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Le voleur sachant voler doit savoir voler sans son MIGOUUUUU


Du maigre foyer incandescent qui venait de rendre l’âme et dont désormais une mince colonne de fumée s’élevait dans le brouillard épais et glacé, je m’étais figuré l’espace de précieuses minutes pouvoir réchauffer ma carcasse frissonnante

« Bordel de foutu bois de… »

Je pestais, grognais, protestais encore et déblatérais ensuite toute sortes d’injures et de blasphèmes à l’encontre de ce feu, dont les braises, arrogantes, se figuraient encore l’audace de me narguer par ce filet grisâtre qui émanait de leurs entrailles.  En réalité et bien que je ne pouvais honnêtement le reconnaître, je rageais contre ma piteuse condition. La pluie de la veille avait gorgé d’eau toute la zone et l’humidité rasante avait fait son œuvre.  Je n’avais guère pris l’habitude de m’adonner à cette situation de survie, d’excursion printanière au gré des sentiers rocailleux et de la bonté de mère nature, je n’étais pas homme qui sue pour le plaisir de l’effort  et qui me figurait que cette trivialité serait en soi libératrice.

Moi, les feux, je leur donnais naissance à grand renfort de pétarade dans le sang et dans le fracas, dans le cauchemar et la détresse. Mes détonations, elles, avaient au moins le mérite d’attirer le chaland et de lui offrir véritablement le feu d’artifice auquel il était en droit de mériter. Alors, je vous vois venir cependant utiliser boum boum serait ici une très mauvaise suggestion, du moins tant qu’on considère que se faire choper par tout une batterie de marines, ratissant toute la steppe en quête de ce qui resterait de révolutionnaires sur l’île, constitue un désagrément. J’avais élu refuge dans ces cavernes, suffisamment obscures pour qu’on y voit pas à trois mètres et suffisamment rocailleuses pour qu’elles n’isolent pas du froid environnant.

Noriyaki et l’équipage au complet m’avait laissé en plan sur ce territoire enneigé qui, par le coup du sort, s’était estampillé de la marque de l’enfer. Remarque, je reconnaissais aisément la mentalité des truands de notre espèce, des malfrats sans foi ni loi qui n’hésitent guère à laisser les nôtres pour peu que le magot demeure sauf…sauf que le mien de magot ne m’avait pas été restitué. J’avais une dent contre le dandy de son état pour s’être fait la belle avec mon oseille. Voler un voleur est un acte foutrement burné, et l’autre petit minet, l’autre coq en pâte plein aux as, allait devoir bien assez tôt en répondre devant moi. J’étais cependant intimement persuadé qu’un jour ou l’autre, nos routes finiraient par se recroiser et qu’il serait temps de faire les comptes.

Presque 2 bonnes semaines que je me terrais dans ce bled, à me les cailler, à racler de mes ongles crochus et de mes foutus chicots les pierres abruptes de l’antre qui, me servait de repaire. Presque deux semaines que je becquetais du rongeur mort et que j’avais une haleine à vous faire réveiller mémé qui dort six pieds sous terre sous le plancher de la maison.  Le froid hivernal fragilisait ce qui me restait d’ossature et rongeait les cartilages. Et comble de l’inattendu, je crois avoir aperçu une silhouette dans la purée de pois. Cet isolement prolongé semble bien plus m’affecter que je ne l’imaginais. On commence comme ca puis quelques mois plus tard, on devient fou à lier, sanglé et cadenassé dans une foutue camisole avec suffisamment de morphine dans l’hémoglobine pour plus rien jacter d’intelligible pendant un paquet de jours. Quand bien même, j’aurais à traiter avec un hôte de marque, il risquerait pas de faire long feu avec mes aptitudes singulières.  Gare à toi présumé et hypothétique vagabond, sache que ne rentre pas dans la tanière de Sharp Jones qui veut…à tes risques et périls mon gars…


Dernière édition par Sharp Jones le Mar 6 Mai 2014 - 19:13, édité 3 fois
    Dans la tempête de neige qui secoue le dehors des cavernes, il y a des dangers pires que la tempête elle-même. Les animaux sauvages, prêts à déchirer les chairs frigorifiées sont de ceux-là. Autre part, on murmure une légende. Dans une caverne plus grande que les autres, mais plus à l'écart se terre une créature que peu de gens ont vue de leurs vrais yeux. On le dit immense et très poilu. On le dit affamé. On le dit parfois capable d'émettre des mots quand ce n'est pas des cris. Des cris, oui. Et depuis quelques mois, ces cris sont devenus plaintifs. Comme si la créature d'un autre temps avait perdu quelque chose. Quelque chose d'important pour lui. Même les monstres des neiges peuvent avoir des sentiments.

    C'est comme ça que Saladin l'a trouvé. L'un abandonné par son amie. L'autre en plein désarroi après un épisode au marché des plus perturbant. Assis l'un à côté de l'autre, il partage le froid environnant ainsi que les désirs de l'autre.

    Spoiler:

    Migou ! Migou veut Iyaaaaa !
    Je te comprends, vieux. Ça doit être difficile.
    Iyaaaaaa ! Ami !
    T'en as bien de la chance. Moi, mon destin, c'est de parcourir le monde, seul, pour affronter le mal démoniaque des fruits du démon. Et bien d'autres choses encore. C'est un jeu entre moi et ce destin.
    Jouer ?
    Je … passe mon tour.
    Toi patir ? Migou veut toi reter !
    C'est que … j'ai à faire.
    MIGOUUUUU !


    C'est un cri qui déchire les cieux. Les animaux se terrent. Personne ne veut être la nouvelle peluche du Migou. Triste destin que cette grande créature au grand cœur et aux encore plus grosses paluche.

    Saladin ne sait que faire. Puis il lui vient une idée en plus d'une odeur. Cette odeur. Cette odeur qu'il traque depuis tant d'années qui ne laissent aucune marque sur son visage dur. L'odeur d'un pouvoir qui ne doit pas être. Non loin. La souffrance de son nouvel, et probable seul, ami l'a empêché de la sentir plus tôt. Ses poings se ferment. Son regard se fait plus alerte. Il se lève doucement. Migou fait pareil, sauf qu'il est plus grand. Mais Saladin pose une main rassurante contre ses poils.

    Ne t'inquiète pas.
    MIGOU ! Migou veut pas toi patir !
    Je reviens, mon ami. J'ai quelque chose à faire.
    Migou veux pas !
    Rassure-toi, quand j'en aurais fini, tu auras un nouvel ami.
    Ami ? Iyaaa ?!
    Non. Un autre.
    Migou content !
    J'en suis heureux.

    Et c'est laissant le Migou là que Saladin se met à avancer dans la poudreuse de Drum. Son pas est lent, mais son regard est braqué vers l'entrée d'une caverne bien précise. Il sait qu'il ne fuira pas. Il sait qu'il ne peut lui échapper. Alors, autant y aller en douceur. Son ombre se découpe peu à peu à l'horizon ; inquiétante. Un être qui ne souffre pas des éléments et qui semble capable de transpercer du regard le voile de la tempête. Il ne le voit pas. Mais il l'a vu. Il l'a ressenti. Saladin s'approche. Saladin n'a été bourreau depuis longtemps.
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    La forme vaporeuse se rapproche peu à peu, la neige ne semble guère entraver sa progression. Héhé mon bon, tu sais pas vers quel destin tu te profiles mon gars, je me les pèle assez pour te faire flamboyer du feu de dieu mon gars, tu feras une bien belle barbaque dont je me délecterai jusqu’à la moindre parcelle de peau ornant tes ossements. M’en veux pas surtout, c’est que je bouffe, comme qui dirait  les pissenlits par la racine depuis un paquet de lunes et  la chair fraîche, qu’importe qu’elle soit humaine, est un mêt que je ne me laisserais pas glisser entre les doigts, question de vie ou de trépas.

    Sourire carnassier aux bords des lèvres, je trépigne d’impatience de suriner la bête, le froid qui n’a cessé de s’abattre a fini par me faire perdre toute nuance de lucidité et de discernement et à l’heure actuelle, je me contrefous d’être perspicace et de tout ce qui s’y rapporte de près ou de loin. D’ailleurs, je suis redevenu l’être primaire, primitif, soumis à la plus profonde mais à la plus véridique et absolue des lois naturelles, celle de bouffer ou de se faire déchiqueter. J’entends brusquement un mugissement d’outre-tombe au loin, perdu dans la tempête de neige qui fait rage. Un braillement infâme et plaintif, une meute de loups ayant reniflé l’odeur de ma vieille carne sans doute ? Venez-donc voir ma belle tronche, je vous en foutrais moi de ces charognards carnivores, de ces espèces d’hyènes sanguinaires à rôder sinueusement, perfidement autour de leur gibier, attendant précieusement votre heure,  pour vous précipiter sur mon cadavre gisant, rendant son dernier souffle. Je me rends compte que je frôle désormais le seuil de la folie, de la psychose chronique, préquel à la paranoïa. Si je venais à franchir la barrière, je ne reviendrais plus, plus jamais.

    La terreur me glace pour la première fois le sang, une sueur froide glisse le long de ma tempe, je ne croyais posséder plus aucune once de tissu me permettant pareil sécrétion. Je n’ai pas encore touché le fond, du moins pas encore. Le périple est encore bien long avant de rejoindre l’incandescence des flammes purificatrices de l’enfer et de demeurer à jamais prisonnier de ces milles et uns tourments. J’entrevois ma mort programmé, le spectre lugubre aiguise sa faux acéré dans l’ombre, se délectant de la peur qui me transit le long de l’échine et immobilise le moindre de mes mouvements. Une peur trouble, celle de devenir un aliéné dans un asile de fou, une vieille hantise que j’avais terré au plus profond de mon être refait surface, une hantise que je croyais oublié depuis bien longtemps, une hantise qui demeure les prémices du calvaire que je m’apprête à vivre. Bientôt, dans toute la folie qui s’empare de ma raison, mes pêchés m’apparaissent un à un, clairs et limpides, une voix gutturale tinte à mes oreilles. Elle formule tout d’abord des balbutiements à peine audible, je tente en vain de les comprendre, la voix se réitère monocorde plus forte, toujours plus forte, encore plus forte, sur un ton impassible, un seul mot, résumant toute mon existence sur cette croûte terrestre :

    « COUPABLE ! COUPABLE ! COUPABLE ! »

    Les actes perpétrés notre vie durant résonnent dans l’éternité, il n’y a guère le moindre doute sur ce qui risque de m’arriver bien assez tôt. Il n’est plus question de mourir, la chose serait trop simpliste, un repos bien trop agréable pour un homme qui n’a cessé de semer chaos et infamie dans son sillon. Il doit souffrir d’une douleur insondable, de morfler jusqu’au martyr, de se faire écarteler sur la roue dentée des pêchés pour le plus grand plaisir des démons et autres charognes des neufs cercles de Lucifer en personne.  

    Désormais, il est trop tard pour toutes formes de supplications, prier ne changerait rien à la donne. Pas de rédemption, seul le jugement, impassible et impartiale, un homme juché devant le miroir de sa vie, de ses actes, dans le néant le plus absolu. Des cris funestes et lugubres pour seul compagnie, Sharp Jones cède à la démence compulsive BWAHAHAHA.

    « ALLEEEEEEEEEEEEEEZ VENEZ DONC, Âmes infâmes ! Qui de nous prospérera demain encore ?! «

    L’homme se précipite à tombeau ouvert en dehors de la caverne, bravant la toundra glaciale, il ne ressent plus rien, ni ses muscles ankylosés qui lui étaient encore il y a peu douloureux, ni ses ecchymoses et autres membres rongés et engourdis par le givre permanent. La bave abondante lui dégouline de la gueule, paré à mordre sa proie tel un fou enragé, empreint d’une frénésie inextinguible, il se rue comme un forcené sur sa victime en poussant un cri monstrueux, abominable, qui ferait tressaillir le commun des mortels.

    « GRAAAAAAAAAAAAAAAAAA »


    Dernière édition par Sharp Jones le Mar 6 Mai 2014 - 21:39, édité 1 fois
      Le souffle de la tempête est un cri. Une sentence qui fait trembler les montagnes et contre laquelle on ne peut rien. Elle étouffe autant les cœurs que les mots. Et elle vole jusqu’à son destinataire. Inéluctable. On peut aller à son encontre, mais la tempête est violente. Elle est impitoyable. Elle ne permet pas que l’on cède si facilement à la repentance. Alors elle pousse. Elle éloigne. C’est son rôle de venir à sa cible. Elle vient faire son office. On ne vient pas à elle. Sharp Jones ne peut tenir face à la tempête. Et c’est la tempête qui vient à lui. Cette tempête, c’est Saladin. Il fait partie de cette tempête. Partout et nulle part à la fois. Il tombe comme le jugement dernier. Et il scelle les destins des torturés. Le vent ne le pousse pas, il le porte. La neige ne fouette pas son visage. Elle l’auréole. Alors que d’un côté, c’est un être de plus en plus misérable qui s’accroche à une vaine clémence, c’est un être à l’aura mystique qui avale la distance entre eux. Il souffre. Et pour lui faire comprendre qu’il n’a aucune échappatoire, il y a des mots pour ça. Des mots plus imposants que des cris monstrueux.
       
      I'am the Legend, You are the man  

      Rien ne change en apparence. Mais tout change en réalité. Ceux qui étaient capables de faire ne le sont plus. Les pouvoirs ne répondent plus. Les techniques ancestrales sont devenues temporairement inaccessibles. Même au loin, le Migou est soudainement interrompu dans l’utilisation de sa technique favorite de grattage de tête qu’il appelle « MIGOU ! », mais avec une sonorité très particulière. Il ne peut plus. Il ne sait plus. Et il reste là, immobile, incapable de faire ce qu’il pouvait faire pendant des années. C’est la même chose pour le pirate. Tout est vide. Plus de Skin Bomb, de Detonation Bomb ou encore de Move Pulse. Le fruit démoniaque n’est plus qu’une malédiction sans avantage.
       
      Terrible sentiment que d’être privé de tout.
      Et Saladin continue d’avancer. Lentement, il élève sa main et l’approche du pirate. Qu’importe les cris, les injures et les suppliques. Qu’importe la fuite dérisoire ou la charge pour que cela cesse au plus vite. Tout arrive à point nommé. Et en ce jour, c’est un pouvoir qui est extrait d’un corps.
       
      God Bless You.

      Aujourd’hui, Sharp Jones redevient humain.
      • http://oprannexe.onepiece-forum.com/t1067-saladin-e-caldin-le-mo
      Une folie insondable me triturait la cervelle, une soif abyssale qui dépassait le simple entendement du désaxé psychotique que j’étais devenu... jusqu’au moment où tout, tout s’interrompit brutalement. Je ne savais quel maléfice il venait d’employer, quel obscur artifice il avait eu recours mais il avait frappé, d’une précision chirurgicale, au plus profond de mon être, aux confins de mes entrailles. Une sensation étrangement glaciale me transit aussitôt sur place comme s’il s’était plongé à l’intérieur de moi-même avant de m’étreindre le cœur avec virulence. Je n’avais encore jamais expérimenté pareille sensation, littéralement abasourdi par cette force occulte qui venait de se mettre en branle devant moi. Une force singulière qui ne ressemblait à aucune autre, une force qui puisait sa source de pouvoir dans un élément tellement abscons, tellement inintelligible pour le fou furieux de ma condition et pourtant, elle avait déferlé sur moi, me submergeant de toute son illustre et omnipotente puissance, anéantissant la plus petite parcelle de puissance qui subsistait encore en moi.

      Immobilisé dans une tempête qui redoublait d’intensité, l’étranger disparaissant dans le blizzard, le froid tiraillait de ses bourrasques incessantes et acerbes ma carne décharné. La démence consumait mon esprit. Un rire incontrôlable sur lequel je n’avais plus aucune emprise émergea de ma trachée se répandant telle une goutte d’eau dans une tornade d’éléments qui dépassait toute forme de compréhension humaine. L’audace de l’homme est de croire qu’il a une emprise sur la nature mais c’est là une assertion purement mensongère toute droite sorti des méandres de l’orgueil de l’homme, la nature fait main basse sur nous autres, pauvres créatures futiles et mortels et lorsque l’heure du jugement affleure, lorsque l’heure de retourner à la terre et à la poussière approche alors, Mère nature sait se rappeler à nos âmes pècheresses et reprendre la place qui lui incombe.

      Le rire qui jaillissait hors de moi n’avait aucune commune mesure avec celui d’un homme. C’était quelque chose de fondamentalement plus profond, quelque chose de nébuleux qui relevait d’un mysticisme bien plus opaque. Ma folie prenait le pas sur tout le reste et c’est dorénavant de mes vœux que j’accueillais toute cette déraison mentale, cette insanité rampante qui s’était terré en moi depuis que j’étais devenu le prénommé magicien d’os. Aussitôt, ma raison divaguait dans l’extravagance la plus totale et bientôt je me crus frappé de toutes sortes d’hallucinations singulières.

      Un flot continu d’âmes émergeait de tous les pores de ma peau, tournoyant sur elles-mêmes encore et encore autour de moi, vociférant dans un mélange de tonalités fantomatiques le seul et même mot : VENGEANCE. Toutes ces âmes vengeresses n’étaient que le simple reflet de tous les macchabées que j’avais fait froidement refroidir toute ma vie durant et croyez-moi, il n’y avait aucune emphase là-dedans. Bientôt je crus reconnaitre des traits familiers, des hommes de main sciemment abattus et lancés, béton aux panards dans la flotte, au loin j’entendais retentir toutes les explosions dont je m’étais porté responsable, les éclats de voix, les cris interminables, les sanglots, les gémissements sans fin, les lamentations des blessés et de tous les laissés pour compte que j’avais laissé dans mon sillon. Il y en avait tellement, une marée d’âmes qui s’étaient conciliés pour une seule et même finalité : me maudire et faire que jamais je ne puisse atteindre l’au-delà. Je me relevais avec pénibilité, stoïque dans l’adversité et la démence dont j’étais le sujet, manifestant toute ma hargne à l’encontre de leurs assauts, d’offensives immatérielles qui n’étaient sans doute rien de plus que la culpabilité de mon âme cherchant à se repentir.

      Un grincement strident brouilla bientôt cette vision chaotique en me perforant le crâne de toute son assourdissante intensité. Je me frottais les yeux et apercevait le néant le plus total se profiler devant moi. Quatre ombres apparurent dans ce déluge de noirceur, dans cette apothéose de ténèbres où ma volonté vacillante oscillait entre le voile d’une camisole perpétuelle et celle d’un décès purement traumatique. Ces quatre-là, telles les chevaliers de l’apocalypse représentaient mes pêchés les plus insidieux: Orgueil, Cupidité, Paresse, Luxure


      Dernière édition par Sharp Jones le Mer 7 Mai 2014 - 13:37, édité 1 fois
        Ils étaient là, me toisant avec dédain et délectation, eux qui m’avaient rongés jour après jour un peu plus encore jusqu’à ne faire que corps avec moi, eux qui s’étaient évertués à me distiller leurs obscurs volontés aux moments opportun, eux que j’avais accueillis les bras ouverts avec fierté et audace. Tous s’étaient immiscés, s’étaient éveillés en moi pour une seule et même raison : la faiblesse de mes convictions, l’étroitesse de mon esprit et surtout la propension de tout homme à recourir au terrain de la facilité pour perpétrer ses actes. Il n’est aucun homme infaillible, aucun homme n’est exempt de la tentation sinueuse et rampante qui s’offre à nous. Pourtant, les plus audacieux d’entre nous, les plus grands héros qui ont su marquer d’une pierre blanche leurs ères ont su outrepasser cette condition faillibilité pour s’élever vers un idéal bien plus brillant devenant des icônes intangibles, des figures imputrescibles de leurs temps.

        Faire face à ses pêchés, les effleurer presque du bout des phalanges est une expérience profondément traumatisante qui allait quelque soit le sort qui me serait réservé me laisserait de profondes séquelles. Tous étaient singulièrement différents les uns des autres. Le premier, gros, laid, abject était informe, des bubons parsemaient sa carne putréfiée, l’œil jaunasse, les chicots pourries, sa condition de bossu l’obligeant à adopter une démarche pataude, des germes en tous genre pullulaient de toutes ses extrémités, c’était l’immondice le plus abominable qui m’ait été donné d’apercevoir. Sur son front, une inscription en lettres de sang : Cupidité. Dans cette dimension hors-du temps où je n’étais qu’un jouet au service de volontés occultes, la bête disparut l’éclair d’un instant pour réapparaître à une quinzaine centimètres devant moi. Il plongea son regard empli de vice au plus profond de mes prunelles et submergé par toute cette puissance dévorante qui influait en moi, j’étais frappé d’une illusion démoniaque.

        Je me réveillais dans une poche de pue ou plutôt non dans un univers bien plus sordide que pouvait déjà l’être un germe pareil, je me figurais dans l’estomac visqueux de cette souillure immonde. Une gangue en putréfaction, respirant le vice et l’infamie. En toile de fond, le tintement sinueux de pièces dorées qui s’entrechoquent périodiquement, encore et encore, inlassablement. Je reconnaitrais ce son singulier entre milles, c’était celui de la richesse, de l’opulence que j’avais quêté toute mon existence. Ce son pourtant si anodin mais tellement évocateur, d’une existence loin du spectre de la pauvreté et de la médiocrité. J’avais envoyé au diable toutes les conventions et valeurs pour m’épandre dans toute cette facilité sans équivoque, c’était moi, l’histoire de Sharp Jones, le chemin que j’avais décidé d’emprunter pour tracer mon existence. J’avais envoyé paître les maximes populaires, toutes ces petites dictions bienpensantes telles « un bien mal acquis ne profite jamais » et pourtant, tel un boomerang acéré, l’assertion me revenait crûment droit en pleine tête.

        Bientôt, alors que j’étais l’objet d’une paralysie totale, comme si une pression inintelligible m’oppressait tellement que je n’arrivais guère à bouger le petit doigt, des bestioles sordides aux teintes criardes se répandirent sur mon corps, colonisant la moindre parcelle de chair. Je ne pouvais ni enrayer leur progression, ni tenter la moindre manœuvre pour m’en soustraire, je tentais de crier. En vain. L’œil rivé sur ces sordides créatures, j’observais leurs mandibules perforer ma carne, faisant de ce nouvel habitacle, un réceptacle sordide pour proliférer encore et encore. Cette pensée horrible me fit perdre à nouveau connaissance.

        Cette fois-ci, je me réveillais face au deuxième. Un énergumène encapuchonné dans un voile ocre, tenant un énorme ouvrage dans les mains, un ouvrage qui se rapportait davantage à un grimoire ou à un volume gigantesque d’encyclopédie tant il était imposant. Il me pointait de son doigt frêle et de sa chair blême, l’œil de verre au coin de la capuche me zieutant fixement, tel le poids du destin m’accablant de toute son immensité. Il prit bientôt la parole et prononça tout un discours composés d’un dialecte ancien qui m’était inintelligible, professant la rédemption des âmes coupables et pècheresses. Au fur et à mesure de la progression de ses prédications, un mal inouï se manifestait en en ma poitrine, tapant encore et encore contre celle-ci pour s’en extirper, cette chose était vivante et visqueuse glissant le long de mes organes internes et choisissant sa future progéniture. Mon cœur était dorénavant prit en étau entre ses griffes, je sentais ses ongles crochus racler soigneusement la surface de celui-ci, prêt à le meurtrir, à le pourfendre de toute sa fourberie à l’apogée de ma souffrance. Quel était-ce cette fois ? L’orgueil ? La Luxure ?

        « La paresse » mentionna l’être infâme, comme s’il lisait dans mes pensées les plus intimes.

        J’essayais de la cracher, de m’en défaire de quelque facon que ce soit pour que la douleur s’estompe brutalement, que cesse ce tourment atroce qui n’en finissait pas, qui n’en finissait plus. Tel une danse lancinante, il me lancait, dévorant peu à peu les artères autour du cœur, un à un. Des images de la scène m’émergeait dans la rétine, j’apercevais une sorte de goule, au sourire putrescent, mastiquant avec entrain chaque morceau, chaque composant de la pompe à vie qui, sujet à tant de violence, virait désormais au violet tant le supplice était inhumain. Sectionnant dans un ultime geste mon aorte, la bestiole mit fin à mon calvaire, dévorant avec nervosité ce qui restait du cœur qui s’interrompait de battre, faute d’irrigation sanguine suffisante.

        Un réveil brutal en sursaut devant une jeune fille, étrange, glauque, me toisant de ses grandes prunelles bleutées. Atmosphère glacé dans une antichambre qui l’est encore davantage, le teint blême, de l’hémoglobine répandu sur son faciès livide, elle sourit. Sourire malsain, sourire de l’ange comme disent certains, plus de commissures pour un effet des plus détonnant, c’en est déconcertant, ca dégouline de mauvaises intentions. La gamine se met alors à rire, à s’esclaffer aux éclats, un rire tonitruant, dérangeant et dérangé, une hilarité emphatique, ses zygomatiques tremblent comme jamais ils n’ont tremblé.La chose m’incommode au plus haut point et bientôt les échos des rires de cette demoiselle me revienne en plein tête, plus fort encore, comme soigneusement amplifié et répercuté par des miroirs.

        Ses éclats de voix gagnaient progressivement des octaves, devenant toujours plus aigus et plus intenses, se greffant toujours plus profond dans mes tympans, s’imprimant méthodiquement sur le globe droit de ce qui servait d’encéphale. Horrible, abominable, n’étaient pas des mots suffisamment fort pour dépeindre une telle atrocité.

        Sans que je me l’explique, ma bouche se cambra bientôt et un fou rire monstrueux, incontrôlable, en jaillit. Nos rires communiaient dans la même insanité, le rire de la luxure cette fois, le rire des plaisirs de la chair à laquelle je m’étais adonné, à toute la lubricité dont j’avais fait preuve et dont j’avais profité. Succombant à l’interdite tentation, j’avais goûté le fruit du pêché, me délectant de sa chair. Il n’y avait pas eu d’amour, que de la pure attirance physique, animale, dans toute la salacité qu’elle comportait. Un rapport charnel sans âme, sans être habité par une émotion qui transcendait l’homme, tel était le genre de rapports que j’avais entretenu. Nous jubilions tout deux sans pouvoir nous interrompre, je n’avais plus aucune conscience du temps qui s’écoulait, plus aucune once de discernement. Un cri perça finalement notre exultation discontinue, mettant fin à cette énième persécution.

        Le dernier, du moins, celui que je croyais être l’ultime pêché, l’orgueil, celui qui allait m’apporter l’absolution et la délivrance. D’univers en univers, j’avais l’impression de migrer d’un monde des enfers à un autre, telles les 9 cercles de Lucifer que les héros les plus intrépides s’affairent à traverser. C’était déjà encore un miracle que ma conscience me soit encore acquise. L’orgueil, bouffi comme l’expression le souligne si bien, la mine dédaigneuse, le sourire riant, le nez haut et aquilin, un faciès dur et fier, des yeux d’un noir de jais, sans pupille, sans rétine, juste deux globes aussi profond que l’éternité. Il m’insulte, m’injurie de tous les noms, prend un malin plaisir à me rabaisser, à m’invectiver, à m’humilier, à me cracher sur le coin du visage, se gaussant entre ces injures, fier comme Artaban de toutes les attaques verbales qu’il ne cesse de proférer encore et encore.

        Toutes ces offensives se basent sur des faits réels, je m’entrevois à nouveau prononcer chacune de ces paroles, les asséner à des quidams, des hommes de main, des larbins de service, je m’aperçois me gargariser de cette verve insipide et m’en servir comme un écran de protection. L’homme s’approche alors, fort de toute son insolence et de sa supériorité, dégainant de son fourreau une lame noire, prêt à m’embrocher et porter l’estocade final. Incapable de me mouvoir et en fin de compte, ne cherchant même plus à me désister de mon sort funeste, j’appelle ce trépas de mes vœux bien que désormais il ne veuille satisfaire ma volonté.

        L’homme savoure cet instant mielleux et fait en sorte que je l’implore, que je le supplie, que je mendie ma misérable pitance, que je le sollicite de toutes mes maigres forces, que je le conjure de m’apporter la délivrance. J’avais perdu tout forme d’égo, toute forme d’amour propre dans cette entreprise et c’est bel et bien ce que recherchait cet être chimérique. Sentant la lame pourfendre ma chair de part en part, ma conscience m’abandonna, ma carne s’interrompit de battre avant de s’effondrer et de percuter le sol. Sharp Jones était mort, Vive Earl Jones…du moins c’est ce que je présumais
        .
          J’avais cheminé sur les sentiers escarpés de la déraison un bon nombre d’heures, de jours, peut-être, ou simplement de minutes, subissant les foudres de mes démons les plus abscons. Pourtant, je m’étonnais d’être encore à même de nourrir cette réflexion. Ma conscience était là, intact, affranchie de tous les tourments et supplices vécus jusqu’alors. Elle en était ressortie, je n’avais pas succombé, pas encore tout du moins. Une chaleur se pressait contre moi, une chaleur fantastique et inconcevable dans l’univers désolé de glace et de givre qu’était ce royaume abominable. J’ouvrais péniblement les mirettes, le givre les avait recouvert partiellement et je dus forcer sur mes paupières pour briser l’étreinte du froid. Allongé dans le repaire de fortune que constituait une grotte, je me découvrais revêtu de peausseries minutieusement placées sur mon corps. Derrière-moi, mon bras semblait être entravé une énorme masse graisseuse et touffue et me retournant avec étonnement, je découvris l’inconcevable, l’invraisemblable, l’impensable.

          Une créature de plusieurs pieds de long, toute velue, robuste et immense, imposante et prodigieuse, un être chimérique qui n’avait rien d’un homme ni même d’un animal, il était tout à la fois. Un monstre légendaire qui avait survécu à la colonisation sans foi ni loi des hommes, une créature mythique qui empruntait des airs de caribou, de lapins garous et d’autres créatures aussi singulières que dérangeantes. Machinalement, je me dégage de sa fourrure et m’apprête à lui coller un uppercut explosif droit dans le buffet, réaction physique de survie, devant ce colosse gigantesque. Je propulse mon bras au contact, m’apprêtant à déclencher la détonation salvatrice, pour moi, pour lui, mais en vain. Rien ne vient, pas la moindre petite espèce d’étincelle, pas le moindre réchauffement au bout de mes phalanges. Un beau pétard mouillé fut-ce cette tentative, je reconduis un essai mais le mal est fait. Le monstre semble quelque amusé de ma tentative, mon poing dans sa graisse ventripotente lui fait l’effet d’une chatouille dans son pelage.

          Consterné par cet état de fait inintelligible, destitué des pouvoirs qui avaient érigé Sharp Jones comme un fameux contrebandier, un truand à part entière qui avait navigué sous le pavillon de Noriyaki. S’agissait t’il du châtiment divin pour mes pêchés ? Etait-ce là la punition qu’il m’avait réservé ? J’avais vécu comme un dieu parmi les hommes, il était dorénavant temps que je vive comme une moitié d’homme parmi eux, gagnant mon succès à la sueur de l’effort, le labeur en guise de besogne salutaire. Les dieux m’avaient retiré ces pouvoirs, ce don singulier, ils m’avaient purgé de la source même des maux qui me terrassaient, avaient expié mes fautes en m’accordant un pardon solennel ainsi qu’une deuxième chance. La vie sauve, ils m’avaient accordé leur miséricorde, une absolution qui avait un lourd tribut à payer mais que j’acceptais les bras ouverts. L’indulgence des dieux était chose bien plus gratifiante et ce qu’importent les sacrifices qui devaient en découler.  

          Monstre abominable ou pas, cette chose m’a sauvé des griffes d’une mort annoncé. S’il ne m’avait pas extirpé de ce guêpier, je serais encore la tronche dans la neige à me morfondre sur le sens de mon existence. Il m’avait pour ainsi dire sauver la couenne et m’avait ramené dans ce refuge, cette caverne qui était la sienne, son chez-lui. Quand bien même il aurait voulu me becqueter, je crois qu’il l’aurait déjà fait. Par ailleurs, cet abri avait le mérite de nous préserver du froid du dehors, il ne s’agissait pas de se mettre cette créature à dos maintenant auquel cas je ne donnerais pas cher de ma peau dans le blizzard.

          La créature s’avança vers moi et du bout de l’index me poussa avec une insoupçonnable minutie la joue. C’était un geste tendre et attentionné, réalisé avec attachement et sensibilité. Il ne me connaissait ni d’Eve ni d’Adam et pourtant, il était foncièrement gentil et prévenant avec votre serviteur. C’était à ce trait-là que je savais qu’il ne partageait rien avec nous, qu’il était loin de toute l’animosité sanguinaire et sauvage des hommes, qu’il était loin de toutes nos haines viscérales que nous nourrissions jour après jour, de toute l’amertume qui animait nos cœurs et qui nous faisait mouvoir jour après jour vers un idéal entaché qui ne nous faisait plus rêver mais que l’on s’efforçait de poursuivre sans la moindre raison apparente.

          Cette créature avait beau être d’apparence d’effroyable, il avait sans doute bien plus d’humanité qu’un bon paquet d’hommes sur cette misérable croûte terrestre. Je décidais en retour de m’approcher de cet être disproportionné en lui tendant ma main ouverte. Il tendit, apeuré, l’index en guise de geste amical. Derrière les épaisseurs multiples de poils, une expression presque inintelligible, l’œil de la bête revêt un contentement, une satisfaction insolite non survenue depuis bien des lustres, celle de ne demeurer plus seul, celle d’avoir dorénavant un confident à qui se confier, la confiance viendra plus tard.  L’amitié scellé entre deux créatures, tout aussi laides l’une que l’autre, l'une dépourvue de chair, l'autre n'en sachant que faire, avait désormais de beaux jours devant elles.
           


          Dernière édition par Sharp Jones le Lun 12 Mai 2014 - 17:32, édité 2 fois
            Je tissais des liens avec la créature et échangeais un brin de causette avec elle, il était assez stupéfiant de l’entendre prononcer des mots intelligibles de notre langue, cela prouvait de manière cohérente qu’il avait appris à vivre aux côtés des hommes sans pour autant avoir eu à les fréquenter. J’essayais tant bien que mal de lui apprendre à prononcer les sonorités et autres phonèmes de notre langue, il mettait beaucoup de bonne volonté mais sa morphologie et surtout sa vie, autarcique, loin de tout, complexifiait singulièrement la donne. Cela avait presque d’une rencontre du troisième type. Petit à petit, je réussis à nouer une ébauche de dialogue où la créature prononçait quelque phonèmes les uns à la suite des autres, je me découvrais pédagogue et éprouvais une certaine gratification à le voir formuler ainsi des mots. Bien entendu, il ne pourrait sans doute jamais avoir une diction correcte du fait de son anatomie mais la chose n’était pas bien importante.

            Tant bien que mal, je commençais à m’éprendre de ce colosse qui, en fin de compte avait davantage d’un gros bisounours plutôt que d’un sasquatch avide de chair et de sang. Il m’évoquait bien plus d’amitié et d’attachement qu’un bon nombre d’hommes. Il faisait preuve de considération, d’humilité et d’une tolérance qui dépassait de loin celles du commun des mortels. Cette créature connaissait le prix de la solitude, un prix âpre qu’il n’avait que trop vécu et dont il était dorénavant prêt à tout pour ne pas que cette situation se poursuive plus longtemps encore. De facto, nous partagions tous deux plusieurs points commun : j’étais son seul ami et réciproquement tous deux connaissions également le tribut de l’isolement. Nous avions aussi dégusté les mêmes entrailles des gibiers rapporté par les soins du valeureux chasseur et compagnon touffu. De la viande froide, presque bleue dont nous nous étions repus, l’instinct primaire faisant foi, on réapprenait à apprécier le gibier et ses qualités ô combien nutritives au regard de la situation. Le Migou semblait visiblement enjoué de pouvoir s’exprimer et de parvenir à se faire comprendre de son nouvel ami, c’était véritablement une victoire, une consécration pour notre grand et fier compagnon.

            « Migouuuuuuuuuuuu. Migouu, content «

            Héhé brave pote va, Sharp l’est tout autant mon ami. Le Migou m’emmena alors dans les tréfonds de la caverne dans laquelle il avait élu domicile. Des puits de lumière creusés dans la roche cà et là irradiaient d’une lumière diaphane notre route escarpée. Le Migou était quelque peu excité, enfiévré, de montrer ses « trésors «  à son fidèle ami, il balbutiait des bribes de mots sans queue ni tête nerveusement. Se balançant d’échancrures rocheuses en échancrures, le Migou se faufilait dans le décor avec une dextérité presque stupéfiante, je m’efforçais de le suivre en empruntant le sentier sinueux, devant parfois m’adonner à de petites acrobaties. Poursuivant notre épopée caverneuse, nous finissons par déboucher sur un antre obscur, débordant d’objets et de babioles en tous genres, conservés ici-bas par le Migou en personne.

            Des bijoux, des armures, des lames parfois, des tentures, des objets d’apparat et tout un tas d’objets tantôt insolites tantôt quelconques figuraient dans cette caverne d’Ali Baba. Le Migou, visiblement exalté par ma présence dans son petit jardin secret, se fend d’un immense meuglement comme lui seul, fort de sa carrure et de son coffre unique, peut faire retentir. Son cri résonne sur les parois et jaillit hors de la caverne à travers les rafales glaciales au-dehors, un cri puissant qui, déformé par la tempête impétueuse s’estompera dans l’écho de la montagne, effrayant par la même les malheureux pris au piège de cet enfer glacé.

            Il n’y avait aucun trésors de guerre dans tout cet attirail, je présumais que tous ces objets avaient été recueillis sur des cadavres et autres corps décharnés ayant succombé au climat hostile de cette île. Quelques cadavres visiblement rongés par le froid gisaient aussi çà et là, leur état n’était pas l’œuvre du Migou. S’il lui était venu l’idée de les dévorer, il n’aurait guère laissé les os. Le Migou était un sacré petit filou, certains auraient pu le considérer comme une vieille charogne, un vautour attendant que ses proies passent l’arme à gauche pour les destituer de tous leurs effets personnels, autant à mon sens, notre petit chapardeur des montagnes n’avait agi que par pure curiosité, bien loin de la vénalité des hommes.

            Je faisais mine que j’étais quelque peu stupéfait par tout de fourbi, histoire de ne pas vexer le Migou, c’est qu’il avait dû passer un sacré paquet d’années pour amasser tout ce capharnaüm. Le Migou était très fier de son magot mais il était, à la différence de nous autres, bien plus enchanté de le partager avec ses camarades et amis, plutôt que de le dissimuler au vu et au su de tous ceux qui s’affaireraient à vouloir toucher le pactole.



            De nombreux jours s’étaient écoulés depuis ma rencontre insolite avec le Migou. L’homme des neiges s’occupait de mon cas aux petits oignons, j’avais regagné peu à peu du poil de la bête grâce à lui, sans faire de jeu de mot héhé. Il m’avait sauvé d’une mort certaine et conséquence de quoi, je lui serais éternellement reconnaissant. Je n’avais pour ainsi dire qu’une trouille présentement…que le Migou refuse mon départ au point d’en devenir violent et qu’une altercation éclate. Je n’avais ni les pouvoirs ni la volonté de me dresser contre lui. Je me savais la confiance du Migou acquise, pourtant cela suffirait t'il à ce qu’il me laisse reprendre ma route ? La cachette et la légende du Migou devait demeurer secrète, c’était là quelque chose de purement tacite entre nous deux.

            D’une certaine manière, je pouvais me figurer l’appréhension du Migou, il s’était évertué à se faire un ami pour qu’une quinzaine de jours plus tard, le dit ami le délaisse à nouveau dans la caverne qui lui sert d’isoloir. C'était une perspective de bien mauvais augure pour notre tendre ami. J’avais plusieurs alternatives dans ma manche, la première et la plus simple aurait été de lui expliquer en quoi nous nous devions de nous séparer, la seconde présentait de prime abord bien plus de facilité au début mais pouvait résolument m’être mortelle, il s’agirait de me faire la belle la nuit tombée et de m’engager dans les steppes enneigés sans avoir la moindre idée d’où j’allais foutre mes pâturons.

            Compte tenu que j’étais une brêle en termes d’orientation et que je devais faire amende honorable auprès de mon nouvel ami, j’optais pour la première solution. A l’orée de la caverne, j’entendais tout son gabarit se mettre en mouvement, rapportant des ouailles de sa chasse. D’emblée, le Migou pressentit quelque chose d’inhabituel, son fidèle compère n’était pas comme il avait l’habitude de transparaître. Même si je m’efforçais de ne pas manifester l’embarras sur mon visage, il demeurait là, présent dans l’air, intangible et n’a pas manqué de heurter le sens aigue de l’observation du Migou. Une discussion s’amorce, un dialogue primaire bien entendu mais un dialogue quand même.

            Je délaye le propos de manière très décomposé, syllabe après syllabe, je le vois peu à peu se morceler, il comprend aisément le sens des mots employés mais il ne se fait pas à cette idée, il n’y est pas résolu et ne veut en cas s’y résigner. Le moment qu’il appréhendait est venu et le Migou n’apprécie guère ce qui est en train de se tramer. Combien d’amis à mon instar avait t’il perdu ? une dizaine ? une centaine ? Un sentiment de culpabilité devait le traverser amèrement, quelque chose de cru, de âpre et particulièrement difficile à digérer même pour une carrure tel que la sienne. Je ne suis pas en mesure de le raisonner, alors le Migou s’agite, s’affole avec virulence, il panique à cette idée pourtant nécessaire mais tellement inéluctable. Il est sur le point de sortir de ses gonds, prêt à tout dévaster dans une hargne qui semble poindre dans son esprit pourtant profondément altruiste et innocent. Aussi ai-je l’idée d’abréger le discours et de lui donner un présent, un témoin de mon amitié profonde pour lui, témoin qu’il s’empresserait, j’en suis certain, d’aller rajouter à sa collection. Je vide les barillets de mes deux flingues et lui remet les deux joujoux argentés. Désolé Migou, tu risques de les avoir en double ceux-ci, pas d’engravures ou de signes particuliers malheureusement pour toi. Cette petite attention permet de calmer le jeu quelque peu et de faire descendre la température.

            « Toi, vouloir Migou…quitter ? »

            « Moi, devoir montagne descendre. Moi revenir toi voir Migou «

            Les yeux humides, le Migou s’essuya les yeux avec sa paluche touffue. Tiraillé entre la volonté de garder coute que coute son partenaire et l’idée selon laquelle je me devais de le l’abandonner pour mon propre bien, ill savait que c’était un mal nécessaire, que je n’étais que le prochain à devoir prendre la route mais que je ne serais pas le dernier à le rencontrer. Le Migou avait une véritable famille, composé de tous les rescapés auquel il avait porté assistance à mon image. Une famille dispersé sans doute mais le Migou s’il eut été un homme, connaissait éminemment le sens de l’expression populaire «  Loin des yeux, près du cœur ». Le Migou avait dorénavant un frère de plus dans sa grande fratrie, une âme à qui songer quand les temps sont durs ou que l’isolement se fait trop pénible.

            J’attendis l’aube pour lever le camp, m’aventurant dans une poudreuse haute m’arrivant jusqu’aux genoux, sous l’œil empli d’émotion du Migou. L’aurore naissante rendait l’instant mémorable pour chacun des deux protagonistes que nous étions, je descends le versant montagneux dans le soleil levant, délaissant le cœur gros un fidèle ami et compère que je n’oublierais  jamais.