Les chaînes comme des étaus. D'horrible cerceaux de souffrances qui me scient les poignets, les chevilles, la taille, le cou. La camisole comme une prison à même mon corps, comme une étreinte de captivité, comme la caresse de milles enclumes me clouant au sol. Ce sol duveteux, matelassé. Ces murs immaculés, couverts du même matériau. La muselière comme un piège refermé à même on visage. Et l'entièreté de cette cellule vide comme une provocation constante, comme la plus mauvaise des blagues de la part de cette liberté qui me nargue.
Qui me nargue depuis six ans déjà.
Six ans où je ne suis plus qu'une épave. Un monstre enchaîné comme la plus primaire des bêtes à même sa cellule par des dizaines d'entraves. Après ma troisième tentative, ils ont décidé de ne plus courir de risque, c'est à peine si je peux bouger sous tout cet attirail, c'est à peine si mon esprit, à peine éveillé par les carences qu'ils me font subir, me permet de ne pas ployer.
Alors je reste agenouillé, au beau milieu de ce faux monde auquel on m'a enfoncé de force, vascillant entre espoir et mort, entre colère et vengeance.
Je n'en suis plus qu'à un repas par jour, ils me le tendent avec une perche, désormais, parce que venir me nourrir directement serait trop dangereux. Alors ils n'ouvrent que le judas de l'énorme porte blindée qui me défit de l'affronter à chaque jour pour me maintenir au seuil de la vie, en attendant qu'un jour, peut-être, mon corps décide qu'il en a assez.
Tous se doutent que la réhabilitation est tout à fait impossible. Tous se doutent que ça ne servirait à rien de faire des efforts pour moi.
J'ai tué, j'ai tué et je suis complètement fou.
J'ai tué. Et je suis un monstre.
Et on ne laisse pas sortir les monstres, on les enferme et on les oublie.
Du moins, ce n'est pas tout le monde qui a oublié Double Face pour ses crimes d'il y a 6 ans.
Lui, ce drôle d'homme, n'avait pas oublié.
Ils sont venu me cherché un matin, du moins, je pense que c'était le matin. Six hommes. Le Gardien, armé de son trousseau de clés, et cinq hommes munis de perches électriques. Toujours ces horribles armes de neutralisation. À leur simple vue, mes brûlures se remettent à me démanger.
Ils veulent me déplacer. Quelqu'un veut me parler.
Alors on tire sur mes chaînes, on me pousse à l'extérieur, dans ce couloir morne et mal éclairé. Perches braquées, la peur au ventre.
Leur peur.
Je la palpe, je la touche, je la sens. Un simple faux mouvement les ferait hurler, les ferait frapper. Mais je ne suis qu'un cadavre en sursis ici. Une loque, un monstre qu'on a cloisonné et isolé pour le laisser mourir dans la tourmente.
Une pièce, cubique, coulée dans le même béton que tous ces sous-sols. Une table, massive, métallique. Un homme, d'un côté, les lunettes rondes, à peu près le même âge que moi, à vu d'œil. Ils me casent sur une chaise, gardent leurs perches braquées sur moi. Les chaînes ne me retiennnent plus, elles tombent mollement à mes côtés comme des reptiles endormis.
Je ne suis plus enchaîné.
Il y a la camisole, certes.
Mais mes chaînes ne sont plus reliées à quoi que ce soit.
Que veulent-ils?
Le jour où j'ai rencontré un humain.
Puisque je vous dis que ça va faire un malheur ? Les gens adorent les monstres !
J'en suis convaincu Mr Jameson, j'essaye simplement, par mes modestes arguments de vous expliquer que..
Chipotez pas Grissac ! Luvneel c'est pas si loin et ça vous fera bouger un peu de ce trou, voyez ça comme une opportunité.
[...]
Espérons que l'hôtel soit à la hauteur de mes attentes...
Luvneel n'était pas éloigné que ça d'Inu Town mais comme toujours, le brave Loktar Grissac exagérait un peu. Il faut dire qu'un voyage coupait sa petite monotonie du quotidien. Son rédacteur en chef lui avait confié un article à pondre sur Le montre de Luvneel. Mais Loktar n'était pas vraiment adepte de ce genre de boulot. C'était de la presse de caniveau pour lui. Du fait divers, du sensationnel pour faire peur à la ménagère. Il y avait beaucoup de types cent fois plus intéressant à interroger qu'un espèce de monstre tout droit sortie d'une film d'horreur. D'ailleurs, Loktar ne savait pas vraiment ce qu'avait fait ce pauvre type pour en arriver là. Mais il imaginait plutôt bien quelques stéréotypes. Famille brisée, père incestueux, mère alcoolique, bref.. La panoplie complète du type qui commence avec toute les chances de son côté dans la vie.
Le rédacteur avait donné une semaine à Loktar pour pondre son article et il avait bien insisté sur le fait qu'il voulait du détail, pas juste une approche docile. Fallait que ça claque, que le lecteur ait la frousse en lisant son canard. Fallait qu'il en ait pour son argent. Ça se trouve le pauvre type n'était pas si monstrueux que ça et Loktar allait lui tailler un costard pour l'hiver histoire que si il sorte un jour, personne ne voudra l'embaucher, même pour tondre la pelouse. L'hôtel était vraiment moisit mais proche de l'asile psychiatrique. Arrivée en début d'après-midi, Loktar avait rendez-vous avec le professeur Amsterdam afin de pouvoir accéder au patient. C'était une condition sine qua non de la direction de l'asile avant ce genre d'interview. L'asile laissait en général libre accès à ses patients en échange d'un don généreux du journal pour financer la recherche ou le matériel. C'était assez malheureux mais les problèmes de financement touchaient beaucoup de monde dans ce domaine.
D'aspect extérieur le bâtiment était assez bien entretenu mais vraiment glauque. Certes ce n'était pas un hôtel mais quand même.. Ça ne transpirait pas la joie de vivre par ici. Loktar fut reçu rapidement par le professeur. Cet homme était terriblement intriguant. De par son physique pour commencer et par ses mots. Il donnait l'impression que chaque lettres étaient calibrées de façon à vous toucher au plus profond de votre être. Le rendez-vous ne dura pas longtemps, il n'y avait pas grand chose à dire. Le professeur posa quelques questions minutieuses et Loktar y répondit avec franchise. Le médecin le mit cependant en garde.
Le rédacteur avait donné une semaine à Loktar pour pondre son article et il avait bien insisté sur le fait qu'il voulait du détail, pas juste une approche docile. Fallait que ça claque, que le lecteur ait la frousse en lisant son canard. Fallait qu'il en ait pour son argent. Ça se trouve le pauvre type n'était pas si monstrueux que ça et Loktar allait lui tailler un costard pour l'hiver histoire que si il sorte un jour, personne ne voudra l'embaucher, même pour tondre la pelouse. L'hôtel était vraiment moisit mais proche de l'asile psychiatrique. Arrivée en début d'après-midi, Loktar avait rendez-vous avec le professeur Amsterdam afin de pouvoir accéder au patient. C'était une condition sine qua non de la direction de l'asile avant ce genre d'interview. L'asile laissait en général libre accès à ses patients en échange d'un don généreux du journal pour financer la recherche ou le matériel. C'était assez malheureux mais les problèmes de financement touchaient beaucoup de monde dans ce domaine.
D'aspect extérieur le bâtiment était assez bien entretenu mais vraiment glauque. Certes ce n'était pas un hôtel mais quand même.. Ça ne transpirait pas la joie de vivre par ici. Loktar fut reçu rapidement par le professeur. Cet homme était terriblement intriguant. De par son physique pour commencer et par ses mots. Il donnait l'impression que chaque lettres étaient calibrées de façon à vous toucher au plus profond de votre être. Le rendez-vous ne dura pas longtemps, il n'y avait pas grand chose à dire. Le professeur posa quelques questions minutieuses et Loktar y répondit avec franchise. Le médecin le mit cependant en garde.
Une décharge signée et voilà Loktar autorisé grâce à un petit badge VIP à rencontrer Oswald Jenkins. Deux marmules guidèrent notre jeune journaliste dans une pièce aseptisée et dénuée de tout intérêt en matière de décoration. Loktar sorti son bloc note et son crayon, on le lui confisqua. Il tenta de protester mais la marmule mima une scène atroce avec le crayon planté dans la jugulaire. Une grimace plus tard, Loktar n'avait plus aucun objet pouvant se retourner facilement contre lui. On amena la bête sous bonne garde qu'on place devant le binoclard. Pas un mot, un silence de plomb. Loktar demanda à pouvoir rester seul avec lui, les gardes refusèrent mais le professeur Amsterdam depuis une salle attenante l'y autorisa. Quand la porte se referma, étrangement, l'oxygen semblait différent qu'il y a quelques secondes. Loktar toussota et décida d'entamer la conversation sans prendre de gants.
Bonjour monsieur Jenkins, je suis enchanté de faire votre connaissance, permettez moi de me présenter, je suis Lok.. Ankou, appelez moi Ankou.
Je suis ici afin de réaliser une interview de vous alors, si vous le voulez bien, nous allons commencer tout de suite. J'aimerai savoir de quoi avez vous peur ? Ensuite, j'ai envie de vous laisser me parler comme bon vous semble de ce que bon vous semble.
Je vous en prie, racontez moi votre histoire.
Ils ne sont plus là.
"Ils ne sont plus là."
Ils se sont retirés.
Ces horribles geôliers, eux et leurs perches de souffrnances, tyrans refoulés s'improvisant bourreaux de mon existence.
C'est comme une décharge électrique. Un blizzard m'irradiant l'esprit et me soufflant une brise d'une impression que j'ai depuis longtemps oublié. Comme une claque qu'on me mettrait en pleine gueule pour me faire réaliser l'impossible de cette situation. Une secousse, un soubresaut, un véritable choc sismique traversant mon être pour m'alarmer d'une seule chose. Pour ne me siffler qu'un seul mot.
Liberté.
Je suis libre.
"Tue."
Et cette constatation plus que foudroyante cloître mon esprit dans un étau de jubilation qui me rend sourd aux questions du rédacteur. "Tue." Ici, il n'est plus qu'une blague. Une victime. Un agneau stupide qu'on aurait lancé dans la cage d'un loup. "Tue." Je vois ses lèvres bouger, je distingue le haussement de ses sourcils,"Tue." les plissements de son visage,"Tue." le mouvement de ses yeux qui m'analysent,"Tue." j'aperçois même mon propre reflet cadavérique contre le verre de ses lunettes,"Tue." mes yeux glauqes creusés,"Tue." mon air à la fois ébahi et affamé "Tue" et le noir dévorant mon visage. "Tue."
Et pourtant, je ne l'entends pas. "Tue." Je suis sourd de ce monde "Tue." et ennivré d'un désir plus que poignant. "Tue." Un désir viscéral. "Tue." Un message qu'on me murmure au plus profond de mon être. "Tue." Un besoin trop longtemps inasouvi. "Tue."
Je "Tue." suis "Tue." sourd "Tue." et "Tue." complètement "Tue." fou "TUE!"
-RRRAAAAAAAHHH!! CRÈÈÈÈÈVEEEE!
La chaise derrière moi s'écrase contre le mur lorsque je me lève brusquement. D'une poussée à la puissance insoupçonnée, je me lance de toute mes forces contre la table en espérant atteindre Ankou. La table s'écrase contre le rédacteur, ma muselière s'imprime sur son visage alors que je hurle et que je me tortille dans ma camisole de force pour le briser.
Je veux le tuer. Je veux le sentir se briser, goûter sa peur et ravager son âme.
-MEURS! MEURS! MEURS! AAAAH!
Puis une douleur. Cuisante. Brûlante. Lancinante. Une douleur qui, à la manière d'une décharge, explose depuis le point de contact pour répandre une onde brûlante à travers le reste de mon corps. Secoué d'un spasme, à la manière d'un félin blessé, je sombre sur le côté en convulsant de douleur sous les yeux sévères d'un garde armé d'une perche électrique.
-RRAAAH! LAISSEZ MOI!
Un autre coup. Comme si un concentré de foudre s'amoncelait au creux de mon estomac pour ensuite irradier le reste de mon corps. Je lutte contre la douleur, tremblant au sol, hor d'halène, sifflant comme une bête.
Et il y a cette ordure. Derrière les gardes aux perches braquées vers moi. Ce docteur Amsterdam. Le directeur de cet établissement dans lequel on a décidé de me faire pourrir. Et il aide ma victime. Il remet sur pied l'agneau qu'on avait donné en pâture à la Bête.
Recroquevillé dans un coin de la pièce, les yeux fous, j'attend. J'attend de comprendre. Ils ramènent les chaînes, ils ramènent les étaus.
-Non…. non…. pitié… non… Pas les chaînes…. PAS LES CHAÎNES!! AAAAAH! PAS LES CHAAAÎÎÎNES!