Les perm', c'est bien. Surtout quand on a des amis, une famille à retrouver. C'est pas mon cas, mais j'fais bien avec. J'me trouve des choses à faire. J'me force à trouver de belles îles, j'me force à chercher l'aventure, les frissons, j'me lance à la recherche de plus beaux paysages à la surface, j'mène une vie d'ermite nomade. J'dors, au choix, sous l'a couverture d'hôtels minables, ou sous celle des étoiles. Et j'aime ça. Me donne l'illusion d'être libre, me permet de souffler quelques instants et de reprendre le contrôle d'ma vie. L'frangin, embrigadé chez les révos, doit suivre le même mode de vie, mais à temps plein. J'l'envie, quand j'y repense, j'le jalouse même, tout en l'admirant toujours autant. J'suppose, j'espère qu'il a trouvé sa place.
Aujourd'hui, j'découvre Saint-Urea, ses beaux quartiers, pour être précis. La fange m'intéresse pas. Me balade, au hasard des rues, des boutiques, des bars. Sans uniforme. J'suis qu'un homme-poisson sans autorité, du coup, complètement vulnérable au mépris et à la peur des autochtones. Mais c'est la vie, c'est la vie, c'est la vie. Surtout dans un coin aussi fréquenté par la fine fleur du monde. La noblesse. Un homme-requin débraillé qui sent la mer, fringué comme un clodo, lézardant sur sa terrasse une citronnade à la main, la tête en arrière, fixant seulement le ciel presque noir au-dessus de lui. Ça mécontente les grands messieurs. Peu importe, j'suis juste de passage. J'vous incommoderai juste quelques jours avant d'repartir vers des horizons plus amicaux.
Dites... Je crois que vous faites fuir les clients...
Hmm ? J'ai rien fais.
Effectivement, mais...
Ça va, j'comprends. J'm'en vais.
Rien n'pourra ébrécher ma bonne humeur, ce soir. Pas même ça. J'me lève, j'règle l'addition, j'complète avec un pourboire. Voyant les pièces superflues s'accumuler dans sa paume, le gérant m'lâche un merci, puis un désolé. C'est pas grave. Rien n'est grave... L'été 1624. Trois semaines d'errance. Trois semaines de vie.
J'décolle, je m'engage dans les p'tites ruelles piétonnes. Celles où il fait encore plus frais, celles où ça bouge moins. Rien n'est grave, rien n'pourra attaquer ma bonne humeur. Pas fatigué pour un sous, j'ai l'impression d'avoir la nuit qui m'tend les bras. J'trouverai bien un p'tit cabaret nocturne, ou bien un casino qui capte pas la race de ses clients, ou un parc peinard où méditer. Ouaiiiis, tout est impec'. J'suis l'seigneur de la nuit. Pour une fois, j'maîtrise. J'me sens le boss. J'me sens...
AAArrrg...
J'me sens inquiet. Un râle. J'me dirige vers le son. Il continue, mais semble aller pour s'éteindre. De ruelles en ruelles, j'appréhende. Puis, un mec tanné, couché au milieu, du sang qui s'échappe du bide pour recolorer les pavés froids. Putain. Enculé. Dans quoi j'vais m'embarquer ? Merde. Merde.
J'parviens pas. Incapable de jouer l'indifférence et le sang-froid. J'me précipite sur le blessé. J'passe la main sous sa tête, que j'relève un peu, pour qu'il puisse voir mon visage de face sans faire d'efforts. Que ça l'motive à tenir bon. Qu'il ait pas envie que la dernière chose qu'il voit avant de sombrer, c'est la face d'un homme-requin aux dents pourries et aux yeux cernés, que ça le motive à s'accrocher aux souvenirs des images qu'il kiffe vraiment.
Restez avec moi ! Restez avec moi !
... Pas de réponses. Moi, seul, une hémorragie massive sur les bras, du sang plein les mains et sur le torse, et une vue imprenable sur le bide ouvert du pauvre gars. Mauvaise augure. Marre. Marre d'être précédé par la faucheuse. Qui m'place tout le malheur et l'absurdité du monde sous les pas, et que j'me retrouve comme le p'tit poucet qui peut plus que constater la casse et ramasser les morceaux. Ma merveilleuse journée va devenir un cauchemar. C'est pas ça que j'entendais par "recherche de l'aventure". MERDE.
Le mec est toujours vivant, mais répond pas. Il me mate. Semble parcourir frénétiquement c'qu'il aperçoit de moi des yeux. La bouche ouverte. Ça ruisselle de rouge aussi, par là. Et par ses narines, aussi. Non, j'peux rien faire. Il va m'narguer, en m'crevant dans les bras, en me faisant subir le poids d'mon impuissance et de ma FOUTUE MALCHANCE. J'ai d'sales idées qui germent en moi. Un réflexe bien vicieux qui décide de s'enclencher.
J'soulève le corps, j'fuis. Comme si c'était moi qui l'avait buté, ouais. J'sais que si on me surprends ici et comme ça, j'vais finir derrière les barreaux ou pire, dans l'aquarium d'un noble. Parce que j'ai le profil du tueur. Parce que j'ai déjà connu l'injustice et la haine. Parce que j'fais pas confiance à ceux qui devraient être mes camarades. J'me sens palpiter, j'réfléchis à cent à l'heure. Demi-tour sur moi-même et j'aperçois une ouverture au fond de la rue. Plus le temps d'hésiter. J'sais très bien que j'serai le bouc-émissaire tout trouvé si on m'surprend avec mon mort. Trop brutal, trop sale, hargneux, c'est un meurtre lâche, sans panache, qu'a quelque chose de gratos, comme tout ces carnages qu'on attribue à ma race. Alors, merde. J'ai pas à m'en vouloir de chercher à cacher l'forfait avant de m'occuper d'ce pauvre type. C'est leur faute. C'est juste de la prudence, j'tiens pas à m'faire pendre pour quelque chose que j'ai pas fais. J'ai l'droit de penser un peu à moi, hein ? L'est en train d'agoniser dans mes bras, et... j'le promène. J'le déplace. Encore un qui va m'échapper.
Désolé...
Désolé, p'tain, ouais. J'fais passer mon cul avant le tien, gars. Comprends-moi, merde. C'est leur faute. Personne me connaît, mais personne m'aime. C'est tout le lot d'un homme-poisson qu'a cumulé les mauvais choix de vie, qui trouve pas sa place, ni parmi les siens, ni parmi les marins. Peuh, de toute façon... Faut bien que j'me l'avoue. Ce gros trou dans le bide, cette sauce qui s'répand partout sur moi, ses yeux qui s'éteignent peu à peu... L'est foutu. Fini. La volonté fait pas les miracles.
J'le pose sur les pavés, immaculés, mais plus pour longtemps. On est dans une allée sombre, qui mène apparemment vers une cour intérieure. C'est calme. Trop calme. J'le sens mal. De gros courants d'air accompagnés de lents sifflements qui me donnent la sensation que mon blessé me caresse une dernière fois la nuque avant de décoller vers un monde meilleur. L'idée me hérisse les poils, mais j'me reprends, en essayant d'me libérer de son regard désespéré et hypnotique, effrayant et hypnotique. J'continue mon point d'compression, tout en surveillant son pouls, sans y croire. Et à raison, car deux secondes plus tard, j'sens plus rien. M'retrouve face à un mort, qui m'a aspergé de sa sale pisse rouge et qui m'a imprimé l'esprit de sa merde noire.
...
J'fais quoi, maintenant... J'devrais aller chercher des secours, mais... J'ai peur. J'ai pas su bien réagir parce que j'avais la trouille, ouais. C'est d'leur faute. Ils m'ont rendu parano et égoïste. Retour de flamme. C'est leur faute...
J'me lève. Crispé. Un peu tremblant, même, j'crois. M'frotte les yeux. Déconnecte ma cervelle pour plus perdre mon temps à penser. Recule de quelques pas, m'apprête à filer et laisser le mort en plan. J'entends des pas derrière moi, j'me retourne d'un coup.
Une gamine. La nuit va être longue. 'Chier.
Aujourd'hui, j'découvre Saint-Urea, ses beaux quartiers, pour être précis. La fange m'intéresse pas. Me balade, au hasard des rues, des boutiques, des bars. Sans uniforme. J'suis qu'un homme-poisson sans autorité, du coup, complètement vulnérable au mépris et à la peur des autochtones. Mais c'est la vie, c'est la vie, c'est la vie. Surtout dans un coin aussi fréquenté par la fine fleur du monde. La noblesse. Un homme-requin débraillé qui sent la mer, fringué comme un clodo, lézardant sur sa terrasse une citronnade à la main, la tête en arrière, fixant seulement le ciel presque noir au-dessus de lui. Ça mécontente les grands messieurs. Peu importe, j'suis juste de passage. J'vous incommoderai juste quelques jours avant d'repartir vers des horizons plus amicaux.
Dites... Je crois que vous faites fuir les clients...
Hmm ? J'ai rien fais.
Effectivement, mais...
Ça va, j'comprends. J'm'en vais.
Rien n'pourra ébrécher ma bonne humeur, ce soir. Pas même ça. J'me lève, j'règle l'addition, j'complète avec un pourboire. Voyant les pièces superflues s'accumuler dans sa paume, le gérant m'lâche un merci, puis un désolé. C'est pas grave. Rien n'est grave... L'été 1624. Trois semaines d'errance. Trois semaines de vie.
J'décolle, je m'engage dans les p'tites ruelles piétonnes. Celles où il fait encore plus frais, celles où ça bouge moins. Rien n'est grave, rien n'pourra attaquer ma bonne humeur. Pas fatigué pour un sous, j'ai l'impression d'avoir la nuit qui m'tend les bras. J'trouverai bien un p'tit cabaret nocturne, ou bien un casino qui capte pas la race de ses clients, ou un parc peinard où méditer. Ouaiiiis, tout est impec'. J'suis l'seigneur de la nuit. Pour une fois, j'maîtrise. J'me sens le boss. J'me sens...
AAArrrg...
J'me sens inquiet. Un râle. J'me dirige vers le son. Il continue, mais semble aller pour s'éteindre. De ruelles en ruelles, j'appréhende. Puis, un mec tanné, couché au milieu, du sang qui s'échappe du bide pour recolorer les pavés froids. Putain. Enculé. Dans quoi j'vais m'embarquer ? Merde. Merde.
J'parviens pas. Incapable de jouer l'indifférence et le sang-froid. J'me précipite sur le blessé. J'passe la main sous sa tête, que j'relève un peu, pour qu'il puisse voir mon visage de face sans faire d'efforts. Que ça l'motive à tenir bon. Qu'il ait pas envie que la dernière chose qu'il voit avant de sombrer, c'est la face d'un homme-requin aux dents pourries et aux yeux cernés, que ça le motive à s'accrocher aux souvenirs des images qu'il kiffe vraiment.
Restez avec moi ! Restez avec moi !
... Pas de réponses. Moi, seul, une hémorragie massive sur les bras, du sang plein les mains et sur le torse, et une vue imprenable sur le bide ouvert du pauvre gars. Mauvaise augure. Marre. Marre d'être précédé par la faucheuse. Qui m'place tout le malheur et l'absurdité du monde sous les pas, et que j'me retrouve comme le p'tit poucet qui peut plus que constater la casse et ramasser les morceaux. Ma merveilleuse journée va devenir un cauchemar. C'est pas ça que j'entendais par "recherche de l'aventure". MERDE.
Le mec est toujours vivant, mais répond pas. Il me mate. Semble parcourir frénétiquement c'qu'il aperçoit de moi des yeux. La bouche ouverte. Ça ruisselle de rouge aussi, par là. Et par ses narines, aussi. Non, j'peux rien faire. Il va m'narguer, en m'crevant dans les bras, en me faisant subir le poids d'mon impuissance et de ma FOUTUE MALCHANCE. J'ai d'sales idées qui germent en moi. Un réflexe bien vicieux qui décide de s'enclencher.
J'soulève le corps, j'fuis. Comme si c'était moi qui l'avait buté, ouais. J'sais que si on me surprends ici et comme ça, j'vais finir derrière les barreaux ou pire, dans l'aquarium d'un noble. Parce que j'ai le profil du tueur. Parce que j'ai déjà connu l'injustice et la haine. Parce que j'fais pas confiance à ceux qui devraient être mes camarades. J'me sens palpiter, j'réfléchis à cent à l'heure. Demi-tour sur moi-même et j'aperçois une ouverture au fond de la rue. Plus le temps d'hésiter. J'sais très bien que j'serai le bouc-émissaire tout trouvé si on m'surprend avec mon mort. Trop brutal, trop sale, hargneux, c'est un meurtre lâche, sans panache, qu'a quelque chose de gratos, comme tout ces carnages qu'on attribue à ma race. Alors, merde. J'ai pas à m'en vouloir de chercher à cacher l'forfait avant de m'occuper d'ce pauvre type. C'est leur faute. C'est juste de la prudence, j'tiens pas à m'faire pendre pour quelque chose que j'ai pas fais. J'ai l'droit de penser un peu à moi, hein ? L'est en train d'agoniser dans mes bras, et... j'le promène. J'le déplace. Encore un qui va m'échapper.
Désolé...
Désolé, p'tain, ouais. J'fais passer mon cul avant le tien, gars. Comprends-moi, merde. C'est leur faute. Personne me connaît, mais personne m'aime. C'est tout le lot d'un homme-poisson qu'a cumulé les mauvais choix de vie, qui trouve pas sa place, ni parmi les siens, ni parmi les marins. Peuh, de toute façon... Faut bien que j'me l'avoue. Ce gros trou dans le bide, cette sauce qui s'répand partout sur moi, ses yeux qui s'éteignent peu à peu... L'est foutu. Fini. La volonté fait pas les miracles.
J'le pose sur les pavés, immaculés, mais plus pour longtemps. On est dans une allée sombre, qui mène apparemment vers une cour intérieure. C'est calme. Trop calme. J'le sens mal. De gros courants d'air accompagnés de lents sifflements qui me donnent la sensation que mon blessé me caresse une dernière fois la nuque avant de décoller vers un monde meilleur. L'idée me hérisse les poils, mais j'me reprends, en essayant d'me libérer de son regard désespéré et hypnotique, effrayant et hypnotique. J'continue mon point d'compression, tout en surveillant son pouls, sans y croire. Et à raison, car deux secondes plus tard, j'sens plus rien. M'retrouve face à un mort, qui m'a aspergé de sa sale pisse rouge et qui m'a imprimé l'esprit de sa merde noire.
...
J'fais quoi, maintenant... J'devrais aller chercher des secours, mais... J'ai peur. J'ai pas su bien réagir parce que j'avais la trouille, ouais. C'est d'leur faute. Ils m'ont rendu parano et égoïste. Retour de flamme. C'est leur faute...
J'me lève. Crispé. Un peu tremblant, même, j'crois. M'frotte les yeux. Déconnecte ma cervelle pour plus perdre mon temps à penser. Recule de quelques pas, m'apprête à filer et laisser le mort en plan. J'entends des pas derrière moi, j'me retourne d'un coup.
Une gamine. La nuit va être longue. 'Chier.