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Ce qui est en haut



La première fois que j'ai pu le voir j'ai eu droit au grand cirque. J'ai du m'immobiliser au bout de la grande salle le temps que le moine portier frappe trois fois dans son gong, lentement, avant d'annoncer qu'un homme demandait audience. Une pause probablement censé offrir au suppliant le temps de prendre conscience de la solennité de l'instant et de la grandeur du décor. Le temps de parcourir du regard les rangées de dizaines de moines assis en tailleur façon statues, parfaitement répartis de chaque coté de l'allée qui mène aux trônes des grands pontes du coin. Enfin trône, probable que le langage local les appelle plutôt siège de l'illumination ou autre truc pontifiant du même genre. Comme dans la plupart des salles de ce genre que j'ai croisé lors de mes boulots au cipher pol, les architectes ont fait de gros efforts pour que le pauvre demandeur se sente parfaitement écrasé par la puissance du ou des types qui résident en bout de salle. Ça marche une fois ou deux, ensuite on s'y fait. Surtout quand on a déjà fait tomber quelques uns de ces types de leur trône...

Le gardien des portes me fait un signe. C'est à mon tour de me prêter au jeu. Je me rapproche du pilier opposé au gong, celui cerclé d'une série de cercles de bronzes décorés de gravures. Il y en a douze, et suivant ceux qu'on fait tourner on indique auquel des chefs de congrégation on veut avoir accès. Et si la rotation du premier s'arrête avant le numéro qu'on vise, on a perdu et on repart dans la file d'attente. Une blague qui fait qu'a l'époque d'inari il y avait même une guilde de types très musclés spécialisés dans l'art de faire tourner des cerceaux autour d'un pilier, et qui faisait payer leur savoir faire a prix d'or en remplaçant les demandeurs moyennant finance.

Pour m'adresser à Hubert je dois faire bouger les douze. Et je sens déjà le moine sourire derrière moi. Probable que ça n'arrive pas souvent. Le con.

Il me suffit d'une pichenette pour que le premier anneau se mette à tourner si vite qu'il en devient flou. Puis les suivants. Le moine de garde s'étrangle tout seul en voyant le pilier de bois commencer à fumer, et je le laisse bouche bée pendant que je m'avance dans l'allée.

Sur mon passage les mâchoires se serrent, les regards deviennent durs, la plupart des moines n'aiment pas les criminels, et malgré notre entente plus ou moins cordiale du voyage et les édits d'Hubert, beaucoup me rendent encore responsable du départ du Boru Bodur et de leur échouage prochain sur Second Peace. Difficile de leur en vouloir, après tout, ils n'ont pas tort.

J'arrive au bout de la salle et me plante devant les grands gourous du coin. Les trois maitres des trois ordres, des treize processions et des vingt deux églises et cultes d’Inari, enfin d'Inari... Avant quoi...   Regard noirs, craintifs, ou carrément endormis. Il n'y a qu'Hubert qui semble disons, curieux. Curieux ? A chaque fois que je l'ai croisé ce type avait l'air de tout savoir, exactement comme ce foutu Drake, précédent utilisateur du fruit du tout puissant Boudha. Qu'est ce qui peut le rendre curieux ?

-Je suis le Capitaine Red. Je viens demander audience.
-Le conseil a noté votre demande. Et la reje...

Le doigt d’Hubert se lève légèrement, à peine un frémissement qui touche le porte parole comme s'il venait de se prendre une balle. Et qui le fait immédiatement changer de disque.

-La requête est acceptée.
-Parfait je...
-L'audience est maintenant terminée.
-Quoi ?!
-Veuillez vous retirer !

Et voila, j'adore ces moines...


Dernière édition par Red le Lun 23 Mar 2015 - 8:45, édité 1 fois

    -En fait, quand j'ai demandé à voir Hubert…
    -Vous voulez dire Le premier des maitres, le Gardien Suprême du savoir, le Grand Ordonnateur de la Sainte et l'Apologue de la Gravité ?
    -Ouais voila, Hubert quoi. Ben je voulais lui parler.
    -Vous allez lui parler.
    -Ouais, à l'audience non?
    -Ah non non du tout. Enfin, l'audience est publique !
    -Et ?
    -Et on ne parle pas au premier des maitre en public, ce serait particulièrement inconvenant, surtout de la part d'un païen comme vous. Ce serait un sacrilège très grave.
    -Et du coup ?
    -Entrez la et attendez.
    -Hum...


      -Bonjour Capitaine Red.
      -Tiens... Je croyais qu'on ne pouvait pas vous adresser la parole directement ?
      -Disons plutôt que ma position m'oblige à respecter certaines coutumes publiques. Mais nous sommes en privé alors nous pouvons parler tranquillement. En tout cas jusqu'a ce que mes très chers guides s'aperçoivent que j'ai disparu et cherchent a me retrouver toutes affaires cessantes...
      -J'avais cru comprendre que vous étiez le patron.
      -Oh mais je le suis. Mais mon âge rend cette notion assez dépendante des circonstances.
      -Ouais, les vieux cons sont les mêmes partout. Même chez les moines.
      -Surtout chez les moines.
      -Je m’étonne que vous ayez accepté de me voir si vite. Vous savez pourquoi je suis la ?
      -Oh, beaucoup ont étés choqués que j’accepte. Mais ils ont du se rendre à l’évidence. Vous êtes assez fort pour obtenir ce que vous voulez par la force. Le fait que vous soyez prêt à le demander poliment est donc à noter en votre faveur.
      -Par la force ? J’ai déjà combattu le fruit du Boudha, je ne suis pas sur d’avoir envie de revivre ça…
      -Le fruit du Boudha. Le fruit du démon du Boudha. Un sujet intéressant, et lié à votre visite. Est-ce parce que son pouvoir vous fait peur que vous vous montrez si différent de ce que l’on pourrait attendre d’un terrible pirate ?
      -Non. Ou plutôt, pas uniquement. Je ne pense pas que la violence soit la meilleure solution pour obtenir ce que je veux. Je pense même qu’ici elle se révélerait particulièrement contre productive. Je connais peu de vrais croyants qui aient peur de la mort.
      -Et donc après nous avoir lancé dans les airs vous vous efforcez de nous venir en aide..
      -Bah, nous sommes tous dans le même bateau. Au moins jusqu'à ce que nous arrivions sur Second Peace. Si Levy ne s’est pas trompé.
      -C’est une question ?
      -Vous avez la réponse ?
      -Peut être. Mais ce n’est pas la question pour laquelle vous vouliez me voir non ?
      -Non.
      -Alors je vous écoute.
      -J’ai droit à autant de question que je veux ?
      -Théoriquement non. Mais je suis sur que nous pouvons discuter d’un arrangement.
      -Un arrangement ? Je n’ai pas grand-chose à vous offrir.
      -Vraiment ? Je crois le contraire. Mais je pense que le prix vous paraitra faible, contre les réponses que vous cherchez je veux que vous me parliez de vous..
      -De moi ?
      -Les moines qui recherchaient la réincarnation de leur chef spirituel m’ont trouvés et amenés au Boru Bodur alors que je n’avais que cinq ans. Depuis je n’en suis jamais sorti.
      -Jamais ?
      -Jamais. Non que je m’en plaigne vraiment. J’ai bénéficié ici d’une éducation et d’égards dignes d’un prince. Mais au fil de mes lectures je ne peux m’empêcher parfois de ressentir quelques pointes de regrets. Je suis sur que le monde la dehors est bien différent de celui de mes livres.
      -Hum, ça dépend des bouquins je dirais.
      -Et puis voila que vous arrivez, et que vous renversez tout notre précieux édifice de conventions. Vous devez être la première personne extérieure au monastère que je peux recevoir en tête à tête et sans cérémonial sans provoquer un schisme.
      -Venant de quelqu’un d’autre j’aurais presque l’impression que vous allez me demander de vous faire sortir d’ici…
      -Non vous n’avez rien à craindre. J’ai passé l’âge de vouloir m’évader. Ma place est ici.
      -Alors quoi ?
      -Je veux que vous me parliez de vous. Je sais ce que dit le monde de vous. Vous avez vu plus de gens et de lieux étranges que tous les moines ici. Racontez moi ce que vous avez vu. Décrivez moi le monde au delà de mon horizon et je répondrais à vos questions. Qu’en pensez vous ?
      -Héhé. Une histoire contre une histoire. Très bien. De toute façon je n’ai rien de prévu jusqu'à Second Peace...


        -D’où venez vous Red ?
        -D’Amerzone, vous ne le saviez pas ?
        -Je ne sais pas grand-chose de l’Amerzone, ce n’est pas une ile très populaire.
        -Héhé, ça c’est sur. Le coin habité le plus sordide et le plus malsain de toutes les blues. Mais c’est notre coin…

        Marrant ça, je me faisais la même réflexion il y a quelques temps. Je n’ai eu de cesse de quitter ce trou tout le temps ou j’y ai vécu. J’en suis parti à une époque ou je me rasais pas encore, j’ai tout fait pour faire disparaitre tout ce qui pouvait rappeler mes origines. J’ai appris à camoufler mon accent, mes manières… Et je ne suis pas retourné la bas pendant prés de dix ans.
        Et pourtant plus le temps passe plus je deviens nostalgique de ce trou puant. L’Amerzone c’est comme une vieille cicatrice chez un serpent, on a beau muer et changer de peau, elle reste toujours bien ancrée dans votre chair…

        -C’est si terrible que ça ?
        -Oh oui. Complètement. Et c’est pour ça qu’on en est fier. Il faut être fou pour s’accrocher à un bout de terre aussi dangereux… Tu sais ce que c’est un diable des sables ? Imagine une sorte de ver long comme trois ou quatre hommes… Une bouche assez grosse pour engloutir un homme d'un seul coup, un corps semblable a celui d'un scolopendre parsemé de dizaines de griffes empoisonnées plus longue et tranchantes que des épées, et recouvert d'une armure qui l'immunise à tout ce qui est plus léger qu'un canon de marine… Rajoute qu’il vit sous terre et qu’il peut s’y déplacer aussi vite qu’un cheval au galop…

        Et la seule façon de le tuer avec une balle, c’est de viser un point tout petit juste sous sa tête, un point qu’on ne voit qu’un bref instant au moment ou il vous saute dessus…

        J’ai réussi ce coup la une fois, et c'était vachement limite…


          -Je me demandais, vous avez l’air familier des rituels et des grades des moines du Boru Bodur. Qui vous a appris tout ça ?
          -Facile, j’ai été moine. Ici, au Boru Bodur.
          -Vraiment ?
          -Brièvement, nous nous sommes mêmes déjà vu. A l’époque j’enquêtais sur la Cabale pour le compte du Cipher Pol, alors je m’étais farci tout l’enseignement du parfait postulant de base. C’était en 1621 si je ne me trompe pas. Vous ne souvenez pas d’une cérémonie d’élévation qui avait mal tourné ?
          -Si bien sur, c’était vous ?
          -C’est ça. Alucard venait d’être aperçu sur Inari. Et comme c’était le pirate le plus méchant des blues à cette époque, le CP a battu le rappel de tous les agents du coin, même ceux sous couverture pour aller le choper.
          -Alucard. Je vois. Vous ne l’avez pas eu ?
          -Non… Non pas du tout, et pourtant j’étais pas tout seul. Vous avez déjà entendu parler de l’ex amiral Pludbus Celdéborde ? Je vais vous raconter ça…


            -Alors ? Vous êtes Drake ?
            -Non.
            -Alors comment vous expliquez le fruit du Boudha. Les pouvoirs disparaissent à la mort, et les fruits qui y sont reliés réapparaissent n’importe ou. Je suis sur que vous n’avez pas mangé de fruit, et pourtant vous avez les pouvoirs de Percecoeur…
            -De son vivant, Drake était mon frère. Mon frère de sang.
            -Eh ben, ça c’est de la coïncidence. Un pirate avec le fruit du Boudha d’un coté, et de l’autre le Boudha réincarné sans le fruit… A croire que les moines chargés de trouver le nouveau grand patron ont loupés quelque chose.
            -Vous savez comment se passe cette recherche ?
            -Vaguement. Je crois que vous arpentez le monde à la recherche de mômes nait à une certaine période, et qu’ensuite vous leur présentez des objets appartenant au patron précédent pour voir s’il les reconnaissent… Oh… Drake n’avait pas le bon âge c’est ça ?
            -Oui. Drake est né avant la mort de mon prédécesseur.
            -Donc il a jamais été testé et ne pouvait pas être la bonne réincarnation…
            -C’est l’idée je pense. Les experts en théologie au courant de son existence en discutent depuis quasiment dix ans. Et ils ne sont pas prés de se mettre d’accord.
            -Ouais, ça ça m’étonne pas. Et du coup quoi ? Le fruit du Boudha choisit son possesseur et s’est gouré de frangin en tombant sur Drake ?
            -Je n’en sais pas plus que vous.
            -Héhé. Je vous déconseille d’admettre jamais une chose pareille. Question de crédibilité. Enfin, tout ça ne m’arrange pas. Vous savez pourquoi j’ai demandé à vous voir non ?
            -Dites le à haute voix.
            -Un homme de l’équipage de Drake m’a parlé de vous. Marvin, un cyborg. Il disait que la mort n'était qu'une vue de l'esprit pour quelqu'un ayant mangé le fruit du Boudha. Une étape nécessaire. Comme la chrysalide pour la larve. Il avait prévu que le Boudha allait vous revenir. Et il pensait que vous hériteriez aussi du passif de votre frère… Je suis venu ici pour ça. Parce que je cherche des infos qui ne se trouve que dans le crane de Drake. Et que j’espère trouver dans le votre.
            -Marvin ? Un cyborg ? Oui… Je crois que je me souviens de Marvin…
            -Drake ?
            -Non… Pas vraiment. Je suis toujours moi. Parlez moi de mon frére, que savez vous de lui ?
            -Ce que je sais de Drake ? Longue histoire… La premiére fois que j’ai entendu parler de lui c’était sur Citadelle, une ile de la quatrième voie ou je venais d’intégrer l’équipage des Sea Wolfs…


              -Je vous sens mal à l'aise ce soir. Voulez vous que je vous aide ?
              -Vous pensez à quoi ?
              -En fait c'est plutôt vous qui devriez répondre a cette question, mais je peux le faire pour vous. Vous préférez que je parle de ce que vous êtes venus chercher ou de ce que vous cherchez vraiment ?
              -Ce n'est pas la même chose ?
              -Vous ne le savez pas ?
              -Répondre a une question par une autre c’est de la triche, je sais, je le fais aussi.
              -Je suis trop jeune pour avoir toutes les réponses, et vous les donner ne servirait à rien.
              -Plutôt étrange comme observation pour un homme qu’on dit omniscient non ?
              -Vous trouvez ? Quel valeur accorde t’on a ce qui n’a rien couté ? Donner des réponses n’accorde aucune satisfaction à celui qui les entend. Et puis, croiriez vous vraiment ce que je vous dirais ?
              -Probablement pas.
              -Vous voyez ? Comme disait l’une de mes précédentes incarnations, qu’importe le bout du chemin pourvu qu’on trouve la voie. Toutes les réponses sont en vous, mais je peux vous aider à trouver les bonnes questions.
              -Toutes les réponses sont en vous… Facile à dire, ça c’est botter en touche ou je m’y connais pas. Donnez moi un miroir que je m’interroge, on verra si je me réponds.
              -Je pensais justement à quelque chose comme ça. Mais nous pouvons trouver mieux qu’un miroir.


              La porte s’ouvre sans sommation, laissant le passage à un môme que j’ai jamais vu dans le coin. Il a les cheveux en bataille, la démarche conquérante et les fringues du gamin qui passe plus de temps a trainer dans les ruelles qu’a l’école. Il me regarde, et d’un geste qu’il doit répéter cent fois par jour il rabat en arrière la mèche qui lui cache les yeux.

              Putain, c’est moi !

              -Mais, c’est moi ?
              -Juste avant que vous ne quittiez l’Amerzone oui.
              -C’est dingue, ça fait un choc…
              -Ouais, et ben choc ou pas je vous conseille d’arrêter de faire genre que je suis pas la ok ?

              Le môme nous toise de son regard d’apprenti gros dur. S’il n’y a qu’une chose qu’apprend une enfance en Amerzone, c’est bien le non respect des grades et titres du reste du monde… Héhé, je me souviens…

              -Alors t’es devenu un pirate c’est ça ? Le plus fort ?
              -Pas encore. Mais bientôt peut être.
              -Hum…

              Le môme jauge ma tenue, évaluant probablement le prix global de ce que je porte pour savoir s’il doit me ranger dans la catégorie de ceux qui ont réussi ou pas. Il à l’œil acéré de ceux qui n’ont pas les thunes dont ils rêvent. Je dois lui paraitre carrément cousu d’or…

              -Révo c’était mieux. Mais pirate c’est pas si mal… Luffy était au moins aussi fort que Dragon.
              -Il n’y a que ça qui compte ?
              -Bien sur, si tu es fort tu peux faire tout ce que tu veux.
              -Et qu’est ce que tu veux ?
              -Je veux être dans les bouquins. Comme Dragon.
              -Barbe noir aussi est dans les bouquins.
              -Ouais, mais personne veut être lui.

              Limpide. Enfantin. Evident ?


              Une porte s’ouvre, un autre moi rentre dans la pièce. Il est plus vieux, mais pas de beaucoup. Il a cette façon de marcher caractéristique de l’ado des rues, ce pas glissé a la fois visiblement nonchalant et malgré tout prudent, prêt à bondir et à se défendre au quart de tour. Sa main dans sa poche tripote un poinçon on ne peut plus méchant, et je sais le bord de sa casquette renforcé de pièces aiguisées. Le genre d’atout qui peut faire la différence dans une baston.

              Dans l’ombre de son chapeau il a le regard noir, colérique.

              -Maintenant ce qu’il faut c’est que tu leur fasse payer.
              -A qui ?
              -A tous ! A tous ses sales profiteurs qui s’enrichissent sur le dos des pauvres, tout ces salauds de gouvernementaux qui nous prennent tout avec leurs taxes et leurs impots depuis leurs sièges confortables à Marijoa. Tous ses enfoirés de marines qui font appliquer leurs lois pourries…


              Je ne sais plus qui disait, celui qui n’est pas révo a seize ans est un lâche, et celui qui l’est encore a trente est un idiot

              -Il faut tout raser, tout détruire, abattre le gouvernement et ensuite…
              -Ensuite quoi ?
              -Ensuite on pourra reconstruire sur des bases saines, ou on sera tous égaux et ou chacun aura sa part !


              Bordel. Est-ce que j’ai vraiment pu manquer de conscience politique a ce point la ?
              Oui, bien sur que oui…

              -Œil pour œil…
              -Et le monde entier sera aveugle, ouais, on me l’a déjà sorti celle la, et putain on s’en branle de ces citations philomerdiques à deux berrys. La seule révolution possible c’est par les armes et en liquidant toutes ces crevures ! Et tous ceux qui croient le contraire se gourent, c’est juste des conneries de trouillard sans couilles !

              Comment lui dire qu’il a tort, alors que même moi je ne suis pas convaincu. La seule chose que mon cynisme me souffle c’est que l’histoire a prouvé que les révolutionnaires armées faisaient des très mauvais gestionnaires. Et que toutes les révolutions donnaient d’abord des périodes de répression bien plus violentes que les régimes qu’elles dénonçaient.

              Ce qui n’invalide évidemment pas la méthode, pas plus qu’elle ne valide la faisabilité d’une autre…


              Une porte, encore un moi. Affuté celui la, ce n’est plus un jeune chien, c’est un loup. Il dégage cette impression que j’ai appris à assimiler a ce genre de types aussi froid que la mort, capable de trucider un autre type sans même y réfléchir avant de passer immédiatement a autre chose. Comme on accomplit n’importe quelle tache du quotidien.
              Avant même qu’il ait finit son premier pas je sais qu’il a embrassé toute la salle, notant nos positions, nos armes, les issues de secours, cataloguant les objets utiles…

              Non, pas même un animal, juste un objet, juste une arme qu’on pointe sur une cible et qu’on relâche. Une période de ma vie qui se définit en deux fois trois signes.

              Red, CP5.

              -Putain… Comment t’as pu merder à ce point…
              -Tu verras, je veux pas te gâcher la surprise…
              -En attendant c’est moi qui suis censé t’aider maintenant que tu t’es paumé. Qu’est ce que tu veux que je te dise hein ? Pirate ? Hors la loi ? Autant te tirer une balle tout de suite.
              -Je pensais plutôt à autre chose.
              -Quoi ? Redevenir révo ? Allons. La révolution est un mythe qui sert autant le GM que tout le reste. Tu crois vraiment qu’ils peuvent gagner ?
              -Non.
              -Exactement. Ils peuvent pas, et si par hasard ils y arriveraient ça ne ferait qu’empirer les choses. Regarde l’histoire, il y a cent ans que Dragon est mort et ils ne sont pas plus avancés qu’a l’époque. Rien ne peut faire tomber le GM à part le GM lui même. Même si tu pouvais faire oublier ton passé aux révos, ce dont je doute, qu’est ce que tu feras ? Tu crois que tu tiendras combien de temps a les aider a sauver le peuple alors que tu sais très bien que ce putain de peuple dont ils se glorifient n’a strictement rien à foutre de leurs principes à la con. Le peuple se fout de la liberté ou de la justice, tout ce qu’il demande c’est une vie sans histoire et de quoi se payer à bouffer et un peu de bon temps.
              -Il y a d’autres moyens…
              -Conneries. Tu veux que je te dise quoi faire maintenant que tu es grillé non ? Oublie la révo. Oublie ces conneries qui te trainent dans la tête. Tu ne dois pas te racheter, tu ne dois rien aux cadavres que tu as laissés dans ton sillage, tu ne dois pas sauver un monde qui n’en a rien à foutre. Si les gens ne savent pas jouer pour eux c’est leur problème, pas le tien. Prends ce que tu peux prendre, profite en, et oublie tout le reste.

              Joue pour toi Red.




              Et le défilé continue. Jusqu'à celui qui me ressemble presque assez pour qu’il puisse me servir de miroir.

              -Et toi, t’es lequel ? A part le bras je ne vois pas de différences.
              -Moi ? Moi je suis le mec qui s’est fait sécher par cet enfoiré de Tetsuda. Franchement, je sais pas comment t’as fait pour t’en sortir vivant…
              -Un Red parallèle alors, on est même plus dans le passé.
              -Moi j’y suis, et c’est pas la joie. Alors je viens quand même poser mon conseil. Il faut que tu arrêtes de te prendre la tête. Profite. Après c’est fini. Alors fais n’importe quoi, on s’en fout. Et retrouve la ! Il n'y a qu'elle qui compte.
              -ça fait quand même bizarre comme conversation.
              -M’en parle pas. Je suis mort mec. Un gradé de la marine m’a vaporisé à l’acide !
              -Je sais, j’étais la.
              -Ouais, veinard. Si tu le recroises et que t’as pas le choix, met y un pain de ma part.
              -Si j’ai l’occase, promis.
              -Parfait, alors à la prochaine.
              -La prochaine ?
              -Ouais, on se recroise quand tu seras mort quoi. Et non, je peux pas te donner de date, je ne suis qu’une voix dans ta tête.
              -Ouais, ça se tient. Juste une question quand même. Tu as revu Duval ?
              -Tu verras. Salut Red.
              -Salut Red.

              Et je me retrouve de nouveau seul avec Hubert qui me regarde avec son petit sourire en coin. Sale mioche. On devrait pas confier ce genre de pouvoir à un gamin…

              -Je vais vous laisser un peu seul. Pourriez vous venir ce soir ? J’aimerais que vous me parliez de Marijoa….


                -Alors ?
                -Alors ?
                -Alors je vous raconte ma vie depuis quasiment un mois que nous flottons vaguement en direction de Second Peace. Et je n’ai pas l’impression que vous ayez honoré beaucoup de votre partie de l’accord.
                -Ahah, je me suis pourtant efforcé de répondre à toutes vos questions.
                -Oui. Oui et non. Vous n’avez rien dit sur Drake.
                -Je ne suis pas encore sur de me rappeller ce que vous voulez savoir.
                -Mais vous savez ce que je veux ?
                -Oui. Vous voulez marcher sur ses traces. Vous cherchez l’endroit ou il cachait son trésor. Et surtout ses secrets…
                -Ou est ce ?
                -Racontez moi encore cette mission sur l’ilot flottant ou vous avez failli être mangé.
                -Hum…


                  -On m’a dit que Tomoé était partie.
                  -Bien sur, elle ne pouvait pas rester, même si nous avons beaucoup en commun je ne suis pas Drake. Mais je suis heureux de l’avoir rencontrée et d’avoir pu l’aider à faire son deuil.
                  -Je m’étonne que tu l’ais laissé partir. Tu aurais pu faire d’elle ce que tu voulais.
                  -Quelle genre d’exemple serais je si je me servais de son amour pour mon frère pour l’attirer sur le bon chemin ? Et que vaudrait sa rédemption face à un si piètre choix ?
                  -Et puis les moines commençaient à médire.
                  -Hélas, la chair est faible. Et certains de mes frères ont tant de mal à tenir leurs vœux qu’ils estiment facilement que tout le monde est soumis aux mêmes écart.
                  -Et ce n’est pas le cas ?
                  -J’aime Tomoe. Mais ne vous méprenez pas. Je l’aime comme on m’a appris à aimer toutes choses. Elle le sait, et je pense qu’elle finira par le comprendre et l’accepter. Je suis sur qu’elle reviendra un jour.
                  -C’est une prédiction ?
                  -Tout est prédiction. Pourriez vous me raconter encore une fois le combat que vous avez mené contre Drake ?
                  -Hum… C’était juste après Tortuga. Nous avions à peine eu le temps de souffler que déjà les guetteurs que nous avions laissé en arrière ont signalé l’arrivée d’une vaste flotte…

                  Et comme on était les Sea Wolfs, on y est allé…


                    -L’heure est venu Hubert. Je dois partir. Et je n’ai toujours pas de mes réponses à l’une de mes questions.
                    -Je sais. Mais cette fois je vais vous la donner. Vous avez bien agi sur l’ile. Vous nous avez aidé une fois de plus. Et vous avez épargné l’ennemi.
                    -Ne prenez pas trop vos désirs pour des réalités. Je persiste a penser que laisser Cendre en vie est une erreur. Il n’y a que les ennemis morts qui ne reviennent jamais vous pourrir la vie.
                    -Nous verrons. Je suis sur que Levy nous étonnera. Elle a déjà convoquée une table ronde réunissant le haut et le bas de Second Peace pour des négociations de paix.
                    -Mouais, vive la révo et tout ça. Cela dit, je suis sur que si vous arrivez à coincer Cendre suffisamment longtemps entre quatre murs vous lui ferez faire ce que vous voudrez.
                    -Ce serait terriblement malhonnête.
                    -Ben voyons. Alors ?
                    -L’endroit que vous cherchez est a Shabondy. Dans un navire enfoui sous le Groove 20. J’ai préparé une carte expliquant comment vous y rendre. Je l’ai fait mettre dans vos affaires.
                    -Tout ça pour ça.
                    -Vous vous attendiez à plus complexe ?
                    -Je ne sais pas trop. Ça fait longtemps que je court après ça…
                    -Venez, puisque vous partez je vous ai préparé un présent.
                    -Un présent ?


                    La salle ou il me mène ne se trouve qu’a deux pas dans ses appartements. Elle est aussi spartiate que le reste des pièces ou séjourne Hubert. Et ne possède qu’un unique meuble. Une vaste dalle de pierre ou est planté une lame.

                    -Une lame ?
                    -Une épée.
                    -On se croirait dans un roman de chevalerie.
                    -Si le défi consistait à la retirer oui. Mais ce n’est pas le cas. Regardez bien, elle n’est que glissée dans un trou creusée dans la roche. Et j’aimerais autant que vous n’abimiez pas la table en la prenant.
                    -Vous offrez une arme à un pirate mis à prix ? Pour un apôtre de la non violence c’est un peu curieux.
                    -Et vous vous demandez encore ou est le piège n’est ce pas ? Il n’y a pas de piège et vous le savez très bien.
                    -Alors pourquoi ?
                    -Peut être que j’estime que cette lame dans vos mains peux faire plus de bien que de mal.
                    -Mouais.
                    -Peut être que je veux juste vous offrir un cadeau pour ce que vous avez fait pour nous ici, et que je me dis qu’avec vos capacités, une lame de plus ou de moins n’influera pas vraiment sur vos méfaits.
                    -Possible.
                    -Peut être qu’en définitive je n’ai aucune intention cachée et que je veux juste jouer au ping pong sur cette table, et que je saute donc sur l’occasion d’avoir enfin sous la main un homme qui n’a pas fait le serment de ne pas toucher d’armes tranchante, comme le reste des moines du Boru Bodur…
                    -Ouais, ça ça se tient. Je la prends.

                    L’épée n’offre effectivement aucune résistance quand je la retire. Et pour cause, loin d’être enfoncée profondément dans son socle elle s’avère tranchée en deux a quelques mesures de la garde. Une belle lame peut être autrefois, mais à peine plus qu’une bonne dague désormais.

                    Je retiens de justesse la remarque qui me monte aux lèvres en surprenant le sourire en coin d’Hubert. Offrir une lame brisée à un type qui n’a qu’un bras. Sur que ça doit le faire bicher.

                    Mais je le connais assez maintenant pour savoir qu’il n’attend qu’une remarque dans ce sens pour me demander si je me sens aussi inutile que la lame depuis que je suis manchot…

                    -Jolie…
                    -Oui, il parait que c’est une lame de prix. Et elle semble aussi tranchante et dangereuse que si elle était intacte.

                    C’est ça marre toi…

                    -Il va falloir que je change la couleur…
                    -Adieu Capitaine Red.
                    -Adieu.