Le gardien ne pouvait en supporter davantage. Il n'estimait pas son maigre salaire à la hauteur de cette torture quotidienne qu'il subissait. En rugissant, il lança un nouveau coup de matraque contre les barreaux, espérant couvrir le bruit des hurlements du prisonnier en lui ordonnant de se taire, mais rien n'y faisait. Cela faisait déjà une semaine que ce cirque durait, se déroulant de manière cyclique. La Goule balançait son crâne, ses pieds ou ses épaules contre l'acier qui le retenait enfermé dans l'espoir de s'en sortir.
"PUTAIN NAZGAHL C'EST PAS BIENTOT FINI TON BORDEL ?"
Les autres taulards non plus ne parvenaient plus à supporter leur camarade. Le monstre au visage bandé avait résisté à toutes les manœuvres d'arrestation et d'enfermement, tant et si bien qu'il était devenu nécessaire de lui enfiler une camisole pour limiter les dégâts. Dans sa cellule, les parois étaient toutes lacérées de marques de griffures, et la chose en allait même jusqu'à se blesser pour tenter de se libérer. Et par dessus tout, elle hurlait à s'en décrocher la mâchoire pendant la majeure partie de la journée, jusqu'à ce qu'elle s'épuise. Et c'était toujours la même rengaine, toujours...
"TUER KAMINA TUER KAMINA TUER KAMINA JE DOIS TUER KAMINA TUER KAMINA TUER KAMINA KAMINA KAMINA KAMINA KAMINA TUER KAMINA TUER KAMINA !"
Le voilà relancé, sans doute le coup de matraque. Il fallait s'y prendre avec des pincettes pour s'occuper de lui, mais les gardiens n'ayant jamais été très psychologues, il était difficile de leur demander plus de patience que ce qu'il était possible d'endurer. Il n'était pas coincé ici avec eux, c'était l'inverse. Certains prisonniers continuaient de menacer la Goule, beuglant qu'ils le tueraient à la moindre occasion s'il n'arrêtait pas, d'autres se roulaient en boule et usaient de tout ce qu'il trouvaient pour se boucher les oreilles, n'ayant pas pu fermer l’œil depuis des jours.
La créature diabolique cessa de crier un instant, tombant à genoux pour forcer sur la camisole grise, espérant la détruire en déchirant sa structure. Après une bonne demi-heure passée à tirer dessus comme un forcené, il abandonna sous le coup de la fatigue et s'écroula sur le côté. Il avait soif, et se traîna tel une larve jusqu'à la cuvette usée et salie pour remédier à ce problème. Mais une fois reposé, nulle doute qu'il repartirait de plus belle pour une nouvelle symphonie de hurlements.
De furibond, il était devenu formidablement haineux. La seule chose qui lui donnait encore la puissance nécessaire pour se débattre était sa colère sans limite pour celui qui était responsable de son emprisonnement. Le Lieutenant Kamina, dont il conservait une image mentale aussi précise que possible, un visage de prédateur marin qu'il n'oublierait jamais. Jusqu'à présent, le requin avait été la seule entité civilisée qui soit parvenue à le vaincre, et c'était un état de fait qu'il ne pouvait décemment pas accepter. Il s'enfuirait, et il le tuerait. Quoi qu'il puisse arriver, il le tuerait et dévorerait ses entrailles. Pour les dieux du sang, il arracherait son cœur... A cette pensée, le monstre éclata d'un rire sardonique, et les contestations de ses camarades ne tardèrent pas à s'élever partout au sein de la prison.
Des bruits de pas, ceux de deux hommes qui se dirigent vers la cellule. Au milieu de cet enfer de lamentations, de cris rageurs et de rires possédés, les individus s'approchent en silence du responsable de ce chaos. Un second prisonnier vient compléter les effectifs de cette cellule. Le gardien se penche sur l'homme menotté, lui chuchotant quelques mots sur un ton de plaisanterie malsaine. Suite à quoi, il entreprend de trouver les clés en cherchant parmi celles qui ornent son jeu personnel.
"Amuse-toi bien."
Petit rire moqueur, et la porte s'ouvre.
"Regarde ce qu'on t'amène, pauvre taré. Un copain, si c'est pas beau ça ?"
Le monstre ne cesse de rire, et le gardien lassé se jette brusquement sur lui, administrant à ce dernier une série de coups de pieds rageur au niveau de l'estomac. Ici, le règlement vis-à-vis du comportement des gardiens n'est qu'une forme de guide qu'il n'est pas toujours nécessaire de suivre, en fonction de la situation...
"Tu vas la fermer, le cinglé ?"
Nazgahl s'étrangle, étouffé par le sang qui emplit sa gueule. Se roulant en boule dans le coin de la pièce, il laisse son rire puissant se changer en un léger sifflement. Son corps est secoué de spasmes, mais le silence est temporairement revenu, au plus grand soulagement des détenus...