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L'Ultime Sanctuaire.

La pluie.
Car aujourd’hui était un jour de deuil.


« Merci, passeur. Tu peux rentrer chez toi. »

L’homme qui avait prononcé ces mots tendit une main noire et gantée au vieil homme qui accepta volontiers l’obole. Il descendit de la vieille barque d’un pas sûr. La cape qui l’enveloppait, noire comme la nuit qui recouvrait l’endroit autrefois considéré comme sacré. La fine bruine cachait le son des pas d’un homme qui voulait régler un dernier détail.

Il avait l’apparence d’un jeune homme de la trentaine. Une mâchoire anguleuse et un nez aquilin étaient recouverts d’une barbe de trois jours, et ses cheveux châtains, cachés sous sa capuche, ressemblaient vaguement à ceux de son ancien maître. Il portait pour seul atour visible, une broche noire constituée de trois têtes de morts stylisées. Il leva les yeux vers l’horizon. Il y vit une femme. Une femme de pierre, armée d’un bouclier et d’une épée, faisant face au plus grand ennemi de l’humanité. Un ennemi qui plus acide que le vitriol, plus puissant que les Dieux. Et plus tenace. Mais l’épée de la femme était ébréchée, et le bouclier effondré. Et cette bruine, comme les milliers d’autres bruines passées et à venir, corroderont la pierre, jusqu’à ce que le temps obtienne sa victoire totale. Il fut un temps ou l’homme drapé de noir aurait savouré un tel instant, car son désir de vengeance était insatiable. Mais la vengeance était un plat amer. Et l’amertume devait être inhibée.

Il porta son auriculaire sur son cœur, siège d’une âme qu’il croyait depuis longtemps morte. Mais elle lui arrivait d’avoir quelques soubresauts de mélancolie ou de tristesse, de haine ou de colère, réminiscence d’un temps où l’ombre avait encore un but.


« Inhibition. »


Tous ses sentiments se turent alors. Et il sentit son cosmos se renforcer, mais il se sentait partir un petit peu. C’était une sensation familière qu’il avait appris à ignorer.  Il entra dans un petit village abandonné. Dans une autre époque, cette bourgade avait un nom, et était célèbre pour le magnifique parterre de rose qui la séparait de la dernière maison. La maison des Poissons.
Il n’avait jamais connu son protecteur. Il connaissait celui de la maison du Lion, celui de la Balance. L’ancienne Jamirienne du Bélier. Mais il n’avait jamais affronté le poison parfumé des roses du Chevalier d’Or du Poisson.

La cape était toute trempée, maintenant. Il fallait l’enlever, ou sinon elle allait devenir gênante. D’un coup, il la jeta au loin, ainsi que la broche, pour ne jamais être retrouvée par quiconque en cet âge du monde. La pluie clapotait doucement sur l’armure du guerrier ainsi dévoilé.
C’était une magnifique armure ailée, noir de jais. Un éclat malsain rayonnait de la protection quasi intégrale qu’offrait cette armure, que l’on prétend être forgée par un dieu amer, du temps ou le mot « revanche » avait encore un sens. Seul un seul type de personne avait le privilège de porter cet armure. Les rois des déchus. Les Seigneurs Noirs. Mais pour l’homme, ce n’était qu’une malédiction. Car le possesseur de l’armure du Phénix Noir ne renaît pas de ses cendres. Il n’était plus qu’un vampire, s’agrippant à la vie que grâce à un fil ténu qu’il allait couper aujourd’hui.

L’homme entra dans chaque maison, commençant par celle du Bélier, la première. Il ne se rappelait plus du nom des anciens occupants des maisons. Certains étaient fourbes, certains honnêtes. Il y en avait qui privilégiaient la force brute, d’autres étaient plutôt connus pour leur sagacité.  Mais ils avaient tous quelque chose en commun. Les guerriers d’Athéna étaient les meilleurs. Même au faîte de sa puissance, ils pouvaient le mettre en difficulté. Mais ils n’étaient plus là pour en discuter.

Après avoir quitté la maison du Taureau, il sentit un cosmos diffus. Un cosmos similaire au sien, mais qui n’était pas inexpressif, lui. Non. C’était un cosmos de regret. Ou peut-être était-ce de la rancœur ? En tout cas, le sentiment était contrôlé. Le Chevalier Noir sourit. C’était bien la première fois que l’homme qui attendait dans la maison des Gémeaux était capable de contrôler ses émotions. Tel qu’il s’en rappelait, c’était un homme dangereux et imbu de lui-même. Peut-être avait-il changé.

C’est alors qu’il le vit. Devant la porte, il était doté d’une armure lourde, d’un type voisin de celui du Phénix Noir, mais sans aile et cornue. Comme son propriétaire, elle était intemporelle, et elle connaissait le savoir des dieux. Mais le savoir des Dieux allait être inutile pour ce qui allait s’en suivre, et le Seigneur Noir du Phénix le savait. Alors, pour la première fois depuis de nombreuses années de silence, de méditations et de remises en question, il ouvrit la bouche pour saluer l’homme en face de lui, qui fut jadis son égal, et bien plus.


« Salutations, Clotho du Dahaka.»