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Les Mains Sales


Misère de misère de misère. Bordel. Grossière erreur de ma part. J'vous raconte ? C'est parti. Pas franchement une partie de plaisir j'avouerai. Mais tout à commencé dans une chouette après-midi de printemps. Super, les arbres et les feuilles sont de retour, un peu de chaleur dans les environs, les hirondelles se pointent et gazouillent. Pis j'suis chez moi, ma jolie p'tite femme pas très loin, elle s'occupe des premières pousses du jardin. Toujours eu la main verte. J'la regarde, elle est jolie. Une mèche qui lui tombe sur le coin du visage, visage qui sourit et bouche qui chante. Moi j'ai un canard dans la main, enfin, un journal, j'ferais mieux d'utiliser les bons termes, on ne sait jamais ce qu'on pourrait mal interpréter dans ce monde de timbrés.

C'est là que l'malheur est arrivé. J'suis allé au toilettes, j'ai posé mon derrière sur la cuvette, et je n'vous raconte pas la suite. D'abord parce que ça serait vulgaire, puis on s'en branle un peu d'mes intestins. Bref, tout se passe bien jusqu'à ce qu' j'tire la chasse. Flotch, l'évacuation est nickel, j'me lave les mimines. Pis j'sors. Enfin, j'aurais dû pouvoir sortir, mais la poignée m'est restée dans la main.

« Chééériiiiiiiiiiiie ! »

Merde, elle est au jardin. Bon, pas assez de profondeur pour défoncer la porte correctement. J'regarde autour de moi. Qu'est ce qui pourrait me servir... Un magazine ? Non. Le rouleau de PQ ? Encore moins. Plus qu'à tambouriner jusqu'à ce qu'on m'ouvre. Dix minutes, on m'ouvre pas. Qu'est ce qu'elle fout bordel ? AHHH ! J'me souviens. Elle doit partir faire des courses. Avec la chance que j'ai elle est partie directement après son séjour Hortensias. Merde. C'est l'cas de l'dire. J'colle mon oreille contre la porte. Cling. Bah, non, elle est là, y a du bruit. Elle doit faire la vaisselle. J'lui avait dit de pas s'en occuper, que j'le ferai. Foutue procrastination...

« Chéééééééééériiiiiiiiiiiie ! J'suis bloqué aux toilettes. Vient m'aider mon amour ! »

Pas de réponse. Bizarre. J'entends toujours du bruit. Quel bordel elle me fait quand même. On dirait qu'elle renverse la maison. Pas dans ses habitudes franchement. Elle est autant calée sur le rangement que je l'étais y a deux secondes sur mes toilettes.

« Chééééééééééééériiiiiiiiiiiiie ! Tu l'fais exprès. C'est pas drôle, ça fait au moins vingt minutes que j'poireaute.
-T'inquiètes pas mon loulou, elle arrivera bientôt ta gonzesse. »

Ah. Déjà un point positif, y a quelqu'un. Le point négatif c'est que je l'imagine déjà avec une cagoule et un couteau en train de vandaliser toute ma baraque. De mon côté, la seule chose qu'il pourrait piquer c'est un vieux pistolet rouillé, dépourvu de balles et dont j'ai probablement ôté le percuteur. Un p'tit coup d'épaule dans la porte pour tester sa résistance, pis une fois que la douleur dûe au pincement d'un nerf mal placé m'en a convaincu, il me reste qu'une solution... Bavarder avec mon cambrioleur jusqu'à ce que mon p'tit chat revienne des courses. À vue de nez, elle en n'aura pas pour plus de deux heures, elle a du partir à pied et le marché est seulement à trente minutes de marche.

« Monsieur ?
-Ouais, qu'est ce qu'il a le pisseur ?
-Juste quelques mots... Vous avez piqué quoi ?
-Pas mal de choses, mais j'vous ai laissé vos chaussettes.
-Sympa ça, c'est toujours un truc qui manque dans une maison, si possible, j'aime beaucoup mon manteau et il n'a que très peu de valeur.
-Allez j'suis sympa, j'vous le laisse. J'ai juste pris les bijoux, l'argent qu'était dans la commode et votre réserve de thé, j'adore le thé.
-Ouais, c'est bon le thé. Vous m'en laissez un petit peu ? Pour en offrir à l'expert quand il viendra vérifier ce qui a été pris.
-Je le fais, mais c'est bien parce que c'est vous...
-On se connaît ?
-Alexandre Kosma de la Marine d'élite, non ?
-Tout à fait, et vous êtes ?
-Super sympa.
-Nan, mais votre nom ?
-Dans l'métier on m'appelle Samson.
-C'est sympa comme nom, ça vient d'où ?
-Oh, vous savez faudrait demander aux collègues, moi et les origines, ça fait deux.
-Ouais, vous voudriez pas ouvrir la porte, on se sent un peu à l'étroit ici.
-Désolé, le règlement ne m'autorise pas à toucher aux chiottes, c'est sacré.
-Ah, j'comprends... Pour éviter tout risque de contamination ?
-Non, mais on a du respect pour les personnes volées... Dans votre cas, j'espère que vous ne m'en voudrez pas trop de ma visite.
-Pas le moins du monde, elle m'occupe en attendant que ma femme ne rentre pour ouvrir la porte.
-D'ailleurs, si ça ne vous dérange pas, je vais vous laisser quelques minutes le temps de regarder si vous avez d'autres trucs intéressants.
-Pas de soucis, je comprends... »

Plutôt sympa le gars. Le code du cambriolage est con par contre. Pas toucher aux toilettes. Alors que les robinets sont en cuivre. Ça pourrait rapporter une blinde comme trafic. Bon, un p'tit coup de pied dans l'chambranle, non. Toujours pas de moyen d'ouvrir cette putain de porte. On devrait faire gaffe à pas mettre autant de portes dans une maison. J'm'assieds sur les toilettes, cuvette refermée. Y a toujours mon journal qui repose par terre en vrac. Il s'est ouvert à la page des faits divers. Qui nous rapporte une hausse des cambriolages dans le quartier. Tu parles... Ils feraient mieux de parler du mauvais travail des serruriers qui savent pas faire de poignées qui tiennent. Un bruit près de la porte, le gusse doit être revenu.

« Vous êtes là Samson ?
-Ouaip, j'ai bien fouillé toute la baraque, j'crois avoir tout pris de ce qui m'intéressait. Merci beaucoup de vot' discussion. Y a pas beaucoup de gens qui sont aimables avec nous. Généralement on s'arrange pour qu'ils soient pas là quand on les dévalise.
-J'imagine. Les gens sont de moins en moins sympathiques. C'est un défaut de plus en plus fréquent chez les jeunes.
-Bon... J'vais vous laisser, c'est que j'dois rentrer chez moi, et pis c'est pas tout près.
-Vous êtes venu à pied ?
-Nan, des potes m'ont déposé en charrette. Ils attendent dehors. Ils faisaient une partie d'échecs, j'parie sur la victoire de Smitty, Georges n'a toujours pas pigé comment on faisait un échec et mat.
-Bon, ben rentrez bien. Si vous croisez ma femme, dites lui de se dépêcher.
-Je n'y manquerai pas, salut, et peut-être à une prochaine fois !
-Pas de soucis, salut. »

Encore quelques Cling Clang pis de nouveau le silence. Un silence, long, morne et pénible. J'en profite pour me faire une petite sieste, le temps passera probablement plus vite. Le truc c'est que des chiottes c'est pas confortable. Alors la sieste est de très courte durée. À peine je ferme les yeux que je m'éclate par terre. Y a la poignée à côté de moi. J'la remet sur la porte pour pas oublier de réparer.

« Chééééééééériiiiiii ! »

Oulah, elle a l'air passablement énervée, je ferai ptêt mieux de pas répondre. Alexandre Kosma ne craint personne, sauf sa femme ? Ce serait ptêt vrai. J'la craint tellement que j'ai jamais eu le courage de l'épouser.

« Oui ?
-C'est quoi ce bordel ?
-Je t'expliquerai... Tu pourrais venir m'ouvrir, ça fait deux heures que j'suis coincé aux chiottes.
-T'écoutes vraiment rien de ce qu'on te dit. La poignée est pétée, je t'ai dit de rabattre seulement la porte. J'suis allée faire des courses pour acheter de quoi réparer, tu te rappelles ? »

Ah, j'crois bien que ça m'dit quelque chose. Le mieux dans l'histoire, c'est quand j'vais devoir lui expliquer pourquoi la totalité de ses bijoux a disparu. Pauvre de moi...
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