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A nous le souvenir, à eux l'immortalité



    Je regarde ces quelques photos que l'on a sauvé des ruines de l'académie. Quelques photos d'anciens membres de l'ordre. Je suis absorbé par ces photos, pas vraiment à cause des têtes, plutôt par ce que ça représente. Voilà plus de 100 ans que l'ordre existe, il n'est pas question qu'il disparaisse. J'en fais une affaire personnelle. Nous nous devons d'être là et de former les futurs médecins qui, quand leur tour viendra, feront de même et ainsi de suite. Nous ne pouvons faire machine arrière, il en va de la santé mondiale. Les humains ne s'en rendent peut être pas compte mais du haut de mes 135 ans, je peux l'affirmer, les gens vivent plus vieux et surtout en meilleure santé. Il faut poursuivre inlassablement ce que nos anciens ont fait tout en perfectionnant nos méthodes, techniques et médicaments. Sauf que pour ça, il nous faut du matériel, un lieu, du temps et de l'argent. Quand nous avons perdu notre académie, l'ordre s'est dispersé, chacun est parti à droite et à gauche, vaquer à ses occupations. Aujourd'hui, un an tout juste après les tragiques événements, nous sommes tous, ou presque réunis à nouveau. Nous sommes venu rendre hommage à nos morts et à l'académie. Tous les toubibs sont là. Il y a encore des places de libres dans l'ordre, du jamais vu, pourtant ce n'est pas les candidats qui manquent. C'est notre volonté que nous avons laissé au placard devant le désespoir de l'académie à terre et devant les cercueils de nos amis. Mais chaque souffrance doit trouver son remède.

    Il fait beau aujourd'hui sur Drum, nous sommes nombreux, inconnus, toubibs, civils, à être présent sur le pilier centrale. Derrière nous le château dont on aperçoit les échafaudages, les travaux de restauration ont commencé. Devant nous, un paysage fabuleux, l'océan de Grand Line à perte de vue. Du haut du pilier, rien ne gêne notre vue, c'est tellement magnifique. Les rayon du soleil viennent nous réchauffer le visage. Il y a quelques arbres et surtout des murs, des ruines. Le temps, la neige, le vent, a fait son effet, tout est propre désormais. Il ne reste que quelques murs, pour ne pas oublier et une stèle. Une magnifique stèle où l'on a fait graver les noms des médecins morts pour la Médecine. Feux nos collègues y figurent. Le vent est glacial, il m'arrache une larme. Le Roi est en train de faire un discours, tout le monde est attentif, la mine songeuse et nostalgique. Marcel utilise des mots simples mais justes. Il rend parfaitement hommage à nos confrères. La cérémonie dure une trentaine de minutes, puis les gens quittent les lieux, sauf nous, les toubibs 20. En silence, sans se coordonner, nous fixons notre ancienne académie, notre ancienne maison. Soudain, les sœurs Barback font demi tour et vont pour rejoindre le téléphérique, Radley, dont Whou pousse le fauteuil, emboîtent les pas.

    Un instant je vous prie.

    Tous se tournent vers moi avec étonnement. J'ai le traque, j'ai préparé un texte ou plutôt un aide mémoire mais rien ne me vient, alors j'improvise.

    Je tenais à vous remercier d'avoir tous répondu présent pour ce triste anniversaire, nous nous devions d'être là. Votre présence me conforte dans l'idée que vous aussi vous regrettez le passé. Je sais que désormais vous avez tous vos activités à droite et à gauche et je vous en félicite vivement. Pas une semaine passe sans que j'entende de vos nouvelles par un tiers. Cependant, nous sommes dans le déni le plus complet. Nous restons prostré et nous nous occupons de nos petites personnes pour mieux masquer notre inaction avec l'ordre. Voilà un an que nous ne nous sommes point vu. Pas une seule réunion, pas un seul cas complexe à étudier ensemble, pas une seule action à proposer, pas un dossier de candidature étudié en vue de remplacer nos disparus. Nous sommes dans un état léthargique et il faut en sortir, sinon, autant dissoudre l'ordre.

    Ils ne disent rien, ils m'écoutent, je suis le premier surpris, je poursuis.

    Je vous connais depuis longtemps et je sais que c'est bien la dernière chose que vous souhaitez. Même si quelques tensions apparaissent entre nous, même si nos diagnostiques sont différents, même si nos caractères et méthodes divergent, nous étions, ou plutôt, nous sommes unis par une volonté d'aller de l'avant. De produire une médecine qui surclasse celle de nos prédécesseurs pour que l'humanité puisse en bénéficier. Mais pour que l'ordre existe, il lui faut une académie. Une académie pour se réunir, pour y travailler, pour y former, pour y vivre. L'ancienne académie était notre foyer à tous. Sans académie, autant retourner chaque à nos projets personnels et dissoudre l'ordre.

    J'inspire profondément.

    Maintenant, si comme moi vous avez envie de revoir une académie sur Drum et l'ordre des Toubibs 20 perdurer, aidez moi. C'est un projet qui me trotte dans la tête depuis quelques mois. Je vous le soumets en ce jour anniversaire. C'est une architecte que j'ai soigné durant des années qui m'a aidé à faire les plans. C'est un projet colossal qui nécessitera des centaines de millions de berrys en investissement. Je vous laisse juger par vous même. Moi j'y crois, tellement que j'ai quitté mon poste dans la Marine pour m'y consacrer à 200%. Je travaille déjà à ce projet mais pour l'instant, rien n'est lancé car je ne suis qu'un membre de cet ordre. Il nous revient à tous la décision de bâtir ce projet ensemble ou d'enterrer l'ordre maintenant. Vous allez peut être me trouver complètement fou et démesuré mais rappelez-vous d'une chose;

    Je suis un géant, je ne fais pas les choses à moitié !


    Je pose un genou à terre et je pose, à même le sol empierré des ruines de l'ancienne académie, les plans de mon amie l'architecte. Les plans de la nouvelle académie sont immenses et pour cause, le projet aussi. Je recule de quelques pas pour laisser le champ libre à mes confrères de les consulter. Je les regarde, ils sont tous estomaqués. Certains curieux comme Radley, Whou, Schultz et Mamour se jettent dessus. D'autres, plus calmes comme Amsterdam, n°4 et Octavius prennent leur temps mais finissent par s'approcher. La bande de filles, les Barback, Chunyu Yi et DalmaTia s’interrogent du regard, discutent ensemble deux minutes puis, d'un bloc, se joignent à ceux déjà regardant les plans. Carryline m’interpelle et me dit quelle n'a pas besoin de voir un dessin, quelle est partante pour le projet. Mangue Zelé, un peu plus froid, me dit à peu de chose près la même chose. Il ne reste que Modo qui semble être aux prises avec son esprit de scène. Il prend une posture pour le moins étrange et fixe la mer. Quand je m'approche de lui, il ne se tourne pas et me lâche, tel un acteur: "Je peux voir l'avenir depuis nos cimes, il est resplendissant." Quel comique celui là. Héhé

    Les discussions sont acharnées, tous débattent avec férocité. Je jette une oreille dans la mêlée inoffensive. Inquiet au début, j'appréhende le refus en bloc. Cependant, je suis vite soulagé quand j'entends qu'ils se chamaillent sur l'attribution des étages. Si ils ne sont pas d'accord sur les détails, c'est que le projet dans son ensemble les emballe. Je suis soulagé, je ne peux m'empêcher de sourire et de plaquer ma main sur ma poitrine en jetant un regard vers la stèle de nos disparus.
      -Alors c’est ça Drum ?
      -Tu t’attendais à quoi, mon chérie ?
      -Je pensais que les arbres seraient plus visibles.
      -Arnold … tu vas encore m’assurer que les arbres n’ont eu aucune influence sur ta décision de venir ici ?
      -Évidemment ! Ahah ! Tu me connais ! Les arbres, c’est surfait ! La forêt, on en voit tous les jours ! J’en ai marre.
      -Peut-être que Drum a des essences particulières.
      -Oh ouiiii ! Je veux les voiiiir !
      -Arnold …

      Sur le pont du Drakkar n° 7394 faisant le voyage entre Reverse Mountain et le royaume Drum, un couple de personnes admire avec une admiration non feinte le paysage magnifique du Royaume de Drum se révélant à leurs yeux. Enneigée, l’ile resplendit de mille feux sous les éclats de lumière du soleil. C’est un joyau de Grandline. Une pierre précieuse à l’état sauvage avec son climat difficile, ses piliers escarpés et ses forêts denses. Mais une pierre précieuse brillante d’humanité avec son peuple fier côtoyant les puissants montagnards. Et c’est sans compter que l’ile a eu son destin intimement lié à celui de l’académie de Médecine pendant bien des décennies.  Aujourd’hui, si ce couple de visiteurs, venu d’ailleurs, se rend à Drum, c’est justement pour ses médecins reconnu à travers le monde.

      Côte à côte, Arnold et Maria Ramba se tiennent chaud mutuellement à l’aide de grands manteaux de fourrure, hors de prix pour les touristes suffisamment naïfs pour les acheter, mais suffisamment bien fait pour ne pas trop sentir la morsure du froid charrié par le vent de terre de Drum. À leur côté, une vingtaine de personnes admirent avec plus ou moins d’intérêt les atours de l’ile ainsi exposés. Il y a là de jeunes personnes voulant perfectionner leur art de la médecine, des marins de retour au bercail après des mois d’expédition en mer pour passer l’hiver Drumien avec leur famille. En fait, seuls les Ramba paraissent comme des touristes au milieu de ce groupement de personnes.

      La vérité n’est pas si loin. Il y a de cela deux semaines, Maria Ramba a commencé à ressentir des douleurs et à se sentir mal. Pour la majorité des gens, être malade n’est pas anodin, mais c’est tout à fait exceptionnel quand on s’appelle Ramba. Pas une seule fois Maria Ramba n’a eu des symptômes d’une quelconque maladie, prouvant bien là que les organismes de cette famille sont plutôt hors du commun, et si en plus on peut en douter, on peut admirer la musculature impressionnante d’Arnold Ramba pour se convaincre qu’ils sont à l’épreuve des maux. Du coup, Arnold a tout de suite réagi comme on pouvait s’y attendre ; il en a fait des montagnes. Convaincu que sa femme était victime d’un mal rare et mortel, Arnold s’est empressé de préparer un voyage vers Drum, là où se situe la plus grande concentration de médecin du monde. Les plus talentueux aussi. Il faut bien ça pour soigner correctement Maria. En même temps, Arnold ferait tout pour sa Maria. C’est un homme bon, cet Arnold.

      Le voyage vers le départ de la Translinéénne fut assez rapide, les transports de bois étant assez réguliers depuis que les affaires du Consortium Ramba avaient décollé ses deux dernières années. Arnold paya cash les billets pour un aller simple pour Drum. Maria s’étonna qu’il n’ait pas pris le retour, mais Arnold avait pensé à plus loin.

      -Quand tu seras guéri, ma Mariachou d’amour, je t’amène où tu veux ! C’est nos vacances !
      -Oooooh ! Arnold ! Ne serait-ce pas le voyage de noces que l’on a jamais fait parce que tu avais toujours des choses à faire dans la forêt ?
      -Euuuuuh … voui ...
      -C’est pas grave, chérie. Tu es pardonné.

      Après vingt-cinq ans de mariage, il est toujours temps. Après, Maria n’a cessé de penser que le voyage de noce retardée pouvait se limiter à Drum. Le caractère forestier risque d’attirer l’attention d’Arnold. Heureusement, Maria est une épouse qui partage les gouts de son mari et des promenades champêtres ne l’ennuient pas, au contraire, elle a entendu parler de ses créatures étranges qui n’ont surement rien à envier aux Woks indigènes de la forêt d’Endaur. Et puis, la neige est une chose si rare à Endaur qu’elle appréciera grandement de profiter de cette manne du ciel. Du côté d’Arnold, on ne veut pas l’avouer, mais Maria a raison. Arnold est tellement prévisible pour celle qui partage sa vie depuis tant d’années. Persuadé qu’elle refusera, il cherche à éviter de l’inquiéter, surtout en cette période où elle est malade.

      -Nous accosterons dans une dizaine de minutes ! Veuillez rentrer dans vos cabines pendant les manœuvres.

      Le contrôleur Dobb Er-Mann indique au couple Ramba de passer par la porte menant au pont inférieur. Arnold le salue aimablement et Dobb lui répond avec le sourire. Les relations n’ont pas toujours été si cordiales avec le contrôleur. Certes, lors de la montée, Arnold avait perdu les billets et même si tout portait à croire qu’Arnold était dans les règles, il hésitait à leur faire confiance. C’est seulement quand Arnold exhiba sa musculature virile, à l’unisson avec celle de Dobb, que ce dernier n’eut plus aucun doute sur l’honnêteté du Père d’Adrienne. Toutefois, l’ambiance s’est détériorée en chemin quand Angelonita, le navigateur du Drakkar et grand amour de Dobb, a eu vent des attraits d’Arnold et qu’il s’est empressé de tourner autour d’Arnold, ce qui eut le don d’énerver Dobb au point de revenir sur cette affaire de billets. Ils en seraient venus aux mains si Maria n’avait pas eu la présence d’esprit de tourner autour de Dobb, provoquant ainsi une réaction de repli de la part d’Angelonita qui ne voulait pas se faire piquer son soupirant aussi facilement. Arnold a boudé une heure de voir sa femme charmer un autre homme, mais il a vite oublié. Dur de bouder sa femme chérie.

      Le couple Ramba réapparait équipé et paré pour l’accostage tandis que le navire s’est infiltré dans la baie de la principale ville de Drum, Bighorn. La navigation experte d’Angelonita fut étalée au grand jour, esquivant les plaques de glaces et les obstacles divers. De plus près, Drum parait un peu plus morne que de loin. L’ambiance semble même mélancolique, comme si la guerre n’était pas si loin que ça dans les esprits. Les vestiges de combats sont visibles. Là, la marine continue à veiller. Ça a le don de mettre le couple Ramba dans le ton. Ils sont là pour soigner Maria. Et ils comptent bien le faire rapidement.


      Dernière édition par Adrienne Ramba le Jeu 18 Juin 2015 - 22:31, édité 1 fois
      • https://www.onepiece-requiem.net/t2984-fiche-de-la-buche
      • https://www.onepiece-requiem.net/t2888-adrienne-ramba-fini-et-test-rp-poste
      Le soir arriva très vite sans que nous l'attendions, surement du au fait que nous passâmes presque toute la journée à débattre sur les plans. Au final, ils furent adoptés à la majorité unanime. Bien entendu, il y eu un grand nombres de remaniements mais rien de bien méchant par rapport au plan initial. Le travail de mon architecte avait eu un franc succès et je ne manquerai pas de la remercier à la hauteur de son travail titanesque. Les discussions n'arrêtaient pas, il faut dire que beaucoup d'entre nous ne s'étaient pas revu depuis la fermeture de l'académie. Je questionnais chacun pour savoir comment ils avaient occupé leur temps depuis. N° 4 est retourné chez lui, s'occuper de son père souffrant d'une maladie hélas incurable, la vieillesse. En parlant de vieux, Zélé m'avoua travailler sur un projet avec Ambroise, chose que je trouva assez inattendu quand on sait l'amour qu'ils se portaient à l'époque. De plus, je trouvais ça vraiment préoccupant qu'Ambroise n'est pas daigné m'en parler alors que nous nous étions croisé il y a peu. Whou et Radley semblaient couler des jours heureux à la retraite sur Drum dans leur petite maison en bord de lac. Ils effectuaient encore quelques consultations, plus par péché d’orgueil que par besoin. Modo avait refusé d'importantes propositions sur Marijoa, préférant ouvrir un petit cabinet sur Dead End pour rafistoler les gueules cassées des pirates sans le sou. Sans grande surprise, Dalmatia et Chunyu Yi avait monté un sanctuaire de la médecine parallèle sur Shabondy. J'avais eu vent que ça marchait plutôt bien pour elles et je craignais quelles refusent de revenir parmi nous mais je me trompais. Octavius ne lâcha pas facilement ces activités et ce n'est presque que par déduction que j'ai réussi à savoir qu'il s'était enfermé sur Bulgemore pour faire des études approfondies. Pour Amsterdam c'était là aussi facile puisqu'il n'était autre que le directeur de l'asile du Royaume de Luvneel. Les soeurs Barback, dont l'une venait de se marier récemment s'étaient installées sur Ohara, l'une pour l'histoire fantastique de l'île et l'autre pour la renaissance admirable de l'île. Mamour, qui semblait avoir mûri au premier abord n'était pas parti très loin de ses conquêtes. Il faisait des aller retour entre Drum et Little Garden afin de vacciner tous les dinosaures de l'île... Schultz n'avait pas chaumé non plus, il avait monté un cabinet dentaire sur Innocent Island mais même si l'idée était sympa de vouloir surveiller les quenottes des bambins de cette île, la clientèle ne s'y pressait pas. Et pour finir, Carryline qui aurait du être la première à s'expatrier après son accident lors de la bataille de Drum, resta sur place pour on ne sait quelle raison. Au final, chacun avait vogué ici et là, chacun aurait pu faire table rase du passé et avancer vers une tout autre destinée mais non. Ils étaient tous présents, l'allégeance au serment d'Hypocrite semblait plus fort que tout.

      Rastignac, c'est bien beau tes plans, mais il te faut combien ?
      Oui c'est vrai ça, ça doit coûter bonbon...
      Nous allons être ruinés...
      Plusieurs millions tu as dit ?
      Centaines de millions...


      Pour dire vrai, selon mes premiers calculs, pas moins de 400 000 000 Berrys.

      ...
      Fiiiouuuuuu
      A ouais quand même...
      Hum
      Ça pique un peu la facture


      N'oubliez pas que dans cette somme est compris le chantier du Train rapide.

      Certes
      C'est ambitieux
      C'est surtout onéreux...
      Et comment on paye une somme pareille ?
      J'ai beau facturer plus que de raisons, j'ai pas cette somme.


      Faisons un peu les comptes les amis, Dites moi combien vous pouvez poser sur la table. N'ayez crainte, personne se sera jugé sur ce qu'il mettra à disposition. Faisons de notre mieux, nous ne faisons pas ça pour l'argent mais pour le bien de tous.

      Le bien de tous...

      Après comptage, l'ordre des Toubibs 20 pouvait aligner presque 100 millions, soit 1/4 de la somme demandée. J'avoue ne pas m'être trop appesantie sur la questions, à tord, mais il allait bien falloir le trouver cet argent si on veut avoir une académie digne de ce nom. Hors de question de faire des sacrifices ou des économies de quatre bouts de chandelles. Personnellement, j'avais 6 millions à mettre. Sur le coup, je me sentais un peu honteux de ne pas avoir fait en sorte d'obtenir d'avantage. Tous jouèrent le jeu et firent de leur mieux pour rebâtir cette académie. Mais c'était loin d'être suffisant.

      Si vous avez des idées pour le financement, c'est le moment. Là, à chaud, j'ai quelques idées. Une quête sur Drum, une subvention du Roi Marcel, un partenariat avec la Marine pour former leurs toubibs, un emprunt à long terme, démarcher les îles voisines et les gros hôpitaux pour obtenir des fonds. Vendre un calendrier de nous en petites tenues.

      Eugène Rastignac !

      Je plaisantais Dr Radley, rassurez-vous.

      C'est bien beau tout ça mais on a un autre gros problèmes que l'argent. Car après tout, l'argent, c'est pas ce qui manque sur ce fichu monde, par contre, un leader et chef de chantier, ça pour le moment, c'est pas facile à trouver. Je vous signale quand même que nous n'avons toujours pas de n° 1 et que nous sommes dans le déni le plus complet à ne pas vouloir remplacer notre ami et confrère mort il y a peu. Sans n° 1, nous n'avons pas de poids, nous ne pouvons assister tous ensembles aux réunions et prendre des décisions. Il faut un chef, maintenant. Un chef qui se sent d'aplomb pour porter cet ambitieux projet à bout de bras, un chef pour aller chercher les berrys cachés bien au chaud dans les poches des riches de ce monde. Il nous faut quelqu'un avec de la poigne, de la diplomatie et surtout, qu'il représente à lui seul l'ordre... C'est pourquoi je me propose à ce pos...

      BAAAAM

      Huhu
      Derrick Shepherd, espèce de triple buse d’empoté, combien de fois t'ai-je dis que tu ne peux prétendre à ce poste.  
      Mais...
      Il suffit, tu as raison, il nous faut un chef mais pas toi, je ne tiens pas à ce que notre ordre se transforme en une espèce de foire à la saucisse.
      * Rire général *
        Tandis qu’Arnold fait ses adieux à Dobb, lui proposant pour la troisième fois de quitter son boulot pour rejoindre la compagnie Ramba afin de pourvoir à un poste qui n’existe pas encore, mais qui deviendra d’une importance vitale pour la compagnie ; Arnold ne sachant absolument pas ce que ça pourrait être, Dobb est difficilement convaincu ; Maria descend du bateau à la suite des gens du coin qui ne s’embarrasse pas vraiment d’un cérémonial particulier en arrivant à Drum. Ceux qui sont partis il y a de longs mois sautent dans les bras de leur ami ou famille venus les récupérer sur le pont de bois gelé. Les étudiants jettent un regard vers la cime du pilier de l’Académie des Médecins avant d’enfoncer leur tête dans leur manteau, se protégeant de bourrasques de vent aussi glacial. Mais pour Maria, c’est particulier. Elle descend lentement le long de la planche de bois leur servant à débarquer, craignant la traitrise de la glace. Puis, pour son dernier pas, elle l’enfonce délicatement dans un léger manteau de neige de plusieurs centimètres. La sensation de cette matière qui n’a jamais été aussi abondante à Endaur ; et les dernières neiges remontent déjà à bien des années ; suffit lui redonner ce sourire qui charme tant Arnold Ramba et qui rassurent toujours ses enfants. Elle saute ensuite dans la neige, les deux pieds joints. Elle éclate de rire, cette neige lui redonnant sa vigueur et son esprit d’enfant. Elle jette un regard lumineux vers son mari qui ne sait pas mettre un terme à sa tentative de recrutement et elle a une idée.

        Sur le bateau, Dobb n’en démord pas.

        -C’est très gentil, Arnold, mais je ne bougerais pas sans Angelonita. Et je ne bougerais pas pour quelque chose qui me semble plutôt nébuleux.
        -Mais je t’assure ! Je sais pas encore, mais on fera de grandes choses !
        -Écoute… Je garde ta proposition dans un coin de ma tête. Et le jour où tu sauras, tu m’appelles ?
        -D’accord !
        -C’est bien ça !

        Arnold est sur le point d’en rajouter un peu quand une boule de neige vient percuter l’arrière de son crâne. La glace qui s’immisce instantanément dans son cou lui donne un frisson déplaisant qui l’incite à se retourner sans tarder pour rouspéter le malandrin. Il a la surprise de s’en prendre une deuxième en pleine figure tandis qu’à quelques mètres devant lui, il ne peut que reconnaitre le rire de sa tendre et chère épouse. Enlevant la neige recouvrant son visage, il la découvre, là, formant des boules de neige, un sourire s’étalant sur son visage à moitié dissimulé sous une écharpe de laine.

        -Mais enfin ? Mon délicieux sucre d’orge adorée ? Pourquoi tu fais ça ?
        -Ta princesse est abandonnée toute seule sur ce ponton fragile ! Elle a besoin de son chevalier servant !

        Maria sait parler à Arnold. Et derrière ce corps musclé, elle sait qu’il se cache un cœur qui résonne à tous les stéréotypes du monde dans le domaine de la romance. À l’évocation de son devoir de chevalier servant, Arnold se raidit, fier, et abandonnent totalement son nouvel ami Dobb pour s’élancer sans grâce dans les cieux pour atterrir à côté de son aimée, déposant son sac à ses pieds tel un soldat. À l’impact, les poutres du ponton grincent, mais tiennent bon. Maria chavire un instant sur ses jambes, mais Arnold la saisit dans ses bras puissants avant de la porter à sa hauteur pour qu’elle puisse passer ses bras autour de son cou. Souriant de coin pour se donner un genre, elle ne fait que provoquer un petit rire chez Maria.

        -Ma princesse, votre chevalier servant est à tout à vous.
        -Oooh. Arnold. Tu sais bien que je suis tout à toi aussi.
        -Vouiii…

        Son sourire devient béat. Maria vient lui tapoter la joue pour attirer son regard.

        -Ce n’est pas que je n’aime pas le paysage, chevalier Arnold, mais il fait frais.
        -Oh ! Oui ! C’est vrai ! Allons trouver un endroit pour nous réchauffer !
        -Au revoir Dobb ! Passez le mot à Angelonita !
        -je n’y manquerais pas.

        Le couple transi d’amour se met alors en marche. Ou plutôt, Arnold se met en marche, ne se plaignant pas une seule seconde à devoir porter toutes les affaires du couple en plus de son épouse, ce n’est rien comparer aux troncs qu’ils transportent à la seule force de son épaule. Après un temps pour s’habituer, Arnold parvient à trouver le bon rythme pour progresser dans la poudreuse de Drum. Un chemin plutôt dégagé mène au village côtier le plus proche et le père de famille s’y engage, parlant de tout et de rien avec Maria. Il y a encore quelques jours, elle n’allait pas bien. Aujourd’hui, elle parait n’avoir aucun mal. Peut-être que ce voyage a été suffisant pour guérir ce qui la tourmentait. Peut-être que ce n’était qu’une réaction de son corps à cause de la fatigue ou d’une situation de stress. Arnold n’y réfléchit pas. L’instant présent lui suffit. Arrivant au village, celui-ci paraitrait désert si un filet de fumée ne sortait pas de toutes les cheminées. Au loin, des nuages laissent penser qu’il neige sur l’autre moitié de l’ile. Le mauvais temps arrivera bientôt. Il faut mieux ne pas trop trainer à l’extérieur et suivre la recommandation implicite des habitants du coin qui savent bien qu’ils n’ont pas l’utilité d’affronter les éléments. Malgré ce qu’on a pu leur raconter, le couple Ramba ne remarque pas de traces de combat suite aux conflits contre les révolutionnaires. Peut-être que tout est fini.

        Arrivant devant ce qui semble être la taverne du village ; le bruit des conversations parvenant à passer au travers des murs, Arnold redépose sa jolie femme avant de lui ouvrir la porte de l’établissement. Une fois à l’intérieur, ils sont cueillis par une véritable bouffée d’air chaud parfaitement entretenu par une quarantaine de Drumiens buvant et mangeant avec une vigueur sans pareil. Un couple de gamins passe entre les chaises sous le regard attentif de leurs mères tandis qu’une jeune serveuse se voit obliger de les esquiver tandis qu’elle vient apporter un plateau rempli de verre plein à une table, l’accueillant avec la joie propre aux hommes qui ont soif. Si au début, le couple Ramba passe inaperçu, ils sont de plus en plus à prendre conscience de leur présence et à comprendre qu’ils ne sont pas du coin tandis que les Ramba s’avancent vers le comptoir. Le bruit s’étouffe peu à peu dans un silence gênant tandis que l’aubergiste vient prêter une oreille attentive aux nouveaux clients.

        -Vous voulez ?
        -Est-ce qu’il est possible de louer une chambre pour plusieurs nuits ?
        -Louer une chambre ? Et bien, ma petite dame, on en a quelques-unes, mais elles servent plus beaucoup. Faudra pas m’en tenir rigueur.
        -Ne vous inquiétez pas. Nous n’en ferons rien.

        Derrière eux, quelques hommes se lèvent et un mastodonte plus grand qu’Arnold vient poser sa paume sur l’épaule de ce dernier qui se retourne sans aucune méfiance.

        -Vouii ?
        -Z’êtes des étrangers ?
        -Oui. Nous sommes là pour diverses raisons.
        -Par exemple ?
        -Le boi… le … la for… euuuh …. Le tourisme !
        -Z’êtes des touristes ?
        -C’est ça !
        -On aime pas trop les touristes par chez nous, étrangers.

        Arnold jette un regard circulaire dans la pièce. Les visages ne sont pas hostiles, mais davantage méfiants. La récente guerre est encore dans tous les esprits. Et alors que les dégâts et les pertes sont les plus grandes chez les Drumiens, ce sont des gens de l’extérieur qui ont provoqué et conclut cette guerre. Les blessures sont encore trop profondes et la méfiance envers les étrangers est de rigueur. Surtout pour des touristes. Si la passion des touristes est de s’extasier devant une ancienne zone de guerre et d’admirer la souffrance d’un peuple blessé, il ne fait pas bon d’être touriste à Drum. Et c’est cette interrogation qui est dans tous les yeux de l’assemblée. L’aubergiste est dans le même état d’esprit, faisant passer sa fidélité au peuple Drumien avant l’intérêt pécuniaire. C’est Maria qui vient à la rescousse de la bonne ambiance.

        -Pour dire vrai, je suis un peu malade. Et mon mari nous a conduits ici pour bénéficier des soins du cercle des médecins. Une fois que je serais guérie, mon époux et moi comptions profiter du charme de votre ile. Chez nous, nous ne connaissons pas souvent la neige, mais nous aimons la beauté de la nature. J’aime beaucoup votre ile. Elle a quelque chose de beau et fragile tout en étant forte et fière.

        Ces quelques mots ont le don de rassurer quelques esprits. Les femmes reconnaissent bien là le cœur pur de Maria et la femme de l’aubergiste lui fait bien comprendre qu’ils ne semblent pas bien méchants. Alors qu’elle interpelle Maria pour régler les détails, l’homme qui a apostrophé Arnold ne s’arrête pas là, toisant le bucheron de haut.

        -T’es du genre à aimer la nature, toi ?
        -Évidemment !
        -J’parie que t’aies même pas capable d’apprécier la beauté de nos forêts.
        -Quoi ? Tu te trompes ! Je suis là pour ça en plus ! Enfin, je veux bien tester ça ! Je suis un bucheron ! Et ressentir les arbres et la forêt, ça fait partie de mon travail, même si c’est plus une vocation qu’un travail !
        -T’es bucheron ?
        -Oui ! ça pose un problème ?!
        -Nan. J’en suis un.

        Et l’homme se met à sourire, tendant sa main qu’Arnold saisit avec vigueur sans hésiter. Chacun à leur tour, ils ont vu dans le regard de l’autre qu’il ne ment pas et qu’ils appartiennent à cette grande famille des amoureux de la nature. Alors que le bucheron de Drum, répondant au nom de Pat Hercem, invite Arnold à boire un verre en signe d’apaisement, Maria sourit à Inès, la femme de l’aubergiste en lui demandant à demi-mot pour que son mari ne puisse pas entendre.

        -Vous n’auriez pas une chambre qui fasse un peu romantique ?

        Inès sourit. Elle a compris. Et elle sait quoi faire.
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        -Maaaariaaaaa, Il faut y aller ! Pat nous attend !

        Pour la troisième fois en moins de deux minutes, Maria lève la tête en direction de la porte de la chambre, souriant devant l’enthousiasme tout récent de son mari. Dire qu’il y a quelques heures, c’était elle qui était prête à aller à l’académie de Médecine, mais Arnold n’a pu s’empêcher de renforcer ces relations avec Pat et ses amis bucherons. Dans ce domaine, les hommes de toutes les régions, de toutes les ethnies et de tous les bords savent se retrouver pour partager cette passion commune. La douceur du bois sous la main, le craquement du bois qui vient annoncer la fin d’une vie, le bruissement du vent dans les feuilles comme si la végétation elle-même tente d’entrer en communication avec ces individus qui vont bien au-delà de leur travail des forêts. Ils ne font pas que couper, ils permettent à la forêt de vivre et de s’épanouir. Certains arbres doivent être coupés pour laisser la place aux plus jeunes. Les maladies et la pourriture sont autant de maux qui ne peuvent être guéris et les bucherons agissent comme des médecins supprimant les cellules cancéreuses de la forêt. Drum est connu pour ses vingt toubibs. Les bucherons sont le vingtième toubib de l’ile. Ils n’ont parlé que de ça pendant des heures et Maria s’est isolée dans son nid douillet, profitant de la chaleur de la douceur des draps et de la chaleur de l’âtre d’une cheminée. Inès est venue plusieurs fois lui parler, lorsqu’elle en avait l’occasion. Maria aussi a noué une amitié naissante avec l’aubergiste. Toutes les deux mères,  elles partagent aussi le fait d’être des étrangères. Inès est venue à Drum il y a vingt ans. Au fil des années, elle s’est totalement intégrée à la population, trouvant mari, foyer et enfants. Mais elle a su garder ce regard extérieur de fille de Luvneel venue ici pour soigner sa mère malade. Lorsque celle-ci est décédée l’année suivante, elle n’a pas voulu quitter le sol où l’on a enterré son corps. Elle ne regrette rien.

        -Maaaaariaaaaaaa !!
        -Oui, j’arrive chérie !

        Un vrai enfant. Son plus grand enfant, et celui-là, il restera à vie à la maison. A cette pensée, Maria ne peut s’empêcher de tourner son esprit vers ses enfants. Adrienne perdue sur Grandline, mais son cœur de mère lui dit de ne pas s’inquiéter. Ces autres fils restés à Endaur qui font prospérer l’entreprise Ramba. Il serait temps qu’il se trouve des demoiselles à partager leur vie. Elle le sent, son instinct maternel. Celui qu’elle a eu avec ces enfants, il cherche à revenir pour renouveler l’expérience, cette fois en tant que grand-mère. Ces enfants ont été son plus beau cadeau après sa rencontre avec Arnold. Elle compte bien avoir un nouveau cadeau du ciel, et pas dans trop longtemps tout de même. Une nouvelle fois, Arnold donne de la voix. Maria passe son écharpe autour du cou avant de sortir en fermant derrière elle. Pas de clé, il n’y’en a pas besoin. Inès veille et les voleurs sont quasi inexistants ici. Dans ce coin ou tout le monde se connait et où les fauteurs de troubles sont très mal vue, il vaut mieux faire profil bas quand on a la fibre criminelle. Descendant les escaliers menant à la salle commune, Maria découvre Arnold chaudement habillé d’un manteau de peau ; du lapin parait-il ; et se tient bras dessus, bras dessous, avec Pat qui va nous guider jusqu’au téléphérique.

        -Ah ! Enfin ! Il faut absolument que l’on te fasse examiner ! On a trop trainé.
        -Oui, mon chéri. Allons-y.

        Maria ne fait aucune remarque sur le temps qu’Arnold a exigé pour papoter avec Pat. Elle est comme ça, Maria, elle ne s’embarrasse pas de ce genre de détail. Le bonheur de son mari passe avant tout. Sortant de l’établissement, elle constate rapidement qu’il a neigé ; elle ne s’en était pas aperçue, déposant ainsi un nouveau manteau neigeux qui a redonné au paysage son statut de nature empli de pureté. Intouchable. Marcher dans la neige, c’est presque briser la beauté du paysage. Maria s’amuse rapidement à marcher dans les pas de son mari malgré ses enjambées puissantes, marchant côte à côte avec Pat. Celui-ci leur parle de son pays. De la guerre dans un premier lieu, mais surtout de l’après. De ces géants venus de la marine , suivant le docteur Rastignac dans sa quête de reconstruction de l’académie de médecine. Il parle de la milice qui s’est reformée, des montagnards qui sont sortis de leur retraite à l’occasion de la guerre. Il parle beaucoup du roi, de ses désirs pour son pays. Les Ramba sentent rapidement qu’il y a beaucoup à attendre des années qui arrivent. Les plaies doivent être pansées et les cœurs doivent redevenir à nouveau chaleureux. Mais l’espoir existe. Là-haut, au sommet du pilier central, les cœurs battent à l’unisson pour redonner à l’académie de médecine toute sa grandeur.

        Le seul moyen d’accès pour le pilier, justement, c’est le téléphérique. Surveiller étroitement par une vingtaine d’hommes qui guettent nerveusement le moindre souci technique, ils sont prêts à agir au moindre signe annonciateur d’un problème. Car c’est le seul moyen d’accès, sa panne coupe les hommes du pilier du reste du pays. Après, Pat raconte que les géants sont tout à fait capables de descendre du pilier à la force de leurs mains immenses. Le regard d’Arnold se met à briller et Maria sait le décrypter dans la seconde. Il en vient à espérer une panne pour voir ça. Elle vient lui donner un doux coup de coude dans les côtes pour le rappeler à l’ordre.

        -S’il tombe en panne, on saura pas ce que j’ai.

        En parlant de ça, quelques douleurs reviennent, principalement au niveau de son estomac et de sa poitrine. Elle fait signe à son mari que ça se fait sentir. Il accélère soudainement le pas.

        -Place !! Place !!

        Sauf qu’il n’est pas tout seul pour accéder au pilier. Ils sont des dizaines à vouloir monter. Il y a là des travailleurs attendant leur tour pour aller aider à la reconstruction, il y a aussi des apprentis médecins, ou des étudiants en devenir, souhaitant fournir leurs âmes et leurs vies aux illustres membres du cercle des médecins de Drum pour faire d’eux des spécialistes chevronnées. Il y a aussi une patrouille de la marine en charge de la récupération et du tri de tout ce qui aurait pu appartenir à la marine ou au révolutionnaire, afin que ça ne tombe pas entre de mauvaises mains. L’ambiance est plutôt tendue, plus parce que le téléphérique est lent et que les gens à vouloir monter son nombreux. La venue du grand Arnold interpellant les gens devant lui à s’écarter pour laisser place à sa femme n’est pas du gout de tout le monde. Il ne faut pas longtemps pour que les esprits s’échauffent.

        -Mais vous allez attendre votre tour, comme les autres ?!
        -C’est une urgence médicale ! Ma femme est très malade !
        -Malade ? j’ai les deux jambes brisées et elle se porte comme un charme, vous voulez rire ?!
        -S’il vous plait, monsieur, veuillez arrêter de faire un scandale.
        -Mais c’est ma femme ! Ma choupinette adorée ! Elle résiste à la douleur ! Quel courage !
        -Ce n’est rien mon chéri, on peut attendre.
        -Ouai ! Vous pouvez attendre ! Et les marines, aussi, ils peuvent attendre ! Priorité au Drumiens ! On veut pas d’eux !
        -Allons, monsieur, calmez-vous. On est là que pour votre sécurité.
        -Mon œil ! C’’pas parce que vous avez repoussé ces connards de révolutionnaires que je vous ai à la bonne ! Drum restera aux Drumiens !
        -Calmez vous, voyons, ne donnez pas une piètre image de notre pays.
        -Il a raison !
        -Non, il a tort !
        -ça suffit comme ça !
        -Non !

        On n’en arrive à plus savoir qui parle. Et le téléphérique arrive dans l’indifférence la plus totale, crachant ces ouvriers fatigués revenant à leur chaumière, tandis que le préposé à l’entrée reste perplexe face à ces gens qui ne pensent plus à monter, mais pensent surtout à crier plus fort que les autres. C’était sans compter la venue d’une personne en fauteuil roulant qui a le don de donner de la voix.

        -ÇA SUFFIT COMME ÇA ! LE PREMIER QUI PARLE, JE LUI ENFONCE MON STÉTHOSCOPE DANS LA BOUCHE !

        C’est une vieille femme enfoncée dans son fauteuil qui vient de mettre tout le monde d’accord. Les Ramba ne le savent pas, mais il s’agit du docteur Hémy Radley, numéro 13 dans l’ordre des toubibs 20. Elle a l’aura suffisante pour inspirer le respect pour toutes les classes de la société Drumienes représentées là. Même les Ramba se sentent investis d’un certain respect et n’osent intervenir.

        -Maintenant, vous allez entrer dans ce téléphérique et cesser de ne parler pour rien.

        Ça réagit. D’autres continuent à la fixer, légèrement rouges.

        -Quoi ? Vous attendez quoi ? Ah, je sais. La voilà.


        Elle montre une photo avec un grand sourire. Maria devine rapidement que cette belle jeune femme, c’était elle, il y a bien longtemps. Mais on ne demande pas son âge à une femme. Toutefois, Maria profite de l’occasion pour s’approcher d’elle.

        -Vous êtes très jolis.
        -Oooh, vous me flattez.
        -Vous êtes médecins ?
        -Oui, en effet. Docteur Hémy Radley. Vous avez besoin d’un médecin ?
        -C’est exac…
        -Oui Madame ! Ma femme est très malade ! Elle souffre ! Jamais elle n’a souffert ainsi ! C’est surement une maladie très grave ! Il faut la sauver, madame ! S’il vous plait ! Je vous en supplie à genoux !

        Joignant le geste à la parole, Arnold plonge ses genoux dans la neige, prenant les mains de la docteure entre les siennes, celle-ci ne peut s’empêcher d’esquiver un petit sourire, trouvant amusant cette passion de l’homme pour la santé de sa dulcinée. Elle finit par le faire lâcher prise.

        -Pas besoin de ça. Lachez moi, voyons. Pendant que tout le monde monte dans le calme et la tranquilité, je vais faire un premier diagnostic. Mais à une condition.
        -Vouii ?
        -Promettez moi d’être sage.
        -Je le jure.
        -Bien. Brave garçon. Madame, pouvez-vous venir avec moi, que l’on puisse voir ce qui ne va pas ?
        -bien sûr.
        -Moumoune … ne t’écartes pas trop…
        -Je reviens Arnold, ne t’inquiète pas.
        -Vouiiii.

        Une dizaine de minutes plus tard, Hémy ne peut s’empêcher de sourire.

        -Vous savez ce que j’ai ?
        -Je pense. Vous irez voir la docteur Barback. Elle saura tout vous dire.
        -C’est grave ?

        Hémy lui lance un regard pétillant de malice l’espace d’un instant.

        -En quelque sorte, ça peut l’être. Mais vous comprendrez que, finalement, ça ne l’est pas.
        -Ah.
        -Et au fait …
        -Oui ?
        -Félicitations.
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        Une fois en haut du pilier, la haute stature de l’académie des médecins de Drum se dévoile au regard des nouveaux venus. La bâtisse découpe l’horizon plutôt uni ; le sol est recouvert d’un manteau neigeux parfaitement plat tandis que le bord opposé n’est qu’une limite à peine visible avec le ciel gris et nuageux de ce jour. Le ciel est bas et pèse sur les esprits. Malgré la magnificence de l’académie, son état force l’admiration à se transformer en tristesse. Le bâtiment est éventré, les fenêtres sont soufflées et les gravats s’amoncellent tout autour. Là, le bâtiment est éventré en une large plaie béante que des géants n’ont pas su guérir à temps. Comme des milliers d’insectes, les médecins et les bonnes âmes de Drum parcourent l’académie mourante pour récupérer ce qui peut être récupéré et construire le renouveau de leur ordre. La médecine ne meurt jamais. Car la médecine, ce n’est pas seulement un bâtiment de pierre et de bois, c’est surtout des cœurs qui battent à l’unisson de leur patient. Plein de vie. Plein de projets. Plein d’espoirs.

        La station d’arrivée du téléphérique est placée au milieu d’un petit village de tente et d’abri de fortune. La neige a été tellement labourée des pas des hommes qu’elle s’est transformés en une boue infâme dans laquelle les moins attentifs glissent à s’en briser le coccyx. Il y a là l’équipe en charge de la maintenance de l’appareil qui ne cesse de surveiller leur bébé, véritable cordon ombilical entre les cieux et le sol. Une file de personnes attentent leur tour dans la brise glaciale des hauteurs avec un calme surprenant qui dénote avec l’impatience de ceux d’en bas. Les visages sont fatigués, voire émaciés. Ce sont beaucoup d’hommes et de femme qui ont passé les dix dernières heures à travailler pour récupérer, construire, rénover et transporter. Des taches physiques, mais aussi beaucoup de paperasses à remplir et de plans à mettre au point. On ne construit pas en un jour, mais surtout, on ne construit rien sans savoir où l’on va. Un chemin de boue et de neige fondue de quinze pieds de large trace directement vers l’académie en ruine, traversant un deuxième camp de plus grande ampleur. Pat a dit qu’on y trouvait tous les médecins et les étudiants restant encore à Drum, mais aussi les plus acharnés des travailleurs, les équipements et les matériaux de construction. Plus loin, sur la droite, les hautes statures des géants, fraichement démissionnaire de la marine, s’activent dans des démarches lentes, mais qui font trembler le sol. Le grondement des pas est incroyable, mais pour ceux qui connaissent ça depuis des semaines maintenant, il n’y a que la fatigue dans leur trait.

        -Ce n’est pas très gai, tout ça.
        -Méfie toi, Arnold. Dans leurs yeux brille une flamme qui ne peut s’éteindre.

        Maria aurait pu ajouter qu’elle voyait cette flamme dans les yeux de son mari tous les matins et tous les soirs, mais elle s’est retenue. Arnold a approuvé du menton tandis qu’ils se sont écartés du téléphérique pour laisser la place aux descendants de prendre place dans la cabine. Le couple d’amoureux, blottis l’un contre l’autre, regarde l’horizon, l’académie et les gens qui passent à côté d’eux sans savoir quoi faire. Arnold met le grappin du regard sur des troncs d’arbres transportés à dos d’hommes solides vers le chantier, mais se retient d’accourir dans leur direction pour expertiser cet habitant de la forêt. La santé de sa femme est en jeu. Maria, quant à elle, est pleine d’empathie pour ceux dont le moral n’est pas au beau fixe. Elle les regarde et leur sourit. Ce sourire honnête et ampli d’humanité, c’est un sourire d’amour qui fait rejaillir un peu d’espoir dans le cœur terne de ces gens-là. Elle continue jusqu’à ce que Pat vienne interrompre ce dialogue de muet ô combien riche en mots.

        -Suivez moi. On m’a dit que le docteur Barback se trouvait dans le camp principal. Je vais vous y conduire.
        -Allons y Maria !
        -Oui, chérie.

        Quittant presque à regret cet endroit, Maria suit le groupe d’hommes sur le chemin menant vers l’académie. Encerclé par une colonne de déblayeurs, pelle sur l’épaule et entonnant un chant plein de motivation et par un groupe de trappeurs venus apporter leurs dernières prises à la cantine du camp, les Ramba et les bucherons font une marche tranquille où ils finissent par entonner en canon avec les déblayeurs leur chanson pas si difficile que ça. Chacun donne de la voix et le combat de choral ne laisse personne indifférent sur l’autre moitié de la route où les gens quittent le chantier. Certains éclatent de rire. Au loin Un groupe d’ouvriers fatigués reprennent la chanson avec une énergie insoupçonnée ; ils sont les premiers surpris.

        Les premières tentes se présentent à leur côté. Il y a de l’agitation partout. Des cris. Des appels. Des bousculades. La circulation n’est pas très ordonnée, mais les compromis vont bon train et chacun parvient à faire ce qu’il est censé faire assez rapidement sans embêter la moitié du plateau. D’un signe de main, Pat désigne un quartier du campement, là où on trouve la majorité des médecins continuant à exercer leur profession malgré la rudesse de la situation. Les Ramba aperçoivent aisément les grandes tentes, presque des chapiteaux, montées pour que les experts médicaux du monde connu puissent maintenir le principe même de l’Ordre des Médecins. Aider et soigner. Il ne faut guère de temps à la petite troupette pour parvenir aux chapiteaux, mais la tâche s’avère plus ardue pour l’entrée. Il y a du monde. Les entrées et les sorties sont nombreuses. Et les méthodes de chacun ne sont pas toujours les meilleures !

        -Laissez plaaaace ! Ma moumoune est gravement malade ! Poussez vous !
        -Du calme, Arnold. Tout va bien. Je ne suis pas mourante.
        -Mais … Ma choupinette …
        -Reste calme et tu auras un bisou, d’accord ?
        -Vouiii !

        Pat est d’un bien meilleur secours, puisqu’il revient après une courte absence avec une indication de la localisation précise du docteur Barback. Le petit groupe part dans la direction d’une tente beaucoup plus petite. Maria est prête à entrée en première, mais c’est Arnold qui la devance et qui entrouvre le pan de la tente.

        -Excusez moi, il y ….

        Une main l’agrippe au col et, avec une force étonnante, le tire à l’intérieur. Maria et Pat s’empresse d’entrée à l’intérieur, surpris, pour voir Arnold se faire assoir sur une table d’examen rudimentaire par une femme qui ne ressemblent pas beaucoup à celle qu’ils ont vu précédemment, mais qui l’avantage d’avoir une aisance dans les gestes et dans le propos qui donne tout de suite du crédit à sa fonction de docteur.


        Assis dans un fauteuil, non loin, son image exacte tourne la tête pour regarder, intriguer, Arnold, avant de s’intéresser à Ramba et Pat qui ne savent comment réagir face ce qui vient de se passer. La docteur, elle, ne semble pas du tout déranger par la situation et vient coller un thermomètre entre les lèvres surprises d’Arnold.

        -Ne dites rien. Rhumatismes ? Douleurs abdominales ? Troubles de la digestion ?
        -Mmmhh euh…
        -J’aurais dû m’en douter. Et vous auriez de l’écouter votre médecin. Une hygiène irréprochable, une alimentation saine et un verre de picole tous les soirs, c’est le secret d’une vieillesse assuré.
        -Aaah ?
        -trouble de l’audition ? Je vais voir ce que je peux faire. Des méthodes efficaces qui ont prouvé au cours des années que ça marchait du tonnerre, y’a que ça de vrai. Vous connaissez la technique Kilsh ? Une heure de course, matin et soir, et vous retrouvez votre jeunesse. Pas besoin de tous ces trucs d’assisté. Vous êtes vieux, mais vous êtes fiers, n'est-ce pas ?
        -Ah bon ?
        -Que dit la température ? 38 ? Vous êtes chaud ma parole. Je vais vous faire une piqure.

        A ce mot, Arnold blêmit.

        -Nooon ! Pas … Pas la piqure ! Je veux paaaas !
        -Allons ! Laissez vous faire ! Mathilde, viens m’aider. Il doit souffrir de troubles traumatiques dus à son enfance. C’est ton rayon, non ?
        -Non Alice. Et puis, surtout, il n’est pas vieux.

        Alice Barback regarde un instant sa sœur jumelle tandis qu’elle brandit l’aiguille dans les airs, fixant le regard d’Arnold. Son regard vient glisser vers le père de famille avant de le détailler de bas en haut. Elle soupire.

        -C’est vrai qu’il est un peu trop en forme pour ça.

        Il ne faut pas longtemps pour qu’Arnold retrouve les bras réconfortants de sa dulcinée tandis qu’Alice et Mathilde Barback parlent. Apparemment, l’absence de vieux à cause des derniers événements et de la localisation de l’hôpital de campagne laisse Alice Barback au chômage technique. Du coup, la spécialiste de la gérontologie saute sur toutes les occasions pour faire parler son expérience. A l’inverse, Mathile Barback est plus posé. Elle a certes des difficultés à utiliser ses talents par cette époque, mais elle en a, des patients. Et il ne faut pas longtemps pour qu’elle découvre en Maria une patiente prometteuse.

        -Je présume que vous venez pour moi.
        -Euh… oui, docteur. Le docteur Radley m’a dirigée vers vous. Enfin, le docteur Barback.
        -Nous sommes toutes les deux les docteures Barback. Nous sommes jumelles.
        -Ah. Bien alors.
        -Je vais vous demander de passer dans la pièce d’à côté. J’ai une analyse à finir.
        -Je peux rester avec ma Maria adorée ?
        -Chérie, je ne sais pas …
        -Il est préférable de me laisser votre épouse pour l’instant. Revenez dans une heure.
        -Mais … Moumoune…
        -Ne t’inquiètes pas chérie. Pat, que penses-tu à l’idée de montrer ce que vous savez faire du bois ici ?
        -Oh oui ! Les arbres ! La forêt ! Je veux voir !
        -Et bien, Maria, je pense que Arnold est d’accord ! Je vous l’emprunte.
        -Merci Pat.
        -A tout à l’heure, mon coquelicot d’amour. Je reviens vite !
        -Oui mon chérie.
        -Allons y.
        -Chérie ?
        -Ouiiii ?
        -Je t’aime.
        -Oooooh. Moi aussiiii !

        Arnold finit par s’en aller, laissant Mathilde et Maria à s’échanger des regards complices.

        -Il est choux.
        -Très gaga. Et il devrait l’être encore plus.
        -Que voulez-vous dire, docteur ?
        -Et bien, vous ne savez pas mon domaine de compétence ?
        -Non. Qui est-il ?
        -Pédiatrie et gynécologie.
        -Oh !
        -Hémy fait rarement des erreurs. Si elle vous a amené ici, c’est qu’elle savait ce qu’elle faisait.

        Et c’est alors que Maria comprit.
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        Fatiguée, Maria pose délicatement sa tête contre l’oreiller que Mathilde Barback lui a donné un instant plus tôt avant de sortir de la pièce. Allongée sur un lit d’hôpital, la mère de famille peut enfin prendre un repos qui se veut chaque jour plus fort. Mettre un nom sur ce qui la mettait mal à l’aise ses dernières semaines a été comme une libération. Et la femme rarement fatiguée a vu des semaines d’ignorance lui tomber sur l’épaule comme une chape de plomb. L’examen avec le Dr. Barback n’a duré qu’une demi-heure, mais la fatigue ressentie par Maria lui ferait bien croire que l’examen a duré toute la journée. Poussant un soupir las, Maria bascule la tête sur le côté, fixant le mur de l’abri ; une simple bâche en plastique, mais solidement fixée au sol. Dans un coin, un petit poêle allumé diffuse une agréable chaleur dans l’alcôve médicale. Le crépitement des flammes lui fait penser à Endaur, où dans les longues soirées d’hiver, le couple Ramba se réunit autour de feu, muet par le bienfait de la chaleur et sa joyeuse musique. Lentement, sa main se déplace vers son ventre qu’elle commence à caresser doucement. Un petit sourire tendre se dessine sur son visage à l’idée de ce cadeau du ciel. Elle le sait. Ça fera un choc pour Arnold, mais oui, comme l’a dit le Docteur Barback, il en sera totalement gaga. Maria aussi. Au final, c’est vraiment ce dont elle avait besoin. Ses enfants sont grands, parcourent le monde ou travaillent le bois avec leur père. Il est loin le temps où elle s’occupait d’eux, où elle les éduquait. Ces derniers temps, elle se sentait un peu plus inutile que lors des deux premières décennies de Mère. Femme au foyer, ses journées sont remplies, mais ce n’est pas de ça que l’on vit. On vit avec un but. Même si Arnold est toujours aussi aimant et attentionné ; toujours aussi ouvert comme un livre ; il a toujours un but à lui. L’entreprise Ramba. Il voyage, fait des rencontres, noue des liens. Sa passion pour le bois est grande et sa volonté d’établir un large réseau de métier lié à sa passion pour que le plus de monde possible puisse profiter de ses produits réalisés dans le respect de ses principes est forte en lui. Oui. Ça ne pouvait pas tomber mieux.

        Un bruit de pas. Maria se retourne, intriguée. Un pan d’un rideau faisant la séparation de cette salle « d’attente » avec le reste du « cabinet » du Docteur Barback est poussé pour laisser place à ladite docteure aidant une autre patiente à s’installer dans la pièce. Ce n’est pas qu’elle soit particulièrement faible, mais Maria constate rapidement les traits juvéniles de la nouvelle venue et imagine que, très certainement, c’est la première fois qu’elle rencontre ce genre de docteur.


        Emmitouflé dans un chandail plus grand qu’elle, la jeune femme ; même si Maria a le réflexe de penser « jeune fille » en la voyant, semble songeur, perdu dans son esprit. La Mère Ramba est intriguée par cette réaction. Elle ne lit pas la peur qu’il pourrait y avoir face aux épreuves qui l’attendent, ni la joie d’un tel événement. Il n’y a juste qu’un vide dans son regard. Comme si le problème était tout autre. Comme si elle avait déjà vécu la découverte de son don. Sa joie a déjà été consumée. Mathilde Barback vient la faire s’allonger dans un lit à côté de celui de Maria. Elle lui prend le menton pour le soulever légèrement et voir dans le regard de la jeune fille. Elle se mord la lèvre et jette un coup d’œil à Maria. Un bref signe. Maria comprend aisément que la docteure lui demande de lui changer les idées, de faire la conversation. Et ça, ça lui plait. Elle ne se fera pas prier.

        -Bien, mademoiselle. Je vous laisse en bonne compagnie. Je reviens dans quelques minutes. À tout de suite.

        Je la salue en lui souriant tandis qu’elle s’éclipse par le rideau. La jeune fille a hoché du menton à son départ et a souri furtivement comme pour donner l’illusion d’aller bien. La regardant, Maria cherche à capter son regard pour engager la conversation. Elle finit par s’en rendre compte et vient porter son regard tendre embelli par ses grands yeux aussi profonds que des lacs. Oui. Dans le fond, il y a des ténèbres, des choses qui restent cachées et qui s’agitent. Un voile passe sur son visage avant de sourire à son tour, gêné. Elle baisse les yeux, se mordant la lèvre inférieure comme pour s’excuser. Le silence s’installe. Malgré sa bonne volonté, Maria ne sait pas par quoi commencer. Elle ne sait rien d’elle. Elle n’a rien pour engager un début de conversation. Puis elle se rend compte qu’elles partagent quelque chose en connaissance. À nouveau, Maria sourit, posant la main sur son ventre, regardant l’inconnue pour qu’elle comprenne que ce geste lui est destiné. Sa voix est douce.

        -N’est-ce pas merveilleux, n'est-ce pas ?

        À son tour, l’inconnue baisse les yeux vers son propre corps. Elle touche son ventre du bout du doigt, comme s’il était d’une autre espèce ; un corps étranger. Elle hésite. Elle jette un coup d’œil à Maria qui continue ses caresses, lui indiquant de faire de même par son sourire maternel. Elle s’exécute, avec difficulté, comme si le geste était incongru, quelque chose de profondément naturel, mais qui semble si étrange.

        -C’est étrange… mais …
        -Mais ?
        -C’est la vie.
        -Oui.
        -Je ne pensais plus qu’un jour, je connaitrais cette sensation.
        -Allons, tu es jeune. Tu as toute la vie devant toi.

        Un voile passe sur son visage comme un auspice de mauvais augure. Son sourire se fane et son regard plonge dans ses pensées tandis qu’elle répond faiblement.

        -Les apparences sont trompeuses, madame…

        Maria perçoit une tristesse profonde et s’en inquiète. Elle cherche aussitôt à briser la glace.

        -Tu peux m’appeler Maria. Madame, ça fait vieille dame et je ne suis pas si vieille.

        L’étrangère lève les yeux, piqués au vif par cette remarque. Le voile disparait et son regard redevient beau et frais.

        -D’accord, Maria. Moi, c’est Milerva.
        -Bonjour, Milerva.

        Maria tend le bras pour lui donner sa main. Milerva la sert après un instant d’hésitation, quittant le contact de son ventre l’espace d’un instant. Tout de suite après, elle revient se poser à l’endroit initial comme si c’était sa place. Maria le remarque et s’en amuse.

        -Tu vois ? Tu commences déjà à le couver.

        Milerva s’en aperçoit et ne peut s’empêcher d’avoir un mouvement de recul, comme si le fait d’être pris sur le fait la gênait. Elle pousse un petit cri de surprise avant de se raviser grâce au sourire assuré de Maria. Elle lui fait savoir qu’il n’y a aucun reproche ici. Juste de véritables sentiments.

        -C’est … c’est fou comme ça m’attire, au final. C’est si …
        -Beau ?
        -Oui.
        -La plus belle chose que la vie nous procure. Et après quatre enfants, ça l’est toujours pour moi.

        Maria escomptait rebondir sur sa fratrie pour lui faire part de son expérience en tant que mère et lui promulguer des conseils avisés afin de rassurer la future mère. Elle-même a eu beaucoup de questions pour son premier enfant. Toutefois, ce n’est pas dans ce domaine que vient la question suivante.

        -Il n’y a rien de plus beau dans la vie ?

        Milerva lève ses grands yeux vers Maria. Le voile de ses yeux est troublé par un éclat de lumière. Son regard brille. Une larme au coin de l’œil. La mère Ramba est momentanément désemparée.

        -Qu'est-ce qui serait plus beau selon toi ?

        Milerva hésite. Maria essaie de garder le contact du regard pour qu’elle ne retourne pas dans ses rêveries perdues. Elle y parvient, et Milerva lui propose une réponse intéressante.

        -L’amour ?

        La réponse idéale pour une jeune femme, pense tout de suite Maria. La problématique de l’amour a gouverné ses jeunes années et gouverne encore les belles années de nombreuses vies.

        -Peut-être. Mais un enfant, n’est-ce pas le cadeau de l’amour ?
        -Encore faut-il qu’on puisse recevoir ce cadeau à deux.

        La réponse est cinglante. Violente. Maria met le doigt tout de suite sur le nœud du problème. Peine de cœur. Un amoureux lâche ? Une histoire de passage ? Honteuse, Maria ne peut s’empêcher de trouver tout cela intéressant. Ça lui rappelle son enfance ainsi que les quelques livres qu’elle a pu vivre ces dernières années relatant des contes aux mille facettes de l’amour. Des histoires qui lui ont fait battre le cœur, récit d’aventures impossibles et de sentiments confus. Ce n’était que des histoires. Ici, c’est la vraie vie. Et alors qu’elle aurait voulu être la confidente des héroïnes du papier, elle se fait le serment d’être celle de cette jeune éplorée.

        -Comment était-il ?

        Milerva tourne la tête vers Maria. Un instant de silence où elle réfléchit, le regard dans le vague, se remémorant probablement des souvenirs passés, moment de bonheur qui arrache le cœur aujourd’hui. Des mots se dessinent sur ses fines lèvres. Mais Maria la prend de vitesse.

        -Extraordinaire ?

        Milerva est surprise qu’elle ait trouvée et reste bouchée bée. Maria la laisse un instant dans la surprise avant de l’en libérer.

        -C’est ce que j’ai pensé de lui moi aussi. Et je suis sûre que nous sommes nombreuses à le penser ainsi. Celui qui nous arrache le cœur, qui le torture par ses mots, par ses mains et par ses yeux. Il est tout pour nous. Il est parfait. N'est-ce pas ?
        -Tout … pour nous. Oui. C’était ça…
        -Qu’importe ce qu’il se passe, on en garde cette image-là. Une image rêveuse. Inatteignable.
        -Je ne sais pas … Que te restes-tu de lui, Maria ?

        Elle sourit et répond sur le ton de l’évidence.

        -Quatre cadeaux du ciel et son amour au quotidien. Je l’ai épousé.

        La nouvelle a le don de donner du baume au cœur de Milerva. Une histoire simple et vraie aux reflets de compte de fait où une princesse trouve le prince charmant au premier coup d’œil. Dans le cœur de la jeune femme, ces pensées raisonnent avec des souvenirs trop récents et bien trop souvent ressassés. C’est un mélange de joie et de tristesse.

        -Je vous envie.
        -Qu’est ce qu’il y a à envier ?
        -Votre bonheur. Vos enfants. Votre époux.
        -Il n’y a rien à envier. Envier, c’est désirer quelque chose qu’on ne peut s’offrir. Mais tu peux t’offrir ce bonheur. Tu as ton enfant. Et ce n’est qu’une question de conviction pour avoir ton époux.
        -Je ne sais pas si je pourrais en trouver un autre…
        -Un autre ? Il n’y a pas à en chercher un autre. N’y a-t-il pas d’envie en toi de retrouver celui qui a fait battre ton cœur jusqu’à ce qu’il se rompe sous ses baisers ?
        -Je…

        Le traumatisme entre lui et elle semble profond. Insondable. Milerva ne répond pas. Elle n’arrive pas à aligner des mots. Il n’y a que des idées. Trahison. Tromperie. Contre-nature. Sans logique. Elle ne comprend pas. C’est arrivé de nulle part. Ils étaient ensemble. Ils ne l’étaient plus. Une fin courante, mais qui laisse toujours un vide. Et quand on dit que c’est celui qu’on attendait, c’est un vide qui tiraille nos entrailles. Et continue à se faire du mal à en vivant de nos souvenirs.

        -Il y avait quelque chose de bizarre.
        -Et tu ne sais pas quoi ?
        -Je …

        Instant d’hésitation. Son regard vient dévisager Maria. Elle ne sait pas ce qu’elle y lit, mais elle espère avoir le visage qu’elle aurait voulu avoir ; celle de la confidente.

        -J’ai un moyen de savoir.

        Lentement, elle prend sa sacoche que le Docteur Barback a posé sur la table de chevet et elle en sorte une lettre abimée. Maintes fois palpé, maintes fois chiffonné, mais jamais ouverte. Le cachet est toujours en place. De là où elle est, Maria perçoit les traces de larmes qui sont venues imbiber le papier par endroits. Assurément, c’est la clé de beaucoup de maux.

        -On m’a remis cette lettre. Pour comprendre. Mais je n’ai jamais osé l’ouvrir…
        -et ?
        -Maria… pourrais-tu… la lire ?
        -Te la lire ?
        -Non. La lire. Prendre connaissance de ce qui était écrit. Et me dire ce que tu estimes être nécessaire d’être su.
        -Non.
        -Non ?
        -Je ne la lirais pas.

        Maria voit la surprise sur son visage mêlée à un léger sentiment de trahison. Elle prend l’initiative de désamorcer la situation en s’expliquant.

        -Cette lettre ne m’est pas adressée. Elle t’est adressée. Si tu n’es pas prête à lire cette lettre, ne l’ouvre pas. Ce n’est pas les autres qui te permettront de régler ce problème. C’est toi. C’est ton cœur. C’est ton amour. Les autres auront beau avoir des mots à te donner, des conseils et des encouragements, ils ne sont rien contre ton cœur. Ce que dicte ton cœur balaie toutes les recommandations. C’est ta vie. C’est aussi la vie que tu portes. Pour lui. Pour vous. Tu comprends ?

        -Je … comprends.
        Merci Maria.
        -De rien.

        Instant de silence. Milerva repart dans ses songes, son regard restant braqué sur la lettre qu’elle tient toujours dans ses mains. Elle la tourne à plusieurs reprises, puis un instant, elle a envie de savoir, mais son geste s’arrête. Et si la réponse ne lui convient pas ? S’il n’y a pas de réponse ? Mieux vaut vivre dans l’ignorance que dans la souffrance d’une vérité trop dure à apprendre. Maria la regarde avec tendresse et juge sage de la détourner rapidement de ce débat interne. Il n’en résultera rien, si ce n’est une frustration dévorante et, peut-être, une décision qui n’est pas propice.

        -Au moins, tu peux vivre ce nouvel arrivant au sein de ta famille. Ça compte, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas savoir la joie d’avoir un petit enfant. Je ne la connais pas encore, mais j’attends cette joie avec une impatience telle que j’oppresse un peu trop mes fils.

        Maria rit doucement et Milerva esquisse un sourire en imaginant la scène. Pour son cas, la tristesse prend le pas sur l’humour.

        -Je n’ai plus… de famille.
        -Comment ça ?
        -Mes parents … sont morts. Il y a longtemps.
        -Oh ! Je suis désolée. Je ne voulais pas…
        -Vous ne pouviez savoir, Maria. C’est … spécial.
        -De la famille lointaine ?
        -D’aussi loin que je me souvienne, je ne sais rien. Je ne me souviens de personne. Pas un visage. Pas un lieu. Je suis sans attache. La seule attache … c’est … c’est ….
        -Lui ?
        -Oui.

        Au fur et à mesure, Maria comprend que Milerva n’est pas une jeune adolescente comme les autres. Ses secrets sont nombreux. Et au-delà de ça, elle s’exprime avec maturité et sérieux. Elle a vécu. On sent l’expérience de la vie. Et l’inexpérience de donner la vie et d’aimer la vie d’un autre. Un esprit d’ancien dans un corps de jeune. C’est l’image qu’elle finit par acquérir. Un paradoxe perdu dans un monde qu’elle ne connait plus et qui ne veut plus la reconnaitre. Une créature perdue qui n’existe qu’au travers de celui qu’elle a aimé et de celui qu’elle va aimer. Un chaton miaulant dans le noir. Mais pour Maria, c’est un chaton miaulant devant une porte. Qu’elle entrouvre sans hésiter.

        -Si tu n’as nulle part où aller, je serais très heureuse de t’accueillir chez moi.

        Milerva écarquille les yeux, tournant son regard vers Maria. Sa surprise est évidente. L’espace d’un instant, c’est un rayon de lumière dans sa vie. Mais rapidement, elle secoue la tête, gênée.

        -Je … je ne peux pas. Je ne veux pas vous déranger.
        -Tu ne me dérangeras pas. Ça serait criminel de te laisser seul avec un enfant à charge. Mon devoir de mère me l’interdit.
        -Mais … votre mari…
        -Arnold n’y verra aucun inconvénient. C’est un merveilleux époux et un homme bon. Il sera de mon avis. Et plus il y’a d’enfants à la maison, plus il en sera gaga.
        -Mais … tu me connais pas…
        -Tu as tout le temps que tu voudras pour que l’on se connaisse. Ça te suffit pas ?

        Maria lui adresse le plus attendrissant de ses sourires. Milerva est totalement conquise. Seul subsiste un soupçon de résistance. Celle qui n’a pas de nom alors que le cœur pousse à accepter cette proposition venue d’ailleurs. Elle ne la connait pas non plus, mais elle est convaincue de sa gentillesse et de l’honnêteté de sa proposition. Milerva n’a pas de refuge et voilà qu’on lui en propose un, un refuge protégé par les larges épaules d’Arnold qui ne laissera personne la déranger. C’en est trop. Les larmes lui viennent. Des larmes de bonheur et de soulagement qui viennent tacher la lettre lâchée sur ses jambes. Elle ne s’en doutait pas, mais c’est une énorme frustration qui vient de disparaitre. Aujourd’hui, on vient de lui donner une place dans le monde. Une place dans la société. Elle en avait une, elle l’a perdu. Elle s’est perdue. Elle se retrouvera. Au milieu de ses larmes, elle finit par céder.

        -Oui … D’accord… Je veux… je veux bien … merci. Merci Maria.
        -De rien Milerva.
        -Maria … ?
        -Oui ?
        -Tu peux m’appeler …
        -Mh ?
        -Tu peux m’appeler Milly.

        C’est dit dans un souffle et un sourire se glisse sur les lèvres tremblantes de Milerva. Maria détecte quelque chose. À l’instant, Milerva lui ouvre un peu plus son cœur. Elle lui offre l’opportunité de l’appeler par son surnom. Mais ça parait bizarre. Ce n’est pas juste ça. Pas juste un surnom. Ça parait bien plus important. Comme si l’être perdue se reconnaissait en vérité sous ce nouveau nom et pas sous l’ancien. Alors que Milly retrouve une base pour repartir de l’avant, elle peut faire face à son passé. Et passé la tourmente de la précarité de sa situation, elle se redécouvre. Elle est Milly. Elle est ce qu’elle était lorsqu’elle s’est donné ce nom. Et ça parait anodin, mais c’est quelque chose d’important à son échelle. Quelque part, son cœur bat à la chamade.

        Un instant, son regard se pose sur l’enveloppe. Maria voit dans son regard que c’est ce qu’elle attendait pour braver la peur et ouvrir une porte sur la vérité. Mais le destin a un autre projet pour tout cela.

        -OU EST MA MARIACHOUNET D’AMOUR ! J’ARRIVE !

        Déboulant comme une avalanche, Arnold traverse le rideau séparateur sans s’arrêter et fonce sur Maria avant de s’apercevoir de sa présence. Il s’arrête in extremis au bord du lit de sa femme et s’écroule sur ses genoux, plongeant un regard attendri dans celui de sa dulcinée qu’il prend par la main.

        -Tu n’as pas bobo, hein ? Tu vas bien ?
        -Oui Arnold, je n’ai rien.
        -LAISSEZ LA RESPIRER !

        Mathilde Barback apparait dans le dos d’Arnold avant de lui décocher une gifle sur l’arrière du crâne alors que sa sœur, Pat et d’autres travailleurs se dessinent dans l’encadrement grand ouvert. Arnold tourne la tête, courroucée plus par l’état de sa femme que par le taquet qui ne lui a pas fait grand-chose ; il a la tête dure.

        -Qu'est-ce qui arrive à ma femme ?!
        -Du calme, Arnold, la docteure va t’expliquer.
        -Je veux savoir, TOUT DE SUITE !

        Alors que Mathilde réclame le silence, Maria échange un sourire avec Milly qui cache difficilement sa surprise à la découverte du mari de sa nouvelle amie. Oui, il parait tout à fait capable d’accepter sa présence dans son foyer. Et à cette pensée, une bouffée de chaleur vient accueillir Milly, comme si le sentiment d’être à nouveau au sein d’une famille se ressentait déjà. De l’autre côté, Arnold finit par se taire, dardant un regard à moitié fou en direction de Mathilde Barback qui ne se laisse pas prier pour lui expliquer.

        -Monsieur Ramba. Ce qui arrive à votre femme est très simple et c’est une chose qui est déjà arrivée par le passé si j’ai bien tout compris…
        -QUOI ? C’est une maladie qui revient  sans cesse ?! Ooooooh !
        -NON ! Laissez-moi terminer.
        -MA MARIA. JE NE VEUX PAS TE PEEEEERDRE !
        -TU NE VAS PAS LA PERDRE BOUGRE D’ÂNE ! ELLE EST ENCEINTE !

        Silence. Arnold, alors qu’il fixait sa femme, cligne des yeux, surpris. Maria lui adresse un sourire confiant tandis qu’il se retourne. Plissant les yeux, il s’interroge.

        -C’est quoi comme maladie, enceinte ?
        -Oh mon dieu… ELLE VA AVOIR UN ENFANT !
        -Mais … Ma Marichounette d’amour a déjà eu plein d’enfants, et elle a jamais souffert le martyr comme ça.
        -Pas le martyr, voyons, Arnold.
        -Si ! C’est terrible ma choupinette !
        -La vérité, monsieur Ramba, c’est que ce n’est pas une grossesse ordinaire. Si auparavant, votre femme était capable de supporter une grossesse classique sans le montrer, il s’avère que dans le cas de jumeaux, il y ait des effets.
        -DES QUOI ?
        -Des jumeaux.

        Silence. Arnold réfléchit à toutes vitesses.

        -Attendez … vous voulez dire….
        -Oui, deux bébés.
        -Un petit truc court sur pattes, mais en deux exemplaires ?
        -Exactement.
        -Mes bébés ?
        -Je pense bien, oui.
        -Deux petits bouts d’choux ?!
        -En vérité, j’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit d’une grossesse gémellaire. Il est fortement possible que le sexe des deux enfants soit différent. Si je ne me trompe pas.

        Alice Barback conclut.

        -Et elle ne se trompe jamais.

        Arnold parait totalement dépasser par les événements, regardant tour à tour Maria, Mathilde Barback et Pat. Celui-ci ne peut s’empêcher de lancer un « Félicitation » et c’est le raz-de-marée. Tout le monde s’y met. Arnold s’approche un peu plus encore de sa femme et vient poser une main sur son ventre. Maria joint la sienne à la main musclée de son mari en lui souriant avec tendresse. Arnold murmure, totalement gaga, comme prévu.

        -Des jumeaux…
        -Oui, deux bébés. Nos bébés.
        -Voui…
        -Je t’aime Arnold.
        -Moi auzi. Il vaut vite rentrer à Endaur alors !
        -AH NON !

        Mathilde Barback intervient, mettant un terme aux échanges langoureux du couple transi de joie. La docteure s’explique.

        -Le processus est déjà bien avancé. Il est possible qu’elle enfante sur le chemin du retour. Il vaut mieux qu’elle reste à Drum. On pourra faire en sorte que tout se déroule sans problème.

        Arnold veut répliquer, mais Maria le prend de vitesse.

        -C’est d’accord.
        -Mais moumoune ?
        -Si la docteure le dit, c’est qu’il faut l’écouter. Elle sait. Et puis, s’il faut rester plus longtemps sur Drum, ça va vraiment te chagriner.
        -Baaaah…
        -Les arbres ? La neige ? Notre nid douillet au coin du feu ?
        -Vouiiiiii.

        Il est conquis. Maria sait toujours trouver les mots justes. Mathilde frappe dans les mains, entérinant la décision.

        -Bien. Vous pourrez résider au village encore un temps, mais dès que les symptômes se renforceront, il faudra vous déplacer ici. Les conditions sont assez spartiates, mais l’académie n’est pas encore opérationnelle. On manque de tout…

        Arnold, faisant attention à ces propos, ne peut s’empêcher de réagir. Se redressant fièrement en bombant le torse, il serre le poing, décidé.

        -Si c’est comme ça, je ferais en sorte de donner à Drum l’académie qu’elle mérite pour que ma mariadoré puisse avoir les z’enfants dans les meilleures conditions !
        -Vraiment ?
        -Oui ! Je travaillerais d’arrache-pied pour cela !

        Mathilde sourit et salue le beau geste d’Arnold d’un signe de main.

        -Merci monsieur Ramba, même si la main-d'œuvre ne manque pas. C’est plus le matériel et les fonds qui nous manquent.
        -De l’argent ? J’en ai. Je vais même le donner là, tout de suite. Cent millions.
        -Cent millions ?
        -De berrys.
        -CENT MILLIONS ?
        -Oui docteur ! Avec cet argent et ma détermination, on va la faire cette académie ! Mamour ne fera pas d’enfants sous une tente ! J’ai dit !

        Tout le monde est sous le choc et Arnold compte bien tenir sa promesse. Et pour le motiver davantage, Maria connait toujours les bons mots.

        -Je t’attendrais alors chaque jour dans notre petit nid douillet. Et je m’occuperais de toi pour te reposer. Comme tu l’aimes tant.
        -Oh vouiiiii.

        Le couple rit comme des adolescents partageant un secret très privé. Les sœurs Barback trouvent l’instant opportun pour s’éclipser, les modalités à venir semblant être prises. Pat et ses collègues ne peuvent s’empêcher de remercier chaleureusement le geste généreux d’Arnold qui n’est pas grand-chose dans le fond, pour lui. Bientôt, la tente se vide, laissant les Ramba seules avec Milly. Maria juge alors le moment opportun de faire les présentations.

        -Arnold ? Je te présente Milly. Milly, voilà mon mari.
        -Bonzour.
        -Enchanté.
        -Arnold ? Milly ne sait pas où aller. Je lui ai proposé de venir chez nous.
        -Je serai….
        -D’accord. Tu attends aussi un n’enfant. Ooooh. Il y’en aura pleiiiin.

        Cette perspective semble l’enchanter. Il a donné son accord avec une telle vitesse que Milly a été prise de vitesse quant à sa tentative de décliner poliment. Elle ne peut pas résister. Et alors que le couple reprend son échange de mots doux, Milly se dit que dans la fraicheur de cette tente d’hôpital de fortune, elle a probablement fait la deuxième plus importante rencontre de son existence.

        Quelque part, elle a un foyer.
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