Rappel du premier message :
-Wallace…
Il ne me répond pas. Ça fait bien quinze minutes qu'on marche dans cette foutue jungle, et jamais il n'a dit un seul mot. À vrai dire, depuis que je me suis réveillé, il n'a rien dit, rien fait. Il est resté de marbre. J'ai à peine dormi depuis les derniers jours, et déjà après une nuit blanche, le jour se met à poindre à travers la canopée. Je me suis éveillé tout à l'heure avec un mal de tête carabiné, il m'a fait prendre des somnifères. C'est comme ça qu'il a maîtrisé Dark, c'est comme ça qu'il m'a empêché de commettre pire. Toutefois, à travers son silence, je réalise une bien triste vérité, un fait qui rend son silence réprobateur encore plus douloureux.
J'ai tué Casimir Souffleciel.
J'ai tué et je n'aurais pas dû.
-Wallace, écoute…
Il accélère le pas, disparait derrière un buisson. Je dois courir pour rattraper ses puissantes enjambées. Je dois lui parler. Je ne sais même pas ce que je lui dirai, mais je dois lui parler. lui faire comprendre que je perds trop facilement le contrôle? Ça il le sait. M'excuser? Le supplier de me pardonner mon erreur? À quoi bon...
-Wallace! S'il te plaît!
Il s'arrête, sans le vouloir je le percute dans ma course, mais il ne bronche pas. Un instant, il lève les yeux de sous son chapeau et regarde les rais de lumière qui percent le feuillage dense de la jungle. Le psychologue inspire, puis tire les manches de son large imperméable.
Mon sang ne fait qu'un tour. Mon cœur rate un battement. Ma mâchoire se serre. Mes poings broient le vide.
Les avant-bras de Wallace sont complètement lacérés. Recouverts d'entailles profondes qu'on comparerait à des griffes.
Mes griffes.
J'ai blessé un de mes seuls amis.
Et aussi horrible que cela puisse paraître, avant même de ressentir une quelconque empathie pour Wallace, ma première pensée est de réaliser que c'est Lilou qui aurait pu subir un tel sort. Je ferme les yeux et détourne le visage. Par réflexe, je cherche une cigarette dans ma poche l'allume avant de l'avoir en bouche.
-Si tu veux bien, Oswald, j'aimerais ne pas aller plus loin.
Je n'ai même pas pris une bouffée que déjà je n'ai plus envie de fumer. Je jette la clope au sol et l'écrase avant de poser mon regard sur un Wallace fatigué et las. Il a tout dans son regard qui prouve qu'il n'en veut pas qu'à moi, mais à lui aussi. La soirée d'hier a été charnière pour tout le monde, surtout pour quelqu'un condamnant la violence comme le psychologue. Et c'est probablement pour cette raison qu'il souhaite retourner au camp de base.
-Qu'est-ce que tu n'me dis pas?
-Que la baie où est supposé émerger l'Hypérion est complètement envahie par des pirates de Grand Line…
Au moins, il y va sans détour. Je réfléchis un instant, puis il m'explique que depuis le début de la mission, de nombreux vaisseaux ont réussi à échapper au barrage du Léviathan et se sont réfugiés de ce côté de l'île. Selon ses observations, la majorité sont là pour rafistoler leur navire endommagé, pour recharger leur log pose ou pour trouver un moyen de contourner le barrage. Le problème? C'est qu'ils sont plus de six navires à avoir emménagé dans la baie où doit apparaître l'Hypérion.
Aussi spécial que cela puisse sembler, je ne suis même pas choqué par la nouvelle. Je constate plutôt avec amertume que je vais devoir continuer ce que j'ai commencé hier soir. Cependant, l'envie n'y est plus, la folie est passée. Le goût du sang ne me vient plus à la bouche, je suis lucide, j'ai fais une crise, maintenant, je suis calme. D'un calme qui me désarme moi-même. Ce meurtre était peut-être un mal pour un bien, en fait. J'ai retrouvé le flegme du prédateur, mais à un prix bien trop grand, car il s'affiche à même la chair de mon compagnon.
-L'Hypérion émergera dans très peu de temps Oswald.
-Je vais les prévenir. On doit changer de lieu de rendez-vous. Toi, rentre au camp de base, tu seras plus utile en attendant mes ordres de là-bas.
-D'accord.
-Ah….et…. Wallace….
-…Oui?
-Je… je…
-Oswald. Tu es un officier de la Marine. C'est ton travail de combattre les pirates, tu ne peux pas l'éviter indéfiniment.
-Non, je sais. C'est pas c'que j'veux dire. Je… je suis désolé.
-Tu sais que ce n'est pas de ta faute.
-Mais ce n'est pas de la tienne non plus.
-…Au revoir Oswald.
Il écarte un bosquet et s'enfonce dans la brousse. En un instant il n'est plus là. Je suis seul, à nouveau un prédateur près pour la chasse. Je tire mon escargophone de sous mon manteau de commodore fraîchement revêtu.
Pululupulupulupulupulupulupulu….
-Allô. Ici le commodore Oswald Jenkins, capitaine des Rhino Storms! J'appelle l'Hypérion pour invalider les coordonnées de rendez-vous! La baie est un véritable nid de pirates tout juste arrivés de Grand Line!
Clac.
Sans plus attendre, je m'élance à travers la jungle vers la baie. J'écarte les branches en enjambant les racines et en esquivant les lianes, gagnant toujours plus de vitesse, véritable fauve lancé sur une traque. Le souffle court, je débarque à pleine vitesse au sommet d'une corniche qui surplombe la baie. Une petite calanque de sable et de rocailles où mouillent huit navires de taille et de gabaries différents. Toutefois, tous ont un point commun : le drapeau noir qui flotte au sommet de leurs mâts.
Sur la plage, de nombreux pirates ont monté des tentes et des feux de camp ainsi que des cordes pour sécher le linge et les toiles. Ils ont l'air bien installé, mais aussi assez surpris lorsqu'ils lèvent la tête et aperçoivent mon visage hors de l'ordinaire.
Je ne leur porte qu'une once d'attention et plonge plutôt mon regard vers le milieu de la crique où de gros bouillons crèvent la surface et où une large silhouette se profile sous l'eau. L'Hypérion est là, trop tard.
Drôle de situation pour une première rencontre avec un autre capitaine de la Marine…