Un autre salut, d'autres contractions. Dos raide, crocs crispés bien droits sur leurs gencives, eux aussi au garde-à-vous. J'm'éloigne lentement du capitaine, partant à la découverte du camp de base des rhinos storms. Seulement quelques pas en direction des tentes, froissant l'tapis de feuillage et d'terre souillée par les empreintes des grosses pattes en cuir des camarades, avant d'revenir au point mort. Planté là, immobile, comme une jeune pousse qui boit l'crépuscule.
Juste le temps d'assimiler les regards en biais des soldats traînassant leurs guêtres, attendant les ordres, l'combat, ou p'tete la mort. L'ambiance, elle est aussi étouffante que le climat. C'est du rustique, et du classique. Rien qui m'extirpe d'mon bouillon d'idées noires. L'cadre est clair, le cliché net : des casques aussi fêlés qu'les esprits qu'ils abritent, du sommeil parasité par les moustiques, la forêt qui fait un bien piètre parasol et un bouclier encore pire, puis surtout un quotidien régi par l'attente dans l'ombre de la guerre.
M'fait penser aux lentes, lentes, languissantes attentes interminables dans des bases plus sordides les unes que les autres. La marine et son sillage de négativité. J'bute des pirates, arrachant des touffes d'herbe dans une forêt d'corruption. On m'dit qu'je suis un rouage dans la grande horloge des justes, j'pense qu'je suis rien d'plus qu'un boulon en train d'se desserrer.
La bataille et la parlote avec Mavim m'ont laissé bouillant, et j'crois que j'pourrais embraser la jungle si j'commençais à cracher c'qui m'crame le coeur.
J'me sens plus trop marine. J'me sens plus trop poiscaille. J'me sens encore moins héros. J'suis juste une boule de nerfs qui roule, roule, écrabouillant péniblement les obstacles plantés sur son chemin, les utilisant comme tremplin provisoire pour poursuivre sa descente sur une pente dont elle connaît pas la longueur. Ni l'arrivée...
...
C'camp est un espèce d'îlot civilisé au milieu d'un océan d'verdure sauvage.
L'étreinte pesante de la jungle. La chaleur du combat rendant tout gluant.
La moiteur d'mon cuir combinée à l'anxiété suante. Mon esprit dans un brouillard humide.
C'est qu'un coup d'pompe. Et l'envie d'rompre un instant avec la réalité. Tout ira mieux après. Le mélancolique redeviendra médecin, le médecin redeviendra soldat, le soldat redeviendra tueur. Le tueur redeviendra mélancolique. C'le cycle de mon esprit. J'y peux rien, si mon esprit est si routinier. La seringue de la mémoire injecte une dose de courage de temps à autre, et ça repart ! Et j'rebroie du noir !
J'suis réfugié dans mes vapes, sourd aux p'tits saluts intimidés qu'm'infligent les soldats qui m'frôlent. J'poursuis ma route, pour pas avoir à confronter mes yeux écarquillés et brillants de bovin aux leurs. J'vais aller m'trouver un coin peinard où m'poser.
Les tripes nouées et battantes, le palpitant qui s'débat à l'intérieur d'ma cage, comme tentant d'échapper à sa condition d'pauvre boule de chair emprisonnée dans les entrailles sordides d'un poiscaille qui prend pas des masses soin d'son corps.
Haha.
M'fout une palme au coeur. Le sentir me laisse penser que j'vis encore, ça gomme un peu l'amère impression que quelque chose a été tué en moi. Quelque chose comme des rêves, des convictions, une envie d'me dépasser. Malgré tout mon coeur reste excité, contrarié. Las des sensations fortes et d'la mort. J'laisse ma paume l'écouter.
Tout en prenant un peu d'distance. Mes lourdes pattes parviennent à m'porter à l'ombre d'un palmier affaissé. J'me laisse chuter sur ses racines, la sensation d'peser un cachalot.
J'suis vide, putain. Ma volonté s'est retrouvée dissoute dans un espèce de bain crépitant d'doutes.
Pourquoi ? Pourquoi les mots d'Mavim m'ont pas repropulsé l'sang à toute berzingue dans les canaux ?
Ça aurait du marcher. Il avait raison, le boss, j'dois pas m'contenter d'suivre et survivre. Faut que j'vive, que j'déterre mes convictions perdues. Celles qui m'portaient parfois l'sourire aux lèvres malgré les railleries et les insultes. Celles qui m'conféraient la certitude que tout avait un sens.
J'peux pas m'permettre d'être las. Pas maintenant. Ruminer tue. Et j'ai fais l'pari d'vivre, c'est pas pour tout perdre sur un coup d'mou.
Reprends toi, merde ! Pense à Tark qui voudrait être fier de toi ! Si tu l'fais plus pour toi, fais le pour lui !
J'empoigne mon blouson, lui fait cracher la p'tite flasque fourrée au papier. La bouteille du révolutionnaire, contenant la carte postale qu'il m'a adressé sans l'savoir. La feuille jaunie, noircie de texte. J'sais pas bien où j'entrerai en la lisant, ni dans quel état j'en ressortirai. Mais c'est l'moment ou jamais pour m'lancer.
Si ça se peut, la confidence m'enfoncera encore un petit peu. Ou au lieu d'ça, elle m'fera mirer par sa fenêtre un nouveau paysage pour mon avenir.
...
Alors, Raf, qu'est-ce que tu deviens ?
Juste le temps d'assimiler les regards en biais des soldats traînassant leurs guêtres, attendant les ordres, l'combat, ou p'tete la mort. L'ambiance, elle est aussi étouffante que le climat. C'est du rustique, et du classique. Rien qui m'extirpe d'mon bouillon d'idées noires. L'cadre est clair, le cliché net : des casques aussi fêlés qu'les esprits qu'ils abritent, du sommeil parasité par les moustiques, la forêt qui fait un bien piètre parasol et un bouclier encore pire, puis surtout un quotidien régi par l'attente dans l'ombre de la guerre.
M'fait penser aux lentes, lentes, languissantes attentes interminables dans des bases plus sordides les unes que les autres. La marine et son sillage de négativité. J'bute des pirates, arrachant des touffes d'herbe dans une forêt d'corruption. On m'dit qu'je suis un rouage dans la grande horloge des justes, j'pense qu'je suis rien d'plus qu'un boulon en train d'se desserrer.
La bataille et la parlote avec Mavim m'ont laissé bouillant, et j'crois que j'pourrais embraser la jungle si j'commençais à cracher c'qui m'crame le coeur.
J'me sens plus trop marine. J'me sens plus trop poiscaille. J'me sens encore moins héros. J'suis juste une boule de nerfs qui roule, roule, écrabouillant péniblement les obstacles plantés sur son chemin, les utilisant comme tremplin provisoire pour poursuivre sa descente sur une pente dont elle connaît pas la longueur. Ni l'arrivée...
...
C'camp est un espèce d'îlot civilisé au milieu d'un océan d'verdure sauvage.
L'étreinte pesante de la jungle. La chaleur du combat rendant tout gluant.
La moiteur d'mon cuir combinée à l'anxiété suante. Mon esprit dans un brouillard humide.
C'est qu'un coup d'pompe. Et l'envie d'rompre un instant avec la réalité. Tout ira mieux après. Le mélancolique redeviendra médecin, le médecin redeviendra soldat, le soldat redeviendra tueur. Le tueur redeviendra mélancolique. C'le cycle de mon esprit. J'y peux rien, si mon esprit est si routinier. La seringue de la mémoire injecte une dose de courage de temps à autre, et ça repart ! Et j'rebroie du noir !
J'suis réfugié dans mes vapes, sourd aux p'tits saluts intimidés qu'm'infligent les soldats qui m'frôlent. J'poursuis ma route, pour pas avoir à confronter mes yeux écarquillés et brillants de bovin aux leurs. J'vais aller m'trouver un coin peinard où m'poser.
Les tripes nouées et battantes, le palpitant qui s'débat à l'intérieur d'ma cage, comme tentant d'échapper à sa condition d'pauvre boule de chair emprisonnée dans les entrailles sordides d'un poiscaille qui prend pas des masses soin d'son corps.
Haha.
M'fout une palme au coeur. Le sentir me laisse penser que j'vis encore, ça gomme un peu l'amère impression que quelque chose a été tué en moi. Quelque chose comme des rêves, des convictions, une envie d'me dépasser. Malgré tout mon coeur reste excité, contrarié. Las des sensations fortes et d'la mort. J'laisse ma paume l'écouter.
Tout en prenant un peu d'distance. Mes lourdes pattes parviennent à m'porter à l'ombre d'un palmier affaissé. J'me laisse chuter sur ses racines, la sensation d'peser un cachalot.
J'suis vide, putain. Ma volonté s'est retrouvée dissoute dans un espèce de bain crépitant d'doutes.
Pourquoi ? Pourquoi les mots d'Mavim m'ont pas repropulsé l'sang à toute berzingue dans les canaux ?
Ça aurait du marcher. Il avait raison, le boss, j'dois pas m'contenter d'suivre et survivre. Faut que j'vive, que j'déterre mes convictions perdues. Celles qui m'portaient parfois l'sourire aux lèvres malgré les railleries et les insultes. Celles qui m'conféraient la certitude que tout avait un sens.
J'peux pas m'permettre d'être las. Pas maintenant. Ruminer tue. Et j'ai fais l'pari d'vivre, c'est pas pour tout perdre sur un coup d'mou.
Reprends toi, merde ! Pense à Tark qui voudrait être fier de toi ! Si tu l'fais plus pour toi, fais le pour lui !
J'empoigne mon blouson, lui fait cracher la p'tite flasque fourrée au papier. La bouteille du révolutionnaire, contenant la carte postale qu'il m'a adressé sans l'savoir. La feuille jaunie, noircie de texte. J'sais pas bien où j'entrerai en la lisant, ni dans quel état j'en ressortirai. Mais c'est l'moment ou jamais pour m'lancer.
Si ça se peut, la confidence m'enfoncera encore un petit peu. Ou au lieu d'ça, elle m'fera mirer par sa fenêtre un nouveau paysage pour mon avenir.
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Alors, Raf, qu'est-ce que tu deviens ?
Dernière édition par Craig Kamina le Dim 10 Aoû 2014 - 1:57, édité 1 fois