« L’Histoire n’admet pas de fin » lisait-il, sous le regard de son aimée, à la terrasse d’un café. Un de ces bouquins dont on craint qu’il soit plus avant-gardiste qu’idéaliste. Il est dit que la plus grande peur de l’homme serait le changement, … comme il est aussi dit qu’il ne supporterait pas la routine.
L’homme dont on parle était habillé à la manière de ces personnes qui vous prennent de haut peu importe votre classe social. Vêtements bien coupés, veston en daim sur une chemise couleur crème, et chapeau en feutre assorti. Il semblait critiquer le livre, ses quelques rides d’agacement venaient rejoindre cette thèse, accompagnée d’un sourire gênée de la femme qui l’accompagnait.
Elle était sublime, brune, des yeux marron et des fossettes moyennement marquées quand elle souriait. Le genre de femme qu’on a la chance de connaître seulement si on fait partie de la haute. D’ailleurs, le couple, malgré l’absence et le petit aura noir qui se dégageait de l’homme, de sa lumière illuminait et écrasait tous les autres. On les regardait, un œil envieux, un autre jaloux.***
Lana était resplendissante, je faisais mine de fouiner dans mon livre pour ne pas croiser son regard. Elle m’aurait détruit en moins de temps qu’il faut à un souffle. Je sentais une montagne de regard sur elle, ma nymphe et mon abîme, ça la gênait, pour sûr. Il fallait qu’on parte. D’une main je rangeais déjà l’ouvrage dans ma sacoche, réajustais ma veste, adressais un sourire à ma femme et me levais. J’avais l’impression que ça faisait une éternité que je ne lui avais pas tenu la main. Que faisions-nous hier ? Mes souvenirs étaient flous, bizarres, et en réalité, il faisait clair obscur, c’était un soir de pleine lune dans mon esprit.
Je fouillais, je fouillais. Mais je ne voyais rien que la lune, son lumineux. Je ne sentais même pas le sol, ou bien l’herbe, ou bien les clôtures. Aucune trace du passé. Avais-je bu ?
Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es étrange depuis ce matin.
La femme et son sixième sens…
Ho ? Ho, rien…
Elle me frappait à la tête, légèrement.
Arrête ! Quand tu mens, tu hausses toujours les sourcils avant de répondre. Alors dis-moi !
Hn… C’est que… En fait, je ne me souviens pas de ce qu’on a fait hier. J’ai bu ?
Tu plaisantes ? Tu as arrêté de boire depuis un sacré bout de temps ! Tu m’en avais fait la promesse, tu ne te souviens pas ? C’est vrai que c’est bizarre. Hé bien, hier, on a fait à peu près les mêmes choses qu’aujourd’hui. Tu as avancé dans ton bouquin ?
Mon bouquin ? Ho… Ha, oui. J’en suis à la page 127, une sorte de charabia futuriste écrit par un taré qui publie sous le pseudonyme de Krook Jail.
C’est certainement ça qui t’a lavé le cerveau ! Tu le lis depuis des jours ! Et quand tu sors, tu me prends lui d’abord, moi après.
Evidemment, lui me fais pas la gueule et il parle en silence…
Ho, hé bien tu lui demanderas de te faire à manger et de repasser tes vêtements !
On partait comme ça, se chamaillant, riant, toujours les mains liées. Mais j’avais cette atroce boule au cœur, comme si quelque chose n’allait pas. Et pourtant. J’étais avec elle, je l’aimais à ne plus savoir quoi faire pour le lui dire, je la regardais elle et son visage d’ange, ses yeux qui me charmaient, et ses lèvres. Elles me saisirent de nombreuses fois et on ressemblait plus à un couple d’adolescents qu’autre chose.
L’amour, j’avais l’impression que c’était un sentiment que j’avais longtemps caché dans mon cœur seulement pour elle. Il en débordait, s’écoulant sans fin.
En fin de journée, sa tête avait basculée sur mon épaule, on regardait le soleil se coucher sur le lit qu’était l’océan. J’enviais l’horizon et le ciel, ils étaient infinis. Et peu importe combien je pourrais courir pour voir la fin, qu’ils s’étendraient toujours.
J’ai l’impression que ça fait une éternité que je rêvais de ça… Cet endroit, toi…
C’est dans ton bouquin que tu l’as pris celle-là ? Tu m’y emmènes tous les jours, voir ce coucher de soleil, Kiril…
Puis, quelque chose s’était activée en moi. Une sensation inconnue, un sentiment venu d’ailleurs, quelque chose qui n’était pas issu de ce monde.
Dis, Lana. Tu te souviens quand tu m’as dit que j’avais le cœur là où les poules ont les œufs ?
Son visage s’aggravait, ses yeux s’écarquillaient, et elle ouvrait sa bouche à un point où j’aurais pu en avoir peur. Brusquement, elle tomba et je pus remarquer une sorte de flèche avec à son bout un poing américain. Il y avait un nom gravé dessus, Krook Jail…
Je me retournais à la recherche de l’expéditeur mais il n’y avait personne aux alentours que des oiseaux, des bancs, des magasins fermés, et de la verdure. Mon cœur s’était comme transpercé et je me jetais sur le corps déjà froid de Lana. Elle respirait encore, et je retirais ma veste pour stopper l’hémorragie quand je m’aperçus que le poing américain lui avait brisé la colonne vertébrale… Elle était en pièces. Et je ne pouvais appuyer dessus.
C’ét..ait un…menson
Hein ?!
To..ut ét.. un.. men
Je criais qu’on vienne m’aider mais plus personne, et je fis bientôt littéralement recouvert par mon désespoir jusqu’à être seul dans un noir absolu. Il y avait des cris, des personnes qui criaient mon nom ! Et en particulier une, je ne la voyais pas mais elle semblait être rousse, les cheveux coupées mi-long, des taches de rousseur, une veste verte et un jean. Elle me disait de trouver Krook impérativement, d’enlever la tour, et je comprendrais. Elle me disait qu’il fallait que je revienne. Elle me disait « Reviens, Punk. » Et puis elle a disparue.
Et moi aussi.
Requiem pour un esprit chavirant
Le front en sueur, c’est en criant que l’homme commença la journée, son cœur battant en fanfare et ses yeux grands ouverts. La sensation était atroce, c’était comme s’il avait été transpercé de partout, mais bon dieu, se dit-il, quel soulagement ! Celle pour qui il avait tant d’amour se trouvait juste à côté de lui, agacé par son réveil agité. Elle balbutiait quelques plaintes avant de presque se rendormir.
Il était pourtant quelque chose comme les huit heures du matin. Alors, pensa-t-il, tout cela n’était qu’un affreux cauchemar ? Ce que l’inconscient peut-être horrible parfois. Mais son visage se figeait à la vue du livre qu’il y avait sur sa table de chevet, le même, signé Krook Jail. Il l’empoigna fermement, sans l’ouvrir, regardant seulement la quatrième de couverture.
« L’Histoire n’admet pas de fin. Elle recommence tous les jours éternellement. Tous les jours, c’est l’histoire. Le début, le début et encore le début… »***
Je grimaçais un peu, me demandant quel débile avait pu m’offrir un bouquin comme ça. Je détestais plus que tout la fausse philosophie, c’était comme ces peintres qui jetaient des taches de couleur sur leur toile et débrouillez-vous pour donner un sens à mon œuvre… Krook Jail devait être un de ces escrocs, arnaqueurs et autres imposteurs… J’avais déjà jeté le livre là où je l’avais trouvé, m’indignant de poser mes yeux autre part quand la plus belle de toutes se trouvait à mon côté.
Elle avait attaché ses cheveux de façon à ce que l’on voit l’intégralité de sa nuque, celle-ci était éclairée par les rayons qui s’infiltraient par la fenêtre. Elle était nue et me montrait son dos magnifiquement dessiné avec la trace de sa colonne, ce creux fin que j’effleurais du bout des doigts, comme happé par la sensualité de ma femme, pris d’une irrésistible envie de la toucher. Mon doigt allait jusque la jolie courbe du bas et revenait jusqu’à la nuque. Pour devenir une main qui l’étreinte, et me rendormir moi aussi.
J’avais eu peur, bon dieu que je ne fasse plus jamais de cauchemars comme ça ! Cela s’expliquait certainement, comme disent les experts, que j’ai peur de la perdre, ou quelque chose du genre. A peine les deux yeux fermés, et la tête posée sur le même oreiller que Lana, des cris venaient perturber nos sommeils entrelacés d’amoureux… Encore une hallucination ?
Non. Lana se leva aussitôt, poussant un petit soupir, et s’étira. J’aurais pu m’attarder sur son corps nu si les cris ne me préoccupaient pas à ce point. Je me levais aussi, suivant ma femme jusqu’à la pièce voisine…
Un enfant.
Maïté ! Ahh, sa couche est sale, et elle doit avoir faim. Kiril, je suppose que c’est toujours pas ta tasse de thé, hein ? … Kiril ?
Les questions m’assaillirent, sans que je puisse répondre à une seule, que se passait-il ? Un enfant ? Le mien ? Ou peut-être celui d’un autre ? Pourquoi n’avais-je aucun souvenir de la veille ? Ni de tous les jours d’avant ! Je fus sauvé de l’attaque par une autre, le poing de Lana sur mon front.
Réveille-toi ! Et va la changer, je vais faire à manger.
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je me retrouvais avec un bébé dans mes bras. Un bébé à la couche sale. Un bébé inconnu à la couche sale… Mais je fus tout de même flatté que ses pleurs s’arrêtèrent au contact de ma peau. Maïté, hein… Elle avait de grosses joues rouges et des petites mains qui s’agitaient pour trouver mon nez. Ses yeux étaient noisette, comme ceux de Lana et je croyais même me reconnaître dans ses grimaces. Alors… elle était à nous. Quel genre de père étais-je ?! Pour ne pas me souvenir de ma fille ?
J’avais la même sensation que dans mon cauchemar, quelque chose qui hurlait en moi. Mais cette chose se tus quand j’entrepris de jouer avec l’enfant. Je la posais par terre, pinçais ses joues, chatouillais ses pieds, inventais des tours de passe-passe que la petite adorait. Et j’en avais presque oublié sa couche sale. Mais pas Lana !
Il me semble que je t’avais demandé quelque chose…
Ha mais ! J’ai oublié ! On…
BIM
Comment tu peux oublier quand tu baignes dans une odeur pareille !***
« L’Histoire n’admet pas de fin » lisait-il, sous le regard de son aimée, à la terrasse d’un café. Un de ces bouquins dont on craint qu’il soit plus avant-gardiste qu’idéaliste. Il est dit que la plus grande peur de l’homme serait le changement, … comme il est aussi dit qu’il ne supporterait pas la routine.
L’homme dont on parle était habillé à la manière de ces personnes qui vous prennent de haut peu importe votre classe social. Vêtements bien coupés, veston en daim sur une chemise couleur crème, et chapeau en feutre assorti. Il semblait critiquer le livre, ses quelques rides d’agacement venaient rejoindre cette thèse, accompagnée d’un sourire gênée de la femme qui l’accompagnait.
Elle était sublime, brune, des yeux marron et des fossettes moyennement marquées quand elle souriait. Le genre de femme qu’on a la chance de connaître seulement si on fait partie de la haute. D’ailleurs, le couple, malgré l’absence et le petit aura noir qui se dégageait de l’homme, de sa lumière illuminait et écrasait tous les autres. On les regardait, un œil envieux, un autre jaloux.***
Ce livre était une véritable abomination ! Un tas de pensées saugrenues regroupées ensemble accompagnées de citations par-ci par-là de nihiliste connu. On devait me prendre pour un fou de lire ces stupidités. Et puis, j’abandonnais à la page 127, songeant à Maïté. Lana l’avait laissé chez une amie, Selena Poe, inconnue au bataillon, un peu comme les gens et le décor qui m’entouraient. J’avais appris qu’elle avait trois ans, je souriais en pensant à son visage tout potelé. Et puis, comme un éclair me traversa…
Comment est-ce que je m’étais retrouvé là ? Il me semble qu’il y a à peine trente secondes j’étais chez moi… enfin, dans un appartement à rire avec Lana et Maïté. Et là… Et là j’étais à ce café ! Au même café que dans mon cauchemar. Et je m’étais arrêté à la page 127…
Mon sourire n’était devenu qu’une pression de la mâchoire, et j’avais l’air inquiet. Lana le remarqua aisément et posa un regard doux et tendre sur moi. Je soufflais un peu. Mais je n’étais pas rassuré.
Où est-ce qu’on va, ensuite ?
Ben comme d’hab ! A la jetée. Tu n’as pas envie de voir le merveilleux coucher de soleil ?
Mon cœur s’emballait. Pas moyen. Si ces conneries de rêve prémonitoire existait, il n’y avait absolument pas moyen qu’on y aille.
Qu’est-ce qu’il y a ? Et ne mens pas, quand tu le fais…
J’hausse mes sourcils…
Exact !
Lana. Pince moi.
Hein ?
Pince-moi le plus fort possible ! Comme si… Comme si je t’avais trompé, moi, je sais pas ! Me regarde pas comme ça. Ecoute, c’est important. S’il te plaît.
Et elle s’exécuta. Mais rien ne se passait. On était toujours à la terrasse de café, moi avec ce livre, et ces vêtements, elle et sa beauté. Peut-être que le cauchemar avait influé sur mes choix… sans que je m’en rende compte. Ça devait sûrement être ça. Lana semblait s’inquiéter. Elle avait tort, et moi aussi. J’étais un peu parano, le rêve m’avait marqué. C’était certainement ça. Je me levais pour lui déposer un baiser sur la joue et lui tendait ma main. On allait aller le voir, ce coucher de soleil.
Sur le chemin, elle me racontait ses projets, enfin les nôtres, de voyage. Elle voulait aller sur les Blues, elle redoutait Grand Line et les excentricités des gens de là bas. Je n’osais pas lui demander où nous trouvions nous. Mais je n’en savais rien. Et rien n’indiquait une île. Quand j’y pense, je n’avais même pas pris la peine de m’attarder sur les bâtiments. De grandes maisons qui avaient toutes des jardins. Beaucoup de fleurs, des tas de café. Ça semblait être une ville de tourisme. Il y avait des statues et des terrains verts. Ça me rassurait de voir d’autres personnes sur le chemin qui emmenait à la jetée. Apparemment, le coucher de soleil de cette île semblait être assez populaire puisque quand nous arrivions, des tas d’autres gens étaient là, avec des enfants et même des vieilles personnes.
Je poussais un soupir de soulagement. Ce n’était qu’un mauvais rêve Kiril…
Sinon, c’est vrai qu’il était époustouflant. On avait l’impression qu’il n’attendait que ça, avec ses milles nuances de couleur, du jaune orangée au rouge pâle qui défiait les autres couleurs. Il plongeait magistralement dans l’océan qui lui ouvrait ses bras. Infini. Le monde entier se tus. Je regardais Lana, toute émue, elle me serrait la main davantage. Je ne me souvenais plus qu’elle était si émotive. Je ne me souvenais plus de grand-chose. De toute façon.
A la fin, elle s’étirait, satisfaite. Il y avait toujours autant de gens, pas de quoi s’inquiéter. Mais je n’étais tout de même pas tranquille. Elle, elle était dans mes bras, apaisée.
Si je vais mal un jour, ce sera une sorte de thérapie de venir ici ! Je prédis son efficacité.
Pourquoi est-ce que tu irais mal avec un mari aussi génial, dis moi ?
Oh ben je pourrais tomber en dépression parce que ce mari génial refuse de changer les couches de sa fille ! Je sais pas, moi !
En parlant de fille, on allait la chercher, notre petit bout. Mon petit bout que j’avais l’impression amère d’avoir toujours connu… Mais, quelque chose clochait. Peut-être un début d’Alzheimer ? Une maladie abominable quand on a 31 ans… Est-ce que j’avais 31 ans, je ne savais même plus. Il fallait que je trouve le courage d’en parler à Lana. Mais pour l’instant, on se dirigeait vers la maison de Selena Poe. Lana me disait des choses que je devais savoir, en gros, elle radotait mais c’était la première fois que je les entendais. Selena avait donc déjà deux enfants, deux garçons, Vaillant et Aimé. Et Maïté les adorait. Je ne savais pas d’où venait ce sentiment, mais je me sentais mal de rencontrer Selena. Comme si c’était quelque chose d’impossible quelque part. Mais on arrivait bientôt à la porte et je dus chasser ce sentiment.
Lana sonnait trois fois consécutivement, c’était un code entre elles pour qu’elles sachent qu’elles peuvent entrer, ce qu’on fit. Mais la maison était étrangement silencieuse. Il était trop tard pour emmener les enfants jouer dehors. Lana fouillait donc les pièces, pensant que c’était un jeu, et que Selena et les enfants voulaient lui faire peur.
J’entendais son cri, aigu, très aigu. Puis un bruit sourd. J’y courrais et m’arrêtais brutalement. Krook Jail, une flèche avec à son bout un poing américain, dans le cœur d’une femme aux cheveux de feu. Et au visage tellement familier… La femme du trou noir. Et elle me parlait encore, elle me disait trouve le ! Tourne la page et trouve-le !
…
Dernière édition par Kiril Jeliev le Dim 4 Mai 2014 - 20:51, édité 1 fois
L’air avait comme une odeur de sucre, léger, quelque chose qui donne envie de sortir la langue, il passait et caressait les joues, le menton, les oreilles, l’âme… Avait-il oublié les senteurs ? Non, non. Il plissait ses yeux, fermés, c’était du miel. Son odeur. Et quant à ce qui lui chatouillait la nuque, les bras et les mollets, il savait, de l’herbe fraiche, emportée par la valse du vent. Jamais il n’avait été aussi léger. Il n’avait pas d’histoire, plus, et c’était comme se libérer d’un poids extraordinaire. La vie ne valait plus rien à côté de ce presque monde.
Il ressuscitait, quelque part où les pensées n’existaient pas. Que les sens : le goût, le toucher... Il ne voulait pas ouvrir les yeux, ni marcher. C’étaient des choses… trop humaines. Or, il était devenu une âme. Un être qui ne portait rien. Il était au bout de l’éternité, mais l’éternité était long, surtout à la fin. Il est resté allongé des millénaires, peut-être, ses rides ressemblaient à des marques faites au couteau. Il y avait toujours le vent, la chaleur des rayons du soleil qui tambourinaient sa peau, et les bruits.
Sans pensées. Mais chaque bons moments sa fin, c’est le principe du rêve, et le masque de son monde tombe, l’homme reste et l’âme prospère s’évanouit.***
Quand j’ai ouvert les yeux, elle était déjà là. Etincelante, habillée d’une robe de petite fille qui semblait signifiée beaucoup pour elle. Elle avait toujours les mêmes magnifiques cheveux flamme, quelques tâches de rousseurs sur le visage qui se mariaient parfaitement avec ses yeux clairs. Je ne croyais et ne crois pas en Dieu. Mais c’était un ange.
Elle me parlait sans ouvrir la bouche. Je n’aurais pas pu entendre sa voix, sûrement angélique, trop, pour un homme comme moi. Pour un homme qui n’accepte pas son Dieu. Elle me souriait pourtant, j’étais ébloui, elle me disait que je n’avais pas changé. Je ne comprenais pas bien, mais elle me priait de le trouver. Krook ? Elle ne répondait pas. Krook Jail ? Elle disparaissait tandis que moi, je me réveillais. Pour la deuxième fois.
Le même lit, le même livre sur la même table de chevet. Et à ma gauche, ma Lana, mon aimée, une beauté qui figeait tout mon corps. Ça ne pouvait pas être deux rêves consécutifs. Et je n’avais aucun moyen de le savoir, et je ne me souvenais toujours de rien. Si. Maïté. J’allais là bas, dans la pièce voisine. Normalement, dans une demi-heure elle allait pleurer, alors je la changeais avant, puis lui donnais à manger. Puis jouais avec. Tu n’iras pas chez Selena aujourd’hui voir Vaillant et Aimé. Tu iras voir le coucher de soleil avec nous. Et tout se passera bien. Et ce n’est pas un rêve, hein ?
Elle hochait la tête me souriant, et je la prenais dans mes bras. Maman s’était levée, habillée bien après nous. Maman… hein. J’étais heureux, j’allais pleurer, quelque chose pleurait déjà à l’intérieur de moi. C’est ce que je voulais depuis longtemps, mais quand est-ce ? J’étais perdu. Je ne savais plus rien. Mes souvenirs n’étaient qu’impressions ou complètes créations. J’avais tout imaginé, comment on s’était rencontré, le moment où on avait décidé d’avoir Maïté. Je commençais à me demander si je devais vraiment cacher tout ça à Lana. Elle ne comprendrait pas… Rêver de sa mort, rêver de la mort de Maïté…
Je gloussais. Une demi-heure pile. Maïté pleurait. Elle avait senti que Papa n’allait pas bien. Et Lana aussitôt débarquait à moitié nu, et constatait que pourtant, j’avais fait des efforts. Dans ses bras, Maïté cessa immédiatement de pleurer. Je me levais, quant à moi, pour les étreindre toutes les deux. Une jolie famille.***
« L’Histoire n’admet pas de fin » lisait-il, sous le regard de son aimée portant son enfant, à la terrasse d’un café. Un de ces bouquins dont on craint qu’il soit plus avant-gardiste qu’idéaliste. Il est dit que la plus grande peur de l’homme serait le changement, … comme il est aussi dit qu’il ne supporterait pas la routine.
L’homme dont on parle était habillé à la manière de ces personnes qui vous prennent de haut peu importe votre classe social. Vêtements bien coupés, veston en daim sur une chemise couleur crème, et chapeau en feutre assorti. Il semblait critiquer le livre, ses quelques rides d’agacement venaient rejoindre cette thèse, accompagnée d’un sourire gênée de la femme qui l’accompagnait, et des rires innocents de la belle petite fille des deux parents...
Elle était sublime, les cheveux châtains qu’elle avait sûrement pris d’un des grands parents puisque ses deux parents étaient bruns, des yeux noisettes et un sourire d’ange. Elle était à la mode, avec sa salopette en jean, une fleur au milieu et ses bottines marron foncés. Elle jouait avec les cheveux de sa mère. La famille, malgré l’absence marquée du père et le petit aura noir qui se dégageait de lui, de sa lumière illuminait et écrasait tous les autres. On les regardait, un œil envieux, un autre jaloux.***
Encore… Encore ce sentiment qu’une chose horrible allait se passer. J’étais anxieux, stressé, apeuré. Peut-être que l’on m’avait drogué ? Je ne savais plus bien, mais toujours ce café, toujours ce trou noir entre le moment où j’embrasse Maïté et Lana et l’autre où j’ai le nez dans ce bouquin. Ce maudit bouquin, un ramassis de connerie d’un taré fanatique de je ne sais quoi ! Krook Jail… L’ange disait qu’il fallait le trouver. Argh ! Je me mettais à écouter mes hallucinations, maintenant… Je respirais un bon coup, buvant une gorgée de mon café. Pourquoi ?
J’haïssais le café. Cette chose sans goût qu’on utilise pour lutter contre le sommeil. Un café noir. Je reposais la tasse et regardais intensément dedans. J’avais la vision de la première fois, où cette femme me disait de le trouver. Pourquoi est-ce qu’elle m’obsédait autant ? Elle m’avait aussi dit… de tourner la page ? La page de quoi ? Du livre !
J’étais resté à la page 127. Les deux fois. Je m’exécutais alors, quand…
Oh ! Selena !
Comment ? J’avais tourné la tête. L’ange se trouvait en face de moi, avec ses deux enfants. Aimé et Vaillant. Maïté montrait déjà sa joie en les voyants. Lana invitait la femme à s’asseoir près de nous, tandis que je la fixais à la recherche d’une explication à tout cela.
Ho, Punk, tu lis ça ?
Punk ?
Quelque chose criait en moi. Criait fort. J’enlevais alors mon feutre, pour me rendre compte que… j’avais une superbe coupe. Et des cheveux sur tout le crâne. Alors pourquoi Punk ?
Pourquoi ?
Ho rien, oublie ça, tu me fais penser à Sid avec ta tête d’anar ! Tu l’as fini ce bouquin, alors ?
Je n’en vois pas la fin. C’est un ramassis de conneries, du faux révolutionnarisme.
Haha, va le trouver pour lui dire ça. C’est, comme il l’a dit, ce que ses pensées lui dictent d’écrire.
Aller le trouver… Serait-elle entrain de me parler en code ? Ou je délire encore ?
Haha, où est-ce que je pourrais le trouver, n’est-il pas anonyme ? C’est clair qu’avec un bouquin comme ça, vaut mieux pas révéler son identité.
Oui ! Moi j’ai l’ai lu d’une traite. J’ai eu l’impression d’avoir une discussion avec un esprit chavirant, quelque chose qui m’est étrangement familier. Et pour ce qui est de sa localisation, il n’y a que toi qui puisses le savoir ! L’anonymat, ça te connait.
Moi, hein…
J’ai entendu quelques rumeurs, sur lui, n’empêche. Si celles-ci s’avèrent être vraies, vaut mieux pas chercher à s’en approcher. Ça pourrait être dangereux et pas que pour celui qui perd la boule. Bon, sur ce, j’vous quitte !
Et elle disparaissait, me laissant avec quelques mots, quelques indications, je crois. La paranoïa est un terme bien flou, dans le sens où on pourrait très bien avoir raison de tout le temps s’inquiéter. N’est-ce pas le principe de la vie, du temps, et de sa fin ?
Devais-je lire le livre ? Peut-être trouverais-je où ce taré se cachait… Pour le moment, la fin de la journée arrivait et j’en avais peur. J’étais pourtant auprès de ma famille, Lana, Maïté. Mais qu’avais-je fait la dernière fois ? C’était arrivé soudainement, et je n’avais même pas pu voir ni même entendre le tireur. Je proposais donc à Lana, suivant mon instinct, de rentrer chez nous exceptionnellement.
Avant de me rendre compte que je ne connaissais rien de cette ville. Tout se ressemblait, les visages des gens étaient identiques, ils semblaient tous me regarder, que voulaient-ils ? Ils voulaient ma famille ? C’était donc eux les assassins ? Je regardais les bâtiments, aux fenêtres, des visages, des yeux ? Les chiens, les chats ! Tous me regardaient… TOUS ! Pourquoi leurs visages étaient si similaires ? Je pris Lana avec moi, ma main dans son dos, les forçant à aller plus vite. Où allions-nous ? Je ne sais pas. Les mêmes tags sur tous les murs, le même café, les mêmes bancs et les boutiques fermés. Les mêmes tous les 20 mètres. Je m’arrêtais, essoufflé, regardant tout autour de moi. Encore une hallucination me disais-je, calme toi, tout ira bien, encore une hallucination… Mais ça ne passait pas, rien ! Le monde était figé, et répété infiniment. Ça grondait dans ma tête, un orage. J’avais l’impression qu’il pleuvait autour du monde. J’étais bien seul. Seul ? Seul !?
Lana avait disparue. Maïté aussi. Me laissant dans ce cocon immonde où tout le monde semblait vouloir ma mort.