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Petits meurtres à Baterilla.

A treize ans seulement, Maya n'était plus seulement une enfant à problèmes. Pour les habitants de Baterilla, c'était une meurtrière. Une psychopathe. Ils la fuyaient comme la peste. Elle se retrouvait donc, la plupart du temps, seule. Les seuls qui venaient encore la voir, c'était les gamins de la ville. Les grands, surtout. Pour se moquer d'elle. Pour essayer de la faire pleurer. Pour la maltraiter moralement. Mais aucun n'osait la toucher. C'était une petite pestiférée. Ils jouaient les grandes gueules, avec des mots compliqués que Maya ne connaissait pas encore, mais qui étaient certainement des insultes. Ils jouaient les durs, se montraient menaçant, dans le but de l'impressionner. De l'effrayer. Ils l'isolaient un peu plus.

Ce jour-là, pourtant, il n'y avait pas un chat quand la petite blonde sortit dans les rues. Personne ne travaillait. Mais une clameur s'éleva du port, vers lequel elle se dirigea, sautillante. Ils étaient tous là. Rassemblés. Ils parlaient tous en même temps. Impossible de comprendre quoi que ce soit. La gamine s'approcha, et personne ne la remarqua. L'attention générale était dirigée vers le quai. Se glissant parmi les habitants, la blondinette réussit à atteindre le premier rang. Ils formaient un grand arc de cercle, autour d'un corps. Le Maire et la Marine était là. Trois soldats, impressionnants dans leurs uniformes propres et immaculés. Ils examinaient tous le corps.

Quand ils s'écartèrent, que le Maire demanda le silence, Maya put voir exactement de quoi il retournait. Le corps, elle le reconnut facilement. C'était le fils du Boulanger. Ce qui expliquait pourquoi la famille de ce dernier était en pleurs. Mais ce n'était pas tout. Quelque chose avait tranché le jeune garçon. Séparé au niveau des hanches, les deux parties étaient tranchées nettes.

Le sang qui s'étalait sur le sol luisait dans l'éclat du soleil matinal. Il brillait. Comme les flots. La couleur sombre attirait la blonde. Elle était fascinée. Son regard d'émeraude ne quittait pas la flaque qui s'était étendue. Elle avisa aussi les entrailles, bougées par l'un des Marines avec un bâton. C'était atroce, comme vision, et pourtant, ça ne la rebutait pas. Bien au contraire.

Une main sur son épaule la tira de sa contemplation. Elle ne s'était pas rendue compte qu'elle était tombée à quatre pattes, en observant le corps, avant que la main brutale ne la relève.


« Mais- »

La protestation se la jeune femme se perdit dans la beigne qui frappa sa petite joue pâle. Rejetée en arrière sous la violence, elle retomba, sur le dos cette fois.

« Toi, espèce de petite garce... Dégage ! Tu n'as rien à faire là ! Oust ! Files donc vite avant que je n'te botte le cul ! »

La menace n'était pas en l'air, Maya le voyait bien. Une main sur sa joue rougie par la gifle, elle se recula tant bien que mal, se relevant et partit en courant. Elle voulait pleurer. Elle n'avait rien fait. Mais elle serra les poings, et cria, à bonne distance de la scène de crime :

« C'EST BIEN FAIT POUR LUI ! MAYA NE L'AIMAIT PAS ! »

Puis, elle disparut dans le dédale des rues, allant se réfugier dans une petite cabane abandonnée où elle cachait son trésor de chocolat. Elle frotta distraitement sa joue cuisante. Elle n'avait pas eu mal, mais elle sentait que sa peau était chauffée. L'oncle du cadavre n'y était pas allé de main morte.

Elle s'assit, ramenant ses genoux contre sa poitrine, et sortit un petit carré de chocolat pour le suçoter avec délice, profitant de la saveur sucrée qu'elle adorait. Elle ne pouvait pas en manger ailleurs. Son père était allergique, et n'en achetait pas. Et puis, les autres s'empresseraient de lui piquer son trésor si elle en mangeait dans la rue.


« Eh, psst ! »

Surprise, la blondinette tourna la tête. Un homme était agenouillé non loin. Elle ne l'avait pas vu avant, l'obscurité masquant la plupart de la cabane. Mais il s'était approché.

« C'est toi qui habite là ? »

Maya secoua la tête.

« Non. Maya ne vient là que pour manger son chocolat. Personne n'habite ici. C'est abandonné depuis longtemps. »

L'homme hocha la tête, et s'assit à côté de la petite.

« Qui êtes-vous ?
— Oh, j'viens de la campagne de Baterilla. J'me suis enfui de chez moi. Ma femme est un véritable tyran.
»

La gamine ne discernait pas le mensonge. Pourtant, l'homme mentait comme un arracheur de dent.

« Alors, vous vous cachez ici ?
— Ouais. Si ma femme me retrouve, elle va me tuer. Tu crois que...
Que quoi ?
— Tu crois que tu pourrais m'apporter à manger ? J'ai emprunté un peu de ton chocolat, mais la viande, ce serait mieux.
Maya n'a pas d'argent... Mais elle va voir c'qu'elle peut trouver. Vous restez là ?
— Ouais p'tite. J'vais pas mettre le nez en ville. T'en fais pas pour ça.
Maya va aller voir alors. Elle revient bientôt.
»

La jeune fille fit un signe de la main à l'homme, et elle sortit dans la rue. Elle lui rapporta, un peu plus tard, quelques morceaux de viandes séchées. Son père ne remarquerait pas leur disparition avant longtemps. Il préférait les ragoûts que leur offrait la voisine. Elle toqua doucement avant d'entrer, se glissant au travers des planches mises n'importe comment.

« C'est Maya. Elle a un peu de viande, et de l'eau.
— Ah, merci petite.
»

Il se jeta, affamé, sur la viande séché, et but beaucoup d'eau. Quand il eut fini, la blondinette distingua un sourire sur son visage sale. Ses yeux accrochèrent d'ailleurs un rayon de lumière, et elle put voir qu'ils étaient bleus. Il la regardait. Plus précisément, il regardait sa joue.

« Qui t'as frappée, p'tite ?
C'est le frère du boulanger. Il voulait pas que Mayaku regarde. Il ne l'aime pas t'façon. Personne ne l'aime ici.
»

Un sourire éclaira le visage de l'homme.

« Pauvre petite. Il t'a fait mal ?
Non. Maya n'a rien sentit. Mais ils cherchent tous à la faire pleurer.
— Bon. Ils sont méchants donc. Tu ne leur diras pas que je suis ici, n'est-ce pas ?
Pourquoi elle le leur dirait ? C'est le secret de Mayaku.
— Brave fille.
»

Le soir venu, Maya quitta son abris. Elle rentra à la maison. Son père était encore à la taverne, à boire. Elle était seule. Elle se fit un peu de nouilles, et alla se coucher. Les jours suivant furent sans incidents notables. Avant d'aller à l'école, elle apportait à manger à l'homme caché. Le soir, elle lui en apportait de nouveau, et à boire aussi. Et elle rentrait se coucher.

Une semaine après, un autre corps fut découvert. Tranché en deux, comme le premier. Dépouillé aussi. C'était l'oncle du précédent mort. La Marine fit alors appel aux services spéciaux. Le Cipher Pol.

Maya raconta tout ce qui se passait à son nouvel ami. Il parut prendre peur. La blondinette le rassura. Elle ne dirait rien à personne de sa présence. Elle ignorait totalement qu'il craignait de se faire attraper.


« Bon, je vais y aller. L'agent spécial arrive demain. Maya viendra tout te raconter demain soir. »

Et elle rentra se coucher.

Le lendemain, elle était levée de bonne heure. Il n'y avait pas d'école ce jour-là. Elle apporta à manger à son ami, et partit sur le quai. Elle voulait voir à quoi ressemblaient les agents du gouvernement. Elle s'assit donc, les jambes pendantes, effleurant l'eau de ses pieds nus. Elle avait oublié de mettre ses chaussures aujourd'hui. Elle n'avait qu'une petite robe blanche, un peu salie par la poussière, et un petit sachet avec deux carrés de chocolat. Le regard rivé sur l'horizon, elle attendait que l'agent arrive, assistant du même coup au lever du soleil.
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"Jooooooossseeeeeph ?! Où est ce que tu te caches encore espèce de tire au flanc ?!"

La douce voix de l'Agent Jack Séparou fit sortir l'Agent Joseph Patchett d'un rêve plaisant où il se voyait en train de tuer le même Agent Séparou. A vingt ans, Joseph était officiellement un agent du CP5 et si il avait renoncé à déserter, Séparou le retrouvait à chaque fois, il ne désespérait pas d'un jour pouvoir enfoncer son poing dans la gorge de son mentor. Histoire de lui faire payer les années d'humiliation et la perte de ce qu'il avait de plus cher, son "royaume" d'ordures.

Les deux agents étaient en mission à Bliss pour une sombre d'espionnage industriel concernant un des nouveaux modèles de canon. Rien de bien passionnant pour le Crack mais les dirigeants locaux avaient mis la pression pour qu'un agent renommé comme Séparou soit mis sur l'affaire. Ils tenaient visiblement à ce que l'espion soit mis hors d'état de nuire et le plus tôt serait le mieux. Depuis leur arrivée, Séparou passait son temps en interrogatoires tandis que Joseph esquivait le travail de son mieux.

"Joooooossssseeeeeph ! J'te donne trois secondes pour te montrer avant que je ne te sucre ta prochaine paye. Troiiiis !"

Séparou connaissait bien son Joe. Celui-ci apparut devant lui avant qu'il n'ait le temps de compter jusqu'à deux. Le vétéran eut un sourire mauvais et décocha une droite dans les ratiches de son subordonné l'envoyant au sol illico. Sa façon à lui de lui faire payer son retard.

"Ah bah quand même ! Je t'ai trouvé une mission."

Le jeune Joseph papillonna des paupières. Ses oreilles devaient l'avoir trompé. Une mission ? Mais ils en avaient déjà une non ? Son étonnement se manifesta de façon auditive par la prononciation d'un borborygme ressemblant à un gnéééééé dont l'Agent Séparou ne tint pas compte.

"Vu que t'en as rien à foutre de cette mission et que t'es infoutu de m'être utile ici de quelque manière que ce soit, j'me suis dit qu'il était temps que tu voles de tes propres ailes. J'pourrai pas être sur ton dos en permanence."
"Manquerait plus que ça."
"Pardon ?"
"Oh rien... Continue."
"J'disais donc que je t'avais dégoté une mission. Une histoire de meurtres sur Baterilla. Ouais je sais, tout le monde s'en fout de Baterilla, c'est un bled paumé. C'est bien pour ça que Mc Yavel a accepté de filer cette mission à un bleu sans expérience en solo comme toi."

***

Et voilà comme l'agent Joseph "Crack" Patchett s'était retrouvé embarqué sur une caravelle de la Marine à destination de Baterilla avec pour seules ressources un maigre dossier sur les deux meurtres ayant eu lieu et la bénédiction de Séparou. C'était mince mais il s'en moquait. Il avait finalement une mission en solo. Il allait enfin pouvoir faire ses preuves et rabattre son caquet à ce prétentieux de Séparou. Il n'allait pas se contenter d'embarquer le premier guignol venu, il allait résoudre cette affaire comme un vrai agent du Cipher Pol !

C'est fort de cette conviction que le fameux agent spécial arriva à Baterilla. Sur le quai, une foule anxieuse était rassemblée. C'était parfait. Il allait pouvoir mettre en oeuvre la règle n°13 du Manuel du Parfait Petit Agent: toujours s'offrir une entrée charismatique. Debout à la proue du navire, le Crack n'attendit pas que l’amarrage soit effectué pour mettre pied à terre. Il sauta dans les cieux, effectua un saut périlleux avant et atterrit sur le quai les bras déployés à la façon d'un ange, le soleil levant l'éclairant de dos. Là il avait la classe. Les citoyens restèrent silencieux, muets d'admiration selon Joseph, plus probablement de stupeur voire même d'effroi.

"L'Agent Joseph Patchett du CP5 est arrivé !"

Aucune réaction dans la foule à part des murmures étonnés. Le Cipher Pol n'avait envoyé qu'un seul agent ? Et il s'agissait presque d'un gamin en plus. Le Gouvernement Mondial les avait il abandonné ? Inconscient de ces propres désobligeants, l'Agent se redressa et épousseta son costume cravate, dardant son regard sur les visages angoissés. Finalement il trouva celui qu'il cherchait, le Maire aisément reconnaissable à l'écharpe symbolisant sa fonction qu'il avait revêtu pour l'occasion.

"Monsieur le Maire. Le Cipher Pol est arrivé à Baterilla et tous doivent le savoir. Les jours du meurtrier qui vous terrorise sont comptés. Cet homme sera traqué sans relâche et sera arrêté par moi, Joseph Patchett ! Afin de mener ma tâche à bien, j'aurais besoin que vous mettiez à ma disposition un endroit où je pourrai conduire les interrogatoires. J'aurais aussi besoin d'une chambre à l'auberge. Tenez vous le pour dit, je ne partirai pas tant que cet homme ne sera pas arrêté !"

Dans la foule, un homme portant un manteau de Marine toussota pour attirer l'attention de l'Agent.

"Des dispositions ont déjà été prises en ce sens Monsieur. Vous pourrez rester à la Caserne autant de temps que nécessaire. Nos effectifs sont certes réduits mais nous ferons de notre mieux pour vous aider dans votre tâche."

"Ah ? Bien. Très bien... Capitaine."

"Lieutenant-Colonel... Monsieur"

"Certes... Certes... Hum. Que tous ceux ayant des informations à propos de ces horribles crimes se fassent connaître auprès de la garnison. J'entendrai tout le monde ! Bon... Et maintenant, si vous me montriez les corps... Lieutenant Colonel ?"

L'homme claqua des talons tout en saluant, un petit exploit compte tenu du mépris qui teintait son visage. Mépris dont visiblement l'agent n'avait pas conscience car il lui emboîta le pas tout sourire. Derrière lui, les murmures reprirent de plus belle. Cette fois c'était le "nous sommes foutus" qui était à la mode. A croire que ces bouseux n'avaient pas confiance en l'Agent Patchett !
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Assise sur le bord du quai, le regard émerveillé de Maya suivit l'arrivée spectaculaire de l'agent. Alors que les habitants se demandaient qui était ce clown, la fillette aurait voulu applaudir. Mais le regard de son père, posé sur elle, l'en dissuada. Elle voulait qu'il soit fier d'elle. Et il n'aimait pas l'enthousiasme trop débordant. Elle voulait qu'il pose sur elle un regard affectueux. Comme lorsqu'elle était encore un bébé. Mais malgré tous ses efforts, il ne l'aimait plus comme avant. Il ne l'aimait plus tout court.

Pendant que l'agent parlait au Maire, le regard d'émeraude de Maya effleurait les flots, ses jambes battant dans le vide. Elle écoutait distraitement, attentive à ne pas faire de faux pas. Elle ne voulait pas décevoir son père, qui dardait sur elle un regard méfiant. Il pressa son épaule quand le moment de partir fut venu. Mais au lieu d'aller à la maison, il se dirigea directement vers la taverne, laissant Maya seule. Elle rentra, prit quelques billets, et partit s'acheter du chocolat en douce, et quelques morceaux de viande déjà préparée.

Et puis elle fila, comme si elle allait hors du village, se promener dans les champs, dans la campagne de Baterilla. Mais à la sortie du village, elle bifurqua, et retourna dans son abris. Là, elle raconta l'arrivée extraordinaire de l'agent du gouvernement à son ami. Elle lui raconta comment son discours était charismatique, et comment elle était impressionnée par la prestance qu'il dégageait. Oui, Maya était émerveillée. Il était nouveau, et plus fringuant que les Marines en poste à Baterilla. Et puis, à treize ans, chaque enfant à son héros. Elle venait de trouver le sien.

A la fin de la journée, avant que le soleil ne se couche, elle quitta son ami. Elle retourna en ville. Presque arrivée chez elle, la blondinette fut toutefois alpaguée par une main forte et peu délicate.


« Eh !
J'te tiens, petite garce. J'sais que c'est toi qui les as tués. Comme tu as tué l'chien. T'es une putain d'psychopathe. J'vais t'faire arrêter, tu vas voir. Il m'a tout raconté, avant qu'tu n'le tue. Il m'a dit qu'tu l'menaçais d'lui faire pareil qu'au chien. Sale peti-
Maya n'a rien fait ! Vous mentez !
Viens par-là, on va voir c'qu'en dit l'agent du gouvernement !
»

Elle se débattit, mais la poigne du boulanger était trop puissante. Elle allait le mordre, quand un Marine passa par là.

« Hep vous là ! Lâchez cette gamine !
Vous n'savez pas. Vous n'la connaissez pas. Elle est complètement tordue. J'vais l'emmener voir l'agent. C'est elle qu'a tué mon fils et mon frère, j'vous dis.
Lâchez-là, j'ai dit. Où je vous arrête pour maltraitance envers un enfant, et obstruction à un soldat de la Marine.
»

Le boulanger finit par la lâcher, plutôt brusquement, en la poussant dans les jambes du soldat.

« Vous n'la connaissez pas. Vous v'nez d'arriver, et vous croyez tout savoir ? Imbécile ! »

Tout en maugréant, le boulanger s'éloigna. Restée seule avec le Marine, la blondinette leva les yeux vers le soldat.

« Elle n'a rien fait. Il ment. C'est son fils qui menaçait Maya, qui l'embêtait tout le temps. Avec ses amis, il voulait la faire pleurer, lui faire mal. Mais ils n'ont pas réussi. Alors il a menti. Maya est sûre que c'est un de ses amis qui l'a tué. Ils sont jaloux, parce qu'il s'est vanté de pouvoir quitter l'île et de devenir riche avec un trésor qu'il avait trouvé. J'peux aller l'dire à l'agent du gouvernement ? »

Elle leva un regard brillant vers le soldat. Elle mourrait d'envie d'aller voir le nouveau venu. Caprice de gamine, pensa le Marine. Mais, en soupirant, il acquiesça.

Quand ils arrivèrent à la caserne, le boucher sortait de la salle d'interrogation. Il esquissa un sourire carnassier en voyant Maya.


« Alors ça y est, vous l'arrêtez enfin ? Il était temps ! Cette gamine est une vraie psychopathe. »

Le soldat n'allait pas répondre, et se contenter d'emmener la fillette dans la salle, mais celle-ci s'arrêta net.

« Maya n'a pas tué le chien. Elle n'a pas tué le fils du boulanger, ni l'autre. Elle va tout raconter à l'agent. Elle va l'aider à rédou- résourd- résoudre l'enquête ! »

Elle avait un peu de mal avec les mots compliqués, mais la phrase était compréhensible, et eut le mérite de mettre le boucher hors de lui. Ce dernier commença à vouloir attraper la gamine, pour lui faire regretter ses paroles, et lui cria des insultes, très peu convenables pour les oreilles d'une jeune fille de treize ans.
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Depuis son arrivée sur Baterilla, l'Agent Patchett était allé de déception en déception. Il ne s'était pas attendu à grand chose, Baterilla était une île paumée peuplée d'un unique village de bouseux mais il n'avait pas pensé qu'il se trouverait dans une telle situation de dénuement.

Pensez donc. Ils n'avaient pas de morgue ou quoi que ce soit qui y ressemble. Quand l'Agent du CP5 s'en était étonné au Lieutenant Colonel, celui-ci lui avait répondu avec hauteur que leur île n'en avait pas la nécessité vu le très faible tôt de mortalité. Cependant, pas tout à fait stupide non plus, l'officier avait fait transporter les deux cadavres (ou plutôt les quatre demi cadavres) dans la chambre froide du boucher afin de les protéger de la pourriture. Evidemment, il n'y avait pas non plus de médecin légiste sur Baterilla. Cela dit, l'utilité d'un tel praticien n'aurait été que très limitée dans ce cas tant la cause de la mort était évidente. Hémorragie. Il faut dire que quand le corps était coupé en deux, le sang circulait carrément moins bien. Tout juste pu-t-il avoir une idée sur l'arme du crime en observant les blessures. Visiblement l'homme avait été tranché en deux d'un seul coup ce qui supposait une force surhumaine. La coupure était nette, sûrement l'oeuvre d'un sabre comme l'avaient évoqué les premières constatations.

Joseph avait été déçu de ne pouvoir apprendre grand chose à la morgue mais au moins il avait pu marquer quelques points auprès du Lieutenant-Colonel en restant impassible face au macabre spectacle. Cela étant dit, la déception du Crack en constatant la non existence d'une morgue n'avait eu d'équivalence à celle qu'il avait éprouvé lorsqu'il avait découvert la Caserne. Le terme caserne faisait déjà trop d'honneur à ce bâtiment d'âge plus que mûr. Il avait dû à l'origine s'agir d'une ancienne ferme reconvertie pour l'usage de la Marine. Moche, humide, branlante et surtout dotée de fenêtres ne fermant pas correctement. A croire qu'on avait fait exprès de lui réserver la pire chambre disponible ! La garnison de l'île était à l'image de sa caserne. Des minots et des retraités, voilà ce qui la composait principalement. A eux tous, il n'y avait même pas cent hommes. Une présence somme toute symbolique. Heureusement qu'ils avaient au moins un Denden pour joindre le monde extérieur.

Car oui, le Crack était désormais pressé de repartir. Il avait été pris d'une soudaine envie de bâcler cette enquête lorsqu'il avait découvert sa "salle d'interrogatoire" (en vérité le cellier situé à la cave). Il menait donc ses entretiens entre un cuissot de jambon et un chapelet de légumes.

Cette envie n'avait fait que grandir à mesure qu'il interrogeait les habitants. Là il venait d'en finir avec le boucher, un gros type rougeaud aux mains larges comme des plats. Bilan des premiers interrogatoires très mitigé. Aux classiques "mais personne d'ici a pu faire ça, c'est forcément un vagabond !", qui aurait pu soupçonner un voisin qu'on connaissait depuis des décennies, venaient s'ajouter des accusations portant sur une gamine locale qui aurait éventré un chien récemment. Logique donc pour les habitants que la dites gamine ait aussi ouvert en deux un gosse et un homme d'âge mûr. Homme qu'elle aurait ensuite dépouillé, logique. Hum... Le vol en mobile ? Et si un vagabond était vraiment arrivé... Hum... Il devrait envoyer des Marines faire le tour de l'île à la recherche de navires s'étant échoués récemment. Mais pas possible de se concentrer, il entendait le boucher s'exciter à l'extérieur de la salle et débiter des tombereaux d'insultes.

"C'est pas bientôt finit ce bordel ?! On s'entend plus penser !"

Le gros homme devint muet sur l'instant. D'un geste las, l'agent du CP5 fit signe au soldat de l'escorter en dehors de la base. Il baissa son regard et celui-ci croisa un petit bout de blondinette en robe blanche. Il fronça les sourcils un instant puis se frappa le front.

"Hey ! Envoyez une équipe faire le tour de la côte. J'veux savoir si vous repérez des navires qui se seraient échoués récemment. Demandez aussi au QG de South Blue de nous envoyer un topo sur les équipages pirates du coin, on sait jamais."

Le Crack sourit, plutôt content de lui et s'apprêta à retourner dans son antre sombre et sentant l'ail quand il réalisa que la gamine était toujours là. Visiblement elle était venue pour lui. Minute... Ce ne serait pas elle la psychopathe dont la moitié du village lui avait parlé ? Petite, blonde, les yeux émeraudes. Ouais ça correspondait pile poil.

"Toi, tu dois être Maya. C'est bien ça ? C'est gentil à toi d'être venu sans être convoquée, cela nous fait gagner du temps. Je suppose que si tu es là, c'est que tu as des informations sur ces deux meurtres. Bien, bien. Entre, mets toi à l'aise."

L'Agent Patchett de retour dans son cellier, indiqua à Maya un tabouret où s'asseoir pendant que lui même retournait carrer son postérieur osseux dans une chaise en osier. Il l'observa un long moment en silence, essayant de laisser le malaise se développer pour forcer la gamine à cracher le morceau. Elle était suspecte après tout non ? Cela dit... Est ce que ces petits bras menus auraient eu la force de trancher un homme comme le frère du boulanger ? Sûrement pas.

"J'ai entendu pas mal de vilaines choses sur toi Maya. Il parait que tu t'es comportée très bizarrement en découvrant la première victime. Il paraît aussi que tu n'aimais pas ce garçon et que tu ne t'en cachais. Pas plus que tu n'aimais son oncle... Dans une petite ville comme ça, il en faut peu pour se mettre toute la population à dos. Là, je crois que tout le village ne souhaite qu'une seule chose, c'est que je t'offre un aller simple pour la prison la plus proche. Histoire qu'ils ne revoient plus jamais ta jolie frimousse. Si tu veux éviter ça Maya, il va falloir me dire tout ce que tu sais sur ces meurtres et je dis bien tout. Y compris ce qu'il y avait entre toi et les victimes."

L'Agent Patchett marqua une pause et sourit de toutes ses dents à l'adolescente. Un sourire cruel qui aurait convenu à un sadique. C'était là le sourire sans joie d'un homme qui avait vu son quota d'horreur et qui aimait à en faire profiter les autres. Ses yeux auparavant rieurs semblaient désormais froids et dépourvus d'émotion. C'était le regard que le Roi Joe réservait à ses sujets avant d'ordonner leur passage à tabac. C'était le sourire que Crack Joe offrait à ses victimes avant de leur trancher la gorge. C'était le visage d'interrogateur de l'Agent Patchett et il valait toutes les menaces du monde.

"Et sans mentir bien sûr..."
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Du haut de son mètre vingt et les brouettes, la blondinette levait un regard fasciné vers Joseph. Il était impressionnant, à donner des ordres comme ça. Et voir le soldat obéir instantanément, c'était cool. Même si le soldat, un nouveau, avait été sympa avec elle, et qu'elle n'avait donc pas de raisons de vouloir le voir humilié. Ses prunelles d'émeraude fixées sur le gouvernemental, elle n'avait pas bougé de place quand il esquissa un geste pour retourner dans la salle d'interrogatoire.

Après avoir été invitée à entrer, la petite blonde grimpa sur le tabouret désigné, et s'y installa en tailleur, naturellement. Quand on est petit, on peut se caser partout. Même sur un tabouret. Et puis, il lui avait demandé de se mettre à l'aise, alors elle faisait comme chez elle. Les mains croisées devant elle, posées sur ses chevilles, elle avait un petit sourire sur les lèvres en écoutant parler le professionnel.


« Alors, d'abord, Maya elle ne ment pas. Parce que maman a dit que c'était pas bien, et qu'elle ne l'aimerait plus si elle le faisait. Et comme maman elle est partie au ciel, elle peut voir Maya tout le temps. Donc Maya ne mentira jamais. Parce qu'elle veut que maman l'aime toujours. »

L'élocution de la blondinette n'était pas forcément très aisée, et on ne parvenait pas toujours à la suivre. Le cheminement de ses idées se faisait à mesure qu'elle parlait. Il se pouvait qu'elle oublie le but de sa phrase avant la fin, d'ailleurs. Mais globalement, c'était compréhensible, bien qu'un peu enfantin.

« Les gens, ils n'aiment pas Mayaku parce qu'ils disent qu'elle a tué le chien du boucher. Mais c'est faux ! Il est venu vers Maya avant de mourir, elle n'a fait que regarder comment fonctionnait son intérieur. Elle voulait le guérir. Mais elle n'a pas réussi. Et les gens, ils ont mal compris. »

Elle soupira, l'air profondément déçue, avant de continuer sur sa lancée.

« Elle connaissait le fils du boulanger, parce qu'il n'arrêtait pas de l'embêter. Il la menaçait, et il essayait de lui faire mal, de la faire pleurer. Il était méchant, et ses amis aussi. Maya les a entendus parler aussi. Il disait qu'il allait devenir riche, qu'il allait pouvoir quitter l'île et vivre comme un grand seigneur. Il a dit qu'il avait trouvé un truc, que ça valait des millions. Et ses amis étaient jaloux. Alors Maya pense que c'est ses amis qui l'ont tué. Et son oncle, il était méchant aussi avec Maya. Elle ne voulait juste voir à quoi ça ressemblait, à l'intérieur de son neveu. Et comme il était déjà coupé, c'était pratique. Mais il a frappé Maya, il voulait aussi lui faire mal. »

Elle se frotta machinalement la joue à l'endroit où il l'avait frappé la dernière fois. Elle n'avait pas eu mal. Mais le bleu qu'il avait fait venait tout juste de s'estomper. S'il regardait bien, l'agent pouvait encore voir des traces qui se fondaient dans la couleur de peau de la gamine.

« Le frère du boulanger n'aimait pas beaucoup les amis de son neveu. Maya pense qu'ils voulaient l'empêcher de découvrir la vérité, alors ils l'ont tué aussi. Ils voulaient le trésor du fils du boulanger pour eux tout seuls. »

C'était très enfantin comme raisonnement, mais malgré tout, ça se tenait. Elle finit son récit d'une voix candide, et darda son regard pétillant d'innocence vers l'agent spécial. Elle mourrait d'envie de lui demander comment on devenait comme lui, un agent spécial avec une classe sidérante. Mais elle se mordait la langue, refrénant sa curiosité. Avant tout, il fallait résoudre l'affaire.

« Maya vous a bien aidé ? »

Elle lui sourit de toutes ses dents, angélique.
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Maya parlait et dans son coin, le dial tournait et enregistrait le témoignage de la jeune fille. Une petite merveille ces objets, une véritable révolution dans le monde de la paperasse. Finit l'époque où l'Agent de terrain devait taper tous ses rapports à la machine. Maintenant l'Agent Patchett se contentait d'expédier les Dials à un gratte papier de sa connaissance qui se chargeait de toute la retranscription pour lui. En échange de quoi, Joseph gardait les yeux clos sur ses menus trafics. Un deal tout ce qu'il y avait de plus logique pour un serviteur aussi peu zélé du Gouvernement Mondial que Joseph Patchett.

Dommage que la gosse lui faisant face en manque à ce point, de logique. Dur de suivre le fil de ses pensées ou de trouver une quelconque cohérence dans ses accusations. Il fallait en plus rajouter la syntaxe approximative et surtout le fait de parler d'elle même à la troisième personne qui commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs. Surtout après une pénible journée d'interrogatoires. La première fois on souriait de bon cœur, la deuxième fois de façon un peu plus crispée mais là, rendu à dix fois en quelques minutes... Argh. Il sentait une veine palpiter près de sa tempe, indiquant l'imminence d'un craquage nerveux. L'Agent en prit conscience et se força donc à inspirer et expirer lentement, pour se calmer. Un sourire crispé réapparu sur son visage.

"Oui Maya. Tu m'as beaucoup aidé, merci de ton témoignage."

Pour la forme plus que parce qu'il y croyait vraiment, Joseph lui posa encore quelques questions relatives au fameux "trésor" de la première victime, histoire de bien s'assurer que ce point relevait du fantasme. La gosse répondit à ses questions sans se démonter. Elle croyait à son histoire dur comme fer Le gamin aurait trouvé un coffre qu'il aurait planqué sous son lit et se serait ensuite vanté d'avoir trouvé un trésor. Quelle connerie... Sans doute un délire de gosse voulant se faire mousser auprès des copains.

L'Agent en avait entendu plus qu'assez. Lassé, il se leva pour éteindre le Dial qu'il rangea précieusement dans son costume. S'il perdait du matériel fourni par le Service, ce serait retenu sur sa paye. Il adressa un grand sourire à la gamine, un sourire qui aurait sans doute fait fuir n'importe quel gamin normalement constitué mais Maya n'était pas une gosse ordinaire, c'était une psychopathe en puissance et Joseph l'avait senti.

"Je comptais aller dehors participer au tour de la côte que j'ai demandé. Tu m'accompagnes ?"



Evidemment que la gosse accepta de l'accompagner. Elle semblait fascinée par l'envoyé du Cipher Pol et le Crack comptait bien en tirer parti. L'Agent Patchett et sa jeune associée partirent donc de la "caserne" en direction du rivage. Disons le franchement, la côte de l'île de Baterilla était semblable au reste de l'île: merdique et sans intérêt. Ils se trouvaient sur une plage de galets quelconque, dépourvue de charmes et sans la moindre bicoque à l'horizon. Pas franchement le paradis. Et dire qu'ils allaient devoir remonter cette plage sur plusieurs kilomètres. Enfin, ça c'était le plan B. Le plan A, c'était d'utiliser son instinct de gosse des rues. Pour faire remonter la vérité à la surface, il fallait lancer un gros pavé dans la marre.

"J'ai remarqué plusieurs choses dans ton récit Maya. Plusieurs choses qui me gênent un petit peu. Tu permets que je les énonce à haute voix ? J'aime réfléchir ainsi."

"Tu m'as pris pour un idiot Maya. Ne le nies pas, je le sais. Oh je ne t'en veux pas, tout ton village me prend pour un idiot. Ils croient que parce que je suis jeune, je suis forcément un bon à rien."

L'homme soupira, semblant réellement peiné que tout ce village de bouseux l'ait méprisé. A moins  que cette situation ne lui rappelle autre chose. Allez savoir.

"Tu as essayé de m'orienter sur les amis de la victime. Comment tu as dit qu'ils s’appelaient déjà ? Ted, Marshall et Barney ? T'aurais pu trouver mieux franchement. Sans déconner, comment trois adolescents auraient pu trancher en deux un homme comme Barry Mosby ? C'est que c'était un costaud ce lascar ! Tu as essayé de te servir de moi pour que je te débarrasse de ceux te posant des problèmes. Bien essayé mais ça ne prend pas."

L'Agent marqua une pause, s'arrêta sur la plage, contemplant l'Océan qui s'étendait à perte de vue. Il soupira et sortit une tige de tabac de l'intérieur de sa veste. Fumer en regardant le vaste océan. Il était presque bien là. Presque... Mais ça allait s'améliorer sous peu.

"Je vais te dire ce que je pense Maya. Je pense que plus que cette histoire de trésor à laquelle tu sembles être la seule à croire, je me dis que tout ça a un rapport avec toi. Oui toi, ne fais pas l'étonnée ! Tout le village te déteste et plusieurs des villageois s'en sont pris à toi. Tu ne vois pas le lien ? Les deux victimes s'en sont toutes deux prises à toi physiquement et ils sont morts. Coïncidence ? Que nenni ! Nous ne croyons pas aux coïncidences au Cipher Pol."

De l'Océan, le regard de l'Agent se porta de nouveau sur le petit bout de jeune fille qui se tenait à ses côtés en silence. A travers la fumée de cigarette, ses yeux bleus semblaient vouloir pénétrer au plus profond de son âme.

"En temps normal, j'aurais suspecté ton père. Un père un peu trop protecteur peut en venir aux pires extrémités pour son enfant. Mais il s'avère que ton paternel a plus honte de toi qu'autre chose. Le récit des habitants concernant l'incident avec le chien est explicite. Ton père ne t'a pas défendu contre le boucher. Oh que non ! Sa plus grande peur est que sa fille lui fasse honte de nouveau. Plutôt comique quand on pense que l'homme est alcoolique. Hahaha. Hum, je m'égare..."

"Le point essentiel ici est que ton père n'aurait sans doute jamais tué pour toi. Car oui Maya. Il y a là dehors quelqu'un qui tue ceux qui s'en prennent à toi, quelqu'un qui tue pour toi. Je pourrais sans doute te demander qui fait ça, mais ce serait trop simple. Pas drôle du tout. Non... Moi, je me demandais... Que se passerait-il si je m'en prenais à toi moi aussi ? Que se passerait-il si j'enlaidissais un peu ce joli minois ?"


L'Agent Patchett saisit le menton de la blonde, l'obligeant à le regarder. Son sourire s'était encore élargi. Plus de doute possible, l'homme était fou, son regard fiévreux le prouvait. Ses doigts caressaient la trace du bleu qu'avait laissé le poing du frère du boulanger.

"Que se passerait il hein ? Est ce que le tueur viendrait pour moi aussi ? Voudra-t-il me découper en deux ? Cela a l'air très excitant et terriblement dangereux."

Maintenant il était bien.


Dernière édition par Joseph Patchett le Mer 22 Oct 2014 - 14:56, édité 1 fois
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Sans se démonter, la petite blonde répondait aimablement à toutes les questions qu'il posait. Elle était convaincue que c'était les amis du fils du boulanger qui avaient fait le coup. Pas une seconde, l'idée que ce soit son ami caché dans sa cabane qui ait fait le coup ne l'a effleurée. Elle était trop naïve.

Aussi, quand le gouvernemental lui proposa de participer avec lui au tour de la côte de l'île pour trouver des indices, elle accepta avec joie. Elle lui rendit même son sourire, avec toute l'innocence de jeune fille de treize ans un peu dérangée.

Marchant sur les galets, sans se soucier des angles un peu pointus de certains qui éraflaient ses pieds nus, la gamine écouta avec attention le raisonnement de l'agent Patchett. C'était un bon enquêteur pensait-elle. Mais elle ne voyait pas où il voulait en venir. D'où son regard d'émeraude rempli d'interrogation. Elle voulut protester, quand il affirma qu'elle le prenait pour un idiot, mais elle ne put pas en placer une. Elle continua donc d'écouter, perplexe, la suite de son discours. A tel point qu'elle en oublia même les protestations qu'elle voulait dire.

Ses traits expressifs marquèrent la surprise quand il annonça qu'il pensait que ça avait un rapport avec elle. Elle se posait des questions. Qu'est-ce qui pouvait lui faire penser ça ? Oh, bien sûr, elle n'aimait pas vraiment les Mosby, ni même ses amis. Elle ne pouvait absolument pas voir Lily et Robin sans froncer le nez et vouloir partir. Les deux filles étaient aussi vicieuses que les trois garçons, et elles ne manquaient pas une occasion de la rabaisser. Mais de là à être le centre de l'affaire, Maya ne comprenait pas.

Son regard restait fixé sur l'agent, à mi-chemin entre l'adoration et le questionnement. Elle écouta jusqu'à la fin cependant, hésitant à sourire de façon crispé quand il aborda le sujet de son père. Les menaces à peine voilées de Joseph n'atteignaient pas la petite blonde. Au contraire. Elles passaient entre les mailles du filet de sa perception tronquée des choses.

Le menton relevé, alors que l'agent effleurait le bleu qui s'estompait peu à peu, elle ouvrit la bouche pour parler.


« Maya ne comprends pas trop ce que vous voulez dire... Vous pensez qu'elle a un protecteur quelque part ? »

Son esprit cherchait sans succès quelqu'un qui pourrait vouloir la protéger. Elle ne voyait personne. Ici, au village, aucun habitant ne l'aimait bien. Ils avaient peur d'elle. Ou bien ils avaient une dent contre elle, comme le gros boucher. Même son père se fichait d'elle, du moment qu'elle ne lui faisait pas honte à nouveau.

« Pourquoi le... Le tueur voudrait protéger Maya ? Personne ne l'aime ici... »

Elle baissa le regard, réellement peinée par cet état de fait, fixant de ses prunelles d'émeraude la cigarette allumée qu'avait Joseph. Le bout rougeoyant la fascina, au même titre que la fumée qui s'élevait en volute autour d'eux. Elle en oublia sa peine, et releva le regard pour le planter dans celui de l'agent.

« Vous pensez que si vous me faites du mal, le tueur viendra pour vous tuer ? Mais Maya ne veut pas que vous soyez tué... »

Le regard brillant, elle esquissa un sourire sincère. Elle allait continuer à parler quand un homme arriva en courant et en criant.

« Agent Patchett ! Agent Patchett ! On a un témoin ! Le tueur a frappé de nouveau, mais il a loupé son coup ! »

Le soldat arriva bien vite près du couple improbable, et reprit son souffle avant de reprendre :

« C'est l'professeur. Kaito Miso. Il sortait de la taverne, ivre, quand le tueur est arrivé et a essayé de le tuer. L'pauvre gars ne doit sa chance d'être en vie que parce qu'il titubait, c'qui fait qu'le tueur a loupé son coup et s'est enfuit. Vous voulez venir interroger le témoin, Agent Patchett ? »

En entendant le nom de son père, la fillette réagit immédiatement.

« Il faut que vous veniez, c'est mon papa... Il a été blessé ? Il est en danger ? »

Le soldat la regarda alors, comme s'il n'avait pas vu qu'elle était là. Le regard inquiet, la petite avait détourné la tête, échappant à l'emprise des doigts de l'agent du gouvernement.
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L'Agent Patchett était décontenancé par la réaction de la gamine. Il s'était attendu à voir de la peur dans ses yeux mais ce n'était pas le cas. Son regard brillait et elle n'avait pas peur pour elle mais pour lui. Quelle blague ! Elle ne voulait pas qu'il soit tué lui. Comme s'il y avait pouvait y avoir quelqu'un sur cette île de bouseux capable de ne serait ce seulement que le blesser. Le Crack aurait voulu pouvoir montrer à la gamine à quel point il valorisait sa sollicitude. Il avait déjà serré le poing, prêt à corriger la petite merdeuse quand un soldat vint les interrompre.

La vue de l'uniforme blanc ainsi que le message du soldat eurent pour Joseph un effet salvateur. Il desserra son poing, écrasa sa cigarette et se passa la main dans les cheveux pour se redonner une contenance. Il avait visiblement eu le nez creux en supposant que ces meurtres étaient l'oeuvre de quelqu'un cherchant à protéger la jeune fille. Le père était une cible logique après tout. Cela dit, il était encore tôt, comment l'homme pouvait il être déjà ivre ? Bah, s'il était capable de décrire le visage du tueur, cela suffirait au bonheur de l'Agent.

Le Marine qui était venu les trouver ignora ostensiblement les questions de l'enfant. Il la connaissait de réputation et n'avait pas aucune envie de parler à une fille qui ouvrait des chiens en deux pour le plaisir.

"En effet soldat, je vais aller interroger la victime. Il y a d'autres témoins de la scène ?"

Le Marine secoua la tête. On était en plein milieu de journée et les habitants du petit village de Baterilla vaquaient tous à leurs occupations au lieu de traîner dans les rues. Quand aux Marines, déjà fort peu nombreux, la moitié ratissaient la côte selon les directives de l'Agent.

"Je vois... Je suppose que ç'aurait été trop demandé... Bon, au moins cette fois la victime a survécu c'est déjà ça. Quand je pense qu'il est passé à l'attaque en plein jour, alors que je viens à peine d'arrivée. Il voudrait me provoquer qu'il n'aurait pas agi autrement. Tsssk. Vous avez conduit la victime à la base pour la soigner ?"

"Euh non. Les personnes qui étaient dans la taverne ont entendu le professeur crier comme un porc qu'on égorge alors du coup ils sont sortis voir. L'ont trouvé saignant de partout. Z'ont pas pu voir le tueur qu'avait déjà fichu le camp. Du coup ils ont ramené le prof à l'intérieur. J'crois que le Lieutenant Colonel est là bas avec le médecin. L'a dit qu'il fallait protéger le témoin."

"Bien. Merci Soldat, vous pouvez y aller, nous vous suivons."

Le Marine salua l'Agent, jeta un regard torve à la gamine puis tourna les talons et repartir vers l'intérieur de l'île au petit trot. Le Crack le laissa s'éloigner avant de se pencher sur la gamine, un sourire sur le visage.

"On dirait que ma petite théorie s'avère correcte. Tu n'aimes pas beaucoup ton père, je me trompe ? On dirait que "ton ami" le tueur a voulu t'en débarrasser. Tu aurais aimé qu'il réussisse pas vrai ?"

Le Crack n'attendit pas la réponse de la gamine et partit d'un grand éclat de rire, comme pour signifier qu'il plaisantait. Mais était ce réellement le cas ? Allez savoir avec un agent presque aussi instable qu'incompétent.

***


Le problème avec les petits villages comme celui-ci c'est que les informations se répandent comme une traînée de poudre. La foule qu'il avait vu le matin même sur les docks était de nouveau rassemblé mais cette fois, devant l'unique taverne du village. A croire que tout le monde s'était donné rendez vous là. Les conversations cessèrent quand l'étrange duo blond arriva. Le groupe s'écarta sur le passage de l'Agent, laissant voir deux soldats de la Marine en faction devant la porte et une flaque de sang sur le fronton de la taverne. Derrière l'Agent Patchett, la petite Maya suivait, entraînant dans son sillage murmures désapprobateurs et remarques acerbes. Cette enfant avait vraiment su se faire aimer de ses concitoyens. L'un des deux factionnaires ouvrit la porte devant l'Agent du CP5. Son collègue voulu barrer le passage à la gosse et la repousser. Le Crack, déjà à moitié rentré à l'intérieur, se sentit obligé d'intervenir.

"Laissez la passer. C'est quand même sa fille. Allez, vous attendez quoi, le déluge ? Bien ! Merci Soldat."

Incroyable, même les soldats de base sont montraient réticents à suivre les ordres de l'Agent. Il faut dire qu'il n'avait sur eux aucune autorité hiérarchique. Cela dit ce n'était pas le sujet. Le sujet qui les intéressait, c'était le gros homme allongé sur l'une des tables auprès de qui le "toubib" du coin s'affairait. Kaito Miso était visiblement un petit veinard. Alors que les deux précédentes victimes avaient été coupé en deux proprement, lui n'avait perdu qu'un bout de gras. A dire vrai, il lui manquait une poignée d'amour mais il s'en remettrait. On pouvait difficilement s'en tirer à meilleur compte. Pas de traces du Lieutenant Colonel dans la salle, celui-ci avait déjà du repartir. Il faut dire que le père Miso n'avait pas l'air en état de répondre aux questions.

"Hum. Ca n'a pas l'air trop grave. Vous pensez que je peux l'interroger Docteur ?"

"L'interroger ? Vous ne voyez pas qu'il n'est pas en état de répondre là ? Le malheureux hurlait tellement que j'ai du lui injecter un sédatif pour qu'il me laisse le recoudre tranquillement. Pourtant aucun organe n'a été touché. Donc en effet, ce n'est pas trop grave. Cela dit,  même s'il était réveillé, vous pensez vraiment qu'il aurait quelque chose à vous dire d'utile ? Je veux dire, c'est qu'il avait pas mal bu Kaito !"

"Effectivement..."

L'Agent Patchett était forcé d'admettre que le médecin marquait un point. Cela dit, il faudrait tout de même interroger l'homme une fois qu'il serait réveillé... et sobre. Bon... Il avait encore une autre carte à jouer. La salle de la taverne était quasiment vide. Un homme derrière le comptoir, un Marine armé près de la fenêtre visiblement placé là pour veiller sur le blessé et le toubib. C'était le moment d'essayer de se servir de son Atout Maître, la gosse. Depuis son entrée dans la pièce elle n'avait pas détaché son regard du corps de son paternel. Était ce de la joie que Joseph croyait lire dans son regard ? Difficile à dire. Même si la gosse était sûrement une psychopathe, elle n'en restait pas moins une enfant. Elle devait aimer son père malgré tous ses défauts et l'Agent allait essayer de jouer là dessus.

"Maya... Quand tu es venu me voir tout à l'heure, tu as dit que tu voulais m'aider à résoudre l'affaire. Alors c'est ce que tu vas faire. Tu vas le faire pour moi mais aussi pour ton père. Tu aimes ton père pas vrai ? Oh je sais bien qu'il n'est pas le meilleur père du monde mais il n'en est pas moins ta seule famille maintenant que ta mère est euh montée au ciel."

Qu'est ce qu'il fallait pas faire pour résoudre cette affaire. Voilà que le Crack se retrouvait à prêcher l'amour filial. Comme si le sang avait quelque importance que ce soit. Comme si avoir une famille pouvait être important. L'Agent Patchett était cynique mais il était surtout crédible. On voyait là les résultats d'années de mensonges éhontés. Il pouvait faire passer des vessies pour des lanternes sans le moindre problème.

"Alors maintenant, je veux que tu te concentres Maya et que tu me dises qui est cet ami qui pense devoir tuer pour toi. Le tueur est forcément quelqu'un que tu connais et qui t'apprécie. Tu ne vas pas me dire que tu n'as pas le moindre ami ?! Tout le monde a au moins un ami bon sang, même dans un village pareil ! Allez, concentre toi !! Tu le connais forcément !!!"

Si ça ne marchait pas et qu'elle persistait à refuser de lui donner le nom du tueur, il l'emmènerait dehors et la passerait à tabac. Il n'en avait pas spécialement envie. Mine de rien, la façon qu'elle avait de le regarder comme s'il était l'homme le plus puissant du monde avait quelque chose de plaisant. Cela dit, la mission passait en premier. Qu'elle ait conscience de qui était le tueur ou pas importerait peu à ce moment là. Il viendrait forcément pour lui. Et s'il avait été négligeant au point de ne pas réussir à tuer Kaito Miso, alors il n'aurait pas l'ombre d'une chance face à lui. D'ailleurs si le père Miso pouvait se réveiller et lui décrire le suspect, ça serait parfait mais aussi sans doute trop demandé à une déesse de la chance particulièrement capricieuse.
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