Partout où il y a la lumière, il y a l'ombre

Sir Gargalen, vous n’êtes qu’un sale con. Merde, j’en rigolerai presque à me répéter cette phrase en boucle pendant que je suis assis dans ce bar à lire le journal tout en sirotant le café fraichement moulu. Ne t’étouffes pas trop pour t’empêcher de rire, les gens autour te prendraient pour un maboule. Pas mauvais, quand même meilleur qu’au QG quoi qu’un peu trop fort. Rien d’intéressant, que ce soit à lire ou à regarder dans cette cabane. Et d’ailleurs, pourquoi je me plains ? Je suis quand même bien ici, à l’aise. La Marine c’était bien quand même, ça me manque presque j’ai envie de dire. Ouais, ouais…t’y es plus Law. Quelle idée aussi d’aller flirter avec la fille du supérieur. Tôt ou tard je me serai fait avoir de toutes manières. En tout cas, j’en aurai bien profité. Ces nuits où tu t’éclipses discrètement du dortoir pour aller la voir et profiter tranquillement de la soirée pendant que les autres se les pèlent dans leurs lits pourris sans pouvoir côtoyer qui que ce soit. J’aurai quand même dû stopper les allers et venues au bout d’un moment. Après tout, j’avais envie de profiter à ce moment-là, quitte à me faire balancer, me faire prendre ou autre j’en avais rien à foutre. Elle est mignonne en tout cas, cette Emily. Blonde, de grands yeux verts et ce corps très svelte à la silhouette bien effilée. Franchement, il y a de quoi être plutôt fière quand on voit la demoiselle. Peut-être était-ce un coup de chance ou…non. Tu as surement un charme plus que ravageur.


Les articles défilant sous mes yeux commencent à me rappeler que mon nouveau job commence demain. Ce mot « travail » qui passe encore et encore dans chaque phrases de je ne sais quel sujet me ramène directement à la réalité. Fini les conneries, j’avale la dernière gorgée brûlante au fond de la large tasse pour ensuite plier le journal. L’argent sur la table, je prends la sortie du troquet direction le bagne. Mon nouveau travail ? Garde-chiourme et, oui, je n’en suis pas spécialement fière.


Comme dirait le dicton « le boulot, c’est le boulot ». Après ma suspension suite à un acte considéré comme une « faute grave », je me suis résolu à me bouger un minimum. Donc retour à la maison, on discute avec un peu toute la famille pour savoir qui aurait peut-être un plan sous le coude et, comme je me doutais bien que la réponse allait être non, je me suis débrouillé. La méthode classique hein, on feuillette le journal sans cesse et on contacte ce qui nous intéresse. Mais le truc c’est que quand on applique ce genre de démarche pour les choses que l’on aime, et bien ça ne marche pas forcément. Et c’est un beau jour que je tombe sur cette annonce relativement juteuse, sur Tequila Wolf. Cette ile tristement célèbre pour ses esclaves portant un tel titre dès la naissance. Un métier de forçat, certes j’ai longuement hésité à contacter le coordinateur des travaux vu la nature de la profession. Un salaire alléchant, une bonne situation sur place qui signifie être nourri et logé, pourquoi refuser ? Une occasion comme celle-ci ne se représentera surement pas une seconde fois. Donc j’appelle le type, il me dit que si l’annonce m’intéresse il faut que je me rende sur les lieux pour quelques «tests ». Une fois ces tests passés, on te recontacte assez vite pour te dire que tu es accepté et c’est là que l’on suit une formation de trois mois. L’ambiance est triste là-bas, et quand j’ai vu dans quel situation travaillaient et vivaient ces pauvres gens, mon sens moral n’a pas arrêté de me tarauder. J’en ai discuté avec mon frère qui s’est tué à m’expliquer que c’était l’ordre des choses et que je pouvais rien y faire, que les gens sont ici parce que « c’est comme ça ». Pff, conneries, je ne passerai pas ma vie à faire ça, c’est certain. J’économise et j’investi dans quelque chose de durable… Ouais, c’est la bonne alternative. Pour en revenir à la formation, on me disait qu’en général, il fallait savoir tenir fermement les prisonniers. Que si on était trop gentil, l’un d’eux pouvait nous planter à tout moment si on abaissait sa garde. Alors on apprend à se comporter comme il se doit face à eux, à nous faire respecter et faire en sorte qu’ils travaillent toutes ces choses-là. Ce n’est pas faute d’avoir dit que j’étais un ancien Marine mais le recruteur en face m’a dit que le bagne et la Marine c’était pas du tout la même chose.

En tout cas, je suis rôdé pour attaquer demain matin. J’ai rencontré mes collègues, certains ont l’air d’être de chouettes types mais d’autres ont l’air vachement plus bourru. J’espère aussi que je n’aurai pas à faire trop de choses contre mon gré aussi. Les chefs de chantiers que j’ai pu voir brièvement font peur à voir, ils sont tellement moche qu’ils devraient d’ailleurs se mettre un masque sur le visage. Histoire d’être en forme et à l’heure, il faut que j’aille dormir directement aux baraquements ce soir. Pourquoi pas, c’est une bonne initiative de leurs parts. On m’a aussi prévenu qu’une belle fournée allait arriver dès demain. Ne les déçois pas.


Dernière édition par Lawrence Gargalen le Mar 19 Jan 2016 - 12:35, édité 1 fois
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La première chose que j'avais senti en arrivant, c'était cette fine brise blanche qui était venue enrober ma peau de sa couverture froide, qui avait glissé furtivement et sensuellement sous mes nombreuses couches de vêtements pour effleurer mon épiderme et me refroidir de la tête aux pieds. La seconde étant le pressentiment que tout le long de ma mission elle n'allait jamais me quitter, j'avais dès lors - et ce depuis le début de cette éprouvante semaine - essayé de gagner du mieux que je pouvais de la distance sur les températures extrêmes qui ne cessaient de me secouer. Vibrante, je m'étais effectuée à accomplir les tâches ingrates de ma couverture tout aussi déplorable pour tâcher vainement de me réchauffer. En vain, le froid m'avait poursuivie sans relâche, jusque dans les douches communes, jusque dans les baraquements en se glissant discrètement sous mes draps la nuit. Il était omniprésent et pourtant les pauvres hères que je côtoyais nuit et jour y semblaient bien accoutumés, eux, ce qui rendait la chose encore plus malsaine.

J'étais arrivée la semaine précédente avec toute une clique d'anciens forbans et de nouveaux esclaves qui s'étaient mis à claquer des dents simultanément avant même que la température de l'île n'aie pu se faire ressentir. Pour une grande partie, c'étaient des bras cassés voire même des pauvres civils ayant commis des petits délits, affublés à la peine pseudo-capitale de devoir travailler le restant de leur vie dans le plus grand bagne de cet océan, avec sa neige et son froid ambiant. Pour d'autres, des brutes épaisses, des pirates de grands chemins jusqu'aux types primés, mis à l'écart, surveillés étroitement. Et au milieu de tout ça, moi, avec mes ridicules menottes, dans ma ridicule tenue de bagnard sur ce ridicule rafiot. Et je me demandais alors, le nez baignant dans les odeurs de pisse et de déjections : pourquoi j'étais là déjà ?

Depuis quelques temps, des disparitions avaient survenu dans le bagne, du côté des esclaves : les zigs disparaissaient par vagues de dix, vingt, trente, quarante de façon régulière et le phénomène n'avait été que très récemment reporté par la garde-chiourme en cheffe du coin, une certaine Polyantha Chapdeplomb. Au CP8, les agents étaient plutôt réticents à aller se peler les miches et jouer l’infiltration chez les esclaves, c'était pourquoi au moment où je m'étais proposée, idiote, niaise, stupide, je n'avais rencontré ni opposition, ni partenaire et à peine avais-je fini de dire oui que l'on m'avait d'ores et déjà étiquetée et expédiée dans ce fichu merdier. Et maintenant j'étais là, me faisant passer pour une esclave, dans le froid, après avoir subi un voyage malodorant avec des types de basse extraction, bons qu'à se conchier et se compisser sans prévenir ses camarades codétenus avant de relâcher leurs boyaux et vessies ; après avoir débarqué à l’extrémité des huit ponts et m'être faite traiter comme une chienne, une moins que rien et avoir connu un régime strict incluant soupe dégueulasse bourrée de laxatifs, trois heures de sommeil et vingt-et-unes heures de boulot abrutissant par jour. Ouais, je regrettais plus qu'amèrement de m'être proposée.

- Plus vite, la borgne ! Sacrebleu c'est que tu fous rien, tiens prends ça ! Hé hé hé. signe l'un des contremaîtres du coin en me voyant bâiller aux corneilles, pensive, m'affublant d'un coup de tonfa sur les fesses.

Jurant instinctivement sous la pression de la douleur, je me vois bien obligée de sortir de la torpeur de mes lamentations pour reprendre le travail à la chaîne. Menottée au pied d'un boulet rejoignant une chaîne avec ma palanquée d'autres esclaves pseudo-bagnards dont la majorité semble déjà née coupable. Puisque apparemment le bagne est quelque chose qui se transmet ici de père en fils et de mère en fille ; puisque l'on laisse les gardes-chiourmes profiter des prisonnières pour leur coller des polichinelles dans le tiroir - quand c'est pas les autres esclaves profitant de l'intimité des baraquements pour accomplir leurs basses œuvres - et que le travail des enfants semble davantage apprécié qu'illégal : il va alors de soi que depuis des siècles les esclaves sur Tequila Wolf se reproduisent comme des lapins... avec la chance d'avoir une espérance de vie très courte et une existence tournant autour du...

- PLUS VITE !!

Revenant au cours de la réalité une seconde fois, rappelée à l'ordre par le garde-chiourme de tout à l'heure qui vient soudainement se poster devant mon corps faiblard avant de me saisir spontanément par la mâchoire et me lancer brutalement dans la neige, non sans emporter dans l'élan le reste de la marche à cause du mouvement des chaînes.

- Toi, ce soir, je viendrai dans ton baraquement et je peux te dire que je te manquerai pas, ma jolie. gronde la brute avant de s'éloigner aussitôt pour aller martyriser une pauvre gamine de neuf ans ayant laissé tomber sa charge malgré elle.

Pour toute réponse je parviens à peine à réprimer un regard noir avant de me remettre debout avec mes malheureux camarades et ressaisir mon sac de ciment.

Ainsi allait la vie, à Tequila Wolf.
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La nuit se passe tranquillement. On ne manque de rien dans ces cabanons, il y a à s’plaindre. Le chauffage, de quoi manger et d’autres petits passe-temps sont à disposition comme l’indémodable jeu de cartes. Je me suis retrouvé avec une bonne partie des mecs qui avaient participé à la formation en même temps que moi. Pendant les pauses, on sympathisait du mieux qu’on pouvait avec ceux voulant un peu de compagnie comme toi. D’ailleurs, celui avec qui j’avais l’habitude de parler s’est retrouvé dans le même baraquement. Kazey, qu’il se nomme. Le type sans trop d’histoires mais qui se la ramène pas trop et ne tire pas une gueule de poisson mort dès que tu tentes de lancer un sujet plutôt cool. Faut dire aussi qu’être avec quelqu’un que tu connais un peu le premier jour de ton nouveau taf’, c’est plutôt plaisant. Le reste du groupe fait un peu ce qu’il a envie, certains dorment déjà tandis que d’autres s’amusent à parier des miquettes en jouant au poker alors qu’une pincée mange dans son coin. Je me croirai presque au QG, c’est drôle. Quoique, lorsque l’on doit dormir, c’est un ordre. Enfin, je dis ça mais la raison pour laquelle j’ai dû me tirer du quartier était un peu due au fait de ne pas avoir obéi à ça, enfin bon. Pour couronner la soirée car, au bout d’un moment, on se dit qu’il vaudrait mieux pioncer un coup, je m’allonge avec l’absence d’appréhension. Etonnant, sûrement que je suis mis en confiance et me sens bien ici. Que je ne m’y fasse pas trop n’empêche, l’ambiance va très vite changer demain.

[…]

Hum, le réveil est assez brutal dit donc. Il y a déjà pas mal de bruit à l’intérieur et dehors. En tout cas, la nuit fut bonne. J’ai très bien dormi et aurait aimé rester au plumard encore quelques heures. Heureusement que Kazay s’est dit qui fallait mieux me filer un coup d’pouce me faire décoller. Ca s’active dans l’équipe, quelques-uns ont l’air au taquet, c’est beau à voir. Les panards fourrés dans les bottes, la veste bien épaisse accompagnée de la tasse de thé ou café selon l’envie et la petite buée s’échappant des gosiers, signe d’un rafraichissement bien distinctif. A peine tu sors de leurs grosses couettes qu’une fraiche brise te fouette les guiboles, pas grave. Les vêtements qu’ils nous donnent sont de bonne qualité ce qui me fait penser à toutes ces personnes dehors qui sont littéralement en train de congeler sous la torture morale. Allez hop, on enfile en deux temps trois mouvements la montagne de laine, la matraque et les salutations à un peu toute la galerie. Le coin est rangé rapidement, un morceau avalé et je dirai qu’on est presque tous prêts à y aller. Les instructions ont été claires : pas de garde en retard. Sur le coup ce n’est pas notre problème, personne n’est la mère de personne ici, à quelques exceptions près j’ai envie de dire. Ce n’est pas que je veux faire le chacal à penser qu’à ma pomme mais en logeant sur le lieu de travail, aucunes excuses. La porte s’ouvre pour laisser place à cette régulière bourrasque qui entre si subtilement qu’il donnerait presque l’impression de bifurquer doucement dans la pièce et « d’enrouler » de sa légère étreinte toutes les choses se trouvant sur son passage. Un par un, la baraque se vide petit à petit. Les derniers à la bourre se mettent très vite dans la file comme si de rien n’était et nous nous dirigeons vers la partie du port où le bateau chargé comme une mule s’amarre doucement, prêt à déverser son flot d’esclaves. Sur le trajet, le « voisin de chambre » se met rapidement à mon niveau.

-Hey Laurent, pas l’trac ? Héhé

-Huum, non, ça va. Pourquoi, tu sens la pression monter ?

-Un peu, faut dire qu’on n’a pas eu trop de situations très… concrètes ?

-Ne t’inquiète pas, Kayzer. Reste calme et ça va aller. Il n’y aucune raison que cela se passe mal.

-Mouais… t’as p’tête pas tort.

Faut dire que la différence entre lui et moi au niveau du passif est assez marquée. Il a enchainé quelques jobs tandis que moi, les situations concrètes, ça me connait un minimum. Une fois arrivés au port, nous nous rangeons devant nos deux superviseurs directs. Ils ne sont autres que les gardiens en chef : Aleksandr et Natalia. Un air mesquin émane de chacun d’eux et l’homme toise un peu tous les types devant lui du regard de cet air supérieur et dédaigneux. Dans les rangs, aucun bruit n’est perceptible. Petit à petit le bateau se pose et le Gardien fait son discours dédié aux nouveaux, surement. Quant à la dame aux allures de sorcière, c’est avec les pommettes relevées et les sourcils froncés qu’elle pense se donner un air aussi. Quel sourire affreux, en plus. Ne penses pas à ça Law, tu fais ton travail et c’est tout. Si on était là pour juger nos supérieurs, on en finirait plus.

-Messieurs, nous vous r’mercions encore de votre présence ici. En espérant que la formation ait été efficace pour chacun de vous, vous voilà en situation réelle dans quelques instants. Et les sceptiques, z’inquiètez pas on s’met vite dans l’bain. Bonne journée à tous.

C’est qu’il est synchro, le bougre ! Au même moment, le bateau est posé et tous les bagnards commencent à pointer leurs nez, menottés et déboulant par vague de je n’sais combien. C’est parti, on fait comme c’était dit. Une partie va vers le bateau pour faire avancer le troupeau, une autre le quadrille pour éviter les fuites, une fois qu’il n’y a plus personne on en envoie pour vérifier la cale et dès que c’est bon, le navigo’ peut partir. Les dirigeants de tout ce « trafic » sont efficaces car les détenus arrivent en étant déjà vêtu de la tenue de base, disons. Dans le fond, j’ai quand même un peu mal pour eux, je me demande toujours un p’tit peu ce que je fais ici. T’es bien au chaud à envoyer des gens vers leur sinistre destin habillés de fringues aussi fins que du papier à cigarette. Sans parler de leurs dortoirs, même pour dormir ça doit être un carnaval pour toute cette masse. On voit des personnes bien différentes, allant de personnes un peu âgé au garçon aux allures d’adolescent. Ils te regardent et toi, t’es la comme un con avec ton bâton à pousser la voix pour les emmener travailler. Une petite partie est considérée comme forcenée et mérite donc une petite fouille au corps. Je suis bien content de ne pas m’en être chargé aujourd’hui mais je sais qu’un jour ou l’autre, ce sera inévitable. Pas de dérapage en plus de ça, les choses commencent en douceur et le camarade tendu n’a pas hésité à me lâcher un petit clin d’œil dès qu’il a pu me croiser dans toute cette foire. Il a l’air de s’en sortir, me voilà content pour lui. Une fois que toute la peuplade est conditionnée, pas de temps à perdre et c’est direction sur le chantier à porter les sacs et déplacer et déplacer des tonnes et des tonnes de pierres, précisément pour la construction de ces ponts gigantesque te rappelant à quel point tu es minuscule dans tout ce bas-monde. Je m’attarde pas à ce genre de réflexion, sinon je cogite trop et ça pourrait me faire regretter par la suite, j’me connais.

Et ça patrouille en faisant claquer la matraque contre ton gant de cuir par automatisme, on montre qu’on a du coffre quand l’un commence à ne rien faire. Un peu timidement au départ mais bon, piochons l’excuse du nouveau fraichement arrivé. Quelques fois, l’un d’eux pète un boulard et tente de sauter sur le premier gus s’étant trop approché du furieux en question. Le pauvre, qu’il ne se rebelle pas trop. Le martinet sur la peau nue, c’est terrible. Lors d’une de mes interventions, en y pensant, j’ai croisé le chef qui m’a subtilement félicité d’un haussement du menton et d’un plissement des lèvres. Même si l’ambiance est tout bonnement morbide, ce genre de petit compliment est quand même bon à prendre.
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D'un œil morne, je regarde au loin le déchargement des nouveaux esclaves s'effectuer sur la berge située au bout du pont, cette partie artificielle toujours en construction qui permet systématiquement et de façon temporaire - au fur et à mesure que le pont s'achève un peu plus - un accès un peu moins en hauteur. Il faut dire que c'était ce qui m'avait surprise la première fois, lorsque j'avais vu la taille du monument : une structure gigantesque, la plus longue que j'aie jamais vu, s'élevant plusieurs dizaines de mètres au-dessus des eaux territoriales. Et seule l’extrémité de l'incroyable bâtiment baignait dans l'eau, de façon assez étrange, formant une longue pente appuyée sur de colossales parties de piliers émergées, ayant comme but de plus tard devenir deux de ces hauts pylônes se dressant hors des flots pour venir régulièrement soutenir les lourds segments en béton. Mais pour en revenir à la situation actuelle, entre deux brouettes de briques, je m'étais donc retrouvée à contempler furtivement le dernier débarquement, offrant le spectacle des nouveaux mâtons tâtant de leur supériorité psychologique, fendant la foule et donnant çà et là des coups de bâton pour montrer qu'ils sont les plus forts ici bas. Sans pour autant avoir un regard critique sur les conditions de vie des esclaves, je reste dubitative quant à la loyauté de ces hommes à qui le pouvoir pourrait facilement monter à la tête et éclipser l'idée qu'ils ne font pas cela pour eux, mais pour le Gouvernement Mondial. Car cette œuvre colossale n'est autre qu'un monument gigantesque à la gloire de l'institution : derrière le prétexte du bagne et de ses bagnards, la énième merveille sert à prouver aux opposants politiques la toute puissance de l'Ordre, comme c'est si souvent le cas. Et pourtant.

Passant ma main sur ma joue endolorie, marquée d'un hématome bleu aux tendances violettes, je me rappelle la récente nuit que j'ai passé dans les baraquements, passant à un cheveu de devoir me faire violer pour ne pas trahir ma couverture. Cheveu sur la soupe, dirait-on. Heureusement et malheureusement à la fois, un homme pas étranger à ce qu'il était en train de se passer était intervenu. Un potentiel révolutionnaire, du moins pas le seul. On les entendait énoncés dans les chuchotements le soir, dans les histoires racontées aux enfants, dans les discussions au coin du feu et même au sein de celles des gardes lors de leurs parties de cartes arrosées à la vodka. Ils étaient là, majorité silencieuse sauf pour certains portes-paroles, possédant une once supplémentaire de pouvoir qui les amenait à commercer avec certains des contremaîtres corruptibles à raison de leur faisant miroiter une monnaie d'échange. Hugo Viktor qu'il s'appelait, mon prétendu sauveur. Pas un travailleur, même s'il en possédait les habits et les chaînes aux pieds comme nous tous, mais une sorte d'intellectuel officiant pour les services de l'administratrice du coin : un type qui avait su être reconnu pour ses valeurs et prouesses mentales et être utilisé comme tel.

- Laisse la, elle vient juste d'arriver. avait-il dit en s'intercalant entre le garde-chiourme qui avait menacé de me faire payer mon inaction, quelques heures plus tôt, et moi.

- Tu veux que j'te fasse voler du haut du pont, avorton ?

- Pour que l'administratrice se demande ensuite où est passé son bibliothécaire préféré ? Tché. Tu devrais reconsidérer la chose, Moransky, si tu ne veux pas devoir retourner te peler les miches au Secteur 12.

Je m'en souviens, l'homme lui avait alors dardé un regard noir mais étrangement impuissant, avant de se retirer en grommelant dans son épaisse barbe. Viktor lui, entre temps, s'était d'ores et déjà effacé de la scène pour rejoindre sa couche et bouquiner un livre épais et lourd. J'avais alors profité de ma situation, portée temporairement en victime et martyre pour la cause réactionnaire, pour en apprendre un peu plus sur le blondin. Et même si j'avais pu discerner sa fonction et son poste dans les propos que me tenaient mes voisins de chambrée, les conversations avaient cependant rapidement coupé court lorsque j'avais questionné dans le but de pouvoir l'associer ou non à la révolution du pays. Pour cela, du moins, on ne me faisait pas assez confiance.

Du coin de l'oeil, j'observe donc les nouvelles recrues former des bataillons difformes, modulés par les gardes chiourmes découpant les rangs et séparant les foules de leur simple présence comme s'il s'agissait de lépreux. Là, les différents "régiments" sont séparés et les nouveaux gagnent le droit d'être envoyés dans les différentes sections de la dernière partie du pont. Instinctivement, je plains les hommes et les femmes retranchées à la Section 12, dont la réputation précède funestement le nom. Puis mon regard vient glisser vers le haut bâtiment en fer non loin, où se trouve le Quartier Général de l'administration avec, à son balcon, au dernier étage, droite comme un i et penchée sur sa rambarde, le corps svelte et délicat taillé dans un uniforme brut et chaud, l'Administratrice en Cheffe : miss Polyantha Chapdeplomb.

Et alors que celle-ci disparaît dans ses loges quelques secondes après avoir pointé le bout de son nez et vrillé un regard détaché au tri en contrebas, je soulève la brouette qui est mienne et me remets finalement peu à peu au travail.
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C’est que je commence à m’habituer à rester dans ce trou. Alek’ a raison, le coup de main vient très vite. D’un côté, allez me dire ce qui est compliqué à gueuler sur des pauvres hommes qui n’ont rien demandé et doivent trainer des charges incommensurables et innommables tous les jours dans ce froid mordant. Généralement, dans un chantier, l’avancée des travaux est un minimum remarquable alors que là... Nous voilà perdus dans cette spirale infernale de souffrance et d’interminable soumission quotidienne. Le tableau est triste, sale, sombre et j’aimerai quand même retourner en arrière mais une fois pris dedans, trouve toi la raison de quitter cette complexe allégorie de l’abime du Tartare.

Pas de futur, pas d’espoir ne serait-ce que son cadavre pourri depuis des siècles si on pouvait l’imaginer à l’état d’un homme. Me voilà constamment perdu dans mes pensées sans pour autant bailler au corneille face à cette sinistre marmelade humaine tiraillée de tous les côtés. Je me retrouve en ce moment même face à la traditionnelle inspection d’un bagnard vu en train de voler une miche de pain quasiment rassie. Bien tombé, devine encore qui l’a gaulé pile la main dans le sac. Et forcément, je me dis que cela reste un cas de figure où je peux ne pas intervenir. Mais non, les règles sont les règles et si un des camarades m’attrape en totale négligence, les retombées peuvent être pénibles. Impossible de faire confiance aux autres ici, même le compagnon Kazey, ce jeune homme au teint bronzé et aux yeux verts ne m’inspire étrangement rien, même sous ses traits encourageant et ne te laissant rien présager quant à son caractère ou sa façon de parler. Donc il faut y aller franchement – reprenons les termes et comportement appris les trois derniers mois – tu rends visite au tricheur en question – en agissant selon ta tactique propre, évidemment, tant que l’objectif est rempli – en lui faisant la morale comme quoi faire ça est réprimandé étant donné le fait qu’il faut quand même penser à l’autre qui pourrait ne rien avoir à manger. Certains te regardent et te jaugent, notamment pour cerner ton caractère, que ce soit chez les forçats ou les forcés. Un épais gaillard celui-là, c’est horrible à quel point il me fait penser à Clarence. Il me manque d’ailleurs, prochaine fois que je le vois ce sera un formidable échange et je trinquerai un coup avec lui, ça lui fera plaisir. La masse me flingue du regard et ne répond rien. Et là, si tu demandes une deuxième fois c’est qu’il va commencer par avoir de la tension dans l’air.

-J’ai été conciliant, dépêche-toi de reposer ce que tu as pris maintenant.

-Comment tu te sens ?

-Pardon ?


-Ouais.. ca fait quoi de pouvoir s’extasier sur nous tous, hein ? Bande de maudits bâtards autant que vous êtes…

-Ecoute, si tu ne te grouille pas ce sera enc-

-FILS DE PUTE !

C’est parti, un surin visiblement fait en taillant régulièrement une cuillère pendant de longues heures perce littéralement l’atmosphère pour se fondre au niveau de mon estomac. A peine le temps de lui saisir le poignet que son arme à la con me tranche la paume et s’insère dans mes vêtements. Je ressens bien la pointe froide tout en tenant du mieux que je peux le bras de ce golgote. La douleur me ramène immédiatement dans le feu de l’action. Dommage pour lui, il était prévenu. Un sacré coup de tonfa dans le genou quasi en simultané avec un sévère plaquage sur le sol congelé. Et vas-y que j’te plie le poignet comme une feuille, l’un des seuls endroits du corps que tes muscles n’atteignent pas. Direct après, quelques bagnards se lèvent comme apeurés voir même indigné. Les sifflements retentissent pour séparer la foule et d’autres chiourmes me viennent en aide. Même pas le temps de faire quoi que ce soit qu’on me bouscule, assène une rapide pluie de coups sur le forcené, surement pour l’attendrir et celui-ci se fait trainer je ne sais où.

-Euh…. Patron, il part où comme ça, par curiosité ?

-Hein ? T’en fais pas va, on lui a trouvé un meilleur truc. Il va s’plaire, le bougre. Beau boulot sinon Laurent, c’promet. Sinon tu m'as l'air blessé, passe un coup à l'infirm'rie va. Ca peut s'infecter vu comment ils sont crades ici.

-Merci Monsieur. C'est entendu, je reviens au plus vite dans les rangs.

Il est bien content, ce sadique. Et sa pimbèche toujours collée derrière lui à faire tâter de son fouet absolument n’importe quand en s’extasiant de son rire dégueulasse. Une fois je l’ai même vu frapper une petite fille en plein dans le dos qui a eu le malheur de prendre une infime pause et de rétorquer et qu’elle allait reprendre. J’ai recroisé la petite avec son pauvre haut déchiré à l’arrière, la frêle carapace jonchée de croutes sanguinolentes encore fraiches et caillouteuses. Si le contexte serait différent, je n’aurai eu aucun remord à briser la nuque de sa tortionnaire. A voir ses sous-fifres éclater les fortes têtes et pouvoir hurler sur ceux qui sont trop curieux, le Gardien en chef est lui aussi bien content entouré de quelques gardes pour donner à ses actes un semblant de justification. Dans ces cas-là, le repas est écourté et forcément, ça râle et ça r’part. On suit le troupeau bien en rang, encore plus alerte que nous l’étions il y a quelques instants. Et quand j’y repense, je ne sais toujours pas où va terminer l’autre enragé.

GROUILLEZ VOUS OUI OU MERDE !



Ca commence un peu à piquer au niveau du bide. C'est superficiel, vivement que je sois pansé. Il doit faire chaud la où je vais en plus. Ce serait sympa que je puisse gratter un café.
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Les premières disparitions depuis mon arrivée avaient eu lieu le jour précédent, pendant la nuit. A cet effet, sitôt la journée terminée, je m'étais empressée de débuter la conversation avec mes nouveaux "amis", relativement bavards depuis l'altercation avec le gardien et Hugo Viktor. Ainsi donc, assez régulièrement, il arrivait que des prisonniers soient amenés à faire des travaux d'intérêt généraux supplémentaires durant les heures nocturnes, du style nettoyer les latrines ou bien déblayer les excédents neigeux sur les grands chemins. Tout aussi souvent, certains bagnards ne passaient pas la nuit, congelés vivants par la neige et les températures négatives qui sévissaient lorsque la lune était haute dans le ciel. Alors, on remplissait la paperasse et on les amenait à la morgue où les pauvres gusses finissaient incinérés pour que le lendemain leurs familles - quand ils en avaient une - découvrent la triste vérité, au réveil. Mais les rumeurs allaient bien plus loin et mes camarades de chambrée avaient finalement attaqué le pot aux roses pour lequel je m'étais déplacée : depuis quelques temps, ceux qui partaient faire leurs TIG la nuit ne revenaient plus, ils étaient tous déclarés morts, systématiquement. Et autre fait marquant, leur nombre ne cessait d'augmenter exponentiellement, passant de quelques décédés il y a quelque mois à plusieurs dizaines à la dernière fournée. Cependant, alors que le couvre-feu approchait, mes sources d'informations s'étaient rapidement tues quand un énième garde-chiourme était passé dans le coin pour ordonner de la mettre en veilleuse.

Posant la tête sur mon oreiller aussi plat et sale que les draps dans lesquels je suis contrainte de dormir, je tourne et retourne la situation dans mon crâne, obsédée par les enlèvements dont je dois à tout prix devenir le témoin, sinon la victime : l'unique moyen d'en savoir plus. Ayant épuisé tout ce que mes voisins ont à me dire à ce sujet, je ne vois plus qu'une seule personne vers qui me tourner, celle qui possède un pouvoir décisionnel visiblement assez conséquent pour pouvoir expédier un garde-chiourme de l'autre côté du bagne. Patientant jusqu'à la prochaine ronde pour voir discrètement le gardien s'éloigner, je me glisse finalement hors de ma couche pour me rendre discrètement jusqu'au lit de mon congénère et le réveiller doucement.

- Mmh... Hein ? Qu'est-ce que... commence l'homme tout en se décollant difficilement les yeux, encore endormi.

- Du calme, c'est moi, Elizabeth. Je n'avais pas eu l'occasion de vous remercier et...

- Cela ne peut pas attendre demain ? m'interrompt-il d'une voie caverneuse, reposant sa tête sur son oreiller pour faire mine d'essayer de se rendormir.

Les sourcils légèrement froncés, je me décide à prendre des risques, dans l'espoir de pouvoir vérifier mes suspicions et pouvoir avancer. Avec un peu de chance, l'homme serait sensible à mes déclarations et me dirait ce qu'il sait, sinon je pourrais toujours retourner me coucher, gros-jean comme devant.

- Écoutez, je suis de la révolution...

Perturbé par un frémissement soudain, le bonhomme se dévoile comme je l'avais prévu, retournant son visage vers moi pour me faire face, intrigué par mes derniers mots.

- ...et j'enquête sur les récentes disparitions de...

- Comment êtes-vous au courant ? Elle a enfin demandé du soutien ? s'enquiert soudain Viktor, désormais totalement éveillé.

Le cerveau probablement encore dans la brume, il n'en avait visiblement pas fallu plus pour que le binoclard se trahisse. Lui-même désormais savait qu'il n'avait plus le choix : il devait se confier à moi en espérant que je ne sois pas à la botte du Gouvernement Mondial. Et je savais très bien jouer le jeu.

- Il a mordu à l'hameçon, t'es pas si mauvaise menteuse que ça, héhé.

- Sssshhh... fais-je en réponse à la voix dans mon crâne, occasionnant à mon interlocuteur un regard perplexe, avant de me reprendre soudainement. Oui, nous avons été contactés par la cellule infiltrée ici et j'ai été dépêchée pour démêler la situation. L'heure est grave, j'ai cru comprendre qu'ils font des rafles toutes les semaines, c'est ça ?

Jetant un regard inquiet derrière lui, à la recherche d'une oreille dissimulée dans un mur, l'homme me saisit l'épaule avant de se découvrir.

- N'en parlons pas ici, il y a un autre endroit. On a logiquement dix minutes avant la prochaine ronde, ni plus ni moins, alors faisons vite. dit-il en enfilant la veste grotesque dont sont affublés les bagnards, procurant un tout petit peu plus de chaleur, avant d'ouvrir la voie vers... une trappe dans le plafond.

***

Dissimulés dans une petite pièce obscure et incroyablement froide installée dans les combes, cela faisait bien quasiment dix minutes que nous nous étendions sur le sujet. Venant compléter les dires de mes autres informateurs, les dernières informations dépêchées par le révolutionnaire m'avaient finalement éclairci sur la situation. L'homme n'avait d'ailleurs cessé de me rappeler qu'ils luttaient ici aussi, avant même mon arrivée, piégeant des parties du chantier avec des explosifs, faisant disparaître les plus véreux des contremaîtres et tutti-quanti. En gros, qu'ils n'espéraient pas que je sois l'élément qui ferait tout changer, mais qu'ils ne pouvaient pas être sur tous les fronts et s'occuper aussi de cette affaire de disparitions. La révolution était bien présente oui, mais relativement mince comparée au nombre de "bagnards" qu'accueillaient les Huit Ponts

- Et donc ce seraient ces deux là les responsables ? demandé-je, le visage à la fois fermé et faussement dubitatif, désireuse d'obtenir la confirmation.

- Oui, peut-être, on en sait pas tant que ça, on les suspecte de n'être que des sous-fifres. Cependant ce sont bien eux qui sont systématiquement de garde lorsque les "disparitions" surviennent. Notre dernière tentative pour en savoir plus s'est soldée par un demi-échec. Nous les avons bien vus emmener des hommes, des femmes et des enfants, mais tous ceux qui se sont approchés d'un peu trop près n'ont plus donné signe de vie ensuite. Dans tous les cas, tout se passe au niveau des quais et... oh mon dieu le temps passe et ça va bientôt faire dix minutes !

"Les quais et..." ? J'ouvre la bouche pour émettre une protestation mais le révolutionnaire me pousse inévitablement vers la sortie, m'obligeant bientôt à traverser la trappe pour rejoindre le dortoir avant de me délaisser pour rejoindre son lit précaire, non sans me faire un dernier signe complice avant de se rouler en boule dans son duvet. Légèrement hébétée, j'applique finalement son exemple, feintant in-extremis de dormir alors qu'un nouveau garde pénètre dans le bâtiment pour faire sa ronde.

Peinant à dormir, à peine une heure après le réveil général est sonné tandis que le soleil n'a toujours pas pointé le bout de son nez. Il est l'heure de retourner au boulot et je sais où me rendre cette fois-ci. Saisissant automatiquement ma brouette de briques, seul travail permettant d'être libérée de la chaîne me reliant à un groupe de camarades, je fais voiles vers les quais - au bout du pont - espérant trouver le bâtiment où sont discrètement stockés les esclaves disparus.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 20 Jan 2016 - 0:26, édité 1 fois
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Plus l’temps passe et plus on grandit. Et plus on grandit, et plus on s’assagit ? Logiquement, mais cette notion ne doit pas s’appliquer à l’endroit où je me trouve. Et puis, qu’est-ce que je raconte ?! Divagations totales, ce trou à rat n’est pas fait pour moi. Petit à petit, cet horrible sentiment de dégout s’amplifie sans s’arrêter, à mesure que j’assiste comme un con et impuissant à tout ce qui se passe dans c’t’incroyable merde géante. Après faut relativiser, des trucs pas cool j’en ai vu jusqu’à aujourd’hui. Mais c’est baigner dedans qui me gêne, et puis c’est même plus d’la gêne, c’est innommable, tout simplement. On dirait que je perds la boule à me dire des absurdités pareilles. Problème c’est qu’il n’y a pas d’échappatoire « mentale » pour oublier tout ça, on est cloisonné tout le temps et les temps libres sont très rares. Et puis, même quand on peut sortir de ce foutoir c’est même pas pour profiter, t’appréhendes encore plus le moment où ce sera l’heure d’y retourner. Du coup dès que Kazey a la même permission, je l’alpague pour qu’on rumine ensemble. Il est même plus dans mon groupe de gardiens en parlant de ça, je n’ai pas trop compris la cause d’ailleurs. Ça s’est quasiment fait du jour au lendemain et j’avais beau demander la raison c’était du « t’occupes » ou « ‘trouvé une place adapté à lui ». Quelques camarades deviennent de vrais perroquets, tout dit la même chose à te répondre. Ils aiment être tranquille peut-être, ça se comprend. Je sens bien que ça les gave quand je commence à demander des choses de ce style. Surtout l’histoire du type maitrisé par mes soins que je n’ai pas revu depuis. Après c’est immense ici, mais on pourrait me dire où il est, bien que dans un sens ça n’a pas forcément d’importance par rapport à mon statut de garde. Sur le coup, ils marquent un point. C’est compris, les curieux sont pas bien vus.

Toutefois, un petit nom s’est formé autour de moi à force de faire tâter de ma voix – qui a déjà cassé plusieurs fois – et de faire claquer le martinet sur l’épais gant de cuir quand certains jouent les fortes têtes. Le hic est que chez des bagnards, une pincée sait que j’suis pas le plus méchant. J’ai peur que ça s’ébruite et que ça remonte jusqu’aux autres chiourmes, ça pourrait enquêter sur moi après et je serai encore une fois mis à pied ou pire encore, viré. C’est comme la petite de la dernière fois qui a vu son dos se faire lacérer, bah j’la surveille comme je peux. Pas tout le temps car le flux d’esclaves est en constant mouvement alors dès qu’on se croise j’essaie de lui lancer un petit sourire discret. Je dois passer pour un violeur ou un sadique qui attend sa proie et comprend parfaitement l’absence total de confiance envers moi dans ce milieu. Peut-être qu’à un moment, l’occasion viendra où je pourrai faire quelque chose de bien. C’est bizarre voir insensé qu’une telle idée puisse traverser l’esprit d’un homme dans cet environnement mais si on peut apporter ne serait-ce qu’une once de bonté ou de soulagement, je n’en serai que comblé. Trêve de rêveries et utopies, c’est à mon tour de faire la ronde des baraquements ce soir.

[…]

Faut dire ce qui est, on se croirait pas au même endroit entre le jour et la nuit. La mission est simple en nuitée, tu tournes dans les baraquements et tu vérifies si tout le monde est bien dans son pieu. Faut aussi regarder un peu partout au cas où quelqu’un aurait l’idée de se barrer ou de se planquer. Il y a peu, nous avons déplorés plusieurs cas de décès survenus en pleine nuit. Une petite heure avant que la cloche sonne, une ronde est encore effectuée dites de « sécurité » pour vérifier tout le terrain comme disent les formateurs. Et c’est à ce moment-là que des gens sont retrouvés en plein milieu du chantier complètement congelé. Pour le peu que tu sois trop faible et frigorifié et qu’en plus de ça tu te blesses, tes chances de survie frôlent le zéro. Si je dis ça c’est qu’en faisant les rondes nocturnes, je me rendais compte que des personnes manquaient à l’appel quand je repassai dans les mêmes baraques un jour et que j’y retournai une autre fois. Dans ce cas, tel un bon employé, les disparitions quasi soudaines sont signalées. Et quelle fut ma stupeur quand j’ai remarqué avec quel désinvolture et laxisme mon « recensement » était pris en compte. Toujours ces réponses à la con qui m’intiment l’envie de défoncer à coups d’batte l’heureux élu m’ayant sorti la bonne réponse, comme ce petit diablotin posé sur l’épaule qui te taraude, te tanne jusqu’à ce que tu cèdes. Non, faut quand même que je me contrôle. Mais c’est dur de refouler toutes ces idées noires au fur et à m’sure que je reste ici. Morts, des bagnards parmi tant d’autres, si ce n’est que ça, boarf’ c’est pas grave, c’est pas un d’tes proches qu’est mort. Rester autant évasif sur ce genre de questions dès qu’un problème survient me rend de plus en plus perplexe. Les regards en coin un peu noir commencent à se faire sentir, du coup je ferme bien ma gueule et parle quand on me le demande. Avec des camarades est venue l’absence totale de communication et les ragots s’arrêtent net dès que je pointe le museau. C’est pas pour autant que je reste pas aussi curieux, on me cache des choses j’ai l’impression et c’est pas très plaisant. T’es pas parano Law, tu vas quand même pas te mettre de telles idées en tête ?
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C’est qu’il fait très froid depuis hier dans les environs, les tombées de neige sont de plus en plus violentes et surviennent fréquemment. Les bagnards ont du mal à travailler mais pas l’choix, alors du nerf et fais pas chier. Je commence aussi à comprendre pourquoi certains gars plus anciens ont un comportement et des propos aussi imbuvable. Dans le fond ça pouvait aussi être des types bien à la base qui pensait bien faire comme moi et qui par la suite on vus le tableau et se sont pas résolus à se barrer d’ici. Ce qui est énervant c’est que leur mode de vie en société – disons ça comme ça – totalement infecte commence à déteindre sur ma personne, il n’y a pas que moi qui le remarque en plus. Les valeurs se gardent quoi qu’il arrive mais c’est la jauge de patience qui commence à se remplir plus rapidement qu’avant d’avoir ma gueule ici. Lorsque tu vois quelqu’un qui travaille pas assez vite ou prend une pause trop longue, tu te mets à bien hurler pour que ça s’imprègne dans sa tête. Il y aussi ceux qui ne comprennent pas qu’il vaut mieux arrêter de jouer le type intenable se dressant face à l’autorité établie. Et les moments qu’ils passent en ayant trop désobéi ou trop fait parler d’eux sont de véritables cauchemars. Après c’est pour lui, si il veut se faire latter à coups de matraque par des types plus gaulé que moi, c’est son problème. T’as l’air d’un méchant sur le coup, mais si celui en face de toi raisonne un minimum dans sa caboche, là il peut comprendre que ça reste dans le fond pour son bien. Enfin, bien c’est vite dit. En parlant de ça, on fait naturellement abstraction de toute cette misère face aux jours qui passent à baigner dedans. Ta manière d’être et de faire s’altère petit à petit en apportant des changements sur ta façon de voir les choses.


En ce moment c’est toujours la routine, on fait arriver les esclaves, on les conditionne et ainsi de suite. Et pour ce qui est de la confiance naissante dans le groupe, c’est de pire en pire. J’ai l’impression d’être quasiment mis de côté et ce Kazay ne me parle plus beaucoup, dès qu’une sale gueule l’appelle pour va savoir quoi, il se barre. Ce n’est pas grave, fais donc. Bon, il se fait tard et demain Alek sera absent sur le chantier comme il avait prévenu. Ce sera sa partenaire de mes deux qui sera là à nous cadrer, quelle plaie celle-là. Et bon dieu ce qu’elle est moche, ça m’en brulerai presque la rétine.

[…]

Aujourd’hui c’est encore un déchargement de navire. Tous en rang comme d’habitude à attendre que le bateau s’approche pour commencer à trier la foule et toutes ces formalités. Un rapide mot ce matin de la part de Natalia et c’est parti. Faut dire qu’elle n’a pas l’air dans son assiette sans son armoire de Barikdomachin, c’est plaisant à voir. L’opération continue, l’embarcation puant la mort est maintenant nettoyée de fond en comble sans aucune âme encore à l’intérieur étant passée entre les mailles du filet comme par enchantement. Les bagnards en rang, la Cheffe appelle deux habitués du métier pour qu’ils se placent à ses côtés. J’ai raison si ça se trouve, tellement pas à l’aise de gérer le truc tout seul que Madame a besoin d’écervelés pour l’épauler. Hum, c’est que la procédure habituelle n’est pas respectée. La voilà qui pointe du doigt les personnes passant en faisant des messes basses, ce qui fait systématiquement griffonner les deux sbires. Va savoir ce qu’il se dise, mais sois pas distrait sinon l’erreur va me tomber dessus. Surtout que le flot de bagnards fraichement déposé est important, mêle-toi de tes affaires. Bon, les choses avancent bien et, rapidement, tous les arrivants se voient attribuer leur numéro, baraquements…


Avec l’équipe actuelle, le travail tourne plutôt bien et les supérieurs n’ont pas trop à se mêler de ça. Ceux placés plus haut ne montrent que très rarement voir pas du tout leur tronche. Les chefs de chantiers se contentent souvent d’un « l'administratrice et le coordinateur en chef vous félicitent pour votre travail et votre dévouement à la tâche ». Salade, puis dans le fond tant que chacun touche sa croute et peut sortir de temps en temps tel un bon chien-chien, ça nous va. Du coup, Natalia et les deux autres se reculent un peu du lot pour continuer à discuter tranquillement. Alors que la masse se retire vers le lieu de travail, le trio reste un peu en retrait. Quelques regards discrets comme le frangin me l’a si bien appris à l’époque – compétence entretenue de ce fait – pour remarquer que les collègues ont arrêtés de gribouiller sur les papelards. Retour à la réalité en heurtant un camarade sans faire gaffe. De rapides excuses et la marche reprend.

Daisuke ?!
Oui Madame ?
Viens voir par là.
Que puis-je faire, Madame ?
Tu peux porter ça dans mon bureau, tu seras bien gentil.
Sans problèmes, tout de suite !

J’ai pas rêvé, c’est bien les papiers remplis par les autres gardes ? Et si je m’amusais à trouver une feinte pour lui prendre et y jeter un œil ? Moi aussi j’ai envie de mêler à leurs petites histoires vu comment on se fait chier. Gaffe à pas me faire prendre par contre, sinon ça risque de barder pour ma gueule.
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Se déverrouillant d'un coup sec, éclatant les engelures qui envahissent les gonds et font grincer le fer rouillé sous la pression, d'un geste vif et rapide du bras j'arrive enfin à ouvrir la porte du container, après plusieurs minutes passées à gratter le contour de l'ouverture bloquée par le froid. Instantanément saisie par la vague de chaleur surnaturelle accompagnée de remugles infects m'obligeant à me couvrir le nez, le pan de ferraille vient alors s'ouvrir sur une pièce sombre, similaire à celles que l'on retrouve dans les baraquements, mais sans les fenêtres qui vont avec. Mettant un pied devant l'autre, je m'aventure finalement dans le noir complet pour venir fouiller à tâtons mes poches et en retirer un objet long et cylindrique que je gratte spontanément sur le côté de ma botte... et enflamme devant moi, dévoilant un paysage macabre et désolé qui ne manque pas de me surprendre, m'occasionnant avec l'odeur une quinte de toux soudaine. Et aussi promptement qu'elle a fait surface, la satisfaction d'avoir enfin trouvé une preuve à conviction, une piste, un indice s'éteint soudainement comme l'allumette qui vient me brûler les doigts.

La longue semaine de travail en bordure du pont avait été particulièrement rude et abrutissante. Affublée de ma brouette remplie à ras-bord de parpaings, j'avais vaqué succinctement à diverses affaires et différents transports qui m'avaient intentionnellement amenée jusqu'aux quais. Obligée de feindre le travail forcé, j'avais néanmoins eu la maladresse d'être reprise plusieurs fois par mes contremaîtres qui n'avaient cessé de m'aiguiller vers un autre endroit où la présence de briques était nettement plus profitable à la construction, me contraignant à repousser systématiquement l'échéance jusqu'au crépuscule du sixième jour. Alors que le soleil commençait à rejoindre la surface de l'océan, j'avais donc réussi à tromper la vigilance des gardes et à pénétrer sans encombres dans le périmètre étrangement surveillé, abandonnant mes matériaux de construction pour me glisser entre deux blocs de ferrailles faisant deux fois ma taille, des "containers" dans lesquels étaient généralement stockées toutes sortes de choses, à savoir des chaînes, des boulets, des tenues de bagnards arrachées aux morts pour être refourguées telles quelles aux vivants... Bref, des gros blocs clos qui n'avaient strictement aucun intérêt à être gardés sous surveillance, chose qui m'avait délibérément confortée dans la véracité des renseignements que Viktor m'avait refourgué durant la nuit.

Arpentant donc le coin dans tous les sens, faisant bien gaffe à ne pas me retrouver nez à nez avec un geôlier, je m'étais dépêchée d'ouvrir et crocheter les portes des énormes récipients pour y jeter des coups d’œil curieux, avant de les refermer soigneusement derrière moi. Et c'était finalement après être arrivée près d'un énième bloc en tôle rouillé et cabossé, hasardeusement fixé non loin de la berge et pourtant incroyablement discret dans le paysage, que j'avais trouvé mon "bonheur". Et donc, tandis que le soleil continuait à s'enfoncer sous l'horizon, laissant mourir ses rayons faiblards sur les vagues dentelées qui parsemaient l'étendue aqueuse, je m'étais vue obligée de saisir ma boite d'allumettes - un objet qu'Hugo Viktor avait récupéré lors de l'un de ses échanges quotidien et m'avait confié au petit matin - et de gratter frénétiquement les extrémités des petits bâtonnets pour en faire sortir des étincelles nécessaires à l'incandescence des surfaces noirâtres aux sommets.

Fwoush !

Allumant une nouvelle brindille pour pouvoir me repérer dans l'obscurité et regarder plus attentivement les éléments du décors, c'est avec un chiffon sur le nez que je me recroqueville au niveau du sol pour analyser la matière infâme qui tapisse le fond du caisson : un mélange auburn et marron foncé de différents fluides corporels que je devine trop aisément malgré moi. S'étendant en flaques et marres compactes s'écrasant sous la semelle pour mieux s'étirer en filets collants et visqueux, les déjections dament le sol comme un véritable échiquier. Mais ce n'est pas autant ce détail qui me choque que les marques rouges et les traces de griffures qui parsèment les murs en acier de l'endroit, comme tout droit sorties d'un film d'horreur, entaillant des fois la tôle tellement profondément que les striures argentées se réverbèrent sous le frémissement de la flamme qui s'apprête à me manger les doigts. Enfin, grillant une dernière allumette, croyant avoir aperçu un détail retenant morbidement mon attention aussi bien que mon appréhension à continuer mon geste, je m'avance vers ce qui ressemble de loin à un vêtement sale, noyé dans la tourbe, tordu et plat. Mais au moment où le faisceau vient agoniser légèrement pour ensuite se targuer d'une flamme plus grande et plus lumineuse, dessinant des jeux d'ombres sur les plis sales des reliefs du tissus, je ne peux m'empêcher d'avoir un brusque hoquet de répugnance et, le cœur brutalement soulevé, de me sentir instantanément obligée de joindre au tapis de fange mon frêle déjeuner, bileux et à moitié digéré.

Délaissant spontanément derrière moi ma découverte macabre, une fois la bouche rapidement essuyée, je m'empresse alors de sortir pour prendre un bon bol d'air frais avant de cadenasser hâtivement le box à nouveau. Me précipitant maladroitement entre les containers pour rejoindre l'endroit où j'ai laissé ma brouette, mon esprit ne cesse d'être hanté par cette dernière vision qui s'est imprimée dans mon crâne, immuable, horrifique, me laissant sous le palais un goût amer et dans le nez une odeur de décomposition, sans pouvoir fuir ou oublier, sans pouvoir clore la paupière. Car irrémédiablement, dès le moment où je ferme l'oeil, je le vois, je le perçois : le visage, ce visage plié par la douleur, dans une dernière expression post-mortem, qui pourrait facilement me hanter jour et nuit...

...et qui avait un jour été celui d'une enfant.
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En toute vitesse, je sors du complexe de boites rectangulaires en acier qui garnissent les alentours de la berge pour directement saisir les poignées rouillées de ma brouette de parpaings. Dardant un regard rapide à ma droite puis à ma gauche, je me mords discrètement la lèvre en espérant que ma débandade a réussi à passer inaperçue dans l'obscurité étouffante de la nuit hivernale qui ne fait que se renforcer. Et c'est dans un soubresaut soudain qu'au moment où je complète ma vision panoramique, une main me saisit abruptement l'épaule, resserrant fortement ses gros doigts calleux sur ma clavicule. Surgissant dans mon champ de vision, un vieillard au regard placide et à la bouche édentée me sourit vulgairement. Traînant une chaîne avec un boulet au bout, je souffle finalement en dénotant qu'il ne s'agit que d'un bagnard, un semblable qui a dû se perdre et malencontreusement me trouver. D'un geste de la main, je saisis donc rapidement celle du bonhomme pour lui intimer de dégager sa poigne de mon épaule et me laisser tranquille. L'action ne se fait cependant pas sans rencontrer un soupçon de résistance, avant que le bras du drôle de type ne retombe mollement le long de son flanc et que celui-ci, toujours immobile, ne reste à me contempler étrangement... presque avidement. Un mauvais pressentiment commence alors à naître en moi, quelques secondes avant que le vieillard ne se décide à prendre la parole pour m'informer de ses intentions.

- J'tout vu m'jolie, qu'c'est quand qu'tu f'sais ta fouine sur l'quais, qu'c'est qu'tu cherchais bin que'qu'chose. Qu'c'pas très permis, tou'ça, t'sais. fait-il lentement, approchant à nouveau sa palme de mon avant-bras tout en me glissant un regard vicieux.

Glissant furtivement ma main dans ma brouette pour agripper une brique, adoptant derechef une position défensive, un rapide coup d’œil autour de moi en parallèle m'oblige néanmoins à me raviser. Soudainement apparu au détour d'un baraquement, un maître-chien effectuant sa ronde menace de venir fouiner dans le coin, ce n'est donc qu'une question de temps avant qu'il ne nous alpague. Contrainte à marchander avec le vieil homme, je n'ai malheureusement d'autre choix sinon de céder à ses avances.

- Qu'est-ce que tu me veux, le vioc ? Parle, vite.

Visiblement content de voir que la chance lui sourit autant, l'opportuniste étire en seule et unique réponse un sourire désabusé.

- Grouille, j'ai pas toute la nuit.

Lâchant un vil ricanement digne d'une hyène, le bonhomme pointe enfin du doigt la boite d'allumettes.

- Qu'c'est qu'j'veux ç-

- Tiens, accordé, maintenant laisse-moi m'en aller. l'interromps-je tout en lui tendant brusquement sa convoitise avant de saisir rapidement ma brouette pour me préparer à détaler dans la direction opposée du garde qui n'est plus très loin.

- ...et qu'j'veux voir ta p'tite culotte aussi.

- Hein ? Quoi ? Non, hors de qu- commencé-je, les joues soudainement empourprées par la demande lubrique du sale type.

- Qu'sinon j'hurle, toi d'voir.

Peinant quelques secondes à mettre ainsi ma dignité et ma fierté de côté, un coup d’œil rapide en direction du garde finit de me persuader de déboutonner mon pantalon pour donner au bagnard ce qu'il veut. Il ne faisait absolument aucun doute qu'une grande partie des esclaves étaient aussi crapuleux que ce type-là et j'aurais, à ce moment-là, volontiers laissé de côté ma mission s'il pouvait lui arriver une fin similaire à celle du cadavre que j'avais retrouvé dans l’entrepôt. Reboutonnant dans un frisson mon bas de bleu de travail, je me retourne pour enfin prendre la tangente avec ma brouette au moment où un aboiement vient soudainement me glacer le sang.

- Hé hé hé, trop tard.

Me garantissant un sourire malsain, l'homme laisse échapper un rictus qui me met instantanément les nerfs en pelote, tandis que le contremaître vient nous interpeler.

- Halte-là, qu'est-ce que vous faites par ici ? Les prisonniers ne sont pas autorisés dans ce secteur. Vos matricules et plus vite que ça.

M’ôtant subitement à ma pétrification après quelques secondes de latence, je n'ai alors d'autre alternative que de baratiner pour gagner du temps et arriver rapidement à trouver une explication viable. Mais alors que je m'emporte dans un flot de paroles relatant mon après-midi et les événements sur le chantier qui ont précipité ma venue, construisant lentement mon alibi tout en faisant naître un sentiment de frustration et d'impatience sur le visage du garde-chiourme, une voix sèche et nasillarde vient m'interrompre : celle du vieillard, le rictus toujours sur les lèvres mais le regard encore plus mauais. A ses premiers mots je saisis alors la gravité de la situation : lui filer le paquet d'allumettes et lui montrer mes sous-vêtements n'avaient en réalité servi à rien, car il n'a jamais désiré honorer sa part du marcher. Ainsi, recherchant les bonnes faveurs de la bidasse, le gusse vient s'exclamer :

- Oh, f'gurez-vous m'sieur l'agent qu'j'passais dans l'coin et qu'j'entendu du bruit ! J'vu la brouette alors j'cherché à qui l'appart'nait et qu'c'était cette fille. J'alors voulu rendre service je l'suiv-

Brusquement interrompu par un violent coup de parpaing sur la tempe, l'homme s'effondre spontanément dans la neige, en sang, assommé sinon mort sur le coup. Puis bientôt c'est à mon tour d'être mise à plat, écrasée sous le poids du limier qui s'est propulsé d'un bond sur moi tout en me mordant brutalement le bras, avant d'être rapidement rappelé à l'ordre par son maître s'empressant de me passer les menottes pour ensuite me faire me redresser.

- Eh bien, je ne suis pas certain de comprendre tout ce qu'il se passe, mais on dirait qu'on a trouvé un nouveau candidat pour les TIG de ce soir, félicitations ! conclue rapidement le contremaître, absolument pas troublé par le corps inerte du vieillard baignant dans son sang, heureux même il semblerait.

Me poussant brusquement dans le dos à multiples reprises pour me forcer à marcher dans la direction qu'il m'indique, l'homme se sert alors de son autre main pour saisir un escargophone qui le met vraisemblablement en liaison avec son supérieur.

- Oui, c'est Kavinsky. Une petite nouvelle pour ce soir, chopée près des quais. Yep, et puis un blessé à récupérer dans le coin et amener rapidement à l'infirmerie, salement amoché qu'il est. Ouep, bien reçu, à tout de suite.

Continuant à avancer en parallèle de l'appel qui finit par se résoudre par un silence pesant, je trainaille légèrement devant mon baraquement que nous finissons malgré tout par dépasser irrémédiablement. Et tandis que je me demande où cette petite escapade nocturne va me mener, la réponse vient alors d'elle-même à travers un dernier ordre du maître-chien qui n'est visiblement pas satisfait de mon allure.

- Allez, on se bouge, y'a du boulot qui t'attend... au Secteur 12 ! Héhéhé.
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Tout le monde est à son poste, c’est parfait. Cette fois-ci tout se passe bien et personne n’a le droit à la fouille pendant de longues minutes. Mine de rien c’est gênant la fouille au corps, autant pour le fouillé que le fouilleur. Même si il n’y a pas d’intimité dans cet endroit, ça reste très déconcertant. Après, on ne va pas jusqu’à déshabiller la personne. Vu la finesse des vêtements qu’elle porte, c’est clairement inutile. Toujours à jongler avec le martinet et à marcher d’un pas flemmard en faisant de grandes enjambées, je me remets à jouer le mec sérieux lorsque Natalia arrive et nous observe tous d’un œil sévère. Et vas-y que j’t’en collerai bien une, me regarde pas comme ça vieille morue. Ah enfin, tu vires tes yeux immondes braqués vers moi.

Maintenant, il va falloir que j’attende la pause. Dit comme ça, il doit encore rester deux voire trois heures avant de demander pour aller aux sanitaires. En général on y va deux par deux pour que ça aille plus vite. Mais si je veux choper ce papier et assumer pleinement mon rôle de fouineur, aller pisser en solo sera obligatoire pour bifurquer doucement vers le bureau des supérieurs. J’espère aussi que ce Daisuke n’a pas la clé car si c’est le cas, adieu la découverte qui pourrait éventuellement être fructueuse. Quoique, si les maitres ont vraiment quelque chose à cacher, ils n’iraient pas donner une clé à un simple larbin… Sauf si il est de mèche.

C’est que je commence à sérieusement m’ennuyer ce matin. Il ne se passe absolument rien, et j’ai beau chercher la gamine s’étant faite martyriser la dernière fois mais pas de traces. Si seulement je pouvais refaire rien qu’une tournée nocturne et m’assurer qu’elle va bien. Lui glisser de la crème pour soigner ses blessures, même un peu de nourriture. Quelle galère, le moral doit tenir sinon, je vais foncer droit dans le mur.

[…]

Enfin, j’ai la vessie pleine à craquer et quelques camarades commencent à se déplacer timidement vers les toilettes. Vivement mon tour, et j’espère aussi que les précieuses informations n’ont pas bougées. Natalya est restée dans mon champ de vision presque tout le temps, elle n’a pas forcément eu le temps de repasser au bureau ? Merde, un sentiment de doute commence à me grignoter. Surement que mon esprit veut empêcher à mon corps de faire ce qui semblerait être une belle connerie ? C’est certain que ce que je m’apprête à faire est clairement audacieux, et que les conséquences au cas où je me foire me foutent un peu la trouille. Enfin bon, c’est pas aller lire discrètement sur un morceau de papier qui m’est impossible. Juste que…faut y aller doucement, et prendre le temps. Ah bah, en parlant de ça, Georges revient.

J’peux y aller Nat’ ?
Ouais.
Merci, à tout d’suite !

On fait bien semblant de se dépêcher et on jette un coup d’œil par-dessus l’épaule à la vitesse de l’éclair pour s’assurer qu’on part se soulager tout seul. Oui, dit comme ça, ca peut paraitre un peu ambigu. La voie est libre, j’peux mettre la gomme.

Hop, une fois dans la cabane bien sale et mal isolée, je me poste à un urinoir au niveau d’un carreau pour avoir une vue d’ensemble vers le bureau. Quelques gardes passent mais aucun ne reste aux abords de l’office. Dans une grande inspiration, je me prépare à sortir d’ici pour me faufiler vite fait jusqu’à la piaule de Natalya. Il me reste peu de temps et le pas est très soutenu pour arriver à ma destination. C’est surement une mauvaise idée, je vais manquer de temps pour revenir à mon poste.

M’y voilà. Rasant doucement le mur, je me dirige vers l’arrière en pesant le moindre de mes pas. Toujours personne aux alentours, j’en profite pour jeter un œil à l’arrière de la bâtisse sans en tirer quoi que ce soit d’intéressant. On n’y voit que dalle à travers. Et si... je peux toujours tenter de voir si la porte est ouverte ? Pas de papiers à l’horizon, l’espoir s’envole et je m’enfonce de plus en plus dans ma conn- impossible… C’est fermé. Une dernière vérification contre les arêtes et - voyez-vous cela – un léger tranchant glaciale se fait ressentir au niveau de mon index. A ce moment, un coup de vent passe pile sous mon nez et fait tomber le précieux indice à mes pieds. Même pas le temps de le faucher dans la foulée, quelqu’un arrive juste derrière moi.

Hey Lawrence, qu’es ce que tu glandes par ici ?
Eh- S-Salut Kazay. Figures toi que je passai tranquillement ici quand…
Quand ? T’es censé être à ton poste, y m’semble.
Oui, oui absolument mais je suis en pause et un objet auquel je tiens est tombé dans toute cette poudrasse.
Ah. Et… t’as fait tomber quoi si c’est pas indiscret ?

Lawrence ?
Une bague. J’ai rencontré quelqu’un au-delà de cet endroit.
Bien, mes félicitations mec.
Merci, hinhin. Mais là, je dirais bien que c’est peine perdue et je dois y retourner !
Boarf, je vais jeter un coup d’œil. Si je la retrouve, je te fais signe.

Ce salopard m’a eu en traitre. Il a du me voir fouiner, j’en suis absolument certain. Je prie de tout cœur pour qu’il n’ait pas vu mon pied recouvrir l’indice crucial, qui pourrait faire taire mes angoisses. Au loin, le collègue m’observe d’un air neutre penchant vers le méchant. Il vérifie la porte, t’es grillé Law.

Une fois de retour à mon poste, une remontrance m’est automatiquement servie. Pas de problème, je conçois que j’ai trainé un peu avant de retourner au travail. ‘Toute façon, tout se passe bien aujourd’hui.

[…]

Ding ding ding !


La cloche signant la pause repas pour les bagnards retentie, les gardes du secteur s’attèlent donc à former des rangs pour éviter la cohue quand, en relevant la tête pour regarder vers le lointain, je suis littéralement harponné par le regard meurtrier de Natalya. Et juste à côté d’elle, le cher ami Kazay.

Lorsque tout le monde est servi, une partie des gardes vont dans la cantine pour se restaurer rapidement et se relayer avec l’autre équipe afin que tout le monde ait le ventre plein pour l’après-midi. L’ambiance est malsaine du fait que j’ai quelque chose à me reprocher. Dans ces cas-là, tu as l’impression que tu attires les regards tel un aimant sur pattes. Tambouille dans la gamelle, je pars m’isoler dans un coin. Ça ne change rien à d’habitude de toute manière, le reste des gardes formerait presque une sorte de clan. La gueule dans l’assiette, je ne me rends pas tout de suite compte que quelqu’un vient s’inviter à ma table. Eh bien, c’était rapide.

Ça va, tu fais bonne chair ?
Je ne me plains pas. Du nouveau sur cette bague, au fait ?
Héhé, sacré Lawrence. Tu ne perds pas l’nord décidemment, certains apprécient. Pour d’autres moins. Dit-il avant de me sourire d’un air que je jugerai presque bête.  
J’ai bien peur de ne pas saisir tes paroles, héhé.
Arrête ton cirque, te fou pas d’moi collègue.
Kazay je n-
Je vais être franc et direct. Ca date pas d’hier tes petits élans de fouineur. Va pas me faire croire que tu allais te balader près du bureau du chef. Une bague, bordel t’aurais pas pu trouver autre chose ? Maintenant j’suis là pour te proposer une offre qui devrait sur’ment mettre tout le monde d’accord.
Bon, si tu le dis. J’ai peut-être voulu mettre le nez dans ce qui ne me regarde probablement pas. Tu m’en vois navré. Et tu, enfin vous, voulez me proposer quelque chose ? Pourquoi pas, j’ai bien l’impression de ne pas avoir le choix.
Perspicace, mon gars. Si tu veux vraiment t’occuper de choses plus... « bénéfiques » pour le salaire, on a une première tâche pour toi. Tu sais, les quelques décès qui surviennent pendant la nuit ?
Oui, je vois bien de quoi tu parles.
Bien, il y a des moments où on ne peut pas forcément jeter leurs cadavres n’importe où. Ca fait qu’il y a un box non loin d’ici ou quelques corps attendent d’être balancés quoi. Un peu sale comme boulot, mais au moins tu mets le pied dans l’plat. On est un tous passé par cette étape, hinhin. Et puis… tu vas rester tranquille et obéir Laurent, pas vrai les gars ?

Ouais.

J’aurai du m’en douter depuis le début, ils sont tous de mèche et bossent dans des affaires qui ont pas l’air très net. Maintenant, me voilà limite forcé d’aller nettoyer un container à cadavres sous peine de quoi ? Me faire casser la gueule par une dizaine de gorille ? Et toi, jeune Kazay, profites bien du fait que tu sois en position de force. Si la roue tourne, prépares toi à manger avec une paille.

Bande de fils de putes.
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