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Sixième Epoque: Ce Plaisir qui ne vient pas de la souffrance.

- Oups ! Oh pardon !

La pièce sent le vieux, les murs sont flous. Je n’ai pas mal, ni à la cuisse ni à la tête, ni nulle part en fait. La lumière de dehors est froide à travers les persiennes des fenêtres bien comme il faut. Blanche comme un jour d’hiver, blanche comme la mousse en haut de mon verre encore plein. La tache de lait sur ma chemise sombre, la peau de celle qui a renversé sa conso sur mon très cher serviteur.

Elle n’est pas à l’aise, je la mets.

- Rien de grave, ce ne sont pas vraiment mes frusques...

Son regard hésite, cherche à comprendre. Je ne devrais peut-être pas lui expliquer que je les ai empruntées à un mari. Ce serait sans doute une approche assez moyenne, quoique la sienne n’aie pas vraiment été des plus subtiles non plus. Et la voilà qui enchaîne.

- J’ai cru entendre que vous étiez colonel, je suis confuse !

Colonel ? Ha ! J’ai un petit ricanement fat en l’invitant à s’asseoir dans mes règles, sans me lever. Elle est bien élevée, croise les chevilles et non les genoux, lesquels demeurent serrés et légèrement de travers pour quand même qu’on ne regarde pas sous ses jupons, ça ne se fait pas. Qui porte encore des jupons à notre époque ? Ses yeux verts forêt me fixent comme si j’avais la réponse à une question qu’elle n’a pas encore posée. Quel âge elle a, trente ? Plus ?

- Tahar.

Mon nom la fait à peine redresser le regard derrière ses cils mal à l’aise. Elle est absente en étant là, cherche dans son verre triste comment on fait la parade habituellement chez le commun des mortels. Mais il n’y a pas de manuel, juste à se lancer. Elle balance d’une formule à l’autre, essaie, se reprend.

- Comment vous

Malpolie, on commence par le prénom.

- Comment puis-je me faire pardonner.

Un soupir, chuchoté plus que questionnant. Maintiens le contact visuel, personne ne t’aidera alentour. Moi ?

- J’ai bien quelques idées.

Je suis aimable, c’est parce que tu m’es sympathique. Tu n’as pas la lourdeur des baronnes locales qui savent ce qu’elles viennent chercher ici. Tu respires l’exotisme, et ce n’est pas que dans ton parfum aéré. Si tu n’avais pas ce petit froncement décidé de sourcils, on pourrait même dire que tu t’es trompée de monde en franchissant la porte de ce troquet pour gigolades. Tu n’es ni d’Esperanza ni de cette mer, hein ? Ni de ma vie.

Allons, lutine, il est temps de changer de penderie. Où sont les escaliers ?

- De ce côté-ci je crois...

Ils sont bien à gauche, mais soudain par tribord l’ombre des murs se gondole et bientôt ils ont perdu de leur gris pour revêtir un bleu transparent, chatoyant au soleil. La jolie rouquine dépressive fait place au coquin apeuré qui rame pour sa vie sur le banc d’en face. Il n’a pas osé me réveiller en me touchant l’épaule alors c’est de son pied qu’il me chatouille la botte. Je regarde de plus en plus dans mon passé ces derniers temps. Il paraît que ça aide pour savoir où aller, je me demande si c’est inconscient. En tout cas les siestes ne soulagent pas grand-chose, et la douleur physique revient à peine le sommeil me quitte.

- N-Nous arrivons monsi, Saigneur...


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 7 Nov 2014 - 8:39, édité 2 fois
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Le bon ami est terrorisé. Je pourrais lui expliquer qu’il n’aurait qu’à renverser la barque pour être tranquille mais eh. C’est bien d’avoir quelqu’un pour ramer à ma place, je m’en voudrais d’avoir à le tuer pour l’en empêcher. Et puis il me fait de la compagnie avec ses rêves de pégu et sa fiancée à marier. Frangine ? Frankline... Fram... Bah, sa belle. Et tu parles qu’un pose à revendre au marché noir ça vaut tous les jours de rame sur Calm Belt du monde. Dix millions, le prix d’une vie ? De quoi faire de belles noces, au moins. Ça fait lurette que j’ai pas suivi le cours de l’esclave, il faudra que je lui demande quand nous serons à terre si des fois il m’aurait pas un peu entubé pendant la négoce.

Je n’ai plus l’habitude de troquer un service contre autre chose que la vie, ça m’a fait bizarre. Comme l’impression de m’être racheté une conscience après les collatéraux de Jaya, et pourtant c’étaient pas vraiment des gens ceux que j’ai tués là-bas. Pas des gens certes, mais c’étaient les premiers depuis la sortie, depuis Herr Judge et les sous-fifres de Green Wolf, si je compte bien. À part Shri, mais Shri compte aussi peu que les faux-morts bizarres de sa copine... Mafalda ? Mafé... Méphora !

Eh. Si le moyen terme aussi se fait aussi la malle du fond de mon crâne, ça va pas être joyeux.

- Saigneur, où-où voulez-vous accos
- Au plus près des hauteurs. Vise la faille dans la falaise, là-bas.

De toute façon les courants ne nous laissent pas le choix. À défaut de savoir où t’es vraiment, un panorama comme celui offert par le sommet local peut pas faire de mal pour te trouver, hein ? Qu’est-ce que t’étais venue chercher ici ? Y avait quoi pour toi dans ces arbres qu’on m’a vantés déserts et pleins de bestioles pas très courtoises ? Quoi à part les emmerdes que tu y as visiblement trouvées, s’entend.

Visiblement. Mettons « sensiblement ».

J’aime pas trop quand ça me tiraille les veines autour du cœur comme ça, sache-le.

Enfin. Ça compense les élans dans la gambette, il faut voir le côté positif des choses à mon âge.

Voir le côté positif...

- Tu sais nager au fait, Tanha Tonimon ?

Nouveau brouillard qui se dissipe. Je quitte les yeux tristes de Séléna qui, pécheresse, était revenue s’abandonner, pour ceux exorbités du pêcheur abandonné à son destin. À son magnifique destin car il est avec moi et qu’on ne fréquente pas Tahar Tahgel sans un jour s’en vanter dans les journaux. Si l’on survit.

- O-Oui Monsieur, Saigneur.
- Bien... Et les requins, tu en as peur ?
- Oui, Saigneur...
- Ah, dommage, ça. Pourtant il faudra faire avec si on se fracasse sur ces récifs. Enfin je dis ça, c’est surtout si tu veux revoir ta Franci... Francine ? Oui, j’ai bon ? J’ai vraiment bon ?
- C’est ça, Saigneur. Francine Faryn-Supresme jusqu’à l’équinoxe où nous nous
- Où elle prendra ton nom pour qu’ensemble vous convoliez dans les verts prés de l’insouciance qu’emplissent les enfants non-désirés et autres maladies vénériennes, oui oui, je sais. Ma mémoire vit encore, c’est bien.
- Mais j-je ne comprends pas, Saigneur, il n’y a pas de requ

Il comprend mieux quand je me larde la paume avec mon cure-dent. C’est pour l’effet dramatique, je pourrais tout aussi bien juste laisser juter du sang comme ça négligemment mais bon. Le chapelet noir de mes prières amères s’égoutte et la mer se teinte de rouge sombre dans notre sillage. Presque aussitôt un puis deux puis des ailerons s’agitent tout autour de la coque, tandis que nous atteignons l’embouchure qui en fait n’en est pas une. Ici c’est la mer qui se jette dans la terre, curieux pays.

Pourquoi pas une île dans les nuages tant qu’on y est ?

- Dieux miséricordieuuuux, protégez-nouuUUUS !

Tanha crie ses erreurs au vent qui s’en cogne, et nous cogne. Les rochers se rapprochent et je suis désormais certain d’avoir fait le bon choix en rameutant à proximité mes copains transporteurs sous-marins à titre d’assurance-vie. Tahar Tahgel ne mourra pas noyé sans avoir soufflé ses bougies.


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Et sauvé sa fille ?


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À voir.

Pour l’heure, la saison est à d’autres préoccupations. La barque tangue, craque, s’effrite sur, sous et à côté de roches en forme d’anges qui pleurent ou qui sourient, ça dépend desquels on regarde. Même les squales subissent le courant, et je crains qu’ils n’aient plus très envie de nous suivre, fût-ce appâtés par le goût divin de ma chair exquise. Crise de foi chez les poissons, rien ne va plus. Buvez ceci est mon sang, mes couilles.

Les bordages souffrent et bientôt une des virures supérieures se fait carrément la malle. L’eau s’engouffre parce qu’il faut bien ajouter au dramatique de la situation mais ce n’est pas le pire. L’eau salée jusqu’aux chevilles me fait l’effet de bottes en béton, mais ça non plus. C’est à peine si j’ai le temps de jurer que je vais tuer quelqu’un qu’un vol plané nous emporte jusqu’au milieu d’une bassine de tout ça d’encablures de diamètre, au plein milieu de la montagne qu’elle est grande et qui vient de nous avaler tout crus. Pendant la chute jusqu’à la surface noiraude des eaux mortes de l’intérieur de la caverne, je fais coucou aux requins.

Ils s’écrasent sur le nez alors que pas nous, ça doit faire mal. Il paraît qu’ils sont sensibles de cette extrémité.

De notre côté, j’ai perdu Tanha qui s’est effondré les doigts crispés sur sa rame, tendue en l’air comme si c’était le mât du navire. Bien la peine que je l’épargne. Je suis donc désormais tout seul dans ma crasse et c’est fou comme elle est claire. Je viens de remarquer qu’il ne fait pas nuit, voire que la luminosité est chouette en cet instant de catastrophe. Le plafond de roche est tout luisant, presque luminescent. Les arêtes de pierre se découpent en visions d’horreur et je m’apprête à y finir broyé par la montée des eaux.

- Aïe ! Gouge verte ! Damnée bestiole !

Une piqûre dans le cou mais je ne m’y attarde pas, le papillon dont j’ai repeint ma paume vengeresse est déjà rincé par les jets d’eau projetés un peu partout lors de l’amerrissage. Et puis il faut en revenir à nos agneaux divins qui se pressent pour le jour de colère de ce requiem en argh majeurs : je coule, mais je monte.

Après Down Below et le trou noir tourbillonnant qui y abrite une ville, la surprise d’un tel prodige est sensiblement réduite. Il n’empêche que l’absurde de l’endroit est impossible, donc aussi réel que le chaos qui s’imprime en tous les pores de ma peau. Le niveau de la mer, du lac ou de l’étendue d’eau sur laquelle, quel que soit son nom, la fin m’attend, ne cesse d’augmenter alors que bon, c’est fou. C’est fou mais je garde mon calme, il paraît qu’il faut et puis les leçons de Truc-Que-T’as-Pas-Lu me restent encore fraîches en mémoire pour leur part, bien rangées à côté de celles de Alma. Si Petit Tahar m’était encore visible, j’ai le sentiment que je le verrais voltiger quelque part en hauteur, à l’entour des recoins obscurs de cette cheminée d’ombres, qui monte, qui monte. Un ancien volcan qui cracherait la mer après avoir vomi le feu ?

- WohooOOOOOOOOO !

C’est ça.

- OOOOOOOOOOOOOOOOoooouuuuhhhhsalutbeautéonseconnaît,non?

Mon flegme traditionnel dissimule assez mal ma satisfaction à avoir vu juste. Je regarde mes coutures pour vérifier que la galante qui m’observe bouche très bée n’est pas choquée par autre chose que mon arrivée, ce qui nuirait à nos premiers rapports, mais non, tout va bien. Enfin. La barque va mal, mais tout va bien. À travers les planches, des nuages s’effilochent, ce qui je dois bien le dire me chaut pas mal moins que la mer d’avant. Au moins, eux sont humides d’eau pure, et ça c’est frais. J’en profite pour m’extraire de l’épave d’un saut qui lui fait rendre l’âme, après avoir sauvé celle de Tanha qui n’a repris ses esprits que pour les perdre de vertige. Je dois lui concéder qu’on voit beaucoup mieux l’île de Rengoku depuis ce tout là-haut où nous avons atterri et que, après le geyser projéculatoire subi pour y grimper, si je n’avais pas la pierre aussi bien accrochée à la place du cœur, je rendrais probablement mes tripes aussi.

- Pardonnez-la Monsieur, vous luisez et ce n’est pas si commun.

Je, luis ? Ah oui, tiens.

Au commencement était le Verbe. Tahar dit « que la Lumière soit ! », et la Lumière fut.

- Bonjour vieil homme avec des ailes.  Auriez-tu vu ma fille ?


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Blanc.

Blanc comme la neige. Blanc comme la glace. Le froid. Ce froid où je suis, où je survie. Où j’attends patiemment la mort. Mais elle ne vient pas, jamais.
Blanc, toujours blanc.
On me maintient en vie dans cette prison de glace. On me nourrit, m’abreuve, me soigne. Oui, je vie. Mes sens me décrivent inlassablement cette prison de neige. Mes yeux la disent blanche. Mon toucher froide. Mes oreilles silencieuse. Mon odorat propre. Et mon goût… aqueuse.
Oui, dans ce blanc je vie encore. Mon corps vit.
Mais mon esprit veut mourir.

Car mon esprit est plongé dans le noir.

Noir.

Noir des ténèbres, de la souffrance et de la haine. Noir de l’oublie, aussi… Qui suis-je maintenant ? Qui étais-je avant ? Plus rien ne vient, plus rien ne compte. Sauf eux. Eux qui m’ont enfermée là. Eux qui osent venir encore et toujours troubler mon repos pas encore éternel ! Je les hais, tous. Je voudrais qu’ils meurent, tous.
J’aimerai les tuer…
Mais je ne peux pas. Je le sais, j’ai déjà essayé.
Deux fois.

Je voudrais partir, loin. Je voudrais quitter ce Blanc pour du noir. Le noir… Red… Toi qui es ténèbres, ne pourrais tu pas m’y plonger ? De par cette marque dans ma main gauche, ne pourrais-tu pas m’y amener ?
Mais tu es loin et même si je le pouvais je ne te sentirai pas.

Je le sais… Car lui non plus je ne le sens plus.

Rouge.

Le rouge de son sang est gelé par le froid. Je le vois tourner mais ne le sens plus en moi. Mon esprit est trop noir pour ressentir le rouge de l’espoir.
Car de l’espoir, je n’en ai plus. Il ne me reste que la chaleur des cheveux d’Alina, aussi Rouge que les miens. Ce Rouge est mon rayon de soleil dans cet enfer de Blanc et de Noir.
Alina… Elle aussi est piégée dans ce lieu de froid. Elle aussi souffre autant que moi. Et tout cela à cause de moi. Mais je ne peux rien faire pour elle.
J’ai déjà essayé, elle ne m’a pas écoutée.

Et par ma faute, son sang Rouge est régulièrement versé. Tout comme le mien.

Rouge. Noir. Blanc.

Blond.

Un éclair blond. Il va, il vient. Le monstre de cet enfer. Tous les jours, ne se lassant jamais. Et comme chaque jour, le voilà qui arrive, avec son sourire malsain. Le crissement de ses pas sur ce sol neigeux pétrifie mon sang déjà gelé.
Alina, elle aussi, se recroqueville dans un coin, terrorisée par cette entrée.

Et comme un rituel, mes joues deviennent Rouges sous les coups qu’il me porte.
Mon corps devient Noir en dernier acte de défense.

Et lorsque tout se termine, il ne reste que le Blanc. Le Blanc de la neige et des larmes gelées.

Ce Blanc, et le Noir de mon esprit.
Plus rien ne compte, plus rien ne change. L’espoir est parti comme le Rouge du feu s’éteint.
Comme le Rouge du sang vire au Noir en mourant.
Et ici, il n’y a que du Blanc.


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Dernière édition par Izya le Ven 7 Nov 2014 - 13:16, édité 1 fois
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Bleu.

Pastel, le ciel autour de nous, moi et Tanha et tous les autres.

Océan, le lac derrière tout ce beau monde, mer intérieure de cet aéro-port où nous avons échoué.

Pâle, les cheveux de l’ancêtre. Il doit avoir le double de mon âge alors que ça devient dur d’y survivre.


Blanc.

Pur, les nuages autour.

Aveuglant, le soleil vu de plus près.

Respectable, la barbe du vieillard surpris. Votre fille, Monsieur ?


Rouge.

Agité, ces sangs qui les habitent malgré leurs ailes vierges. Parmi lesquels le tien détone, étonne.

Rapide, ce flux dans ce corps si frêle. Gare au cœur, il faut se détendre.

Frisé, ces roux et rousses qui courent.


Blond.

Attentif, ces mèches à l’horizon. Guettez, guettez donc.

Électrique, tes plumes, tes poils de bras, vieil impotent. Ma fille.

Entendu, cet éclat dans ton regard. Oh oui, tu sais, tu saisis. Izya Amnel Tahgel.


Brun.

Poussière, ce sol de terre en suspens dans le temps et dans l’espace.

Ombre, l’angoisse qui s’étend, s’épand, rampe et étreint.

Cuir, tes bottes. « Eloras », voix protectrice, dis-tu ?


Noir.

Et ma voix, l’entendez-vous ?

Ton âme. Elle dépérit. S’effrite, s’efface.

Mon monde. Il se creuse sans ton écho. Il est vide.



Mélange.


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Alina…
Alina, s’il te plait !
Je n’en peux plus Alina… Je n’en peux plus…


NON NON NON ! NE LE DIS PAS ! NE ME LE DEMANDE PAS !

S’il te plait…

Non Izya ! Je ne le ferai pas ! Je…
Je ne peux pas !


Alina… s’il te plait…

J’ai dis Non Izya ! Il y a surement un autre moyen ! Je te le jure, on trouvera un moyen ! Mais ne renonce pas ! Tu ne dois pas renoncer !

Je ne peux plus continuer Alina. Je ne peux plus lutter… Si ça continue, ils finiront par avoir ce qu’ils veulent !
Je ne peux plus lutter Alina… Je n’y arrive plus.
Et je ne veux pas… Je ne veux pas qu’ils aient ce qu’ils veulent…
Je ne veux pas…


Non Izya, pitié, ne pleure pas. On va trouver une solution, hein ! On va en trouver une. Oui. Mais il faut garder espoir… Espoir… On va trouver, je te jure, on sortira.

Tu n’y crois pas toi-même Alina ! Tes larmes te trahissent ! Et tu as raison de ne plus y croire ! Parce qu’il n’y a plus d’espoir ! Aucun ! Je finirai un jour par crever de toute façon alors autant en finir maintenant !

Non arrête ! Ne dis pas ça !

Si ! Je le dis ! Et je te le redemande un fois de plus : Tues moi Alina ! Tues moi et n’hésites pas un seul instant !

Non, Izya, je ne peux pas, je te jure, je ne peux pas.

MAIS TU ATTENDS QUOI AU JUSTE ?! QU’ILS AIENT CE QU’ILS VEULENT ?! JE NE TIENS PLUS ALINA !
Je ne tiens plus.


La prochaine fois qu’il viendra…
Je ne veux pas que cela arrive.
Fais le Alina. Je t’en supplie, fais le…


Un long silence s’installe dans notre chambre froide. Puis, doucement, Alina, le visage toujours larmoyant, se lève et se dirige vers le bord de la pièce. Moi, allongée dans le sol, je ne peux que la voir à travers mon voile de larme se dresser sur une petite butte et tendre le bras vers une des stalactites pendouillant tranquillement au dessus de nous. Sa main frêle et tremblante par la peur et le froid attrape le morceau de glace et le brise de son socle. Je vois cette pauvre ange aux cheveux de feu observer longuement le bout de glace qu’elle empoigne fermement. Un éclair de détermination la fait rapidement avancer vers mon corps blotti dans la neige.
Elle s’agenouille à mon côté. Les deux bras tendus vers le ciel de cette cellule d’une blancheur extrême. Son arme improvisée au creux de ses mains.

Je me tourne sur le dos, et lui lance un dernier regard.
Un dernier sourire.

Merci


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Orange, soleil couchant.

Mon Aura s’étale avec l’angoisse et mon sang. Diffuse à l’abord, elle caresse les chevilles, remonte les jambes, s’épaissit en grimpant les cuisses et les torses. Telle une huile légère comme l’air et malléable comme du coton, elle se déchire sur les ailes dans les dos pour mieux se reformer à hauteur d’épaules et enserrer les cous.

- Moi Eloras Fercroix, Voix de l’Air et gardienne de la Paix sur Stymphale, te somme de cesser cette infamie !

Les blonds m’entourent. Me vient l’hypothèse qu’ici on est ce qu’on naît. Blond, brun, roux, bleu, mon sang m’informe, catégorise, regroupe, recoupe à mesure qu’il pénètre. Ceux-là sont les gardiens du temple ? Soit, je n’ai jamais été un trop grand amoureux des cheveux de paille. Un souvenir d’une blonde abîmée par une bôme me remonte : Heidi ? La réminiscence est de courte durée cette fois, tant mieux. Sous l’impulsion de leur chef, ils passent à l’assaut pour contrer mes tentacules. Piètre tentative, même le double-estoc d’Eloras, chargé de toute sa force presciente de l’ampleur de mes facultés, ne peut retarder l’inévitable. Au contraire même, dans le roulé-boulé où m’entraîne son haki, je relâche plus tôt que voulu ma pression et tout s’effondre.

Certains luttent, d’autres non. Le métal s’oxyde à l’instant dans leurs mains belliqueuses, les os se font si lourds sous leurs muscles et les souffles si froids en leurs gorges. L’éther tout autour prend le poids de la terreur et des nuits noires d’hiver, quand l’astre du jour s’éteint sans que la lune ne le remplace. Mes yeux alors que je me redresse deviennent rouges pours les leurs, tandis que tout, que tout le reste autour devient gris. C’est le gris de la déchéance et du monde perdu, qui s’oublie et qu’on oublie. Il n’y a plus que moi dans leurs illusions, moi centre magnifique et monstrueux de leur univers qui dépérit.

Par la force de mon sang contre le leur, par l’écho de mon impérialité dans leur crâne, ce sont leurs cauchemars les mieux enfouis qui font surface sur le nuage de leur conscience et deviennent réalité. Chute, Ruine, Désolation, Solitude, leurs noms sont légions mais chacun est unique et chacun enferme celui qui le vit dans le néant de sa propre existence. Ils sont à la peine, ceux qui tiennent encore debout devant leur temple en perdition. Hagards et livides, leurs regards sont fixés sur ma majesté. Je brille toujours, mais désormais je brille de mille feux que leurs pupilles ne pouvaient se préparer à absorber.

Entends-moi. Où que tu sois, entends ma voix...

À peine un murmure qu’aucun n’entend, ils sont tous trop occupés à survivre à la déliquescence de leur âme même.

Je suis là, entends-moi. Et réponds-moi...

- RÉPONDS-MOI, IZYA !


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Sam 16 Aoû 2014 - 15:15, édité 1 fois
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Rien.

Le froid gèle toujours mes muscles et le reste de mon corps. Les minutes passent, et rien ne vient.
Puis finalement…

Je… Je suis désolé… Je ne peux pas.

Alina s’effondre sur moi en gros sanglots. Elle sait très bien ce qui m’attend, ce qui nous attend. Mais malgré cela ne peut se résoudre à me tuer, m’achever, me soulager. Je suis triste qu’elle ne l’ait pas fait, mais d’un autre côté, cela ne m’étonne pas. Depuis tout ce temps passé ensemble, je commence à la connaitre, et la Alina que je connais est complètement incapable de prendre la vie de quelqu’un.

Là, allongée dans cet endroit gelé, je contemple un plafond aussi blanc que le reste, éclairé simplement par quelques néons. Il n’y a pas de jour ni de nuit dans cet enfer, juste du Blanc, encore et toujours. Et dans ce Blanc, je ne peux que tenter d’apaiser ma compagne de cellule et caressant doucement sa chevelure rouge tout en fixant le Blanc vide en laissant échapper quelques larmes qui viennent rouler sur mes joues et geler près de mes oreilles.

J’espère qu’il me restera assez de force pour générer mon Haki une fois de plus et continuer d’empêcher l’œuvre du Blond.
J’espère…

De mes maigres forces je relève doucement Alina et passe mes pouces sous ses yeux gonflés de larmes.

Je suis désolé
Je sais, ça ne fait rien. Je tiendrais encore un peu.

Son visage se crispe une nouvelle fois, et ses larmes redoublent.

Chut… ça va aller Alina. Ça va aller. Mais je dois me reposer.

Oui, dormir, un peu. Pouvoir recouvrer un peu de force. Elle hoche la tête et se fait silencieuse. Moi, je ferme les yeux.
Dormir.



AH !
Izya, tout va bien ?!
Je… Je ne sais pas.
Qu’est ce qu’il y a ?

Je regarde ma main, perplexe. La tâche rouge au centre tourne frénétiquement, brillant presque. Il s’est passé quelque chose.
J’ai rêvé de quelque chose.

J’ai fait un rêve…
Encore un où Red venait nous sauver ?
Ce n’était pas Red…
Alors qui ?

Alina connait presque toute ma vie. Des semaines passés enfermées ensemble nous ont permis de nous connaitre sur le bout des doigts. Alors lorsque mon regard se pose une nouvelle fois sur la paume de ma main, elle comprend mais paraît un peu moins surprise que moi.

Tu regrettes surement de n’avoir pas pu le connaitre plus…

Je ne réponds pas.
Ce n’était pas un rêve ordinaire. Il était différent.

D’habitude, quand je rêve de lui, je le vois mystérieux, toujours fier, toujours loin. Et lorsque je m’approche, il me regarde, les yeux vides de tout sentiment, puis disparait.
Là, il me cherchait.
Il m’appelait.

Je fixe toujours ma main, sans vraiment comprendre. J’approche mon autre main de la marque, la touchant délicatement du doigt. Je ressens ses pulsations dans le creux de ma main, au bout de mon doigt.
Je ressens sa présence.

Un bruit de clé me fait sursauter.

Alina me regarde, effrayée.

Serait-ce possible ?

La porte s’ouvre, laissant place à cet ange plus grand et costaud que les autres.

Y aurait-il un espoir ?

Un sourire malsain aux lèvres. « Alors, tu es prête ? »

Non, j’ai renoncé à l’espoir depuis longtemps.

Il commence sa mascarade habituelle, riant de la peur qu’il lit dans mes yeux.

Mais si à tout hasard c’était possible…

Se moquant encore et toujours du silence que je lui oppose.

S’il y avait ne serait ce qu’une petite chance que ce soit vrai…

Avançant d’un pas lourd et décidé vers moi.

Alors je me dois de la tenter.

Il m’attrape et m’immobilise avec force !

TAHAR !


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- Salut Izya.

Trop neutre.

- Salut chérie, tu m’attendais ?

Pas assez.

- Salut ma fille, besoin de moi ?

Trop paternaliste.

- Salut, je te regarde gérer ?

Pas assez.

Les images se défont dans mon dos, les cauchemars se délitent comme autant de constructions sordides. Le fer perd de sa rouille, le noir du ciel se craquèle, se fend, retrouve le goût du jour. Le froid est moins acéré sans pour autant qu’il fasse chaud. La bise devient moins assassine. Les uns émergent, pas tous. Certains s’effondrent parmi ceux qui se maintenaient debout, d’autres non. Une seule, de fait. Eloras Fercroix serre les dents et voudrait s’essuyer les yeux, effacer de sa mémoire ces illusions, ces sentiments si vrais de la fin de son monde. Elle qui s’attache à le défendre envers et contre tout, je la vois lutter pour se remettre en course alors que je suis déjà loin. Sacré brin de femme. Dommage, ce rôle de chef-geôlier.

J’ai connu des palais, des pays de roi, des endroits merveilleux d’histoire et d’allure, de subtilité et de beauté technique. J’ai traversé Saint-Uréa et ses couloirs de complots. J’ai traversé des quartiers généraux peuplés d’enguirlandés tout fiers d’eux-mêmes, tout joyeux de leurs valeurs figées dans le marbre des bureaux. J’ai fréquenté Marie-Joie, le palais du gouvernement mondial et même les antichambres d’amiraux. Mais une geôle, oui, c’est tout ce que je vois, là qui se profile sous mes pas empressés que personne ne peut précéder. Une immense geôle, une belle contrée sans doute mais les nuages prennent des allures de barreaux et la terre se fait noire à son tour en mon cœur. Mais il n’y a personne autour qui répondrait à mon pouvoir par un semblable. Méphora la métayère du Malvoulant est demeurée en son fief du Triangle Florian, et je suis seul artiste ici.

Je le sens, je le sais alors que je fonce vers elle, vers toi qui viens de rejaillir telle une étoile dans la jachère de mes perceptions. Et par contraste, tout s’éteint sauf cette boule de sang là-bas, là-haut, là-derrière. Tout s’est éteint sauf toi.

Et dans cette nuit nouvelle où je te cherche, où je te trouve à chaque pas un peu plus, je ne suis de nouveau plus que le mauvais garçon échappé de sous le matelas du monde, celui qui fraie parmi les monstrueux souvenirs, parmi ses propres souvenirs qui me remontent encore, m’assaillent de toute part. Souvenirs d’allées héroïques, donc, taillées dans le roc même de Red Line ; souvenirs de prisons aussi, de cellules plus ou moins infâmes, plus ou moins obscures. Souvenirs d’inhumanités et, par contraste toujours, souvenirs de joies et de sourires qui percent les ténèbres. Ton sourire, celui que tu avais gamine, coquine, diablesse.

1612, Scarlet Town, deux jours et une nuit sous les palmiers du bord de plage.
1625, sixième dessous, une fille sauve son père et ne l’apprend qu’après.
1625, en mer, un père abandonne sa fille qui ne le sait qu’après.
1625, septième ciel, et quoi ?

Et elle, et toi, et moi.

Je ne suis pas vraiment mieux prêt à te revoir, Izya. Ni à te parler, ni à te dire ce que tu voudrais entendre.

Mais je suis là, je suis bientôt là. Les parenthèses remontées d’antan vont se boucler. J’arrive, je t’arrive.

Mon Aura me précède sans faiblir, m’ouvre grandes les portes et m’autorise tous les accès.

Ma course dure tout ce temps. Des heures, une journée, qu’importe. Personne ne se dresse sur ma route vers toi et moi je ne ralentis pas, je ne ralentis plus. Qui se jetterait en travers d’un cyclone rouge pour le retenir ?

À l’approche de cette prison de froid, mon sang s’épaissit mais ne gèle pas. Comment pourrait-il alors que tu es là ? Il n’a pas gelé dans les profondeurs quand je me suis réveillé, il ne gèlera pas ici alors que tu t’es réveillée.

Là derrière cette porte, là derrière cette grille. Là dans cette cage dont les barreaux se plient en quatre pour satisfaire à mon désir de te revoir. À mon plaisir de te revoir. Sens, ma fille, ma main se pose sur ta crinière.

Retourne-toi, Izya, et vois-moi. Je suis là.

- Salut I...

Neutre, c’est bien.

- zya ?!


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Des ailes blanches, une longue crinière rouge… Ce sang qui t’appelle. Oui, ça aurait pu être Izya, et elle aurait préféré que tu la retrouves, Izya, et pas elle.
Mais lorsque cette fille tourne son visage baigné de larmes vers toi, tu t’en rends bien compte, que ce n’est pas Izya.
Non, cette fille n’est pas ta fille.

Vous…

Elle te regarde, un peu effrayée, puis, soudain, son regard jaune change, comme si elle venait de comprendre.

Pourquoi maintenant ?! Pourquoi ! Elle a tout donné pour se défendre ! Tout donné pour vous attendre !
Et vous n’arrivez que maintenant… !
Si elle ne vous avez pas sentis, elle aurait juste subi, comme à chaque fois. Mais elle serait là au moins ! Et nous aurions pu fuir…
Mais là, alors qu’elle était affaiblie par le froid, par le granit de ces liens, elle a tout donné pour cet espoir que vous lui avez montré !
Et maintenant…
Maintenant !


Ses sanglots reprennent de plus belle, affalée dans la neige, sur des tâches de sang qui ne sont pas encore gelées. Du sang qui n’est pas le sien mais bien celui d’Izya.
Et dans la tête d’Alina, la scène repasse en boucle, toujours la même.
Izya hurlant ce nom… « Tahar ». Son regard de braise s’enflammant comme le jour de leur évasion. Son corps faible rassemblant ses dernières réserves pour repousser l’assaillant.
Son sang giclant dans cet univers glacé. Mais continuant malgré tout l’assaut.
Un combat sans espoir de victoire. Un simple gain de temps. Mais le temps fut trop court et sa conscience comme son souffle l’abandonna.
Et enfin, le cri d’Alina, et l’arrivé de Ruper qui emmena Izya.

Ma faute. Tout ça est ma faute ! J’aurai dû intervenir ! J’aurai dû l’empêcher ! Être plus forte !!!

Elle se morfond, marmonne, se lève, s’énerve. Puis te regarde d’un air accusateur accompagné du doigt qui va avec.

Tu aurais dû la sauver il y a bien longtemps ! Tu n’aurais jamais dû l’abandonner comme tu l’as fait !
Maintenant, elle est peut être déjà morte ! Par ta faute !


Elle s’effondre une nouvelle fois au sol replongeant dans ses sanglots.

Si elle meurt, nous sommes tous perdus… !

Et une fois encore, elle pose ses deux yeux jaunes sur toi. Il n’y a plus d’accusation, plus de colère, juste de la tristesse et de la peur.

Je t’en pris… Pitié !
Sauve-la !


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- Mais... Horf.

La déception fait voler en éclat mon assurance, mon Aura implose et je n’entends plus ni les jérémiades de l’usurpatrice que j’ai confondue avec ma fille, ni les gémissements de toute la population de ce monde si creux. Pas d’Izya, pas d’Izya. Comme un paquet-cadeau vide, ce palais, comme un mur en plein dans mon excitation soudaine à la revoir. J’y ai cru, j’y ai vraiment cru, et maintenant que je ne suis plus si loin mais encore pas tout près, le soufflé retombe. Ma volonté se fait si faible, je m’adosse au mur, m’accroupis pour récupérer ma tête. C’est peut-être le contrecoup de ma débauche de charisme, la chute de tension brutale après l’excès d’adrénaline, ou bien l’altitude tout simplement, peut-être bien le froid de cette prison blanche.

Mais j’ai besoin de souffler. Un peu souffler, tais-toi.

Tais-toi...

- TAIS-TOI DONC !

Je l’ai saisie par un bras que je lui broie mais elle ne fait plus que sangloter déjà, c’étaient mes propres reproches que j’entendais résonner sous mon crâne, pas les siens terminés depuis longtemps déjà. Depuis combien de temps ? Assez pour que la garde se remobilise. Dans les couloirs derrière, dans les cours du palais, les cris des hommes qui se réorganisent pour attendre ma sortie. Mon aura s’est effritée mais pas ma perception. Je les sens, je les situe. Je sais où ils sont, je sais même que te voilà encore, Eloras, je reconnais ta présence au milieu des autres. Tu ne me lâcheras pas plus qu’une tique ? Grand bien te fasse.

Et je ne sens pas que toi.

Debout Tahar, ta fille est encore là, non loin, qui vit encore.

Qui vivote encore... Debout !

- Toi, avec moi.
- Je m’appelle A
- Guide-moi, évite-les.

Saint-Uréa, Marie-Joie, les palais regorgent toujours de passages secondaires, tertiaires ou même secrets. Et vers ce cœur qui bat si faiblement que je l’en ai cru disparu un instant, vers ton cœur ma fille, il y a des chemins de traverse que tu dois m’indiquer, Alina Needle. Je ne veux pas les croiser, je ne veux pas les affronter encore.

Je veux voir Izya.


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Je vois Izya. Elle est là.

Tu es là.

Que fais-tu allongée ?

Que fais-tu les yeux clos alors que je suis là ?

Qui t’a arrangée ainsi ?

Qui ?

Toi ?


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Ce n’est pas la peine de me dévisager ainsi.

Un ton calme, une voix forte et douce à la fois : Rupper Lidd sent. Il sent les choses au fond des âmes, et il sent que tu cherches le responsable.

Je ne suis en rien responsable de son état. Moi, je n’ai fait que superviser.

Voyant ton regard rouge sang, il se reprend très vite.

Le soin. Je n’ai supervisé que le soin. Et si je suis ici c’est pour…

Des bruits de pas et de voix résonnent dans le couloir menant à cette pièce. Notamment une voix féminine plutôt mécontente et en colère.

La protéger d’elle…

Et alors même qu’un bout de chaussure montre sa pointe par la porte, Ruper se tourne rapidement vers Alina.

Tu ne devrais pas rester près de lui. Viens, je veillerai à ce qu’il ne t’arrive rien.

Mais Alina est perdue. Perdue dans ce qu’elle doit croire. En ce moment, la seule chose qu’elle veut, c’est qu’Izya soit en sécurité. Et la seule chose qu’elle est sure de savoir, c’est qu’elle ne le sera jamais auprès de ces anges. Alors elle secoue faiblement la tête, signalant que non, elle ne viendra pas et préfère rester près de toi.
Cette réaction met Ruper mal à l’aise, mais il n’a pas le temps de s’en préoccuper davantage.

RUPER ! Explique-toi ! Que ce passe-t-il… AH ! UN HUMAIN !

La colère sur le visage de Lyana passe rapidement à la peur, puis au dégout. Dans ses yeux, tu peux lire l’incompréhension de ta présence et son profond mépris pour les « sans-ailes ». Oui, elle ne sait pas. Elle ne lit pas dans les gens.
Et elle voit Izya. Par réflexe, elle tend la main vers le lit où elle repose. Mais rien ne se passe. Frustrée, elle se tourne vers Ruper qui la regarde fixement sans cacher sa déception.

ELORAAAS !

Faisant claquer le métal de son armure sur le sol, Eloras arrive, encore tachée du sang de votre affrontement. Son regard bleu perçant se pose sur toi, d’un air mauvais.

Tu es censée défendre ce pays contre ce genre de vermine ! Et tu te dis Voix de l’Air ?! Même pas fichue d’arrêter un simple humain ?! Incapable ! Je suis sûre que Kormor l’aurait fait s’il n’avait pas été retenu par cette trainée !

Lyana pointe un index accusateur vers Izya. Et Alina planquée près de toi tremble au son de ce prénom.
Et Eloras ne manque pas de diriger son regard froid et tueur vers cette mégère qui ose provoquer sa fierté.

Surveille ton langage, Voix du Feu. Si ton Kormor avait préféré défendre sa Chorale plutôt que violer des jeunes filles, on aurait peut être eu nos chances.
Honte à toi ! C’est un homme seul qui… !
IL EST FORT ! Sans doute plus que tu ne le seras jamais ! Nous ne savons rien des Chorales d’en dessous ! De la mer bleue ! Des Humains !
Il a décimé une centaine de mes anges devant moi sans que je ne puisse agir ! C’est pour cela que je requiers l’aide des Voix pour l’arrêter ! Comme nous avons arrêté la demi humaine !


C’est donc pour ça que tu m’as fait venir… Soit.

Un nouvel ange vient d’arriver. Te voici maintenant en présence d’un brun, un bleu, une rouge et une blonde représentant les chefs de cette nation des plus étranges.
Et contrairement aux trois autres, cet ange là reste dans un coin, silencieux. Il t’adresse simplement un coup d’œil rapide et intéresser avant de fermer les yeux et d’attendre sagement que quelque chose commence.

Et si tu y tiens tant, Kormor pourrait se joindre à nous ! Sa force ne serait pas de trop !
Et puis quoi encore ?! C’est le rôle de la Voix de l’Air de protéger cette Chorale il me semble ! Pas de Kormor ! De puis, cette chienne l’a blessé au visage, alors il est aller se faire…
KORMOR EST AUSSI BLOND QUE JE LE SUIS ! IL FAIT PARTI DES DÉFENSEURS…

Tu aurais bien envie de faire avancer les choses, mettre un terme à tout ça. D’autant que les deux femmes nouvellement arrivé ne font qu’augmenter la puissance de leur Voix. Le ton monte, et discrètement, une main se pose sur ton épaule et un murmure se glisse dans ton oreille.

Pourquoi es-tu venu, Tahar Tahgel ? Pour la sauver ? Parce qu’elle est ta fille ? Tu ne t’en ais jamais préoccupée jusqu’à maintenant, tu ignorais même son existence. Et c’était mieux ainsi, non ? Alors pourquoi ne pas continuer à l'ignorer ? Personne ne t’en voudra, personne ne le saura.
Repars Tahgel. C’est une ange, elle n’aurait jamais dû faire partie de votre monde. De ton monde.
Repars Tahgel. Ça vaut mieux pour tout le monde.


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Pourquoi es-tu venu, Tahar Tahgel ? Les mots de ce punk à perruque bleue s’infiltrent sous mon scalp comme ma rouille s’est insinuée sous celui des soldats blondinets plus tôt, une éternité plus tôt. Je reconnais le processus, la voix douce et perfide qui crée son chemin à travers le chaos des autres qui s’avoinent ou s’invitent, regardent et attendent. Le murmure suave qui supplante tous les échos (kormor), tous les cris et toutes les autres émotions. Nul besoin d’être artiste pour être persuasif. Nul besoin d’art pour changer le regard d’autrui.

Pourquoi es-tu venu, oui, toi père de ta fille comme ton père a été ton père ? Mauvais (violer).

Izya est là qui ne me regarde pas, qu’ils regardent tous, mais au fait, pourquoi suis-je là aussi, parmi eux et devant elle ? J’y suis parce que le souffle au cœur de sa souffrance m’a intimé de la rejoindre et qu’après le bain de sang de Jaya le détour était plus que bienvenu, ça je le sais. Mais pourquoi l’ai-je marquée déjà, ce soir-là, pourquoi nous avoir dotés de ce moyen de savoir les périls l’un de l’autre ? Pour me donner bonne conscience alors que je la quittais (violer). À mes yeux, à ceux de Désiré qui me retenait près d’elle. Pour m’éviter d’avoir à lui parler, sans doute, de devoir lui avouer et nous avouer que jamais je ne saurai ni pourrai être, devenir, et encore moins rester le père qu’elle aurait voulu avoir et dont elle n’a plus nul besoin.

Pourquoi suis-je revenu pour toi, Izya ? Que pouvais-je espérer ?

N’est-ce pas mieux que tu sois inconsciente ?

Tu ne sauras, tu ne saurais jamais...

Si je repartais, tu ne saurais jamais (violer).

Repartir ?

C’est vrai, tu n’aurais jamais dû faire partie du monde d’en bas. De mon monde, comme je n’aurais jamais dû faire partie du tien. Et eux, eux ces anges comme toi, ils sont les tiens plus que je ne le serai jamais. Ils sont comme tu aurais toujours dû être. Chez eux, chez toi, chez vous. Ta mère... ta mère a mal jugé, t’a créée sans racines et de ta vie tu ne pourrais qu’être une étrangère parmi les hommes (kormor), une étrangère dont la terre est ici, dans les airs de Stymphale où. Où Violer.

Où Kormor.



- Tout le monde, tu dis ? Sûr.

Un plus un font trois dans ma tête. D’autres mots m’ont atteint que ceux du doucereux à lunettes. Kormor. À artiste, artiste et demi. Je les regarde. Lui, le teinté qui recule soudain. La catin qui piaille encore. Eloras qui a dressé l’oreille, raidi son bras sur sa garde. Alina qui se cache. Le silencieux dans son coin qui aiguise ses dents comme s’il voulait me sauter à la gorge sans en avoir l’air. C’est lui, Kormor ? Non, la rouquine a dit qu’il était ailleurs. Violer. Oui, ça vaudrait mieux, si je repartais. Kormor, Izya, violer. Bien sûr que ça vaudrait mieux. Violer, Kormor, Izya. Pour eux. Izya, violée, Kormor.

Le halo lumineux qui m’entoure toujours faiblit un peu, clignote, toussote comme une ampoule en fin de vie.

Fin de vie...

Tous dans cette salle, nous sommes en fin de vie.

Moi, dont le grand œuvre approche.

Izya, faible comme si elle voulait y rester.

Eux, eux tous qui ont refait monter mon courroux.

- Je vais repartir.

Voilà, je suis enfin éteint. Même les toxines ont peur de mon sang. Les sourcils s’arquent, pour se réhabituer à la luminosité chez certains, en conséquence de la tension qui vient de monter d’un cran chez les plus sensibles d’entre eux.

- Après.


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Une voix…

Je suis bien là, dans ce monde qui n’appartient qu’à moi. Je suis bien… Pas de douleur, pas de froid. Le soleil éblouit mes yeux. Le vent caresse mon visage. La mer me berce de ces vagues…
La paix.
Ici je suis bien. Je ne connais ni la crainte, ni la tristesse, ni rien. Juste du rien. Il n’y a que moi et ces grains de sable qui ne colle même pas ma peau.

Et cette voix.

Cette voix ne vient pas d’ici. Elle trouble cette paix. J’ai envie de l’entendre autant que je m’y refuse. Je ne veux pas quitter cet endroit. Je ne veux pas retourner là où la souffrance et la peur dominent mon corps.
Mais cette voix, je la connais. Et c’est sans doute parce que je la connais que je l’entends. Parce que je l’ai attendue, longtemps. Très longtemps. Et peut être aussi parce qu’elle est une part de moi.

Sa voix.

Le monde qui m’entoure devient flou et la conscience reprend ses droits. Les douleurs reviennent les premières, puis la fatigue, les sons. Des sons de violences. Des cris, des halètements, des voix. Ma tête menace d’exploser sous toutes ces ondes agressant mes tympans. Je me crispe, tente de bouger, de me réveiller.
D’ouvrir les yeux.
La lumière m’éblouit. Je referme mes yeux. Je n’ai rien vu.
Je me force, clignant des paupières, m’obligeant à m’adapter à cette lumière, redressant mon corps, doucement, sur ce lit où je suis et malgré mes entraves de granit toujours présentent.
Une nouvelle voix résonne. Une voix de femme, elle hurle mon nom. Je la reconnais, je sais qui elle est.

Alina…

Un simple murmure.

IZYA ! COURS ! VA T’EN !

Mes yeux voient enfin ce qui se passe. Là, devant moi, les quatre Voix de Stymphale font face ensemble contre un seul… Homme. Oui. Un homme. Un nomme qui n’est pas un ange. Un homme qui ressemble…

Son corps se liquéfie. Un liquide rouge. Puis revient à l’assaut, dans le dos de Lyana.

Un homme qui est…

Malheureusement, l’un des quatre anges écoute mieux que les autres. Surement parce qu’il sent en plus d’écouter. Et sans difficulté, il glisse littéralement jusqu’à moi et me place un couteau sous la gorge.

Arrête le !

Je l’écoute à peine, ne faisait guère attention à sa menace. En d’autre circonstance, j’aurai peut être réagis… Mais plus maintenant. Pas après ce qu’ils m’ont fait. Et puis, le spectacle de Lyana devenant de plus en plus pâle à mesure que son sang se fait aspirer me procure un certain plaisir. Un plaisir primaire. Une envie de vengeance…

Mais mon manque de réaction flagrant face à la menace n’échappe pas à Ruper. Contrarié et devant la vie filante de Lyana, il préfère changer de tactique et se glisser ailleurs.

Moi, un léger sourire commence à apparaitre sur mes lèvres à mesure que Lyana dépérit. Ses jambes flanchent les premières sous le manque de sang, la forçant à mettre genoux à terre. Son regard tombe enfin dans le mien. Je peux lire sa rage dans ses yeux, mais aussi sa peur.
Les autres autours ne peuvent rien contre la suprématie de leur adversaire terrestre. L’heure de cette rousse est venue. Et bientôt, ce sera le tour de Kormor… Oui…

IZYA !

Surprise, je détourne mon regard des yeux de Lyana pour regarder dans la direction de cette voix. Ruper, qui avait disparu de mon regard vient de revenir… Avec Alina, le couteau sous sa gorge.

Dis lui d’arrêter maintenant.

Le ton de Ruper est crispé. Il ne veut pas la tuer, mais le fera sans doute si je n’interviens pas.

Ma petite joie s’efface, laissant place à la colère.
Je n’aurai pas dû me réveiller…

Je regarde Lyana, qui m’observe tout en s’affaissant sur les fesses. Quelques secondes de plus, et son cœur sera atteint. Juste quelques secondes.

IZYA ! ARRÊTE-LE ! TOUT DE SUITE !

Une goutte de sang perle sous la lame du couteau de Ruper. Je regarde Alina, la pauvre ne mérite pas d’être là. Elle ne mérite pas tout ça, toute cette violence. Elle est la seule qui mérite de vivre, ici.
Furieuse de ne rien pouvoir faire, d’être incapable de bouger, de me battre, de la sauver, je redirige mon regard et ma haine vers Lyana qui sourit. Elle a très bien compris.

Des larmes de rage coulent le long de mes joues.

TAHAR !

Si seulement je pouvais la tuer de mes propres mains, lui faire ravaler son sourire sournois.

ARRÊTE ! TAHAR !

Je me jette en avant, dans sa direction. Mais je ne fais que tomber. Tomber à genoux, fixant le sol devant moi. Serrant les points jusqu’à creuser ma chair de mes ongles.

Je ne suis rien.


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Souffrance, souffrance.

Izya, Izya.

La rousse, l’autre rousse qui le devient chaque instant moins. Il y a des anges albinos ? Hinhinhin.

Souffrance.

Ah, les rythmes binaires se font irréguliers. Souffrance.

Se font unaires.

Toum.

Rien.

Toum.

Hauts les cœurs, et qu’ils s’arrêtent, oui !

Surtout le tien avec toute sa suffisance. Ah, que ton fluide est épais ! Épais comme toi...

Izya ! Tu reviens ? Vois, ma fille, vois. Je te venge, j’absous ton monde.

Vois, voix du feu, vois encore un peu. Izya contemple, Izya approuve, Izya...

Izya ?!

Encore toi, satané punk ?! Mrh... J’aurais dû concentrer mon attaque sur toi pour parer ta défense, ah ! Les autres n’auraient pas été si fourbes, sauf elle, exsangue, mais elle elle n’aurait pas été assez forte, pas assez maligne pour que je la laisse approcher ma fille pendant que je m’occupais de toi. J’aurais dû ! AH ! Désolé

- Izya !

Hmf. Je suis le sang du monde et le sang du monde est moi, mais je ne peux pas te protéger toi et la protéger elle et les tuer tous, pas tous en même temps. Désolé Izya, tu es plus importante, n’en déplaise à ce que j’aimerais penser pour que tout soit plus gérable. Viens ma fille, redresse-toi, je te tiens. Viens. Et prends ce sang que je lui ai pris, il est mauvais mais il est vif, j’y mets un peu de moi, un peu plus que tu n’en as déjà. Revis, Izya.

Contre moi, revis. Comme dans les neiges d’Impel Down, revis.

Revis, tu seras vengée. Revis, sois toi-même encore.

Sois entière de nouveau. Revis !

Et vous... C’est ça, éloignez-vous de moi, resserrez-vous entre vous...

Et toi, bleuet...

- Lâche-la, lâche-la ou je vous tue toi et elle indifféremment. Je le ferai.

Izya me détestera mais je t’aurai tué. Tu sais que j’en ai envie pour m’avoir interrompu dans son meurtre à elle, cette garce. Oh, fais la fière toi aussi, ton tour reviendra... Mais tu le sais puisque tu lis si bien dans les gens. Tu le sais hein, punk ? Que je le ferai, oui. Ou plutôt non, ne la lâche pas, tiens. J’ai encore ce goût du sang des autres dans le mien, continue à la tenir si tu y tiens tant, pourquoi ne pas la tenir encore un peu que je te tue, que je vous tue, toi et elle ? Mes excuses, Alina Needle, mais tu n’es rien pour moi et beaucoup de choses seraient résolues si je tuais tout le monde dans ce pal

Oh, finalement tu la lâches ? Regarde, Izya, Alina est sauve comme toi. As-tu vu si Papa négocie bien ?

- Très bien, et maintenant que personne n’est encore mort...

Pas encore, non... Mais ne prends pas espoir, rouquine, tu y passeras. J’ai lu dans tes veines plus tôt que c’était ton destin.

Et toi Izya, ne perds pas espoir car elle y passera. Est-ce que tu le lis dans les miennes ? Est-ce que tu es déjà assez forte pour ça ? Continue de reprendre mes forces, continue. Que le binaire revienne dans ta poitrine, je n’attends que ça.

Toum.

- Et maintenant que personne n’est encore mort, qu’est-ce que vous offrez pour qu’il en reste ainsi ?

Oui, c’est à vous d’offrir, oui...

Toudoum.


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Personne n’est encore mort…

Le temps semble figé, mais la tension dans la pièce est palpable. Mes forces me reviennent à mesure que Tahar me soigne. Mais elles restent bridées. Bridées par ces chaines qui m’empêchent de me transformer, de me cacher sous une autre forme.

Personne n’est encore mort…

Tu te trompes, Tahar, quelqu’un est déjà mort. Mais ce n’est pas de ta faute, à vrai dire, personne ne le sait. Seulement moi. Et sans doute qu’Alina le redoute.
Mais je suis déjà morte Tahar. Oui, mon corps vit, mon cœur bat, mais mon âme, elle, est morte.

Personne n’est encore mort… Pour qu’il en reste ainsi…

Ils ne veulent pas qu’il en reste ainsi, parce qu’ils ne savent pas. Ils ne savent pas qu’ils m’ont déjà tuée. Qu’elle, Lyana, et que lui, Kormor, m’ont déjà achevée. Et que si mon corps vit encore, c’est pour elle, Alina. Juste pour elle et l’espoir que je représente à ses yeux.

Pour qu’il en reste ainsi…

Il n’en restera pas ainsi…

Glissant hors des bras de Tahar, je me relève, droite et assurée.

Depuis le début, c’est ce que vous voulez, ma mort. Mais vous voulez autre chose aussi, et c’est pour ça que je suis encore ici. Vous m’avez torturée, corps et âme, mais j’ai résisté. Pour elle, j’ai résisté.

Je pointe Alina du doigt. Puis pensive, mon regard se perd un instant dans le vide.

Alors je vais vous simplifier la tâche… Oui… Je vais tout simplifier.

Je marque une pause, laissant mon idée m’envahir. Vérifiant le moindre des détails à ma portée. Oui, je sais à présent ce que je dois faire, ce qu’il doit être fait.
Alina, je suis désolée, mais je te laisserai finir seule ce que nous avons commencé.

J’irai chercher votre pierre, je vous laisserai même me tuer si ça vous chante ! Mais avant cela… Avant que je ne quitte cette pièce, ELLE doit mourir !

Voix ferme et imposante, regard de braise et tueur. Oui, Elle, Lyana Saty, doit mourir. Tel est ma première condition. Et sous le pointage de mon index, le visage de cette rousse pali un instant sous le doute de ces collègues qu’elle sait qu’ils ne la porte pas forcement dans leur cœur… Que choisiront-ils ? Ils ne la sacrifieraient tout de même pas, si ?
Mais avant qu’elle ne puisse défendre sa vie, j’impose mes autres conditions.

Ainsi que K… Son mari.

Un frisson me parcourt l’échine en pensant à lui. Oui, il doit mourir, de ma main ou d’une autre, je m’en moque, il doit juste disparaitre de ce monde.

Et Alina deviendra la nouvelle voix du feu.

Ainsi, elle aura plus de facilité à faire ce qu’elle souhaite sans moi.

Je crois malheureusement que nous devons refuser…
Ah oui ? Et pourquoi ?

Une intervention aussi surprenante qu’inattendu. Tous les regards se tournent vers Régulus Monss, attendant la suite de ses pensés.

Non, sérieusement, Eloras, Ruper ? Vous pensez vraiment refuser cette offre sans y réfléchir ?

Lyana blêmit, à mon plus grand plaisir.

Elle fait partie des notres…
...
Eloras ! Dis quelque chose ! Défends moi !

De long cheveux bruns viennent s’enrouler autours de la bouche de Lyana, tel un bâillon.

Régulus… Tu ne devrais pas…
Quoi ? Dois-je vous rappeler que depuis sa montée en chant, notre peuple est de plus en plus divisé ? Les anges ont peurs d’elle, rien de plus ! Et la peur n’a rien à faire dans notre Chorale !
Elle a été élue…
Par la peur ! Réfléchis ! Réfléchis juste cinq petites minutes, penses tu réellement que nous serions dans une pareille situation sans elle ?! Ta proposition était la bonne ! Mais parce qu’elle a insisté, nous en sommes là ! A cause d’elle !
Mais soit, si vous êtes trop con et borné pour comprendre, vous avez cas vous démerder.
Eloras, je suis venu ici à ta demande, j’ai combattu pour et avec toi, en vain, maintenant, ne compte plus sur moi. Je refuse de crever pour de pareille stupidité.


Brusquement, les cheveux bruns tirent Lyana au point de l’envoyer directement dans la poitrine de Ruper. Et avant qu’elle n’est pu se remettre de ce vol plané, Régulus a déjà tourné les talon en direction de la porte. Mais Lyana n’en reste pas là.

TU N’ES QU’UN TRAITRE REGULUS ! UN SALE TRAITRE A TA VOIX ! TU NE MERITES QUE D’ETRE ENFERMER AVEC TOUS LES AUTRES. TU…

La lame de Nimbe, le meitou d’Eloras, vient faire taire les jérémiades de Lyana par la froideur de son tranchant sur la gorge de la rouquine en furie.

Tais-toi maintenant. Ou je risque de rejoindre son avis.

Sentant le poids de la menace, la voix du feu préfère se taire tout en serrant les dents. Puis Eloras pose son regard sévère sur Ruper.

Propose lui ton idée.

La fameuse idée dont parlait le brun… Ruper, fatigué de la tournure des événements, pose son regard sur moi.

Je comprends tes conditions mais nous ne pouvons y accéder.
Et pourquoi ça ?
Parce que je préfère l’optique de ton père. Restons sans mort.

« Restons sans mort. » Qu’il dit, Ha ! Je ne peux m’empêcher de me remémorer toutes ces semaines passé dans l’enfer de la souffrance, tout cela parce que, justement, ils voulaient ma mort après que j’ai récupéré leur pierre à la con.
Alors je ne peux m’empêcher de rire. Un rire fort, gras, jaune.

HA HAHAHAHAHAHA

Pour ensuite prendre un ton des plus sérieux et agressif.

Tu plaisantes, hein ?! Tout ce temps passé à me torturer pour me faire désirer la mort, et voilà que j’aurai le droit de vivre ?! N’essaye pas de me faire avaler n’importe quoi Ruper !
Ce n’est pas une blague. Et nous avons eu tort d’agir ain…
NON NON NON ! ELLE DOIT MOURIR !
LA FERME ! Lyana. Juste… Tais toi.

Les yeux de Lyana se remplissent à nouveau d’incompréhension, de rage mais aussi de peur.

Bref. Les choses ont changé à présent et je doute que ton père te laisse mourir ici sans tous nous massacrer derrière. Alors voilà ce que je te propose.
Une simple opération. Une simple opération qui assurera l’arrêt de ta lignée, de la lignée Amnell. Tu seras la dernière. La dernière à posséder ce pouvoir qui vous rend si particulière au sein de notre Chorale.
Apporte nous la pierre, accepte cette opération et tu seras libre, Izya. Vous pourrez repartir d’ici tous les deux, en vie.


Repartir, hein. Repartir…

Kormor doit mourir…

Oui. Plus que repartir, je veux que lui, Kormor, meure.

Je te laisse y réfléchir, Izya. Prends ton temps. Prends tout le temps qu’il te faut. En attendant, Alina restera avec moi.
Quoi ?! N…
Quelqu’un va venir pour vous conduire dans une chambre qui sera votre le temps que tu te décides.
Alina !
Eloras, Lyana, sortons maintenant.
Izya, ne t’inquiète pas, ça ira !

Alina…


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Marché de dupes.

Quelqu’un avec une conscience dirait ça. Peut-être. On ne se dit les vérités qu’entre personnes sympathiques et ni moi pour eux ni eux pour moi ne rentrons vraiment dans la catégorie. En tout cas, moi je ne le dis pas.

Ils sortent tous les quatre dans l’ordre de leurs priorités pour la vie. Brun faussement désintéressé qui jette un dernier regard en arrière l’air de rien, les cheveux bien lisses et à l’affût. Bleu précautionneux, rouge en sursis. Blond qui s’attarde. C’est bien, les codes d’honneur. Ça fait un peu vieux jeu mais on se perd moins en fourberies diverses. Pas que ça la rende sympathique, mais. Tous les cinq, la petite sort avec eux aussi, mais après seulement qu’est rentré le page à peine pubère mis à notre service et les deux armoires à glace là pour le protéger.

Mais marché de dupes.

J’ai commencé à me calmer quand ils ont recommencé à s’engueuler tous les quatre. J’ai été saisi d’une grave tristesse qui m’a un peu abattu, aussi, en parallèle de cette satisfaction à les voir se diviser, à grappiller un peu de compréhension sur ce qu’il se passe ici et sur les raisons des tourments d’Izya. Izya. C’est son ton à elle qui a fait vibrer quelque chose en moi, quelque chose de très profondément enfoui. Conscient mais très lointain, que je croyais avoir laissé dans les décombres d’Impel Down peut-être. Ou dans ceux de ma personnalité.

Elle redescend un peu de l’intensité avec laquelle elle s’est forcée à leur parler en dépit de tout. Je la regarde. Son œil de braise m’évite soigneusement et le mien d’abîme empêche le garçon d’entamer sa mission.

- Il faudra trouver Tanha Tonimon et veiller à ce qu’il soit aussi bien traité que nous.

L’angelet a l’expression aussi vide que son escorte, vide de ceux qui n’entendent rien.

- Un peu gras, bête comme toi... L’humain qui a débarqué avec moi.

Je crois qu’il ne comprend toujours pas mais il fait un signe à l’un de ses gardes du corps après un temps d’hésitation. Je n’ai pas l’air décidé à le tuer, peut-être qu’un seul protecteur suffira. Ou peut-être que ça ne changera pas grand-chose, plutôt... Le blond baraqué s’en va. C’est lui Kormor ? Nah, Izya aurait hurlé. Celui qui est resté non plus.

Izya a réagi quand j’ai parlé. À peine haussé un sourcil, pas tourné son regard vers moi, mais réagi. C’est un début, pas sûr que ce soit celui qu’elle attendait. Je ne sais pas quoi dire et je ne pense pas qu’elle sache mieux que moi. Ce que je devrais dire, ce qu’elle pourrait dire. L’instant est complexe, même l’empathie me le dit. C’est un brouillard que j’ai dans mon champ de perception, la même brume qui s’élève sur un champ de bataille après l’assaut quand on compte les morts et les blessés. Le chirurgien passe et dit ceux qu’il croit pouvoir sauver, ce qu’on devrait achever parce que c’est moins inhumain.

Je ne suis pas très bon chirurgien. Si je peux la sauver ce n’est que physiquement, et c’est inhumain parce que mentalement je ne peux rien, mais je vais le faire quand même. En mémoire de ce moment trop éphémère où j’ai cru l’avoir trouvée alors que ce n’était pas elle, où j’étais joyeux. Pour cet instant de cristal déjà brisé contre les murs de la réalité, et dans l’espoir qu’il se reproduira. Peut-être que c’est pour ça, que c’est ça qu’un père peut faire. Sans doute pas, je n’ai pas lu le guide.

Le guide, le vrai, quand il a enfin compris que le silence n’irait qu’en s’épaississant, nous emmène. Beau flou fumant. Le palais de Stymphale n’est qu’une succession de vallons aux coteaux à peine découverts par la brouillasse. La belle cage bien dorée, bien ouvragée, dans laquelle nous laisse le petit bonhomme me laisse également froid. Lits, tables, fauteuils, les objets passent mais mes yeux ne les voient pas. Je n’ai pas l’envie d’admirer l’endroit que je vais ravager. Marché de dupes.

- Tu prends la pierre machin, tu la leur mets où elle ira bien comme leur opération, et ils passent à la caisse ?

Silence. Elle a pris le même teint diaphane que celui de sa mère dans mes souvenirs de cette chambre où on était montés. Ça, je le vois. Les rais de lumière déchirés par les vitraux des fenêtres passent dans ses iris mais ne se reflètent nulle part, et semblent la traverser en même temps que disparaître en elle. Ectoplasme et trou noir tout à la fois.

- Et Kormor meurt, et elle aussi.

Toujours silence. Éclairage de chapelle, ambiance de cimetière, contexte à se pendre devant toutes les richesses du monde, peu m’importe la raison : elle se découpe, unique, dans la brume et je la vois comme je ne l’ai jamais vue avant. Quand elle était une simple diablesse entêtée, quand elle est devenue ma fille alors que je sortais des ténèbres, quand je l’ai quittée parce que j’avais honte de ne pas savoir quoi faire, quand je l’ai revue tout à l’heure sans encore bien savoir pourquoi, jamais je n’ai vu à quel point ma fille était belle. Pas belle désirable, belle magnifique, unique et pourtant commune à mon sang, à mes chairs et à ce que je suis.

- Izya ?

Mais l’ironie de la vie ne s’est jamais arrêtée de sévir pour servir mes épiphanies, et celle-ci s’accompagne du pire des sentiments de gâchis. Lui dire maintenant n’aurait aucun sens de toute façon, et puis surtout il est trop tard et je le sais bien. À jamais trop tard. La splendeur qu’elle a revêtue est celle des beautés brisées.


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Je… ne sais pas.

Une fois de plus, je détourne le regard. Fuyant son questionnement.

Avant Stymphale, je n’avais peur que de la honte que je puisse lui inspirer. De n’être pas assez forte pour être sa fille, pour qu’il m’accepte. Qu’il m’aime…
Mais maintenant, je n’ai plus peur de cela. Non. Car j’ai honte de moi, j’ai honte de mon corps souillé, de n’avoir pu me défendre, de n’avoir pu lutter pour ma fierté. Alors je sais que c’est ainsi, et je le comprends.
Je ne peux que l’endurer. Endurer cette réalité que d’avoir tout perdu. L’envie de plaire, de satisfaire. De vivre. Je ne veux plus de tout cela.

Alors non, je ne sais pas ce que je dois faire. Je ne sais pas si je dois accepter, ou si je dois lutter. Cela fait bien trop longtemps déjà que je ne lutte plus pour moi. Que je lutte pour elle, Alina.

C’est peut être pour cela qu’ils me l’ont prise. Pour qu’elle ne puisse plus me guider, me dire ce qu’elle désire. Ce qui serait le mieux pour elle et ses semblables.

Je cherche un coin de la pièce. Un coin neutre, sans objet ou meuble de bois à proximité avec vu sur la porte d’entrée. Puis je m’y installe, je m’assoie entre ces murs et blottie mes jambes dans mes bras toujours liés, le regard dans le vide de la porte fermée.

Je ne sais pas ce que je dois faire.

Accepter ? Refuser ? Me battre ? Au bout du compte, le résultat sera le même. Je finirai par mourir seule, et sans doute que seule Alina me pleurera. Peut être que toi aussi, tu seras triste. Ou simplement déçu. Déçu comme tu dois l’être maintenant. Oui, ta fille est une idiote. Une faible idiote. Pas fichue de se débrouiller seule.
Et en plus de cela, elle n’a plus aucune fierté. Elle a réussit à la perdre, bêtement, contre les bêtes qu’ils sont. Contre la bête qu’il est.

Je ne sais pas ce que je dois faire… Mais je veux juste.

Des larmes perlent à mes yeux en repensant à lui, Kormor, et toutes ces fois où il est venu. Ces moments sont gravés dans ma mémoire, traumatisme indélébile.

Qu’il souffre, qu’il paye. Qu’il implore la mort autant que je l’ai implorée ! Il abandonne toute sa fierté et qu’enfin il crève en chien galeux qu’il est.

La haine remplit mes yeux et ma tête. La haine de cet homme, de son sourire et de son plaisir à me faire souffrir. Je le hais, lui qui m’a tout pris.
Si seulement je n’avais pas ces menottes…

Je tire un peu sur mes poignets, n’essayant que vaguement de les enlever. Mais comme chacune de mes tentatives, cela est inutile.

Et puis, à bien y réfléchir, les menottes ne changent rien. J’ai perdu plus d’une fois sur ces terres. J’ai compris la leçon.
Il n’y a pas d’échappatoire. Pas pour moi.


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