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Sous quelques gouttes de plus...

Tout autour du jeune garçon, dans la salle de réception du Maire de Tanuki Town, c'est la plus totale effervescence. Les poignées de mains adultes, franches et chaleureuses, se succèdent. Des contrats se concluent pour le plus grand contentement des partis en présence. Sourires et regards satisfaits jettent leur dévolu sur une scène où règne une bonne humeur omniprésente. Même les quelques autres enfants semblent conquis par cette journée bien particulière et se distraient sagement à côté de lui, dans le coin où l'intendant leur a stipulé de se tenir à disposition. Nul ne proteste, tous trop heureux de s'épanouir dans cette atmosphère sucrée, peuplée de friandises et autres pâtisseries. Pour une fois libres de goûter à pleine dent cette chaleur trop souvent absente derrière les briques froides de leur orphelinat.

Mais pas Rei. Il se moque de cette réception, il se moque du voyage. Il se maudit pour avoir été considéré digne de mériter, en compagnie de quatre autres orphelins, de prendre part à un voyage aux enjeux capitaux pour la fondation. Jouer les bêtes de foire devant des individus attendris par de simples regards juvéniles, servir de garanti de fiabilité ou de témoignage de réussite, sa plus grande honte. Il se maudit surtout d'avoir abandonné son frère, Serei. Seul l'espace de quelques heures, ou de quelques jours, dans un univers inhospitalier. Il s'en veut, ressent lui aussi cette solitude, loin de son double. Le tonnerre qui gronde à l'extérieur trouve écho dans sa colère sourde. La pluie qui s'abat violemment contre les portes vitrées du domaine voit son reflet dans son cœur chargé de peine. L'enfant se sent isolé, abandonné, déboussolée dans cet environnement dépaysant, hostile.

Par trois fois, des bourgeoises s'enquièrent de le cause de son chagrin. Les voix, douces, compatissantes, sont pourtant loin de percer sa carapace. Il est un enfant, eux des adultes. De la même espèce que ceux qui font de sa vie un calvaire, de la même espèce que celle qui les a condamnés à l'enfer. Non, il en faudrait bien plus pour lui faire abandonner toute méfiance, toute haine. Livide, lèvres pincées à tel point qu'elles en deviennent exsangue, il ne lâche mot. Ses yeux renvoient toute la misère et la rage du monde à ses inconnues émues aux larmes, mais il ne se risque pas à faire part de ses ressentiments. On le lui ferait payer bien trop cher. En guise d'excuse, son instructeur, arrivé en catastrophe pour prévenir tout geste ou verbiage déplacé, prétexte le mal du voyage, ce qui vaut au garçonnet de recevoir quelques câlins affectueux dont il se serait bien passé.

Au bout d'une petite heure de ce curieux manège, il devient acquis que le jeune prodige, indisposé, doit récupérer du voyage en mer dont il sort à peine. Sur ordre du maître de logis, un valet vient le chercher et l'accompagne dans une salle annexe. Ses camarades le jalousent pour cette faveur, les représentants de l'orphelinat lui lancent un oeil chargé de colère, mais ne disent mot, tenus de rester courtois devant leur hôte. Après de hâtives précautions, le serviteur l'abandonne pour retourner auprès des convives. Le voilà seul.

Ici, il échappe aux festivités et à son agitation. Le silence le rassérénant en partie, il entreprend de visiter la demeure. Un dédale de couloir plus tard, il a perdu tout sens de l'orientation, ou presque. Mais il lui suffit de se guider aux bruits qui émanent de la pièce principale pour évaluer la distance qui le sépare de la réception. Quand un domestique le croise dans un corridor, il retrouve ses réflexes d'enfant noble, rendant alors un regard hautain, supérieur qui dispense de parole à l'oeil interrogateur qui ne peut que s'incliner. Sa tenue d'apparat se charge du reste et dissuade l'autre de poser quelque question.

Fier de son jeu d'acteur, l'enfant s'enhardit. S'en va en cuisines, pour y chiper un fruit, une orange. Avec succès. Puis monte à l'étage, dans les appartements privées du couple d'hôtes. Sans croiser âme qui vive. En vient même à ouvrir en grand les fenêtres de la chambre où il vient de pénétrer.

Un vent frais, vivifiant, soulève les rideaux et vient lui fouetter le visage tout en faisant battre ses cheveux mi-longs. Des gouttes d'eau, furieuses, s'engouffrent dans la pièce et percutent son visage sans douceur, mais pour son plus grand bonheur. La nature déchaînée réveille en lui un sentiment de liberté qu'il n'avait plus connu depuis des années. Il sourit. Il rit. Peut-être même pleure t-il de joie, mais la pluie rend l'affirmation impossible. En son for intérieur, un fourmillement le parcourt. Une voix gonflée par les bourrasques l'appelle, à l'extérieur. Il veut sortir.

Il ne doit pas, il le sait. Ses doigts se crispent sur l'agrume chapardé un peu plus tôt. Il ne doit pas, mais comment résister à cet étrange appel ? Son sens du devoir, pourtant remarquable pour un enfant de neuf années seulement, s'étiole un peu plus à chaque gouttelette qui vient perler le long de ses joues. Au fil des secondes, le rêve devient un souhait, une envie, une tentation...

[...]

Cours, Rei. Cours tant que tu peux, à en perdre haleine, qu'importe où tes pas te mènent. Déguste chaque foulée, te voilà libre. Pour quelques instants, pour toujours ? Qu'importe, seul l'avenir nous le dira...

Personne ne vient troubler sa fuite. Son escapade, nul ne l'a encore découverte, aucun danger de ce côté là. Même la pluie torrentielle, le sol boueux ne peuvent entraver sa course. C'est à peine s'ils la freinent. L'enfant s'est élancé et dévore maintenant les rues. Un nouveau tournant, une nouvelle allée. Un nouveau virage, une nouvelle route. Un nouvel angle...

BOOM.

-Aye...

Un obstacle. Le voilà cul par terre, les yeux fixés sur l'objet de sa chute. Son précieux fruit roule à côté de lui, chargé de boue. La pluie tombe toujours, le vent balaye toujours la rue, mais tout le charme de son escapade se dissipe brutalement. À qui la faute ? À lui, là. Cet homme, la trentaine peut-être, mine fermée, œil sombre. Est-il de mauvaise humeur ? Peut-être.

Peut-être n'apprécie t-il pas la pluie ? Peut-être ne va t-il même pas remarquer le gamin qu'il a renversé et tracer sa route sans un mot, ce qui ne m'émouvrait pas Rei, habitué à bien pire. Ou peut-être au contraire va t-il lui tendre une main, l'aider à se relever ?

Peut-être. Qui sait ?
    Rah ptin, Unwin avait une de ces dalles ! Il en pouvait plus. Il n'avait rien avalé depuis la veille parce que ses dernières économies étaient passées en poudre et divers composants pour armes à feu. Il avait cru pouvoir compter sur les quatre hommes qu'il avait actuellement dans son équipage pour s'occuper de la bouffe, mais évidemment, ceux-ci étaient tout aussi fauchés que lui. Quelle misère. Et pas question de repartir en mer avec les calles vides, c'était un coup à crever de faim comme un con. Notre pauvre Unwin n'avait qu'une trentaine d'années, c'était trop jeune pour mourir si peu glorieusement ! Déjà que la gloire ne lui courrait pas après... Ce serait quand même balot se laisser dépérir de la sorte. Il n'avait pas quitté son île natale pour souffrir la faim. Il l'avait fait pour devenir un valeureux pirate craint sur tous les océans ! Bon, certes, il avait mis le temps à trouver sa place en temps que pirate, mais au moins, maintenant, il savait ce qu'il voulait faire.

    Bref, laissons tout cela de côté et revenons donc au présent de notre pirate (présent qui est en fait le passé, mais bon, ne partons pas dans ce genre de réflexions, c'est un coup à s'arracher les cheveux). Vail, affamé, avait donc décidé d'accoster sur l'île de Tanuki, un coin un peu complètement paumé de North Blue. En effet, la principale caractéristique de Tanuki n'était autre que sa verdure. Oh parfois, on avait aussi un peu de verdure, mais ça ne valait pas les autres petits coins de verdure qui changeaient un peu le paysage et le faisait passer d'un vert tendre à un vert plus soutenu ou plus terne... Trop la joie quoi. Tanuki c'était juste l'île de North Blue où on s'éclatait trop ! 'fin... On s'éclatait à condition d'être une chèvre ou un lama. Pourquoi un lama ? Aucune idée, la narratrice part en vrille, faut pas lui en vouloir.

    Ainsi, le capitaine des Gun's, à peu près encore un jeune homme, avait envoyé les quatre membres de son équipage pour faire le tour de l'île et se débrouiller pour ramener du fric et de la bouffe. Deux des principaux éléments nécessaires à la vie de pirate. Ca, et le rhum. Mais bon, vu l'état de leurs finances, le rhum, ça attendrait. Et puis de toute façon, Unwin avait toujours été plus du genre à boire du café. Ca tient bien plus éveillé que l'alcool, ce qui n'est pas un avantage négligeable quand on bosse des nuits entières sur une nouvelle arme. Le pirate était d'ailleurs plutôt fier des dernières améliorations apportées à son pistolet à double canon. C'était classe, y'avait pas à dire. Ca valait bien le coup de s'affamer un peu. Bon, en soit, le résultat n'était pas aussi génial que ce qu'Unwin avait prévu, mais il était loin d'avoir terminé. Faut dire aussi, il avait régulièrement de nouveaux concepts d'armes qui lui venaient, et ça nuisait un peu à sa productivité de toujours commencer quelque chose de nouveau. La fougue de la jeunesse à trente ans dirons-nous. Mais la fougue a besoin d'autre chose que de nourriture spirituelle, et toutes ces digressions plus ou moins utiles n'auront pas nourris notre pauvre pirate. Ah, qu'est-ce qu'il ne donnerait pas pour un truc à se mettre sous la dent. Quelque chose de solide, pas comme cette pluie insupportable qui est juste bonne à l'empêcher d'utiliser ses armes.

    Ah oui, parce que je vous ai pas dit, mais il pleut. Ce serait trop beau s'il y avait eu beau temps. Alors, non seulement il pleut, mais en plus, à cause de cette flore de merde (c'Unwin qui l'a dit), le sol devient tout pourri. Y'a de la boue partout et à chaque pas qu'il fait, le pirate s'en fout au large. Je vous dis même pas l'état de ses pompes ou de son manteau. Il se serait baladé dans un marécage que ça aurait pas été tellement pire. M'enfin, Vail espérait bien ne pas trainer ici trop longtemps.

    Avec un soupir d'irritation, Unwin continuait donc tranquillement à avancer, mains dans les poches, en direction d'un coin peinard où il pourrait dégotter de la bouffe ou attendre tranquillement que ses hommes en rapportent. Ouais, c'était de l'abus de pouvoir en tant que capitaine, mais bon, il faisait bien ce qu'il voulait, et de toute façon, le bateau était à lui. Même qu'avant de partir, il avait mis les clés dans sa poche et enclenché l'alarme. Toujours est-il qu'Unwin ne se pressait pas tellement en marchant et préférait ruminer que d'accélérer le pas et faire attention à ce qui l'intéressait. Ce qui, dans le fond était peut-être un tort.

    BOOM.

    Hein ? C'quoi ça ? Baissant la tête, Vail vit un gamin, gentiment étalé dans la boue, qui l'observait. Et... Oh joie ! Une orange juste à côté de lui. Si c'était pas un coup de bol ça. Sans se soucier plus que ça du morveux, Unwin se baissa et ramassa le fruit. Rah, mais il avait vraiment une de ces dalles, c'était pas possible ça ! Le pirate se fit donc une joie d'éplucher l'orange sous les yeux du gamin avant d'en avaler un morceau. Ca faisait du bien ! Pour un peu, il se serait presque laissé à laisser échapper un soupir de contentement. Mais bon, en public, ça ne se faisait pas voyons ! Aussi, en rebaissant les yeux, il fixa le gamin et demanda :


    - Qu'est-ce que tu fous là, toi ?
      La main n'est pas tendue vers lui, non. Au contraire, elle prend impunément possession de son précieux fruit, de son trésor. L'orange. Simple caprice d'enfant peut-être, mais il y tient pourtant. Se retrouver couvert de boue lui importe bien peu en comparaison. Déjà, l'étranger croque un premier quartier de l'agrume, sans lui jeter un regard, alors que lui le fixe intensément, l'oeil glacial, le coeur glacé. Quelle humiliation.

      Et puis, mine satisfaite, désaltéré, l'homme en noir consent enfin à reporter une partie de son attention sur lui. Le ton est abrupt, tend vers l'agressif. Comble de l'ubuesque, il lui demanderait presque des comptes, après l'avoir privé de son rayon de bonheur. Encore un de ces êtres sans code des bonnes manières. Mais là n'est pas le plus important. Pour le moment, Rei ne sait que répondre. Il reste figé l'espace d'une poignée de secondes, à darder son ancien fruit, espérant secrètement des excuses qui n'arrivent pas.

      Puis, digne comme un prince même dans la fange, il se redresse, regard fier, buste gonflé. N'esquisse pas le moindre geste pour tenter d'épousseter le costume trempé et tâché jusque dans sa dernière fibre et passe devant l'inconnu sans une plainte, sans un mot. Le petit manège l'amusera peut-être, ou plus probablement n'y accordera t-il pas le moindre intérêt, plus concentré à tirer le maximum de la pulpe du fruit qu'à se soucier d'un insolite gamin.

      Pourtant il devrait. Pour Rei, pareil outrage mérite réparation. Alors, feignant une sortie dramatique, il cogite à la hâte un plan pour mener à bien sa vengeance. À la hauteur de l'affront. Mais qu'il est difficile de mener pareil combat du haut de ses neuf ans. Pour peu, s'il échoue, ou même réussit et s'attire les foudres de l'autre, il ne passera pas l'après-midi mais qu'importe, quarante mois déjà à moisir dans un orphelinat et son ambiance délétère lui ont forgé un mental en acier trempé.

      Alors il va répliquer. Son regard farouche s'anime soudain d'une petite lueur dansante, ses poings se referment sur eux-même à la recherche du courage nécessaire. Il va répliquer, et maintenant, il sait comment.

      Une dizaine de pas lui ont suffi; déjà, il suspend sa marche, pivote d'un demi tour sur lui-même et se retrouve dos à son voleur. La pluie continue de tomber, furieuse comme lui l'est à cet instant; tant mieux, elle couvrira le bruit de ses pas. Sans plus de préparations, Rei s'élance à petites foulées. Mieux vaut ne pas prendre le temps de réfléchir plus ou d'évaluer les risques et les chances de réussite de sa tentative, cela lui ôterait toute volonté de mener à bien le plan sommairement échafaudé.

      Plus que cinq foulées avant d'atteindre l'adulte, de dos. Il est trop tard pour faire machine arrière.

      Tois foulées, l'enfant incline légèrement son buste vers l'avant.

      Deux foulées, il ouvre grand ses bras comme un oiseau près à s'envoler.

      Une foulée, se déporte légèrement sur la gauche, suit le mouvement avec son buste de sorte que son épaule droite soit le fer de lance de son assaut.

      Impact. Le petit bolide lancé vient plaquer sa cible à mi-cuisses avec toute la force et l'énergie dont il est capable. Leçon de vie de la journée : pour faire tomber quelqu'un quelle que soit sa corpulence, toujours le plaquer aux jambes, vous décuplerez vos chances de réussite.

      Justice est faite. L'orange n'est plus captive du vil faquin, qui dans sa chute ouvre les paumes de ses mains pour amortir les dégâts, lâchant du même fait sa prise de guerre. Situation inversée désormais. Le petit debout, le grand par terre. Les deux sont quittes. Du moins, il lui semble, selon sa logique. À son tour, il ramasse l'orange, la nettoie et en détache un quartier, qu'il gobe sans même le mâcher.

      Puis, devançant la réaction de l'autre qui ne saurait trop le favoriser, l'enfant partage en deux parts égales le restant du fruit, et en tend une avec bonne volonté à l'autre en signe de trêve.

      -Tiens, je ne la finirai pas de toute façon. Moi c'est Rei, et j'essaye d'échapper aux gens de mon orphelinat.

      Étrange confidence de la part d'un enfant qui la minute précédente considérait son interlocuteur comme un moins que rien, mais la nature infantile aidant, sa colère dissipée se transforme maintenant en curiosité.

      -Et toi, t'es qui ?
        Humiliation (n.f.) : degré extrême d'abaissement moral, d'avilissement, d'indignité. Le nez dans la boue, un morveux victorieux le dominant du haut de son mètre douze, Unwin se sentait en effet humilié. Son degré extrême d’abaissement moral frôlait même les négatifs. Franchement, y’a quoi de pire que de se faire plaquer au sol par un gamin de huit ans ? Ouais, ou dix ans, on s’en fout, c’est pareil. Là, dans l’immédiat, le pirate avait un peu de mal à imaginer quelque chose de plus dégradant. ‘fin, s’il avait eu un peu d’humour et d’imagination, il aurait pu imaginer qu’il se faisait en plus piétiner par un troupeau de vaches, ou bien qu’un pigeon viendrait fienter sur sa tête… La liste était longue. Mais bon, c’est Unwin.

        En vérité, là, il avait plus en tête les « 1001 manières de tuer un gamin de la manière la plus douloureuse et sanglante possible ». En vente dans toute bonne librairie, 10 000 berrys, toutes taxes comprises. Ou pas. Bref. L’ego d’Unwin en avait pris un sacré coup là. Je vous dis pas le truc. C’était moche. Autant que les jeux de mots d’une certaine chatbox passée certaines heures.

        Essayant de conserver le peu de dignité qui lui restait, Unwin se releva. Il passa ses larges mains sur son manteau, essayant d’en chasser la boue, mais se rendit bien vite compte que c’était inefficace et stupide. Il se contenta donc d’essuyer vaguement ses mains avec un coin sec du vêtement et s’approcha du gosse qui bouffait tranquillement l’orange. Alors que le pirate s’apprêtait à l’écraser comme un déchet, le gosse prit la parole et Unwin se stoppa. Pourquoi ? Il n’en savait trop rien. Réflexe stupide d’écouter quelqu’un quand il parle, sans doute. Allez savoir depuis quand Unwin avait ce réflexe d’ailleurs. La faim devait le faire délirer. Parce que oui, mine de rien, il crève encore la dalle. Aussi, quand la demi-portion lui tend le morceau d’orange, il ne refuse pas et l’engloutit. Il écoute à peine l’histoire de Tom Saw… de Rei. Pauvre chou, tiens. Unwin en versait même une larmouillette. Ah… Non, c’est la pluie en fait.

        Bref, sans dégoiser un mot, Unwin toise le môme de toute sa hauteur. Ouais, pour faire peur, toussa. Vous savez, genre une ombre mystérieuse et inquiétante qui vous enveloppe et vous vole votre lumière. Bah là c’tout pareil. La seule différence, c’est que la vilaine ombre, elle est trempée jusqu’aux eaux, elle crève la faim et elle est dégoulinante de boue. Trop la classe. Parfait effet cathartique (ouais, jargon littéraire, histoire de se la péter un peu) : terreur et pitié. Magnifique. Racine n’aurait pas fait mieux. Mais ici, ce n’est pas Racine qui prend racine (Jean Racine, blague), mais notre Unwin. Parce que c’est bien gentil d’en imposer et tout, mais à un moment, faut qu’il se bouge et fasse quelque chose.

        Aussi, sans prévenir, passant d’une immobilité totale à une action violente, il faucha les jambes du mouflet et avant qu’il puisse se relever, il lui appuya le pied sur le torse, faisant en sorte qu’il ne puisse plus bouger, et bloquant légèrement sa respiration. Puis, déjà un peu plus inquiétant que précédemment, il sortit son pistolet à double canon et le pointa sur la tête du gamin. Gamin qui, soit dit en passant, avait de la chance que la pluie empêche Unwin de se servir de son arme. C’est pas avec ce temps qu’il mettrait le feu aux poudres le brave homme. Et en plus, histoire de rester dans une narration totalement RP, c’était bien pratique pour donner une raison à Unwin de ne pas tuer Rei. Ce serait dommage et ça foirerait un peu tout le contexte actuel. Les distorsions temporelles et tout ça, ça reste un peu tendu quand même, hein. Mais passons.

        - Qui je suis, putain ? Unwin Vail.

        Ca, c’était la réplique du méchant. Maintenant qu’on est passé par cette petite formalité, on peut reprendre une conversation un peu plus normale. Quoique…

        - On t’a jamais dit que jouer avec un pirate c’était un putain de jeu de merde ?

        Nan mais oh, bordel de merde et tout le toutim, fallait pas déconner hein ! On ne plaque pas un pirate au sol impunément. Faut s’attendre à des représailles, monsieur ! Sans blague, quoi. On leur apprenait plus rien dans les orphelinats à ces sales chiards. C’est au fouet que ça se dress… Hm. J’en fait peut-être trop, là, non ? Ouais, je vais m’arrêter là et laisser la parole au gosse.
          Du haut de ses neufs printemps, Rei n'avait encore jamais eu la chance – si l'on peut considérer cela comme tel – de rencontrer un vrai pirate. Des hors-la-loi en devenir sans doute oui, l'orphelinat en pullule. Mais un vrai, un qui chante des chansons d'aventurier en descendant cul-sec verre de rhum sur verre de rhum, un qui dégaine sa pétoire à tout bout de champ et triche aux cartes, jamais. Maintenant, c'est chose faite. Et si, l'effet de surprise jouant, mini-Rei a pas saisi qu'il a chatouillé les moustaches d'un vrai bad boy sans foi ni loi, celui qui lui coupe gentiment la respiration de son pied le lui rappelle bien vite.

          Là, ce serait le moment de balancer une réplique cinglante mais y'a pénurie d'air dans les poumons, alors on va faire comme si on prenait son temps pour répondre. Accordons-nous une petite minute pour analyser la situation. Rei est dans la merde. Double-sens croustillant. Mais Gugusse au dessus de lui, l'est pas si terrible que ça. Et ce pour quelques raisons que voici :

          A)1° Unwin Vail, faut dire ce qui est, ça fait pas franchement peur comme nom.
          A)2° Le bonze aurait donc dû le changer pour quelque chose de plus terrifiant, et s'il l'a pas fait, c'est qu'il joue pas dans la cour des grands.
          B)1° Un redoutable criminel qui morfale une orange comme le dernier des clodos, ça existe pas.
          B)2° Il a beau jurer comme un charretier, il t'a toujours pas fait sauter la citrouille, il est donc plus du côté branleur que terreur de la force.

          Conclusion : Unwin Vail est juste une sorte de Grinch qui s'amuse aux dépends des petits zenfants.

          ...

          Hein, tu dis ?

          ...

          Attends, jme rapproche, l'autre zouave t'écrase trop, je pige rien.

          ...

          De Quoi ? J'ai toujours fait des plans de dissert' foireux ? Mais dis donc petit...

          ... !

          Donc on va éviter de trop s'appuyer sur celui-là des fois qu'il y ait un bug quelque part ? Et il me coupe la parole avec ça !

          Hey sale gosse, j'essaie de te rassurer là tu piges ? Je joue le putain de narrateur paternel qui te bazardes du " ça va bien se passer " manière que tu te soulages pas dans ton costume ! Tu veux que jte fasse dire la connerie de trop, c'est ça ? Crac, une cage thoracique qui se brise, Paf, un Rei qui clamse !

          Tente moi, vas-y, tente-moi ! J'ai le clavier qui me démange.

          ... !!

          Aaah "et même que je suis pas sérieux" ? Tiens, regarde si je suis pas sérieux; j'vais t'apprendre à ranger ton égo dans un coin mon pote :

          Le poids imprimé par Vail l'écrase à moitié, mais Rei ne s'en laisse pas compter pour autant. Ses deux mains s'agrippent de toutes leurs forces à la jambe qui le domine. Dans un ultime sursaut de volonté, l'enfant relève fièrement la tête et vient mordre férocement son agresseur au niveau de la cheville.

          Alors, qu'est ce qu'on dit maintenant ? Hmm ? Moi j'crois qu'il va pas trop apprécier le môsieur.

          ...

          Ouais, c'est bien ce qu'il me semblait.

          ...

          Oui, je sais, t'es désolé; de toute façon, j'aurais pas dû m'énerver moi non plus. C'est oublié t'en fais pas. Bon, j'rembobine la bande et j't'arrange le coup, t'inquiète.


          Le poids imprimé par Vail l'écrase à moitié, et pour l'une des rares fois de sa vie, Rei se sent en danger. Complètement à la merci de l'autre. Il supplierait le premier inconnu à emprunter cette rue pour qu'il vole à son secours. Pour peu, il espèrerait même que les adultes de l'orphelinat soient partis à sa recherche et lui sauvent la mise...

          Non, Rei. Tu ne veux pas de leur aide. Tu as trop d'orgueil pour accepter d'être vu en pareille circonstances. Tu en as même trop pour accepter de t'incliner face à l'étranger. Rassemble le peu de souffle que tu as, ou qu'il t'octroie, et fait face. Bombe le torse, répond.

          -Non.

          Unique mot, lâché d'une voix franche, aussi ferme que possible.

          Nouveau silence. D'entendre le son de sa propre voix l'a ragaillardi. Son regard a retrouvé de son éclat, sentir la pluie froide s'abattre sur sa peau ne lui apparait plus comme un mauvais présage; c'est juste une preuve qu'il est vivant. Bien vivant.

          -Mais je m'en souviendrais, maintenant.

          C'est bien gamin, t'as fait front comme un homme. Ça laisse présager d'alléchantes retrouvailles en plus. M'est avis qu'elles seront ptetre même pour plus tôt qu'tu n'l'imaginerais...
            Les gamins fallait savoir les mater. Sinon, ça faisait n'importe quoi, ça prenait la grosse tête, fuguait, partait faire des conneries je ne sais où, bref, tout ce qu'il ne fallait pas. Vail n'avait jamais eu une haute opinion des enfants. Ces espèces de chiards avec la morve au nez et toujours en train de geindre. "Mamaaan, Mamaaan, s'il te plait." Une bonne tarte et le problème était réglé. C'est par là que passait l'éducation. Ca faisait mal, mais ça rentrait mieux.

            Sous la pluie torrentielle de Tanuki, Unwin expérimentait ses principes éducatifs avec le petit Rei. Sale gosse. Il méritait bien d'être remis à sa place le morveux. Faut dire, Vail n'avait pas spécialement apprécie d'être ridiculisé par ce truc haut comme trois pommes. Sans blague quoi, c'était juste la loose totale. A se demander ce qu'on leur apprenait dans cet orphelinat. Sûrement pas grand chose. De toute manière, les orphelinats avaient rarement bonne réputation. Trop de gosses à nourrir, pas assez de fonds, pourquoi on s'emmerderait à éduquer ces futurs délinquants ? On se le demande. Mais une petite leçon à la Unwin ne faisait pas de mal de temps en temps.

            Le pirate se tenait fièrement, écrasant le gamin d'un simple pied et le menaçant de son arme inutilisable. Ca, au moins, c'était la classe. Il attendait la réponse du gamin à sa question. Inspirer la peur permet de grandes choses. Notamment faire coopérer un sale gosse. Ou presque. Un non sortit de la bouche du petit. Vail fronça les sourcils et appuya un peu plus sur le torse du gosse. Avait-il mal entendu ? Ce gamin jouait encore les fortes têtes dans sa position ? Ah non. Après un silence plus ou moins long, le gamin lâche la fin de sa phrase.


            - J'en doute pas, putain.

            La rencontre qui venait de se jouer était de celles qui ne s'oublient pas. Surtout pour le plus jeune. Le genre de rencontre qui prend tout son sens plus tard, lorsqu'on pense l'avoir éjecté de sa mémoire, lorsque le souvenir n'est plus qu'un rêve. Le genre de rencontre qui vous en fout plein la gueule au moment où on s'y attend le moins. Et je peux vous dire que Unwin va se la prendre cette rencontre. Et plutôt deux fois qu'une. Ca ne va pas être triste. Mais seul le destin nous dira qui l'emportera cette fois-ci.

            En attendant, Unwin relâche la pression et, sans un regard pour le jeune Rei, il poursuit son chemin. Il a des choses à faire en ville, et il meurt toujours de faim. Une orange, c'est loin de caller l'estomac d'un homme comme lui. Et puis, il a d'autres chats à fouetter que des gosses en mal de vivre. Faut pas déconner, y'avait pas marqué pédiatre sur son front. Pis cette pluie, putain. Vivement qu'il se mette au sec et qu'on ne parle plus de cette île de merde. D'ici quelques heures, le Joe mettrait les voiles et les Gun's mettraient les voiles vers de nouvelles aventures. Et croyez-moi, ça risquait de ne pas manquer d'action.


            RP terminé ~