Tout autour du jeune garçon, dans la salle de réception du Maire de Tanuki Town, c'est la plus totale effervescence. Les poignées de mains adultes, franches et chaleureuses, se succèdent. Des contrats se concluent pour le plus grand contentement des partis en présence. Sourires et regards satisfaits jettent leur dévolu sur une scène où règne une bonne humeur omniprésente. Même les quelques autres enfants semblent conquis par cette journée bien particulière et se distraient sagement à côté de lui, dans le coin où l'intendant leur a stipulé de se tenir à disposition. Nul ne proteste, tous trop heureux de s'épanouir dans cette atmosphère sucrée, peuplée de friandises et autres pâtisseries. Pour une fois libres de goûter à pleine dent cette chaleur trop souvent absente derrière les briques froides de leur orphelinat.
Mais pas Rei. Il se moque de cette réception, il se moque du voyage. Il se maudit pour avoir été considéré digne de mériter, en compagnie de quatre autres orphelins, de prendre part à un voyage aux enjeux capitaux pour la fondation. Jouer les bêtes de foire devant des individus attendris par de simples regards juvéniles, servir de garanti de fiabilité ou de témoignage de réussite, sa plus grande honte. Il se maudit surtout d'avoir abandonné son frère, Serei. Seul l'espace de quelques heures, ou de quelques jours, dans un univers inhospitalier. Il s'en veut, ressent lui aussi cette solitude, loin de son double. Le tonnerre qui gronde à l'extérieur trouve écho dans sa colère sourde. La pluie qui s'abat violemment contre les portes vitrées du domaine voit son reflet dans son cœur chargé de peine. L'enfant se sent isolé, abandonné, déboussolée dans cet environnement dépaysant, hostile.
Par trois fois, des bourgeoises s'enquièrent de le cause de son chagrin. Les voix, douces, compatissantes, sont pourtant loin de percer sa carapace. Il est un enfant, eux des adultes. De la même espèce que ceux qui font de sa vie un calvaire, de la même espèce que celle qui les a condamnés à l'enfer. Non, il en faudrait bien plus pour lui faire abandonner toute méfiance, toute haine. Livide, lèvres pincées à tel point qu'elles en deviennent exsangue, il ne lâche mot. Ses yeux renvoient toute la misère et la rage du monde à ses inconnues émues aux larmes, mais il ne se risque pas à faire part de ses ressentiments. On le lui ferait payer bien trop cher. En guise d'excuse, son instructeur, arrivé en catastrophe pour prévenir tout geste ou verbiage déplacé, prétexte le mal du voyage, ce qui vaut au garçonnet de recevoir quelques câlins affectueux dont il se serait bien passé.
Au bout d'une petite heure de ce curieux manège, il devient acquis que le jeune prodige, indisposé, doit récupérer du voyage en mer dont il sort à peine. Sur ordre du maître de logis, un valet vient le chercher et l'accompagne dans une salle annexe. Ses camarades le jalousent pour cette faveur, les représentants de l'orphelinat lui lancent un oeil chargé de colère, mais ne disent mot, tenus de rester courtois devant leur hôte. Après de hâtives précautions, le serviteur l'abandonne pour retourner auprès des convives. Le voilà seul.
Ici, il échappe aux festivités et à son agitation. Le silence le rassérénant en partie, il entreprend de visiter la demeure. Un dédale de couloir plus tard, il a perdu tout sens de l'orientation, ou presque. Mais il lui suffit de se guider aux bruits qui émanent de la pièce principale pour évaluer la distance qui le sépare de la réception. Quand un domestique le croise dans un corridor, il retrouve ses réflexes d'enfant noble, rendant alors un regard hautain, supérieur qui dispense de parole à l'oeil interrogateur qui ne peut que s'incliner. Sa tenue d'apparat se charge du reste et dissuade l'autre de poser quelque question.
Fier de son jeu d'acteur, l'enfant s'enhardit. S'en va en cuisines, pour y chiper un fruit, une orange. Avec succès. Puis monte à l'étage, dans les appartements privées du couple d'hôtes. Sans croiser âme qui vive. En vient même à ouvrir en grand les fenêtres de la chambre où il vient de pénétrer.
Un vent frais, vivifiant, soulève les rideaux et vient lui fouetter le visage tout en faisant battre ses cheveux mi-longs. Des gouttes d'eau, furieuses, s'engouffrent dans la pièce et percutent son visage sans douceur, mais pour son plus grand bonheur. La nature déchaînée réveille en lui un sentiment de liberté qu'il n'avait plus connu depuis des années. Il sourit. Il rit. Peut-être même pleure t-il de joie, mais la pluie rend l'affirmation impossible. En son for intérieur, un fourmillement le parcourt. Une voix gonflée par les bourrasques l'appelle, à l'extérieur. Il veut sortir.
Il ne doit pas, il le sait. Ses doigts se crispent sur l'agrume chapardé un peu plus tôt. Il ne doit pas, mais comment résister à cet étrange appel ? Son sens du devoir, pourtant remarquable pour un enfant de neuf années seulement, s'étiole un peu plus à chaque gouttelette qui vient perler le long de ses joues. Au fil des secondes, le rêve devient un souhait, une envie, une tentation...
[...]
Cours, Rei. Cours tant que tu peux, à en perdre haleine, qu'importe où tes pas te mènent. Déguste chaque foulée, te voilà libre. Pour quelques instants, pour toujours ? Qu'importe, seul l'avenir nous le dira...
Personne ne vient troubler sa fuite. Son escapade, nul ne l'a encore découverte, aucun danger de ce côté là. Même la pluie torrentielle, le sol boueux ne peuvent entraver sa course. C'est à peine s'ils la freinent. L'enfant s'est élancé et dévore maintenant les rues. Un nouveau tournant, une nouvelle allée. Un nouveau virage, une nouvelle route. Un nouvel angle...
BOOM.
-Aye...
Un obstacle. Le voilà cul par terre, les yeux fixés sur l'objet de sa chute. Son précieux fruit roule à côté de lui, chargé de boue. La pluie tombe toujours, le vent balaye toujours la rue, mais tout le charme de son escapade se dissipe brutalement. À qui la faute ? À lui, là. Cet homme, la trentaine peut-être, mine fermée, œil sombre. Est-il de mauvaise humeur ? Peut-être.
Peut-être n'apprécie t-il pas la pluie ? Peut-être ne va t-il même pas remarquer le gamin qu'il a renversé et tracer sa route sans un mot, ce qui ne m'émouvrait pas Rei, habitué à bien pire. Ou peut-être au contraire va t-il lui tendre une main, l'aider à se relever ?
Peut-être. Qui sait ?
Mais pas Rei. Il se moque de cette réception, il se moque du voyage. Il se maudit pour avoir été considéré digne de mériter, en compagnie de quatre autres orphelins, de prendre part à un voyage aux enjeux capitaux pour la fondation. Jouer les bêtes de foire devant des individus attendris par de simples regards juvéniles, servir de garanti de fiabilité ou de témoignage de réussite, sa plus grande honte. Il se maudit surtout d'avoir abandonné son frère, Serei. Seul l'espace de quelques heures, ou de quelques jours, dans un univers inhospitalier. Il s'en veut, ressent lui aussi cette solitude, loin de son double. Le tonnerre qui gronde à l'extérieur trouve écho dans sa colère sourde. La pluie qui s'abat violemment contre les portes vitrées du domaine voit son reflet dans son cœur chargé de peine. L'enfant se sent isolé, abandonné, déboussolée dans cet environnement dépaysant, hostile.
Par trois fois, des bourgeoises s'enquièrent de le cause de son chagrin. Les voix, douces, compatissantes, sont pourtant loin de percer sa carapace. Il est un enfant, eux des adultes. De la même espèce que ceux qui font de sa vie un calvaire, de la même espèce que celle qui les a condamnés à l'enfer. Non, il en faudrait bien plus pour lui faire abandonner toute méfiance, toute haine. Livide, lèvres pincées à tel point qu'elles en deviennent exsangue, il ne lâche mot. Ses yeux renvoient toute la misère et la rage du monde à ses inconnues émues aux larmes, mais il ne se risque pas à faire part de ses ressentiments. On le lui ferait payer bien trop cher. En guise d'excuse, son instructeur, arrivé en catastrophe pour prévenir tout geste ou verbiage déplacé, prétexte le mal du voyage, ce qui vaut au garçonnet de recevoir quelques câlins affectueux dont il se serait bien passé.
Au bout d'une petite heure de ce curieux manège, il devient acquis que le jeune prodige, indisposé, doit récupérer du voyage en mer dont il sort à peine. Sur ordre du maître de logis, un valet vient le chercher et l'accompagne dans une salle annexe. Ses camarades le jalousent pour cette faveur, les représentants de l'orphelinat lui lancent un oeil chargé de colère, mais ne disent mot, tenus de rester courtois devant leur hôte. Après de hâtives précautions, le serviteur l'abandonne pour retourner auprès des convives. Le voilà seul.
Ici, il échappe aux festivités et à son agitation. Le silence le rassérénant en partie, il entreprend de visiter la demeure. Un dédale de couloir plus tard, il a perdu tout sens de l'orientation, ou presque. Mais il lui suffit de se guider aux bruits qui émanent de la pièce principale pour évaluer la distance qui le sépare de la réception. Quand un domestique le croise dans un corridor, il retrouve ses réflexes d'enfant noble, rendant alors un regard hautain, supérieur qui dispense de parole à l'oeil interrogateur qui ne peut que s'incliner. Sa tenue d'apparat se charge du reste et dissuade l'autre de poser quelque question.
Fier de son jeu d'acteur, l'enfant s'enhardit. S'en va en cuisines, pour y chiper un fruit, une orange. Avec succès. Puis monte à l'étage, dans les appartements privées du couple d'hôtes. Sans croiser âme qui vive. En vient même à ouvrir en grand les fenêtres de la chambre où il vient de pénétrer.
Un vent frais, vivifiant, soulève les rideaux et vient lui fouetter le visage tout en faisant battre ses cheveux mi-longs. Des gouttes d'eau, furieuses, s'engouffrent dans la pièce et percutent son visage sans douceur, mais pour son plus grand bonheur. La nature déchaînée réveille en lui un sentiment de liberté qu'il n'avait plus connu depuis des années. Il sourit. Il rit. Peut-être même pleure t-il de joie, mais la pluie rend l'affirmation impossible. En son for intérieur, un fourmillement le parcourt. Une voix gonflée par les bourrasques l'appelle, à l'extérieur. Il veut sortir.
Il ne doit pas, il le sait. Ses doigts se crispent sur l'agrume chapardé un peu plus tôt. Il ne doit pas, mais comment résister à cet étrange appel ? Son sens du devoir, pourtant remarquable pour un enfant de neuf années seulement, s'étiole un peu plus à chaque gouttelette qui vient perler le long de ses joues. Au fil des secondes, le rêve devient un souhait, une envie, une tentation...
[...]
Cours, Rei. Cours tant que tu peux, à en perdre haleine, qu'importe où tes pas te mènent. Déguste chaque foulée, te voilà libre. Pour quelques instants, pour toujours ? Qu'importe, seul l'avenir nous le dira...
Personne ne vient troubler sa fuite. Son escapade, nul ne l'a encore découverte, aucun danger de ce côté là. Même la pluie torrentielle, le sol boueux ne peuvent entraver sa course. C'est à peine s'ils la freinent. L'enfant s'est élancé et dévore maintenant les rues. Un nouveau tournant, une nouvelle allée. Un nouveau virage, une nouvelle route. Un nouvel angle...
BOOM.
-Aye...
Un obstacle. Le voilà cul par terre, les yeux fixés sur l'objet de sa chute. Son précieux fruit roule à côté de lui, chargé de boue. La pluie tombe toujours, le vent balaye toujours la rue, mais tout le charme de son escapade se dissipe brutalement. À qui la faute ? À lui, là. Cet homme, la trentaine peut-être, mine fermée, œil sombre. Est-il de mauvaise humeur ? Peut-être.
Peut-être n'apprécie t-il pas la pluie ? Peut-être ne va t-il même pas remarquer le gamin qu'il a renversé et tracer sa route sans un mot, ce qui ne m'émouvrait pas Rei, habitué à bien pire. Ou peut-être au contraire va t-il lui tendre une main, l'aider à se relever ?
Peut-être. Qui sait ?