mistoltin. Jeune seigneur de province, dont un détail plus développé vous attend dans la fiche de l’île. En ce qui concerne cette histoire, nous nous intéresserons simplement à deux de ses jeunes sous-officiers.

Nerassa Roderik, future capitaine d’une bande de mercenaires pirates, et Sigurd Dogaku, un haut potentiel au sein d’une milice qui ne tarderait pas à disparaître.

Et un beau jour, alors qu’ils s’en retournaient à bon port avec des calles pleines de marchandises…

-Y’a un bonhomme des douanes qui demande à voir un officier du navire pour lui faire la visite… tu veux bien t’en charger, beau blond ?
-Mweuah ?, questionna mollement Sigurd.

Dogaku ressemblait largement à ce qu’il est aujourd’hui. Certes, ses cheveux étaient plus courts et mieux coiffés, son visage arborait un rasage impeccable, et il avait l’air un petit plus alerte qu’en temps normal. Toutefois, ces différences avaient pour seul but de faire bonne impression devant ses supérieurs, au temps de ses débuts.
Au contraire, son uniforme mal repassé et sa posture aux trois quarts allongés dans un fauteuil  rapiécé correspondait bien mieux à son état habituel.

Sigurd ne se donna même pas la peine de se redresser, pour répondre à la jeune femme qui était venue le chercher. C’était sa plus vieille amie, et elle connaissait déjà la grande majorité de ses défauts : il n’avait rien à cacher. L’inverse était vrai : Dogaku avait suffisamment expérimenté les travers de Roderik pour savoir à quoi s’en tenir.

-Hurh… mmh… nop. Pas mes oignons, grommela-t-il.  Moi j’ai fait mes corvées, donc tu t’débrouilles avec  les tiennes.
-Rho. Allez, quoi. Si je demande gentiment ?
-Nan. Supporter les inspecteurs, c’est ton boulot. Moi, je supporte le capitaine. Je suis déjà perdant, d’ailleurs.

Vêtue d’une chemise bouffante aux teintes écarlates, d’un tricorne brun et d’un pantalon en toile épaisse du même acabit, Nerassa collait parfaitement à l’image qu’on pouvait avoir d’une habituée des mers. A cette époque, elle avait déjà un bandeau noir pour couvrir son œil mort, sur la droite de son visage. Et surtout, son visage irradiait déjà de l’entrain et de l’énergie, presque sauvage, qui la propulseraient bientôt à la tête d’une vieille bande de la piraterie.

Du coup, elle avait toujours l’air un peu folle, quand elle faisait la moue des gentilles filles pour demander quelque chose. Un peu comme le loup qui se faisait passer pour une gentille grand-mère devant les enfants. Ca ne collait pas, et ça faisait presque peur. Comme si un carnivore n‘allait pas tarder à vous sauter dessus.

-Beh, se plaint elle. Le capitaine, il est sympa comme tout. C’est pas chiant, d’écouter ses briefings. Alors que les inspecteurs…
-Pas chiant ? Meh. Le capitaine t’adore, s’pas pareil. Toi, ou alors les jolies blondes bien formées en général, chais pas.
-Hoho. Qu’est ce qui me vaut de tels compliments ?
-Je rajoute borgne et grassouillette quand tu veux. Sans compter ce fameux grain de beauté en forme de…
-Chut ! Chut ! Personne ne doit savoir ça !

-Mwarharharh.
-Contente-toi de « belle blonde au physique de nymphe », ça suffira largement.
-J’ai jamais dis ça.
-Mais je suis sûre que tu l’as pensé très fort, donc t’es pardonné.
Alors, pour l’inspecteur, tu veux bien ?

Pour toute réponse, Sigurd se contenta de basculer sur son fauteuil, de manière à s’allonger et à lui tourner le dos. Sur un fauteuil, oui. Il était incroyablement doué, lorsqu’il s’agissait de prendre ses aises. Peu importe les positions improbables qu’il adoptait.

-‘Ttention, hein. Si tu gigotes ton joli popotin comme ça en public, tu vas toutes nous rendre folles, tu sais ?
-Grmbl…
-A moins que… nwehehehehehehehe… ça ne soit précisément le but ?, continua-t-elle en se penchant sur lui, taquine.

Sigurd se contenta d’entrouvrir un œil pour confirmer la position de sa collègue. Assez proche pour que sa cascade de boucles blondes lui chatouille les oreilles. En relevant un peu la tête, il aurait une vue imprenable sur le décolleté panoramique de la jeune femme. Non pas que ça l’intéressait, depuis le temps.

Très lentement, alors qu’elle essayait gentiment de lui arracher une réaction, il ouvrit la bouche, inspira profondément, et lui souffla au visage pour la repousser.

-Vade retro. Je veux siester.
-Eh, tout doux. C’est les mouches, qu’on chasse comme ça.
-Ouais. Y’en a une très grosse qui m’embête, là.
-Hun hun. Très drôle, merci.

Dogaku se retourna encore une fois, pour finalement se mettre à plat ventre. Il devait trouver la position confortable, car il ne broncha pas un mot de plus. Pas bon pour Roderik, qui était venue pour le tirer de là. Pendant quelques instants, elle le regarda tranquillement, pensive. Finalement, elle s’assit dessus, l’air de rien, comme si c’était naturel. Etrangement, l’autre ne chercha même pas à broncher.

-Aaarh. Qu’est-ce qu’ils ont de si horrible, les inspecteurs, pour que tu veuilles vraiment pas y aller ?
-Ils posent beaucoup trop de question. Beaucoup, beaucoup trop. En général, ils trainent beaucoup plus longtemps, quand c’est moi, se lamenta Roderik.
-On se demande bien pourquoi… magouilleuse du dimanche.
-C’était pas un dimanche, je crois...
-Tu préfères que je dise « mauvaise graine de contrebandière » ?
-Rho, allez. Tout de suite les grands mots. S’ils ne trouvent rien, ils n’ont rien à me reprocher. C’est le jeu.
-…, s’attrista le jeune homme.

C’était le sujet qu’il avait déjà abordé une bonne centaine de fois, sans jamais pouvoir aller aussi loin qu’il le voulait. C’était comme marcher sur des œufs, et elle n’entendait rien. Pourtant, Dogaku savait qu’un jour, il y aurait un retour de baton. Elle s’était déjà faîte pincée, mais ça c’était relativement bien terminé. Après tout, le patron les encourageait à « faire comme tout le monde », et à rentabiliser les fonds de calle au maximum. C’était normal qu’il vole à son secours, à elle comme aux autres qui trempaient là dedans. Mais pourtant, tout ça, ça sentait mauvais, pour Sigurd. Quelque chose finirait par sauter, quelque part.

-Bon, alors, tu prends ?
-…
-Et si c’est moi qui régale, ce soir ?
-Boah.
-Steplait?
-Un gros restau, alors.
-Marché conclu, on a un deal ! Merci beaucoup, très cher, ajouta-t-elle en se levant.

En voyant l’air radieux de sa comparse, le jeune homme manqua de changer d’avis. Une fois n’est pas coutume, il avait l’impression de s’être fait méchamment avoir par son amie. Son sourire satisfait, presque victorieux… c’était comme si elle avait gagné quelque chose, et que lui, avait perdu.

Finalement, Sigurd se laissa choir dans le fauteuil en reprenant.

-Encore que, qui c’est leur responsable aux douaniers, aujourd’hui ? L’adjudant Finassier ? J’l’aime pas, on dirait toujours qu’il veut nous ouvrir le ventre pour voir si on y planque pas de la drogue ou autre. Un jour, il m’a demandé d’ouvrir grand la bouche pour regarder, et je crois que légalement, il en a VRAIMENT le droit en plus…
-Nan, un nouveau, je crois, mentit la borgne. Je n’ai pas vu Finot.
-Bon, dans ce cas…
-Merci, beau blond. Tu es génial.
-Bien sûr, que je suis génial, marmonna l’autre. J’arrive encore à me faire avoir.


Spoiler:


Dernière édition par Sigurd Dogaku le Dim 26 Jan 2014 - 14:41, édité 2 fois
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A peine arrivé sur le pont que déjà, Dogaku pu constater une très forte activité. Les inspecteurs étaient déjà passés à l’action, et ils arrivaient en grande pompe pour faire leur travail. C’était la première fois que Sigurd voyait des chiens policiers sur son navire. Et les effectifs d’hommes en uniforme présents aujourd’hui étaient au moins deux fois plus importants qu’en temps normal, se dit-il. Un peu confus, il s’approcha d’un groupe d’hommes.

-Eumh… il se passe quoi, là ?
-Les douaniers ont commencé à fouiller, lui expliqua une mousse. Ils n’ont pas voulu attendre Roderik.
-C’est moi qui m’y colle, cette fois. Concernant les douaniers… euh… en général, ils attendent, non ?
-Bien sûr.
-Alors ? Pourquoi pas cette fois ?
-Il y a une urgence sur l’île, apparemment. Je n’ai pas les détails, mais tout ce qui rentre et tout ce qui sort est passé au peigne fin.

Dogaku fronça les sourcils, et comprit rapidement qu’il avait raison de déjà regretter son choix. Etat d’alerte ? Quel genre d’alerte ? Pirate, terroriste, des prisonniers échappés, un fauve des troupes d’artistes de passage qui se serait libéré de sa cage ? Et plus important, pourquoi est-ce que l’adjudant Finassier était là ? Nerassa lui avait assuré le contraire.

Car Finassier, ou Finot pour les intimes, était l’un des douaniers les plus acharnés qu’il lui avait été donné de rencontrer. Son parcours, il l’avait tour à tour fait au trésor, aux impôts et aux douanes. Quand un particulier essayait de mentir, il le savait. Quand une organisation dissimulait des magouilles, il le flairait. En vingt ans d’expérience cumulée, il avait développé un flair qui aurait fait envie à n’importe quel adepte du poker.

Etrangement, le bonhomme avait finit par apprécier Dogaku. Ca ne l’empêchait pas d’essayer de le renifler de très près quand il pensait que sa fonction l’exigeait, non. Mais c’était pour la forme. Il n’avait fallut que quelques rencontres à l’adjudant pour cataloguer le jeune homme comme personne intègre. Et il sentait bien que Dogaku ne se contentait pas simplement de lui dire la vérité. C’était plutôt qu’il était un très mauvais menteur. Et que cela se voyait très facilement.

Ca n’allait bien évidemment pas l’empêcher de procéder à ses recherches. Mais comme toujours, l’intégrité des officiers était un facteur de risque primordial, quand on menait ce genre de travaux. Les enquêtes étaient ensuite menées en conséquence.

En l’occurrence, ça signifiait surtout cuisiner le blondinet jusqu’à ce qu’il craque. S’il avait quelque chose à se reprocher, il le saurait très vite. Le problème, c’était qu’il était parfaitement susceptible d’avoir été mis à l’écart des magouilles que pouvaient mener ses collègues. Il fallait se méfier de tout, répétait Finot.

-Vous ne transportez pas de l’alimentaire, par hasard ?
-Nop. A moins que vous ne considériez les éléphants comme de l’alimentaire.
-Des éléphants ?
-On a eu une commande un peu bizarre, un type qui veut appliquer une méthode de dressage pour les faire travailler dans les champs…
-Bref. Continuez ?
-A l’aller, on avait une cargaison de chaussettes. Quelqu’un avait gagné l’appel d’offre contre les gros bras de Gotham Island, visiblement. Au retour…  nous avons  du tabac, plein de machins type outils et matériaux, des passagers, minerais, acier… et les éléphants. Ils sont assez marrants, d’ailleurs. Je vous ai apporté la liste et les quantités concernées. Juste à préciser qu’il manque une quarantaine de meubles qu’a décidé de rajouter le capitaine. Il a flashé dessus et exigé qu’on les embarque la veille du départ.
-Hum. Est-ce que je peux les voir ?
-Ouais, ouais… suivez-moi.

Sigurd se mit tranquillement en route, avec Finot sur ses talons. Littéralement. L’inspecteur était tellement pressé que leurs jambes se cognèrent, et l’autre manqua de le renverser. Cette fois, Sigurd en était pratiquement certain : Finot avait profité de la manœuvre pour lui renifler la tête, derrière les oreilles. Pas possible autrement, se répéta-t-il en accélérant, mal à l’aise.

-Muhuhu… je vois. D’accord pour les meubles. Et vous ne transportez rien de destiné à l’alimentation ? Vous êtes sûr ?
-Oui. J’ai pas dis ça juste avant, aussi ?
-Même pas… à destination du bétail ?
-Même pas, répéta Sigurd en se sentant rétrécir devant l’impérieux regard du douanier.
-Et les moutons ? Vous y avez pensé, aux moutons ?
-Euh… bin… non… j’veux dire… moutons ? Quoi ?
-Les moutons, je vous dis. Ces pauvres animaux sans défense qui commencent à enfler comme des patates au four, et qui pourraient peut être bien exploser si on ne comprend pas rapidement ce qui leur arrive ! Voilà, quoi !

Sigurd ne comprit rien à tout ça. Lorsque l’inspecteur parla d’animaux sans défense, il s’était bien sentit de mentionner ses éléphants en rigolant, mais au final… non. Ca n’était pas le moment.

-Je vous conseille de lire le journal, expliqua Finassier. L’édition de hier, si vous pouvez. Ils ont fait un récapitulatif de la crise des moutons. Vous comprendrez en temps voulu.
-Crise des moutons ? Mwarharharh… et qu’est ce qu’on a à voir avec ça ?
-Rien du tout, jeune homme. Rien du tout.

Dogaku eut un léger mouvement de recul. Quoi qu’il puisse dire, l’adjudant le regardait maintenant avec un air pratiquement hostile. Pas comme s’il allait l’attaquer, non. Ca n’était probablement même pas dirigé contre lui. Mais quelque chose l’avait mis de très mauvaise humeur, aujourd’hui.

-Vous êtes présumés innocents, vous et votre armateur… jusqu’à preuve du contraire. Mais je suis sûr que lorsque la lumière sera faîte sur cette affaire, quelques têtes vont tomber. Mais n’ayez pas peur. Je ferais de mon mieux pour que les gros bonnets qui vous dirigent ne puissent pas se cacher derrière vous. Vous ne risquerez rien… tant que vous coopérerez.
-Euh… d’accord.
-Suivez-moi, s’il vous plait. J’aimerais voir ces éléphants de plus près.

*
*     *
*

-Alors, ça s’est passé comment ?
-Normal. Depuis le temps qu’on se connait, Finassier et moi, on est copains, se lamenta Sigurd.
-Quoi, il était là ?
-Chuis sûr que tu le savais, vile méduse.
-Pas le moins du monde, mentit Nerassa.

Sigurd se contenta de lui adresser un regard mauvais, en se promettant de manger le plus cher possible quand elle paierait sa part à l’auberge. En attendant, il se contenta d’aller s’écraser sur le fauteuil le plus proche, fermant les yeux une fois convenablement calé dans son confort.

-Beuh. J’viens vraiment de passer une heure de ma journée avec lui ? Bweuah.
-Hehe. Tu comprends pourquoi je suis folle de lui, maintenant ?
-Ah mais en échange, tu passeras tes matinées et tes petits dèj avec le capitaine, tu me diras si c’est mieux. Ce type est tellement pas clair quand il s’explique que t’es obligé de lui dire de répéter… et ça le rend agressif. Et quand tu te plantes… boom ! C’est comme essayer de jongler avec une bombe en espérant qu’elle explosera quand tu l’envoies en l’air. Que du plaisir.
-Tu sais vendre tes corvées, toi…
-Echange de bons procédés. En plus, Finot était en forme, aujourd’hui. Double effectif. Apparemment, ils pensent que quelqu’un s’amuse à faire entrer des trucs pas nets sur l’île. Pas trop compris ce que ça pourrait être, mais ça aurait intoxiqué les moutons. Genre, vraiment toxiques.
-Oh. Zut.
-Boah. Pour ce que ça nous regarde…
-Humh. Et, quand ils ont fouillé le navire… ils ont rien trouvé ?
-Ben non. Pourquoi est ce qu’ils auraient…
-…
-Ca veut quand même pas dire que… y’avait quelque chose à trouver ?
-Nwehehehehehehehe…

Le rire de Nerassa lui faisait toujours le même effet : particulièrement glauque, et rarement de bon augure. Rajoutez-y les élans théâtraux de la jeune femme, qui aimait révéler ses secrets en grande pompe, et le tableau serait complet. Avec un triste pincement au cœur, Dogaku se contenta de s’allonger sur son fauteuil, sans ouvrir les yeux, et reprit.

-Attends, Nera, tu déconnes ?
-…
-…
-Eh ben tu vois, les armoires du capitaine…
-Nan. Nan, nan, nan. En fait, je veux pas savoir, l’interrompit Sigurd.
-C’était l’idée du capitaine, hein.
-Et c’est pour ça que toi tu sais et pas moi, bien sûr. Graine de pirate, va. J’abandonne. J’peux rien faire.
-Pirate? Nwehehehehehehehe. Naaaan. Il y a quand même une limite entre les magouilles et la flibuste, Sig.

Le pauvre. S'il savait, il s'en mordrait les doigts. Ça n'était plus qu'une question de temps. Dans moins de deux ans, Roderik aurait sauté le pas.

-Et puis, c’est pas si mal que ça, franchement. Apparemment, le capitaine m’aime bien, il a un job spécial pour moi.
-Et j’ai encore moins envie de savoir.
-J’imagine bien. Sauf que… tu vas pas avoir le choix, blondinet. Toi et moi, on est attendus au manoir Mistoltin demain. Entrevue avec le grand patron.
-…

Dogaku ne dit pas un mot. Peut être que, ce soir, il irait prendre l’air, torse nu et pendant plusieurs heures. S’il tombait suffisamment malade, il aurait une bonne excuse pour ne pas se présenter avec elle le lendemain… tout ça sentait vraiment mauvais.
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-OH PU…. alors non !, s’exclama Sigurd. Deux et un ? Chuis encore en train de me faire laminer par les dés ?
-Hahahaha ! Bien fait pour toi, ça t’apprendra à faire le fou. Mais pourtant, tu peux encore...
-Althias, c’est injuste. Ou alors c’est juste que j’ai carrément… Pad’Bol… bon, mettons que si je relance… double deux !? RHAAA, M&$#% ! !

Les deux hommes étaient face à face, chacun installé d’un coté de la table.  L’un d’eux était Sigurd Dogaku, qu’on espérait ne plus avoir à présenter dans la narration d’ici deux à quatre mois. L’autre, Althias de Mistoltin, un nobliau local doublé de l’un des principaux armateurs de l’île. Et entre eux deux se trouvait la dernière édition d’Age Of Navires, le célèbre jeu de société, qui avait convaincu les amateurs du genre avec sa sélection de dix nouveaux légumes démoniaques, quinze pièces d’équipement légendaires, trois pouvoirs politiques inédits, et assez de nouvelles unités pour que les chefs d’armées aient à réévaluer l’ensemble de leurs stratégies.

Pour autant, le jeu s’inspirait largement de la réalité. Peu importe les préparations, les choses ne tenaient bien souvent qu’à peu de choses. Ou, en l’occurrence, à une paire de dés.

C’est ainsi que les forces Révolutionnaires menées par Sigurd perdirent leur laboratoire secret et trois héros au cours d’un assaut de la Marine d’élite d’Althias, qui avait utilisé une intervention d’agents secrets pour faire pencher la balance en sa faveur. A ce stade, la partie était presque terminée : Dogaku avait ouvert son jeu sur une poussée technologique pour pouvoir déployer des cyborgs en milieu de partie, et potentiellement écraser son adversaire. Avec la destruction de ses recherches et de l’unité de production, il avait maintenant une dizaine de tours de retard sur son adversaire. A l’ouverture du quinzième tour, c’était tout simplement…

… fatal.

-Beeeuh, c’est injuste, même les savants meurent, se plaignit le blondinet en regardant la table. Pis comment j’ai pu foirer le test de sécurité, d’abord ? J’avais acheté les bonus… boah. Si ça se trouve, à force, j’vais faire un triple un.
-Et encore, je n’ai pas utilisé toutes mes cartes, s’amusa l’armateur.
-Hein ?
-Regarde ça.

Avec un air vorace et satisfait, Althias retourna une à une les trois cartes qu’il tenait faces cachées, de son coté de la table.

Et sur chacune d’entre elles, il y avait…

-Trois cartes d’escargophone d’argent… peuh, totalement d’la triche.
-Donc même si tu avais réussi tout ça… buster call. Mais comme ça n’est pas le cas… hahahaha… j’ai bien envie d’aller vitrifier ta base principale.
-Tss. Heureusement que tu sais pas où elle est.
-Sauf que je lance un jet de torture sur ton officier capturé, avec bonus d’intimidation de +5 puisque j’ai le sergent Skar Sorrow, et +3 pour chaque prisonnier que je choisis de sacrifier, et on arrive à…
-Laisse tomber, se plaint Sigurd. Fini, c’est fini, pas besoin de m’achever. On arrête.

Ils étaient respectivement noble et roturier, employeur et employé, café au lait et breuvage hyper torréfié. Et pourtant, ils s’entendaient bien assez pour faire fit de la majorité des conventions. Peut être était-ce parce qu’ils avaient voyagé ensemble sur plusieurs très longs courriers, et qu’il n’y avait guère d’autres choses à faire sur ces trajets que de passer du temps avec les autres. Peut être aussi était-ce parce qu’ils étaient tous deux des amateurs de jeux de société en tous genres, et représentaient l’un pour l’autre des adversaires valeureux qui savaient toujours créer des situations intéressantes.

En tout cas, il ne leur avait fallu que quelques semaines pour en venir à se tutoyer et plaisanter comme s’ils étaient amis de longue date.

Mais aujourd’hui, Sigurd n’était pas juste venu pour s’amuser. Après leur partie rituelle, Althias s’était retiré dans son bureau, le temps de préparer ses rendez-vous pour la journée. En attendant, Dogaku en était réduit à errer dans la demeure du noble pour patienter. Qu’à cela ne tienne : il avait ses habitudes, et savait déjà quoi faire.

A chaque fois qu’il venait dans le manoir, il s’arrêtait là. Pas dans la salle d’attente, non. Dans la galerie d’art du propriétaire. Par galerie, on entendait davantage la majorité des salles de la demeure, cela dit. Et elles étaient loin d’être toutes accessibles aux visiteurs.

Mais ça n’était pas un problème pour Dogaku. Il ne comprenait rien à l’art, et discernait encore moins ce que les passionnés pouvaient voir dans l’expression d’un artiste. Quand il passait devant une œuvre d’art, il ne s’arrêtait que pour regarder les petits détails. Il pouvait rester dix bonnes minutes devant quelque chose qu’il trouvait « marrant », cela dit.  

Son amie, Nerassa, s’y connaissait beaucoup plus… et n’aimait rien de tout ce qui était exposé ici. Rien, à part une pièce bien particulière, un tableau assez vaste pour occuper un pan de mur entier à lui seul. L’œuvre était haute de cinq mètres, et large du triple. Et quant à ce qu’elle représentait…

-J’adore ce truc, commenta-t-elle. Je sais que c’est hyper malsain, mais… j’adore ce truc.
-C’était pas là, avant, nan ?
-Si, si.
-Comment j’ai fais pour louper ça ?

Ce qu’il y avait sur la toile… ne correspondait à rien de connu. Peut être que l’auteur avait entendu des récits horrifiants sur ce que pouvaient être les hommes poissons, et avait décidé de mettre en forme ses cauchemars. En grande pompe. Les teintes bleues, sombres et verdâtres évoquaient immanquablement ce qu’on pouvait imaginer du fond des mers. Dans ce contexte, des constructions gigantesques tapissaient le flanc d’une falaise, bordée de coulées de lave, assemblant quelque qui ressemblait à un genre de forge fantastique.

Et avec ça, il y avait les habitants.

L’artiste était probablement un fou. Les créatures ressemblaient vaguement à des sirènes stylisées… sauf qu’elles ne pouvaient pas en être. Pas avec des têtes pareilles. Rien ne pouvait avoir cette forme.

-C’est franchement… juste vraiment trop méga bizarre ?
-Moi j’aime bien. Ca claque. Et puis… eh. Nwehehehehehehehe… tu sais, tous le monde est super hype avec la route de tous les périls, le nouveau monde et les trucs du genre… mais moi j’aurais plutôt tendance à dire que les machins sympas, ils sont pas à la surface. Ce qui doit vraiment être formidable, ça se trouve là-dessous.
-Là-dessous… sous terre ? Atta, non. Sous l’eau ?
-Franchement, imagine. Des abysses océaniques. Des cités englouties sous les flots. Des peuplades mystérieuses. Les légendaires hommes-poissons. Potentiellement partout dans le monde. Et tout ça, jamais exploré par qui que ce soit. Ca envoie du rêve, quand même, tu ne penses pas ?
-Où est-ce que tu vas chercher tout ça ?
-Rho, quoi ? T’as jamais lu de bouquin ?
-Tu lis, toi ?
-Bien sûr, que je lis. Tu fais quoi, toi, pendant les trajets ?
-Je dors.
-Ah. Evidemment. Question stupide, je retire. Nwehehehehehehehe.
-C’est ça, marre toi…


*
*     *
*


Dix minutes plus tard, Dogaku était méthodiquement vautré dans le plus confortable des fauteuils du salon de son hôte. En face de lui, son amie, qui s’était elle aussi mise à ses aises, dans une posture à peine plus digne. Elle ne donnait pourtant pas la même impression de léthargie que lui ; plutôt quelque chose de nonchalant, avec une pincée de provocateur.

A quelques mètres d’eux, le seigneur de Mistoltin caressait d’un air absent son dernier animal de compagnie, un genre de perruche exotique. Une espèce originaire de South Blue, très prisée en plumasserie, dont le plumage arborait une splendide teinte irisée, à la manière de certains coquillages.

Un coup de tête qui l’avait prit quelques mois de cela seulement, et dont il commençait mollement à se lasser.

Sans surprise, le salon était richement ornementé. L’énorme cheminée, les larges poutres de bois et les lourdes dalles de pierre témoignaient d’un héritage rustique. Au contraire, les soieries qui tapissaient les murs ainsi que le mobilier, de facture résolument moderne, pompeuse et stylisée, correspondaient bien davantage au goût –discutable- du jeune armateur.

Un domestique apporta au trio des rafraîchissements, après quoi ils commencèrent tranquillement à aborder le problème.

-C’est par rapport à la Rouboule ?, demanda Nerassa.
-La quoi ?
-Exactement, lui confirma l’armateur.
-C’a l’air mauvais, cette histoire, signala la blonde. Ca s’est répandu à quel point, exactement ?
-Pas tant que ça. Les quelques élevages atteints ont été mis en quarantaine, et complètement coupés de tous les circuits. Tant que les vétérinaires ne sauront pas de quoi il en découle, les éleveurs ont pour consigne de continuer à prendre soin de leurs bêtes, dans la mesure du possible.
-De quoi vous parlez ?
-Origine alimentaire ?
-C’est la principale piste retenue par les autorités sanitaires, oui. Rien n’est encore sûr, cela dit. Ca peut aussi bien être l’introduction d’animaux contaminés, ou une cause complètement…
-Euh…, les interrompit Sigurd en faisant de grands mouvements du bras. Althias ? Nera’ ? Je ne comprends absolument rien, là.
-Tu n’as pas lu le journal ?, s’enquit le seigneur.
-Je suis allé me coucher direct en rentrant.
-Ah ! Comme si tu lisais le journal le reste du temps.
-Bwoh, ça va, hein.
Alors ?
-Bon, résuma la borgne. Il y a deux semaines, des moutons ont commencé à enfler, grossir, et beaucoup. Jusqu’à tripler de volume, rien que ça. En gros, les bestioles ont maintenant un look de gros champignons vénéneux. Rouge et blanc.
-Des amanites, précisa le noble.
-Ce qui ne rassure absolument personne sur l’île, continua la borgne. T’imagines bien que si tout le cheptel de Tanuki vire toxique ou tombe malade, ça va être la misère sur l’île.
-Ouais, je vois le genre. Mais…
-…
-…
-Mais… euh… par contre… en quoi ça nous regarde ? Normalement, c’est aux autorités de se charger de ça. Nan ?

Dogaku connaissait bien son partenaire de jeu. Si Althias s’en préoccupait, c’était soit qu’il avait trouvé un intérêt particulier là dedans, ou alors…

Qu’il y avait quelque chose d’autre.

-Donc ?, demanda la jeune femme, qui soupçonnait aussi quelque chose.
-Et… il se trouve que… haha. Vous n’allez pas me croire, mais c’est vraiment mal tombé, commença Althias.
-Tu veux dire ?
-Horner m’a confié avoir ramené sur l’île une cargaison de haricots étranges, il y a quelques semaines de cela. On lui aurait promis monts et merveilles quant au rendement de la culture. Et il semblerait qu’il ait omis de les présenter à la douane en arrivant, de peur de se faire confisquer sa petite trouvaille.

Sigurd grimaça en se représentant la scène.

Finassier était effectivement du genre à poser ses petites pattes sur tout ce qui n’était pas clairement tracé et identifiable. On ne savait jamais : après tout, on n’était jamais à l’abri d’une importation de cultures prédatrices, d’insectes ravageurs, ou de germes destructeurs. Tout ça était de très mauvais augure lorsque l’île entière subsistait de ses activités agraires, comme c’était le cas ici. D’où le comportement des douaniers, qui se faisaient volontairement désagréables.

Bref, le scénario catastrophe que tout le monde cherchait à éviter ressemblait tristement à la situation actuelle de l’île. A ceci près que le mal était contenu. Il s’agissait simplement de savoir un peu à l’avance d’où il venait, et qui serait compromis. Quand un scandale éclatait, prendre les devant pouvait faire une énorme différence.

Sigurd pouvait visualiser tout ça aussi bien que les deux autres. Pour autant, il y avait encore quelque chose qui ne cadrait pas, dans toute cette histoire.

-Ehm. Si je peux me permettre, les moutons ne mangent pas de haricots, me semble.
-Je sais. Mais je préfère ne prendre aucun risque. Si c’est une histoire de contamination indirecte, ou de répercussion…
-Sauf qu’on est pas des biologistes ou des quoi que soit. On pourra rien déterminer.
-Sauf que je n’ai pas de biologiste ou de quoi que ce soit à porté de main, sourit tristement Althias. Et puis, vous avez un cerveau, tous les deux. Faîtes ce que vous pouvez, tout simplement.
-Boah, accepta Sigurd. Alors, suffirait d'aller dans un élevage contaminé, et de demander aux locaux s'ils ont eu la drôle d'idée de donner des haricots au bétail. Si oui, alors c’est du direct, sinon, on cuisine Horner.
-C'est... une très bonne idée. Oui. Il faudra juste que vous ameniez bien la chose. Et qu’on ne vous mente pas.
-Pas gagné, indiqua Nerassa.
-Pour ça, je te fais confiance. C’est ton domaine.
-Nwehehehehehehehe.
-C’est pas une chose dont tu dois être fière, Nera’…
-Meuh si. Sans moi, t’arriveras à rien, voyons.
-Pfff.

-Il y a un autre problème, indiqua Althias.
-Quoi donc?
-Certains producteurs y ont vu là un moyen de produire plus de viande. Donc d'augmenter les profits.
-Euuh...
-Donc des humains en ont mangé?, ricana Roderik, sans joie. Et c'est contagieux?
-On en sait rien. C'est trop tôt pour savoir. Et vous vous doutez bien que ceux qui ont joué à cela n'avaient pas spécialement envie de le savoir.
-Nwehehehehehehehe. J'imagine déjà les gros titres. Donc l'île a maintenant... dans le genre d'une alerte sanitaire? Pour une histoire de mouton qui roule, c'est bête.
-Je dirais plutôt que c'est bêêêêête, s’amusa Sigurd. Haha.
-...
-…
-Bwooh, elle était pas SI MAUVAISE que ça, quand même…
-Pfhehehehe...

-…
-…
-Donc, pour commencer, résuma Nerassa. On peut soit aller poser des questions à Horner… soit  aller voir les élevages contaminés… ou au moins un élevage… et poser des questions gentillettes.
-Utilisez-moi pour vous couvrir, indiqua Althias. Vous n’avez qu’à dire que je me préoccupe de la situation de l’île, et que je vous ai envoyé pour recueillir des informations faute de temps pour m’en charger moi-même.
-C’est la pure vérité, nan ?, demanda Sigurd.
-Presque, mais tant mieux. Nwehehehehehehehe. Comme ça, on n’aura pas vraiment à mentir.


Dernière édition par Sigurd Dogaku le Dim 23 Fév 2014 - 17:32, édité 1 fois
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Le jour même, plus tard en début d’après midi…

Ces dernières semaines, les paysages d’émeraude des pâturages de Tanuki offraient un étrange spectacle. Les moutons infectés en étaient bien évidemment la cause. C’étaient d’énormes pelotes de laine rouge carmin qui ponctuaient les enclos, et l’effet était d’autant plus puissant que ces animaux étaient parqués à l’écart des spécimens sains.

Pour les éleveurs, c’était une pure folie. Inadmissible. Une catastrophe en puissance, qui devait être contenue coûte que coûte.

Pour nos deux partenaires, par contre…

-Pauvres bêtes... harharhar...
-Hehe hehe...

A l’approche d’un élevage, installé au creux de deux collines, ils n’avaient pas pu rater la dizaine d’animaux touchés par l’étrange mal. La Rouboule du Mouton. Les ovins présentaient des troubles de locomotion évidents, en particulier dans ces terres pentues où ils avaient toutes les peines du monde à brouter paisiblement.

La majorité d’entre eux étaient d’ailleurs attachés à des contrepoids, qu’ils trainaient laborieusement derrière eux quand ils se déplaçaient. Sans ces mesures, les pauvres créatures risquaient fort de perdre leur équilibre, et…

-Tu crois que si on en pousse un, il va dévaler la pente en roulant?, demanda Sigurd.
-Parait justement que oui. Ça doit être trop marrant à voir.
-Mwarharharh. Entièrement d’accord. Je veux. Tu viens ?
-Uh ?, s’étonna la borgne.
-Vingt-cinq points s’il finit dans la rivière !, s’écria-t-il en faisant mine de s’approcher de l’enclos.
-Sig’ ? Tu déconnes ?
-Haha. Je plaisante, bien sûr.
-Nwehehehehehehehe. Pas mal.
-Pauvres bêtes. Naaan, on va pas leur faire ça, voyons, ça serait vraiment…
-…
-…
-Super méga marrant à voir, renchérit Roderik avec une lueur rêveuse dans l’œil.
-Laisse tomber, c’est mort.

*
*     *
*

L’élevage qu’allaient visiter Roderik et Dogaku était la propriété d’Anford Galleon Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior, fils d’Anford Galleon Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior, petit-fils d’Anford Galleon Junior Junior Junior Junior Junior Junior, arrière petit fils d’Anford Galleon Junior Junior Junior Junior Junior…

… et ainsi de suite.

Cela signifiait que depuis neuf générations, c’est à dire à peu près trois siècles, le nom d’Anford Galleon était une marque déposée dans le petit monde de l’élevage d’ovins, ainsi qu’un gage de qualité reconnu sur toute l’île de Tanuki. Les Galleon étaient également partenaires commerciaux de longue date avec la seigneurie de Mistoltin.

Sans surprise, c’était donc là que s’étaient dirigés les deux compères pour leur petite enquête. Anford avait été prévenu de leur arrivée ; ils eurent tout juste à se présenter devant son exploitation et à décliner leur identité à un duo d’employés. Le gérant les rejoignit dans la minute.

Pour se représenter cet homme, on pouvait imaginer un modèle de bucheron canadien, grand, massif, velu, hirsute et viril, qui se serait reconverti dans l’élevage de moutons. Il portait habituellement des chemises noires à carreaux blancs, qui dépassaient d’une salopette rouge comme du vin. Et, bien sûr, Galleon ne sortait jamais de chez lui sans son indémodable bonnet en laine et à cornes de bélier, tricoté avec amour par sa chère et tendre.

Avec l’âge, il avait commencé à s’empâter. Pour autant, son rythme de vie fermier l’empêchait de trop se laisser aller. Sa carcasse d’armoire à glace avoisinait la centaine de kilos, mais elle comportait largement sa part de muscles.

Anford était l’un des plus grands éleveurs de l’île. Un mètre quatre-vingt quinze.

Il était connu pour trois choses.

Tout d’abord, c’était l’un des plus fervents ami des moutons de l’île, et un éleveur de haut vol. Les liens de confiance qui le liaient à ses animaux étaient tels, que les bêtes auraient très bien pu risquer leurs vies pour le protéger. Heureusement, le cas de figure n’aurait pas à se présenter.

En second lieu, il avait très, très mauvais caractère.

-Quoi? ‘Tain, vous déconnez. C’est vous, les experts?
-Euh… bonjour ?, essaya Sigurd.
-Nan. Mauvais jours, en ce moment. Qu’est-ce que vous foutez là ?, aboya Angus, l’air furieux.
-Ben on… voulait juste… venir voir si… enfin… c’est pas que… je veux dire…
-Nous sommes bien les deux envoyés d’Althias, compléta Roderik. Et vous n’avez pas du tout l’air content de nous voir. J’ai raté quoi ?
-Le coche, voilà ce que vous avez loupé. J’ai demandé de l’aide. Des experts. D’où ma question. Qu’est-ce que vous foutez là ?
-Mais on mène l’enquête, continua la blonde. Le patron a quelques pistes dans sa sacoche, et il a besoin d’infos pour pouvoir faire le lien. Ca là qu’entrent en jeu les petites mains : nous. Il va nous falloir votre aide, par contre.

Elle était peut être jeune, mais Roderik avait déjà du cran. Et savait se faire convaincante. S’il avait été seul, Dogaku aurait sûrement bredouillé quelques excuses, sursauté à plusieurs reprises, et disparu silencieusement, sans doute en se liquéfiant sous la pression que dégageait Galleon.

La demoiselle, au contraire, n’avait aucun mal à le soutenir du regard. C’était même elle qui le mettait mal à l’aise : elle était borgne, et son bandeau n’était pas la plus agréable des choses à voir. Toujours aussi sûre d’elle, et pleine de panache, elle insista tranquillement auprès de l’éleveur, qui adoucit progressivement son attitude envers eux. Et, surprise, les invita même à rentrer.

Nerassa avait déjà ses petites recettes pour pénétrer la méfiance des gens, et les inciter à s’ouvrir, même à contrecœur, à ses propositions alléchantes. C’étaient les mêmes qui, bien plus tard, lui serviraient à manigancer de dangereuses alliances, et rassembler des équipages pirates provenant d’horizons variés.

-Bon. On va faire simple, gronda Galleon en lâchant du terrain. Vous avez quel âge, tous les deux? Même pas vingt ans ?
-Dix neuf ans. Tous les deux.
-Pfeuh, dédaigna-t-il. Okay. Vous voyez mes moutons ? Vous trouvez ça drôle, ce qui leur arrive ?
-D’un certain point de vue, c’est plutôt hilarant, sourit la jeune femme.
-HILARANT !?
-Des moutons. Rouges. Gros comme des ballons de baudruche. Qui peuvent se déplacer en roulant comme des cailloux. Et y’en a en quantité, par-dessus le marché. Quand tout ça sera fini, on s’en souviendra sûrement en pleurant de rire tellement c’est idiot.
-…, admit Galleon, à contrecoeur.
-Quand même. Merci.
-Mais ouais, reprit prudemment Sigurd, on est complètement d’accords que c’est vraiment mauvais pour l’île, pour vous, pour nous, et pour les bêtes. Althias nous a envoyé pour commencer l’enquête, avant que les spécialistes puissent s’en charger.
-Donc tout ce qu'ils trouvent à faire, c'est envoyer des stagiaires me poser des questions? Allez chier au diable, les jeunes. J'ai rien contre vous. Mais c'est pas de votre calibre, ce qui se passe. Dîtes leur d'envoyer des vrais, pas des bleus.
-Eeeeeh, mais on a rien de stagiaires, commença Roderik. Pour ma pomme, ça va faire presque six ans que…
-Attendez, l’interrompit Sigurd. C’est bien vous qui avez demandé de l’aide, non ? Althias nous a conseiller de venir ici parce qu’il vous connait bien. Alors, nous envoyer balader, c’est un poil… bizarre ?
-Parce que vous n’êtes pas en mesure de sauver nos moutons. Disparaissez.
-Vous nous avez fait venir jusqu’ici pour nous dire de repartir ?
-On m’avait annoncé de l’aide. Quand j’ai entendu que le jeune Sigurd allait s’en charger, j’avais bon espoir. Mais je m’attendais à quelque chose d’un peu plus… homérique. Quelqu’un qui fasse honneur à son prénom de tueur de dragon. Pas un gringalet intimidable.
-Aaaah. Un fan de mythologie, hein ? Perdu, haha, chuis un type normal…
-… mais il ne faut pas se fier aux apparences, reprit de suite Nerassa. Sigurd est bien plus… euh… bien plus qu’il n’en a l’air.
-Ah ? Mwarharharh. Chuis bien plus quoi, hein ?
-Essaie de m’aider plutôt que de te moquer de… moi... de toi... euh… de toi ou de moi ?
-Harharh. Mon humour est trop fort pour toi ?
-Rêve.

-Et pourquoi est-ce que Mistoltin vous a envoyé vous, d'ailleurs? Il est jeune. La première chose qu’il a du apprendre à faire, quand il a prit la relève de son père, c’est de s’entourer de gens expérimentés. Il a plein de types qui ont du bagage, dans ses rangs. Vous envoyez vous, c’est du foutage de gueule, rien d’autre.
-Aaaah, s’exclama Dogaku .Ouais, j'me suis posé la question, moi aussi. Plein de fois. Et un jour, je l'ai posée à un supérieur. Il m’a dit qu’apparemment, on avait aussi des trucs à apporter, et qu’ils comptaient bien sur nous pour ça. Qu’on était pas juste des boulets à former, mais bien utiles.
-Je tiens à signaler que je travaille sérieusement et à temps plein depuis six ans, chuis pas une…
-Une psychopathe qui nous a fait une jolie fugue à quatorze ans pour sur un coup de tête ? Naaaaaan, pas du tout.
-Ooooh, ça va, hein.
Bref. On a du bagage, pas besoin de nous sous-estimer. Ni moi, ni Sigurd. Parce qu'il a l'air vachement bête, alors qu'il ne l'est pas du tout. Et que quand on sait compter, ça ne fait pas une, ni deux, mais trois qualités.
-En ce qui la concerne, c’est pas dur de savoir pourquoi Althias l’a choisie, renchérit Dogaku. Parce que c'est une infâme magouilleuse de première, mais qu'elle est réglo et parfaitement digne de confiance. Même si c'est de la mauvaise graine de pirate. Trèèèès mauvaise graine.
-Eh, t’essaie de me vendre ou de me descendre, là ?
-De te faire arrêter tes conneries ?
-Pfff.
Bref. Vous en dîtes quoi, du coup ?, adressa la miss à Galleon.
-Ce que j’en dis ? Oh. J’en dis que… dans ce cas... pfff... boh. Bordel. On va laisser les moutons décider, point. Ca sera plus facile.

Laisser les moutons choisir ? Evidemment. Sigurd et Nerassa ne comprenaient pas, et Anford s’en rendit très vite compte. Aussi prit-il soin de tout leur expliquer, en même temps qu’il les guidait vers ses paturages.

-Le mouton de Tanuki, les gosses. Ce n'est pas n'importe quel mouton. En ce qui me concerne, j’élève des Angoras de Tanuki, l’une des nombreuses races de bétail spécifiques à notre île. Comme tous les autres, cet animal est issu d'une longue lignée d’animaux spécifiquement retenus et sélectionnés pour leurs qualités exemplaires. Pendant des CENTAINES et des CENTAINES d'années, vous m’entendez, nos ancêtres ont consacré leurs vies et leur labeur à la conception de cette espèce. Et durant cette période, ils ont  fait l’objet de plus d’amour, de sueur et de larmes que la pomme de terre, le cheval et le maïs n’en recevront jamais. Et pourtant, y’a des îles où des peuplades ENTIERES vivent sur ces ressources. Ici, c’est le mouton, et on en est FIERS. Alors montrez un peu de respect, tous les deux. Ce n'est pas UN mouton. C'est digne et vaillant représentant de la race des Angoras de Tanuki. Un animal, SANS EGAL, sur toutes les mers du globe. Capiche?

Le mouton Angora de Tanuki. Un animal exceptionnel, comme l’avait si longuement explicité Galleon. Plus doux, plus léger, plus soyeux, plus cotonneux, et surtout, plus aérodynamique que n’importe quel mouton de base.

Avec les formidables propriétés de sa laine, ils étaient pour le mouton ce que le cachemire était à l’origine chez les chèvres, c'est-à-dire le saint du saint du terroir de haut vol.

Outre ces propriétés commerciales, les Angoras de Tanuki étaient également… les partenaires idéals de tous les joueurs de sheepball de l’île.

Nous l’avons dit plus tôt, Anford Galleon était connu pour trois choses. Sa passion pour les moutons. Son caractère tempétueux. La dernière, et non la moindre, était également la plus grande passion de toute sa vie. Après sa femme, précisait-il. A ses yeux, il s’agissait d’un rituel multiséculaire, qui permettait à l’homme de communier avec les moutons qu’il élevait.

Pour la majorité du public de l’île, il s’agissait tout simplement d’un sport, qui donnait l’occasion de nombreuses fêtes, spectacles et évènements pour ponctuer l’année.

-Sheep balle?, demanda Sigurd.
-Sheepball. C'est un sport. Une pratique traditionnelle des habitants de Tanuki. Quoi, vous ne savez même pas ça?
-On passe beaucoup de temps sur les bateaux, manque de bol…
-J’en ai déjà entendu parler, indiqua Roderik. Mais pas dans les détails.
-Ha ! Alors on va faire simple, les jeunes. Vous affirmez en avoir à revendre? Il va falloir prouver votre valeur. À moi. Et aux moutons. Tout ça va se régler très simplement. À l'ancienne. Par une partie de Sheepball.
-Euh… chuis pas sûr que…
-Si vous parvenez à me tenir tête au Sheepball… peut être serez vous aptes.
-Nan mais vous savez, en général je suis TRES mauvais sur les jeux d’adresse qui finissent par « ball », donc…
-Jesco! Bréviaire! Préparez l'arène!, adressa Galleon à deux de ses ouvriers.
-Nera’ ? Dis lui, s’il te plait.
-Marché conclu. On relève le défi. Moi et Sigurd.
-Traîtresse…
-Hohohoho. Je l’espérais bien. Alors on va faire comme ça. Vous deux. Contre moi. Je vais vous en faire baver, les gosses. Mais peut être que les moutons prendront la peine de vous évaluer… et de voir si vous en valez la peine. Dans ce cas, puisque vous vous serez prêtés à mon petit jeu, j’accepterais de participer au votre. Haha… hahaha.

Bréviaire et Jesco, les deux ouvriers, savaient très bien ce qu’il allait se passer. Galleon ne pu s’empêcher de sourire.

A vrai dire, il avait tout simplement envie d’aller jouer avec son bétail. Tout le reste n’était qu’un prétexte, comme d’habitude.

Les deux autres n’étaient que des figurants.

Ils ne parviendraient à rien.
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L'arène, c'était tout simplement un enclos gros d'une centaine de moutons, dans lequel les bêtes étaient pressées les une contre les autres.

Ils étaient à l'intérieur d'une grange. Le sol était tapissé de foin, en quantité suffisante pour que personne n'ait le pied sûr. Et les fenêtres qui donnaient sur le ciel étaient bien assez hautes pour que personne ne puisse être jeté au travers, et éjecté hors de l'arène.

Toutes ces mesures avaient été prises pour le bon déroulement d'une partie de Sheepball ordinaire.

-Alors... en quoi ça consiste?, demanda Dogaku, un peu hésitant.

Avec Roderik et Galleon, il se tenait là, debout au milieu de cette marée de moutons. Entre les bêtes et le foin qui jonchait le sol, il n'osait pas trop marcher.

Nerassa était un peu plus loin, à ses côtés. La jeune femme avait décidé de longer un mur pour garder appui, ce qui fonctionnait bien jusque là.

Anford Galleon, pour sa part, leur faisait face. Malgré toute son expérience, lui aussi prenait ses précautions à chaque pas qu'il faisait.

Et, au dessus d'eux, à environ cinq mètres au dessus du sol, se tenaient Jesco et Bréviaire, les deux ouvriers. Une sorte de mezzanine avait été installée dans la grange. Pour rentabiliser l'espace au maximum, elle servait normalement à stocker du matériel. En l'occurrence, elle ferait office de gradins. Les deux compères, à qui l'on pardonnera de n'avoir guère d'importance dans ce récit, aimaient bien assister aux parties.

-Bienvenue, déclara solennellement Galleon. Sur un terrain de Sheepball. Ici, comme vous pouvez le voir, les ovins sont rois. Au cours de cette partie, mes Angoras seront les juges, les arbitres, les projectiles et les coéquipiers dont vous aurez besoin. Traitez les bien, respectez les, et ils vous renverront l'ascenseur. Manquez à vos obligations, et vous ne parviendrez à rien de bon. Gardez ça à l'esprit.

Les moutons bêlèrent tous en coeur, comme pour approuver le discours de Galleon. C'était en tout cas l'image qu'ils donnaient aux deux découvreurs. Il y avait presque quelque chose de sacré, à la manière d'une cérémonie, dans leur façon de faire.

-Pour remporter une partie de Sheepball, il faut être choisi. À l'unanimité, par les Angoras. C'est très simple. Les moutons, vous le savez, sont des animaux grégaires. Sur Tanuki, nous appelons ça l'Esprit du Troupeau. Ça n'est pas qu'ils se concertent à la vitesse de l'éclair. C'est une question de confiance. Oui. Les moutons, se font confiance les uns les autres. Ce qui explique pourquoi, dès que l'un d'entre eux prend une décision, entreprend une action, les autres le suivent aveuglément. Et l'homme, dans ce grand ordre des choses, peut espérer avoir sa place. C'est ça, le Sheepball. Je ne vous parle pas des métiers de berger, ni d'éleveur. Dans ces cas là, il s'agit tout simplement de créer les réactions sur quelques animaux pour obtenir le résultat escompté. Ce dont je vous parle, c'est de percevoir et d'interagir avec l'Esprit du Troupeau. Et pour ce faire, il vous faut obtenir la confiance des...

C'était la plus grande passion de toute sa vie. Sans surprise, Galleon aurait pu continuer des heures et des heures durant, sans voir le temps passer.

Ce qui n'était pas le cas de tout le monde.

-Sig'? Je pige rien à ce qu'il raconte.
-T'as pas la patience pour ça
, répliqua le jeune homme qui ne ratait pas un mot du discours.

Dogaku était quelqu'un de particulièrement réceptif aux bonnes intentions. En dépit des airs graves et religieux de Galleon, Sigurd pouvait sentir le plaisir avec lequel il leur expliquait tout ça. Dans ce genre de situations, il était toujours bon public.

-En résumé, pour gagner la confiance des moutons, il vous faut accumuler des Points de Confiance. PC, pour simplifier. Tout le monde commence avec des PC égals à zéro. Pour en gagner, il vous suffit de faire absolument n'importe quoi. Le simple fait d'exister suffit: les moutons savent que vous êtes là, vous observent, et vous jugent en permanence, ne l'oubliez pas. Ainsi, le simple fait de participer vous fera progresser auprès de l'Esprit du Troupeau.
-Plutôt facile, remarqua la jeune femme. Il est où, du coup, le truc?
-Bien sûr. Il y a de nombreux moyens pour obtenir plus de PC. Vous pouvez soudoyer les moutons. Ils adorent qu'on leur parle à l'oreille, et qu'on les gargouille derrière la nuque. Entre autres, sourit pour la première fois Anford.
-On va... quoi?
-Je crois que c'est un piège. Il veut juste qu'on toilette ses bestioles
, devina Nerassa.
-Aw. S'nul.
-Je plaisante, je plaisante.
Pour marquer des PC, il faut vous battre, bien sûr. Et rallier le maximum de moutons avec vous.

D'un geste nonchalant, Galleon caressa l'une des bêtes qui lui tournait autour. Et la souleva d'une seule main, à bout de bras.

Quand il commença à doucement jongler avec, les deux marins commencèrent à se poser beaucoup plus de questions. Et devinèrent plus où moins à quoi pouvait correspondre le Sheepball.

Ils s'imaginaient déjà une bataille de boule de neige, où les animaux feraient office de projectiles. Et Galleon le leur confirma, en d'autres termes.

À ceci près qu'il y avait une autre différence.

-Et le meilleur moyen de marquer des PC... consiste à attaquer en utilisant directement l'Esprit du troupeau. Cela ne peut se faire que par un seul moyen. Les Overskills.
-Sig'? Je crois qu'on est tombés sur un dingue.
-C'est toi qui a accepté ce truc. Moi j'étais contre. Maintenant t'assumes.
-Je veux pas assumer...
-Erf
. Overskill?, demanda-t-il.
-Over, comme ovin. Skill, pour technique, expliqua Anford.
-C'est pas super convaincant, ricana Roderik, moqueuse.
-Je trouve que le nom en jette, tout simplement, se justifia l'éleveur, un peu mal à l'aise.
-Vous trouvez? Je croyais que c'était une tradition ancestrale et blabla de trois cent ans au moins dans la famille? Donc vous avez juste tout inventé?
-J'adapte le sport pour intéresser les jeunes, se défendit Galleon, un peu vexé cette fois. Mais je dois bien avouer que ce n'est pas facile.
-Vous en faîtes pas, Nera est une chieuse, de toute manière. Vous faîtes très bien, voulu le rassurer Sigurd.
-Je... ah?
-Ouais. Avec la façon dont vous en parlez, ça suffit, sourit le jeune homme. Ça se voit que vous voulez partager votre dada, et moi, jtrouve ça vachement sympa. Les chieurs, y faîtes pas attention.
-Gnagnagna.
-Harhar. Vexée?
-Attends que je te fasse manger du mouton... la laine, tu me diras comment c'est...
-On est dans la même équipe...
-Nwehehehehehehehe. T'inquiètes, j'oublierai ça en temps voulu.
-Aw...


Le temps de leurs jérémiades, Galleon eut le temps de se ressaisir. Il était temps, maintenant, de leur faire une démonstration.

Il bomba ainsi le torse et tendit les bras sur les cotés, à la manière d'un crucifié. Alors, il s'exclama d'une voix humble:

-Overkill : Sheep Sheep no Power Suit!

Et aussitôt, plusieurs moutons lui sautèrent dessus, pour s'accrocher à son corps. Ses bras, ses cuisses et son torse étaient maintenant protégés par une carapace de laine.

Or, si cette armure animale était tout à fait inutile face à des armes d'acier, les avantages qu'elle procurait en situation de Sheepball étaient innombrables.

L'utilisateur s'assurait le soutien des moutons qui le recouvraient, et ne pouvait pas perdre de points aux yeux de l'Esprit du Troupeau quand les attaques ne le touchaient pas directement.

Toutefois, supporter les Angoras était éprouvant, et demandait un certain volume physique.

-Eh, ça a l'air chouette, sourit Dogaku. Sheep Sheep no Power Suit!

Le marin sauta sur place, se trémoussa brièvement, tendit les bras et attendit.

Et... rien ne se passa. Évidemment.

-Ça n'est pas aussi simple, stipula Galleon. Je vous l'ai dis. Vous ne devez pas attendre des moutons qu'ils obéissent à vos ordres. Vous devez, vous soumettre, à leur jugement!

Dogaku grimaça. Jeta un coup d'oeil à l'éleveur. Aux animaux. Puis à Roderik, qui n'avait pas l'air de vouloir essayer quoi que ce soit. Finalement, il retourna son attention sur les Angoras. Et il commença à les observer plus en détail.

Aucune de ces bêtes n'avait l'air de prêter le moindre intérêt à quoi que ce soit, et encore moins à sa présence parmi eux. De fait, Galleon pouvait dire ce qu'il voulait, et il avait beau l'avoir écouté avec intérêt, tout ceci lui semblait parfaitement idiot.

Mais il y croyait.

Dogaku était quelqu'un de simple. Tant que quelqu'un n'avait à priori aucune raison de lui mentir, il acceptait de croire. Ça ne coûtait jamais rien.

Et puis, il avait déjà entendu nettement plus absurde au cours de son existence. Les fruits démoniaques, par exemple. Ça n'avait aucun sens.

-Bah. Je me m'attendais pas vraiment à ce que quelque chose se passe. Ça ne de fait jamais tout de suite, de toute manière. C'est comme pour dribler, il faut attraper le coup de main. De toute manière, vous pouvez jouer sans utiliser d'Overskill. Attrapez les moutons, ils se laisseront faire, ils vous aideront. C'est facile.

Sigurd ne répondit pas. Il continuait de regarder les ovins, en réfléchissant. Comme si quelque chose pouvait se passer.

Il avait vraiment envie d'essayer à nouveau.

-Overskill : Sheep Sheep no White Pistol!

Galleon avait utilisé une autre technique. Cette fois ci, il avait soulevé un mouton à deux bras, et l'avait propulsé en direction de Sigurd. Et non content de se laisser faire, l'animal prenait appui sur ses congénères pour préserver son élan, comme une pierre plate lancée sur un ruisseau.

Dogaku regarda l'animal sans penser à rien. Il ferma les yeux avant l'impact, leva les bras sans les croiser, et fut projeté, les quatre fers en l'air.

Sans vraiment avoir mal, compte tenu de toute la laine en jeu.

Ça n'en restait pas moins désagréable.

-Eh, bah alors? Tu dors?
-Ha! Vous allez voir!, répliqua-t-il en se redressant de son mieux.

Cette fois, il essaya de soulever un mouton... et y parvint sans difficulté. En partie parce que l'animal était, rappelons le, exceptionnellement léger et aérodynamique, compte tenu de son espèce. Mais aussi parce qu'il se laissait faire, et accompagnait les mouvements du jeune homme.

Même sans Overskill, il estimait avoir ses chances. Il aurait simplement moins de portée, et moins de possibilités.

Ce qui justifiait pleinement un deux contre un.

-Nera'?, demanda-t-il pour confirmer ses espoirs.
-Eh bah, amène toi beau blond, suis déjà sur le coup!, s'exclama sa partenaire en balançant son troisième mouton.


Dernière édition par Sigurd Dogaku le Lun 28 Juil 2014 - 20:07, édité 1 fois
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Aaaaah, les jeunes, songea Galleon. Il leur avait fallu quelques essais chacun, mais maintenant, ils lançaient leurs moutons avec une technique tout à fait honorable. Outre ce point, ils étaient visiblement très bons amis, ce qui se voyait sur leur jeu : ils n’hésitaient pas à coopérer, et notamment à submerger l’éleveur d’un déluge d’ovins en le prenant en tenailles.

Ceci avec un succès tout relatif, mais il ne s’inquiétait pas. Pour faire preuve de fair-play, l'éleveur s’était délesté d’une partie de son Overskill : Sheep Sheep no Power Suit. En l’état actuel, son dos et son visage étaient complètement exposés, ce que les deux coéquipiers avaient réussi à exploiter.

Et, de toute manière… ils avaient tellement l’air de s’amuser que les moutons le ressentiraient forcément. A ce train là, il ne serait pas surpris que l’un d’eux, et peut être même tous deux, s’éveille à l’Esprit du Troupeau. Ca n’avait rien d’anormal, au cours d’une première partie, lorsque tout se passait bien.

Mais lui aussi avait quelques atouts dans sa manche. Le quarantenaire qu’il était n’avait plus grand-chose à apprendre sur le Sheepball. Ni sur comment amuser la galerie, adversaires inclus.

-Overskill : Sheep Sheep no Avalanche !, annonça-t-il.

Le Tanukien tendit les bras sur les cotés, à la manière d’un chef d’orchestre, puis les lança vers le haut pour signifier aux moutons la trajectoire à suivre. Aussitôt, une dizaine, une quinzaine, une vingtaine de moutons cavalèrent le long des échelles fortement inclinées qui longeaient les murs de la grange, pour arriver jusqu’à la mezzanine qui surplombait l’arène.

Roderik et Dogaku levèrent les yeux en même temps. Ils n’arrivaient pas à y croire, regardaient les animaux manœuvrer en ayant l’air de rêver debout, et partagèrent le même sourire idiot en voyant les bêtes approcher du rebord en formations de deux ou trois.

Et à cet instant…

Tout à fait.

Nerassa cria autant qu’elle rit en se frayant un chemin dans la nuée de bétail, pendant que les moutons s’élancèrent de la mezzanine en s’efforçant de lui tomber dessus. Au final, elle trébucha, et disparut sous la marée laineuse.

Lorsque vint son tour, Sigurd effectua pour sa part quelques petits bonds sur le coté, complètement hilare… jusqu’à ce qu’il change finalement d’avis, et décide de se laisser bombarder. Simplement pour voir ce que ça faisait. Tout à fait.

Les moutons Angora méritaient bien leur réputation : il n’avait aucunement eu mal. Il était secoué, et fut facilement renversé par les projectiles cataclysmiques. Mais l’épais duvet cotonneux des ovins, combiné à leur ossature exceptionnellement souple et légère, rendaient la pratique de ce sport absolument sans danger.

-C’est pad’jeu !, se plaignit Dogaku, avec un rire qui disait tout le contraire.
-Mais j’adore, je suis fan !, renchérit l’autre. Vous êtes géant. Vraiment !
-Hojojojojoho ! Puisque c’est demandé si gentiment…, déclara Anford en levant les bras pour réitérer son Overskill.

A nouveau, une vingtaine de moutons prirent la route de la mezzanine pour s’élancer dans le vide. Cette fois, pourtant, le duo s’efforça d’en profiter pour marquer des points. Sigurd fut prit pour cible en premier, et cria quelques consignes à sa partenaire. Puis, il marqua hâtivement un dernier tir au but, faisant mouche sur le visage de Galleon, et s’agenouilla au milieu des bêtes pour se mettre à plat ventre. Il parvint à s’abriter par ce simple geste : les moutons en chute libre ne le toucheraient pas lui, mais seulement les autres animaux.

Nerassa, pour sa part, en profita pour progresser laborieusement jusqu’à Galleon. La miss espérait que lorsqu’elle serait prise pour cible par l’avalanche, l’éleveur, plus large et plus grand qu’elle, recevrait bien quelques dommages collatéraux. Elle-même n’aurait qu’à s’aplatir au sol, ce que leur adversaire ne pourrait probablement pas faire aussi facilement, compte tenu de son armure animale.

La manœuvre était réfléchie ; mais elle le fut en pure perte. Roderik ne parvint pas à rejoindre sa cible dans les temps, et fut contrainte de s'allonger précipitamment.

-Rhooo, j’voulais voir si ça marchait…, râla Dogaku.
-Ca marche, je te le confirme !, lui sourit l’éleveur. Bien essayé.
-On peut recommencer une dernière fois ?
-Ne pas abuser des bonnes choses. Et puis, j’ai tellement d’autres cartouches dans ma sacoches, ça serait dommage de pas en profiter, hein ?

Galleon prépara une quatrième Overskill… qu’il n’eut pas le temps de terminer. Déjà très rapprochée, Roderik s’était glissée dans son dos et l’avait attaqué en traître, à grands coups d’ovins. Sautant sur l'occasion, Dogaku en fit rapidement de même, projetant un mouton à bout portant en prenant soin de viser le visage de Galleon.

-Bfhuhupschufh’ !
-Ca marche !, s’exclama Sigurd.

Il venait de le découvrir, le Sheepball se pratiquait également au corps à corps. D’un air très concentré, le jeune homme s’efforça de plaquer sur Anford le mouton qu’il tenait à deux mains.

Sans moyen de s’exprimer, leur adversaire ne pouvait pas utiliser d’Overskill. Evidemment.

Malheureusement pour eux, il était également bâti comme une armoire, et fort comme un bœuf, en plus de les dominer d’une vingtaine de centimètres. En outre, Galleon était bien évidemment habitué à pratiquer le Sheepball en combat rapproché.

L’éleveur s’arma rapidement, en empoignant un mouton dans chaque main à la manière d’un gant de boxe, et repoussa aisément ses deux adversaires. Il leur asséna quelques attaques supplémentaires, qu’ils parèrent de leur mieux en s’équipant d’un mouton, totalement pris de cours par la tournure de la situation. Tout en luttant, les deux coéquipiers s’écrièrent quelques suggestions, pour finalement conclure qu’ils étaient bien incapables de se défendre, et qu’il valait mieux pour eux essayer de submerger Galleon sous un déluge de coups.

Pour une reproduction fidèle de la minute qui s’ensuivit, vous n’avez qu’à vous imaginer une bataille de polochon grandeur nature, dans laquelle, nous le précisons, aucun animal ne fut maltraité, ni même impliqué sans son consentement plein et entier.

Finalement, et après s’être fait martelé abondamment, l’éleveur se décida à rompre leur formation. Abandonnant ses gants de boxe, il leva les bras, et…

-Overskill : Sheep Sheep no Moving Wall!

Aussitôt, les moutons qui l’entouraient formèrent deux pyramides humaines animales face à ses assaillants. Les pyramides devinrent chacune des murs, hauts et larges de trois bêtes, soit une dimension de trois bêtes carrées (3b²). Et finalement, ces moutons acrobates entreprirent leur marche, repoussant ainsi Roderik et Dogaku sur une dizaine de mètres chacun.

Un peu avant que son Overskill : Sheep Sheep no Moving Wall ne s’achève, Galleon en prépara une autre. Déjà utilisée auparavant, en l'occurance.

-Overskill : Sheep Sheep no White Pistol !

A peine libéré du mur mobile, Sigurd du faire face au mouton qui fonçait droit sur lui. Il était presque sur lui, en vérité. Il n'avait guère de chances de lui échapper.

Pourtant, par pur réflexe, Dogaku plongea sur le coté.



Et c’est à ce moment précis…


… que ce qui devait forcément arriver…


…eut effectivement lieu.
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Dogaku avait évité l’attaque.

Avec un seul bond, Sigurd venait de parcourir une quinzaine de mètres en l’espace d’une poignée de secondes. Quelque chose comme ça.

Et il n’avait pas la moindre idée de ce qui s’était passé. Il avait sauté sur le coté, mais s’était senti happé par une force incroyable. A partir de là… il était maintenant à coté de Roderik, qui le regardait avec le même air idiot que lui-même affichait.

-Qu'est ce que c'était?, demanda-t-il. J’ai juste eu le temps de… euh… bah rien en fait.
-…
-Nera’ ?
-T’es tombé dans les moutons puis…
-… ?
-Puis rien. C’était bizarre.

-Hojojojoh! C’est simple, s’exclama Galleon, l’air triomphant. Tu viens de réaliser l’ « Overskill : Sheep Sheep no Submarine »! Il s'agit d'une Overskill de mouvement. Mes félicitations !
-Qu'est ce qui vient de se passer?, répéta Dogaku.
-Tu as plongé, tu étais allongé au milieu des moutons. Et ils ont fait en sorte que tu te déplaces dans cette position, un peu comme... euh... un serpent. De la reptation.
-Beh. Il sait faire ça, lui?, sourit Roderik.
-Ben faut croire...
-Bien sûr que non, objecta Anford.. C'est les moutons, qui ont tout fait. C'est toujours les moutons qui font tout, déclara l'éleveur, d'une voix qui se voulait emplie de sagesse.
-...
-En l'occurrence, ils se sont dandinés sur place, de manière à te faire coulisser jusqu'à l'endroit prévu.
-… euh ?
-Imagine des rouages en action dans une horloge. C’est comme ça que ça fonctionne. Tout s’est déroulé comme tu le souhaitais.
-J'ai pas prévu d'arriver là, moi... ni de rien souhaiter du tout, en fait.
-Mais l'Esprit du Troupeau l'a compris ainsi. Et c'est pour ça qu'il t'est venu en aide. Mais ça ne marche qu’une fois : pour la suite, il te faudra déclarer l’Overskill à haute voix pour que ça marche.

Lentement, Dogaku se releva. Il était encore confus, et regarda les bêtes d’un air mal assuré. Les ovins lui renvoyaient son regard, avec une différence cette fois-ci. Ils le considéraient d’un nouvel air, comme s’il était désormais particulièrement digne d’intérêt, et qu’une observation attentive leur permettrait de découvrir de nombreuses choses.

De son coté, Sigurd fit ce que n’importe qui aurait essayé à sa place : expérimenter au plus vite sa nouvelle, et surtout sa première technique.

-Overskill !, déclara-t-il en se sentant parfaitement idiot. Sheep Sheep no Submarine !

Nerassa le regarda s’exclamer en levant les bras en l’air, tendus sur les cotés, comme s’il invoquait le pouvoir d’une toute-puissance divine. Pour toute réponse, seuls quelques bêlements contrariés émergèrent de la masse des moutons. La jeune femme explosa de rire en comprenant qu’il les avait vexés en regardant en l’air, et non pas dans sa direction. Lui resta un instant sans comprendre, avant qu’elle ne le taquine gentiment pour lui expliquer. La seconde fois, il réitéra en s’adressant très clairement aux ovins, l’index quand même pointé vers le ciel en guise de gestuelle théâtrale.

Les animaux réagirent sur le champ. Sigurd disparut instantanément sous la vaste couche de laine, tandis qu’un simili de fissure, causé par le dandinement des moutons, traversa toute l’arène en direction d’un mur… auprès duquel le jeune homme finit par émerger, un peu désorienté.

Rapidement, pourtant, il reprit contenance. Se mit à ricaner bêtement, comme un enfant en bas âge qui venait de se découvrir un mystérieux pouvoir. Au bout d’une vingtaine de secondes, il se fit plus silencieux, et commença à marmonner dans sa barbe, la main gauche posée contre son menton. Il réfléchissait.

Mais ne le fit pas longtemps. Un instant plus tard, il pointa sa meilleure amie du doigt, et s’écria :

-Overskill : Sheep Sheep no Submarine!
-Gneh ? Tu fais qweeehyaaaaaaaaaaaaa!, s'écria Roderik, surprise en se faisant engloutir par la marée d'ovins.

A son tour, la jeune femme fut transportée d’un point à l’autre de l’arène. Et Dogaku confirma son hypothèse. Sa technique. Son Overskill. Elle n'avait absolument pas qu'une vocation défensive. Elle ne lui servait pas uniquement qu'à se déplacer rapidement dans la masse d'animaux. Il pouvait également déplacer Nerassa, et la mettre en sécurité lorsqu'elle était prise pour cible par leur adversaire. Probablement, du moins. C'était une question de réflexe, et d'anticipation.

Et c'était une excellente chose. Il ne semblait pas y avoir de délai, ni de limite à l'usage de l'Overskill. Mieux encore, chaque utilisation lui faisait gagner des Points de Confiance auprès de l'Esprit du Troupeau, d'après ce qu'avait dit Galleon. Et il pouvait utiliser les temps de trajet comme protection supplémentaire: ils n'étaient pas visibles de leur adversaire, sous la laine. A moins qu’il ne repère la fissure.

Dogaku se félicitait intérieurement de sa trouvaille.

Pour autant, une autre idée germa dans l'esprit du blondinet. Il ne se contenterait pas de ça.

-Sheep Sheep no Submarine!, répéta-t-il en pointant Anford du doigt.

Et...

-AH NO……

Absolument.

L'Overskill lui permettait de déplacer n'importe qui présent dans l'arène des ovins. Adversaires inclus.

Malgré sa carrure, les Angoras parvenaient à ensevelir et déplacer Galleon. À cause de sa carrure, ils avaient quelques difficultés à le faire, et prenaient plus de temps pour son transit.

Ce qui, à nouveau, arrangeait parfaitement Dogaku. L’éleveur ne pourrait rien faire, s'il était constamment enterré et transféré par des couches de moutons. Sigurd se voyait déjà abuser, encore et encore, de l'Overskill afin de gagner des points.

-Hojojojojojoh! On apprend...
-Sheep Sheep no Submarine!
-Blumrfghloretif.... eh, j'essaie de parler...
-Sheep Sheep no Submarine!
-Rofleuheurghchafazo...
-Sheep Sheep no…
-LAISSE MOI PARLER BORDEL ! ESPECE DE JEUNE GUIGNOL DECERE…
-Ah. Pardon.
-Oh. Ça ira. Ce que je voulais dire, donc... eheh. Je serais toujours aussi étonné de la vitesse à laquelle quelqu'un peut découvrir une nouvelle technique, faire quelque chose d'amusant avec, puis l'utiliser comme quelque chose de terriblement gênant pour autrui. Tu trouves ça drôle, peut être? Tu crois que c'est marrant, pour moi?
-Euh...
-Le Sheepball est un jeu, rappela Galleon. Il faut y prendre du plaisir, et surtout, que tout le monde le puisse. Si l'on ne s'amuse pas, ou si l'on entreprend des actions qui nuisent clairement au plaisir de l'autre, les moutons le sauront. Et ils te pénaliseront en conséquence. Et on ne deviendra pas copains.

À nouveau, tous les moutons hélèrent en coeur, d'un bêlement sévère, comme pour appuyer les propos de leur propriétaire.

Face à tant de pression et d'importance, Sigurd n'essaya même pas de se justifier, et resta muet, immobile.

-Une fois ceci dit... ta technique ne marchera pas sur moi, déclara Anford, avant de se recouvrir à nouveau d'une armure de moutons. Overskill ! Sheep Sheep no Power Suit : Rebirth !

D’autres moutons se jetèrent sur lui. Pas loin d’une dizaine, cette fois. Désormais, il était trop volumineux. Il ne pourrait plus être englouti, ni emporté par la marée de laine. Et beaucoup plus difficile à combattre. Ce qui n’inquiétait pas le moins du monde les deux partenaires.

L’éleveur souriait autant qu’eux-mêmes. Maintenant qu’ils commençaient à obtenir des Overskills, les choses allaient devenir beaucoup plus intéressantes.

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Une heure plus tard...

Oui, ils y étaient encore. Ou plutôt, ils avaient fait suffisamment de pauses pour en être à leur quatrième partie. Galleon les avaient toutes gagnées, sans grande surprise pour qui que ce soit. Mais les deux jeunes avaient accumulé un grand nombre de Points de Confiance, et éprouvaient un plaisir tel que personne n'avait envie d'arrêter. Pas même les moutons. Et leurs bêlements dynamiques l'avaient bien fait comprendre aux humains.

Maintenant que ses adversaires avaient une certaine expérience du Sheepball, Galleon pouvait se permettre beaucoup plus de manoeuvres. Et pour ça, l'éleveur ne se faisait pas prier.

-Overskill: Sheep Sheep no Shock Barrage!

Une variante de l'Avalanche. Les moutons empruntaient également la mezzanine pour s'élancer sur leur cible. Mais cette fois, ils s'agglutinaient en sphères de cinq, et se dispersaient à leur point de chute en bondissant sur leur proie. Le principe d'une bombe à fragmentation.

Mais Roderik avait la parade idéale, pour ça.

-Overskill: Sheep Sheep no Outer Grave!

Plusieurs moutons lui grimpèrent dessus, avec une certaine délicatesse dans l'ascension, pour la recouvrir de leur gangue de laine. Là dessous, elle ne risquait rien pendant une bonne demi-douzaine de secondes ; en contrepartie, elle non plus ne pouvait plus rien faire.

Comme pour Sigurd, son Overskill fonctionnait également sur les autres. Une fois libérée, elle s'en prit à Galleon, qui approchait dangereusement d'elle.

-Overskill: Sheep Sheep no Outer Grave!

L'éleveur se retrouva temporairement entravé par ses bêtes, qui le recouvraient des pieds à la tête. Cinq secondes plus tard, sa prison de laine s'effondra. Les deux jeunes en avaient profité pour lui lancer quelques moutons à la figure. Pour autant, le quarantenaire connaissait son affaire, et avait prévu le coup. À peine libéré, il empoigna un animal dans chaque main et s'en servit comme bouclier.

Une fois l'assaut terminé, Anford rééquipa ses gants de boxe, et repassa à l'attaque: même s'il maîtrisait la majorité des styles de Sheepball, il avait toujours eu sa préférence pour le combat de proximité.

Dans de grands éclats de joie, la bataille se poursuivit. C'était comme un bataille de boules de neige, à ceci près qu'il s'envoyaient des moutons au visage. Pour Galleon, l'essentiel était de s'approcher des jeunes sans prendre trop de tirs. Pour Roderik et Dogaku, il s'agissait au contraire d'exploiter leur nombre pour garder l'avantage sur leur adversaire. Compte tenu de la faible mobilité dont souffraient les joueurs dans l'arène, la technique de Dogaku s'avérait incroyablement utile. Pour sa part, Roderik avait mis une bonne demie heure de plus pour être remarquée par l'Esprit du Troupeau. Mais maintenant, elle maniait ses Overskills avec au moins autant d'aisance que son collègue.

Ses Overskills, en effet. En une heure, les deux jeunes avaient accumulé plusieurs arcanes dans leur répertoire. De même, au terme de leur troisième partie, Galleon les avait initiés à l'usage des Duoverskills. Ils n'avaient pas tardé à assimiler la technique, et à en faire usage, autant que possible. Rapidement, le combat avait prit des allures d'exhibition. Et quelques minutes plus tard, l'occasion se présenta à nouveau. Les deux compagnons avaient réussi à se dégager de l'éleveur, et s'accordèrent aussitôt pour répéter la manoeuvre.

Avec un léger sourire aux lèvres, Galleon les laissa tranquillement faire. Il n'aurait pas eu le temps de les interrompre, dans tous les cas. Et de toute manière, tout ça les amusait terriblement, tous les trois.





!! DUOVERSKILL !!


SHEEP SHEEP NO


BOWLING ROCK !________________________


________________________HULK SMASH!


PUMMEL FLARE!________________________


________________________SUBMARINE!


!! COMBO !!





Les bêlements retentirent en masse. Une bonne dizaine d'ovins intervinrent dans l'opération.

Couvert par les boules de bowling à fourrure commandées par son amie, Sigurd s'approcha de Galleon pour lui fracasser plusieurs moutons à bout portant. Les bêtes s'élancèrent du sol en essayant de renverser Galleon, sans succès. Avec l'Overskill de Nerassa, Pummel Flare, elles le martelèrent à répétition, tandis que Sigurd s'éclipsait en se glissant sous la couche d'animaux.

Mais toute cette explosion d'artifices n'infligea bien sur pas le moindre dommage à Anford. Mieux, les chocs qu'il subissait étaient amortis encore davantage par son armure d'ovins, qui avait encore doublé de volume depuis son dernier usage.

L'éleveur se releva tranquillement dans le nuage de moutons qui s'affaissait peu à peu. Il adressa un bref regard à Roderik, avant de rapidement repérer la nouvelle position de Dogaku. Sur sa gauche,  à environ cinq mètres.

Dangereusement près.

Ou, pour être plus précis, exactement à portée.

Galleon était massif, fort et endurant, mais pas particulièrement rapide. Pas particulièrement lent, non plus.

Mais dans l'absolu, rien de tout cela n'avait la moindre importance. Car quelles que soient les aptitudes naturelles des joueurs, il existait toujours une Overskill pour remédier à leurs petites faiblesses.





Comboverskill !


Sheep Sheep no

Giant Dive !

Air Pillar !

Bouncing Ball !

Gatling Rail !

CHAINSWORD !!!

COMBO !





Cette fois ci, l'éleveur avait déployé le gros de son potentiel. À son commandement, les animaux qui l'entouraient se lancèrent dans la direction de Sigurd. Pour sa part, Galleon bondit sur le jeune homme. Avec l'élan que lui procura la vague de moutons, il engloutit la distance qui les séparait en un instant.

Une fois en place, il désarçonna sa cible en la boxant brièvement.

Prit de cours par la manoeuvre, Dogaku tenta de jouer le jeu et s'escrima à lui rendre coup sur coup en empoignant un mouton. Submergé, il ne parvint à rien de convaincant, et fut contraint de se rabattre en reculant.

D'un coup, pourtant, il sentit le sol trembler à ses pieds. Et un instant plus tard, il cria en se sentant décoller du sol.

Les moutons présents à ses côtés venaient de former une nouvelle pyramide, sous ses pieds, avec pour seul but de le soulever subitement.

La suite resta particulièrement vague, pour lui. Il ferma les yeux en voyant un animal, le premier d'une bonne vingtaine, lui arriver droit dessus.

Sigurd se contenta d'exploser de rire, secoué de partout, toujours en l'air, pendant une demi-douzaine de secondes, balancé un peu plus haut par un choc plus prononcé, avant de finalement retomber sur le matelas de laine qui se formait à terre.

-Gééééant!, s'exclama Roderik, des pépites plein les yeux. C'était, juste, carrément, vraiment, trop, ééééénorme, ce truc. J'peux avoir la même? Siouplait?
-Hein? Eh bien...
-Y'a pas de raison que Sig' soit le seul à s'amuser, non? J'veux m'envoler, moi aussi! Nwehehehehehehehe...

Dogaku était toujours à terre, empêtré dans la masse des moutons. Il n'avait pas tenté de se relever. Il était trop occupé à se tenir les côtes, complètement hilare, et encore sacrément secoué.

-Pas le droit de dire non !
-Mmmh... c'est vrai.
-Nwehehehehehehehe...

La jeune femme écarta tranquillement les bras, impatiente de commencer. C'était comme attendre qu'un manège à sensations fortes démarre.

Vingt secondes plus tard, après avoir encaissé l'assaut, elle aussi hurlait encore de rire.

Et on décida de s'en arrêter là. C'en était bien assez pour le Sheepball, pour aujourd'hui. Galleon releva les deux jeunes, héla ses moutons, et tout ce petit monde quitta joyeusement la grange, en attendant la prochaine fois.

Les deux jeunes furent conduits dans la demeure multi-séculaire des Galleon, au sein d'une petite cuisine restée inchangée pendant près d'une dizaine de générations d'éleveurs. Pendant l'heure qui suivit, les trois compères discutèrent de la Rouboule, de ce qu'ils en savaient, et de ce qu'ils pouvaient faire. Anford n'en savait pas bien plus qu'eux, mais il avait ses pistes, lui aussi. Et ses suppositions. Galleon était particulièrement bien informé sur la cartographie, la démagogie et l'état des différents foyers de Rouboule de Tanuki.

Obtenir de lui qu'il partage ces informations leur avait fait gagner un temps fou, peu importe le temps passé à jouer au Sheepball. Ils n'auraient pas pu faire mieux.

C'est donc sur cette belle lancée que, finalement, Roderik et Dogaku quittèrent la ferme. La seule chose qu'ils avaient appris de sûre, c'était que les moutons de Galleon n'avaient jamais été en contact avec des haricots. Althias ne risquait rien, à priori.

Maintenant, il s'agissait de le confirmer. Et pour ça, ils avaient une autre piste à explorer.



Et la suite du RP, c'est là!

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