Las Camp ne changeait pas vraiment. Toujours les mêmes rues crasseuses. Toujours les mêmes habitants crasseux. Toujours les mêmes truands crasseux. Toujours la même ambiance crasseuse, loin de la loi. La survie du plus fort, du plus malin, du plus utile.
Kurn marchait d’un pas lourd, son sac de marin sur l’épaule. A peine quelques frippes, dedans. Il n’avait même pas encaissé de paiement, celui-ci ayant eu lieu à l’avance. Car il venait de terminer une nouvelle mission de mercenariat. Un client régulier de sa compagnie, qui plus était. C’était davantage de la routine, mais qui disait routine ne voulait pas dire facilité.
D’ailleurs, il boîtait, et un bandage couvrait une bonne moitié de son avant-bras. Je vais me nettoyer de toute la crasse de Las Camp et de la sueur de mes efforts une fois en mer. Un petit bain dans l’océan me fera le plus grand bien. Puis le sel nettoiera les blessures.
Croisant une patrouille marchant tranquillement au milieu de la rue, Kurn se déporta le long d’un mur, tout en évitant une rigole d’urine et un rat. L’heure tardive faisait qu’une grande partie des habitants étaient dans leurs masures, en train de manger la maigre pitance de la journée. Effrayé par l’ombre de l’homme-poisson, le rongeur partit au quart de tour, en zigzagant au milieu des Marines. L’un d’eux poussa un juron en sentant les griffes à travers le pantalon de son uniforme.
La rascasse avait déjà dépassé la patrouille de quelques mètres quand on l’interpella :
« Hé, l’homme-poisson !
- Oui ? Demanda-t-il en se retournant.
- Tu as vu ce que tu viens de faire ?
- Non, monsieur l’agent.
- Je suis Marine, poiscaille.
- Pardon, monsieur le Marine.
- Ce sera Sergent, pour toi. C’est moi où tu fais le malin ?
- Quoi ? Non, pas du tout, d’ailleurs je…
- Hep, les gars, on l’emmène au poste. »
Des rires gras et des menaces retentirent. Ils sortirent les fusils. Ce n’est qu’alors que Kurn remarqua les vestes déboutonnées, les teints rougeauds, les démarches un poil vacillantes et mal assurées. Mais surtout les fusils, armés, pointés sur lui avec suffisamment d’assurance pour décourager toute tentative de fuite qui serait vouée à se terminer dans une effusion de sang. Du sien.
Je suis fatigué. Je vais les suivre au poste. Dans le pire des cas, ils me garderont quelques heures avant de me relâcher au petit matin. C’est encore le mieux.
Les pétoires toujours pointées sur lui, Kurn leva les bras au ciel après avoir posé son sac de marin à ses côtés. Les Marines essayèrent de l’attraper aux épaules, puis, à cause de la différence de taille, lui ordonnèrent de mettre ses mains dans son dos. Kurn obtempéra.
Il sentit un grattement sur ses poignets, comme si on tentait de lui passer quelque chose. Il mit du temps à comprendre qu’il s’agissait des menottes. Le problèmes, c’est qu’elles étaient trop petites, et ne parvenaient pas à faire le tour de ses poignets. Quelques jurons plus tard, il prit la parole :
« Messieurs les officiers, je vous assure que je suis tout disposé à vous suivre au poste.
- Vaut mieux pour toi, face d’écailles. »
Les mains serrées dans le dos pour simuler l’existence de menottes, la rascasse marchait, entouré par les membres de la patrouille. Ils s’engouffraient à peine dans une rue perpendiculaire qui se dirigeait droit vers la base de la Marine que Kurn entendit un bruit derrière lui, puis reçut un coup brutal derrière la tête. Un bout de bois vola devant ses yeux.
Il tentait à peine de se retourner qu’un deuxième gourdin s’abattait sur son crâne et l’envoyait au tapis.
Hein ?
Quelques heures plus tard, Kurn se réveilla avec un sacré mal de tête, deux bosses et un mur contre son dos. Il tenta de lever la main pour palper son crâne, mais le tintement de chaînes et l’impossibilité de remuer plus que ça l’en empêcha. L’homme-poisson ferma très fort les yeux, puis les rouvrit, confirmant par là sa situation.
Des voix un peu plus loin.
« Vous le prenez ?
- Yep. Tarif habituel.
- C’est quand même un sacrée bestiole.
- Tarif habituel, y’a des risques, en ce moment.
- Pff. Faites gaffe à ce que les risques augmentent pas brusquement.
- C’est une très mauvaise idée de me menacer, la mouette. Très mauvaise.
- Oui, bon, pardon. Bonne soirée.
- C’est ça, bonne soirée, et souvenez-vous. »
Un regard autour de lui confirma la situation. Une cave exigue, sombre, et encore plus crasseuse que le reste de Las Camp.
« Bon, les loulous, on vous vend bientôt, restez sages. »
Capturé…
Dernière édition par Kurn le Sam 20 Juin 2015 - 13:31, édité 1 fois