Chapitre 1.
Bip ! Bip ! Bip ! Bip ! Certes, un poids lourd passait par là, mais pas celui sur un chantier en train de faire une marche arrière. Juste deux cent cinquante kilos de graisse qui exécutait une longue et interminable marche avant.
Gura était toujours en train de flotter vaguement sur son embarcation de fortune. Le pédalo foireux offert par la tribu des culs-de-jatte, dans l'indifférence la plus totale et aveugle qui soit. L'engin datait de plusieurs années et avait sacrément rouillé depuis. Alors forcément quand on le faisait tourner, on avait le devoir de se farcir la mélodie grinçante qui allait de pair. Le son ne ressemblait ni plus ni moins qu'à un crissement de pneus toutes les secondes et demi.
Et bien sûr, le gros sac n'en pouvait plus. Écouter et pédaler.
Parlons-en d'ailleurs ! Installé sur un siègle trop petit pour ses grosses fesses, c'était la croix et la bannière s'il avait besoin de se gratter vous-savez-quoi, rien que ça ! Alors imaginez ensuite le bas du corps qui ne pouvait atteindre le fond du plancher... impossible de mouvoir correctement ses jambes, car elles s'entrechoquaient l'une sur l'autre. Impossible d'éviter de se manger les rebords avec les genoux.
_ Pourquoi !? Avait-il alors gueulé au ciel, comme pour parler à Dieu, les bras levés.
Au même instant, une mouette survolait au-dessus du Sumo. On ne savait pas bien si elle s'était sentie visée ou choquée, mais elle ne put s'empêcher de lâcher une commission.
Splotch ! Sur le crâne dégarni du gros bonhomme. Génial...
Gura le prit comme une insulte ou une provocation. Mais avant tout, il devait se débarrasser de cette fiente au plus vite. Il commença donc par s'asperger de flotte avec les mains, sauf que ça le dérangeait encore plus ensuite. Il détestait ne pas pouvoir vérifier en même temps. Dans une glace, par exemple. Voilà sans doute ce qui arrivait quand on ne pouvait déjà pas être capable de voir ses orteils ou... vous-savez-quoi, à cause de son large tour de taille.
Ainsi, dans ces conditions, il ne restait plus qu'une seule solution. Plonger carrément sa tête dans la mer. Ce qui signifiait aussi qu'il devrait s'extirper de sa cabine pourrie. Et évidemment, ce ne fut pas une mince affaire lorsqu'il s'exécuta.
_ Allez ! Sors, sors, sors !
On se serait cru dans Fort Boyard. Bref, sa manière à lui d'encourager ses bourrelets à ne pas lui créer plus de problèmes, quoi.
Finalement, après plusieurs tentatives, il réussit à se libérer et tomba dans l'eau. Pendant ce temps, son moyen de transport lui brisait dans les pattes avant de partir se noyer dans les abysses.
Gura ne s'en soucia pas plus que ça, à vrai dire. Il était presque ravi, alors que pourtant, maintenant seul au monde, il allait devoir se mettre à nager la brasse ou faire la planche s'il ne voulait pas, à son tour, couler comme une enclume.
_ Eh bah voilà. Je venais juste de me faire toute belle, en plus. Ohé !? Y'a quelqu'un !?
Mouais bof. Lot de consolation peut-être, heureusement qu'il n'avait pas mangé de Fruit du démon, sinon son aventure de pirate prenait aussitôt la porte.