The Hell in Paradise

Le soleil se couche et embrase au loin l'horizon. On peut voir sur l'océan des reflets argentés dansant avec les vagues, et les oiseaux plongeant percer la surface. Le monde fait silence, et écoute le sable se faire caresser par le sel de l'eau.

On est loin du carnage, de sa terreur et son horreur. Une petite crique, dissimulée entre les rochers, désertée par les hommes, adoptée par une famille de crabes profitant des derniers rayons solaires pour réchauffer leur carapace. Derrière eux, un homme seul est assis contre les rochers. Ses traits creusés se confondent à ceux de la pierre dans la lumière du crépuscule. Il semble serein, malgré le sang filant sur son épaule. On ne sait pas où son regard s'évade, ou s'il s'est perdu, les armes rendues.

Ses cheveux sont en bataille, gras de la sueur qui recouvre aussi l'intérieur de son casque. Celui-ci est posé à côté de lui, sa pointe plantée dans le sable. Une mouette s'est approchée, curieuse, elle cherche à trouver quelque chose à manger dans cet étrange crustacé.

Au loin, une ombre se détache. Elle apparait, tranchant l'océan l'espace d'un instant, trou ténébreux dans l'étendue immaculée. C'est une trace hideuse des monstres que cachent les vagues et leur écume, faisant miroiter une beauté qui n'est qu'apparence. Dans le fond, la tache est plus réelle que le tablier qu'elle salit.

L'homme se lève, la mouette s'envole. Elle ne trouvera rien ici. Elle va rejoindre ses comparses, et fond sur les poissons de l'océan.
Bientôt, l'homme est rejoint par un autre sur le sable fin.

Silence.
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J'ai l'faciès qu'la chaleur de la bataille a fait fondre. Chaque pas dans l'sable ébranle mon corps ankylosé. La fatigue du combat, aussi physique que mentale, une vraie purge du corps qui hurle et de l'âme qui chiale. Grossièrement lavé du sang des forbans dans lequel j'ai nagé, ça n'empêche pas les images du combat s'livrer à leurs danses macabres à l'intérieur d'mon crâne. Puis j'ai encore l'goût d'la morsure étalée sur l'palais, j'sais qu'elle s'en ira pas d'sitôt. L'sang est une épice coriace qui brûle profondément chacun d'mes sensibles sens, jusqu'à les creuser assez pour venir m'ternir la conscience.

Le toubib de l'hypérion a de grands rasoirs dans la machoire, imbibés d'un arôme rouge vif. Tous à fleurs de peau, mes blessés avaient du mal à s'laisser tripoter leurs fissures saignantes et leurs trous béants par un squale. J'ai parfois du leur baver des mots rassurants, parfois même été forcé d'me confier et d'leur cracher c'que j'avais sur le coeur. Le squale, ça fait longtemps qu'il s'est échoué. Loin d'sa mer et d'ses rêves, il sait plus bien où il en est. Aussi paumé et inoffensif qu'un poiscaille rouge qui tourne en rond dans son aquarium, sa gueule est p'tete menaçante mais sa volonté, parfaitement édentée.

En attendant, ces souvenirs sordides et tristounets sapent toute mon attention. A tel point qu'j'ai peur de c'que va donner une intervention chirurgicale dans ces conditions. L'épaule du boss a été pourfendue. Et j'ai peur, si peur de faire une connerie, dans l'état dans lequel j'suis ! Alors j'puise ma concentration où je peux... En détaillant c'qui s'profile devant moi. Gros tas de rochers noirs et polis par l'écume.
Bon. La teigne qui m'commande s'est réfugié dans une crique derrière. Ça va demander un peu d'escalade...

Gravir les amas d'rochers qui font barrage à l'horreur, et me refuser d'me retourner pour contempler une dernière fois l'désastre qu'on a tous peint sur c'trop beau paysage, ça sonne en moi comme une mordante lâcheté, du style qui ronge la culpabilité et sa soeur bâtarde, la dignité. J'grince de mes crocs souillés lorsque les rocs noirs et acérés m'griffent la palme qui venait les embrasser. Ils sont pointus, ces gros cailloux, glissants, s'agitent sous la pression d'mes pattes. Comme s'ils défendaient leur territoire de l'invasion d'un d'ces fichus êtres de chair, de sang et de sentiments. Mais envers et contre leur rébellion, j'parviens à me hisser à leur sommet. Conquérant un monticule de rochers glissants. Ma seule victoire de la journée aura été d'éviter d'me casser la gueule là-dessus...

D'ici, j'aperçois aussitôt Mavim, paralysé à quelques pas d'mon tas d'cailloux. Tombé dans ses rêveries, il fixe l'horizon comme s'il y voyait quelque chose qui n'appartient qu'à lui. Sautant sur le sable, j'm'avance vers le capitaine en évitant d'trop m'imposer au silence ambiant. J'retrouve dans cette crique une espèce de calme plat, qui siégerait à deux pas d'la tempête. Rester boire les dernières lueurs du soleil ici m'revitaliserait un peu. Même si dans l'même temps, j'répare l'épaule déchiquetée du vioque...

Capitaine ? 'faut que j'm'occupe de votre épaule...

Ma lassitude contamine ma voix, et ma peur du futur la secoue un peu davantage, j'le sens bien, j'trahis mes états d'âme. Passoire à émotions, j'ai jamais eu la prétention d'savoir retenir les orages qui m'tourmentent l'âme. Ils tonnent aussi dans ma voix cassée, et ma figure ramollie.

Son autorisation prend la forme d'un pauvre hochement d'tête. En dehors des discours incandescents, j'avais cru paner qu'il était pas bien loquace. M'penche timidement à son épaule, déploie ma trousse de soin puis commence le bilan. A première vue, c'est immonde, et très laid. N'importe qui d'pas trop blasé ou d'pas trop tordu aura fait la même observation. J'ajoute qu'le muscle a été sectionné comme un vulgaire bout d'viande sur toute sa hauteur, jusqu'à l'os. Très moche...

C'est... moche. Ça risque de mettre du temps... et de piquer un peu.
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Le vieil homme grogne un peu, mais reste parfaitement immobile alors que son médecin l'opère. Son regard reste toujours fixé sur l'horizon. Imperturbable, froid, inatteignable. Le Lieutenant-Colonel de la marine semble si détaché du monde qui l'entoure que ça en devient gênant. Tout est paisible, mais dans ses yeux luit le même regard de soldat, comme s'il se concentrait sur la bataille, sur un autre massacre.

"Ce métier, ce n'est pas pour tout le monde..."

Sa voix, grave, profonde, se mêle au bruissement des vagues contre le sable. Un oiseau, quelque part s'envole, et derrière les deux marins, une pierre tombe en bas des rochers. Durant une fraction de seconde, il semble différent. Rien n'a changé pourtant, ni dans son visage, ni dans sa posture, ni dans le paysage, nulle part. Juste son aura, peut-être.

"Je l'ai choisi pour changer les choses. Là où j'étais, tout était déjà ordonné, en quelque sorte... J'imagine que je voulais faire quelque chose à plus grande échelle..."

Et pendant ce temps, l'aiguille entre et ressort, entre et ressort, entre ses chaires et son sang. On peut voir que ce n'est pas la première fois que ça lui arrive. On peut deviner que ce ne sera pas la dernière.

"Et tout ce qu'on me donne, c'est ça: une connerie de faute de procédure: des coordonnées pas vérifiées: trois équipages à décimer: la mort et le chaos à perte de vue, comme un cadeau de bienvenue."


Sa mâchoire se serre. On peut sentir la tension qui se crée dans son corps, dans son esprit. L'impression d'un perpétuel recommencement qui ajoute à chaque cycle une couche à la frustration de voir le monde tourner mal. Mais il faut prendre sur soi. Tout est calme, serein. Sebastian reste toujours immobile sous l'aiguille du médecin.

"Et ce type..."
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Le commodore ?

Session couture. Recoudre des tissus. L'aiguille danse, mais les mots moins. Ils trébuchent un peu sur la situation, les mots. Maladroits, 'savent pas où ils mettent les pieds sans piétiner ceux des autres. Capitaine me prend de court en m'adressant c'qui ressemble à une confession. Et là où la voix parle confession et sent la spontanéité, son visage reste gravé dans un roc sans émotions. Rien qui s'échappe du coeur de mon supérieur, à part le goût âcre d'une victoire sans gloire, et du sang sans raison.

Le commodore ? J'parviens pas à lui en vouloir. Qu'ça m'dépasse, les grands plans et les circonstances ! Ça m'passe par dessus la tête, comme ces foutues mouettes. Bloqué parmi les sous-offs, éternel troufion aboyant l'mot 'Justice' et solidement tenu en laisse, j'ai jamais connu le parfum du pouvoir, ni les relents de la responsabilité. Alors j'parviens pas à en vouloir à quiconque autre qu'au spectre qu'on appelle destin pour c'charnier dont j'suis parvenu à m'extirper. Un nouvel obstacle sur mon chemin obscur. Trois ans que j'aie été amputé d'la présence et de la volonté d'mon frangin, trois ans qu'mon recul sur ma propre vie est anesthésié.

Grimaçant, la figure crispée par les idées noires qui circulent dans ses coulisses, j'détourne régulièrement, le temps d'micro-pauses, les yeux. Pour éviter d'permettre à Mavim de lire dedans. Superflu. Son regard est perdu dans l'horizon, et trouvera pas d'sitôt l'chemin vers mes mirettes. Comme par volonté d'échanger confession contre confession, j'laisse s'enfuir un indice sur mes états d'âme.

Ça me rassure pas, ce début. Les mauvaises surprises m'angoissent, patr-lieutenant colonel.

Le commodore, on dirait qu'il est à la fois derrière et sur l'échiquier. Un grand patron qui s'enfonce avec ses pions dans l'marais de sang. Un vétéran attaché à la base de la pyramide ? Qui prend l'temps d'mater comment ça va en bas depuis son étage ?

J'fais confiance aux gradés auxquels j'confie ma vie, et... j'le regrette, souvent.

Vrai ça, qu'est-ce que j'en sais ? Les ordres viennent de noms, parfois de visages, mais jamais d'personnes. Si ça s'peut, l'en a rien à battre de nous, Jenkins, et nous voit simplement comme un rab' de viande à soumettre aux fins gourmets d'en face. Lieutenant du Malvoulant et ses copains. L'empereur ignoble déchiquetant et éparpillant les espoirs qu'il vole, laissant sur son sillage la misère raisonnante de lents échos d'douleur. Z'avez besoin d'une brute sans vergogne, un amiral. Un commando furieux d'vices-amiraux. Les docteurs en mandales de la marine d'élite. Tout mais pas un squale fourré à la mélasse et enrobé d'sa blouse blanche.

Marine et médecine riment pas. Soigner d'une palme pendant qu'on tue de l'autre...

Comme un équilibrage forcé d'karma qui m'tiraille plus qu'il ne m'apaise. Un clivage bâtard entre mes innocents désirs de huiler délicatement un monde grippé, et mes féroces envies d'le secouer sans ménagement pour en faire chuter les fruits pourris. L'plus efficace étant probablement une subtile cohabitation des deux. Mais j'suis trop impulsif, trop instable pour ce genre de cocktails d'émotions. J'oscille. Parfois le désespoir. Parfois les rêves. Jamais de satisfaction.

Peu d'pensées à consacrer aux "camarades", au fond. Toujours hanté par les fantômes du passé, j'ai trop pris l'habitude d'être tourné vers eux plutôt qu'vers les visages de l'avenir.
Peu d'places pour la camaraderie et l'amitié. Ceci dit, elles sont toutes libres. Et j'suis pas avare de bonté.
Le doux coton installé dans ma palme comme un nid, s'imbibe d'un antiseptique qui le gonfle et le fait convulser. Une fraction d'minute qui m'permet de dégager mes yeux d'la sinistre épine rouge et des sutures inégalement propres pour les faire percer la jungle, tout là-bas.
Appréhension et fascination morbide pour mon futur. P'tete une carcasse de poisson dépouillée d'ses songes qui restera cuire au soleil de Jaya et nourrira quelques charognards ?
A travers cette jungle crevante, j'imagine la cité du crime en bois mort embusquée là-derrière, un nid d'frelons dans un buisson qu'la marine titille avec une branche. La branche c'est moi. Nous. Jouer avec le feu. M'étonnerait pas qu'à la fin, il ne reste que des flammes.

J'reprends l'aiguille, museau dans les sutures.

J'ai un mauvais pressentiment pour la suite.

J'ai toujours de mauvais pressentiments. Danse l'aiguille, danse.
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"C'est bien. Attendez-vous toujours au pire."

L'aiguille entre. L'aiguille sort. Le fil se tend, se noue et se brise. Sebastian ne bronche pas. Jamais. Soudain, alors que ses yeux survolent le visage du capitaine, il croise son regard. De côté, juste la moitié du visage. L'angle est tel qu'on aurait du mal à savoir si oui ou non, le vieil homme fixe vraiment l'homme poisson.

"Il faut du courage pour se jeter dans la bataille, mais il en faut certainement plus quand c'est contre ses idéaux."

Le lieutenant-colonel bouge un peu l'épaule, teste la position des fils. Avec douceur, il se lève et ôte ce qu'il reste de sa chemise, taillée en morceau durant les soins. Il se baisse, et en ramasse une nouvelle dont la blancheur c'est déteinte avec le temps.

"Rien n'est jamais blanc ou noir, Kanima, sauf si vous jouez à l'autruche. Il y a deux types de gens sur cette terre, ceux qui agissent et ceux qui se complaisent entre les ornières qu'ont leur met. Il ne tient qu'à vous de décider auxquels vous souhaitez appartenir."

Un spasme tord une parcelle de sa peau, juste au dessus de la bouche, alors qu'il passe son bras meurtri dans la manche de la chemise. Ou peut-être que ce n'était que l'imagination qui jouait ses tours habituels. Le gradé fait face à son médecin, et son expression, comme à son habitude, ne révèle aucune émotion, si ce n'est cette franche honnêteté auquel nul ne pouvait échapper. Fixer Mavim, c'était comme se retrouver face à son miroir. On sentait que, si on lui mentait, ce n'était qu'à soi qu'on cachait la vérité. Car pour lui, les mots n'étaient que du vent, permettant de gonfler les voiles des hommes qui oubliaient trop souvent qu'ils disposaient d'un gouvernail.

"Mais n'oubliez pas que, dans votre dos, les horreurs continueront toujours, quelque part. Quelqu'un voudra toujours tuer son prochain, pour ses intérêt ou pour ceux d'un autre. Peu importe. Est-ce que cela signifie qu'il nous faut rester inactif ?"

Le capitaine laissa la question en suspens quelques instants. Puis, ramassant son casque, il se dirige vers le campement des Rhinos Storms, mais s'arrête un instant.

"Je vous demande pardon. Votre rôle ne devrait pas être de vous tacher les mains de sang. J'ai agi dans la précipitation, et même si vous êtes un atout majeur, je ne devrais pas vous considérer comme un pion. Votre métier est de sauver des vies. Je m'en souviendrai à l'avenir."

D'un côté, l'océan paisible s'étendait à perte de vue, d'autre, une forêt impénétrable pour le regard, regorgeant des pires horreurs. Entre les deux, les hommes et leur choix. Celui de Sebastian était clair, et le suivre ne serait pas facile, jamais. Mais cela justifiait-il tout ? Après tout, pouvait-on faire confiance au paroles d'un vieillard pour qui les mots ne sont que du vent ?
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Euh. Merci. Tuer me blase. Toujours l'impression d'me... trahir. Hum.
Mais j'suppose qu'on fait pas d'omelette sans casser des oeufs... Un truc comme ça.


Ça permet d'justifier tout c'qu'on commet. Casser des oeufs, c'est casser des vies, des passés, des futurs, des dignités, des espoirs. Mais la fin justifie les moyens, et même si l'omelette a un arrière-goût d'défaite, du haut d'mes gallons minables, j'peux bien qu'm'en contenter et avaler les succès incomplets.

Cliquetis du métal qui s'enfonce dans ma trousse. Les sutures, c'est bien l'un de mes rares dadas. Chevalier d'l'aiguille et des plaies béantes. J'ai parfois la sensation d'avoir trouvé mon élément, avec la chirurgie. D'être comme un poisson dans l'eau aseptisée. Elle était gracieuse, l'aiguille, et déterminée. S'acquittait de son rôle sans sourciller et sans jamais revenir sur ses décisions. Tout le contraire de la paluche qui la tenait...

C'est peu assuré qu'j'emboîte les pas d'Mavim. Et assez mécaniquement malgré tout. Lancé à grande vitesse dans c'destin là, j'pourrai plus freiner d'sitôt, c'est fini. Alors, j'avance. J'suis mon supérieur à l'allure d'une machine. Les mots sont des outils avec lesquels il répare l'moral brisé d'ses troupes. Rien que ça, des outils. Au relief certain, mais dont j'ai peur qu'ils soient plus creux qu'ils n'en ont l'air. J'l'ai bien vu, j'l'ai bien entendu, sur l'champ d'bataille, ça galvanise. Et à croire qu'ça marche bien, hein, vu qu'j'ai comme un sursaut d'confiance. Emergeant d'ma mer de doutes. Mais lui, en quoi croit-il ?

J'murmure un long truc, dans un sifflement languissant. Discret. Sûrement honteux. Ça s'paume dans l'écume, la bruyante, la prétentieuse.

M'demande encore souvent à quoi ça sert, tout ça. A quoi on sert. Si l'plan du commodore vise à limiter les pertes des deux côtés, ou s'il cherche plutôt à décrocher une promotion.

Pour l'instant, j'ai pas d'autre dessein qu'survivre...


J'crois pas qu'il l'ait entendu. L'ambiance clapotante imposée par l'océan l'a p'tet avalé. Dur à dire, il reste impassible.  

J'ai jamais vraiment cru qu'la justice pouvait s'passer de douleur et de sang. C'est un tribut inévitable qui la consolide, trop souvent. J'me suis jamais vraiment cru moi-même, au fond. Jamais cru à tous ces mensonges que j'me racontais les soirs de remises en question. Les fois où j'me disais qu'le monde tournerait plus rond si j'en émoussais simplement les bords. Qu'on pouvait faire pousser son idéal sans semer préalablement la mort. Que j'pouvais rouler malgré tous les bâtons qu'on m'carrait dans les roues.

Qu'l'univers avait besoin d'un sauveur. Qu'ça pouvait être moi.
Moi, l'homme-requin haï par la grande porcherie humaine qui s'étire avachie dans sa propre merde. Qui subit leur venin, empoisonnant mon idéal. Moi, pensant que l'antidote est simplement la bonne volonté et une bardée d'valeurs nobles.
C'est le pestiféré qui prétend apporter la lumière à c'monde aussi sombre qu'les abysses de ma mer ? Douces abysses où j'ai appris à rêver du soleil.

Mais à qui j'essaye de mentir, sérieusement ? Les convictions du gosse sont mortes. Et de nouvelles, celles de l'adulte, vont naître ici. J'espère.
Ça, ou j'crèverai. La routine.
Qu'le désillusionné s'taise et laisse la parole au justicier, maintenant.

Un nouveau regard du capitaine, mi-perçant, mi-distrait, comme si m'fixer d'la totalité d'ses deux miroirs de l'âme risquerait d'me la pourfendre, l'âme. Dans un bizarre élan, un bizarre spasme, j'porte le tranchant d'la palme au front et m'rigidifie la colonne. La crispation militaire d'usage, serrer les crocs, les fesses et le torse, comme tout juste sorti d'un bain d'ciment frais. Devenir comme un pan de mur. Qui protège des valeurs. Des valeurs qui sont p'tete pas les miennes. Ou si. Ou pas. J'sais pas. Où j'en suis.

J'devrai proposer mes services au commodore ?

Ou dois-je les garder jalousement pour moi et les autres sardines du sous-marin ?
Les rhinos. La grande famille qu'me vantait Rei dans l'submersible. A deux pas d'ici. Mais immergé dans l'action, son lot d'boue, de feu et de sang, j'ai du mal à concevoir une occasion d'forger des liens "familiaux". Ça fait si longtemps qu'j'ai pas palpé le trop rare trésor qu'est la confiance...
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"Nous n'sommes pas là pour lui mettre des bâtons dans les roues, mais pour l'aider. Sauvez autant de vies que possible, Kamina. C'est votre travail, après tout."

Ils sont arrêtés ou milieu du bois. Autours d'eux, l'obscurité les observe, seule spectatrice de la scène, avec les myriades de pupilles des créatures qui la peuplent. Au sol, pas de chemin, juste la trace de leur passage à travers les broussailles. À quelques mètres devant eux, le campement des marins. La sentinelle ne les a pas encore aperçu.

"Laissez Jenkins de côté. Concentrez vous sur la mission que vous vous êtes fixé. Et si un jour un ordre va à nouveau à son encontre, venez me voir. Même si c'est le mien."

Il n'y a pas de silence. Le chant des cigales résonne dans la pénombre de la forêt, rendue vermeille par le soleil couchant.

"C'est pour protéger que je suis ici. Protéger l'ordre, mais aussi mes hommes. Les hommes. Vous êtes sous ma responsabilité, mais cela ne veut pas dire que vous devez adopter mon point de vue. Et si un jour ce dernier vous déplaît, ne vous taisez pas."

Un rayon du soleil couchant se reflète dans le métal de l'armure. Durant un instant le dos du lieutenant-colonel devient éblouissant. Au suivant, il a repris sa marche et se replonge dans l'obscurité, comme si la vision de son ombre étalée devant lui était insupportable. Quelques derniers mots résonnent.

"Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui n'ait pas son importance. Vous avez la votre, Craig, n'en doutez jamais. Ne vous contentez pas de la survie."

Les mots sont du vent. Ils soufflent sur la lande et sur l'océan, leurs sens aussi insaisissable qu'une brise d'été. Mais c'est lui qui fait tourner le monde. Quelle utilité au gouvernail d'un voilier aux voiles vides ? À quoi sert un moulin sans vent ? Le grain et la pêche en dépendent.

Peut-être un peu paradoxal comme pensée, lorsqu'on est capitaine d'un sous-marin, non ?
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