Cela faisait quelques instants déjà que le patriarche avait laissé Hal seul, face à ses pensées. Le jeune homme se trouvait complètement désemparé face à un monde qu'il ne connaissait pas, et dont il n'aurait jamais pu soupçonner l'existence quand il vivait encore dans les laboratoires où il avait vu le jour. Une multitude de questions se présentaient, qui portaient presque toutes sur le comportement à adopter face aux moines de l'atoll. De toute évidence, ils s'étaient montrés généreux et accueillants envers lui. Ce genre d'attention était cependant assez étrange aux yeux du cyborg. Lui qui avait vécu entouré de scientifiques qui passaient leur temps à l'examiner, il avait eu du mal à se faire une conception de concepts comme l'altruisme ou la bonté. Et pourtant, il semblait qu'il y était confronté, désormais. Si les moines avaient été généreux avec lui, sans doute leur en devait-il autant en retour. Hal n'avait encore aucune idée de la vie dans le sanctuaire perdu, mais il se dit que les aider dans leurs tâches quotidiennes, si tâches il y avait, serait un geste en leur faveur. Une main-d'oeuvre supplémentaire était toujours la bienvenue, comme il se le dit, et il ne doutait pas que les capacités de son armure, aussi répugnante soit-elle à ses yeux, puisse apporter un soutien aux religieux.
Il soupira. Son voyage commençait sur les chapeaux de roue, semblait-il. Son regard dévia sur le paysage environnant, alors qu'une brise légère venait effleurer ses joues. Tout autour de lui, il n'y avait que des montagnes aux sommets enneigés. Les plus hauts pics, pointus et raides, culminaient à ce qui lui semblait être des millions de kilomètres, touchant presque le rideau azuré de la voûte céleste. A la base de ces monts titanesques s'étendait une gigantesque forêt aux arbres couleur d'émeraude. Le domaine des moines dominait les alentours, si bien qu'Hal ne pût voir que la cime des arbres. Quelques groupements d'oiseaux s'envolaient par moments, effectuant un ballet aérien du plus beau style avant de se fondre de nouveau dans la masse des feuillages. Tout ce monde naturel constituait la partie extérieure de l'atoll, qui était séparée de l'îlot où se trouvait le sanctuaire par une ceinture d'eau presque transparente, et d'un bleu des plus purs. Certains auraient qualifié cet endroit de "paradis". Hal n'avait pas la notion d'endroit idéal. Et pourtant, il lui vint à l'esprit que, si il le voulait, il pourrait passer sa vie toute entière, allongé là, à regarder les saisons défiler devant lui.
La promesse qu'il venait de se faire revint subitement en mémoire au jeune homme, et s'arracha à contre-coeur au spectacle de la nature. Il descendit le long d'une échelle pour se retrouver dans un couloir. Sur le côté gauche du corridor, des écrans de papier faisaient office de mur, permettant une circulation d'air et une ouverture sur l'extérieure parfaites. Hal marcha lentement le long de ce couloir, écoutant attentivement le bruit de ses pieds d'acier sur le parquet d'acajou. C'était une sonorité alors inconnue à ses oreilles, et il s'émerveillait de la découvrir. Le monde lui semblait plein de surprises et de détails qu'il ne demandait qu'à observer. Arrivé au bout de l'allée, il se trouva face à une scène qu'il l'emplit d'un tout autre sentiment.
Tous les moines étaient rassemblés devant le patriarche. Prosternés face à leur supérieur religieux, ils entonnaient d'une même voix rauque et vibrante une sorte de psalmodie incompréhensible. Agenouillé face à ses disciples, le vieil homme donnait régulièrement des coups sur la surface cuivrée d'un immense gong. Ce rituel se déroulait dans une petite cour de sable fin, au milieu des couloirs du sanctuaire. Hal resta appuyé contre un pilier pendant toute la cérémonie, écoutant attentivement la mélopée des moines. Ce n'était pas vraiment un beau son, mais plutôt quelque chose d'envoûtant, de mystique. Était-ce ça la religion ? Il savait qu'une divinité, voire plusieurs, en étaient à la base, mais tout le domaines pratique lui était inconnu. Une fois de plus, il se rendit compte de son ignorance à de nombreux sujets.
Quelques instants plus tard, les moines se taisaient et se relevaient, prêts à travailler. Chacun savait apparemment ce qu'il avait à faire, car tous partirent dans une direction différente sans même se concerter. Il ne resta très vite que le vieux moine, agenouillé devant son gong, observant attentivement le jeune homme.
"Approche mon garçon."
Hal obéit, non sans une certaine gêne. Il ne savait pas pourquoi, mais la présence seule de ce vieil homme suffisait à faire planer dans l'atmosphère la souveraineté de l'ancêtre. Sa personne n'inspirait que le respect.
"Je veux vous aider. Vous m'avez sauvé, je vous en dois une.
-C'était de notre devoir de t'aider. Tu ne nous dois rien.
-Pourtant, il me semble bien avoir une dette envers vous.
-Ce n'est pas le cas. Qui que tu sois, innocent ou meurtrier, voleur ou marchand, riche ou pauvre, nous te portons assistance si tu en as besoin. C'est une maxime pour ceux qui croient comme nous. Cependant, si tu insistes, je dois admettre qu'un peu d'aide ne serait pas de refus ...
-Parfait. Je fais quoi ?
-Vas rejoindre les chasseurs. Tu vas les accompagner sur la ceinture extérieure de l'atoll. Nous manquons de viande, ces derniers temps, et ils te feront découvrir la faune et la flore des environs. Suis ce couloir-là -il désigna un corridor sur sa gauche- jusqu'au bout. Ils devraient être en train de se préparer."
Sans plus attendre, Hal partir dans la direction donnée par le vieil homme. Le couloir était cette fois ouvert sur ses deux côtés, et aucun écran ne venait cacher la vue de la nature. Le sanctuaire semblait en harmonie avec son environnement, comme si chaque élément du décor l'assimilait comme un fruit de la nature, et non pas une construction humaine.
Hal trouva en effet les moines en pleins préparatifs de chasse. Ils avaient passé combinaisons amples, leur offrant une grande liberté de mouvement, et s'intéressaient maintenant aux armes dont ils auraient besoin. Arcs, sagaies, sarbacanes, sabres ... Autant d'armes inconnues et d'aspect primitif pour le cyborg. L'un des moines, le plus âgé des chasseurs, l'interpella d'une voix sereine:
"Tu cherches quelque chose ?
-Je viens vous aider, sur les conseils du vieil homme."
Le moine sourit en entendant son maître-à-penser appelé ainsi.
"Il s'appelle Ryôma, c'est le patriarche de ce sanctuaire. Si il t'a autorisé à venir avec nous, enfile une tenue de chasse et choisis des armes."
Hal s'équipa des mêmes vêtements que les chasseurs. Un pantalon blanc, des bottes de cuir et une tunique de coton. Cependant, lorsqu'on lui proposa des armes, il refusa, rétorquant qu'il avait ses propres armes. Aucun des moines n'ignorait sa nature de cyborg, aussi, aucun d'entre eux ne le contredit à ce sujet.
"Bien, si tout le monde est prêt, mettons-nous en route !"