Las Camp avait énormément changé. Fantine s'en fit la remarque en levant les yeux au ciel, posant une main contre ses sourcils pour essayer de distinguer les formes que prenaient les habitations. Les vieux quartiers miteux qu'elle connaissait et avait arpenté si souvent cinq ans auparavant semblaient s'être volatilisés. Elle n'était plus au même endroit. Elle ne vivait plus dans ce monstre omnivore qui lui avait pris presque quinze ans de son existence. Las Camp était désormais un chien en laisse qui obéissait docilement à son maître. Incroyable. Décidément, l'espèce humaine pouvait se montrer surprenante lorsqu'elle s'y mettait. Elle n'imaginait pas qu'on puisse dompter un jour la terrible cité, et pourtant...
Fantine poussa un petit soupir en revenant à ses petites affaires. Et celles-ci consistaient en ce qu'elle savait faire de mieux depuis qu'elle était gamine : Mettre profondément la main dans la poche du type en face d'elle, pour en ressortir son portefeuille qu'elle glissa dans son pull tout à fait discrètement. Quelques pas sur le côté en faisant comme si de rien n'était, elle attrapa une pomme sur un stand qu'elle cala entre ses dents, avant de serrer un foulard sur son crâne, relevant par la même ses deux grandes nattes qu'elle entoura à l'intérieur. Dansant sur ses appuies, elle allait d'un présentoir à un autre en se servant allègrement, sans jamais s'inquiéter du reste. Loin de se fondre dans la masse, sa légèreté et son apparente candeur n'attira pas forcément les regards sur elle.
Tout du moins, ce fut ce qu'elle imagina. Les quelques yeux qu'elle croisa furent plus surpris par sa tenue et ses manières exubérantes qu'agacés par ses petits vols sans importances qu'ils ne remarquèrent pas forcément. Elle le pensa. Au-dessus des soupçons, dans sa bulle de toute façon, une bulle qu'elle envisageait comme inatteignable et sécuritaire, un endroit qu'elle seule pouvait habiter, envahir, ou elle seule pouvait distinguer le monde à travers son prisme. L'inverse ne lui sembla pas possible, pas sur le moment. Et alors qu'elle prenait la tangente, se dirigeant d'un pas léger sur ses grands jambes maigres vers une rue adjacente, une main vint se poser sur son épaule et l'arrêta immédiatement dans son mouvement :
« Où tu vas comme ça toi ?... »
« Du petit vol, sergent. Rien qu'une petite tape sur les doigts ne pourrait changer si vous voulez mon avis.
Alors, gardons la au frais jusqu'à ce soir, fit son vis-à-vis d'une voix grave.
Très bien. »
Collée contre les barreaux froids de sa cellule, Fantine tenta de jeter un coup d'oeil à droite du couloir où les gardes passaient pour vérifier que les prisonniers se tenaient bien. La conversation de deux d'entre eux porta jusqu'à elle, et elle comprit rapidement qu'elle en avait encore pour quelques heures. Poussant un long soupir, elle se laissa tomber les fesses sur son matelas ridiculement fin.
« Alors, tu me tiens compagnie encore jusqu'à ce soir, Princesse ? Demanda son voisin de cellule.
Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
Je t'aime bien. Tu m'as l'air gentille. »
Fantine fronça les sourcils, mais il n'y eut personne pour la voir faire. Qu'est-ce que c'était encore que cet hurluberlu ? « tu m'as l'air gentille » ? Elle eut envie d'éclater de son petit rire diabolique qui lui allait si bien au teint. Se redressant légèrement, elle prêta tout de même une oreille distraite à ce que l'autre lui disait, car après tout, ça pourrait sans doute lui faire passer un peu le temps.
« T'es une petite chapardeuse, c'est ça ? Tu voles des petites gens, tu piques dans les poches, sans t'faire avoir, hein ? Souffla-t-il d'une voix doucereuse en essayant de se pencher contre ses barreaux pour la voir. Enfin, sauf cette fois. Mais à défaut de mieux, je peux me contenter de toi. Il n'eut droit qu'à un majeur tendu traversant la porte de sa cellule, le faisant éclater de rire : Je vois. Tu joues les farouches, c'est adorable. T'es capable d'ouvrir des serrures aussi ? »
Mais il ne voulait pas son curriculum vitae avec ça ? Fantine avait l'impression de passer un entretien d'embauche pour un job qui exigeait ses qualifications. Savait-il dans quoi il se lançait, cet idiot ? Sans répondre pour autant, elle eut un fin sourire en l'entendant s'impatienter de l'autre côté du mur. Il tapait du pied, et jouait nerveusement avec ses doigts. Sa voix était basse, mesurée, comme s'il souhaitait seulement se faire entendre d'elle :
« Un petit boulot, ça t'intéresserait ? Il y eut un bref instant de silence entre eux, noyé sous les bruits de la masse d'ivrognes en train de cuver leur vin de fin d'après midi.
Combien ça me rapporte ?
Le quart du butin si tu te fais pas chopper.
Et à combien il s'élève, ton butin ?
J'saurais pas dire.
Beh dis rien et fous moi la paix. »
Fantine se mit à rire. L'autre abandonna la partie. Il était en train de se faire prendre ouvertement pour une buse par une nana qui apparemment ne comprenait rien à rien. Frustré, l'homme retourna à son matelas miteux, sans entendre ce qui se tramait à côté.
La jeune fille s'était agenouillée devant la porte, extirpant de sa tignasse une petite barrette qu'elle déplia entre ses ongles. Elle tendit l'oreille pour déterminer la position des quelques gardes, avant de s'affairer sur la serrure qu'il y avait sous ses yeux. Elle ne lutta qu'une poignée de seconde, concentrée comme elle l'était, avec les mécanismes qui faisaient la fermeture. Faisant sauter la clenche dans un petit tressaut bruyant, elle ouvrit sa porte dans un grincement à peine audible. Époussetant ses vêtements, elle fit quelques pas en dehors, et dans le couloir, avant de se planter pile là où elle voulait être pour faire son effet :
« Je veux la moitié du butin, lança-t-elle a travers la porte de la cellule en s'y accoudant avec désinvolture. Une mèche de cheveux lâchée tomba sur son visage alors qu'elle jouait habilement entre ses doigts avec sa tige de métal. Pas moins... Et je t'ouvre toutes les portes et tous les coffres que tu veux ! »
Accoudé à la barre d'acier horizontal, elle tendit les mains à l'intérieur de sa cellule de pierre pour saisir celle de son vis-à-vis et conclure le deal. Faisant face à l'homme, elle lui offrit un énorme sourire montrant toutes ses dents pointues, le détaillant un temps. La barbe naissante, l'air jeune, le teint halé, élancé mais pas bien musclé, les cheveux gras lui tombant sur le front. Quel genre de criminel pouvait-il bien être ? Pas un voleur, puisqu'il la cherchait elle. Pas un tueur, il n'en avait pas la carrure. Elle opta pour la petite frappe sans envergure alors qu'il s'approchait d'elle pour lui saisir la paluche :
« Je devrais sortir rapidement. Attends moi dehors. »
Fantine poussa un petit soupir en revenant à ses petites affaires. Et celles-ci consistaient en ce qu'elle savait faire de mieux depuis qu'elle était gamine : Mettre profondément la main dans la poche du type en face d'elle, pour en ressortir son portefeuille qu'elle glissa dans son pull tout à fait discrètement. Quelques pas sur le côté en faisant comme si de rien n'était, elle attrapa une pomme sur un stand qu'elle cala entre ses dents, avant de serrer un foulard sur son crâne, relevant par la même ses deux grandes nattes qu'elle entoura à l'intérieur. Dansant sur ses appuies, elle allait d'un présentoir à un autre en se servant allègrement, sans jamais s'inquiéter du reste. Loin de se fondre dans la masse, sa légèreté et son apparente candeur n'attira pas forcément les regards sur elle.
Tout du moins, ce fut ce qu'elle imagina. Les quelques yeux qu'elle croisa furent plus surpris par sa tenue et ses manières exubérantes qu'agacés par ses petits vols sans importances qu'ils ne remarquèrent pas forcément. Elle le pensa. Au-dessus des soupçons, dans sa bulle de toute façon, une bulle qu'elle envisageait comme inatteignable et sécuritaire, un endroit qu'elle seule pouvait habiter, envahir, ou elle seule pouvait distinguer le monde à travers son prisme. L'inverse ne lui sembla pas possible, pas sur le moment. Et alors qu'elle prenait la tangente, se dirigeant d'un pas léger sur ses grands jambes maigres vers une rue adjacente, une main vint se poser sur son épaule et l'arrêta immédiatement dans son mouvement :
« Où tu vas comme ça toi ?... »
*
« Du petit vol, sergent. Rien qu'une petite tape sur les doigts ne pourrait changer si vous voulez mon avis.
Alors, gardons la au frais jusqu'à ce soir, fit son vis-à-vis d'une voix grave.
Très bien. »
Collée contre les barreaux froids de sa cellule, Fantine tenta de jeter un coup d'oeil à droite du couloir où les gardes passaient pour vérifier que les prisonniers se tenaient bien. La conversation de deux d'entre eux porta jusqu'à elle, et elle comprit rapidement qu'elle en avait encore pour quelques heures. Poussant un long soupir, elle se laissa tomber les fesses sur son matelas ridiculement fin.
« Alors, tu me tiens compagnie encore jusqu'à ce soir, Princesse ? Demanda son voisin de cellule.
Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
Je t'aime bien. Tu m'as l'air gentille. »
Fantine fronça les sourcils, mais il n'y eut personne pour la voir faire. Qu'est-ce que c'était encore que cet hurluberlu ? « tu m'as l'air gentille » ? Elle eut envie d'éclater de son petit rire diabolique qui lui allait si bien au teint. Se redressant légèrement, elle prêta tout de même une oreille distraite à ce que l'autre lui disait, car après tout, ça pourrait sans doute lui faire passer un peu le temps.
« T'es une petite chapardeuse, c'est ça ? Tu voles des petites gens, tu piques dans les poches, sans t'faire avoir, hein ? Souffla-t-il d'une voix doucereuse en essayant de se pencher contre ses barreaux pour la voir. Enfin, sauf cette fois. Mais à défaut de mieux, je peux me contenter de toi. Il n'eut droit qu'à un majeur tendu traversant la porte de sa cellule, le faisant éclater de rire : Je vois. Tu joues les farouches, c'est adorable. T'es capable d'ouvrir des serrures aussi ? »
Mais il ne voulait pas son curriculum vitae avec ça ? Fantine avait l'impression de passer un entretien d'embauche pour un job qui exigeait ses qualifications. Savait-il dans quoi il se lançait, cet idiot ? Sans répondre pour autant, elle eut un fin sourire en l'entendant s'impatienter de l'autre côté du mur. Il tapait du pied, et jouait nerveusement avec ses doigts. Sa voix était basse, mesurée, comme s'il souhaitait seulement se faire entendre d'elle :
« Un petit boulot, ça t'intéresserait ? Il y eut un bref instant de silence entre eux, noyé sous les bruits de la masse d'ivrognes en train de cuver leur vin de fin d'après midi.
Combien ça me rapporte ?
Le quart du butin si tu te fais pas chopper.
Et à combien il s'élève, ton butin ?
J'saurais pas dire.
Beh dis rien et fous moi la paix. »
Fantine se mit à rire. L'autre abandonna la partie. Il était en train de se faire prendre ouvertement pour une buse par une nana qui apparemment ne comprenait rien à rien. Frustré, l'homme retourna à son matelas miteux, sans entendre ce qui se tramait à côté.
La jeune fille s'était agenouillée devant la porte, extirpant de sa tignasse une petite barrette qu'elle déplia entre ses ongles. Elle tendit l'oreille pour déterminer la position des quelques gardes, avant de s'affairer sur la serrure qu'il y avait sous ses yeux. Elle ne lutta qu'une poignée de seconde, concentrée comme elle l'était, avec les mécanismes qui faisaient la fermeture. Faisant sauter la clenche dans un petit tressaut bruyant, elle ouvrit sa porte dans un grincement à peine audible. Époussetant ses vêtements, elle fit quelques pas en dehors, et dans le couloir, avant de se planter pile là où elle voulait être pour faire son effet :
« Je veux la moitié du butin, lança-t-elle a travers la porte de la cellule en s'y accoudant avec désinvolture. Une mèche de cheveux lâchée tomba sur son visage alors qu'elle jouait habilement entre ses doigts avec sa tige de métal. Pas moins... Et je t'ouvre toutes les portes et tous les coffres que tu veux ! »
Accoudé à la barre d'acier horizontal, elle tendit les mains à l'intérieur de sa cellule de pierre pour saisir celle de son vis-à-vis et conclure le deal. Faisant face à l'homme, elle lui offrit un énorme sourire montrant toutes ses dents pointues, le détaillant un temps. La barbe naissante, l'air jeune, le teint halé, élancé mais pas bien musclé, les cheveux gras lui tombant sur le front. Quel genre de criminel pouvait-il bien être ? Pas un voleur, puisqu'il la cherchait elle. Pas un tueur, il n'en avait pas la carrure. Elle opta pour la petite frappe sans envergure alors qu'il s'approchait d'elle pour lui saisir la paluche :
« Je devrais sortir rapidement. Attends moi dehors. »