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In Between

Le camp s’agite et fourmille de monde. Le nombre de personne est pourtant relativement restreint, par mesure de sécurité. Les trois tentes montées remuent aux passages des quelques gens présents. L’un va quand l’autre vient, passant à côté du feu qui crépite doucement sur ses rondins de bois. Ce dernier danse comme une femme de Jaya, et lèche ce qui le nourrit avec une avidité qui rappelle à la rouquine la passion des pirates qu’elle a côtoyé ces dernières semaines. Le regard perdu dans les flammes qui la tiennent conscientes, la jeune femme lâche un long soupir en laissant aller ses pensées de-ci de-là sans vraiment pouvoir les attraper. Sa tête tambourine et parfois son cœur se serre brutalement. Elle ne relève les yeux que pour saluer vaguement une personne qu’elle connait… Wallace qui ne fait que philosopher sur de la psychologie, Serena qui se remet de ses blessures, les fraichement débarquer du nouveau sous-marin…

Oswald…

Son cœur se serre à nouveau quand le Commodore sort de sa tente avec Wallace sur ses talons. Il ignore le feu pour disparaitre dans une autre tente, animant une conversation particulièrement prenante, sans même lui jeter un coup d’œil. Elle entend les voix porter, venir jusqu’à elle, déclamer des choses dont elle se fout. Jaya est au centre de toutes les discussions ici, il n’y en a que pour elle : Jaya encore, Jaya toujours, Jaya et les plans à mettre en place pour épargner le plus de monde, selon les demandes de Wallace, Jaya pour accomplir cette mission si spéciale, selon la demande des hauts-gradés qui se tournent les pouces à Marie Joie,… Bref, Jaya. Maintenant qu’elle n’est plus sur le terrain, la seule présence qui lui semble réconfortante est celle de Rachel. Mais cette dernière est partie récupérer une cargaison avec Craig pour nourrir le camp ici, et Lilou a bien l’impression d’être seule.
Elle déglutit péniblement en refaisant le compte sur ses doigts de toutes les personnes présentes ici et qu’elle connait. Rachel, absente. Serena, convalescente. Smile et Oliver, portés disparus. Jeska, absente. Wallace, occupé. Oswald,…

Oswald.

De nouveau, elle ne sait quoi penser. Elle sent qu’elle a tellement de choses sur le bord des lèvres qu’elle ravale sans cesse. Et sans le vouloir, elle fait le compte de toutes les idées qui touchent de près ou de loin à Oswald qui lui ont traversé l’esprit ces dernières semaines. Les quelques aventures qu’ils ont mené ensemble, les rencontres qu’ils ont faites, les gens qu’ils ont formé en se gratifiant d’un sourire satisfait à chaque fois.
Ses poings se serrent alors qu’elle efface encore une fois une pensée qui lui traverse brutalement la tête. Une pensée sur Oswald, à nouveau, et une pointe qui perce dans ses tripes si soudainement qu’elle en a la nausée. Depuis combien de temps le connait-elle ? Elle a perdu le compte avec tous ces jours à le côtoyer. Mais du coup, maintenant, elle ne sait plus où elle en est. Surtout, là, alors qu’elle aurait besoin d’un peu d’air, de faire quelque chose de ses dix doigts, d’arrêter de tourner en rond dans une cage comme une tigresse aux aguets, d’avoir Oswald pour la soutenir, lui qui est tellement occupé que même pas il ne daigne lui lancer un regard.

Et donc, dans tout ça, Lilou, elle en a sa claque de Jaya ! Elle serait même prête à se lever pour aller faire ravaler sa réputation à Flist Gonz, là ! Comme ça ! Sur un coup de tête ! Alors en effet, elle se lève brutalement et fait volte-face. D’un pas décidé et conquérant, elle se dirige vers la tente ou Oswald et Wallace discutent avec tant d’ardeur. Elle soulève la toile et se plante devant des hommes si importants qu’ils ont une tente dédiée à ces conneries sans noms et qui se tournent vers elle pour la regarder.

Commodore, quand vous aurez un moment, je voudrais vous parler…

Wallace lui lance un regard aussi surpris que fâché. Ne voit-elle pas qu’ils sont occupés ? Si, elle le voit. Mais elle s’en cogne tellement fort contre le mur de l’indifférence qu’elle préfère même insister :

En privé.

Elle a l’air et la voix ferme. L’attitude étrange. Mais soit, que peut-on y faire ? Elle tourne simplement les talons et s’enfonce dans l’orée de la jungle, vers un endroit qui lui semblera assez intime sur le moment, quand Oswald se décidera à venir.
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-Euh… eh bien…

La lueur de deux lanternes accrochées au toit de la tente. L'air emboucané par le cigare de Mavim, par la cigarette que j'écrase sur un coin de la table massive où est étendue une carte de l'île. Dans la pénombre, Karl raccroche avec empressement l'escargophone d'une Ketsuno qui s'endiablait juste alors dans la mise au point d'un plan d'attaque. Du haut de sa silhouette penchée, Wallace retient un de ces soupirs dont il a le secret. Dans un coin de la tente, Simbad, l'homme-poisson de l'Hypérion, me jette le même regard pragmatique et sévère que son supérieur.

Lilou dérange, elle le sait, et il y a un truc qui ne lui plait pas ici. Je la connais depuis un moment pour savoir son caractère bouillant et à l'épreuve du plus décoré des amiraux, aucun problème à s'immiscer dans un conseil de guerre. Elle y aurait probablement eu sa place, en plus, mais Jaya a ses effets sur chacun d'entre nous, Wallace et moi sommes les premiers à pouvoir en témoigner. D'ailleurs, les lacérations sur ses bras commencent déjà à guérir, c'est un bon signe.

L'arrivée de l'Hypérion en est un aussi. Avec ces troupes supplémentaires et l'arrivée de Rachel, la partie va changer de main, les Storms pourront enfin frapper comme ils savent le faire.

Enfin les pirates de Flist pourront comprendre ce que signifie la méthode Jenkins, aussi irréfléchie soit-elle.

Je jette un regard sur l'énorme flèche rouge que j'ai tracé sur la carte et qui traverse l'entièreté des quartiers de Flist, signe de l'offensive générale que je planifiais. Avec les hommes de l'Hypérion campant déjà dans la crique où le sous-marin a accosté, avec la puissance de feu du Léviathan, la conquête de l'île pourrait se faire au plus tôt. Et le bientôt deviendrait inévitable lorsque Flist réaliserait l'embargo que j'ai forcé sur l'île, ou encore qui est derrière la mise hors d'état de Noir dans l'Âme.

Mes yeux glauques se posent ensuite avec appréhension vers les autres membres du conseil. Le regard des hypériens est sévère, celui de Karl est mal assuré et Wallace, lui, sait très bien que je la suivrai de toute façon.

-Je…

Je vais bien, ces temps-ci, je crois. Depuis ma crise, depuis notre victoire sur la plage, depuis que j'ai retrouvé un semblant de statu quo avec Dark, depuis que j'ai pu parler avec Hijiro, puis Craig...

Depuis que j'ai réalisé que, finalement, Jaya n'est peut-être pas le chaos que je désespérais à affronter.

-Je… je crois que je vais la suivre…

J'ose un sourire, peut-être un peu trop candide au goût de Mavim qui grommelle un commentaire inaudible.

-Je serai de retour dès que possible.

Je quitte la tente, sans un regard pour les officiers, puis je m'esquive vers le boisé d'où je perçois le pas léger de la rouquine qui disparait loin dans l'épaisse nuit de la jungle.

Lilou.

Ces derniers temps, elle m'est complètement sortie de la tête. Piégé entre mon anxiété envahissante, mes devoirs de capitaine et mes tiraillements avec Dark, j'ai laissé glisser son image hors de mon esprit. Au fond, j'ai fais comme j'ai toujours eu à agir avec elle, je l'ai laissé marcher vers ce à quoi elle s'est destiné. La retenir ne servirait à rien. Lui ordonner de ne pas en faire à sa tête serait pire. Même si c'est par peur qu'elle se blesse, qu'elle se fasse tuer, je préfèrerais la garder près, je ne peux réellement m'imposer à elle, même si je lui criais mille fois qu'elle vaut trop pour moi, ou encore si je lui disais que je ne peux me permettre de perdre un autre être qui m'est cher. Sur Alabasta, je l'ai laissé à elle-même, lui faisant confiance pour ne pas mourir. Ici, j'ai fais pareil. Toutefois, ici, elle m'est sorti de la tête.

Lilou.

Pourtant, chaque fois que le mal reprend ses droits sur mon corps, c'est son visage qui me vient à l'esprit. Son sourire si rassurant. Son sourire.

Son sourire.

Cet éclair qui me fait croire invincible, inébranlable, incassable. Combien de jours depuis que je l'ai aperçu? Combien de jours depuis que nos chemins se sont séparés de vue et d'esprit? Combien de jours depuis qu'elle s'est imbibée de la fange de Jaya? Combien de soleils et de lunes depuis que j'ai commencé à me morfondre en l'oubliant petit à petit, dans cette jungle oppressante?

Je ne sais plus, et ça a quelque chose d'effrayant.

"Laisse tomber, t'étais occupé, elle aussi, rien de mal."
-Mais d'habitude, même quand je la laisse aller, je pense à elle…
"Elle t'a dit que tu ferais un bon capitaine, non? Alors concentre toi là-dessus!"

C'est bien vrai, elle me l'a dit, une nuit, près des côtes d'Alabasta. Lorsque nous appréhendions tous deux la mort de Salem. Je revois ses yeux brillants, son sourire confiant, le vent du désert se prenant dans ses boucles rousses…

"Bon sang c'que t'abuses dans les descriptions…"
-Être un bon capitaine, c'est aussi savoir faire la part des choses entre ses amis et son commandement…

Et jusqu'à maintenant, il faut bien avouer qu'il y a place à l'amélioration.

Une petite clairière, un étang, des hautes fougères, des arbres au feuillage dense et une souche. Une souche couverte de mousse et de champignons, mais une souche où elle est assise, le regard parcourant l'onde à peine troublée par quelques insectes. Je m'approche, incertain. À bien y penser, son ton était brusque, lorsqu'elle a fait irruption dans la tente. Que couve-t-elle? Peu importe, cette fois, c'est à moi de m'assoir et d'écouter, c'est à moi de comprendre et de réconforter. C'est ce que Salem aurait fait, c'est ce que je ferai désormais.

Oswald Jenkins n'est plus celui qu'il faut réconforter. Double Face sait régler ses problèmes seul.

-Tu… voulais me parler? En privé?

Je m'assois à côté d'elle sur la souche, le regard interrogateur. Loin derrière, on entend l'écho du campement, le crépitement des feux. Ici, il n'y a presque rien, seulement l'obscurité d'une nuit presque noire et la lumière glauque de mes yeux. Ici, il n'y a qu'elle et moi, pour une fois et depuis très longtemps.
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L’endroit où elle s’arrête finalement ne ressemble pas à un coin, surtout parce qu’il n’y a à pas de pièce. Et l’intimité y est toute relative, compte tenu du fait qu’elle se trouve dans une jungle, en compagnie de dizaine de bestioles qui partagent entre elles leurs avis sur la nuit en cours. Lilou s’installe sur la souche d’un arbre et attend patiemment l’arrivée d’Oswald. Patience également relative, puisque son pied s’agite sur la terre humide et qu’elle joue avec ses doigts pour passer le temps. Heureusement peut-être, l’homme se pointe assez rapidement. Elle ne relève que le nez vers lui pour constater sa présence, sa stature toujours aussi massive qui se durcit dans sa tenue d’officier, remarquant malgré elle que les derniers combats qu’il a donné ont eu de quoi lui offrir un peu plus de charisme et d’assurance. Lorsqu’il s’assoit à côté d’elle, en lui demandant ce qu’elle veut, elle hume de lui une odeur de cigare et de tabac qui lui prend au nez, devenu aujourd’hui le parfum caractéristique d’Oswald Jenkins. La cigarette lui rappelle indéniablement la présence de Salem, un peu comme une aura planant au-dessus d’eux. Ça ne lui arrache pourtant pas un sourire, parce qu’elle se renfrogne un peu plus et détourne même le regard.

Son pied n’arrête pas de battre le rythme et aucun mot ne sort de ses lèvres. Elle, qui avait tant d’assurance en pénétrant dans la tente tantôt, se retrouve les mains vides et désarmée devant Oswald qui semble attendre après elle. Un soupir lui échappe lorsqu’elle se rend compte qu’elle lui fait perdre son temps, qu’elle a l’impression de le détourner de choses tellement plus importantes pour des bêtises d’adolescente. En fait, elle n’est même pas sûre de pourquoi elle se trouve ici avec lui, elle ne sait pas ce qu’elle doit lui dire, tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle sent une colère s’insinuer dans ses tripes, et une colère qui est le résultat de ses propres actions. Elle n’est même pas sûre de savoir contre quoi elle rage intérieurement, mais il ne faut pas longtemps pour qu’elle s’extériorise avec une violence et une brutalité toute singulière…
Lilou se relève brutalement et envoie son pied rencontrer un caillou sur le sol. L’objet vole sur quelques mètres avant de ricocher dans la boue et de s’y enfoncer finalement. Et lorsqu’elle se retourne, c’est pour offrir à Oswald un regard aussi perdu que noir. Et c’est fou ce que ça peut la foutre en rogne !

C’est quoi ces conneries, hein ?!

La déclaration, quant à elle, sort avec une assurance et un aplomb qui fait froid dans le dos. Elle serre même les poings en regardant le Commodore qui semble ne pas comprendre un traitre mot de ce qu’elle vient de dire. De quoi parle-t-elle ? Elle-même n’en a aucune idée. Elle ne sait même pas à qui elle s’adresse… A lui, ou à elle ? Et comme prise dans un cercle vicieux, elle s’énerve d’autant plus de ne pas être capable d’en placer une, de s’exprimer comme il faut. Elle se rend compte que son agressivité vient de nulle part, qu’elle est juste furieuse de quelque chose à l’intérieur sans pouvoir mettre des mots dessus, et ça la fait rager de savoir qu’elle s’apprête à passer ses nerfs sur un type qui n’a rien demandé d’elle depuis au moins deux mois.

Et elle le regarde, en attendant une réponse, alors que le pauvre ne sait absolument pas de quoi elle parle ni où elle veut en venir ! Puis d’ailleurs, elle non plus. Mais du coup, comme elle a lancé la mode, elle cherche désormais à se raccrocher aux branches…

T’as l’intention de nous faire tuer ou t’en as juste rien à foutre de nous ?!

Elle aurait pu cogner, elle a choisi le tranchant des mots. La voix tremblante et les poings tellement serrés que ses ongles s’enfoncent dans sa peau et lui entaillent la chair. Les sourcils froncés, et les yeux qui foudroient plus qu’ils ne fixent. Et de sa position, elle semble dominer. C’est pour ça qu’Oswald se lève à son tour, avec le regard qui transpire l’incompréhension, de celui qui pige pas un pet de ce qu’elle bave, ni de pourquoi, soudainement, elle éclate de colère. Parce que maintenant, elle se met à faire les cent pas devant lui, en rugissant comme une lionne qu’on aurait trop titillé dans sa cage :

Comment ça se passe, derrière tes grands conseils de guerre ? Tu prends en compte qu’on est dans la merde jusqu’au cou avant d’nous sortir tes plans foireux ?! T’en as quelque chose à foutre de ça au fait ou ça t’passe totalement au-dessus ?!!

Et toutes ces conneries débitées à la tronçonneuse, elles sortent toutes seules. A la chaine, comme ça. Genre, elle trouve absolument rien de mieux à lui dire, parce qu’elle en a absolument rien à balancer de ce putain de plan de guerre, elle s’en fout comme de la première raclée qu’elle s’est prise par Yumen. Mais voilà, elle cause de ça alors qu’elle voudrait causer d’autre chose, et le regard paumé d’Oswald la perturbe assez pour qu’elle tente une nouvelle attaque sans y parvenir :

Tu…

Parce que sur le moment, elle perd totalement ses mots. Son poing se lève et se serre, comme si elle voulait le coller sur quelque chose. Pas sur Oswald non. Mais ça en donne l’air. Et du même coup, on peut voir l’air frétiller autour d’elle, signe que son haki suit le pas de ses sentiments, et qu’il renforce l’armure de rancœur qu’elle se forge depuis des années.

Tu m’énerves tellement derrière tes nouveaux grands airs de bonhomme qui a la situation sous contrôle ! La situation, elle est pourrie, y’a aucun contrôle !

Mais les faits sont là. Elle est en rogne. Et c’est Oswald qui la met dans cet état. Ce sont les regards incrédules des autres dans la tente, incrédules et tellement supérieurs, qui disent qu’on n’a pas le temps pour des problèmes de gonzesses en manque d’attention. Lilou emmerde ces types-là, parce qu’elle est énervée et qu’elle a plutôt envie de leurs coller son pied au derrière. Alors qu’elle rumine toujours, marchant de droite à gauche puis de gauche à droite devant le Commodore toujours aussi coi, elle se stoppe, se plante devant lui et le désigne du doigt. Et ce doigt, elle le plante sur son torse pour attirer complètement son attention, pour le montrer, lui, et toute sa nouvelle grandeur.

Et même plus on a droit à ta considération maintenant ? C’est fini ça ? Faut avoir perdu une jambe ou… ou la vie pour qu’tu daignes t’en soucier ?!

Elle hausse les épaules, et grogne un bon coup :

J’me suis tirée plus de deux mois pour sortir Serena de la merde ou on l’a mise, on a plus d’nouvelles de Smile et Oliver, Jeska est encore dans ce bordel sans nom, et toi tu tires des plans sur la comète qui vont nous envoyer à la potence ! T’es même pas foutu d’te tenir au courant ! Faut que j’vienne te sortir de tes putains de conseils de guerre avec cette bande d’éclopés pour que tu fasses semblant qu’ça a un intérêt et pouvoir te causer ! T’es devenu qui ?! Monsieur Connard d’Ike Basara ?!!

Non. Rien de tout ça. Mais Lilou trouve juste des mots qu’elle aligne comme des phrases pour faire mal. Parce qu’elle veut lui faire mal, autant qu’Oswald lui en a fait. Même s’il n’a rien fait. Justement parce qu’il n’a rien fait. Et en réalité, elle est encore plus en colère pour ce qu’elle ressent à l’intérieur et qui la ronge. Un peu comme une sale bestiole qui a la rage et qui lui grignote et lui griffe violemment les entrailles.

TU ME FOUS HORS DE MOI, JENKINS.
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-W…wow… Euh… je…

J'ai les yeux ronds comme deux soleils, percuté par les tirades cinglantes de Lilou. Je la fixe, l'air de ne rien comprendre, alors qu'elle termine de s'égosiller. Un instant, je cherche à faire de l'ordre dans l'avalanche de ses reproches, ne sachant vers qu'elle émotion pencher, puis je cherche dans ses yeux si c'est une mauvaise blague qu'elle me fait.

Non. Elle est parfaitement sérieuse. La haine brûle au fond de ses pupilles.

Une haine que je connais bien, pour en être imbibé depuis tant d'années déjà. Qui se nourrit de colère et prend racine dans les mauvais souvenirs et les traumatismes. Ce n'est pas un secret que Lilou l'a eu dure, mais il y a bien plus derrière son regard ambré et chargé d'éclairs. Ça ne s'est pas passé comme elle a voulu, ça ne se passe toujours pas comme elle veut. Elle a fait des choses qu'elle n'a pas apprécié, comme on en fait tous dans ce foutu métier. Elle sait que l'on a déjà perdu des hommes, et pas des moindres, mais des bleus, néanmoins. Et autant j'ai regretté la mort de certains hommes sur Drum et Alabasta, autant je n'arrive pas à mettre Queen, Smile ou Jeska ailleurs que dans la longue liste de ceux dont on peut disposer sans regret.

Est-ce que c'est ça? Devenir vraiment capitaine? Quand le devoir prend trop d'espace au détriment des sentiments?

Non, ça ne peut pas être ça. Personne ne meurt sous l'étendard du Contre-amiral Fenyang.

Alors j'en suis un mauvais? Et je dois rester planté là à l'écouter me dire mes quatre vérités comme si ça pouvait sincèrement changer quoi que ce soit à la situation? Je baisse les yeux et je saisi lentement son doigt braqué sur mon torse. Je l'écarte, l'agacement dans les yeux, puis je me lève à mon tour pour planter mon regard dans le sien. Ses yeux ambrés, qui, même dans la colère, fascinent et hypnotisent de par leur singularité.

Je soupire. Puis je ne peux retenir son légendaire tic à elle, ce qui caractérisait habituellement son agacement typique.

-Nt.

Ça fait du bien, je crois, de me fâcher aussi. Ça fait du bien, pour une fois, je crois, de ne pas simplement avoir l'air de l'agneau égaré ou alors du chevalier servant, avec elle. C'est presque un vent de liberté qui me souffle au cœur quand j'inspire pour lui souffler avec dépit au visage:

-Et tu penses que ça change quoi, que tu m'engueules comme ça? Est-ce que ça a déjà changé quelque chose d'engueuler qui que ce soit?

Silence. Grillons et criquets.

Mon ton s'est avéré aussi froid et tranchant que l'acier de mon fruit du démon. Aussi impitoyable que ma lame. Aussi sec que le désert de Nanohana.

-Je suis au courant, j'ai envoyé de mes meilleurs éléments dans un bourbier inimaginable. Je suis au courant, Flist risque d'apprendre notre présence dans les prochains jours. Je suis au courant, je n'ai pas pu me pencher sur chaque membre de l'équipage pour souffler sur chaque bobo, ou pour panser chaque putain de plaie.

Bon, ça y est, le juron est sorti. Le pire, c'est que j'ai haussé le ton en le prononçant. Ça en aurait effrayé plus d'un, mais pas elle. Jamais elle. Elle est trop forte, trop coriace, pour être effrayée par une vulgaire intimidation. D'ailleurs, l'air se remet à crépiter autour de nous. Ses yeux me déchirent en mille miettes. Sa crinière ondoie dans la pénombre sous le poids de sa volonté qui s'étend, toutes griffes dehors.

-Cependant, je sais aussi que les gens que j'ai envoyé sur Jaya avaient confiance en ce qu'ils faisaient, avaient confiance en moi et en l'équipage. Ils se sont battus pour les Storms, comme n'importe quel autre être vivant sur le Léviathan le ferait! Et je sais aussi que le jour où Flist apprendra qu'on est sur son île, c'est parce que l'on viendra tout juste de raser l'auberge dans laquelle il se terre avec toutes les batteries du navire!

Et si je n'ai pas dit bonjour exactement à chaque foutu membre du Léviathan et de l'Hypérion en une soirée, cloîtré au beau milieu de cette jungle DE MERDE, c'est parce que, malheureusement, quand on est à la tête de plus de 1500 hommes, ON DOIT SAVOIR DIRIGER LA PUTAIN DE BARQUE À TRAVERS LE BROUILLARD!

ET D'AILLEURS, JE PENSAIS QUE C'ÉTAIT TON BOULOT À TOI DE COLMATER LES BRÈCHES DE LA BARQUE! PAS D'EN OUVRIR DE SUPPLÉMENTAIRES LORSQU'UNE TEMPÊTE S'ANNONCE À L'HORIZON!


Ses yeux se sont écarquillés. De surprise peut-être, j'ai crié fort tout de même. Dans la nuit, les insectes se sont tus, des oiseaux nocturnes se sont envolés, peut-être même qu'au camp de base, les tâches ont cessé un moment à la surprise générale des hommes d'entendre un cri si tard à travers la canopée.

Ma tempête à moi, elle est passée, en tout cas. Je souffle un coup, puis cherche une étincelle de compréhension dans le regard de la rouquine. Ça y est, je l'ai probablement prise à rebrousse-poil. Après l'orage, la culpabilité, qu'ils disent…

-Euh… bon… excuse-moi… c'est peut-être pas c'que j'voulais dire…
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Y’a un silence de plomb qui tombe alors qu’Oswald présente des excuses gênées et piteuses. Et Lilou le regarde sans broncher, restant de marbre, ou tout du moins, retrouvant ce teint blafard et dur dont elle a le secret pour se retrancher derrière ses barricades. Sa poitrine se relève et se baisse au rythme d’une respiration agitée, faisant apparaitre des côtes et des clavicules sèches sur une peau moite. Elle ne sait même plus à quoi ça mène, tout ça. Elle ne sait toujours pas pourquoi elle s’est mise en colère, et pourquoi elle a tenté de faire mal à Oswald. La rouquine s’en fout, de tout ça. Elle s’en balance tellement qu’elle pourrait lui dire. Elle hésite, même. Mais elle reste tellement bête face à ces dernières déclarations qu’elle ne sait plus par quel bout le prendre. Et finalement, même les excuses confuses d’Oswald n’y peuvent rien. Car s’il tente d’éteindre l’incendie qu’elle a elle-même allumé, la jeune femme sent qu’au fond, elle a un brasier qui brule et qui n’entend pas faire autre chose.

T’embarrasses pas, c’est exactement ce que tu voulais dire, rétorque-t-elle d’un ton froid et incisif.

Les excuses, elle n’y croit plus depuis longtemps. Est-ce que ça change vraiment les choses ? Elle se souvient de ces paroles, sur le pont du Léviathan, cette nuit-là, avec lui à Alabasta. Elle se souvient de ce moment intime, dans leur bulle, protégés de tout et surtout du pire. Ou elle avait promis le plus sincèrement du monde qu’elle les protégerait. Mais là, elle en a sa claque de ça. Comment protéger une barque qui fonce dans un récif, avec un capitaine et une seconde qui se regardent dans le blanc des yeux en s’insultant mutuellement ? Et dans tout ça, elle en a perdu le fil de sa pensée. Elle ne sait pas comment introduire ce qu’elle voulait, elle n’est même plus sûre d’en avoir le courage…

T’as voulu frapper pour faire mal. T’as réussi.

Car après tout, elle était devenue cette peureuse incertaine qui hésitait sans arrêt sur la direction à prendre. Et lui, ce chef autoritaire et renfermé qui l’ignorait et avait l’air de s’en porter que mieux. Elle était partagée désormais entre une colère froide qui cognait toujours contre ses côtes, et une tristesse amère qui lui laissait un gout de rouille dans la bouche, semblable à la saveur du sang. Fascinée et inquiète à la fois de l’Oswald qu’elle a devant elle, gagnant en assurance et en prestige à mesure qu’il se défait d’elle, qu’il la met à l’écart, et qui part sur des sentiers dont il ne pourrait pas revenir. Soucieuse aussi de devoir désormais se rester toute seule s’il ne retrouve pas la route vers elle, ou si elle ne se decide pas à avancer.
Sa gorge se serre et marque son cou maigri, ses traits se tirent d’eux-mêmes alors qu’elle baisse simplement les yeux. Honteuse peut-être, furieuse sûrement, mais qui n’osent plus attaquer. Parce que si elle devait répondre, elle laisserait parler les poings maintenant. Et ça, elle ne veut pas. Elle ne peut pas.

Félicitations.

Mais l’ironie et le sarcasme, elle connait. Mieux que personne. Alors lorsqu’elle relève un regard foudroyant vers l’homme qui lui fait face, c’est pour lui rendre un faux sourire dont elle a le secret, et pour applaudir, lassée.

Y’a au moins quelque chose où tu es bon.

Mais il ne peut pas remporter toutes les coupes dans cette catégorie, elle a aussi sa part de mérite. Une fois le pic lâché et planté où il faut, elle tourne simplement les talons et croise les bras sur sa poitrine. Merde. Voilà : Merde. C’est tout ce qu’elle peut ajouter. Les lèvres pincées, qui ne veulent rien lâcher, et qui pourtant s’y obligent :

Je n’aurais pas dut, désolée Commodore. Je ne vous parlerais plus jamais de cette manière.

Et la distance de vouvoiement tombe comme une chape de plomb sur leurs épaules respectives. Elle a l’impression de dresser les lances et de remonter le pont-levis, lui qui avait réussi à approcher la muraille.

Ce n’était pas ce que je voulais vous dire, mais ça n’a plus d’importance désormais. Vous pouvez y retourner si ça vous chante.
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-Hé… Lilou…?

C'est d'abord un questionnement, puis ça se répète avec un peu plus d'inquiétude.

-Lilou? Lilou!

Là c'est une plainte. Une supplique qui crie "au secours" dans un langage que seul les cœurs savent décoder. Cela dit, les seuls cœurs présents dans cette forêt viennent tout juste de s'entredéchirer sans aucune pitié, ne laissant qu'un gâchis affectif joncher les ruines d'une relation pourtant si profonde.

-Lilou! Écoute! Attends! Je m'excuse! Arrête! On va s'expliquer!

Malgré ça, elle quitte la clairière petit à petit, écartant des fougères avec nonchalance en s'enfonçant dans la jungle, vers la direction opposée au camp. Et cette simple démarche a pour effet de morceler mon calme avec l'efficacité d'une boule de destruction. Elle me quitte. Après tous ces efforts, après toutes ces tentatives, après toutes ces heures à penser à elle, à vouloir la protéger, la rendre joyeuse, elle s'en va.

Comme ça. Sans un regard.

En un seul post, j'ai réussi à détruire ce que j'ai mis tant de mois à construire.

Cette fois, c'est pratiquement un cri de détresse qui quitte ma gorge.

-LILOU! Allez quoi! S'il-te-plaît!

Je marche à sa poursuite, mais je n'ai pas fait un pas hors de la clairière que déjà je pique du nez, le pied enchevêtré dans une racine. Mon visage s'imprime dans la boue du sol forestier, couvert de saletés et de terre, je me relève déjà pour la suivre de mon mieux. À chaque pas qu'elle fait loin de moi, j'ai l'impression que c'est un nerf, un organe ou un souvenir qu'on m'arrache de force. À chaque pas, je vois le sol, la végétation et le ciel se vaporiser ou s'écrouler autour d'elle, le pont nous reliant s'égrainant à vitesse grand V. J'ai parlé avec la colère de Dark, il s'est niché un instant dans mon esprit et ma gorge pour attaquer, pour blesser. Désormais, c'est avec le cœur dans l'œsophage que je la poursuis, pathétique insecte courant inlassablement vers une lumière qui lui échappe.

Elle a peut-être raison, au fond, j'ai réussi à briser un autre rêve. Toutefois, cette fois, c'est le mien qui y est passé.

-QU'EST-CE QUE TU VEUX QUE JE FASSE, MOI?! HEIN? TU SAIS QUE JE SUIS NUL DANS CES TRUCS LÀ!

Cette fois j'ai hurlé. Le désespoir a parlé pour moi, s'immisçant à la peur et la détresse qui m'envahissaient déjà. J'ai hurlé à en faire trembler les troncs des arbres et à en faire frémir les pierres. Si fort qu'un moment, c'est l'ombre du Mal qui a fait vibrer ma voix. On a même l'impression que, soudain, il fait plus sombre dans la forêt. Un cri, non, un grondement, l'exaspération du démon qui filtre un instant.

Et elle s'est arrêtée.

Haletant, couvert de sueur, plus sale qu'un porc dans la boue, je manque trébucher à nouveau avant de reprendre pied. Elle m'écoute, c'est le moment où jamais.

-Tu sais que je suis horrible avec les mots! Regarde moi!

Je lève les bras, offrant mon corps en croix, à la manière d'un martyr attendant son ultime supplice. Comme un cadeau des dieux, elle se retourne un peu, juste assez pour me regarder d'un regard dédaigneux, du coin de l'œil.

-ÇA! C'est tout ce que j'ai! Une tronche à faire pleurer des enfants, la capacité d'écraser une armée sans le moindre scrupule, et une double personnalité qui massacrerait sans vergogne la veuve et l'orphelin! Cherche pas plus loin, y'a rien d'autre, et tu le sais!
C'est tout ce que j'ai à offrir, tout ce que j'ai pour survivre dans ce monde de brutes! Ça et toi.

Toi. La seule personne sur qui je compte depuis longtemps déjà, la seule que je me suis promis de ne jamais laisser tomber entre les crocs de n'importe quel roi des mers!


Toi. Elle. Celle qui, dès Drum, dès le premier instant où j'avais besoin d'une oreille, d'une épaule, s'est agenouillée près de moi. Celle qui a toujours su trouver les mots pour remédier à mon Mal. Celle dont les paroles étouffent le feu de Dark, celle pour qui ma loyauté et mon courage sont indéfectibles. Ma raison. Mon pourquoi. J'ai travaillé si longtemps et durement pour Elle. Pour que son regard se pose sur moi avec affection, franchise. Même avec mes grossières mains de tueur, j'ai réussi à effleurer la soie sans la briser.

Mais j'aurais pas droit à un peu d'ambition? Pas le droit de chercher à gagner cette guerre pour de bon? Pas le droit de m'assurer que les Storms restent soudés? Je sais pas quoi te dire, Lilou… Toute ma vie, la seule chose que j'ai fait, c'est mettre des efforts pour devenir quelqu'un de meilleur… Je peux pas me permettre de recommencer au bas de l'échelle…
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Elle prend le temps de l’écouter, pour essayer de voir si ça peut sauver quelque chose. Maintenant qu’ils ont gâché ensemble, généreusement, allègrement, ce qu’ils avaient de plus beaux ici-bas, elle attend pour voir si y’a peut-être quelque chose à sauver. Et à regarder Oswald du coin de l’œil, en essayant de rester aussi froide et neutre que possible, elle sent son cœur se serrer brutalement dans sa poitrine, et manquer quelques battements. Elle coupe parfois sa respiration pour essayer de canaliser cette envie violente qui lui brûle les lèvres. Et quand enfin il s’arrête et qu’elle en a assez entendu, la seule chose qu’elle se sent de dire, elle le lui envoie en pleine tête :

T’ES VRAIMENT TROP CON !

Et elle fait volte-face, pour se planter à nouveau devant lui, avec les mains qui s’agitent et qui parlent à sa place, l’air révolté qu’on lui connait bien :

Tu comprends rien à rien !

Et elle se rapproche d’un pas pour toiser l’homme. Les sourcils froncés, les yeux plissés et les dents serrées. Elle l’a écouté tout du long sans avoir rien dit, et elle ne sait pas ce qui la révolte le plus : ce qu’il a eu à lui répondre, ou alors le fait qu’il ne devine absolument pas où elle veut en venir ? Parce que ça l’a fout en rogne de devoir s’expliquer encore, de devoir lui dire ce qu’elle s’apprête à lui lâcher comme une seconde tornade en plein dans la tête. Mais lancée pour lancée, elle y va franco, vomissant ses paroles avec une voix tremblante de colère :

J’ai envie de te frapper quand t’es comme ça ! J’en ai rien à battre de ce que tu fais, même si j’pense que c’est un plan foireux et qu’on va tous y passer ! Le fait est que je m’en balance ! Je sais même pas pourquoi j’ai commencé là-dessus ! J’avais juste envie de te faire mal parce que tu m’avais foutue en rogne et je sais même plus pourquoi j’étais en rogne sur le moment ! Mais si t’as envie de mettre cette île à feu et à sang, FAIS-LE, je m’en tape ! Si t’as envie d’être quelqu’un aux yeux de tous ces connards, VA-Y ! Fais-toi plaisir ! Si c’est SI important que ça ! J’t’en prie !

Elle écarte les bras, comme pour lui laisser la place pour un trône. Elle est partagée entre plusieurs sentiments contradictoires… Parce qu’elle le comprend. Bien entendu qu’elle le comprend, elle sait ce que ça fait de vouloir simplement exister aux yeux des gens qui font exprès de ne pas voir. Combien de fois elle avait essayé avec Yumen, puis plus récemment avec son propre père ? Même avec Tahar ou Salem, quand elle y pense ! A devoir être parfaite et intelligente, et cultivée, maligne,… Sauf qu’au fond, qu’est-ce qu’elle y avait gagné ? De la souffrance à la pelle, parce que quand ces gens sont sortis de sa vie, elle en a perdu une partie de son identité. Et qu’elle lutte inlassablement désormais pour garder la seule personne qui la définisse encore en tant que Lilou. La seule qu’elle pensait qui ne l’abandonnerait jamais. Parce qu’il était aussi abîme qu’elle et qu’ils s’étaient trouvés sûrement pour ça… Mais que contrairement à elle, il arrivait à s’en remettre. Et elle l’admire autant qu’elle le hait pour être ce type-là.
Pour être plus que seulement Oswald Jenkins.

J’ai très bien compris que toi, t’arrivais à aller de l’avant et que j’étais qu’un boulet à tes chevilles maintenant ! Que t’as devant toi un océan de possibilité que je fais que retarder le moment où tu deviendras ce fameux quelqu’un qu’tu désires tant être ! Mais si être quelqu’un, c’est t’envoyer te faire tuer, désolée mais je ne veux pas être complice de ça ! Je ne peux pas ! Je n’en ai juste pas envie parce que je t’aim-

Elle se stoppe brutalement. Ravalant à moitié le dernier mot qu’elle allait lui balancer dans la figure, manquant de s’étouffer avec… Réalisant son emportement et ce qu’elle était sur le point de lui dire. Ses yeux s’écarquillent et elle tente bien de reprendre la chose là où elle l’a laissé quelques secondes plus tôt à peine… Mais rien ne lui vient pour rattraper cette bêtise et le lot d’ennuis qui accompagneront forcément la suite… A la place, elle croise simplement les bras sur sa poitrine, se renfrogne comme à son habitude et baisse les yeux.

Laisse tomber…
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Laisser tomber?

Deux verbes qui, mariés l'un à l'autre, forment un amer cocktail de pessimisme et de non-dits. Peu importe le sens, qu'il soit propre ou figuré, cette phrase n'augure que l'abandon et le retrait. Est-ce que c'est vraiment ce que tu veux tirer de tout ça, Lilou? Un piteux "Laisse tomber"? Non. Plus jamais. Moi je n'ai pas laissé tomber. Pas même après six ans de torture au fond d'une cellule à me ronger de l'intérieur. Pas même après le trépas de Salem. Toi non plus d'ailleurs. Et si je réfléchie avec autant d'aplomb, autant de dynamisme, c'est parce que mon cœur vient de rater un, deux, voire dix battements.

J'ai entendu. Oui, je l'ai entendu. Autant à l'époque j'ai considéré ces paroles comme fantaisies ou même comme rêve inaccessible, autant maintenant j'ai peine à y croire. Si bien qu'à l'instant, je suis déchiré entre une joie incommensurable et une incrédulité qui me laisse complètement paralysé devant Lilou.

Et finalement, ce sont mes yeux qui s'embrouillent lorsque des larmes de joie y affluent sans même que je ne puisse me contrôler.

-Hé…

Mon doigt vient cueillir son menton que je relève pour trouver un air à la fois boudeur et appréhensif. Rassure-toi Lilou, c'est bien vrai que je sais être le plus bête des idiots. Rassure-toi Lilou, beaucoup ont essayé, moi-même je m'y suis pris, mais personne, sincèrement personne, ne réussira jamais à se débarrasser de Double Face. Rassure-toi Lilou, jamais tu n'as été un boulet à ma cheville, tu as toujours été les ailes qui m'ont propulsé plus haut. Mais surtout, rassure-toi Lilou, jamais avant je n'ai autant eu l'impression d'être quelqu'un que maintenant.

-Je suis assez fort pour marcher avec un boulet attaché à la cheville, non? Si je vais de l'avant, tu viens avec moi. Et puis…

Je revois Treyga Hijiro, assis sur la plage, qui me met en garde contre cette ambition. Il avait raison, ce sale géant… C'est bien vrai, à quoi bon? À quoi bon toutes ces médailles? À quoi bon avoir sa tête en première page du Mondial? À quoi bon toute ces choses lorsque ma tête, je peux l'avoir dans le reflet de ses yeux? Dans le creux de ses pensées? À travers le monde, ils penseront toujours que je suis un monstre, ils ne voient que l'extérieur. Ici, c'est comme si mon enveloppe charnelle n'était plus, que je ne compte plus que comme un être fait d'émotions et de qualité. Ici, avec Lilou, je suis vrai.

Je lui fais un sourire radieux qu'elle n'ose pas me rendre. Malgré moi, quelques larmes s'échappent de mes yeux et cascadent contre mes joues. Si elle savait… Elle doit savoir en fait… Peu importe. Des mois déjà. Peut-être des années. Je ne sais plus. Depuis trop longtemps qu'elle occupe mes pensées, si bien qu'elle s'y est trouvée une place de choix. Si bien que plus jamais je ne laisserai qui que ce soit la blesser, la peiner. Je serai son charpentier à elle, celui qui devra colmater les brèches du rempart de sa volonté. Se défendre? Pour ça, elle est loin d'avoir besoin de mon aide. Tout ce qu'elle a besoin, c'est d'une raison d'exister.

Et c'est fascinant à quel point on peut se ressembler sur ce point.

L'air autour s'électrise, la jungle cesse d'exister, notre dispute de plus tôt s'évapore à la même vitesse qu'elle a éclaté. Il n'y a que ses yeux, qui tentent un moment d'esquiver mon regard brillant, puis qui finissent par s'y lier, incapables de fuir plus longtemps. Je me penche légèrement, tandis que les sons de la jungle se suspendent dans l'expectative du moment.

-…Depuis quand on est du genre à laisser tomber, tous les deux?

C'est comme un éclair qui te foudroie l'esprit, puis une douce vague de chaleur qui se répand de tes joues jusqu'au reste de ton cœur. Ensuite, les autres sens embarquent à leur tour. Il y a son odeur, à la fois douce et musquée, influencée par la température de l'île et ses ressentes aventures. Il y aussi la douceur impérieuse de ses lèvres et un goût d'alcool qu'on ne pourrait qu'en ces rares moments apprécier. Puis il y a l'orchestre de la nuit qui s'imprime à jamais comme symbolique à ce moment, ainsi qu'un fugace clair de lune réussissant enfin à percer les feuillages épais.

Jungle. Paroles. Promesses. Regards.

Regards.

Il y a ses yeux. Toujours ses yeux. Deux perles d'ambre à protéger pour que jamais elles ne s'imbibent de larmes.

Ça, c'est un trésor qui vaut bien plus que toutes les médailles qu'on pourra m'offrir.
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Bien sûr, sur le moment, elle aurait cent fois préféré qu’il abandonne. Comme elle, qui baisse les bras à la moindre trouille, qui préfère rebrousser chemin au moindre obstacle. Avec le moral miné et l’inquiétude qui lui tient les tripes depuis qu’ils sont tous sur Jaya, elle ne se sent même pas le courage d’essayer de plaider sa cause, de se faire comprendre. Tout ce qu’elle veut, c’est sonner la retraite et que tout s’arrête là, surtout depuis le moment où elle a failli lui dire ces mots qu’elle a ravalé en regrettant. Pas parce qu’elle ne les pense pas. Maintenant qu’elle a réussi à les poser, elle se rend compte de tous les poids qu’ils ont, de ce qu’ils représentent, et de ô combien ils sont loin de la vérité. Mais parce que… Qu’est-ce que ça va donner ? Comment ça va évoluer ? Qu’est-ce qu’ils vont bien pouvoir en faire de ça ?

Alors elle est là, à douter même d’une quelconque réciprocité. Parce que tout commence par ça. Elle se dit d’abord qu’elle a sans doute eu des espoirs trop grands par rapport à ce que c’est, qu’il a autre chose à penser ou qu’il n’est simplement pas intéressé. Que du même coup, la bête à l’intérieur qui la dévore n’a fait que s’agiter et lui pourrir la vie ces derniers jours pour qu’elle se rende compte de sentiments qu’elle ne pourra pas faire vivre ou assumer. Qu’importe l’issue ou les décisions.

Elle s’en veut désormais. Enormément, avec l’envie de se coller des baffes en se trouvant stupide. De s’enfermer dans une grotte pour ne plus jamais en sortir. De s’interdire d’éprouver ou de ressentir quoique ce soit pour une autre personne. Pourquoi a-t-elle mis tant de temps à se rendre compte ? Qu’Oswald est, et de loin, le seul qui reste dans le paysage, le seul qui ne bouge pas, qui ne peut pas bouger, qui reste et qu’importe la tempête ? Qu’avec lui, elle retrouvait une forme de sérénité, qui s’est transformé dernièrement en de l’angoisse, puis de la peine parfois ?

Parce qu’elle n’y connait rien. Parce qu’elle est aussi habile avec ses propres sentiments qu’Oswald avec les mots, qu’un singe avec un bazooka ; et elle se trouve désormais tellement bête de s’être à ce point laissé aller, à lui dire de but en blanc tout ça, que l’emportement ait gagné à ce point du terrain et qu’elle ait failli, et pas seulement failli, se livrer à lui toute entière et sans réfléchir. C’est à ce moment qu’elle prend conscience du poids des mots comme des sentiments, qu’elle n’ignore plus et qu’elle considère, mais qu’elle rêve de fuir. Et à quel point elle reste faible, cachée derrière son haki, sa colère et ses armures. Elle a une pensée pour Tahar et pour toutes ces choses qu'il a tenté de lui expliquer. Elle sent le crépitement sur sa poitrine qui la renvoie à lui.

Faible.

Juste faible.

Et qu’elle souhaite prendre les jambes à son cou parce que c’est tellement plus simple, pour lui, pour elle, pour les autres. Sauf qu’Oswald l’en empêche et à partir du moment où il l’embrasse, elle ne peut plus faire machine arrière et lui non plus. Et elle le sait, malgré l’esprit embrumé et le palpitant qui s’agite, malgré ce contact qui se prolonge et auquel elle s’accroche. Ses mains passent autour de la nuque d’Oswald pour lui permettre de le maintenir encore, de se coller ensuite contre lui, pour donner une autre intensité à ce qu’il se passe entre eux.

Et quand ils se séparent, la jeune femme reste contre lui, son nez frôlant le sien, les yeux fermés. Lorsqu’elle les rouvre, c’est pour les plonger dans ceux de l’Homme en face d’elle et d’enfin réaliser ce qui vient de se passer. Elle a un mouvement de recul, sans vraiment savoir où elle pourrait aller, et pour finalement se rendre compte que ses jambes ne la portent pas si bien que ça. Il y a un silence de plomb avant qu’elle ne trouve quelque chose à lui dire :

Et… Et après ?

Elle demande ça avec une certaine appréhension. Parce qu’elle craint encore la suite, le ça, là, de ce qui pourrait advenir.
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Après.

C'est vrai que jamais je n'avais réellement réfléchie à l'après. Qu'est-ce que c'est, l'après, de toute façon? Y a-t-il simplement une façon de définir efficacement ce terme? D'expliquer en quelques mots un truc qui peut s'étendre sur des années? Il y a bien le classique "Ils vécurent heureux…". Cependant, nous savons tous deux qu'il n'y aura pas de ça dans nos vies. Les vies sont faites de pleurs, de sourires, de cris de colère ou de désespoir, d'amour, mais ne sont pas simplement heureuses. Ce serait trop facile, et l'un comme l'autre nous nous sommes conditionnés à ne pas vivre facilement.

Alors quoi? Après? Même le plus aiguisé des devins ne saurait le voir dans le sang du plus divin des agneaux! C'est peut-être ce qu'il y a de plus grisant dans toute cette histoire, l'imprévisibilité de cet avenir commun. Commun? C'est bien de ce seul adjectif que j'arrive à caractériser le futur. On ne sait pas ce que nous réserve le brouillard de l'avenir, tout ce qu'on peut savoir, c'est que nous venons de prendre un sérieux virage dans cette purée de poids. Un virage qui nous mène vers l'inconnu. L'inconnu qui ne peut sincèrement effrayer deux aventuriers comme nous. N'est-ce pas? Nous avons trop souvent débattu avec ce vieux copain pour ne pas savoir s'en démêler. Nous sommes deux volontés trop braves et puissantes pour être brisées, un alliage inébranlable et indéfectible.

Alors quoi? Après! Après. Après… Dans cette bulle qui nous englobe, il n'y a ni avant, ni maintenant, ni après, il n'y a que deux pairs d'yeux qui se détaillent comme si elles venaient de découvrir l'existence de l'autre. Où est l'erreur dans tout ça? Je ne saurais le dire, ne saurai probablement jamais le dire. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a une façon professionnelle d'aborder tout ça. Un scénario dans lequel il n'y a que l'ingénieure chef Jacob et le commodore Jenkins. Un scénario de regards et de rencontres secrètes, de clins d'œil et de paroles soufflées à l'emportée. Il y a aussi le scénario où du commodore Jenkins il ne reste plus qu'un manteau rangé dans un placard et de l'ingénieure chef Jacob une panoplie d'inventions mises au hangar.

De ces scénarios, on pourrait passer des nuits entières comme celle-ci à les composer. À peser les pours et les contres, les obstacles et les bonnes passes, les tristesses que ça engendrerait au profit d'autres joies. Toutefois, il n'y a pas trente-six façons d'aborder l'avenir, et puis, mes stratégies à moi ont toujours été plus que basiques. La méthode Jenkins, on la connait, mais elle est loin de pouvoir s'appliquer à ce genre de relation.

Alors quoi? Après?

-Après? Je sais pas trop, mais je ce que je sais, en revanche, c'est qu'on a toujours su se débrouiller.
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Elle hoche la tête comme toute réponse. Oui, ils ont toujours su se débrouiller, l’un comme l’autre. Sinon, ils n’en seraient pas là. Alors débrouillards comme ils sont individuellement, à deux, ils ne pourront faire que mieux. C’est tout du moins ce que se dit la jeune fille, en essayant de rester sobre et neutre. Elle n’a pas tout à fait les idées claires, elle n’est pas tout à fait apte à songer à toutes ces choses-là pour l’instant. Elle aurait besoin de poser des mots dessus, des vrais mots, qui définissent ce qu’ils sont l’un pour l’autre, et s’ils peuvent le faire. Mais présentement, ils n’en ont pas vraiment le temps. Et elle se pense trop à l’Ouest pour pouvoir retrouver le Nord.

Tu ferais mieux d’y aller.

Elle passe une main sur le manteau boueux que porte Oswald. Sali par la marche qu’ils ont fait tous les deux pour se fuir. Elle enlève une feuille coincée dans l’un des boutons et évite consciencieusement son regard, comme pour éviter quelque chose d’innommable, par crainte sûrement des conséquences que ça pourrait avoir. Mais la rousse n’est pas dupe, et elle sait déjà que tout a radicalement changé entre eux, dès l’instant où elle s’est levée de son rondin de bois pour se pointer dans la tente. Dès l’instant où elle a crié plus que parlé en essayant de se faire comprendre de lui sans y parvenir.
Sans le savoir, ils ont détruit du vieux pour construire du neuf, sur les ruines de l’ancien. Elle hésite un temps avant de planter ses pupilles d’ambre dans celle de son supérieur, esquissant un maigre sourire.

Ils vont croire que je t’ai cogné, dit-elle avec l’air amusé, en jouant avec une mèche de ses propres cheveux.

Un peu gênée sans doute. Elle sait pourtant que sa réputation n’est plus à faire, qu’on parle d’elle en des termes bien violents parfois, en l’imaginant plus terrible qu’elle ne l’est vraiment. Parfois, elle ne se trouve pas si méchante que ça. Elle n’est même pas vraiment méchante, juste incroyablement dure avec les gens qui l’entourent. Alors qu’Oswald revienne plus couvert de boue que de vêtement après une entrevue avec elle, ça n’aurait rien de spécialement étonnant, ni choquant.

On…

Lilou commence à parler mais elle s’arrête bien vite en déglutissant péniblement. « On ». « Nous ». Elle a du mal à savoir si c’est bien le terme à employer en fait, et si c’est bon de le faire ainsi. Et puis, qu’est-ce qu’un « on » sinon un terme si vague et indéfinissable qu’il en devient désuet et flou ? Elle s’écarte finalement en croisant les mains devant elle, les épaules délassées étrangement et comme déchargée d’un poids. La bête à l’intérieur a cessé de s’agiter, elle a retrouvé un calme étrange, et semble taper sur d’autres parties de son système nerveux.

On verra pour le reste plus tard, conclut-elle simplement sans s’épancher plus.

« Le reste » aussi reste à définir. A savoir de quoi il s’agit et d’où ça veut aller. Si c’est une bonne idée ou s’il vaut mieux l’enterrer définitivement sous une montagne de regret, le ranger dans la bibliothèque des souvenirs à oublier. Elle n’en a présentement pas envie, mais personne ne sait de quoi l’avenir est fait, et la rouquine sait à quel point le destin peut se montrer mesquin. Il invite parfois à dire des choses qu’on ne dit à personne d’autre, des « je t’aime » étouffés par exemple, pour ensuite mettre des obstacles sur ces routes où l’on côtoie le Grand Autre de notre vie. Des obstacles parfois infranchissables, surtout lorsqu’on traine à ses pieds des boulets trop lourds pour être soulevé.

Plus tard donc. D’ici demain ou peut-être jamais. Qui sait si elle arrivera à l’aborder… ?
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