Notre point commun le plus basique est que nous habitons tous cette planète, nous respirons tous le même air, nous chérissons tous l'avenir de nos enfants et nous sommes tous mortels.John Fitzgerald Kennedy.
La guerre des Lunes
West Blue
Sandisthan
Octobre 1626
Quatre mois avant le Jour-J
Juché sur son dromadaire, il avance difficilement tant les vents du Sandisthan sont rudes. Des heures ont passé depuis son départ du petit port côtier. Son objectif se trouve au delà de cette mer de dunes, dans un petit hameau niché au cœur d'une formation rocheuse. Dans ce petit coin perdu des Blues, le plus grand Marine briseur de chaines de sa génération coule une retraite tranquille et surement bien méritée.
- Oh merci ! Bon sang, je ne m'étais jamais rendu compte à quel point l'eau était délicieuse ! halète-t-il. Tiens Tommy, bois.
- Merci, oh putain, j'ai jamais eu aussi soif de ma vie !
- Ohoh, tout l'monde dit ça après avoir affronté la mer d'sable. Vous avez fait tout c'chemin pour m'voir ?
- Vous êtes une légende, Commodore Lin Colt.
- A la retraite. Ça fait longtemps qu'on m'a plus appelé comme ça, marmonne le vieil homme édenté. Très longtemps.
- Comme dit dans ma demande de rendez-vous, je suis Ébénézer Oort, reporter freelance et voici mon photographe, Tommy Mouton. Je fais un article sur les libérations d'esclaves sur les Blues. Avec les enlèvements en recrudescence sur North, c'est un sujet très vendeur mais moi je m'intéresse aux hommes et aux femmes de l'ombre qui ont lutté et continue de lutter contre cette abomination. Je veux écrire un article sur l'opération que vous avez mené en 1614 et qui a conduit à la libération de cinquante-trois enfants sur l'ile d'Abovhe.
- Abovhe...
- C'était vraiment sale hein ?
- J'ai vu des horreurs dans ma vie mais rien d'tel. Pour un enfant ou ado libéré, on a retrouvé les ossements d'trois autres. Tout l'ile était un charnier. Ce degré d'haine de l'autre...
- Je ne veux surtout pas vous brusquer ou vous rappeler ce cauchemar mais ce serait une bonne chose de vous avoir en première page, ne serait-ce que pour que la jeune génération ait conscience des affres de ce fléau.
- Mouais, j'doute que ça soit efficace. C'était juste un coup d'épée dans l'eau.
- Non, non, ne dites pas ça ! Non ! Je vous interdit de cracher sur votre travail ! Regardez ce jeune homme, vous le reconnaissez ?
- Hmmm... Non. Il était sur Abovhe ? Y avait beaucoup d'Long-bras... Les esclavagistes avaient beaucoup d'caches aussi, donc on s'est dispersé. Il avait quel âge ?
- Dix sept ans, je crois.
- Oh nan, j'ai pas dû l'voir. Dix-sept ans ? Sérieux ? Me souviens d'aucun qu'avait cet âge-là. Enfin, ils étaient tous rachitiques, plus d'os que d'chair mais quand même... Attendez, j'vais chercher la liste des libérés.
Oooouch !
- Non, ne vous forcez pas. Indiquez-moi.
- Ohoh ! La vieillesse, j'vous jure. Même pas foutu d'faire un mètre sans que c'maudit rhumatisme m'joue des tours. Là-bas, sur l'étagère d'droite. Attention à mes médocs. Oui, voilà, merci. Alors, il s'nomme ?
- Loth Reich.
- Ah oui, oui. Y a son nom ici. C'est écrit qu'on l'a confié aux Moines Servites de l'Île de Craie.
- Ouais, je vois. Donc, je disais, vous n'avez pas à sous-estimer votre apport. Loth Reich est aujourd'hui un fervent militant contre le crime. Agent du roi de Boréa, il a presque totalement démantelé Ashura, une organisation multinationale de contrebande de la poudre de pluie. C'est un héros célébré sur les Blues et un enquêteur criminel hors du commun. Les nouvelles ne vous atteignent pas, vous êtes loin de tout.
- C'est vrai ? Et ben tant mieux pour lui, hein.
- La seconde partie de mon reportage consistera à retrouver tous ceux que vous avez libéré sur Abovhe pour voir ce qu'ils sont devenus.
- Non. Ils d'venus ce qu'ils sont par leur travail ! J'refuse que vous écriviez une sorte d'ode à ma personne en m'attribuant leur devenir !
- Non, ce n'est pas mon intention commodore. Mais vous avez joué un rôle très important dans leur vie. Et dans celles qu'à leur tour, ils ont pourri.
- Quoi ? Pourri ?
- Oui. Prenons le cas de Loth Reich par exemple. C'est un héros, je l'ai dit. Mais ça signifie que dans son ascension, il a lésé des gens.
- Des criminels.
- Oui, justement. Donc, parce que vous n'avez pas su laisser ce misérable petit rat binoclard crever au fond de sa geôle, il a pourri la vie de gens qui roulaient bien leurs bosses avant qu'il ne rapplique. Vous me suivez ?
- Vous ! Vous n'êtes pas journaliste ! A L'AI.... Hmph ! ... Hmph !
- Désolé, nous ne pouvons pas vous laisser appeler à l'aide.
- C'est bon chef, il a son compte, dit Tmmy Mouton.
Terrible la vieillesse, dire que ce type a refusé plusieurs fois de devenir Vice-amiral en son temps. Terrible. C'est pour ça que je veux mourir jeune. On suit le plan ?
- Ouais, l'avantage de ce village c'est qu'il est très éloigné de toute civilisation et que ce désert regorge de bandits. J'ai la liste que je cherchais, donc, oui, que tes hommes ne laissent pas âme qui vive. Massacrez-les, jusqu'au dernier !
[...]
South Blue
Île de Craie
- Reichou ? Oh longtemps que l'ai pas vu lui. Mais l'est présent dans la presse. Et voulez encore l'y mettre ?
- Oh tant que ça vend vous savez. Nous autres journalistes n'en avons jamais assez et puis, nous vivons des périodes troubles. Les gens ont besoin de héros. Loth Reich en est un. D'esclave à héros, c'est une histoire comme on aime en conter à nos enfants.
- A ça, sûr. Mais pensais pas que Reichou deviendrait comme ça.
- Vous êtes l'un des premiers Servites à l'avoir recueilli après sa libération, Sœur Léonella.
- C'est ça. Normalement, Sœurs et Moines des Servites vivotent dans différents monastères mais en 614, avec cette affaire, on s'est mélangés pour sauver enfants. Ai pris soin de Reichou. Épouvantable. Aussi maigre que brindille, affamé comme si jamais mangé de sa vie, carence de vitamines. Écœurant. Mais à différence des autres, l'a repris goût immédiatement à vie. Première phrase, a demandé après bibliothèque.
- Une bibliothèque ?
- Ouais. A passé là-bas la moitié de sa vie. Toujours nez dans bouquin, toujours soif pour connaissance. Jamais présenté séquelles, l'on dirait qu'il revient juste de promenade.
- Ouah, fascinant, laissez-moi griffonner ça. Même après les pires sévices, il n'a montré aucun signe de dépression mentale, de troubles psychologiques ? Incroyable ! Comment expliquez-vous ça ?
- Mieux, lui ai demandé : "Reichou, pourquoi toi sorti de cette épreuve indemne alors que camarade à toi Hector est presque fou ?"
- Ah, Hector... Hector Luvnidkof, il fait partie des libérés. Et il est devenu fou ? Abominable mais normal, pardon, continuez.
- Ai enchainé : "Toujours nez dans livres, pourquoi ?" M'a répondu dans son phrasé : "Je poursuis un but chimérique et tant que je ne l'aurai pas tutoyé, je continuerai d'avancer et aucune ronce ne saurait m'en détourner". Ai pas compris la moitié des mots.
- Obscur en effet. Donc il a un but qui l'a mentalement protégé ? C'est difficile à croire. Quel est ce but ?
[...]
South Blue
Cimetière d’Épave
- Kof ! Inscrire son nom au firmament. Ça a toujours été ça son seul objectif, Kof ! Kof !
- C'est bon papa, t'es pas en état d'parler.
- Désolé de m'imposer. Mais ça fait partie de l'enquête que je mène. Je dois préciser que tout ceci doit rester absolument secret. Vous avez des contacts réguliers avec lui ?
- Nan, pas depuis qu'il a quitté South pour East. 1625. Donc votre enquête, c'de la routine ?
- Oui, je suis le Recteur de l'Université de Jalabert où a enseigné Reich pendant un mois. Filière Criminologie. Son cas est hors norme vu qu'il n'a pas fait d'études, étant autodidacte. Pour le confirmer à son poste, je me renseigne sur lui, sur son passé. Une religieuse de l'Île de Craie m'a indiqué qu'il avait passé son enfance ici, dans la communauté des Enfants de Tehlu. Et j'ai eu la chance de vous trouver. Son père adoptif et sa sœur adeptive.
- Donc vous fouinez ?
- Non, non ! Dieu ! Dans le monde universitaire, la règle est simple : il faut avoir un diplôme. Reich n'a rien de ça et pour bon nombre de ses collègues à Jalabert, c'est un parvenu alors qu'entre nous, il en sait beaucoup plus qu'ils ne le sauront jamais dans toute leur vie.
- Mon petit a une mémoire de fou, Kof ! Kof !
- Photographique. Bref, moi je l'ai accepté parce l'habit ne fait pas le moine !
- L'habit n'fait le Moine Hérétique, Kof !
- Haha, très juste mon bon monsieur. Je me renseigne sur lui pour leur exposer le parcours et le combat de tous les jours qu'a été la vie de Reich avant qu'il n'en arrive là, vous comprenez ? Si je cherchais des vers, je vous aurais parlé de sa tranche de vie avec le Gila, l'ex-chef de la pègre de Saint Uréa. Non, je veux montrer son côté positif, la force de la nature qu'il est, l'homme bon que nous chérissons et admirons tous.
- Kof ! Vous êtes un bon gars, Ébénézer.
- Je ne fais que ce qui est juste. D'ailleurs, je vous remettrai une invitation pour sa cérémonie de titularisation à l'université. Ça lui fera un choc mais en attendant, motus et bouche cousue ?
- Comptez sur nous.
- Sinon, parlons de son enfance avant l'esclavage. Vous ne connaissez pas ses parents ?
- Kof ! Non. J'ai trouvé un panier dérivant et il était d'dans avec un mot : "Il s'appelle Loth Reich".
- Et vous le lui avez donné, sans rechigner ?
- Un nom, c'est sacré ! Kof ! Le seul cadeau d'ses parents, qui l'diable sait pourquoi, l'ont abandonné ! Donc moi j'l'ai appelé comme ça, mais on sait pas plus sur eux.
- Et pour ce qui est de sa vie sentimentale. Il est apparu comme un homme froid et distant. Mais tout le monde est à la recherche d'une âme sœur. Vous devez en connaitre de belles histoires de côté là. Y-a-t-il une femme ou enfant quelque part que je pourrais inviter ?
[...]
East Blue
Logue Town
- Kyyaaaaaa ! J'arrive pas à y croire, non, j'peux pas ! Aniki veut me voir ? MOI ? Oh mon dieu, miséricorde, qu'est-ce que j'vais pouvoir me mettre ! ❤
- Pas tout à fait, c'est moi qui vous invite.
- Ça fait tellement longtemps que je l'ai pas vu ! Et pourtant j'ai essayé ! Oh mon dieu ! Kyaaaa ! ♥
- Vous semblez être une grande fan. De tous les infortunés libérés sur Abovhe, vous étiez la plus jeune et selon votre histoire, c'est grâce à Reich que vous avez survécu ?
- Oui mais on s'en fout de ça ! C'est quand cette cérémonie, quand j'pourrais le pouvoir ? Faudrait que j'fasse des emplettes et tout et tout ! Oh seigneur, j'peine à croire que ce jour arrive enfin ! ♥♥
- Moi aussi j'ai du mal à réaliser. Le jour où nous serons tous réunis sera... mortel.
[...]
East Blue
Sultanat de Pétales
- Là, je dois vous demander mais vous êtes sûr ?
- Ne pose pas de questions inutiles.
- Je veux juste dire qu'il n'a rien des paysans qu'on a capturé. C'est quand même Jerry Hargreaves ! Le chef de la branche faux-monnayage d'une des deux plus puissantes Triades d'East Blue !
- Et alors ?
- On va se mettre à dos des gens très dangereux et question discrétion, ça va peut donner l'alerte.
- C'est nous les gens dangereux. Et puis, pour un criminel de son envergure, ça n'étonnera personne qu'il ait été victime d'une mort violente. C'est notre lot à tous. J'ai payé très cher pour avoir vent de l'emplacement de ce restaurant où la Triade des Quatre Bambous détient sa plus une importante presse à billets. Au lieu de déblatérer des inepties, commence à positionner tes hommes, Tommy. Jerry sera là d'une heure à l'autre.
- C'est vous le patron !
[...]
South Blue
Une île mystérieuse...
La taverne est pleine, constituée d'une population hétéroclite dont beaucoup de Tatoués. C'est bien pire que les rumeurs ne le laissaient présager. Depuis le port, il n'a cessé d'en voir à chaque coin de rue. Lavoisier s'assoie au comptoir où le barman, un autre Tatoué prend sa commande avec révérence. Vraiment, étrange ce pays. Son cocktail "Long-island", il l’avale d'une traite et en réclame un autre puis un cigare.
- Nous avons du Roulé d'Uréa, du Coupé de Dressrosa et...
- Et de L'entrelacé ? Je ne fume que de l'entrelacé. Du Blissois, vous en avez ?
- Tsssss, siffle-le tatoué en grinçant des dents avec des grands gestes de la main comme pour lui dire de se taire.
En voilà une autre rumeur de confirmée se dit-il, pas bon de prononcer le nom de Bliss à haute voix dans ce pays. Toute marchandise provenant de là est banni. Mais vu la tête que tire le barman, ils en ont, c'est juste le ton pas du tout discret qui l'ennuie. Et d'ailleurs, certains clients qui jusque-là papotaient tranquillement se sont mis à le toiser. « Je cherche le patron, le Père Fouettard, » dit-il posément. Les yeux du barman s'écarquillent, les clients qui le regardaient détournent soudainement la tête et vaquent à leurs occupations. Sauf un seul. Le chauve au fond à droite qui se lève et vient s’asseoir sur le tabouret à côté de lui. Son couteau, il le plante dans le bois vernis, à un millimètre de l'auriculaire de Lavoisier qui ne bronche pas. Au contraire, il sirote tranquillement une nouvelle coulée de cocktail. Si ce dégarni savait seulement...
- T'es qui ?
- Ébénézer Oort plus connu sous le surnom de Lavoisier.
- Pourquoi tu cherches l'Père ?
- Pour beaucoup de raisons dont peu que tu comprendrais et aucune qui te concerne. Et éloigne-toi un peu quand tu me parles, tu vas finir par postillonner dans mon verre. Je n'ai pas envie de boire un concentré d'agents pathogènes.
- QUOI ?
- Je-dis-dégage, hache-t-il en sortant de l'intérieur de sa veste une carte qu'il fourre sous le nez de l'impertinent.
La vermine est interloquée, se met à suer puis à bafouiller. Pourquoi ne l'a-t-il pas sortie plus tôt ? Bégayant des excuses, le chauve le prie de le suivre au dernier étage du bar où des salons privés sont emménagés. Beaucoup de clients aux airs prospères y séjournent, entourés de filles. Tatouées ou non. Son guide l'introduit dans un salon huppé, lui propose le cigare qu'il espérait au bar puis file à la quatrième vitesse. Lavoisier prend ses aises, se sert dans le minibar et tire plusieurs bouffées. « Petototototoo ! Du Blissois, l'N°12 hein ? Alias, la torpille ! T'as toujours eu bon goût Lav'. Sauf pour choisir tes chiens-chiens ! » lance la voix tonitruante du Père Fouettard. Un morceau d'homme de deux mètres de haut tout en muscle.
- Je sais choisir mes subordonnés, rétorque-t-il, agacé par la remarque.
- Ah bon ? D'puis l'début d'l'année c'pas c'que j'entends hein. D'Boréa à Bliss, ton orga’ s'écroule. On t'dit fini. T'es fini, petototototo ! R'garde toi, abandonné des rares potes qui t'restent. Monsieur Baron Dance Powder en personne ! Juste un fantôme du passé, maintenant. Petotototo ! Si tu avais accepté l'deal que j't'ai proposé y a quoi, quinze piges, t'aurais pas été trahi, t'aurais eu l'contrôle absolu sur tes chiens-chiens.
- Mes hommes ne sont en rien en cause dans la chute d'Ashura, répond-il, très amer.
Au contraire, beaucoup se sont sacrifiés pour moi. Je n'ai pas besoin de tes méthodes et encore moins de l'esclavage pour en arriver là. C'est juste qu'Ashura a fait son temps. Aucune organisation n'est éternelle.
- Bizarre, t'as l'air d'bien prendre l'fait qu'ton empire c'soit écroulé. Tu t'es fait une raison ? Pettoto !
- Oh, il m'a fallu très longtemps pour réaliser et accepter l'évidence. Tout du long, j'ai eu à passer par de nombreuses phases.
- Et t'es dans quelle phase là ?
- La vengeance.
- Ah ouais. Du coup, t'es v'nu louer mes gars ? T'as encore d'l'oseille ?
- Non, toi tu ne seras qu'un intermédiaire dans cette histoire. Ce n'est pas à toi que je suis venu parler mais à tes amis.
- J'ai beaucoup d'potes.
- Ceux qui aiment tatouer deux "C" dos à dos sur leurs possessions. Le Conclave. Inutile de nier ou de demander comment, j'ai mes sources. Tu leur diras que je souhaite leur parler en tête à tête, tu leur diras aussi de préparer une mallette de trois cent millions de Berry. C'est le prix que coûtera mon aide.
- Hein ? D'quoi tu causes ? Ton aide dans quoi ? T'as quoi qui vaut trois cent briques ?
- Pas "quoi". Qui. Donne leur cette photo qui date de 1614 en plus de celle-là qui date d'une semaine seulement. Et prononce leur ce nom :
Loth Reich.
Sandisthan
Octobre 1626
Quatre mois avant le Jour-J
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Juché sur son dromadaire, il avance difficilement tant les vents du Sandisthan sont rudes. Des heures ont passé depuis son départ du petit port côtier. Son objectif se trouve au delà de cette mer de dunes, dans un petit hameau niché au cœur d'une formation rocheuse. Dans ce petit coin perdu des Blues, le plus grand Marine briseur de chaines de sa génération coule une retraite tranquille et surement bien méritée.
- Oh merci ! Bon sang, je ne m'étais jamais rendu compte à quel point l'eau était délicieuse ! halète-t-il. Tiens Tommy, bois.
- Merci, oh putain, j'ai jamais eu aussi soif de ma vie !
- Ohoh, tout l'monde dit ça après avoir affronté la mer d'sable. Vous avez fait tout c'chemin pour m'voir ?
- Vous êtes une légende, Commodore Lin Colt.
- A la retraite. Ça fait longtemps qu'on m'a plus appelé comme ça, marmonne le vieil homme édenté. Très longtemps.
- Comme dit dans ma demande de rendez-vous, je suis Ébénézer Oort, reporter freelance et voici mon photographe, Tommy Mouton. Je fais un article sur les libérations d'esclaves sur les Blues. Avec les enlèvements en recrudescence sur North, c'est un sujet très vendeur mais moi je m'intéresse aux hommes et aux femmes de l'ombre qui ont lutté et continue de lutter contre cette abomination. Je veux écrire un article sur l'opération que vous avez mené en 1614 et qui a conduit à la libération de cinquante-trois enfants sur l'ile d'Abovhe.
- Abovhe...
- C'était vraiment sale hein ?
- J'ai vu des horreurs dans ma vie mais rien d'tel. Pour un enfant ou ado libéré, on a retrouvé les ossements d'trois autres. Tout l'ile était un charnier. Ce degré d'haine de l'autre...
- Je ne veux surtout pas vous brusquer ou vous rappeler ce cauchemar mais ce serait une bonne chose de vous avoir en première page, ne serait-ce que pour que la jeune génération ait conscience des affres de ce fléau.
- Mouais, j'doute que ça soit efficace. C'était juste un coup d'épée dans l'eau.
- Non, non, ne dites pas ça ! Non ! Je vous interdit de cracher sur votre travail ! Regardez ce jeune homme, vous le reconnaissez ?
- Hmmm... Non. Il était sur Abovhe ? Y avait beaucoup d'Long-bras... Les esclavagistes avaient beaucoup d'caches aussi, donc on s'est dispersé. Il avait quel âge ?
- Dix sept ans, je crois.
- Oh nan, j'ai pas dû l'voir. Dix-sept ans ? Sérieux ? Me souviens d'aucun qu'avait cet âge-là. Enfin, ils étaient tous rachitiques, plus d'os que d'chair mais quand même... Attendez, j'vais chercher la liste des libérés.
Oooouch !
- Non, ne vous forcez pas. Indiquez-moi.
- Ohoh ! La vieillesse, j'vous jure. Même pas foutu d'faire un mètre sans que c'maudit rhumatisme m'joue des tours. Là-bas, sur l'étagère d'droite. Attention à mes médocs. Oui, voilà, merci. Alors, il s'nomme ?
- Loth Reich.
- Ah oui, oui. Y a son nom ici. C'est écrit qu'on l'a confié aux Moines Servites de l'Île de Craie.
- Ouais, je vois. Donc, je disais, vous n'avez pas à sous-estimer votre apport. Loth Reich est aujourd'hui un fervent militant contre le crime. Agent du roi de Boréa, il a presque totalement démantelé Ashura, une organisation multinationale de contrebande de la poudre de pluie. C'est un héros célébré sur les Blues et un enquêteur criminel hors du commun. Les nouvelles ne vous atteignent pas, vous êtes loin de tout.
- C'est vrai ? Et ben tant mieux pour lui, hein.
- La seconde partie de mon reportage consistera à retrouver tous ceux que vous avez libéré sur Abovhe pour voir ce qu'ils sont devenus.
- Non. Ils d'venus ce qu'ils sont par leur travail ! J'refuse que vous écriviez une sorte d'ode à ma personne en m'attribuant leur devenir !
- Non, ce n'est pas mon intention commodore. Mais vous avez joué un rôle très important dans leur vie. Et dans celles qu'à leur tour, ils ont pourri.
- Quoi ? Pourri ?
- Oui. Prenons le cas de Loth Reich par exemple. C'est un héros, je l'ai dit. Mais ça signifie que dans son ascension, il a lésé des gens.
- Des criminels.
- Oui, justement. Donc, parce que vous n'avez pas su laisser ce misérable petit rat binoclard crever au fond de sa geôle, il a pourri la vie de gens qui roulaient bien leurs bosses avant qu'il ne rapplique. Vous me suivez ?
- Vous ! Vous n'êtes pas journaliste ! A L'AI.... Hmph ! ... Hmph !
- Désolé, nous ne pouvons pas vous laisser appeler à l'aide.
- C'est bon chef, il a son compte, dit Tmmy Mouton.
Terrible la vieillesse, dire que ce type a refusé plusieurs fois de devenir Vice-amiral en son temps. Terrible. C'est pour ça que je veux mourir jeune. On suit le plan ?
- Ouais, l'avantage de ce village c'est qu'il est très éloigné de toute civilisation et que ce désert regorge de bandits. J'ai la liste que je cherchais, donc, oui, que tes hommes ne laissent pas âme qui vive. Massacrez-les, jusqu'au dernier !
[...]
Île de Craie
- Reichou ? Oh longtemps que l'ai pas vu lui. Mais l'est présent dans la presse. Et voulez encore l'y mettre ?
- Oh tant que ça vend vous savez. Nous autres journalistes n'en avons jamais assez et puis, nous vivons des périodes troubles. Les gens ont besoin de héros. Loth Reich en est un. D'esclave à héros, c'est une histoire comme on aime en conter à nos enfants.
- A ça, sûr. Mais pensais pas que Reichou deviendrait comme ça.
- Vous êtes l'un des premiers Servites à l'avoir recueilli après sa libération, Sœur Léonella.
- C'est ça. Normalement, Sœurs et Moines des Servites vivotent dans différents monastères mais en 614, avec cette affaire, on s'est mélangés pour sauver enfants. Ai pris soin de Reichou. Épouvantable. Aussi maigre que brindille, affamé comme si jamais mangé de sa vie, carence de vitamines. Écœurant. Mais à différence des autres, l'a repris goût immédiatement à vie. Première phrase, a demandé après bibliothèque.
- Une bibliothèque ?
- Ouais. A passé là-bas la moitié de sa vie. Toujours nez dans bouquin, toujours soif pour connaissance. Jamais présenté séquelles, l'on dirait qu'il revient juste de promenade.
- Ouah, fascinant, laissez-moi griffonner ça. Même après les pires sévices, il n'a montré aucun signe de dépression mentale, de troubles psychologiques ? Incroyable ! Comment expliquez-vous ça ?
- Mieux, lui ai demandé : "Reichou, pourquoi toi sorti de cette épreuve indemne alors que camarade à toi Hector est presque fou ?"
- Ah, Hector... Hector Luvnidkof, il fait partie des libérés. Et il est devenu fou ? Abominable mais normal, pardon, continuez.
- Ai enchainé : "Toujours nez dans livres, pourquoi ?" M'a répondu dans son phrasé : "Je poursuis un but chimérique et tant que je ne l'aurai pas tutoyé, je continuerai d'avancer et aucune ronce ne saurait m'en détourner". Ai pas compris la moitié des mots.
- Obscur en effet. Donc il a un but qui l'a mentalement protégé ? C'est difficile à croire. Quel est ce but ?
[...]
Cimetière d’Épave
- Kof ! Inscrire son nom au firmament. Ça a toujours été ça son seul objectif, Kof ! Kof !
- C'est bon papa, t'es pas en état d'parler.
- Désolé de m'imposer. Mais ça fait partie de l'enquête que je mène. Je dois préciser que tout ceci doit rester absolument secret. Vous avez des contacts réguliers avec lui ?
- Nan, pas depuis qu'il a quitté South pour East. 1625. Donc votre enquête, c'de la routine ?
- Oui, je suis le Recteur de l'Université de Jalabert où a enseigné Reich pendant un mois. Filière Criminologie. Son cas est hors norme vu qu'il n'a pas fait d'études, étant autodidacte. Pour le confirmer à son poste, je me renseigne sur lui, sur son passé. Une religieuse de l'Île de Craie m'a indiqué qu'il avait passé son enfance ici, dans la communauté des Enfants de Tehlu. Et j'ai eu la chance de vous trouver. Son père adoptif et sa sœur adeptive.
- Donc vous fouinez ?
- Non, non ! Dieu ! Dans le monde universitaire, la règle est simple : il faut avoir un diplôme. Reich n'a rien de ça et pour bon nombre de ses collègues à Jalabert, c'est un parvenu alors qu'entre nous, il en sait beaucoup plus qu'ils ne le sauront jamais dans toute leur vie.
- Mon petit a une mémoire de fou, Kof ! Kof !
- Photographique. Bref, moi je l'ai accepté parce l'habit ne fait pas le moine !
- L'habit n'fait le Moine Hérétique, Kof !
- Haha, très juste mon bon monsieur. Je me renseigne sur lui pour leur exposer le parcours et le combat de tous les jours qu'a été la vie de Reich avant qu'il n'en arrive là, vous comprenez ? Si je cherchais des vers, je vous aurais parlé de sa tranche de vie avec le Gila, l'ex-chef de la pègre de Saint Uréa. Non, je veux montrer son côté positif, la force de la nature qu'il est, l'homme bon que nous chérissons et admirons tous.
- Kof ! Vous êtes un bon gars, Ébénézer.
- Je ne fais que ce qui est juste. D'ailleurs, je vous remettrai une invitation pour sa cérémonie de titularisation à l'université. Ça lui fera un choc mais en attendant, motus et bouche cousue ?
- Comptez sur nous.
- Sinon, parlons de son enfance avant l'esclavage. Vous ne connaissez pas ses parents ?
- Kof ! Non. J'ai trouvé un panier dérivant et il était d'dans avec un mot : "Il s'appelle Loth Reich".
- Et vous le lui avez donné, sans rechigner ?
- Un nom, c'est sacré ! Kof ! Le seul cadeau d'ses parents, qui l'diable sait pourquoi, l'ont abandonné ! Donc moi j'l'ai appelé comme ça, mais on sait pas plus sur eux.
- Et pour ce qui est de sa vie sentimentale. Il est apparu comme un homme froid et distant. Mais tout le monde est à la recherche d'une âme sœur. Vous devez en connaitre de belles histoires de côté là. Y-a-t-il une femme ou enfant quelque part que je pourrais inviter ?
[...]
Logue Town
- Kyyaaaaaa ! J'arrive pas à y croire, non, j'peux pas ! Aniki veut me voir ? MOI ? Oh mon dieu, miséricorde, qu'est-ce que j'vais pouvoir me mettre ! ❤
- Pas tout à fait, c'est moi qui vous invite.
- Ça fait tellement longtemps que je l'ai pas vu ! Et pourtant j'ai essayé ! Oh mon dieu ! Kyaaaa ! ♥
- Vous semblez être une grande fan. De tous les infortunés libérés sur Abovhe, vous étiez la plus jeune et selon votre histoire, c'est grâce à Reich que vous avez survécu ?
- Oui mais on s'en fout de ça ! C'est quand cette cérémonie, quand j'pourrais le pouvoir ? Faudrait que j'fasse des emplettes et tout et tout ! Oh seigneur, j'peine à croire que ce jour arrive enfin ! ♥♥
- Moi aussi j'ai du mal à réaliser. Le jour où nous serons tous réunis sera... mortel.
[...]
Sultanat de Pétales
- Là, je dois vous demander mais vous êtes sûr ?
- Ne pose pas de questions inutiles.
- Je veux juste dire qu'il n'a rien des paysans qu'on a capturé. C'est quand même Jerry Hargreaves ! Le chef de la branche faux-monnayage d'une des deux plus puissantes Triades d'East Blue !
- Et alors ?
- On va se mettre à dos des gens très dangereux et question discrétion, ça va peut donner l'alerte.
- C'est nous les gens dangereux. Et puis, pour un criminel de son envergure, ça n'étonnera personne qu'il ait été victime d'une mort violente. C'est notre lot à tous. J'ai payé très cher pour avoir vent de l'emplacement de ce restaurant où la Triade des Quatre Bambous détient sa plus une importante presse à billets. Au lieu de déblatérer des inepties, commence à positionner tes hommes, Tommy. Jerry sera là d'une heure à l'autre.
- C'est vous le patron !
[...]
Une île mystérieuse...
La taverne est pleine, constituée d'une population hétéroclite dont beaucoup de Tatoués. C'est bien pire que les rumeurs ne le laissaient présager. Depuis le port, il n'a cessé d'en voir à chaque coin de rue. Lavoisier s'assoie au comptoir où le barman, un autre Tatoué prend sa commande avec révérence. Vraiment, étrange ce pays. Son cocktail "Long-island", il l’avale d'une traite et en réclame un autre puis un cigare.
- Nous avons du Roulé d'Uréa, du Coupé de Dressrosa et...
- Et de L'entrelacé ? Je ne fume que de l'entrelacé. Du Blissois, vous en avez ?
- Tsssss, siffle-le tatoué en grinçant des dents avec des grands gestes de la main comme pour lui dire de se taire.
En voilà une autre rumeur de confirmée se dit-il, pas bon de prononcer le nom de Bliss à haute voix dans ce pays. Toute marchandise provenant de là est banni. Mais vu la tête que tire le barman, ils en ont, c'est juste le ton pas du tout discret qui l'ennuie. Et d'ailleurs, certains clients qui jusque-là papotaient tranquillement se sont mis à le toiser. « Je cherche le patron, le Père Fouettard, » dit-il posément. Les yeux du barman s'écarquillent, les clients qui le regardaient détournent soudainement la tête et vaquent à leurs occupations. Sauf un seul. Le chauve au fond à droite qui se lève et vient s’asseoir sur le tabouret à côté de lui. Son couteau, il le plante dans le bois vernis, à un millimètre de l'auriculaire de Lavoisier qui ne bronche pas. Au contraire, il sirote tranquillement une nouvelle coulée de cocktail. Si ce dégarni savait seulement...
- T'es qui ?
- Ébénézer Oort plus connu sous le surnom de Lavoisier.
- Pourquoi tu cherches l'Père ?
- Pour beaucoup de raisons dont peu que tu comprendrais et aucune qui te concerne. Et éloigne-toi un peu quand tu me parles, tu vas finir par postillonner dans mon verre. Je n'ai pas envie de boire un concentré d'agents pathogènes.
- QUOI ?
- Je-dis-dégage, hache-t-il en sortant de l'intérieur de sa veste une carte qu'il fourre sous le nez de l'impertinent.
La vermine est interloquée, se met à suer puis à bafouiller. Pourquoi ne l'a-t-il pas sortie plus tôt ? Bégayant des excuses, le chauve le prie de le suivre au dernier étage du bar où des salons privés sont emménagés. Beaucoup de clients aux airs prospères y séjournent, entourés de filles. Tatouées ou non. Son guide l'introduit dans un salon huppé, lui propose le cigare qu'il espérait au bar puis file à la quatrième vitesse. Lavoisier prend ses aises, se sert dans le minibar et tire plusieurs bouffées. « Petototototoo ! Du Blissois, l'N°12 hein ? Alias, la torpille ! T'as toujours eu bon goût Lav'. Sauf pour choisir tes chiens-chiens ! » lance la voix tonitruante du Père Fouettard. Un morceau d'homme de deux mètres de haut tout en muscle.
- Je sais choisir mes subordonnés, rétorque-t-il, agacé par la remarque.
- Ah bon ? D'puis l'début d'l'année c'pas c'que j'entends hein. D'Boréa à Bliss, ton orga’ s'écroule. On t'dit fini. T'es fini, petototototo ! R'garde toi, abandonné des rares potes qui t'restent. Monsieur Baron Dance Powder en personne ! Juste un fantôme du passé, maintenant. Petotototo ! Si tu avais accepté l'deal que j't'ai proposé y a quoi, quinze piges, t'aurais pas été trahi, t'aurais eu l'contrôle absolu sur tes chiens-chiens.
- Mes hommes ne sont en rien en cause dans la chute d'Ashura, répond-il, très amer.
Au contraire, beaucoup se sont sacrifiés pour moi. Je n'ai pas besoin de tes méthodes et encore moins de l'esclavage pour en arriver là. C'est juste qu'Ashura a fait son temps. Aucune organisation n'est éternelle.
- Bizarre, t'as l'air d'bien prendre l'fait qu'ton empire c'soit écroulé. Tu t'es fait une raison ? Pettoto !
- Oh, il m'a fallu très longtemps pour réaliser et accepter l'évidence. Tout du long, j'ai eu à passer par de nombreuses phases.
- Et t'es dans quelle phase là ?
- La vengeance.
- Ah ouais. Du coup, t'es v'nu louer mes gars ? T'as encore d'l'oseille ?
- Non, toi tu ne seras qu'un intermédiaire dans cette histoire. Ce n'est pas à toi que je suis venu parler mais à tes amis.
- J'ai beaucoup d'potes.
- Ceux qui aiment tatouer deux "C" dos à dos sur leurs possessions. Le Conclave. Inutile de nier ou de demander comment, j'ai mes sources. Tu leur diras que je souhaite leur parler en tête à tête, tu leur diras aussi de préparer une mallette de trois cent millions de Berry. C'est le prix que coûtera mon aide.
- Hein ? D'quoi tu causes ? Ton aide dans quoi ? T'as quoi qui vaut trois cent briques ?
- Pas "quoi". Qui. Donne leur cette photo qui date de 1614 en plus de celle-là qui date d'une semaine seulement. Et prononce leur ce nom :
Loth Reich.
Bourgeoys, Boréa
Janvier 1627
La veille du Jour-J
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Son cœur bat à tout rompre. A parts égales l'habitent une frayeur et une fureur qu'il n'a jamais ressenties de sa vie. C'est fini, tout est fini pour lui. Pour eux. Que convient-il de faire ? Fuir, naturellement. Se venger, naturellement. Se venger cruellement, naturellement. Celui qu'on surnomme le "Le Cardinal" fait le tour de sa maison. Que faut-il emporter, que faut-il laisser ? Toute sa vie serait désormais chamboulée et même dans ses prévisions les plus folles, il n'a pas pensé que ça se passerait de cette manière. Rapidement, aussi rapidement que le lui permet son rhumatisme avancé et ses muscles ternis par l'âge, il fait ses valises, n'emportant que le strict nécessaire. Une colère noire dévore son âme et la corrompt. Chacun de ses gestes est désordonné, précipité. Il tremble, il rumine, il jure. Quiconque a déjà été surpris dans son sommeil par la guerre peut comprendre ce que ressent Cardinal en ce moment même. Tout son monde bascule vers un précipice.
Son unique valise est faite en un quart d'heure. Que choisir ? Comment résumer sa vie dans un sac quand on a le diable aux trousses ? Le diable, la justice, la Marine. Le vieil homme sort de sa demeure, celle qui a vu naitre son père et le père de celui-ci avant lui. Ce manoir où se succédèrent plusieurs générations de Von Bodmann. Dès demain, cet héritage reviendra sûrement à son frère et à sa famille. Quant à lui, il sera renié, honni. Et malheureusement, une partie de cet opprobre rejaillira forcément sur le reste des Von Bodmann. De Grand Maître d'Aurora, la religion d'état de Boréa, il passera à comploteur, à terroriste, à va-nu-pieds, à rien du tout. Il n'y a rien de pire que d'être le mouton noir d'une famille aussi prestigieuse. Ses yeux s'embuent de larmes. Tout ça, c'est de la faute d'Ébénézer Oort. Ce Lavoisier ! Dans quelques heures, à la levée du jour, tout Boréa saura que lui, Ottoh von Bodmann est la Lune Jaune et que le contremaître Phineas Holle de la mine des Boyettes est la Lune Rouge.
Parce qu'ils l'ont rejeté, Ébénézer Oort qui est lui-même la Lune Mauve, leur a déclaré la guerre en premier en révélant leurs identités et leurs méfaits appuyés de preuves au Boréa Herald, le quotidien national. Encore heureux, se dit Ottoh, que les liens qu'il tissa durant plus de trente ans de marionnettisme dans l'ombre à diriger ce royaume lui ont servi. Quelqu'un, un fidèle l'a informé de la parution à venir. Il fut un temps où d'un claquement de doigts, il aurait fait disparaitre cette nouvelle en faisant pression sur ses marionnettes dans les locaux du journal. Mais cette période faste là où le Conseil des Six Lunes avait tout pouvoir sur Boréa est malheureusement révolu, pense-t-il avec chagrin en s'engouffrant dans son carrosse attelé dirigé par le seul vrai fidèle qui lui restait encore. Le vaillant Ed.
- On va où, mon seigneur ?
- A Honeyfrise.
Lentement, les roues de la voiture grincent, les sabots ferrés du cheval battent le pavé. La locomotive s'ébranle doucement au cœur de la nuit alors que la majorité de Bourgeoys dort encore. Ottoh tire d'un coup sec le rideau pour se soustraire à la vue des bâtisses et des manoirs monumentaux de la très haute bourgeoisie de Boréa dont il sera dès le matin, un paria. Et pourtant, il a touché le sommet.
Oui, les Six Lunes de Boréa ont été puissantes. Plus que quiconque ne l’a jamais été dans ce royaume.
Aucun aspect de la vie de l'île ne leur échappa, ses compagnons et lui contrôlèrent tout. La Lune Rouge fit mains basses sur les mines et par ce biais les relations du royaume avec le Gouvernement. Ottoh lui-même, fut le grand manitou de la politique intérieure, faisant et défaisant les gens aux postes clés. De cette fonction de l'ombre, il ne gagna point de millions. Que sont les liasses face au pouvoir ? Le pouvoir défait les billets et les transforme en de simples papiers hygiéniques. L'argent ne permet pas de nommer le prochain directeur général de la Banque Royale de Boréa, ni le prochain secrétaire royal à la pèche. En ces temps-là, tous les postes administratifs du royaume reçurent son aval. Il contrôlait tout le monde.
En 1604, il nomma la jouvencelle et génie Aella Madoff à un poste de professeur à l'Académie de Jalabert faisant d'elle la plus jeune professeure de l'histoire du pays. Elle avait alors treize printemps. L'année suivante, il la recruta personnellement et elle devint la Lune Bleue. Cette même année, il la parachuta à la capitainerie de Lavallière. Ainsi, la Lune Bleue devint la régente de la plus grande activité lucrative de Boréa. Le port. Des milliards de Berry chaque année, une manne dont disposa gracieusement le Conseil pour financer telle ou telle activité. Bon sang, se dit-il qu'Aella était douée ! Son domaine, c'étaient les chiffres et jamais personne à Boréa n'aurait pu la mettre en défaut. Il n'y avait personne d'assez douée pour ça. Oui, toutes les Lunes étaient douées.
Mais à cette pensée, une virulente bouffée de haine se déverse davantage -si c'est encore possible-, dans ses veines. Toutes les Lunes... Même ce fils de putain d'Ébénézer Oort ! Maudit fût ce jour où il intégra leur rang ! pense le Cardinal avec regret. Dire que sa nomination au Conseil devait assurer leur mainmise sur le monde universitaire, ce qui leur échappait encore jusque-là. De toutes les Lunes, il fut la seule dont les talents pour la manipulation et la dissimulation n'étaient pas "innés". Il n'était pas doué pour ça, il avait fallu les lui inculquer. Et force fut de reconnaitre qu'il assimila merveilleusement bien ses leçons. Tellement qu'il réussit à leur insu à tous, à développer un florissant réseau de contrebande de Dance Powder. Ashura. Enfin, à leur insu à tous, pas vraiment puisque la Lune Bleue fut dans le coup avec lui. Grâce aux talents en structuration des organisations et en mathématiques d'Aella, Ashura fut vite propulsée sur la scène des Blues et jamais rien n'indiqua que l'organisation avait son siège à Boréa. Tout ça jusqu'à l'arrivée de ce binoclard. Loth Reich.
Ottoh souffle et laisse échapper une buée glaciale. Sortie de Bourgeoys, la voiture s'engage sur la Berry Way, la route commerciale qui s'enfonce au cœur de la steppe. Autrefois, pas plus tard qu'au début de cette année, elle était abondamment fréquentée par les caravanes partant du port et desservant l'intérieur du pays. Mais depuis la mise en service du Winterblade, la Berry Way a été désertée des trois quarts de ses usagers. Le Winterblade. Ce train est à lui seul le symbole de la déchéance du pouvoir des Lunes. Mais qu'est-ce qui a exactement affaibli leur mainmise sur Boréa ? Il médite la question silencieuse pendant plusieurs minutes. Devant ses yeux défilent les films des événements passés. Lui, Aella, Phineas, Ébénézer, ils furent la plus puissante génération de Lunes qu'eût connue le pays. De quelle manière leur pouvoir s'est-il affaissé ? Comment lui, le super puissant ministre de l'intérieur des ombres ne peut-il plus, d'un coup d'escargophone, censurer tel ou tel article de presse ?
La sénescence de leur emprise sur Boréa a plusieurs causes et l'une d'entre elle provient directement d'une trahison interne. Le Conseil des Six Lunes, depuis trois générations déjà ne comportait en fait que cinq Lunes. La Jaune, la Bleue, la Rouge, la Mauve et l'Argent. La place de la Lune Verte était occupée par un fantôme et il était de notoriété à l'interne que cette position revenait de droit aux héritiers du créateur du Conseil, il y a plus d'un siècle de cela. La Lune Verte était une fonction héréditaire et jamais aucune Lune des trois dernières générations n'avait vu de Lune Verte de ses yeux.
En fin 1622, se remémore Ottoh, le Conseil des Six Lunes perdit son chef. La règle était claire, la plus ancienne des Lunes dirigeait le Conseil. Et elle venait de mourir, Anne de Frimas, la Lune d'Argent. Un sourire satisfait marbre alors le visage déchu du Cardinal. Pour le royaume, Anne de Frimas, ex dame de compagnie de la mère de l'actuel roi était morte de vieillesse et de maladie. Seules deux personnes au monde savaient que sa fin avait été précipitée par un poison. Une contre-mesure qui intervint trop tard. La vieillesse avait fait délirer la vieille et elle s'en était allée tout étaler au jeune roi en quémandant son pardon. Que lui divulgua-t-elle exactement ? Ottoh n'en sut jamais rien. Mais elle en raconta assez pour que dans son impulsivité, Maximilian Nordin qui venait de monter sur le trône de Givre cherchât à les détruire et récupérer tous les rouages du royaume qui était désormais le sien.
Aurait-il dû commanditer l'empoisonnement du jeune roi en ce moment ? se demande-t-il. Bien sûr que non. Le pays sortait d'une révolution ouvrière. Mais il, Ottoh, pécha par suffisance. Maximilian était à peine majeur et n'avait aucune idée de leurs identités. Que pouvait-il faire ? Comment pouvait-il percer leur voile impénétrable ? Ottoh avait eu ses raisons de considérer dérisoire la menace du jeune roi. Après tout, ils avaient dirigé le royaume quand son propre père Dominique Nordin, et le père de ce dernier occupaient le trône.
Rétrospectivement, Ottoh accuse le coup. Il a eu tellement tort de penser ça et de ne pas prendre des mesures pour le contrecarrer quand il en était encore temps !
Maximilian se révéla un grand meneur d'hommes et doté d'une grande perspicacité. Il s'attaqua aux réformes économiques à grands coups de publicité, il signa plusieurs décrets avec le Gouvernement et ramena des cerveaux dans le royaume. Le chantier du Winterblade fut signé à Marijoa, loin de l'influence des Lunes. Et quand il revint dans le pays, Max' se fit accompagner de plusieurs Marines instructeurs qui s'attelèrent avec l'ex-157e Division à former une unité militaire mixte en vue de protéger le train : La Police de Fer. Mais le grand bouleversement pour le Conseil eut lieu en début 1626, quand sévit à Jalabert, le tueur en série connu sous le nom de Réplicateur. Loth Reich et d'autres détectives aidèrent à la capture du sanguin et à l'insu du Conseil, Maximilian dépêcha quelqu'un pour s'attacher les services de Loth Reich en lui confiant la mission de détruire les Lunes.
Rapide fut l’ascension du jeune Reich qui, indubitablement, disposait des qualités qui auraient fait de lui une excellente Lune. Il s'attaqua au réseau Ashura et petit à petit, remonta jusqu'à Lavoisier. Si seulement, se dit le Cardinal, si seulement il avait su qu'Ashura était l’œuvre d'Ébénézer Oort ! Que la Lune Mauve et Lavoisier étaient la même personne ! Et pourtant Phineas Holle, la Lune Rouge, les prévint de l'instabilité d’Oort. Mais en tant que doyen du Conseil, Ottoh préféra l'inaction. Un choix bien sot, avec du recul. Reich remonta à Oort, puis à Aella la Lune Bleue. Elle fut alors contrainte de jouer la carte de l'avatar, de la Gomme, c'est à dire, placer un "clone" plus vrai que nature à sa place. Une personne ayant ses compétences et ayant été initiée dans son secret. Une vraie fausse Lune Bleue. Et cette personne -en phase terminale- décéda deux jours après son arrestation. Ainsi, Aella avait tiré son épingle du jeu. Aux yeux du monde, la Lune Bleue a été capturée et est morte en détention. A partir de là, la guerre interne ne pouvait que commencer.
Et Oort attaqua le premier en révélant leurs identités. Sûrement se douta-t-il que Phineas et lui cherchaient à lui régler son compte. Ils le tenaient pour responsable de la débâcle de leur emprise sur le pays. En effet, grâce aux conseils de Reich, aidé d'un habile mécanisme de grâces et de promotions, le roi retourna contre eux leurs propres disciples dans les rouages des administrations. Ces derniers, des pontes pour la plupart, eurent vite fait de cracher les noms de leurs collaborateurs qui furent arrêtés et envoyés en prison. Certains, accusés notamment de trafic d'influence ayant engendré la mort (par exemple le génocide de Marie-Curie) furent fusillés publiquement. Après ça, les partisans du Conseil se firent plus rares que le printemps à Boréa. C'en était fini de leur influence.
Mais, pense le Cardinal avec soulagement, il leur demeure un dernier carré sur lequel le roi ne peux étendre son joug. La grande criminalité de Boréa. Ces bandits qui fourmillent désormais dans la steppe, appâtés par les richesses transportées par le train. Voyant la fin arriver, Ottoh chargea la Lune Bleue avant sa mort simulée, d'armer les principales tribus de bandits dans l'espoir de les utiliser comme rébellion armée et un contre-pouvoir au roi. Ottoh s'allonge sur la banquette de la voiture et entreprend de dormir un peu. Si Oort veut la guerre, il aura la guerre ! Quelque part dans la steppe, à Honeyfrise, l'attendent les Rouillés. Un clan de bandits fort de plus de cinq cents hommes armés par ses soins. La Lune Rouge l'y rejoindra et ensemble, ils marcheront sur Jalabert pour étriper Oort. La garnison de Marines sur place ne comptant qu'une pincée d'hommes sera vite massacrée. La clé étant d'agir et de déguerpir avant l'arrivée de la 444e basée à Lavallière. Un bateau les attendait d'ailleurs dans une baie quelque part sur la côte. Demain sera son dernier jour dans ce royaume qui le vit naître. Demain, il passera de l'ombre à la lumière et à jamais, Boréa maudira ce jour.
Promesse d'un marionnettiste.
Lavallière, Boréa
Jour-J
- Laisse-moi comprendre, dit Midnight Bee en agitant sa fourchette au bout de laquelle pend tristement un morceau de saucisse. Tu prétends que le super mystérieux Lavoisier, le boss d'Ashura primé à soixante millions de Berry serait en réalité Ébénézer Oort, le recteur et maire de la cité universitaire de Jalabert ?
- Je ne prétends rien ! Il l'est, répond Loth, les dents serrées. Prenez-vous la mesure de ce qui menace ce royaume ? Oort a les Autres sous sa coupe, il l'a déjà prouvé en envoyant une de leur escouade m'éliminer.
- Mouais, je sais. J'ai d'ailleurs sauvé tes fesses à l'occasion. Tu m'as jamais remercié pour ça.
- De l'autre côté, y a les Lunes Rouge et Jaune. Phineas Holle de la mine des Boyettes et le Grand Maître Ottoh von Bodmann alias "Le Cardinal" qui eux ont certainement armé quelques bandits des steppes. Ils vont en découdre, je vous dis. Il y aura une guerre entre Lunes et la ville universitaire de Jalabert en sera le théâtre. Nous devons agir au plus vite pour empêcher que ça dégénère en arrêtant les parties concernées.
- C'est étrange. D'où tires-tu ces précieuses et soudaines informations ? D'ailleurs tu as disparu de la circulation après la mort de la Lune Bleue, où étais-tu ?
- J'enquêtais sur la relation Conseil des Lunes-Ashura avant la mort du Colonel Earl Grey et votre affectation ici. Je ne vais pas vous révéler mes sources, pas plus que je ne suis tenu de vous informer de mon agenda. Avez-vous l'intention de vous bouger pour arrêter la boucherie qui se prépare ou vous aller rester là à vous repaître de votre petit déjeuner ?
Loth Reich. Cette énigme, pense Midnight en laissant tomber sa fourchette. L’insistance de celui qui est surnommé le Moine Hérétique depuis la mise en scène grandeur nature de sa mort vient de lui couper l’appétit. En contrepartie, il a aiguisé un autre type d’appétit, la curiosité ; surtout de savoir quel mauvais coup prépare encore ce binoclard. Depuis le début de tout ce bazar Ashura/Lunes, elle dut le menacer, le faire chanter même pour qu'il acceptât de la mêler à ses enquêtes, mais encore le fit-il avec une réticence pas du tout voilée. Malgré tout, les deux fois où ils travaillèrent ensemble, les résultats furent bien fructueux. Bee se rappelle avec délectation la mort de Samory Queen, agent du CP5 et taupe d'Ashura. Elle se remémore fort bien aussi les arrestations de Samir Castillo, d'Eleanor Grims et la récupération de quatre cent millions de Berry d'Ashura. Des enquêtes des plus juteuses.
Maintenant, Loth Reich vient directement solliciter son aide. Si l'ébauche de ce qu'il lui a exposé est vrai, alors il pourrait y avoir du sang versé, et à flot. Et puis, au-delà, y a-t-il vraiment besoin de réfléchir ? Arrêter les trois Lunes restantes est une raison plus que suffisante pour se décarcasser. Ces trois-là au cachot ou mort, l'emprise du Gouvernement sur le royaume ne saurait se faire que plus ferme. Alors que la Commandante d’Élite délaisse son déjeuner pour se consacrer à ce nouveau cas, un de ses subordonnés débarque au mess des officiers à bride abattue. Dans sa main, le Boréa Herald du jour. « Voilà ! Je n'aurai pas l'insolence de vous dire "je vous l'avais dit" ! » marmonne Loth en lisant le titre du journal qui affiche les visages de Phineas Holle et d'Ottoh von Bodmann. En sous-titres : "Les malfaisantes Lunes de Boréa : leurs visages, leurs méfaits."
- Hmmm, ils ne parlent pas de Lavoisier.
- Normal, c'est lui qui est à l'origine de cette révélation. Il faut se hâter !
Inutile qu'il insiste, dans la minute, Bee rassemble et dépêche une section de Marines vers l'intérieur des terres, à la mine des Boyettes pour appréhender Phineas Holle. Toutefois, l'espoir est bien maigre. De Lavallière aux Boyettes, il faut compter une demi-heure à cheval. La Lune Rouge a le temps de s'évanouir dans la nature. L'équation est plus ardue en ce qui concerne la capitale Bourgeoys où loge la Lune Jaune. Quatre heures à cheval pour la rallier. Aussi, contactent-t-il directement le Roi Maximilian pour le prier de dépêcher sa garde royale pour arrêter le comploteur. Mais le cas le plus épineux demeure celui de la cité universitaire. « Toujours rien ! » clame Bee, très agacée. « La garnison de Jalabert est aux abonnés absents, ce n'est pas normal ! »
- Là, nous sommes d'accord. Que voulez-vous faire ?
- Peu importe l'angle sous lequel on regarde la situation, l'action s'est déplacée vers le sud. Et...
Un autre sous-officier accourt hors d'haleine. C'est un technicien de la Brigade Scientifique dans un tel état d'affolement que Bee doit le gifler par deux fois pour qu'il reprenne contenance. Maître de lui, il les aiguille dans une salle dont elle aurait préféré taire l'existence et ne jamais la montrer à Loth. La "Situation Room" de la 444e, une vaste salle dotée d'une centaine d'escargophones-espions, intercepteurs, brouilleurs et d'autant de techniciens se relayant pour espionner non seulement les coups de fils provenant et sortant de Boréa mais aussi d'une grande majorité de North Blue. « Oh ! Ça c'est de la salle d'écoute ! » dit le binoclard avec un air rusé qui déplait fortement à Bee. « Comme je le disais plus tôt, nous ne révélons pas nos sources les plus secrètes, n'est-ce pas ? »
- Ingénieur-en-chef Darius ? Que se passe-t-il ? tonne-t-elle en ignorant Loth. Dans la salle, il y a une frénésie palpable, les escargophones braillent, pleurent, relaient des messages de paniques. On aurait dit un marché au poisson en pleine surenchère.
- C'est de la folie, madame ! Excusez mon langage ! Nos relayeurs longues-distances nous transmettent des coups de fils en provenance de Jalabert. Des centaines simultanément, comme si toute la ville s'était mise à appeler. Il se passe quelque chose là-bas !
- Je ne suis pas parvenue à joindre notre garnison là-bas, précise l'Abeille de Minuit dont le rythme cardiaque commence à s'affoler.
- Nous non plus ! Mais on vient de capter ça, Commandante. Écoutez, s'il vous plait.
Une voix paniquée et saccadée par les grésillements de l'enregistrement émerge de l'escargophone noir espion. En arrière-plan, on discerne aisément des rafales de feu et les cris des gens effrayés.
- Ça c'était une grosse bombe... susurre Loth.
- On l'a reçu y a cinq minutes, expose Darius. Juste le temps de l'traiter, d'éliminer les parasites et d'envoyer quelqu'un vous chercher, Commandante. On a intercepté d'autres messages de civils à leurs familles et c'est dans l'même ton, madame. Jalabert est en proie à une attaque en règle.
- Il n'est que six heures du matin, ça a dû les surprendre au saut du lit.
- Darius, je veux une Situation Room mobile prête à partir pour Jalabert dans la minute et je vous veux du voyage.
Le Dard de Minuit se retourne et s'en va, le visage impassible. Le royaume dont la sécurité lui incombe est attaqué et ses hommes à Jalabert -une cinquantaine- sont submergés par un ennemi inconnu. Elle rejoint son bureau, Loth Reich sur ses talons. Il fait montre d'un silence observateur dont lui sait gré l'Abeille. L'escargophone braille et au bout du fil, le roi leur annonce que sans surprise, la garde royale a fait chou blanc. La Lune Jaune n'était plus dans son manoir aux premières lueurs de l'aube. Preuve qu'il n'est pas encore au courant des évènements se déroulant à Jalabert, Maximilian ne souffle mot à ce propos. L'état-major de la Commandante débarque dans le bureau et Loth, toujours observateur, se terre dans un angle de mur. Il s'agit d'un Lieutenant-colonel de la régulière du nom de Thomas Nerbosc et des Harpies. Trois femmes qui constituent la garde rapprochée de l'Abeille : Carotte, Illusion et Time. Loth qui eut l'occasion de travailler avec elles durant la mise en scène de sa mort les salut d'un geste du chef.
- Mais que se passe-t-il, Bee ? demande Illusion, la doctoresse du groupe, la plus féminine aussi.
- Jalabert est peut-être le théâtre d'une guerre fratricide mais je ne laisserai pas cela se produire !
- Sauf votre respect, c'est déjà en train de se produire. Que savons-nous et comment réagissons-nous ? dit sèchement Time, les yeux fixés sur sa montre-gousset. Des trois Harpies, c'est la préférée de Loth avec ses airs d'automate et son obsession du temps.
Il est six heures, dix minutes, trente-une seconde.
- Ouais, pas besoin des secondes. Bref, Lt-Col Nerbosc, vous sonnez le branle-bas de combat. Nous partirons avec les sections 1 à 10.
- Ce qui fait deux milles hommes, madame, intervient le Lt-Cl. C'est énorme et la logistique pour déplacer une telle masse à l'intérieur des terres.
- L'organisation, c'est mon rayon, Colonel. La Réaction Rapide dispose déjà de deux cents chevaux sellés et je peux nous en dénicher six cents de plus dans un quart d'heure et cinquante secondes. Le reste dans trente minutes, quarante-quatre secondes, dix-huit centièmes.
- Parfait Time. Vas-y. Nerbosc, vous prenez le Narval, c'est le cuirassé le plus rapide de notre flotte suivi des croiseurs Barracuda et Espadon. Vous vous rendrez dans la baie des Gloutons en amont de Jalabert. Nous ignorons si ceux qui attaquent la ville viennent d'ailleurs ou de l'intérieur mais je veux leur couper la retraite pas le sud et par le sud-est. Toutes les embarcations que vous trouverez dans cette zone, vous avez ordre de les détruire après une seule sommation. Placez également deux croiseurs sur la côte nord-est, au large de Bocande. Et pour finir, je veux tous les patrouilleurs de sortie dans le port ainsi que les cuirassés Kraken et Scylla au large de Lavallière. S'ils veulent nous attirer à l'intérieur du pays pour attaquer ici, ils seront bien accueillis. Nous passons en sécurité maximale. Rompez.
- A vos ordres !
- Et nous ? demande Carotte de sa voix profonde de ténor. Bodybuildée, ce bout de femme est un colosse.
- Illusion, Time et toi, vous venez avec moi à Jalabert.
- Là maintenant ? Avec les deux cents chevaux de la Réaction Rapide ? On n’attend pas le reste ? s'enquiert Illusion.
- Ton avis, Loth ?
- Depuis quand vous demandez mon avis ?
- Depuis tout de suite alors ne te fait surtout pas prier.
- Je pense que vous devriez attendre que Time nous procure six cent chevaux supplémentaires dans un quart d'heure et je ne sais combien de secondes. Jalabert est à une heure de galop et nous ne pouvons pas prendre le train qui est au fin fond pays. Se précipiter nous serait préjudiciable dans cette affaire, nous ignorons qui attaque réellement ainsi que la puissance et le nombre des forces en présence. En plus, ils brouillent les communications. Y aller avec huit cent hommes en première intention en sachant que mille deux cents autres nous talonnerons de près est le meilleur choix à mon avis. Rien ne sert de courir, partons à point.
"Faisons bien les choses", aurait dit l'ex Vice-amiral Swiffer Jones, pense amèrement Bee. En ce moment même, des gens sont blessés et se meurent à Jalabert et il faut attendre. La patience est une de ses vertus, heureusement d'ailleurs. C'est pour ça que le vice-amiral son maitre et formateur l'a orientée vers le renseignement militaire et qu'elle a passé le plus clair de sa vie en infiltration avec le Cipher Pol dont elle aurait dû faire partie. Attendre. Toujours attendre le bon moment avant d'agir. Les Lunes de Boréa qui osent transformer le royaume des glaces en un champ de bataille ne perdent elles aussi rien pour attendre.
Jour-J
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- Laisse-moi comprendre, dit Midnight Bee en agitant sa fourchette au bout de laquelle pend tristement un morceau de saucisse. Tu prétends que le super mystérieux Lavoisier, le boss d'Ashura primé à soixante millions de Berry serait en réalité Ébénézer Oort, le recteur et maire de la cité universitaire de Jalabert ?
- Je ne prétends rien ! Il l'est, répond Loth, les dents serrées. Prenez-vous la mesure de ce qui menace ce royaume ? Oort a les Autres sous sa coupe, il l'a déjà prouvé en envoyant une de leur escouade m'éliminer.
- Mouais, je sais. J'ai d'ailleurs sauvé tes fesses à l'occasion. Tu m'as jamais remercié pour ça.
- De l'autre côté, y a les Lunes Rouge et Jaune. Phineas Holle de la mine des Boyettes et le Grand Maître Ottoh von Bodmann alias "Le Cardinal" qui eux ont certainement armé quelques bandits des steppes. Ils vont en découdre, je vous dis. Il y aura une guerre entre Lunes et la ville universitaire de Jalabert en sera le théâtre. Nous devons agir au plus vite pour empêcher que ça dégénère en arrêtant les parties concernées.
- C'est étrange. D'où tires-tu ces précieuses et soudaines informations ? D'ailleurs tu as disparu de la circulation après la mort de la Lune Bleue, où étais-tu ?
- J'enquêtais sur la relation Conseil des Lunes-Ashura avant la mort du Colonel Earl Grey et votre affectation ici. Je ne vais pas vous révéler mes sources, pas plus que je ne suis tenu de vous informer de mon agenda. Avez-vous l'intention de vous bouger pour arrêter la boucherie qui se prépare ou vous aller rester là à vous repaître de votre petit déjeuner ?
Loth Reich. Cette énigme, pense Midnight en laissant tomber sa fourchette. L’insistance de celui qui est surnommé le Moine Hérétique depuis la mise en scène grandeur nature de sa mort vient de lui couper l’appétit. En contrepartie, il a aiguisé un autre type d’appétit, la curiosité ; surtout de savoir quel mauvais coup prépare encore ce binoclard. Depuis le début de tout ce bazar Ashura/Lunes, elle dut le menacer, le faire chanter même pour qu'il acceptât de la mêler à ses enquêtes, mais encore le fit-il avec une réticence pas du tout voilée. Malgré tout, les deux fois où ils travaillèrent ensemble, les résultats furent bien fructueux. Bee se rappelle avec délectation la mort de Samory Queen, agent du CP5 et taupe d'Ashura. Elle se remémore fort bien aussi les arrestations de Samir Castillo, d'Eleanor Grims et la récupération de quatre cent millions de Berry d'Ashura. Des enquêtes des plus juteuses.
Maintenant, Loth Reich vient directement solliciter son aide. Si l'ébauche de ce qu'il lui a exposé est vrai, alors il pourrait y avoir du sang versé, et à flot. Et puis, au-delà, y a-t-il vraiment besoin de réfléchir ? Arrêter les trois Lunes restantes est une raison plus que suffisante pour se décarcasser. Ces trois-là au cachot ou mort, l'emprise du Gouvernement sur le royaume ne saurait se faire que plus ferme. Alors que la Commandante d’Élite délaisse son déjeuner pour se consacrer à ce nouveau cas, un de ses subordonnés débarque au mess des officiers à bride abattue. Dans sa main, le Boréa Herald du jour. « Voilà ! Je n'aurai pas l'insolence de vous dire "je vous l'avais dit" ! » marmonne Loth en lisant le titre du journal qui affiche les visages de Phineas Holle et d'Ottoh von Bodmann. En sous-titres : "Les malfaisantes Lunes de Boréa : leurs visages, leurs méfaits."
- Hmmm, ils ne parlent pas de Lavoisier.
- Normal, c'est lui qui est à l'origine de cette révélation. Il faut se hâter !
Inutile qu'il insiste, dans la minute, Bee rassemble et dépêche une section de Marines vers l'intérieur des terres, à la mine des Boyettes pour appréhender Phineas Holle. Toutefois, l'espoir est bien maigre. De Lavallière aux Boyettes, il faut compter une demi-heure à cheval. La Lune Rouge a le temps de s'évanouir dans la nature. L'équation est plus ardue en ce qui concerne la capitale Bourgeoys où loge la Lune Jaune. Quatre heures à cheval pour la rallier. Aussi, contactent-t-il directement le Roi Maximilian pour le prier de dépêcher sa garde royale pour arrêter le comploteur. Mais le cas le plus épineux demeure celui de la cité universitaire. « Toujours rien ! » clame Bee, très agacée. « La garnison de Jalabert est aux abonnés absents, ce n'est pas normal ! »
- Là, nous sommes d'accord. Que voulez-vous faire ?
- Peu importe l'angle sous lequel on regarde la situation, l'action s'est déplacée vers le sud. Et...
Un autre sous-officier accourt hors d'haleine. C'est un technicien de la Brigade Scientifique dans un tel état d'affolement que Bee doit le gifler par deux fois pour qu'il reprenne contenance. Maître de lui, il les aiguille dans une salle dont elle aurait préféré taire l'existence et ne jamais la montrer à Loth. La "Situation Room" de la 444e, une vaste salle dotée d'une centaine d'escargophones-espions, intercepteurs, brouilleurs et d'autant de techniciens se relayant pour espionner non seulement les coups de fils provenant et sortant de Boréa mais aussi d'une grande majorité de North Blue. « Oh ! Ça c'est de la salle d'écoute ! » dit le binoclard avec un air rusé qui déplait fortement à Bee. « Comme je le disais plus tôt, nous ne révélons pas nos sources les plus secrètes, n'est-ce pas ? »
- Ingénieur-en-chef Darius ? Que se passe-t-il ? tonne-t-elle en ignorant Loth. Dans la salle, il y a une frénésie palpable, les escargophones braillent, pleurent, relaient des messages de paniques. On aurait dit un marché au poisson en pleine surenchère.
- C'est de la folie, madame ! Excusez mon langage ! Nos relayeurs longues-distances nous transmettent des coups de fils en provenance de Jalabert. Des centaines simultanément, comme si toute la ville s'était mise à appeler. Il se passe quelque chose là-bas !
- Je ne suis pas parvenue à joindre notre garnison là-bas, précise l'Abeille de Minuit dont le rythme cardiaque commence à s'affoler.
- Nous non plus ! Mais on vient de capter ça, Commandante. Écoutez, s'il vous plait.
Une voix paniquée et saccadée par les grésillements de l'enregistrement émerge de l'escargophone noir espion. En arrière-plan, on discerne aisément des rafales de feu et les cris des gens effrayés.
- ZzzzzzzZZZZz ! Allô ? Putain, mais j'arrive pas joindre Lavallière, Lieutenant !
- ZzzzzZZ ! Continue bordel ! Zzzzz !
- ZzzzzZZ ! Allô ? Lavallière ? ZZzz ! Vous me recevez ? zzzZZZ ! Marine matricule Zn058267MRJ. ZZzzzzzzzz ! On nous ZZZZZzzz ! attaque, je répète, ZZZZZzzz ! Jalabert est attaquée ! ZZZZZZzzz ! On Zzzz ! est ZZZZZZzzzzz ! dépassé ZZZZ ! besoin de renfort immédiatement ! ZzzzzzZ ! Mais qui nous canarde bordel ? ZzzzzzZZZZZZZZ !
- ZZZZzz ! A TERRE ! Zzzzzzz !
BOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOM !
ZzzzzZZZZZZZzzzzzzzzzzzZZZZZZZZZZZZZZZZzzzzzzzzzzzzz !
- Ça c'était une grosse bombe... susurre Loth.
- On l'a reçu y a cinq minutes, expose Darius. Juste le temps de l'traiter, d'éliminer les parasites et d'envoyer quelqu'un vous chercher, Commandante. On a intercepté d'autres messages de civils à leurs familles et c'est dans l'même ton, madame. Jalabert est en proie à une attaque en règle.
- Il n'est que six heures du matin, ça a dû les surprendre au saut du lit.
- Darius, je veux une Situation Room mobile prête à partir pour Jalabert dans la minute et je vous veux du voyage.
Le Dard de Minuit se retourne et s'en va, le visage impassible. Le royaume dont la sécurité lui incombe est attaqué et ses hommes à Jalabert -une cinquantaine- sont submergés par un ennemi inconnu. Elle rejoint son bureau, Loth Reich sur ses talons. Il fait montre d'un silence observateur dont lui sait gré l'Abeille. L'escargophone braille et au bout du fil, le roi leur annonce que sans surprise, la garde royale a fait chou blanc. La Lune Jaune n'était plus dans son manoir aux premières lueurs de l'aube. Preuve qu'il n'est pas encore au courant des évènements se déroulant à Jalabert, Maximilian ne souffle mot à ce propos. L'état-major de la Commandante débarque dans le bureau et Loth, toujours observateur, se terre dans un angle de mur. Il s'agit d'un Lieutenant-colonel de la régulière du nom de Thomas Nerbosc et des Harpies. Trois femmes qui constituent la garde rapprochée de l'Abeille : Carotte, Illusion et Time. Loth qui eut l'occasion de travailler avec elles durant la mise en scène de sa mort les salut d'un geste du chef.
- Mais que se passe-t-il, Bee ? demande Illusion, la doctoresse du groupe, la plus féminine aussi.
- Jalabert est peut-être le théâtre d'une guerre fratricide mais je ne laisserai pas cela se produire !
- Sauf votre respect, c'est déjà en train de se produire. Que savons-nous et comment réagissons-nous ? dit sèchement Time, les yeux fixés sur sa montre-gousset. Des trois Harpies, c'est la préférée de Loth avec ses airs d'automate et son obsession du temps.
Il est six heures, dix minutes, trente-une seconde.
- Ouais, pas besoin des secondes. Bref, Lt-Col Nerbosc, vous sonnez le branle-bas de combat. Nous partirons avec les sections 1 à 10.
- Ce qui fait deux milles hommes, madame, intervient le Lt-Cl. C'est énorme et la logistique pour déplacer une telle masse à l'intérieur des terres.
- L'organisation, c'est mon rayon, Colonel. La Réaction Rapide dispose déjà de deux cents chevaux sellés et je peux nous en dénicher six cents de plus dans un quart d'heure et cinquante secondes. Le reste dans trente minutes, quarante-quatre secondes, dix-huit centièmes.
- Parfait Time. Vas-y. Nerbosc, vous prenez le Narval, c'est le cuirassé le plus rapide de notre flotte suivi des croiseurs Barracuda et Espadon. Vous vous rendrez dans la baie des Gloutons en amont de Jalabert. Nous ignorons si ceux qui attaquent la ville viennent d'ailleurs ou de l'intérieur mais je veux leur couper la retraite pas le sud et par le sud-est. Toutes les embarcations que vous trouverez dans cette zone, vous avez ordre de les détruire après une seule sommation. Placez également deux croiseurs sur la côte nord-est, au large de Bocande. Et pour finir, je veux tous les patrouilleurs de sortie dans le port ainsi que les cuirassés Kraken et Scylla au large de Lavallière. S'ils veulent nous attirer à l'intérieur du pays pour attaquer ici, ils seront bien accueillis. Nous passons en sécurité maximale. Rompez.
- A vos ordres !
- Et nous ? demande Carotte de sa voix profonde de ténor. Bodybuildée, ce bout de femme est un colosse.
- Illusion, Time et toi, vous venez avec moi à Jalabert.
- Là maintenant ? Avec les deux cents chevaux de la Réaction Rapide ? On n’attend pas le reste ? s'enquiert Illusion.
- Ton avis, Loth ?
- Depuis quand vous demandez mon avis ?
- Depuis tout de suite alors ne te fait surtout pas prier.
- Je pense que vous devriez attendre que Time nous procure six cent chevaux supplémentaires dans un quart d'heure et je ne sais combien de secondes. Jalabert est à une heure de galop et nous ne pouvons pas prendre le train qui est au fin fond pays. Se précipiter nous serait préjudiciable dans cette affaire, nous ignorons qui attaque réellement ainsi que la puissance et le nombre des forces en présence. En plus, ils brouillent les communications. Y aller avec huit cent hommes en première intention en sachant que mille deux cents autres nous talonnerons de près est le meilleur choix à mon avis. Rien ne sert de courir, partons à point.
"Faisons bien les choses", aurait dit l'ex Vice-amiral Swiffer Jones, pense amèrement Bee. En ce moment même, des gens sont blessés et se meurent à Jalabert et il faut attendre. La patience est une de ses vertus, heureusement d'ailleurs. C'est pour ça que le vice-amiral son maitre et formateur l'a orientée vers le renseignement militaire et qu'elle a passé le plus clair de sa vie en infiltration avec le Cipher Pol dont elle aurait dû faire partie. Attendre. Toujours attendre le bon moment avant d'agir. Les Lunes de Boréa qui osent transformer le royaume des glaces en un champ de bataille ne perdent elles aussi rien pour attendre.
Time -Loth se dit qu'il penserait à demander son vrai nom et son grade- a prodigieusement pourvu aux nécessités logistiques de ce déplacement massif de troupes. En quinze minutes, elle trouve les chevaux supplémentaires mais également des carrosses, des calèches et des chariots dans lesquels les Marines peuvent transporter leurs minutions. Huit cent hommes montés ou attroupés dans des véhicules hippomobiles s'ébranlent donc en direction du sud. Derrière, mille deux cent Marines suivront dans une demi-heure. La cadence est infernale, ils exploitent le rendement maximum des canassons et fendent la toundra Boréaline à plus de soixante-dix kilomètres par heure. Que trouveront-ils à Jalabert en arrivant ? La question taraude tous les Marines de l'expédition et Loth n'est pas en reste. Si la ville est devenue -comme l'a prévenu Aella- un champ de bataille pour Lunes en colère, le binoclard n'a pas de préférence pour l'éventuel gagnant, entendu que sa mission depuis le début de l'année est de toutes les capturer.
- A quoi tu penses ?
Loth revient à lui et sent les cousins de la voiture trembler. Leur carrosse se situe au cœur de la troupe, dans le "QG" mobile dont les a gratifiés Time, une berline attelée à quatre roues et huit places dont l'intérieur est merveilleusement chauffé par un système de cheminée mobile se trouvant dans un capot juste derrière les portes de la voiture. A côté du Moine se trouve Illusion. Sur la banquette d'en face sont assises Bee et Carotte. Time est restée à Lavallière et viendra avec la seconde vague. « Je pense à la folie des Lunes et au carnage que nous trouverons une fois arrivés » répond-il d'une voix morne.
- Moi je ne cesse de recevoir des coups de fils ! La Situation Room me signale que le réseau est plus saturé que jamais, car maintenant ce sont les parents à l'intérieur et à l'extérieur de Boréa qui encombrent les ondes avec leurs appels. Certains étudiants étrangers ont réussi à joindre leurs proches à l'extérieur et ces derniers ont appelé paniqués le QG des Marines le plus proche d'eux ; qui en retour a contacté le QG de North Blue ; qui nous bombarde après de coups de fil. Ce qu'il nous faut éviter maintenant, c'est un afflux de parents vers Jalabert. Ça risquerait de compliquer les choses. Ah quand on parle du loup !
Sur la table basse sont disposées des rouleaux de parchemins vieillis et de nombreux escargophones. Le plus solennel d'entre eux que Loth sait être une ligne directe pour joindre le roi de Boréa se met à hurler. Bee décroche et laisse pendre le combiné pour qu'ils entendent tous. « Je suis épouvanté par ce qui se passe dans mon royaume Midnight ! Mettez-y fin » déclare-t-il d'emblée. Il est sous le choc et cela s'en ressent dans sa voix tremblante de rage ou de peur, Loth n'aurait su l'affirmer. « Nous sommes en route pour. Mais j'aurais besoin de votre concours, votre majesté » déclare l'Abeille. « Vous devez ordonner aux gouverneurs de Lavallière et de Bocande de décréter un couvre-feu immédiat dans leurs villes respectives. Vous devez aussi donner autorité à la Marine de boucler les villes en question, interdisant toutes sorties. Ah, il en va de même pour Bourgeoys. »
- Pourquoi donc ? Ça ne ferait qu'augmenter la psychose. Je ne vais pas enfermer des parents inquiets dans leurs villes ? Ils vont se rebeller !
- Au dernier recensement en début d'année, Jalabert comptait trois cent mille âmes dont plus de soixante pour cent d'étudiants, votre majesté. Soit, cent quatre-vingt mille personnes dont la moitié au moins est originaire de Boréa. Vous voulez vraiment que quatre-vingt-dix mille parents affolés viennent jeter leurs chaos au chaos déjà présent ? S'il vous plait, expliquez par un décret royal que Jalabert et toute sa région environnante sont désormais décrétées zone de guerre et qu'il est formellement interdit à tout civil de s'y rendre. Cela donnera le pouvoir à notre arrière-garde de poser des barrages à plusieurs niveaux avant la ville. C'est absolument crucial, majesté !
- Loth, tu me dis ?
Le regard dont Midnight foudroie Loth est éloquent et retranscrit bien l'affront et le toupet de Maximilian Nordin à demander l'avis du Moine Hérétique après les doléances d'une Commande d’Élite aussi émérite que Midnight Bee Santana. Loth s'est rendu indispensable auprès du jeune roi et celui-ci le lui rend bien. « Il n'y a rien de plus vital que de cloisonner l'afflux des proches et Bee cerne mieux la situation que moi » dit-il en rendant l'Abeille ce qui est à l'Abeille. Intérieurement, le Moine Hérétique s'amuse de son influence visible sur le roi, ce qui n'est pas du tout du goût de la Commandante. « Jalabert est déjà gorgée de civils. Nous n'avons nullement besoin d'une autre vague. Il est tout autant impératif que vous gardiez vos nobles et distingués sujets à Bourgeoys. Dans ces situations-là, je crois que les gens de hautes naissances sont de plus grosses épines dans le pied que les gens du commun. Et je vous conseille aussi de renoncer à venir vous-même » rajoute-t-il avec sourire. Sa phrase déclenche des haussements de sourcils de Midnight qui n'a pas prévu cette éventualité.
- Hors de question ! Je suis le Roi ! Je me dois d'être avec mes concitoyens dans les moments les plus difficiles. Et puis, je suis déjà en route !
- Majesté...
- Commandante, je vais immédiatement contacter les gouverneurs, la Marine aura le pouvoir qu'elle désire. Faites cesser cette folie avant mon arrivée ! Ah, Loth, j'ai la faveur que tu m'as demandée.
- Parfait, merci. Par ailleurs, avez-vous la Gomme ?
- Aussi, même si je ne trouve pas ça nécessaire. A tout de suite.
- Il ne se rend pas compte du danger ! objecte Illusion, après que le roi ait raccroché.
- Oh, il s'en rend compte mais s'en fiche. Nuance. Vous avez bien vu qu'il a participé de plein pied à la simulation de ma mort. C'est un roi bien actif et un poil inconscient aussi.
- Tu lui as demandé quoi comme faveur ? Et c'est quoi cette histoire de gomme ?
- Rien qui ait un rapport avec notre situation.
Le regard mécontent et malveillant de Bee s'attarde sur le visage suffisant de Loth qui se plait de lui donner de quoi réfléchir. Puis sans crier gare, des cors se mettent à résonner. Le son est rythmé, codifié. Aussitôt après, l'armée en migration ralentit jusqu'à un arrêt complet. Devant l'avant-garde, juste de vastes étendues verglacées et quelques arbustes épars et givrés. Brisant la ligne d'horizon, des cavaliers fondent sur les troupes. Ce sont des éclaireurs de retour. Dès qu'ils font mettent pied à terre, ils saluent Bee et font leurs rapports. « Vaut mieux dévier à l'ouest, m'dame. Y a des colonnes de civils arrivant en sens inverse d'la nôtre, ceux qu'ont réussi à fuir les violences. La plupart sont à pied mais certains ont des montures. »
- Combien sont-ils ?
- Plus d'un millier. Les croiser, ça va pas l'faire.
- Et y disent quoi sur la situation à Jalabert ? demande Carotte.
- Infernale. 'sont sous l'choc. La majorité n'a jamais entendu d'coups d'feu d'leur vie. D'après eux, y a deux camps en train d's'affronter. Ah 'tendez, les voici. Z'allez avoir un rapport d'première main.
Cinq cavaliers transportant trois personnes arrivent à bride à abattue. Une femme enceinte, un enfant de six ans souffrant d’une fracture ouverte du tibia et un Marine appartenant à la garnison stationnée à Jalabert. Suivant les consignes des éclaireurs, l'armée est déroutée plein ouest pour éviter de croiser la colonne de réfugiés. Malgré tout, Midnight envoie à leur rencontre la moitié de l'équipe de soutien médical et des vivres. Le Marine rescapé prend place dans la voiture puis leur relate sa glaçante version de l'horreur de Jalabert. « Ils n'sont tombés d'ssus très tôt, avant l'aurore. La garnison est tombée en quelques minutes, sans coup d'feu, dame » mâchouille à bout de nerf le survivant. « Des somnifères dans l'diner d'la veille. On l'a supposé plus tard. La moitié d'la garnison ronflait encore quand ils sont v'nus. Nous d'vions être vingt au plus à être éveillés car n'ayant pas soupé hier. Ils sont entrainés, discipline militaire, évoluant par groupes d'quatre, formation diamant et losange. On a résisté, Comm'dante, mais, z'étaient plus n'breux. Beaucoup plus... » Il est dévasté, de ses yeux ruissellent des larmes. « La ville est tombée en moins d'une heure. Pendant qu'on tentait d'résister à dix contre cent, en bougeant sans cesse, eux s'sont d'ployés dans les artères principaux et ont tout b'clés. Z'ont mis leurs bannières partout sur les bâtiments. Un crâne humain noir avec un serpent comme langue sur fond blanc. »
- Les Autres... précise Loth.
- Donc la ville est aux mains des Autres ?
- Était, 'dame. Vers six heures, ouais, c'étaient les maîtres. Puis y a eu un autre groupe. J'ai d'abord pensé que c'tait les renforts, vous quoi. Mais, non. Ils s'sont pris d'front aux Autres, les ont forcés à s'replier dans l'centre-ville, le Cénacle.
- Et ils continuent de s'entre-tuer ?
- Avec des temps forts et faibles. C'est surtout ça qui nous a permis d'fuir. Ceux qu'attaquent les Autres sont moins entrainés, ça s'est vu. Mais sont plus nombreux et très armés aussi.
- Avez-vous vu leurs étendards ? interroge Loth.
- Un glaive brisé sur fond sanglant.
- Les Rouillés, dit Bee. C'est l'un des clans de brigands les plus dangereux selon nos rapports. Prêt six cent hommes. Les services du roi ont supposé qu'ils ont été armés par les Lunes.
Elle déroule sur la table basse un plan de la région de Jalabert.
- Comme vous pouvez le voir, Jalabert est une ville ressemblant vaguement à un crucifix posé de traviole. Au nord, elle est entourée de La Cordelette, une épaisse forêt boréale qui remonte jusqu'au centre du pays. Un autre bois, au sud, la sépare du littoral escarpé.
La topographie de Jalabert, Loth en prit connaissance durant son tout premier séjour à Boréa au début de l'année. La Cordelette, un nom plutôt ironique pour une forêt, non pas à cause de l'abondance d'une quelconque variété de lianes mais pour souligner le nombre de suicide par pendaison d'étudiants trop surmenés par la charge de devoirs. Au fil des années, ces bois ont acquis la réputation d'être hantés. Sur son flanc occidental La Cordelette est flanquée du lac Perle qui irrigue tout le pourtour ouest de la cité universitaire grâce à la Pleureuse, un de ses affluents qui se jette dans North Blue. La quasi-totalité de sud-ouest de la ville se situe en amont de ce cours d'eau, obligeant ainsi ses occupants à traverser chaque jour l'unique pont enjambant la Pleureuse pour se rendre au centre de la cité située en aval. Le centre encore appelé Le Cénacle est formé par la jonction des deux "branches" de la "croix". C'est qu'est le vrai Jalabert, la vraie cité universitaire, avec ses bâtisses antiques aux architectures empruntées des quatre coins du monde, ses amphithéâtres, ses centres d'expérimentations, ses bibliothèques. Tout le reste de cette "croix" n'est constitué que quartiers-dortoirs.
- M'suis tiré par l'pont, croit bon de préciser le soldat. J'ai r'monté à pied la Pleureuse pour trouver l'lac puis j'ai continué vers l'nord-ouest où j'ai croisé les éclaireurs.
- Que diriez-vous de la position de l'un ou de l'autre camp ?
- J'pense qu'ces Rouillés encerclent complèt'ment la ville. La Cord'lette, la Batture et la Riviera sont entre leurs mains. Les Autres sont acculés au Cénacle.
- Le quartier de Lazarronne à l'est semble raisonnablement épargné par les combats, constate Bee. On a espoir que la plus grande partie des civils, celle qui ne s'est pas encore jetée sur les routes s'y soit réfugiée. Notre objectif est simple, reprendre la totalité de la ville aux deux milices. Les anéantir, toutes. Mais surtout, n'oubliez pas de rechercher les Lunes dans le lot. Il me les faut. Mortes ou vivantes. Avec l'équipe médicale que j'ai dépêchée vers les réfugiés, nous ne sommes que sept cent en ce moment. Mais notre seconde vague nous talonne de loin, sans oublier le Lt-col Nerbosc et sa flotte qui doivent actuellement croiser en plein sud et arriveront peu après nous sur les côtes de Jalabert. Je lui transmettrai de débarquer deux cents hommes surtout pour du soutien à ceux qui se seront réfugiés à Lazarronne. Notre troupe, je vais la diviser en deux parties. La première, de quatre cent hommes sous mon commandement engagera les hostilités au nord par La Cordelette. On pourra ainsi prendre à revers le plus gros des Rouillés. Le reste, sous ton commandement Illusion, contournera le lac, descendra la Pleureuse et submergera les Rouillés dans la Riviera. Votre objectif principal étant de reprendre le pont pour pouvoir ensuite investir le Cénacle. Nos deux attaques doivent être synchronisées.
- A vos ordres, répond Illusion.
- Prends Reich avec toi, je n'ai pas envie de le savoir à mes côtés en plein combat.
- Sympa.
- Prends aussi Carotte. Elle assurera le commandement à ta place vu que je sais pertinemment que tu délaisseras vite-fait les combats pour soigner les blessés.
- Alors confiez directement la direction à Carotte...
- Question de procédures, Reich. Le commandement au plus haut gradé jusqu'à ce qu'il le délègue. Et tâche de rester en vie.
- Seriez-vous en train de vous en faire pour moi ? répond le Moine d'un air doucereux.
- Bien sûr. Autrement ma sœurette s'ennuierait de toi. Et ne couronnerait pas sa chambre de ta tête.
- Tant d'attention, j'en suis ému.
- Quid des civils ? s'enquiert Illusion.
- Nous sommes des Élites, entrainés aux combats en zone urbaine. Dégâts minimum, précision maximale, frappe chirurgicale, combat au corps à corps. Laissez les canons mobiles au garage, sauf si vous êtes obligés de dessouder un sniper situé dans une haute tour.
- Compris.
Peu après, l'armée se scinde. Loth délaisse à contrecœur la réconfortante tiédeur de la berline pour le froid mordant de l'extérieur, juché sur l'étalon rouge sombre qu'il chevauche. Il est en toute première ligne avec Illusion et Carotte. Derrière eux, trois cents Marines d’Élite dont les capes et ponchos claquent au vent galopent à toute allure. Ils longent les rivages pâteuses du lac, suivent le lit du fleuve et descendent plus profondément dans le sud. Chemin faisant, ils croisent sans s'arrêter une longue file de civils aux airs hébétés. Beaucoup les hèlent pour demander de l'aider, d'autres plus rares les acclament fugacement et crient des encouragements qui ne parviennent pas à leurs oreilles assourdies par le vent et le martèlement de milliers de sabots en furie. Au loin, Loth aperçoit les habitations qui trahissent les premiers signes de civilisation dans ce monde désolé. C'est la Riviera, le quartier imparti aux étudiants issus des hautes sphères de leurs pays respectifs. Machinalement, le Moine étreint les rênes de son cheval. Il a hâte d'entrer dans la mêlée. Une autre bataille après celle de Carcinomia. Et bien d'autres seront à venir. Impossible de s'y déroger, tant qu'il voudra atteindre des sommets. Et c'est pour ça qu'il vit.
Inscrire son nom au firmament.
- A quoi tu penses ?
Loth revient à lui et sent les cousins de la voiture trembler. Leur carrosse se situe au cœur de la troupe, dans le "QG" mobile dont les a gratifiés Time, une berline attelée à quatre roues et huit places dont l'intérieur est merveilleusement chauffé par un système de cheminée mobile se trouvant dans un capot juste derrière les portes de la voiture. A côté du Moine se trouve Illusion. Sur la banquette d'en face sont assises Bee et Carotte. Time est restée à Lavallière et viendra avec la seconde vague. « Je pense à la folie des Lunes et au carnage que nous trouverons une fois arrivés » répond-il d'une voix morne.
- Moi je ne cesse de recevoir des coups de fils ! La Situation Room me signale que le réseau est plus saturé que jamais, car maintenant ce sont les parents à l'intérieur et à l'extérieur de Boréa qui encombrent les ondes avec leurs appels. Certains étudiants étrangers ont réussi à joindre leurs proches à l'extérieur et ces derniers ont appelé paniqués le QG des Marines le plus proche d'eux ; qui en retour a contacté le QG de North Blue ; qui nous bombarde après de coups de fil. Ce qu'il nous faut éviter maintenant, c'est un afflux de parents vers Jalabert. Ça risquerait de compliquer les choses. Ah quand on parle du loup !
Sur la table basse sont disposées des rouleaux de parchemins vieillis et de nombreux escargophones. Le plus solennel d'entre eux que Loth sait être une ligne directe pour joindre le roi de Boréa se met à hurler. Bee décroche et laisse pendre le combiné pour qu'ils entendent tous. « Je suis épouvanté par ce qui se passe dans mon royaume Midnight ! Mettez-y fin » déclare-t-il d'emblée. Il est sous le choc et cela s'en ressent dans sa voix tremblante de rage ou de peur, Loth n'aurait su l'affirmer. « Nous sommes en route pour. Mais j'aurais besoin de votre concours, votre majesté » déclare l'Abeille. « Vous devez ordonner aux gouverneurs de Lavallière et de Bocande de décréter un couvre-feu immédiat dans leurs villes respectives. Vous devez aussi donner autorité à la Marine de boucler les villes en question, interdisant toutes sorties. Ah, il en va de même pour Bourgeoys. »
- Pourquoi donc ? Ça ne ferait qu'augmenter la psychose. Je ne vais pas enfermer des parents inquiets dans leurs villes ? Ils vont se rebeller !
- Au dernier recensement en début d'année, Jalabert comptait trois cent mille âmes dont plus de soixante pour cent d'étudiants, votre majesté. Soit, cent quatre-vingt mille personnes dont la moitié au moins est originaire de Boréa. Vous voulez vraiment que quatre-vingt-dix mille parents affolés viennent jeter leurs chaos au chaos déjà présent ? S'il vous plait, expliquez par un décret royal que Jalabert et toute sa région environnante sont désormais décrétées zone de guerre et qu'il est formellement interdit à tout civil de s'y rendre. Cela donnera le pouvoir à notre arrière-garde de poser des barrages à plusieurs niveaux avant la ville. C'est absolument crucial, majesté !
- Loth, tu me dis ?
Le regard dont Midnight foudroie Loth est éloquent et retranscrit bien l'affront et le toupet de Maximilian Nordin à demander l'avis du Moine Hérétique après les doléances d'une Commande d’Élite aussi émérite que Midnight Bee Santana. Loth s'est rendu indispensable auprès du jeune roi et celui-ci le lui rend bien. « Il n'y a rien de plus vital que de cloisonner l'afflux des proches et Bee cerne mieux la situation que moi » dit-il en rendant l'Abeille ce qui est à l'Abeille. Intérieurement, le Moine Hérétique s'amuse de son influence visible sur le roi, ce qui n'est pas du tout du goût de la Commandante. « Jalabert est déjà gorgée de civils. Nous n'avons nullement besoin d'une autre vague. Il est tout autant impératif que vous gardiez vos nobles et distingués sujets à Bourgeoys. Dans ces situations-là, je crois que les gens de hautes naissances sont de plus grosses épines dans le pied que les gens du commun. Et je vous conseille aussi de renoncer à venir vous-même » rajoute-t-il avec sourire. Sa phrase déclenche des haussements de sourcils de Midnight qui n'a pas prévu cette éventualité.
- Hors de question ! Je suis le Roi ! Je me dois d'être avec mes concitoyens dans les moments les plus difficiles. Et puis, je suis déjà en route !
- Majesté...
- Commandante, je vais immédiatement contacter les gouverneurs, la Marine aura le pouvoir qu'elle désire. Faites cesser cette folie avant mon arrivée ! Ah, Loth, j'ai la faveur que tu m'as demandée.
- Parfait, merci. Par ailleurs, avez-vous la Gomme ?
- Aussi, même si je ne trouve pas ça nécessaire. A tout de suite.
- Il ne se rend pas compte du danger ! objecte Illusion, après que le roi ait raccroché.
- Oh, il s'en rend compte mais s'en fiche. Nuance. Vous avez bien vu qu'il a participé de plein pied à la simulation de ma mort. C'est un roi bien actif et un poil inconscient aussi.
- Tu lui as demandé quoi comme faveur ? Et c'est quoi cette histoire de gomme ?
- Rien qui ait un rapport avec notre situation.
Le regard mécontent et malveillant de Bee s'attarde sur le visage suffisant de Loth qui se plait de lui donner de quoi réfléchir. Puis sans crier gare, des cors se mettent à résonner. Le son est rythmé, codifié. Aussitôt après, l'armée en migration ralentit jusqu'à un arrêt complet. Devant l'avant-garde, juste de vastes étendues verglacées et quelques arbustes épars et givrés. Brisant la ligne d'horizon, des cavaliers fondent sur les troupes. Ce sont des éclaireurs de retour. Dès qu'ils font mettent pied à terre, ils saluent Bee et font leurs rapports. « Vaut mieux dévier à l'ouest, m'dame. Y a des colonnes de civils arrivant en sens inverse d'la nôtre, ceux qu'ont réussi à fuir les violences. La plupart sont à pied mais certains ont des montures. »
- Combien sont-ils ?
- Plus d'un millier. Les croiser, ça va pas l'faire.
- Et y disent quoi sur la situation à Jalabert ? demande Carotte.
- Infernale. 'sont sous l'choc. La majorité n'a jamais entendu d'coups d'feu d'leur vie. D'après eux, y a deux camps en train d's'affronter. Ah 'tendez, les voici. Z'allez avoir un rapport d'première main.
Cinq cavaliers transportant trois personnes arrivent à bride à abattue. Une femme enceinte, un enfant de six ans souffrant d’une fracture ouverte du tibia et un Marine appartenant à la garnison stationnée à Jalabert. Suivant les consignes des éclaireurs, l'armée est déroutée plein ouest pour éviter de croiser la colonne de réfugiés. Malgré tout, Midnight envoie à leur rencontre la moitié de l'équipe de soutien médical et des vivres. Le Marine rescapé prend place dans la voiture puis leur relate sa glaçante version de l'horreur de Jalabert. « Ils n'sont tombés d'ssus très tôt, avant l'aurore. La garnison est tombée en quelques minutes, sans coup d'feu, dame » mâchouille à bout de nerf le survivant. « Des somnifères dans l'diner d'la veille. On l'a supposé plus tard. La moitié d'la garnison ronflait encore quand ils sont v'nus. Nous d'vions être vingt au plus à être éveillés car n'ayant pas soupé hier. Ils sont entrainés, discipline militaire, évoluant par groupes d'quatre, formation diamant et losange. On a résisté, Comm'dante, mais, z'étaient plus n'breux. Beaucoup plus... » Il est dévasté, de ses yeux ruissellent des larmes. « La ville est tombée en moins d'une heure. Pendant qu'on tentait d'résister à dix contre cent, en bougeant sans cesse, eux s'sont d'ployés dans les artères principaux et ont tout b'clés. Z'ont mis leurs bannières partout sur les bâtiments. Un crâne humain noir avec un serpent comme langue sur fond blanc. »
- Les Autres... précise Loth.
- Donc la ville est aux mains des Autres ?
- Était, 'dame. Vers six heures, ouais, c'étaient les maîtres. Puis y a eu un autre groupe. J'ai d'abord pensé que c'tait les renforts, vous quoi. Mais, non. Ils s'sont pris d'front aux Autres, les ont forcés à s'replier dans l'centre-ville, le Cénacle.
- Et ils continuent de s'entre-tuer ?
- Avec des temps forts et faibles. C'est surtout ça qui nous a permis d'fuir. Ceux qu'attaquent les Autres sont moins entrainés, ça s'est vu. Mais sont plus nombreux et très armés aussi.
- Avez-vous vu leurs étendards ? interroge Loth.
- Un glaive brisé sur fond sanglant.
- Les Rouillés, dit Bee. C'est l'un des clans de brigands les plus dangereux selon nos rapports. Prêt six cent hommes. Les services du roi ont supposé qu'ils ont été armés par les Lunes.
Elle déroule sur la table basse un plan de la région de Jalabert.
Jalabert
- Comme vous pouvez le voir, Jalabert est une ville ressemblant vaguement à un crucifix posé de traviole. Au nord, elle est entourée de La Cordelette, une épaisse forêt boréale qui remonte jusqu'au centre du pays. Un autre bois, au sud, la sépare du littoral escarpé.
La topographie de Jalabert, Loth en prit connaissance durant son tout premier séjour à Boréa au début de l'année. La Cordelette, un nom plutôt ironique pour une forêt, non pas à cause de l'abondance d'une quelconque variété de lianes mais pour souligner le nombre de suicide par pendaison d'étudiants trop surmenés par la charge de devoirs. Au fil des années, ces bois ont acquis la réputation d'être hantés. Sur son flanc occidental La Cordelette est flanquée du lac Perle qui irrigue tout le pourtour ouest de la cité universitaire grâce à la Pleureuse, un de ses affluents qui se jette dans North Blue. La quasi-totalité de sud-ouest de la ville se situe en amont de ce cours d'eau, obligeant ainsi ses occupants à traverser chaque jour l'unique pont enjambant la Pleureuse pour se rendre au centre de la cité située en aval. Le centre encore appelé Le Cénacle est formé par la jonction des deux "branches" de la "croix". C'est qu'est le vrai Jalabert, la vraie cité universitaire, avec ses bâtisses antiques aux architectures empruntées des quatre coins du monde, ses amphithéâtres, ses centres d'expérimentations, ses bibliothèques. Tout le reste de cette "croix" n'est constitué que quartiers-dortoirs.
- M'suis tiré par l'pont, croit bon de préciser le soldat. J'ai r'monté à pied la Pleureuse pour trouver l'lac puis j'ai continué vers l'nord-ouest où j'ai croisé les éclaireurs.
- Que diriez-vous de la position de l'un ou de l'autre camp ?
- J'pense qu'ces Rouillés encerclent complèt'ment la ville. La Cord'lette, la Batture et la Riviera sont entre leurs mains. Les Autres sont acculés au Cénacle.
- Le quartier de Lazarronne à l'est semble raisonnablement épargné par les combats, constate Bee. On a espoir que la plus grande partie des civils, celle qui ne s'est pas encore jetée sur les routes s'y soit réfugiée. Notre objectif est simple, reprendre la totalité de la ville aux deux milices. Les anéantir, toutes. Mais surtout, n'oubliez pas de rechercher les Lunes dans le lot. Il me les faut. Mortes ou vivantes. Avec l'équipe médicale que j'ai dépêchée vers les réfugiés, nous ne sommes que sept cent en ce moment. Mais notre seconde vague nous talonne de loin, sans oublier le Lt-col Nerbosc et sa flotte qui doivent actuellement croiser en plein sud et arriveront peu après nous sur les côtes de Jalabert. Je lui transmettrai de débarquer deux cents hommes surtout pour du soutien à ceux qui se seront réfugiés à Lazarronne. Notre troupe, je vais la diviser en deux parties. La première, de quatre cent hommes sous mon commandement engagera les hostilités au nord par La Cordelette. On pourra ainsi prendre à revers le plus gros des Rouillés. Le reste, sous ton commandement Illusion, contournera le lac, descendra la Pleureuse et submergera les Rouillés dans la Riviera. Votre objectif principal étant de reprendre le pont pour pouvoir ensuite investir le Cénacle. Nos deux attaques doivent être synchronisées.
- A vos ordres, répond Illusion.
- Prends Reich avec toi, je n'ai pas envie de le savoir à mes côtés en plein combat.
- Sympa.
- Prends aussi Carotte. Elle assurera le commandement à ta place vu que je sais pertinemment que tu délaisseras vite-fait les combats pour soigner les blessés.
- Alors confiez directement la direction à Carotte...
- Question de procédures, Reich. Le commandement au plus haut gradé jusqu'à ce qu'il le délègue. Et tâche de rester en vie.
- Seriez-vous en train de vous en faire pour moi ? répond le Moine d'un air doucereux.
- Bien sûr. Autrement ma sœurette s'ennuierait de toi. Et ne couronnerait pas sa chambre de ta tête.
- Tant d'attention, j'en suis ému.
- Quid des civils ? s'enquiert Illusion.
- Nous sommes des Élites, entrainés aux combats en zone urbaine. Dégâts minimum, précision maximale, frappe chirurgicale, combat au corps à corps. Laissez les canons mobiles au garage, sauf si vous êtes obligés de dessouder un sniper situé dans une haute tour.
- Compris.
Peu après, l'armée se scinde. Loth délaisse à contrecœur la réconfortante tiédeur de la berline pour le froid mordant de l'extérieur, juché sur l'étalon rouge sombre qu'il chevauche. Il est en toute première ligne avec Illusion et Carotte. Derrière eux, trois cents Marines d’Élite dont les capes et ponchos claquent au vent galopent à toute allure. Ils longent les rivages pâteuses du lac, suivent le lit du fleuve et descendent plus profondément dans le sud. Chemin faisant, ils croisent sans s'arrêter une longue file de civils aux airs hébétés. Beaucoup les hèlent pour demander de l'aider, d'autres plus rares les acclament fugacement et crient des encouragements qui ne parviennent pas à leurs oreilles assourdies par le vent et le martèlement de milliers de sabots en furie. Au loin, Loth aperçoit les habitations qui trahissent les premiers signes de civilisation dans ce monde désolé. C'est la Riviera, le quartier imparti aux étudiants issus des hautes sphères de leurs pays respectifs. Machinalement, le Moine étreint les rênes de son cheval. Il a hâte d'entrer dans la mêlée. Une autre bataille après celle de Carcinomia. Et bien d'autres seront à venir. Impossible de s'y déroger, tant qu'il voudra atteindre des sommets. Et c'est pour ça qu'il vit.
Inscrire son nom au firmament.
D'un fulgurant coup oblique, Midnight étête trois brigands qui ont eu la bêtise de la surprendre par derrière. Un bref mouvement de recul plus tard suivi d'une pirouette lui fait esquiver une lance qui va se figer dans un plaqueminier boréal. Son propriétaire perd de précieuses secondes à essayer de l'en déloger, tout ce dont a besoin Bee pour garnir son torse d'une estafilade verticale qui incise sa cage thoracique. A sa droite, deux autres hors-la-loi tombent sous les coups de sa garde rapprochée. Et petit à petit La Cordelette se teinte d'écarlate. Les coups de feu s'entendent partout, l'atmosphère autrefois chargée de résines de pin, de sang-dragon et d'effluves de feuilles mortes empuantit maintenant le sang, la poudre et feu. C'est une boucherie.
Quelques instants auparavant, à l'orée de la forêt qui a vu mourir des dizaines d'étudiants déséquilibrés, Bee fit ralentir ses troupes. Elle fut la première à démonter, préférant engager le combat dans les bois à pied plutôt qu'à cheval. La grande partie de ses quatre cent hommes fit de même. Ils se regroupèrent en diverses unités aux nombres variables suivant les choix tactiques des différents chefs d'équipes. Ils n'avaient pas l'effet de surprise mais le surnombre et l'expérience, assurément. Des Rouillés occupaient encore la forêt de manière à prévenir une attaque à revers. Ils étaient armés de mitrailleuses et avaient transformé la forêt en place forte grâce à des canons. Des snipers étaient postés en hauteur des massifs arbres polaires qui composaient La Cordelette. Chargeant derrière des chevaux sans cavaliers qu'ils utilisèrent comme bouclier, les Élites déboulèrent dans la forêt noircie par la canopée sous une pluie de feu et de plombs. Le soleil filtrait difficilement et ne manifestait des preuves de sa présence par-dessus les cimes que par de rares rais. La horde de chevaux causa la débandade escomptée dans la formation des brigands, ce qui profita délicieusement aux Marines. Et depuis un quart d'heure, ils se battaient.
Dans une vaste clairière circulaire, Chasseresse, l'énorme claymore de Midnight, file rencontrer un cavalier ennemi. Il pare l'attaque, l'acier crisse contre l'acier. Le cavalier braque, change de trajectoire à son coursier et fonce une nouvelle fois sur le Dard de Minuit en beuglant. Celui-là, c'est le chef de l'unité stationnée dans ces bois, se dit-elle en croisant encore et encore le fer avec lui. Lui sur son cheval, elle à pied, tentant de le désarçonner. Les contrattaques s'enchainent leur faisant parcourir toute la longueur de la clairière. Quand claymore et flamberge se rencontrent, des étincelles naissent de leurs amours. La Commandante d’Élite souffle, amusée par ces échanges soutenus. Elle aime le combat mais déteste le conclure. Et pourtant, il faudra bien. Cette racaille n'est pas le genre qu'elle saurait laisser en vie. Le bandit éperonne violemment les côtes de son destrier, la bête hennit de douleur et se cabre dangereusement. Ses mortels sabots ferrés surplombent Bee puis cinglent l'air. L'action se déroule en l'espace d'un battement de cœur. Alerte, Midnight se laisse choir puis se précipite sous le cheval avant que ses sabots ne lui fracassent le crane. Elle plante Chasseresse dans le poitrail de la bête et l'ouvre jusqu'à la région inguinale. Elle fuse en un éclair avant d'être submergée de viscères. La pauvre créature s'affale sur son flanc droit et emporte son cavalier dans sa chute. Les jambes cassées, coincées sur sous la croupe du cheval mort, il demanda grâce, ce que lui accorde volontiers le Dard.
- La mort est la seule délivrance réelle, dit-elle en retirant sa claymore du cou de son adversaire.
Midnight a une pensée pour sa petite sœur. Elle aurait aimé partager cette bataille avec elle. Quand elles sont ensembles, elles se chamaillent jusqu'à ce qu'elle fasse prévaloir son droit d'ainesse. Où peut bien se trouver Ombeline à présent ? Elle livre sûrement ses propres batailles, fait face à ses propres dangers mortels. Telle est la vie qu'elles ont voulu, se dit-elle en se concentrant sur le théâtre autour d'elle. Elle n'a pas à s'inquiéter pour Ombeline.
Une estocade de biais lui permet de contrer puis un terrible coup de pied de rompre les cervicales de son nouvel adversaire. Ils progressent bien. Les Marines sont bien mieux entrainés qu'eux et en surnombre. Beaucoup de Rouillés décampent fasse à la furie mortelle des éléments de la 444e. Combien des siens a-t-elle perdu ? Très peu sûrement. Le bilan se ferait une fois la victoire acquise, dit la partie intransigeante d'elle-même. Ils sont tous majeurs, consentants et conscients du sacrifice suprême qu'est de consacrer sa vie à servir. Et ils sont tous disposés à mourir. Pour autant, ce n'est pas facile en tant que commandant d'en perdre.
- La forêt est à nous, madame, vient lui dire un Lieutenant d’Élite. A l'extérieur s'étalent les faubourgs de la Batture. C'est le plus gros quartier-dortoir de Jalabert. En temps normal, près de cent mille personnes vivent là.
- La belle affaire, marmonne-t-elle en sortant de la forêt devenue mortellement silencieuse après la fin des combats. Bien de fantômes hanteront davantage ces bois maintenant que nous avons souillé son sol et sa végétation de cette boucherie, dit-t-elle.
La Batture est une immense agglomération ressemblant vaguement à une version jumelle des quartiers populaires tels qu'on a l'habitude d'en voir à Lavallière. Des rues pavées, des alignements interminables de maisons à deux ou trois étranges toutes pareilles. Du béton, mais aussi du bois. C'est le quartier des étudiants de classe moyenne. Il était subdivisé en secteurs numérotés de un à dix. « On est dans le Secteur 10, madame, le plus à l'extérieur. Et ça va en diminuant jusqu'au Secteur 1, le plus proche du Cénacle. J'ai déployé des équipes dans les principales artères, la plus avancée a déjà atteint le Secteur 5 sans rencontrer de résistance. Mais ils savent qu'on a écrasé leurs gars dans la forêt, donc ils commencent à masser des hommes dans les environs du Secteur 5. Y a de la nervosité mais ça ne tire pas encore. »
- Ça ne saurait tarder, notre position leur coupe toute retraite. Ils sont pris en sandwich, entre les Autres et nous. Ça va se transformer en street fight cette histoire. Les civils sont cloitrés dans les bâtiments. L'empathie me permet de ressentir leur degré d'anxiété et de peur panique. Et nos cibles ? Des nouvelles ?
- Aucune trace des Lunes Rouge et Jaune, madame. Mais le chef de l'escouade des éclaireurs a repéré Julian Jacem Jahel Jawad Junior dans un temple du Secteur 1.
- Parfait, donnez l'assaut sur leurs positions. Pas de quartier mais préservez les civils.
- A vos ordres !
Midnight ne se précipite pas pour aller au front où ses hommes donnent déjà le change aux Rouillés. Les mains profondément enfouies dans ses poches, elle déambule dans une avenue vide de monde. Derrière les nuages, le soleil hivernal peine à se lever et à éclairer Jalabert. Bee se débarrasse de son manteau et s'expose à la morsure du froid. Durant les combats dans la forêt, ce triple lainage l'a empêché de bouger à son aise. Elle se sent mieux là, dans une simple chemise sans manche. Chacun de ses pas faisait bouger les six épées accrochées à son ceinturon. Quatre katanas, une rapière et une claymore. Pour l'instant, seule Sécheresse a goûté au sang ennemi. Que se passe-t-il donc à l'ouest avec la troupe d'Illusion ? Où en sont-ils dans leur mission de prendre La Riviera et surtout le pont ? Une tâche cruciale pour ceindre le Cénacle.
[...]
- Chrysalide Capillaire !
La chevelure démultipliée du Moine Hérétique l'enveloppe de plusieurs couches de mèches endurcies et lui offre une protection contre les shrapnels qui volent dans tous les sens. Beaucoup viennent ricocher contre son armure sans lui causer de dommages. Il dissipe son bouclier et appréhende le carnage qu'a causé cet obus. Autour de lui, des cratères et des corps, principalement de Mouettes. Son escouade entière y est passée. Ces bandits des steppes ne sont pas aussi arriérés qu'on le penserait, constate Loth avec amertume. Avec leurs canons, ils ont obligé les Marines à leur courir après. Ils sont rapides, se déplacent constamment, leurs canons de douze livres montés sur affuts à roues, protégés par des escouades mobiles et par des snipers mouvants. Repérer leur position approximative est un jeu d'enfant ; les approcher et les anéantir devient un carnage que Loth a payé de son équipe. Quinze hommes donc. Morts tous dans ce jeu de cache-cache létal qui les oppose aux bandits. Comme contre-mesure, Illusion ordonne le déploiement de l'artillerie de campagne de la Marine. Leurs propres canons mobiles entrent en action.
- Wow ! Wow ! s'écrie le Moine quand le canonnier d’Élite vaporise en un seul tire toute une rangée de maisons dans laquelle se dissimulait une escouade ennemie.
Bon sang ! Vous avez mis quoi ces boulets ?
- Du piment, rétorque Illusion avec satisfaction.
- Il y a encore des civils cachés, vous ne pouvez pas détruire les habitations !
- En deux mots, Reich. Dommages collatéraux acceptables.
- Ça fait trois mots. Et puis vous êtes médecin Illusion, vous ne pouvez pas ne pas vous en soucier.
- Faites le compte. J'ai déjà perdu trente hommes à cause de ses artilleurs mobiles, c'en est assez. A mon commandement, feu !
Plusieurs pâtés de maisons se volatilisent ainsi sous la puissance de feu supérieure des Mouettes. Et toutes les unités canonnières ennemies avec elles. Après le déluge qui laisse tout un pan de la Riviera rasée et fumante, les combats évoluent en guérilla urbaine. Rue par rue, ils pacifient les lieux ; les échanges de feu se font au coup par coup. Du haut de ses sept pieds cinquante, avec ses bras musculeux et plus gros que les cuisses de Loth, Carotte est une sacrée déménageuse qui ne frappe jamais deux fois le même adversaire. Sa seule force permet aux Marines de faire une trouée dans les rangs adverses et d'acculer l'ennemi sur les rives, dos au fleuve. Beaucoup traversent le pont à reculons pendant que d'autres tentent vaille que vaille de défendre cette précaire position. Suivant les Marines, Loth accourt vert le pont qui demeure leur but. Il faut empêcher ces forbans de le détruire, si jamais ils en ont l'intelligence. Focalisé sur l'objectif, il ne voit que trop tard le bout de bras qui émerge subitement d'une venelle. Il se prend le cou dans cette corde à linge surprise qui le sèche littéralement.
Une pirouette plus tard, il s'écrase lourdement sur le sol, essoufflé par la violence du choc. La douleur est éphémère mais le contrecoup qu'est l’asphyxie partielle n'est pas de son goût. Du tout. Toussotant et cherchant à s’accaparer le moindre souffle d'air disponible, il est soulevé de terre par un autre choc. Plus appuyé celui-là, un coup de pied directement dans le flanc. Il vrille et s'esquinte derechef contre le sol. Mais au lieu de lui couper définitivement la respiration, ce coup dégage mes bronches. Alors il aspire de l'air à plein poumon tout en grimaçant de douleur. Ses muscles sont froissés et peut-être qu'il a une côte brisée. « Super... » susurre-t-il. Une main tâtant de son flanc meurtri, il darde un regard vers son assaillant. Autour d'eux, toujours les coups de feu, toujours la mort, la poudre et le sang. « Content de faire ta connaissance Reich ! » dit la brute d'une carrure similaire à celle de Carotte. Avec un plaisir sauvage, le binoclard reconnait son adversaire. Le Contremaître des Mines de Boyettes en personne. Phineas Holle, la Lune Rouge. Le souterrain Ministre de l’Énergie et des Mines. « J'étais impatient de te faire mordre la poussière, impertinent petit asticot ! »
- Et moi donc !
Son sourire souligne la scène.
[...]
Face à l'inexorable avancée de la 444e, une grande partie des Rouillés opte pour la désertion. Mais ils n'ont nulle part où aller, presque tous les secteurs de la Batture sont tombés sous la coupe des Mouettes. La retraite vers le quartier septentrional de Gefroid leur a également été bloquée. Piégés et faits comme des rats. L'arrière-garde Marine qui attendait des montures à Lavallière arrive finalement et joint ses forces pour définitivement écraser les bandits des steppes de leurs nombres. Mille-deux cent Mouettes de plus. Mais le désespoir des Rouillés ne rend la bataille que plus rude. Midnight et ses hommes progressent méthodiquement, quadrillant chaque centimètre carré, récupérant rue par rue, bâtiment par bâtiment, égout par égout.
Ainsi, ils acculent la dernière poche de Résistance Rouillé dans un temple en ruine sis dans le Secteur la 1. Quand Bee ferme les yeux et laisse libre cours à son empathie, elle semble irradier la zone d'étranges particules qui lui indiquent où se trouvent tout un chacun. Vingt-six, tel est le nombre des derniers résistants retranchés. L'une de ses "voix" qu'elle perçoit est clairement plus massive, sûrement celle du sanguinaire chef des Rouillés, le bien nommé Julian Jacem Jahel Jawad Junior alias Five J. Primé à vingt millions de Berry, il est recherché pour quatre attaques lancées contre le Winterblade ayant entrainé la mort de six Policiers de Fer. C'est un bandit notoire que les équipes de Bee ont échoué à capturer plusieurs fois dans la toundra. Là, se dit-elle, elle a une chance d'en finir avec la morbide série des attaques contre le train. Il n'est pas question qu'il lui échappe cette fois-ci.
Les bandits de grands chemins épargnent au Dard de donner l'assaut. Sortant par les multiples brèches du sanctuaire, ils font exploser plusieurs grenades fumigènes qui remplissent l'atmosphère d'une épaisse fumée blanchâtre. Une risible diversion destinée à camoufler leurs fuites. L'empathie informe le Dard qu'ils se sont dispersés dans plusieurs venelles, courant à toute allure, cherchant à regagner la forêt. Vain que tout cela. Elle monopolise son attention sur Five J, se rue à ses trousses et le rattrape dans une ruelle miteuse où un égout à ciel ouvert draine des eaux usées. L'endroit est juste assez large pour que deux hommes s'y tiennent côte à côte. D'une tête plus court que la Commandante, Five J arbore une coupe punk et est armé d'un lourde batte en acier écarlate du sang de Marines et de mercenaires Autres. Au loin dans la venelle, git le cadavre d'un Rouillé.
- Tu vas finir comme ça.
- Ah ouais, t'es aussi bandante qu'ont l'dit ! On est seuls ici poupée. Viens par-là, et suce mon jonc ! dit-il en soupesant son entrejambe comme un argentier le ferait avec une bourse pleine.
Vraiment ? Du machisme ? se demande Midnight, interdite.
La Marine demeure un milieu d'hommes mais depuis très longtemps, quelque chose -peut-être sa réputation de froide tueuse- a dissuadé quiconque du "sexe fort" de jouer à qui a la plus grosse avec elle. Et généralement, c'est une tendance qui disparait progressivement dans les rangs même chez les conscrits. Plusieurs femmes dans les Commandants et Colonels d’Élite, une femme Amirale et une femme Amirale-en-chef doivent forcément faire changer la donne. Alors être confrontée à un goujat de première dans cette ruelle l'amuse beaucoup. Avant elle désirait le capturer vivant et le remettre à la justice, maintenant, elle s'imagine juste les milles et une façon de le faire souffrir avant de le tuer.
Quelques instants auparavant, à l'orée de la forêt qui a vu mourir des dizaines d'étudiants déséquilibrés, Bee fit ralentir ses troupes. Elle fut la première à démonter, préférant engager le combat dans les bois à pied plutôt qu'à cheval. La grande partie de ses quatre cent hommes fit de même. Ils se regroupèrent en diverses unités aux nombres variables suivant les choix tactiques des différents chefs d'équipes. Ils n'avaient pas l'effet de surprise mais le surnombre et l'expérience, assurément. Des Rouillés occupaient encore la forêt de manière à prévenir une attaque à revers. Ils étaient armés de mitrailleuses et avaient transformé la forêt en place forte grâce à des canons. Des snipers étaient postés en hauteur des massifs arbres polaires qui composaient La Cordelette. Chargeant derrière des chevaux sans cavaliers qu'ils utilisèrent comme bouclier, les Élites déboulèrent dans la forêt noircie par la canopée sous une pluie de feu et de plombs. Le soleil filtrait difficilement et ne manifestait des preuves de sa présence par-dessus les cimes que par de rares rais. La horde de chevaux causa la débandade escomptée dans la formation des brigands, ce qui profita délicieusement aux Marines. Et depuis un quart d'heure, ils se battaient.
Dans une vaste clairière circulaire, Chasseresse, l'énorme claymore de Midnight, file rencontrer un cavalier ennemi. Il pare l'attaque, l'acier crisse contre l'acier. Le cavalier braque, change de trajectoire à son coursier et fonce une nouvelle fois sur le Dard de Minuit en beuglant. Celui-là, c'est le chef de l'unité stationnée dans ces bois, se dit-elle en croisant encore et encore le fer avec lui. Lui sur son cheval, elle à pied, tentant de le désarçonner. Les contrattaques s'enchainent leur faisant parcourir toute la longueur de la clairière. Quand claymore et flamberge se rencontrent, des étincelles naissent de leurs amours. La Commandante d’Élite souffle, amusée par ces échanges soutenus. Elle aime le combat mais déteste le conclure. Et pourtant, il faudra bien. Cette racaille n'est pas le genre qu'elle saurait laisser en vie. Le bandit éperonne violemment les côtes de son destrier, la bête hennit de douleur et se cabre dangereusement. Ses mortels sabots ferrés surplombent Bee puis cinglent l'air. L'action se déroule en l'espace d'un battement de cœur. Alerte, Midnight se laisse choir puis se précipite sous le cheval avant que ses sabots ne lui fracassent le crane. Elle plante Chasseresse dans le poitrail de la bête et l'ouvre jusqu'à la région inguinale. Elle fuse en un éclair avant d'être submergée de viscères. La pauvre créature s'affale sur son flanc droit et emporte son cavalier dans sa chute. Les jambes cassées, coincées sur sous la croupe du cheval mort, il demanda grâce, ce que lui accorde volontiers le Dard.
- La mort est la seule délivrance réelle, dit-elle en retirant sa claymore du cou de son adversaire.
Midnight a une pensée pour sa petite sœur. Elle aurait aimé partager cette bataille avec elle. Quand elles sont ensembles, elles se chamaillent jusqu'à ce qu'elle fasse prévaloir son droit d'ainesse. Où peut bien se trouver Ombeline à présent ? Elle livre sûrement ses propres batailles, fait face à ses propres dangers mortels. Telle est la vie qu'elles ont voulu, se dit-elle en se concentrant sur le théâtre autour d'elle. Elle n'a pas à s'inquiéter pour Ombeline.
Une estocade de biais lui permet de contrer puis un terrible coup de pied de rompre les cervicales de son nouvel adversaire. Ils progressent bien. Les Marines sont bien mieux entrainés qu'eux et en surnombre. Beaucoup de Rouillés décampent fasse à la furie mortelle des éléments de la 444e. Combien des siens a-t-elle perdu ? Très peu sûrement. Le bilan se ferait une fois la victoire acquise, dit la partie intransigeante d'elle-même. Ils sont tous majeurs, consentants et conscients du sacrifice suprême qu'est de consacrer sa vie à servir. Et ils sont tous disposés à mourir. Pour autant, ce n'est pas facile en tant que commandant d'en perdre.
- La forêt est à nous, madame, vient lui dire un Lieutenant d’Élite. A l'extérieur s'étalent les faubourgs de la Batture. C'est le plus gros quartier-dortoir de Jalabert. En temps normal, près de cent mille personnes vivent là.
- La belle affaire, marmonne-t-elle en sortant de la forêt devenue mortellement silencieuse après la fin des combats. Bien de fantômes hanteront davantage ces bois maintenant que nous avons souillé son sol et sa végétation de cette boucherie, dit-t-elle.
La Batture est une immense agglomération ressemblant vaguement à une version jumelle des quartiers populaires tels qu'on a l'habitude d'en voir à Lavallière. Des rues pavées, des alignements interminables de maisons à deux ou trois étranges toutes pareilles. Du béton, mais aussi du bois. C'est le quartier des étudiants de classe moyenne. Il était subdivisé en secteurs numérotés de un à dix. « On est dans le Secteur 10, madame, le plus à l'extérieur. Et ça va en diminuant jusqu'au Secteur 1, le plus proche du Cénacle. J'ai déployé des équipes dans les principales artères, la plus avancée a déjà atteint le Secteur 5 sans rencontrer de résistance. Mais ils savent qu'on a écrasé leurs gars dans la forêt, donc ils commencent à masser des hommes dans les environs du Secteur 5. Y a de la nervosité mais ça ne tire pas encore. »
- Ça ne saurait tarder, notre position leur coupe toute retraite. Ils sont pris en sandwich, entre les Autres et nous. Ça va se transformer en street fight cette histoire. Les civils sont cloitrés dans les bâtiments. L'empathie me permet de ressentir leur degré d'anxiété et de peur panique. Et nos cibles ? Des nouvelles ?
- Aucune trace des Lunes Rouge et Jaune, madame. Mais le chef de l'escouade des éclaireurs a repéré Julian Jacem Jahel Jawad Junior dans un temple du Secteur 1.
- Parfait, donnez l'assaut sur leurs positions. Pas de quartier mais préservez les civils.
- A vos ordres !
Midnight ne se précipite pas pour aller au front où ses hommes donnent déjà le change aux Rouillés. Les mains profondément enfouies dans ses poches, elle déambule dans une avenue vide de monde. Derrière les nuages, le soleil hivernal peine à se lever et à éclairer Jalabert. Bee se débarrasse de son manteau et s'expose à la morsure du froid. Durant les combats dans la forêt, ce triple lainage l'a empêché de bouger à son aise. Elle se sent mieux là, dans une simple chemise sans manche. Chacun de ses pas faisait bouger les six épées accrochées à son ceinturon. Quatre katanas, une rapière et une claymore. Pour l'instant, seule Sécheresse a goûté au sang ennemi. Que se passe-t-il donc à l'ouest avec la troupe d'Illusion ? Où en sont-ils dans leur mission de prendre La Riviera et surtout le pont ? Une tâche cruciale pour ceindre le Cénacle.
[...]
- Chrysalide Capillaire !
La chevelure démultipliée du Moine Hérétique l'enveloppe de plusieurs couches de mèches endurcies et lui offre une protection contre les shrapnels qui volent dans tous les sens. Beaucoup viennent ricocher contre son armure sans lui causer de dommages. Il dissipe son bouclier et appréhende le carnage qu'a causé cet obus. Autour de lui, des cratères et des corps, principalement de Mouettes. Son escouade entière y est passée. Ces bandits des steppes ne sont pas aussi arriérés qu'on le penserait, constate Loth avec amertume. Avec leurs canons, ils ont obligé les Marines à leur courir après. Ils sont rapides, se déplacent constamment, leurs canons de douze livres montés sur affuts à roues, protégés par des escouades mobiles et par des snipers mouvants. Repérer leur position approximative est un jeu d'enfant ; les approcher et les anéantir devient un carnage que Loth a payé de son équipe. Quinze hommes donc. Morts tous dans ce jeu de cache-cache létal qui les oppose aux bandits. Comme contre-mesure, Illusion ordonne le déploiement de l'artillerie de campagne de la Marine. Leurs propres canons mobiles entrent en action.
- Wow ! Wow ! s'écrie le Moine quand le canonnier d’Élite vaporise en un seul tire toute une rangée de maisons dans laquelle se dissimulait une escouade ennemie.
Bon sang ! Vous avez mis quoi ces boulets ?
- Du piment, rétorque Illusion avec satisfaction.
- Il y a encore des civils cachés, vous ne pouvez pas détruire les habitations !
- En deux mots, Reich. Dommages collatéraux acceptables.
- Ça fait trois mots. Et puis vous êtes médecin Illusion, vous ne pouvez pas ne pas vous en soucier.
- Faites le compte. J'ai déjà perdu trente hommes à cause de ses artilleurs mobiles, c'en est assez. A mon commandement, feu !
Plusieurs pâtés de maisons se volatilisent ainsi sous la puissance de feu supérieure des Mouettes. Et toutes les unités canonnières ennemies avec elles. Après le déluge qui laisse tout un pan de la Riviera rasée et fumante, les combats évoluent en guérilla urbaine. Rue par rue, ils pacifient les lieux ; les échanges de feu se font au coup par coup. Du haut de ses sept pieds cinquante, avec ses bras musculeux et plus gros que les cuisses de Loth, Carotte est une sacrée déménageuse qui ne frappe jamais deux fois le même adversaire. Sa seule force permet aux Marines de faire une trouée dans les rangs adverses et d'acculer l'ennemi sur les rives, dos au fleuve. Beaucoup traversent le pont à reculons pendant que d'autres tentent vaille que vaille de défendre cette précaire position. Suivant les Marines, Loth accourt vert le pont qui demeure leur but. Il faut empêcher ces forbans de le détruire, si jamais ils en ont l'intelligence. Focalisé sur l'objectif, il ne voit que trop tard le bout de bras qui émerge subitement d'une venelle. Il se prend le cou dans cette corde à linge surprise qui le sèche littéralement.
Une pirouette plus tard, il s'écrase lourdement sur le sol, essoufflé par la violence du choc. La douleur est éphémère mais le contrecoup qu'est l’asphyxie partielle n'est pas de son goût. Du tout. Toussotant et cherchant à s’accaparer le moindre souffle d'air disponible, il est soulevé de terre par un autre choc. Plus appuyé celui-là, un coup de pied directement dans le flanc. Il vrille et s'esquinte derechef contre le sol. Mais au lieu de lui couper définitivement la respiration, ce coup dégage mes bronches. Alors il aspire de l'air à plein poumon tout en grimaçant de douleur. Ses muscles sont froissés et peut-être qu'il a une côte brisée. « Super... » susurre-t-il. Une main tâtant de son flanc meurtri, il darde un regard vers son assaillant. Autour d'eux, toujours les coups de feu, toujours la mort, la poudre et le sang. « Content de faire ta connaissance Reich ! » dit la brute d'une carrure similaire à celle de Carotte. Avec un plaisir sauvage, le binoclard reconnait son adversaire. Le Contremaître des Mines de Boyettes en personne. Phineas Holle, la Lune Rouge. Le souterrain Ministre de l’Énergie et des Mines. « J'étais impatient de te faire mordre la poussière, impertinent petit asticot ! »
- Et moi donc !
Son sourire souligne la scène.
[...]
Face à l'inexorable avancée de la 444e, une grande partie des Rouillés opte pour la désertion. Mais ils n'ont nulle part où aller, presque tous les secteurs de la Batture sont tombés sous la coupe des Mouettes. La retraite vers le quartier septentrional de Gefroid leur a également été bloquée. Piégés et faits comme des rats. L'arrière-garde Marine qui attendait des montures à Lavallière arrive finalement et joint ses forces pour définitivement écraser les bandits des steppes de leurs nombres. Mille-deux cent Mouettes de plus. Mais le désespoir des Rouillés ne rend la bataille que plus rude. Midnight et ses hommes progressent méthodiquement, quadrillant chaque centimètre carré, récupérant rue par rue, bâtiment par bâtiment, égout par égout.
Ainsi, ils acculent la dernière poche de Résistance Rouillé dans un temple en ruine sis dans le Secteur la 1. Quand Bee ferme les yeux et laisse libre cours à son empathie, elle semble irradier la zone d'étranges particules qui lui indiquent où se trouvent tout un chacun. Vingt-six, tel est le nombre des derniers résistants retranchés. L'une de ses "voix" qu'elle perçoit est clairement plus massive, sûrement celle du sanguinaire chef des Rouillés, le bien nommé Julian Jacem Jahel Jawad Junior alias Five J. Primé à vingt millions de Berry, il est recherché pour quatre attaques lancées contre le Winterblade ayant entrainé la mort de six Policiers de Fer. C'est un bandit notoire que les équipes de Bee ont échoué à capturer plusieurs fois dans la toundra. Là, se dit-elle, elle a une chance d'en finir avec la morbide série des attaques contre le train. Il n'est pas question qu'il lui échappe cette fois-ci.
Les bandits de grands chemins épargnent au Dard de donner l'assaut. Sortant par les multiples brèches du sanctuaire, ils font exploser plusieurs grenades fumigènes qui remplissent l'atmosphère d'une épaisse fumée blanchâtre. Une risible diversion destinée à camoufler leurs fuites. L'empathie informe le Dard qu'ils se sont dispersés dans plusieurs venelles, courant à toute allure, cherchant à regagner la forêt. Vain que tout cela. Elle monopolise son attention sur Five J, se rue à ses trousses et le rattrape dans une ruelle miteuse où un égout à ciel ouvert draine des eaux usées. L'endroit est juste assez large pour que deux hommes s'y tiennent côte à côte. D'une tête plus court que la Commandante, Five J arbore une coupe punk et est armé d'un lourde batte en acier écarlate du sang de Marines et de mercenaires Autres. Au loin dans la venelle, git le cadavre d'un Rouillé.
- Tu vas finir comme ça.
- Ah ouais, t'es aussi bandante qu'ont l'dit ! On est seuls ici poupée. Viens par-là, et suce mon jonc ! dit-il en soupesant son entrejambe comme un argentier le ferait avec une bourse pleine.
Vraiment ? Du machisme ? se demande Midnight, interdite.
La Marine demeure un milieu d'hommes mais depuis très longtemps, quelque chose -peut-être sa réputation de froide tueuse- a dissuadé quiconque du "sexe fort" de jouer à qui a la plus grosse avec elle. Et généralement, c'est une tendance qui disparait progressivement dans les rangs même chez les conscrits. Plusieurs femmes dans les Commandants et Colonels d’Élite, une femme Amirale et une femme Amirale-en-chef doivent forcément faire changer la donne. Alors être confrontée à un goujat de première dans cette ruelle l'amuse beaucoup. Avant elle désirait le capturer vivant et le remettre à la justice, maintenant, elle s'imagine juste les milles et une façon de le faire souffrir avant de le tuer.
Le plaquage frontal que subit Loth envoie valser les deux belligérants. Ils finissent leur course dans un salon inoccupé après avoir défoncé le revêtement en teck de la maison. Le dos de Loth n'est qu'élancement, semblable à la piqure de milles aiguilles chauffées à blanc. C'est un combat comme il n'en a jamais mené, son adversaire utilisant des techniques peu orthodoxes semblables à celles des sports de lutte. Lariat, Choke et Body Slam, Atemi et autres prises. Ses idées rendues confuses par la douleur, il sent la masse musclée du mineur se précipiter sur lui, chargeant comme un bison. Il le voit très clairement sauter, les bras écartés dans une tentative de l'écraser de tout son poids. Ce type doit peser dans les quatre cent livres, autant dire qu'il pourrait l'aplatir comme une crêpe si le binoclard le laisse mener à bien son projet.
Mobilisant des forces, il fait une roulette sur le sol et se dégage de son air d’atterrissage. La seule chose que broie la Lune Rouge en tombant, c'est une table en ivoire. A terre, Loth ondule vers lui, imitant parfaitement le Serpent de son style martial. Il raidit une main puis la darde vers le cou adverse. A-t-il senti le choc ? Pas vraiment, une quelconque graisse sous cutanée ou des muscles bien entrainés amortissent l'attaque. Le seul résultat est que le contremaitre se relève, la main gauche de Loth pour prisonnière. Le Moine Hérétique se débat pour échapper à son emprise, il le roue de coups sans succès. Sa main libre se perd à son tour dans la poigne de fer de Phineas Holle. Sur son visage, le sourire éclairé et revanchard de celui qui satisfait enfin une vieille rancune. « Je te tiens Reich. Je vais te broyer, lentement, surement. Entendre craquer tes os » dit-il de sa voix caverneuse.
- Oh ça j'en suis moins sûr que vous !
Hors de question de laisser cette brute froisser davantage ses pauvres os, se dit le binoclard tout en sachant qu'il ne possède pas assez de force brute naturelle pour l’inquiéter. Pas encore. Bientôt. Il ferme les yeux et se concentre. Il sent les bras musculeux de Phineas Holle ceinturer ses côtes et l'étouffer tel un boa constrictor. Il ignore la douleur et focalise ses pensées sur le catalyseur qui lui permet d'activer le Retour à la Vie. L'envie de vivre, de se faire un nom tout simplement. De briller. Et comme à chaque fois qu'il ouvre cette vanne secrète cachée aux tréfonds de son subconscient, il se sent irradier d'une énergie étrange. De la vie elle-même peut-être ? A un niveau que peu d'humains expérimentent avant de mourir.
Un niveau qui vous fait connaitre votre propre corps plus que jamais. Un niveau, qui, atteint pour la première fois vous fait réaliser à quel point ce corps qui est votre depuis la naissance vous est inconnu. Loth dirige cette vivifiante énergie vers les muscles de son tronc supérieur et surtout ses bras. Son Hanfu se déchire sous la pression musculaire grossissante. Ses biceps doublent de volume et lui confèrent une force qui lui permet de se libérer sans grand mal de l'étau de son adversaire qui constate cette métamorphose, hébété. Déjà, il ne peut plus le broyer et sait que le rapport de force s'est inversé. « Yamata no Orochi ! » que murmure le Moine avant de déferler son vis-à-vis une multitude de coups en rafales de ses mains dressées telles des têtes de serpent.
Au Style du Tigre, il fait appel pour conclure l'enchainement du talon de la main. Toute la force que lui alloue le Retour à la Vie est canalisée dans cette seule main et quand il l’écrase sur le visage de la Lune Rouge, elle broie sans peine son arête nasal et l'envoie valdinguer dans le décor de cette cocue maison. Loth déplace sa grotesque silhouette -sa corpulence au-dessus de la ceinture a quasiment doublée de volume tandis que le reste demeure normal- vers le point de chute de son ennemi. Il repose là, dans une risible position, avachi sur le plancher de travail de la cuisine, la tête dans l'évier où le robinet éventré déverse abondamment de l'eau. Inconscient est-il. Dommage se dit Loth qui aurait voulu l'interroger sur la position de la Lune Jaune. Il porte sa carcasse inconsciente et sort de la maison.
Dehors, la situation bascule en leur faveur. Le pont est sous contrôle, surtout après le renfort des hommes de l'arrière-garde demeuré à Lavallière. Loth les reconnait aisément grâce à l'entrain nouveau qu'ils manifestent et à leurs tenues très propres. En effet, tous ceux qui baignent dans cette boucherie depuis une demi-heure sont zébrés de sang, de suie et de poudre. Le Moine quant à lui est torse nu et son corps clouté d'ecchymoses et de meurtrissures. Par centaines, les Marines envahissent le reste de la Riviera en deçà du pont et écrasent les dernières poches de résistance Rouillés. Il laisse la dernière bataille se dérouler sans lui et jette Holle par terre sans égard tel un sac de patates. Il annule aussitôt le Retour à la Vie et dégonfle comme un vieux ballon de baudruche.
Cette technique requiert une grande quantité d'énergie vitale et lui donne faim à chaque fois qu'il s'en sert. Loth se sustente grâce aux barres chocolatées dans l'étui accrochée à sa ceinture. Sur l'autre rive, les panaches de fumée s'élèvent à mesure que les Mouettes rasent des pans de quartiers à coup de canon. Ces élites sont des bouchers qui ne font aucun détail. Les mercenaires de la taïga sont méthodiquement dératisés. Adossé pépère à la rambarde du pont, il a un point de vue plongeant sur les opérations. Malgré la certitude que ce genre de confrontation sera légion tant qu'il voudra étendre ses tentacules dans le monde souterrain, Loth en a sa dose de guerre depuis trois jours. Il n'oublie pas Émeline prisonnière à Carcinomia, il n'oublie pas ses Fumiers et leur chef Nox qu'il a posé en "garantie" chez la Grenouille en contre-partie du soutien de ce dernier. Il a laissé tous les siens en plan dans un pays en guerre civile et en proie à une épidémie naissante.
Étrange tout de même que pendant toute une année, il ait couru après les Lunes de Boréa et qu'aujourd'hui, achever le travail l'ennuierait presque. Quel plaisir sauvage aurait-il pu tirer de la capture de la Lune Rouge si Émeline n'avait pas été capturée par le clan Burn de Carcinomia ? Tant mieux, pense-t-il, qu'il ait déjà d'autres "marmites sur le feu", comme le dirait son maitre le Gila. « Monsieur Reich, vous êtes mandé au front. Vite, s'il vous plait » le presse un soldat qui le sort de sa rêverie. La reconquête de La Riviera est terminée, le Cénacle est à portée de fusil. Une autre bataille plus dure qui s'annonce, contre une armée professionnelle cette fois-ci. Les Autres.
Un demi-kilomètre plus tard, Loth rejoint la ligne de front, la main crispée sur un talon de Holle qu'il traine sur le sol sans le moindre respect. D'habitude, il en éprouve pour ses adversaires, mais davantage pour ceux qui font acte d'une intelligence hors du commun que ceux tout en muscle. Rarement Loth est médusé mais ce qu'il voit au loin dans les artères circulaire séparant le Cénacle de La Riviera l'épouvante et lui confirme les pires soupçons formulés par Aella Madoff, autrefois Lune Bleue, aujourd'hui travaillant pour lui. Lavoisier est réellement déterminé à faire couler le sang. « Qu'est-ce que c'est que ça... Mes yeux ne me trahissent pas ? Ce sont bien des étudiants ? Ils en ont fait des... » baragouine-t-il en prenant des jumelles pour mieux prendre la mesure de l'horreur.
- Des boucliers humain, oui, confirme Illusion.
[...]
Julian Jacem Jahel Jawad Junior a une bonne technique, se dit Bee en se baissant prestement. Sa batte en fer brasse de l'air en lui frôlant le sommet du crâne. Utilisant son pied droit comme contrepoids, Five J lance immédiatement une controffensive en cinglant sa matraque dans le sens inverse. Bee esquive une nouvelle fois. Jusqu'à présent, elle n'a fait que ça, esquiver. Manier cette batte n'est pas une mince affaire et une partie d'elle est curieuse de voir pendant combien de temps pourrait tenir son phallocrate adversaire. Naturellement, durant les échanges qui eurent lieu, il fit de nombreuses fois référence à la supériorité mâle ainsi qu'à des invitations obscènes que Midnight accepterait volontiers, après l'avoir châtré sans oublier de lui donner sa virilité à manger en la faisant passer pour une saucisse.
Il se rue à nouveau sur elle, saute, sa massue brandie bien haut. Il suffit à l'Abeille de pirouetter sur le côté pour aisément l'éviter. La masse défonce le sol en s'y écrasant lourdement. Beuglant comme un bœuf, le chef des Rouillés réessaye derechef mais entre en collision avec la semelle à talon de Midnight. Une puissante gifle de son pied droit envoie le punk dans une masse d'eau croupie. Désormais, Bee en a assez vu. Une autre bataille l'attend contre les Autres et le fait qu'un silence mortuaire plane sur la ville après plus de trois quart d'heure non-stop de tirs est des plus inquiétants. Ses hommes auraient dû continuer leur progression, même sans elle. Elle se questionne sur la nature de ce qui peut bien les retenir. Crachant de dépit, Five J se relève et réitère une attaque similaire aux précédentes. D'une main, Bee accueille la batte dans sa paume et la bloque sèchement.
- Si c'est tout ce que tu sais faire, je suis déçue.
- Au pieu, j'sais faire beaucoup, héhé. Mais n'sois pas déçue et crève ! Reject !
« Pas mal » est tout ce que pense le Dard avant que la massue ne relâche la meurtrière énergie contenue dans le Reject Dial dissimulé dans son renflement. Elle comprend alors que ses innombrables attaques qui se sont soldées par des coups sur le sol ou dans les murailles environnantes n’étaient qu'un moyen de recharger le dial intégré à la batte. Pas mal, vraiment. L'onde de choc la rejette au loin. Refusant de flancher, elle agrippe la pointe de ses chaussures au sol, y dérape en y laissant un long sillon. La gomme de ses semelles s'use intégralement et s'incruste profondément le goudron salie de la venelle en laissant la chair de ses plantes de pieds à la merci de l'asphalte rugueux. Quand l'inertie imprimée par l'onde s'épuise enfin, les pieds de la Commandante sont en sang, écorchés à vif. Le raisiné goutte aussi de sa face gauche, là où elle bloqua la massue à hauteur de visage. Le bras qui tint la batte est devenu une inutilisable masse sanglante toute rougie par les tuméfactions et le sang qui en suinte. La douleur ? Ineffable mais elle a connu pire.
Midnight constate aussi avec amusement qu'elle ne voit plus que de son œil droit, le gauche encore meurtri par le choc. Même ses vêtements ont morflé. Son haut ne tient plus qu'à la bretelle nouée au-dessus de son épaule droite. Du côté gauche pendouille des filons épars qui révèlent son soutien-gorge lui-même déchiqueté par endroit, mettant des bouts de sein à nue. Bee ne s'en soucie nullement, seul compte son adversaire. Elle pourrait être à poil que ça lui serait égal. D'ailleurs, pense-t-elle, elle le fut, à un âge où elle aurait pu concevoir. La guerre civile dans son pays natal veilla à la dépouiller de tout. De tout, de sa famille à l’exception de sa sœur. Que dirait Ombeline en voyant dans quel état ce bandit de basse extraction l'a mise ? Elle en aurait rigolé à gorge déployée certainement et lui aurait ensuite demandé comment elle l'avait terminé. Comment ? La question la taraude quand elle s'avance lentement vers son adversaire mi épouvanté, mi souriant.
Reculant d'abord, Five J finit par se convaincre que la Commandante ne représente pour lui aucun danger dans son état et qu'une prochaine estocade aurait raison d'elle. Aussi se précipite-t-il sur elle en lui promettant de lui fourrer quelque part son phallus après l'avoir assommée. « Comment l'achever, comment vais-je le terminer ? » Il approche. « Comment conclure ce combat qui n'a déjà que trop duré en ridicule ? » Il est à quelques centimètres, sa masse levée. « Naturellement. Montrons lui pourquoi on m'a surnommé le Dard de Minuit... » Sa métamorphose s'opère en moins de deux secondes. Surpris par cette mue insectoïde, le bandit des steppes amorce un reculons. Sans succès. La poche abdominale qui a germé en lieu et place habituelle de ses fesses libère un long dard charbonneux d'approximativement dix-neuf pouces de long dont elle se sert pour empaler le malotru au ventre. Un bruit de succion nait de cette perforation en sus de la complainte de l'adversaire. Souriante, Midnight retire vivement sa sagaie et laissa choir Five J sur le sol crasseux.
- Si je faisais de l'ironie, je dirais que c'est toi qui a été empalé, dit-elle, reprenant sa forme humaine ce qui ne rend sa conscience de la douleur que plus écœurante. Ça met les choses en perspective sur qui a une phallus, n'est-ce pas ?
Souffrance et borborygmes de l'autre côté. Five J se traine sur le sol et des mains, il tamponne sa blessure pour s'éviter de pisser le sang. Bee le regarde se vider pendant quelques secondes avant que ne débarque un Lieutenant visiblement à sa recherche. Son regard passe de l'effarement à une vive inquiétude. Il fuse sur sa Commandante et l'enveloppe de sa cape, apparemment plus concerné par la quasi nudité de son tronc supérieur que des vilaines blessures dont elle souffre. Une dizaine d'autres Marines déboulent dans la ruelle. « Pourquoi n'avez-vous pas donné l'assaut du centre-ville ? » demande-t-elle d'une voix impérieuse. « Impossible, madame. Vous allez voir ça de vos yeux. Mais avant, nous devons vous amener voir un docteur... »
- Non, la mission d'abord, je veux voir ce qui vous en empêche. Et le docteur peut venir à moi, je crois. Ce n'est pas comme s'il était confortablement installé dans son bureau.
- Amenez à nous le Sergent Reed ou la Lieutenante Illusion si vous la trouvez, ordonne le Lieutenant d’Élite à un sous-officier. Nos deux troupes ont effectué leur jonction, madame et Reich a capturé la Lune Rouge, l'informe-t-il. En plus, le Lt-Col Nerbosc est arrivé au large des côtes. Le déploiement de ses hommes est en cours. Comme prévu, il y a une masse colossale de population civile qui a trouvé refuge à Lazarronne. Près de cent mille selon les rapports préalables.
- Donc toute la ville est à nous, à part le centre-ville ? s'enquiert-t-elle pour être sûre d'avoir compris le topo que lui fait son adjoint. Son Lieutenant la soutient d'abord par un bras pour l'aider à marcher puis ayant vu que ça ne mène à rien, il passe une main derrière ses cuisses et la soulève du sol.
Oooh, mon beau prince charmant ! ironise Bee.
- Soi-gnez. moi. pi-tié.
- Lui, les gars, vous le laissez se vider de son sang. Emmenez-voir ce Cénacle, Lieutenant Raven.
C'est quoi ce chantier ?! bafouille-t-elle quelques minutes plus tard, son œil valide collé contre une longue-vue.
- Tout autour du centre-ville, ils ont disposés des civils à intervalle régulier. Des boucliers de chair.
- Garnis de ceintures d'explosifs ! rage la Commandante. Ce Lavoisier, je vais me le faire !
- Pas en public… dit Loth, le majeur sur le pont de ses lunettes.
Mobilisant des forces, il fait une roulette sur le sol et se dégage de son air d’atterrissage. La seule chose que broie la Lune Rouge en tombant, c'est une table en ivoire. A terre, Loth ondule vers lui, imitant parfaitement le Serpent de son style martial. Il raidit une main puis la darde vers le cou adverse. A-t-il senti le choc ? Pas vraiment, une quelconque graisse sous cutanée ou des muscles bien entrainés amortissent l'attaque. Le seul résultat est que le contremaitre se relève, la main gauche de Loth pour prisonnière. Le Moine Hérétique se débat pour échapper à son emprise, il le roue de coups sans succès. Sa main libre se perd à son tour dans la poigne de fer de Phineas Holle. Sur son visage, le sourire éclairé et revanchard de celui qui satisfait enfin une vieille rancune. « Je te tiens Reich. Je vais te broyer, lentement, surement. Entendre craquer tes os » dit-il de sa voix caverneuse.
- Oh ça j'en suis moins sûr que vous !
Hors de question de laisser cette brute froisser davantage ses pauvres os, se dit le binoclard tout en sachant qu'il ne possède pas assez de force brute naturelle pour l’inquiéter. Pas encore. Bientôt. Il ferme les yeux et se concentre. Il sent les bras musculeux de Phineas Holle ceinturer ses côtes et l'étouffer tel un boa constrictor. Il ignore la douleur et focalise ses pensées sur le catalyseur qui lui permet d'activer le Retour à la Vie. L'envie de vivre, de se faire un nom tout simplement. De briller. Et comme à chaque fois qu'il ouvre cette vanne secrète cachée aux tréfonds de son subconscient, il se sent irradier d'une énergie étrange. De la vie elle-même peut-être ? A un niveau que peu d'humains expérimentent avant de mourir.
Un niveau qui vous fait connaitre votre propre corps plus que jamais. Un niveau, qui, atteint pour la première fois vous fait réaliser à quel point ce corps qui est votre depuis la naissance vous est inconnu. Loth dirige cette vivifiante énergie vers les muscles de son tronc supérieur et surtout ses bras. Son Hanfu se déchire sous la pression musculaire grossissante. Ses biceps doublent de volume et lui confèrent une force qui lui permet de se libérer sans grand mal de l'étau de son adversaire qui constate cette métamorphose, hébété. Déjà, il ne peut plus le broyer et sait que le rapport de force s'est inversé. « Yamata no Orochi ! » que murmure le Moine avant de déferler son vis-à-vis une multitude de coups en rafales de ses mains dressées telles des têtes de serpent.
Au Style du Tigre, il fait appel pour conclure l'enchainement du talon de la main. Toute la force que lui alloue le Retour à la Vie est canalisée dans cette seule main et quand il l’écrase sur le visage de la Lune Rouge, elle broie sans peine son arête nasal et l'envoie valdinguer dans le décor de cette cocue maison. Loth déplace sa grotesque silhouette -sa corpulence au-dessus de la ceinture a quasiment doublée de volume tandis que le reste demeure normal- vers le point de chute de son ennemi. Il repose là, dans une risible position, avachi sur le plancher de travail de la cuisine, la tête dans l'évier où le robinet éventré déverse abondamment de l'eau. Inconscient est-il. Dommage se dit Loth qui aurait voulu l'interroger sur la position de la Lune Jaune. Il porte sa carcasse inconsciente et sort de la maison.
Dehors, la situation bascule en leur faveur. Le pont est sous contrôle, surtout après le renfort des hommes de l'arrière-garde demeuré à Lavallière. Loth les reconnait aisément grâce à l'entrain nouveau qu'ils manifestent et à leurs tenues très propres. En effet, tous ceux qui baignent dans cette boucherie depuis une demi-heure sont zébrés de sang, de suie et de poudre. Le Moine quant à lui est torse nu et son corps clouté d'ecchymoses et de meurtrissures. Par centaines, les Marines envahissent le reste de la Riviera en deçà du pont et écrasent les dernières poches de résistance Rouillés. Il laisse la dernière bataille se dérouler sans lui et jette Holle par terre sans égard tel un sac de patates. Il annule aussitôt le Retour à la Vie et dégonfle comme un vieux ballon de baudruche.
Cette technique requiert une grande quantité d'énergie vitale et lui donne faim à chaque fois qu'il s'en sert. Loth se sustente grâce aux barres chocolatées dans l'étui accrochée à sa ceinture. Sur l'autre rive, les panaches de fumée s'élèvent à mesure que les Mouettes rasent des pans de quartiers à coup de canon. Ces élites sont des bouchers qui ne font aucun détail. Les mercenaires de la taïga sont méthodiquement dératisés. Adossé pépère à la rambarde du pont, il a un point de vue plongeant sur les opérations. Malgré la certitude que ce genre de confrontation sera légion tant qu'il voudra étendre ses tentacules dans le monde souterrain, Loth en a sa dose de guerre depuis trois jours. Il n'oublie pas Émeline prisonnière à Carcinomia, il n'oublie pas ses Fumiers et leur chef Nox qu'il a posé en "garantie" chez la Grenouille en contre-partie du soutien de ce dernier. Il a laissé tous les siens en plan dans un pays en guerre civile et en proie à une épidémie naissante.
Étrange tout de même que pendant toute une année, il ait couru après les Lunes de Boréa et qu'aujourd'hui, achever le travail l'ennuierait presque. Quel plaisir sauvage aurait-il pu tirer de la capture de la Lune Rouge si Émeline n'avait pas été capturée par le clan Burn de Carcinomia ? Tant mieux, pense-t-il, qu'il ait déjà d'autres "marmites sur le feu", comme le dirait son maitre le Gila. « Monsieur Reich, vous êtes mandé au front. Vite, s'il vous plait » le presse un soldat qui le sort de sa rêverie. La reconquête de La Riviera est terminée, le Cénacle est à portée de fusil. Une autre bataille plus dure qui s'annonce, contre une armée professionnelle cette fois-ci. Les Autres.
Un demi-kilomètre plus tard, Loth rejoint la ligne de front, la main crispée sur un talon de Holle qu'il traine sur le sol sans le moindre respect. D'habitude, il en éprouve pour ses adversaires, mais davantage pour ceux qui font acte d'une intelligence hors du commun que ceux tout en muscle. Rarement Loth est médusé mais ce qu'il voit au loin dans les artères circulaire séparant le Cénacle de La Riviera l'épouvante et lui confirme les pires soupçons formulés par Aella Madoff, autrefois Lune Bleue, aujourd'hui travaillant pour lui. Lavoisier est réellement déterminé à faire couler le sang. « Qu'est-ce que c'est que ça... Mes yeux ne me trahissent pas ? Ce sont bien des étudiants ? Ils en ont fait des... » baragouine-t-il en prenant des jumelles pour mieux prendre la mesure de l'horreur.
- Des boucliers humain, oui, confirme Illusion.
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Julian Jacem Jahel Jawad Junior a une bonne technique, se dit Bee en se baissant prestement. Sa batte en fer brasse de l'air en lui frôlant le sommet du crâne. Utilisant son pied droit comme contrepoids, Five J lance immédiatement une controffensive en cinglant sa matraque dans le sens inverse. Bee esquive une nouvelle fois. Jusqu'à présent, elle n'a fait que ça, esquiver. Manier cette batte n'est pas une mince affaire et une partie d'elle est curieuse de voir pendant combien de temps pourrait tenir son phallocrate adversaire. Naturellement, durant les échanges qui eurent lieu, il fit de nombreuses fois référence à la supériorité mâle ainsi qu'à des invitations obscènes que Midnight accepterait volontiers, après l'avoir châtré sans oublier de lui donner sa virilité à manger en la faisant passer pour une saucisse.
Il se rue à nouveau sur elle, saute, sa massue brandie bien haut. Il suffit à l'Abeille de pirouetter sur le côté pour aisément l'éviter. La masse défonce le sol en s'y écrasant lourdement. Beuglant comme un bœuf, le chef des Rouillés réessaye derechef mais entre en collision avec la semelle à talon de Midnight. Une puissante gifle de son pied droit envoie le punk dans une masse d'eau croupie. Désormais, Bee en a assez vu. Une autre bataille l'attend contre les Autres et le fait qu'un silence mortuaire plane sur la ville après plus de trois quart d'heure non-stop de tirs est des plus inquiétants. Ses hommes auraient dû continuer leur progression, même sans elle. Elle se questionne sur la nature de ce qui peut bien les retenir. Crachant de dépit, Five J se relève et réitère une attaque similaire aux précédentes. D'une main, Bee accueille la batte dans sa paume et la bloque sèchement.
- Si c'est tout ce que tu sais faire, je suis déçue.
- Au pieu, j'sais faire beaucoup, héhé. Mais n'sois pas déçue et crève ! Reject !
« Pas mal » est tout ce que pense le Dard avant que la massue ne relâche la meurtrière énergie contenue dans le Reject Dial dissimulé dans son renflement. Elle comprend alors que ses innombrables attaques qui se sont soldées par des coups sur le sol ou dans les murailles environnantes n’étaient qu'un moyen de recharger le dial intégré à la batte. Pas mal, vraiment. L'onde de choc la rejette au loin. Refusant de flancher, elle agrippe la pointe de ses chaussures au sol, y dérape en y laissant un long sillon. La gomme de ses semelles s'use intégralement et s'incruste profondément le goudron salie de la venelle en laissant la chair de ses plantes de pieds à la merci de l'asphalte rugueux. Quand l'inertie imprimée par l'onde s'épuise enfin, les pieds de la Commandante sont en sang, écorchés à vif. Le raisiné goutte aussi de sa face gauche, là où elle bloqua la massue à hauteur de visage. Le bras qui tint la batte est devenu une inutilisable masse sanglante toute rougie par les tuméfactions et le sang qui en suinte. La douleur ? Ineffable mais elle a connu pire.
Midnight constate aussi avec amusement qu'elle ne voit plus que de son œil droit, le gauche encore meurtri par le choc. Même ses vêtements ont morflé. Son haut ne tient plus qu'à la bretelle nouée au-dessus de son épaule droite. Du côté gauche pendouille des filons épars qui révèlent son soutien-gorge lui-même déchiqueté par endroit, mettant des bouts de sein à nue. Bee ne s'en soucie nullement, seul compte son adversaire. Elle pourrait être à poil que ça lui serait égal. D'ailleurs, pense-t-elle, elle le fut, à un âge où elle aurait pu concevoir. La guerre civile dans son pays natal veilla à la dépouiller de tout. De tout, de sa famille à l’exception de sa sœur. Que dirait Ombeline en voyant dans quel état ce bandit de basse extraction l'a mise ? Elle en aurait rigolé à gorge déployée certainement et lui aurait ensuite demandé comment elle l'avait terminé. Comment ? La question la taraude quand elle s'avance lentement vers son adversaire mi épouvanté, mi souriant.
Reculant d'abord, Five J finit par se convaincre que la Commandante ne représente pour lui aucun danger dans son état et qu'une prochaine estocade aurait raison d'elle. Aussi se précipite-t-il sur elle en lui promettant de lui fourrer quelque part son phallus après l'avoir assommée. « Comment l'achever, comment vais-je le terminer ? » Il approche. « Comment conclure ce combat qui n'a déjà que trop duré en ridicule ? » Il est à quelques centimètres, sa masse levée. « Naturellement. Montrons lui pourquoi on m'a surnommé le Dard de Minuit... » Sa métamorphose s'opère en moins de deux secondes. Surpris par cette mue insectoïde, le bandit des steppes amorce un reculons. Sans succès. La poche abdominale qui a germé en lieu et place habituelle de ses fesses libère un long dard charbonneux d'approximativement dix-neuf pouces de long dont elle se sert pour empaler le malotru au ventre. Un bruit de succion nait de cette perforation en sus de la complainte de l'adversaire. Souriante, Midnight retire vivement sa sagaie et laissa choir Five J sur le sol crasseux.
- Si je faisais de l'ironie, je dirais que c'est toi qui a été empalé, dit-elle, reprenant sa forme humaine ce qui ne rend sa conscience de la douleur que plus écœurante. Ça met les choses en perspective sur qui a une phallus, n'est-ce pas ?
Souffrance et borborygmes de l'autre côté. Five J se traine sur le sol et des mains, il tamponne sa blessure pour s'éviter de pisser le sang. Bee le regarde se vider pendant quelques secondes avant que ne débarque un Lieutenant visiblement à sa recherche. Son regard passe de l'effarement à une vive inquiétude. Il fuse sur sa Commandante et l'enveloppe de sa cape, apparemment plus concerné par la quasi nudité de son tronc supérieur que des vilaines blessures dont elle souffre. Une dizaine d'autres Marines déboulent dans la ruelle. « Pourquoi n'avez-vous pas donné l'assaut du centre-ville ? » demande-t-elle d'une voix impérieuse. « Impossible, madame. Vous allez voir ça de vos yeux. Mais avant, nous devons vous amener voir un docteur... »
- Non, la mission d'abord, je veux voir ce qui vous en empêche. Et le docteur peut venir à moi, je crois. Ce n'est pas comme s'il était confortablement installé dans son bureau.
- Amenez à nous le Sergent Reed ou la Lieutenante Illusion si vous la trouvez, ordonne le Lieutenant d’Élite à un sous-officier. Nos deux troupes ont effectué leur jonction, madame et Reich a capturé la Lune Rouge, l'informe-t-il. En plus, le Lt-Col Nerbosc est arrivé au large des côtes. Le déploiement de ses hommes est en cours. Comme prévu, il y a une masse colossale de population civile qui a trouvé refuge à Lazarronne. Près de cent mille selon les rapports préalables.
- Donc toute la ville est à nous, à part le centre-ville ? s'enquiert-t-elle pour être sûre d'avoir compris le topo que lui fait son adjoint. Son Lieutenant la soutient d'abord par un bras pour l'aider à marcher puis ayant vu que ça ne mène à rien, il passe une main derrière ses cuisses et la soulève du sol.
Oooh, mon beau prince charmant ! ironise Bee.
- Soi-gnez. moi. pi-tié.
- Lui, les gars, vous le laissez se vider de son sang. Emmenez-voir ce Cénacle, Lieutenant Raven.
C'est quoi ce chantier ?! bafouille-t-elle quelques minutes plus tard, son œil valide collé contre une longue-vue.
- Tout autour du centre-ville, ils ont disposés des civils à intervalle régulier. Des boucliers de chair.
- Garnis de ceintures d'explosifs ! rage la Commandante. Ce Lavoisier, je vais me le faire !
- Pas en public… dit Loth, le majeur sur le pont de ses lunettes.
Des boucliers humains. Pour tous les observateurs extérieurs, la photographie est surréaliste. Et pourtant, ils sont là, disposés à intervalle régulier, debout, arborant tous différentes expressions allant de l'épouvante absolue à quelque chose qui se rapprocherait plus d'un état pré-comateux, les yeux dans les vagues. Ils forment un cercle parfait autour du Cénacle. Un sous-officier de liaison vient leur confirmer la synthèse des rapports des différentes unités. Tout Jalabert est à eux sauf ce centre-ville. Combien sont-ils là à ceinturer cette portion de la ville à leurs corps défendant ? « Deux cents ! » beugle Midnight après le décompte. Au tour d'elle s'affairent deux médecins dans un réfectoire où les Marines commencent à converger et à transformer en quartier général de crise. De l'ouest à l'est, du nord au sud, ordre est donné de ne rien tenter du tout comme assaut. Les malheureux otages sont équipés de ceintures explosives reliées à des escargophones parfaitement visibles sur leurs torses.
Un seul coup de fil déclencherait alors la bombe et nul ne veut s'y risquer. Parallèlement, tous les civils rescapés principalement dans les quartiers Est et Sud sont en cours d'évacuation suivant les ordres de Bee qui désire plusieurs "secteurs vierges" en cercles concentriques et exempts de civils autour du Cénacle. Elle clame ne désirer aucun importun dans ses pattes. Enfin, à supposer qu'elle en ait encore, des pattes, pense Loth qui grimace à la vue du gros amas de chair sanguinolente que sont devenus ses pieds. Ils sont trempés dans une solution d'alcool et son bras gauche bandé et maintenu par des attelles est inutilisable pour un mois minimum à venir selon Illusion, idem pour son œil gauche qui repose aussi sous de lourds bandages exhalant des effluves de menthe. Loth se note de ne jamais prendre un Reject Dial de plein fouet sous peine de finir comme elle. Et encore, son adversaire largement à sa portée ne l'a atteinte que parce qu'elle s'amusait avec. Ce que font les sœurs Santana quoi...
L'installation du QG, la mise en place des secteurs vierges et le traitement de Bee prennent fin dans la même foulée ce qui leur permet de retourner aux affaires urgentes. Et bien que tous ses médecins lui demandent de passer les rênes au Lt-colonel Nerbosc, Midnight se maintient en place et renvoie Nerbosc sur son cuirassé en lui confiant la mission de superviser le transfert par croiseur des civils vers Jalabert. Dans un secteur plus large, tout autour de Jalabert, elle fait appliquer la loi martiale à l’identique de celle actuellement en cours dans les autres villes. Plus que tout, Bee veut éloigner les journalistes. Le réfectoire est une longue salle parfaitement rectangulaire de près de cinquante mètres de longueur sur moitié moins de largeur bâtie pour accueillir des centaines d'étudiants affamés. La salle comporte quatre rangées de colossales tables et une centaine de chaises qui servent de nouveaux maitres.
Les tables grouillent de cartes, d'armes et autres ; les murs quant à eux sont au fur et à mesure tapissés de photos du Cénacle. Un pan de mur entier est réservé aux photos de chacun des deux cents ou plus boucliers humains qui continuent à être flashés à distance. La dernière table, à l’extrémité droite de la salle, est constellée d'escargophones de toutes sortes. Autour d'eux s'affairent les combinaisons blanches neige des techniciens de la Situation Room de Lavallière venus en renfort. Casques sur les oreilles, des stylos en mains, ils tentent de décrypter les centaines de coups de fils qui passent sur les ondes et d'intercepter ne serait-ce qu'un message bénéfique pour eux. Peut-être Lavoisier contactant un proche à l'extérieur... Fixé sur le manège des ingénieurs escargophonique, Loth sursaute en sentant une piqure dans la cuisse. La cause, Bee armée d'une dague.
- C'est ici que ça se passe, couillon, marmonna-t-elle assise dans un fauteuil roulant, les yeux rivés sur une carte détaillée. Ils ont des snipers sur les toits du Cénacle selon mes guetteurs. Quel que soit le moyen, ils nous verrons arriver de loin. Aucun moyen de percer la barrière humaine sans déclencher un massacre.
- Et les égouts ?
- Tu me prends pour un rookie ? Voici la carte des égouts de la ville, dit-elle en désignant un immense morceau de toile aussi grand qu'une table de billard épinglé au mur où s'entremêlent plusieurs boyaux.
Cette carte date du début d'année. Il y a en tout dix-sept canalisations qui partent des zones périphériques et débouchent sur le centre. Mais...
- Mais, il y a fort à parier que les Autres en gardent ou en ont scellé les entrées. Lavoisier est le maire de cette ville, il doit avoir accès à tout ça.
- Oui, mais je n'ai aussi aucun moyen de savoir si ses hommes couvrent ces égouts à moins d'y envoyer des gens, au risque qu'ils fassent exploser leurs otages. Je vais envoyer des éclaireurs désarmés.
- D'ailleurs, en parlant de ça, j'aimerais connaitre d'emblée votre position. Deux cents personnes, c'est beaucoup et nous ignorons s'il a d'autres otages. Il va y avoir un immonde bain de sang si vous lancez un assaut.
- Pour l'instant, je ne me suis fixée aucun but. Nous ignorons encore moins ce que veut Lavoisier, et c'est à ça que s'emploient mes génies de la Brigade Scientifique. Certains diffusent sur de multiples fréquences un numéro pour que Lavoisier ou quiconque dirige cette entreprise nous contacte, d'autres composent les numéros de service connus d'Ébénézer Oort.
- Oh génial.
- Nous sommes incapables de faire un bilan précis mais on s'y emploie. Et puis ce problème n'est pas seulement le mien, en plus... A VOS RANGS, FIXE !
Alors que Loth se glisse subrepticement de côté mu par le désir de se fondre dans le décor, l'ensemble des Marines du réfectoire se lèvent et se rigidifient en parfaite synchronisation. Même Bee dont les pieds doivent horriblement la supplicier. Avec un masque de placidité, elle accueille les nouveaux entrants que Loth reconnait à son plus grand déplaisir. D'abord vient, emmitouflé dans sa combinaison noire, le Sous-amiral Jared alias "L'étau", commandant de toutes les forces de la Régulière sur North Blue. Il est très grand et le masque de fer qu'il arbore au visage le rend d'autant plus singulier. A sa suite vient celle que le Moine Hérétique appelle son Némésis, Lady Ombeline, de son vrai nom Ombeline Santana, sœur cadette de Bee et Commandante d’Élite également. Une famille de tarée.
D'autres personnalités sont de la partie et parmi elles, le roi de Boréa. Tout le monde se détend quand l'amiral murmure un « Repos ». Ombeline regarde très amusée l'état de sa sœur alors que le roi à côté est médusé et lui demande comment elle peut encore tenir debout. La situation est assez grave et perdure depuis assez longtemps pour nécessiter la venue de grosses pontes. Bee fait un rapport de la situation à son supérieur et aux autres officiers à l’exception d'Ombeline qui n'en a apparemment rien à faire. Son regard se promène sur l'assistance, elle cherche quelqu'un qui aurait dû être là. Loin des griffes des nouveaux, Loth se rend dans le bâtiment annexe où est retenu la Lune Rouge, Phineas Holle. Il est menotté à un menu pilier sous la bonne garde de trois Élites. Il darde un regard haineux sur le Binoclard puis regarde résolument ailleurs.
- Comme vous pouvez le voir, nous ne savons plus où donner de la tête. La faute à Lavoisier, pas à vous. Vos hommes, vos Rouillés, nous les avons défoncés. Pas facilement, surtout pas à La Riviera, je vous l'accorde, mais on les a eu quand même. De l'autre côté, nous n'avons pas tué un seul mercenaire Autre. Et pour ça, je ne peux qu'éprouver du respect pour Lavoisier. Il vous a bien niqué puis a stoppé notre progression sans un seul échange de coup de feu. Je trouve ça, magnifique ! Le grand gagnant pour l'instant, c'est lui, débite-t-il.
Pourquoi vous mordiller les lèvres ? Vous brulez d'envie de me répondre, vous êtes un bouillant impulsif. Allons, votre monde s'écroule, vous avez été les maitres de Boréa, alors soyez bon joueur et parlez-moi. Où est la Lune Jaune ? Je sais que vous faisiez front contre Lavoisier. Qu'aviez-vous préparé comme plan ? Laissez-moi imaginer. Rameuter les Rouillés, tomber sur un Oort sans défense avant qu'il n'ait le temps de disparaitre, le massacrer en plus de quelques civils pour la bonne mesure puis vous tirer vers d'autres cieux ? N'est-ce pas ? Sérieusement ? interroge Loth moqueur en s'accroupissant de sorte à avoir sa figure en face de la sienne.
Pas un seul instant, vous n'aviez pensé que Lavoisier aurait pu vous tendre un piège et escomptait justement cette réaction ? Vous me décevez.
Pour toute réponse, Holle lui crache dessus. Loth évite le glaviot d'une moue de la tête et lui balance un coup de pied dans la face qui lui explose une dent ou deux. « Non mais ! Les droits de l'homme, ça te parle, chérie ? » L'épiderme du Moine se recouvre d'une chair de poule incompréhensible, comme à chaque fois qu'il entend la voix de L'épée du Matin. Malgré ce froid polaire, Ombeline est toujours aussi peu vêtue. Un bustier à dos nu bleu ciel recouvre sa poitrine laissant son abdomen à la merci du vent glacial qui agite le médaillon à l'effigie de la mouette qui orne le piercing de son nombril. Elle porte toujours son chapeau de paille conique même s'il n'est plus affublé des clochettes qui tintinnabulent à chaque pas. Peut-être ces ornements ont-ils agacé Jared. Pour Loth, son sourire est plus froid que les steppes Boréaline. Dans sa main gauche gantée, elle tient son Meitou. « Qu'est-ce que tu regardes ainsi ? On peut se prendre une chambre si tu veux » ajoute-elle en souriant de plus belle. « Autant devenir nécrophile. Y a une chose que je me demande, tu n'as pas de cicatrices visibles ? Vu ta manière de combattre sans cure de ta vie, je t'aurais pensé bardée d'estafilades. »
- Hmmm, je me le demande aussi. J'ai un taux de globules blancs cinq fois supérieurs à celui d'un humain normal, ce qui fait que je me rétablis très vite et mon corps fait la misère aux blessures.
- Ah c'est cool.
- Ouais, plutôt. Sinon, ça va toi ? Pourquoi tu tabassais ce gars ?
- Il m'a craché dessus et ce n'est pas "un gars", c'est l'un des instigateurs de ce bordel.
- Ouais, la Lune Rouge.
- Sinon, tu fais quoi là ? Enfin, rapide votre venue.
- Bof, j'étais dans la zone.
- Pour travail ?
- Ouais, je traque le Transporteur. T'en as déjà entendu parler non ?
- Oui, le livreur de la pègre. Ça fait dix ans que la Marine le cherche et se demande par quel mécanisme il arrive à fournir en armes les pays sous blocus. Tu penses réussir ?
- Avec un coup de chance, par ici, une investigation par là. On garde l'espoir. Sinon, pour en revenir à notre sujet, tu penses que le tabasser lui fera dire où est Ottoh von Bodmann ?
- Je ne sais pas, il m'a l'air d'un gros dur mais à gratter un peu, je pense qu'on devrait arriver à le plier à notre volonté. Malgré les apparences, c'est juste un criminel en col blanc.
- Donc le menu habituel quoi ? Électrocution, noyade, arrachage d'ongles et ces derniers temps. Héhéhé, toi mon vieux, tu vas me dire tout ce que tu sais quand j'en aurais fini avec toi, marmonne Ombeline sous le regard épouvanté de Holle qui ressent comme Loth l'essence de l'aura meurtrière qui émane d'elle.
- Commandante, le Sous-amiral vous demande !
- Petit sursis mon vieux. Allez viens, bigleux.
- Je n'ai aucune envie de m'en mêler.
- Le roi vous mande aussi, monsieur Reich, précise le sergent.
[...]
- Loth Reich... susurre Jared ces petits yeux porcins et froids fixés sur lui.
- Sous-amiral, répond Loth d'une traite. Votre Majesté, nous vous avons demandé de...
- Comment tu veux que je reste à l'écart ! Mon pays vit sa plus grande crise, y a des morts, des boucliers humains Loth ! Tiens, voici l'objet que tu m'as demandé !
- Merci, dit-il en glissant dans sa poche le coffret plat emballé dans du papier cadeau tout en sachant que les autres se demandent de qu'il contient.
Et quid de la Gomme ?
- C'est quoi cette histoire de gomme à la fin ?! demande Bee. Vous en aviez déjà parlé.
- Une petite histoire entre le roi et moi qui n'a rien à faire là.
- Donc, pourquoi tu en parles ? lance Jared.
- Quoi, parce que c'est interdit de bavarder avec mon roi ?
- Tu sembles... agressif. Y a un grief ?
- Je suis parfaitement calme, Sous-amiral. Et c'est la première fois que je vous rencontre,il n'y aucun grief.
- Donc votre inimitié n'a rien à voir avec le fait que j'ai failli capturer votre maitre, il y a deux ans ? L'obligeant à se cacher comme la vermine qu'il est ?
- Ne me faites pas rire, ce ne serait pas convenable dans cette situation. Mon maitre justement m'a appris qu'il y a deux sortes d'hommes dans ce monde. Ceux qui gagnent et ceux qui refont le monde avec des "si". De ce que moi j'ai lu dans la presse, Manshon était un fiasco intégral. Le Gila s'est enfui et vous avez dû composer avec les foudres de vos supérieurs. Enfin, c'est ce que disent les tabloïds. Sinon, le Gila n'est pas une vermine mais un animal à sang froid. Mais si pour vous, un déboire est une victoire, je comprends qu'il y ait votre nom à côté de la définition de médiocrité. Je viens de vérifier dans le dico.
- Un mot de travers, bigleux et je te tranche la gorge, marmonne Ombeline dont la lame tâte de la chair de Loth. Dans ses yeux, la mort.
- Arrière Commandante, ce n'est pas le bon moment. Au moins, il ne nie pas ses liens avec ce criminel.
- Je n'ai plus aucun lien avec le Gila depuis 1625 et si vous prend l'envie de perdre votre temps à le prouver, grand bien vous fasse. Je ne nie pas d'avoir été son élève, j'en suis même très fier. Il m'a permis d'être l'homme que je suis actuellement, le défenseur de la veuve et de l'orphelin. Qu'il soit primé à 85 millions ou qu'il soit l'oncle de l'Impératrice Kiyori ne fait pour moi aucune différence. Heureusement, il n'est pas encore interdit d'admirer des criminels.
- C'est ça, réplique Jared dont l'agacement est palpable à présent. Dans la salle, l’atmosphère semble tout à coup solidifiée.
Nous sommes nombreux à penser que ton manteau d'héroïsme n'est qu'une couverture Reich. Continue à tromper ton monde, mais sache que je t'ai à l'oeil et que le jour où je t'arrêterais avec ton maudit maitre est proche. En coffret intégral. Collector.
- Mouais. Ombeline poursuit le même objectif que vous. M'arrêter pour je ne sais quelle fausse supposition. Elle essaie depuis notre première rencontre. C'était quand déjà, "chérie" ? 1619, c'est ça ? Ouais, quand nous avons ensemble, arrêté Le Boucher des Highlands. Votre objectif est une utopie. Le Gila a un jour dit à propos de ses ennemis : "Laissez-le s'abuser lui-même et sachez qu'un néant de vanité, de fausseté et de futilité sera sa récompense." Oh, et si c'est trop compliqué pour vous, j'en ai un autre plus populaire : "Y a que les tonneaux vides qui font du bruit !"
- MAIS QU'EST-CE QUE VOUS FAITES ALORS QUE MON ROYAUME EST A FEU ET A SANG ?! SOUS-AMIRAL, TROUVEZ-VOUS PLUS IMPORTANT D'ACCUSER UN HONNÊTE CITOYEN QUE DE FAIRE VOTRE DEVOIR ? ET TOI, LOTH, A QUI TU CROIS T'ADRESSER EN CES TERMES ? UN SEUL MOT PLUS HAUT QUE L'AUTRE DE VOTRE PART ET VOUS IREZ TOUS LES DEUX JOUER A QUI-PISSE-LE-PLUS-LOIN LOIN DE BOREA ! tonna le roi qui se lève, indigné.
- Désolé votre majesté, ça ne se reproduira plus, baragouine Loth à qui il demeure un brin de discussion, Jared l'horripilant au plus haut point.
- On se concentre sur l'essentiel, dit ce dernier. Y a pas eu de trace de la Lune Jaune, c'est ça ?
- Non. On suppose qu'il est soit en fuite, soit capturé par Lavoisier durant les échanges entre Rouillés et Autres, répond Bee. Et l'équipe d'éclaireurs de la Sous-lieutenante Potter est revenue bredouille. Leurs rapports indiquent que les égouts ont été scellés et piégés comme on le pensait. Le seul moyen d'entrer dans le Cénacle demeure les airs mais il y a des snipers.
- Non, il ne faut rien tenter d'idiot, l'ordre de l'amirauté est de préserver coûte que coûte la vie des otages, quitte à négocier avec Lavoisier.
- Quoi, on va négocier, monsieur ? s'insurge Ombeline.
- Tu veux faire quoi autrement ? Foncer dans le tas ? En venant ici, j'ai reçu un appel de Marijoa avec un tas de noms qui sont déclarés injoignables. Et ça fuse de partout. Les Van Hallen de Sander, trois filles Abbott, rejetons du Juge du même nom, Les Manners de la famille royale du pays Cendre, Alec Papanoïda fils du Gouverneur de la péninsule aux Murmures, des princes de Saint Uréa, l'héritier de l'Île Ombreuse, un certain Mô Mö Mömô et j'en passe. La liste est longue comme le bras.
- On va négocier et on donnera à Lavoisier tout ce qu'il voudra pour libérer les étudiants, appuie Maximilian d'une voix sans réplique. C'est mon royaume, ma décision.
- Excusez, on a joint Lavoisier ! déclare le chef des Ingénieurs.
Soudain, un silence mortuaire s'abat sur la salle. Tous sont tout ouïe.
- Vous en avez mis du temps à trouver mon numéro.
La voix d'Ébénézer Oort est fidèle à celle que Loth connut. Caverneuse, profonde, portante. Lente de débit avec quelques soupçons naturels de cynisme et de sarcasme.
- On avait du travail sur le bras, vous savez. Déblayer les corps, prendre soin des nôtres et des civils, tout un chantier. Je ne vous apprends rien. Dites, vous voulez pas sortir un peu pour mâter le bazar que vous avez occasionné ?
- Très peu pour moi, merci. Je suis bien au chaud là où je suis. Mais qui parle ? Je m'attendais à parler à Midnight, ou à Reich voir même le roi.
- Je suis Jared, Commandant du G6.
- Le Sous-amiral ? Et ben, je ne pensais pas que j'étais si important. Sinon, c'est au roi que je veux parler. Mes snipers m'ont informé l'avoir vu arriver.
- C'est moi votre interlocuteur.
- Ne jouez pas à ça Jared. Vous ne voulez pas avoir sur le bras le sang des enfants de gens qui peuvent vous faire sauter et vous envoyer en retraite à Amerzone, n'est-ce pas ? Pas après le fiasco de Manshon, vous êtes sur la corde raide. Alors soyez sympa et passez-moi Maximilian Nordin ou je fais exécuter un otage dans les cinq secondes.
- Que voulez-vous Lavoisier ? répond le roi d'une voix crispée mais ferme.
- Oh pour l'instant, je veux à manger. Nous voulons à manger, ça doit faire, trois heures que tout ce festival a commencé, dit-il, chantonnant et amusé. J'ai faim, mes hommes ont faim. Et les petits précieux nobles que je détiens avec moi ont faim également. Tiens viens à moi ma belle, parle à ton roi. Dis-lui comment tu te nommes.
A l'autre bout du combiné, une voix plaintive, apeurée et tremblante. Il lui faut plusieurs secondes pour articuler un mot. Suspendus à ses lèvres, tous attendent de connaître et son identité et les réels desseins de Lavoisier derrière cette mauvaise comédie. Pour sûr il prend son pied. « Jo-jo-jocelyne Snowgrass, j-je-suis, Jocelyne Snowgrass… » finit par baragouiner l'otage en pleurant. Auparavant d'une teinte de lait caillé à cause du stress, le visage de Maximilian devient blême puis totalement exsangue. Il joint ses mains dans une position de prière et ne peut qu'articuler quelques « Tiens bon, Joy, nous... nous allons te sortir de là. » Lavoisier a bien joué son coup, se dit Loth. Appuyer directement là où ça fait mal. Les Snowgrass sont une des plus vieilles familles nobles de Boréa.
Alliés à la famille royale par de multiples mariages, il est de coutume que tous les enfants Snowgrass grandissent comme pupilles à la cour royale. D'après le diminutif que vient de lui donner le roi, il connait cette fille, peut-être a-t-il grandi avec elle. Quand la fille se mit à hurler : « Je vous en prie, votre… », un "BANG" sonore l'interrompt. Presque toute l'assistance sursaute. De l'autre côté du fil, plusieurs exclamations de stupeur, des cris, des pleurs se font entendre. Puis un "Silence" tonitruant les fait taire sur-le-champ. Des larmes silencieuses coulent sur les joues de Maximilian qui tient une main fermement agrippée contre la bouche et l'autre sur l'accotoir de sa chaise de peur de défaillir. Il semble au bord de la nausée. Midnight a la mine sombre, Ombeline a toujours son éternel sourire froid aux lèvres, Jared et Loth sont impassibles. « Elle est morte, oui ! » dit ensuite Lavoisier. On aurait cru qu'il vient de répondre à une devinette. « Mais elle n'a pas souffert. Dommage, les meilleurs partent toujours en premier. Je l'ai eue vous savez, en cours de chimie dès sa première année. Une élève brillante, toujours joyeuse... »
- MAIS QUE FICHEZ-VOUS ?! aboie Midnight alors que Maximilian se précipite hors du réfectoire pour vomir.
- Oh Commandante Bee. Baissez d'un ton où j'exécute juste un otage pour vous montrer que je ne plaisante pas !
- Les otages n'ont de valeur que vivants !
- Et j'en ai plus de trois cent. Oui, plus de trois cent ma petite dame ! Alors vous n'allez pas jouer aux plus malins avec moi au ça va vite devenir un énorme massacre ! Snowgrass, c'était juste un coup de semonce. Je détiens les bambins de ceux qui tirent les ficelles dans ce monde, ils sont tous là, à ma merci. J'ai eu le temps -avant la bête attaque de mes ex-camarades Lunes- de sélectionner et de kidnapper ceux qui me garantiraient que vous... Comment disent les jeunes de nos jours déjà ? Odin ?
- Qu'ils vont rester en iench ? répond une voix provenant de l'escargophone.
- C'est ça ! Vous allez demeurer en chien ! Alors soyez tous des bons chiens et rapportez moi quelques os. De la nourriture, pour soixante personnes. De la bonne bouffe, j'entends. Ce serait ridicule de vouloir m'atteindre en empoisonnant cette nourriture alors que j'ai de si distingués goûteurs à ma portée. Dites-leur que vous serez ma goûteuse attitrée, Miss Laetilian Nordin.
- Une cousine germaine du roi, pense Loth.
- Et c'est tout ce que vous voulez ? s'enquiert Bee d'une voix tremblante de rage.
- Bien sûr que non. Ma porte de sortie, je la veux aussi, bien entendu.
- Et vous espérez vraiment qu'on vous laissera partir ?
- Allons, vous aboyez mieux que ça, Bee. Vous danseriez en tutu rouge si je vous l'ordonnais, parce que vos petites oreilles et celles de votre Sous-amiral de supérieur sont saturées de pressions de l'extérieur. Vous sous-estimez à quels points les nobles chérissent leurs enfants. Si c'étaient des roturiers, cet endroit serait déjà une hécatombe. Je vous en prie, je veux un livreur spécial qui m'apportera la nourriture. Phineas Holle. Je sais que vous l'avez sous bonne garde. Vous avez une demi-heure.
Un seul coup de fil déclencherait alors la bombe et nul ne veut s'y risquer. Parallèlement, tous les civils rescapés principalement dans les quartiers Est et Sud sont en cours d'évacuation suivant les ordres de Bee qui désire plusieurs "secteurs vierges" en cercles concentriques et exempts de civils autour du Cénacle. Elle clame ne désirer aucun importun dans ses pattes. Enfin, à supposer qu'elle en ait encore, des pattes, pense Loth qui grimace à la vue du gros amas de chair sanguinolente que sont devenus ses pieds. Ils sont trempés dans une solution d'alcool et son bras gauche bandé et maintenu par des attelles est inutilisable pour un mois minimum à venir selon Illusion, idem pour son œil gauche qui repose aussi sous de lourds bandages exhalant des effluves de menthe. Loth se note de ne jamais prendre un Reject Dial de plein fouet sous peine de finir comme elle. Et encore, son adversaire largement à sa portée ne l'a atteinte que parce qu'elle s'amusait avec. Ce que font les sœurs Santana quoi...
L'installation du QG, la mise en place des secteurs vierges et le traitement de Bee prennent fin dans la même foulée ce qui leur permet de retourner aux affaires urgentes. Et bien que tous ses médecins lui demandent de passer les rênes au Lt-colonel Nerbosc, Midnight se maintient en place et renvoie Nerbosc sur son cuirassé en lui confiant la mission de superviser le transfert par croiseur des civils vers Jalabert. Dans un secteur plus large, tout autour de Jalabert, elle fait appliquer la loi martiale à l’identique de celle actuellement en cours dans les autres villes. Plus que tout, Bee veut éloigner les journalistes. Le réfectoire est une longue salle parfaitement rectangulaire de près de cinquante mètres de longueur sur moitié moins de largeur bâtie pour accueillir des centaines d'étudiants affamés. La salle comporte quatre rangées de colossales tables et une centaine de chaises qui servent de nouveaux maitres.
Les tables grouillent de cartes, d'armes et autres ; les murs quant à eux sont au fur et à mesure tapissés de photos du Cénacle. Un pan de mur entier est réservé aux photos de chacun des deux cents ou plus boucliers humains qui continuent à être flashés à distance. La dernière table, à l’extrémité droite de la salle, est constellée d'escargophones de toutes sortes. Autour d'eux s'affairent les combinaisons blanches neige des techniciens de la Situation Room de Lavallière venus en renfort. Casques sur les oreilles, des stylos en mains, ils tentent de décrypter les centaines de coups de fils qui passent sur les ondes et d'intercepter ne serait-ce qu'un message bénéfique pour eux. Peut-être Lavoisier contactant un proche à l'extérieur... Fixé sur le manège des ingénieurs escargophonique, Loth sursaute en sentant une piqure dans la cuisse. La cause, Bee armée d'une dague.
- C'est ici que ça se passe, couillon, marmonna-t-elle assise dans un fauteuil roulant, les yeux rivés sur une carte détaillée. Ils ont des snipers sur les toits du Cénacle selon mes guetteurs. Quel que soit le moyen, ils nous verrons arriver de loin. Aucun moyen de percer la barrière humaine sans déclencher un massacre.
- Et les égouts ?
- Tu me prends pour un rookie ? Voici la carte des égouts de la ville, dit-elle en désignant un immense morceau de toile aussi grand qu'une table de billard épinglé au mur où s'entremêlent plusieurs boyaux.
Cette carte date du début d'année. Il y a en tout dix-sept canalisations qui partent des zones périphériques et débouchent sur le centre. Mais...
- Mais, il y a fort à parier que les Autres en gardent ou en ont scellé les entrées. Lavoisier est le maire de cette ville, il doit avoir accès à tout ça.
- Oui, mais je n'ai aussi aucun moyen de savoir si ses hommes couvrent ces égouts à moins d'y envoyer des gens, au risque qu'ils fassent exploser leurs otages. Je vais envoyer des éclaireurs désarmés.
- D'ailleurs, en parlant de ça, j'aimerais connaitre d'emblée votre position. Deux cents personnes, c'est beaucoup et nous ignorons s'il a d'autres otages. Il va y avoir un immonde bain de sang si vous lancez un assaut.
- Pour l'instant, je ne me suis fixée aucun but. Nous ignorons encore moins ce que veut Lavoisier, et c'est à ça que s'emploient mes génies de la Brigade Scientifique. Certains diffusent sur de multiples fréquences un numéro pour que Lavoisier ou quiconque dirige cette entreprise nous contacte, d'autres composent les numéros de service connus d'Ébénézer Oort.
- Oh génial.
- Nous sommes incapables de faire un bilan précis mais on s'y emploie. Et puis ce problème n'est pas seulement le mien, en plus... A VOS RANGS, FIXE !
Alors que Loth se glisse subrepticement de côté mu par le désir de se fondre dans le décor, l'ensemble des Marines du réfectoire se lèvent et se rigidifient en parfaite synchronisation. Même Bee dont les pieds doivent horriblement la supplicier. Avec un masque de placidité, elle accueille les nouveaux entrants que Loth reconnait à son plus grand déplaisir. D'abord vient, emmitouflé dans sa combinaison noire, le Sous-amiral Jared alias "L'étau", commandant de toutes les forces de la Régulière sur North Blue. Il est très grand et le masque de fer qu'il arbore au visage le rend d'autant plus singulier. A sa suite vient celle que le Moine Hérétique appelle son Némésis, Lady Ombeline, de son vrai nom Ombeline Santana, sœur cadette de Bee et Commandante d’Élite également. Une famille de tarée.
D'autres personnalités sont de la partie et parmi elles, le roi de Boréa. Tout le monde se détend quand l'amiral murmure un « Repos ». Ombeline regarde très amusée l'état de sa sœur alors que le roi à côté est médusé et lui demande comment elle peut encore tenir debout. La situation est assez grave et perdure depuis assez longtemps pour nécessiter la venue de grosses pontes. Bee fait un rapport de la situation à son supérieur et aux autres officiers à l’exception d'Ombeline qui n'en a apparemment rien à faire. Son regard se promène sur l'assistance, elle cherche quelqu'un qui aurait dû être là. Loin des griffes des nouveaux, Loth se rend dans le bâtiment annexe où est retenu la Lune Rouge, Phineas Holle. Il est menotté à un menu pilier sous la bonne garde de trois Élites. Il darde un regard haineux sur le Binoclard puis regarde résolument ailleurs.
- Comme vous pouvez le voir, nous ne savons plus où donner de la tête. La faute à Lavoisier, pas à vous. Vos hommes, vos Rouillés, nous les avons défoncés. Pas facilement, surtout pas à La Riviera, je vous l'accorde, mais on les a eu quand même. De l'autre côté, nous n'avons pas tué un seul mercenaire Autre. Et pour ça, je ne peux qu'éprouver du respect pour Lavoisier. Il vous a bien niqué puis a stoppé notre progression sans un seul échange de coup de feu. Je trouve ça, magnifique ! Le grand gagnant pour l'instant, c'est lui, débite-t-il.
Pourquoi vous mordiller les lèvres ? Vous brulez d'envie de me répondre, vous êtes un bouillant impulsif. Allons, votre monde s'écroule, vous avez été les maitres de Boréa, alors soyez bon joueur et parlez-moi. Où est la Lune Jaune ? Je sais que vous faisiez front contre Lavoisier. Qu'aviez-vous préparé comme plan ? Laissez-moi imaginer. Rameuter les Rouillés, tomber sur un Oort sans défense avant qu'il n'ait le temps de disparaitre, le massacrer en plus de quelques civils pour la bonne mesure puis vous tirer vers d'autres cieux ? N'est-ce pas ? Sérieusement ? interroge Loth moqueur en s'accroupissant de sorte à avoir sa figure en face de la sienne.
Pas un seul instant, vous n'aviez pensé que Lavoisier aurait pu vous tendre un piège et escomptait justement cette réaction ? Vous me décevez.
Pour toute réponse, Holle lui crache dessus. Loth évite le glaviot d'une moue de la tête et lui balance un coup de pied dans la face qui lui explose une dent ou deux. « Non mais ! Les droits de l'homme, ça te parle, chérie ? » L'épiderme du Moine se recouvre d'une chair de poule incompréhensible, comme à chaque fois qu'il entend la voix de L'épée du Matin. Malgré ce froid polaire, Ombeline est toujours aussi peu vêtue. Un bustier à dos nu bleu ciel recouvre sa poitrine laissant son abdomen à la merci du vent glacial qui agite le médaillon à l'effigie de la mouette qui orne le piercing de son nombril. Elle porte toujours son chapeau de paille conique même s'il n'est plus affublé des clochettes qui tintinnabulent à chaque pas. Peut-être ces ornements ont-ils agacé Jared. Pour Loth, son sourire est plus froid que les steppes Boréaline. Dans sa main gauche gantée, elle tient son Meitou. « Qu'est-ce que tu regardes ainsi ? On peut se prendre une chambre si tu veux » ajoute-elle en souriant de plus belle. « Autant devenir nécrophile. Y a une chose que je me demande, tu n'as pas de cicatrices visibles ? Vu ta manière de combattre sans cure de ta vie, je t'aurais pensé bardée d'estafilades. »
- Hmmm, je me le demande aussi. J'ai un taux de globules blancs cinq fois supérieurs à celui d'un humain normal, ce qui fait que je me rétablis très vite et mon corps fait la misère aux blessures.
- Ah c'est cool.
- Ouais, plutôt. Sinon, ça va toi ? Pourquoi tu tabassais ce gars ?
- Il m'a craché dessus et ce n'est pas "un gars", c'est l'un des instigateurs de ce bordel.
- Ouais, la Lune Rouge.
- Sinon, tu fais quoi là ? Enfin, rapide votre venue.
- Bof, j'étais dans la zone.
- Pour travail ?
- Ouais, je traque le Transporteur. T'en as déjà entendu parler non ?
- Oui, le livreur de la pègre. Ça fait dix ans que la Marine le cherche et se demande par quel mécanisme il arrive à fournir en armes les pays sous blocus. Tu penses réussir ?
- Avec un coup de chance, par ici, une investigation par là. On garde l'espoir. Sinon, pour en revenir à notre sujet, tu penses que le tabasser lui fera dire où est Ottoh von Bodmann ?
- Je ne sais pas, il m'a l'air d'un gros dur mais à gratter un peu, je pense qu'on devrait arriver à le plier à notre volonté. Malgré les apparences, c'est juste un criminel en col blanc.
- Donc le menu habituel quoi ? Électrocution, noyade, arrachage d'ongles et ces derniers temps. Héhéhé, toi mon vieux, tu vas me dire tout ce que tu sais quand j'en aurais fini avec toi, marmonne Ombeline sous le regard épouvanté de Holle qui ressent comme Loth l'essence de l'aura meurtrière qui émane d'elle.
- Commandante, le Sous-amiral vous demande !
- Petit sursis mon vieux. Allez viens, bigleux.
- Je n'ai aucune envie de m'en mêler.
- Le roi vous mande aussi, monsieur Reich, précise le sergent.
[...]
- Loth Reich... susurre Jared ces petits yeux porcins et froids fixés sur lui.
- Sous-amiral, répond Loth d'une traite. Votre Majesté, nous vous avons demandé de...
- Comment tu veux que je reste à l'écart ! Mon pays vit sa plus grande crise, y a des morts, des boucliers humains Loth ! Tiens, voici l'objet que tu m'as demandé !
- Merci, dit-il en glissant dans sa poche le coffret plat emballé dans du papier cadeau tout en sachant que les autres se demandent de qu'il contient.
Et quid de la Gomme ?
- C'est quoi cette histoire de gomme à la fin ?! demande Bee. Vous en aviez déjà parlé.
- Une petite histoire entre le roi et moi qui n'a rien à faire là.
- Donc, pourquoi tu en parles ? lance Jared.
- Quoi, parce que c'est interdit de bavarder avec mon roi ?
- Tu sembles... agressif. Y a un grief ?
- Je suis parfaitement calme, Sous-amiral. Et c'est la première fois que je vous rencontre,il n'y aucun grief.
- Donc votre inimitié n'a rien à voir avec le fait que j'ai failli capturer votre maitre, il y a deux ans ? L'obligeant à se cacher comme la vermine qu'il est ?
- Ne me faites pas rire, ce ne serait pas convenable dans cette situation. Mon maitre justement m'a appris qu'il y a deux sortes d'hommes dans ce monde. Ceux qui gagnent et ceux qui refont le monde avec des "si". De ce que moi j'ai lu dans la presse, Manshon était un fiasco intégral. Le Gila s'est enfui et vous avez dû composer avec les foudres de vos supérieurs. Enfin, c'est ce que disent les tabloïds. Sinon, le Gila n'est pas une vermine mais un animal à sang froid. Mais si pour vous, un déboire est une victoire, je comprends qu'il y ait votre nom à côté de la définition de médiocrité. Je viens de vérifier dans le dico.
- Un mot de travers, bigleux et je te tranche la gorge, marmonne Ombeline dont la lame tâte de la chair de Loth. Dans ses yeux, la mort.
- Arrière Commandante, ce n'est pas le bon moment. Au moins, il ne nie pas ses liens avec ce criminel.
- Je n'ai plus aucun lien avec le Gila depuis 1625 et si vous prend l'envie de perdre votre temps à le prouver, grand bien vous fasse. Je ne nie pas d'avoir été son élève, j'en suis même très fier. Il m'a permis d'être l'homme que je suis actuellement, le défenseur de la veuve et de l'orphelin. Qu'il soit primé à 85 millions ou qu'il soit l'oncle de l'Impératrice Kiyori ne fait pour moi aucune différence. Heureusement, il n'est pas encore interdit d'admirer des criminels.
- C'est ça, réplique Jared dont l'agacement est palpable à présent. Dans la salle, l’atmosphère semble tout à coup solidifiée.
Nous sommes nombreux à penser que ton manteau d'héroïsme n'est qu'une couverture Reich. Continue à tromper ton monde, mais sache que je t'ai à l'oeil et que le jour où je t'arrêterais avec ton maudit maitre est proche. En coffret intégral. Collector.
- Mouais. Ombeline poursuit le même objectif que vous. M'arrêter pour je ne sais quelle fausse supposition. Elle essaie depuis notre première rencontre. C'était quand déjà, "chérie" ? 1619, c'est ça ? Ouais, quand nous avons ensemble, arrêté Le Boucher des Highlands. Votre objectif est une utopie. Le Gila a un jour dit à propos de ses ennemis : "Laissez-le s'abuser lui-même et sachez qu'un néant de vanité, de fausseté et de futilité sera sa récompense." Oh, et si c'est trop compliqué pour vous, j'en ai un autre plus populaire : "Y a que les tonneaux vides qui font du bruit !"
- MAIS QU'EST-CE QUE VOUS FAITES ALORS QUE MON ROYAUME EST A FEU ET A SANG ?! SOUS-AMIRAL, TROUVEZ-VOUS PLUS IMPORTANT D'ACCUSER UN HONNÊTE CITOYEN QUE DE FAIRE VOTRE DEVOIR ? ET TOI, LOTH, A QUI TU CROIS T'ADRESSER EN CES TERMES ? UN SEUL MOT PLUS HAUT QUE L'AUTRE DE VOTRE PART ET VOUS IREZ TOUS LES DEUX JOUER A QUI-PISSE-LE-PLUS-LOIN LOIN DE BOREA ! tonna le roi qui se lève, indigné.
- Désolé votre majesté, ça ne se reproduira plus, baragouine Loth à qui il demeure un brin de discussion, Jared l'horripilant au plus haut point.
- On se concentre sur l'essentiel, dit ce dernier. Y a pas eu de trace de la Lune Jaune, c'est ça ?
- Non. On suppose qu'il est soit en fuite, soit capturé par Lavoisier durant les échanges entre Rouillés et Autres, répond Bee. Et l'équipe d'éclaireurs de la Sous-lieutenante Potter est revenue bredouille. Leurs rapports indiquent que les égouts ont été scellés et piégés comme on le pensait. Le seul moyen d'entrer dans le Cénacle demeure les airs mais il y a des snipers.
- Non, il ne faut rien tenter d'idiot, l'ordre de l'amirauté est de préserver coûte que coûte la vie des otages, quitte à négocier avec Lavoisier.
- Quoi, on va négocier, monsieur ? s'insurge Ombeline.
- Tu veux faire quoi autrement ? Foncer dans le tas ? En venant ici, j'ai reçu un appel de Marijoa avec un tas de noms qui sont déclarés injoignables. Et ça fuse de partout. Les Van Hallen de Sander, trois filles Abbott, rejetons du Juge du même nom, Les Manners de la famille royale du pays Cendre, Alec Papanoïda fils du Gouverneur de la péninsule aux Murmures, des princes de Saint Uréa, l'héritier de l'Île Ombreuse, un certain Mô Mö Mömô et j'en passe. La liste est longue comme le bras.
- On va négocier et on donnera à Lavoisier tout ce qu'il voudra pour libérer les étudiants, appuie Maximilian d'une voix sans réplique. C'est mon royaume, ma décision.
- Excusez, on a joint Lavoisier ! déclare le chef des Ingénieurs.
Soudain, un silence mortuaire s'abat sur la salle. Tous sont tout ouïe.
- Vous en avez mis du temps à trouver mon numéro.
La voix d'Ébénézer Oort est fidèle à celle que Loth connut. Caverneuse, profonde, portante. Lente de débit avec quelques soupçons naturels de cynisme et de sarcasme.
- On avait du travail sur le bras, vous savez. Déblayer les corps, prendre soin des nôtres et des civils, tout un chantier. Je ne vous apprends rien. Dites, vous voulez pas sortir un peu pour mâter le bazar que vous avez occasionné ?
- Très peu pour moi, merci. Je suis bien au chaud là où je suis. Mais qui parle ? Je m'attendais à parler à Midnight, ou à Reich voir même le roi.
- Je suis Jared, Commandant du G6.
- Le Sous-amiral ? Et ben, je ne pensais pas que j'étais si important. Sinon, c'est au roi que je veux parler. Mes snipers m'ont informé l'avoir vu arriver.
- C'est moi votre interlocuteur.
- Ne jouez pas à ça Jared. Vous ne voulez pas avoir sur le bras le sang des enfants de gens qui peuvent vous faire sauter et vous envoyer en retraite à Amerzone, n'est-ce pas ? Pas après le fiasco de Manshon, vous êtes sur la corde raide. Alors soyez sympa et passez-moi Maximilian Nordin ou je fais exécuter un otage dans les cinq secondes.
- Que voulez-vous Lavoisier ? répond le roi d'une voix crispée mais ferme.
- Oh pour l'instant, je veux à manger. Nous voulons à manger, ça doit faire, trois heures que tout ce festival a commencé, dit-il, chantonnant et amusé. J'ai faim, mes hommes ont faim. Et les petits précieux nobles que je détiens avec moi ont faim également. Tiens viens à moi ma belle, parle à ton roi. Dis-lui comment tu te nommes.
A l'autre bout du combiné, une voix plaintive, apeurée et tremblante. Il lui faut plusieurs secondes pour articuler un mot. Suspendus à ses lèvres, tous attendent de connaître et son identité et les réels desseins de Lavoisier derrière cette mauvaise comédie. Pour sûr il prend son pied. « Jo-jo-jocelyne Snowgrass, j-je-suis, Jocelyne Snowgrass… » finit par baragouiner l'otage en pleurant. Auparavant d'une teinte de lait caillé à cause du stress, le visage de Maximilian devient blême puis totalement exsangue. Il joint ses mains dans une position de prière et ne peut qu'articuler quelques « Tiens bon, Joy, nous... nous allons te sortir de là. » Lavoisier a bien joué son coup, se dit Loth. Appuyer directement là où ça fait mal. Les Snowgrass sont une des plus vieilles familles nobles de Boréa.
Alliés à la famille royale par de multiples mariages, il est de coutume que tous les enfants Snowgrass grandissent comme pupilles à la cour royale. D'après le diminutif que vient de lui donner le roi, il connait cette fille, peut-être a-t-il grandi avec elle. Quand la fille se mit à hurler : « Je vous en prie, votre… », un "BANG" sonore l'interrompt. Presque toute l'assistance sursaute. De l'autre côté du fil, plusieurs exclamations de stupeur, des cris, des pleurs se font entendre. Puis un "Silence" tonitruant les fait taire sur-le-champ. Des larmes silencieuses coulent sur les joues de Maximilian qui tient une main fermement agrippée contre la bouche et l'autre sur l'accotoir de sa chaise de peur de défaillir. Il semble au bord de la nausée. Midnight a la mine sombre, Ombeline a toujours son éternel sourire froid aux lèvres, Jared et Loth sont impassibles. « Elle est morte, oui ! » dit ensuite Lavoisier. On aurait cru qu'il vient de répondre à une devinette. « Mais elle n'a pas souffert. Dommage, les meilleurs partent toujours en premier. Je l'ai eue vous savez, en cours de chimie dès sa première année. Une élève brillante, toujours joyeuse... »
- MAIS QUE FICHEZ-VOUS ?! aboie Midnight alors que Maximilian se précipite hors du réfectoire pour vomir.
- Oh Commandante Bee. Baissez d'un ton où j'exécute juste un otage pour vous montrer que je ne plaisante pas !
- Les otages n'ont de valeur que vivants !
- Et j'en ai plus de trois cent. Oui, plus de trois cent ma petite dame ! Alors vous n'allez pas jouer aux plus malins avec moi au ça va vite devenir un énorme massacre ! Snowgrass, c'était juste un coup de semonce. Je détiens les bambins de ceux qui tirent les ficelles dans ce monde, ils sont tous là, à ma merci. J'ai eu le temps -avant la bête attaque de mes ex-camarades Lunes- de sélectionner et de kidnapper ceux qui me garantiraient que vous... Comment disent les jeunes de nos jours déjà ? Odin ?
- Qu'ils vont rester en iench ? répond une voix provenant de l'escargophone.
- C'est ça ! Vous allez demeurer en chien ! Alors soyez tous des bons chiens et rapportez moi quelques os. De la nourriture, pour soixante personnes. De la bonne bouffe, j'entends. Ce serait ridicule de vouloir m'atteindre en empoisonnant cette nourriture alors que j'ai de si distingués goûteurs à ma portée. Dites-leur que vous serez ma goûteuse attitrée, Miss Laetilian Nordin.
- Une cousine germaine du roi, pense Loth.
- Et c'est tout ce que vous voulez ? s'enquiert Bee d'une voix tremblante de rage.
- Bien sûr que non. Ma porte de sortie, je la veux aussi, bien entendu.
- Et vous espérez vraiment qu'on vous laissera partir ?
- Allons, vous aboyez mieux que ça, Bee. Vous danseriez en tutu rouge si je vous l'ordonnais, parce que vos petites oreilles et celles de votre Sous-amiral de supérieur sont saturées de pressions de l'extérieur. Vous sous-estimez à quels points les nobles chérissent leurs enfants. Si c'étaient des roturiers, cet endroit serait déjà une hécatombe. Je vous en prie, je veux un livreur spécial qui m'apportera la nourriture. Phineas Holle. Je sais que vous l'avez sous bonne garde. Vous avez une demi-heure.
Dès que raccroche Lavoisier, des sous-officiers se ruent hors du réfectoire vers les cuisines improvisées des troupes pour préparer la commande. Les officiers présents sont dépités. Loth qui tire une tête sans émotion comme d'habitude et sa Némésis a son éternel rictus sur les lèvres. Le choc de l'exécution démonstrative de l'otage atténué, ils se remettent au travail, continuant à chercher des failles dans le système Lavoisier. Mais à part dégoter un être invisible et volant ou un individu à même de se téléporter, tous semblent suspendus aux humeurs du parrain. Et ce sera ainsi tant que l'option militaire sera exclue. Mais même pour Jared qui subit les pressions extérieures, une chose est claire : Lavoisier s'amuse avec eux. Aella avait averti Loth, Oort n'en a que cure de sa vie. Il a accepté sa situation et en a tiré une puissante envie de vengeance. Tout son cinéma, c'est juste pour s'égailler et mourir au sommet d'une montagne de cadavres. Jared et ses commandantes s'en sont rendus compte dans les échanges et les moins enclins d'entre eux à une intervention commencent à changer d'avis. Intérieurement, Loth jure et regrette la rétention de son amie Émeline à Carcinomia. Elle a récemment acquis le très utile pouvoir du fruit de la Cartographie... Une cartographie complète de Jalabert... le rêve absolu en cet instant. Phineas Holle est trainé devant Jared.
- C'est donc lui l'énergumène qu'il réclame ?
- Oui, monsieur.
- V-vous ferez une grave erreur en me donnant à lui.
- Et pourquoi ?
- Il va me tuer ! C'est ce qu'il veut !
- Et ?
- ...
- C'est soit ton immonde gueule, soit celle d'un étudiant. Tu penses qu'il y a photo ? dit Jared.
- Non, faites pas ça. Je vaux plus que ça !
- Quoi, t'as des infos ? s'enquiert Bee.
- Oui, oui, marmonne rapidement Holle qui a perdu de sa superbe depuis. J'étais le super ministre de l'énergie des ombres, je connais tous les ripoux dans l'administration, tous ceux qui ont détourné des milliards pendant deux décennies. Ils sont encore là dehoooo..BOOOUUUAAAAAAUH !
- Elle parle d'infos utiles pour sauver des vies, là maintenant, ducon ! coupe Ombeline qui interrompt la Lune Rouge d'un coup de pied. Ton marchandage aurait eu plus de valeur en temps de paix. Alors t'as une info qu'on n'a pas, oui ou non ?
- I-il détient déjà la Lune J-Jaune.
- Et c'est ça ton scoop ?
- Emmenez-le et préparez le pour la livraison, ordonne Jared.
- Noooon, attendez ! Je peux donner plus ! Y-y a... Odin ! C'est un certain Odin qui-qui dirige les Autres ici.
- Encore une autre info inutile. Odin, primé à 110 millions de Berry, Général commandant de la Compagnie Asgard des Autres. Sa flotte a été signalée au passage de Reverse de South Blue en mars 1626, débite Midnight d'une voix monocorde.
- Et on vient de l'entendre là. Il nous a dit de "rester en iench", compléte sa sœur. Allez, évacuez-moi ça, sergent, on va l'envoyer à son vieil ami plus tard.
- NOOOOOOOOOOOOOOON !
- Pour peu, il me ferait presque pitié. Sinon, Loth, une idée ? T'as plus bronché depuis un moment, constate Bee qui semble avoir abandonné le ton goguenard et sarcastique qu'elle lui réserve habituellement.
- Non, aucune idée, dit-il. Je suis sur la même longueur d'onde que vous.
- Peuh, n'insulte pas mon intelligence. Tu n'es jamais sur la longueur d'onde de quelqu'un et constamment, tu calcules. Lavoisier désire vengeance mais rien ne t'a paru bizarre dans son appel ?
- Ah part le fait qu'il tue de sang froid ?
- Il n'a pas énoncé ton nom. Pas une seule fois. Quand on s'est vu ce matin, t'as insisté sur le désir corrosif de vengeance qui le ronge. S'il en veut à ses camarades pour ne pas l'avoir soutenu dans l'adversité, il doit t'en vouloir encore plus. Et là, rien. Pas un mot sur toi. Il aurait pu demander à ce que t’apporte la bouffe.
- Oh non, il sait que je ne suis pas votre prisonnier et que je n'ai aucunement l'intention de me sacrifier pour protéger des vies. Je ne suis qu'un freelance. C'est vous autres qui avez prêté ce serment. Il sait aussi que je cherche à le neutraliser et c'est inutile de courir après moi. Je viendrais à lui.
- Ce qui veut dire ?
- Quand j'aurai trouvé une faille dans la muraille humaine, je vous en informerais. Là, je vais marcher pour m'aérer l'esprit, ça m'aide à me concentrer.
Laissant les Marines à leurs tribulations, Loth se laisse machinalement porter par ses pieds et déambule dans la Batture en direction de la Cordelette. A quoi sert de calculer si tous les scénarios tombent dans l'impasse et l'horreur ? Lavoisier a également omis de préciser qu'à la moindre tentative, il ferait sauter les charges des boucliers. Mais nul n'a été assez aventureux pour émettre l'hypothèse que les ceintures d'explosifs qu'ils portent sont factices. Alors comment faire pour surprendre un homme au milieu d'une marée de victimes sous contrôle sans oublier qu'il a une armée professionnelle qui le défendra envers et contre tout ? A combien s'élèvent le nombre des Autres ? Il a demandé de la nourriture pour soixante personne mais ça ne veut pas dire grand chose. Comment neutraliser les Autres alors qu'ils sont surement éparpillés dans tout le Cénacle ? Un hic et tout peut sauter. Comment ? Loth n'obtient aucune réponse et chaque expérience de pensée pour contrôler le scénario de la prise d'otage se solde par un échec sanglant. La seule solution viable étant de tous les neutraliser, Lavoisier et ses Autres en même temps. Pour que personne n'actionne d'explosifs mais ça, c'est encore du domaine de l'impossible. Tout le long de l'année 1626, à chaque fois qu'il démantelait une part d'Ashura, Lavoisier faisait soit l'erreur de le sous-estimer (au début) soit il en faisait une grossière qui permettait à Loth d'avancer à grand pas.
A force, il finit mésestimer Lavoisier et par croire que le véritable Boss d'Ashura c'était Aella Madoff et avec raison. Mais la Lune Bleue n'a joint l'organisation que cinq ans après sa création et même si son impact fut décisif, Lavoisier menait déjà la barque avant. Le visage actuel est celui du "vrai" Lavoisier, planificateur, calculateur, d'une logique froide et cruelle. Le type gauche, coléreux, imbu de lui-même et se complaisant dans sa folie n'était que le fruit de la suprématie d'Ashura dans son secteur d'activité. A force de se reposer sur ses lauriers, Lavoisier tel un individu manquant de sport mais se goinfrant à longueur de journée, était devenu obèse de suffisance. La raclée graduelle que lui infligea Loth le remit sur pied et lui permis -malheureusement- de retrouver de sa superbe. C'est ainsi qu'il a pu monter ce plan. Mais le Moine Hérétique ne puis s'empêcher de se demander si tout ceci rime vraiment à quelque chose ? Lavoisier a-t-il vraiment l'intention de finir sa vie ici ? La conclusion semble logique vu ses exactions et les forces en présence. Il n'a aucun marge de fuite alors comment compte-t-il tirer son épingle du jeu ? Quel coup tordu a-t-il prévu ? Les méninges de Loth fonctionnent à plein régime, tellement qu'il finit par rentrer dans quelqu'un.
- Désolé, je ne vous ai pas vu... Sous-lieutenante Potter. Mais putain qu'est-ce que tu fous ici ? susurre Loth en reconnaissant Avada Kédavra, le meilleur sniper des Blues derrière l'écharpe qui masque le visage du Marine. Depuis la mi-1626, l'androgyne a une sorte de contrat prolongé avec Loth.
- Qu'est-ce qui t'étonne ? On est revenu de Carci' ensemble, tu pensais que j'allais rater une bagarre comme celle-là ?
- Ce n'est pas bon, il y a Ombeline ici, en plus de Jared sans oublier Midnight. Tous veulent ma peau, ce n'est pas le moment de bavasser dans une ruelle avec toi.
- Pourquoi pas ? Je suis Sous-lieutenante de Marine, matricule 1478/Charlie/0056/Mango.
- Tu te fous de moi, tu as une couverture de Marine ?
- Une identité Marine, oui. Mais je suis réserviste à cause de "problèmes de santé". Je sers un mois par an environ. Depuis que j'ai commencé à travailler avec toi, je me suis faite muter à Boréa puis j'ai pris un congé maladie. Donc relax, ta Ombeline peut venir.
- J'hallucine... Ouais, non, il ne vaut mieux pas pour le monde qu'elle et toi vous vous retrouviez au même endroit. Trop de cinglées au centimètre carré. Alors, tu as quelque chose pour moi ?
- Comme une faiblesse au cordon humain ? Non. C'est de l'excellent boulot et j'ai dirigé l'équipe d'éclaireurs. Là aussi c'est parfait comme travail. Ce sont les Autres après tout. Ils assurent.
- Non, je parlais de la mission que je t'ai confiée quand nous avons quitté Carcinomia ! As-tu retrouvé Wilhelmina ?
- Plus ou moins. Selon mes informateurs -et les coupures de presse- l'équipage des Twin Bones Pirates a été aperçu au large d'Endaur la semaine passée.
- South Blue ?! Mais non, putain, mais qu'ils aillent se faire ! Ce sont des pirates de North Blue !
- Les pirates n'ont de domicile que l'océan, binocle.
- Tu te rends compte que nous n'avons que cinq jours avant le mariage d'Emeline qui doit être empêché ? Et que durant ce laps de temps, je dois non seulement ramener Wilhelmina à Carci mais aussi trouver Leonid Norman pour payer ma dette à la Grenouille ? Et tout ça après avoir résolu cet enfer ?
- Tu es un homme occupé... Et où se trouve le Frelon ?
- Leonid est sur South Blue...
- Haha, l'ironie ! Pourquoi tu rages alors, on fera d'une pierre deux coups. On trouve la Baronne Rouge Wilhelmina, on sort Leonid de sa prison et on fait voile vers Carci ! Mais avant, faut descendre Lavoisier. Tu sais ce qui serait bien ? Avoir un pouvoir genre un zoan taupe. Pour creuser notre propre galerie et là bam ! On les encule !
- Je n'avais jamais remarqué à quel point tu ressembles à Ombeline.
- Sérieux, va en toucher deux mots au commandement, voir s'il y a un Zoan fouisseur non loin de Boréa. Autrement, Lavoisier va nous bullshiter pendant un mois et on n'a pas de... La ferme !
- Pardon ?
- Silence j'ai dit !
- Mais c'est toi qui parlais !
- La ferme, respire même pas !
- ... ?
- Je les entends.
Autour d'eux, juste le silence habituel occasionnellement rompu par le vent. A deux bâtiments de là, un Élite en faction. Loth se demande ce qui arrive à la tireuse quand elle se tourne, son fusil de précision levé et plaqué contre son épaule. Elle avance rapidement. A l’Élite positionné là, Avada fait signe, l'index et le majeur gauche collés désignant un endroit encore devant eux. Elle agrémente sa muette conversation avec d'autres signes et codes militaires de la main. L'autre se joint à elle et ensemble, épaule contre épaule, ils s'engouffrent dans une ruelle. Loth est sur leur talon. Il se rend compte que sa marche de réflexion l'a emmené loin, c'est la zone la plus extérieure de la Batture, à l'orée de la Cordelette. La venelle devient une espèce de traboule, un passage piéton à travers la cour d'un immeuble qui permet de se rendre d'une rue à une autre. C'est une des spécificités architecturales de Jalabert. Qu'a détecté Avada ? Loth se concentre et finit par percevoir des murmures. De si faibles qu'il est estomaqué de savoir que la tueuse a réussi à les entendre malgré le vent et d'aussi loin.
Au pied d'une arche en bois massif qui soutient un balcon de l'immeuble, ils trouvent une bouche d'égout. C'est de là que proviennent les bourdonnements qui vont en augmentant ; les voix se rapprochent. Le groupe se dissimule derrière d'autres arches et attend qu'elles émergent. La plaque de fer qui scelle la bouche est soulevée et un jeune homme aux cheveux blonds à la coupe en banane apparait. Il est très sale, couvert de poussières et de suies. Une voix plaintive sort de l’égout à coup de : « Aide-moi Tommy ! » Le garçon à la banane tend une main et tire une femme aux nattes roses de la canalisation. Ensuite suivent deux autres hommes, puis une dernière femme. Tous jeunes, tous sales. Tommy referme soigneusement l'égout et fait signe à ses camarades de le suivre. C'est à ce moment-là que Loth et les siens surgissent de leurs cachettes, fusils en avant pour ceux qui en ont, l'index sur les lunettes pour le Moine. Les filles hurlent, les hommes lèvent les mains au ciel en signe de reddition.
- On est pas armé ! crie le Tommy. On est des étudiants de l'académie ! Nous avons réussi à fuir !
- Fuir ? Par quel biais ? Les canalisations sont piégées.
- Pas celle-là, répond-il à la hâte. Peu de personnes la connaissent. Elle s'étend dans les dédales sous la ville. Normalement, elle est bouchée depuis belle lurette et est inutilisable parce qu'une partie du sol s'est affaissée. Mais avec quelques potes ont a creusé et déblayé le sous-sol il y a des mois.
- Parce que tu es un samaritain qui aime fouiner dans les labyrinthes sous les villes tel un rat ? demande Loth.
- Bah... En fait... marmonne-t-il comme s'il aurait aimé aborder ce sujet seulement au cours des prochains millénaires, nous... nous cherchions un moyen de... de pouvoir nous rendre discretos à la Chambre, achève-t-il avec une petite voix déconfite.
- La Chambre ? répète Loth qui se rappelle qu'au cours de sa première enquête ici, cet endroit a été rendu responsable de la folie de beaucoup d'étudiants et pour cause, c'est là où sont rédigées et stockées les épreuves des examens.
Oh, donc l'étudiant modèle que tu es cherchais un moyen de voler quelques épreuves hein.
- L'idée générale, oui, monsieur. Et ce tunnel débouche dans la salle des archives de la Chambre. On l'a recouverte avec une plaque de carreaux semblable à ceux qui tapissent le sol de la bâtisse. Personne ne sait que cette galerie existe à par mes deux potes ici et moi. Quand la guerre a commencé, me suis abrité puis ai regagné la Chambre tant bien que mal. En chemin, j'ai ramassé mes potes et les filles.
- Je vous en prie, aidez-nous ! supplie une des filles, secouée de sanglots.
- Vous êtes saufs, on va vous conduire au QG, dit Avada. Mon gars, c'est quoi ton nom complet ?
- Tommy Mouton.
[...]
- Là, c'est de la bombe ! s'exclame Bee après un bref briefing. Les gars, vous êtes des génies.
- Des tricheurs plutôt, grande sœur.
- Qui s'en soucie ? rétorque Jared. Leur galerie va nous permettre d'apparaitre au cœur même du Cénacle. On pense que Lavoisier se trouve ici, dans ce bâtiment en dôme de verre. C'est le Rectorat. Apportez-moi une carte. Où se trouve cette Chambre ?
- Là. Elle est en face du Rectorat, une rue les sépare.
- C'est parfait, on va pouvoir monter une expédition. Où en est la nourriture ?
- En train d'être emballée monsieur.
- On va enclencher les deux opérations simultanément alors.
- Attendez Jared, c'est quoi le but exactement ? intervient Maximilian toujours secoué mais déterminé.
- Votre Majesté, Lavoisier n'a plus rien à perdre si ce n'est sa vie, expose Loth. Tout ceci, toute cette attention, ce chaos l'égaye. Tel un sadique, il fera perdurer le supplice et nous avons toutes les raisons de croire que le carnage est son objectif.
- Donc pour résumer, ces trois cent otages sont déjà morts pour lui, précise Ombeline.
- NON !
- Si, Majesté. Donc au lieu d’obéir au scénario qu'il a prévu, nous ferions mieux de tenter quelque chose, même risquée. Lavoisier a planifié ça depuis des mois sans doute, il s'est sûrement assuré de kidnapper les étudiants qui lui donneront plus de poids dans son manège avant même les premiers coups de feu. Nous sommes dans un scénario prémédité et pour le bousculer, il faut agir.
- Mais, mais... Jared vous disiez vouloir négocier ! Et les pressions que vous subissez, vous vous en fichez désormais ?!
- Trouver une résolution à l'amiable est toujours mon intention mais pour l'instant, le maître chanteur n'a formulé aucune demande spécifique. Mes ordres sont de lui donner ce qu'il demande tant que les progénitures nobles et royales sont sauves, mais si la boucherie est ce qu'il vise alors on serait idiot de jouer à son petit jeu.
- Mais ça ce sont juste des conjectures ! objecte le roi pas du tout favorable au plan. Nous risquons la vie de trois cent personnes pour des suppositions !
- Basées sur une analyse psychologique et environnementale. C'est du profilage basique, Majesté.
- Je sais que c'est ton domaine Loth mais...
- Mettez-vous à sa place, Majesté. Ce type aurait pu partir depuis des mois, s'enfuir loin d'ici, kidnapper un rejeton ou deux pour demander des rançons pour assurer ses vieux jours. Leurs familles auraient payé sans rechigner. Mais au lieu de ça, il débourse une fortune pour engager une armée privée, il s'enferme au cœur de la cité et déclenche une guerre frontale avec ses ex-alliés. Il savait où trouver la Lune Jaune et Rouge, il aurait très bien pu orchestrer leurs rapts. Mais non, il a préféré la confrontation tout en sachant que la Marine ne tarderait pas à y mettre son grain. Vous pensez que ce sont les actes de quelqu'un prêt à s'en sortir ?
- Malgré nos différends, je suis d'accord avec Reich, complète Jared.
- Sauf votre respect Sous-amiral, je pense qu'il y a une grosse faille dans le profil dressé par Loth. Les Autres. Même si Lavoisier est prêt à mourir pour se venger, je doute qu'eux le soient. Ce sont des mercenaires, pas des fanatiques ou des kamikazes.
- Je sais, Bee. Ce qui nous m'amène à la conclusion que Lavoisier les a sans doute bernés et laissés entrevoir une solution de sortie.
- Ou il y a réellement une sortie à cette crise ! tempête le roi. Après avoir mangé, Lavoisier peut demander quelque chose, son départ contre la vie des étudiants ! Si ça se trouve, il veut juste mettre la main sur les Lunes ! Et qu'il ait pu les kidnapper avant, ça tu n'en sais rien Loth ! Conjectures encore ! Ces Lunes ont exercé le pouvoir dans mon royaume quand mon père était encore vivant ! Tu ignores de quelles protections elles ont jouit. Peut-être qu'il était réellement impossible à Lavoisier de les localiser sans la guerre ! Arrêtez de voir le verre à moitié vide, il y doit y avoir une solution d'entente et je ne laisserai personne foirer la négociation sur des a priori !
- Bon, on ne va pas jouer la classique du politicien et du militaire, puis...
- Je ne suis pas un politicien, Sous-amiral, retirez-ça ! Boréa demeure le plus puissant soutien du Gouvernement sur North Blue, je siège à l'assemblée des nations ! Je ne cherche à contenter aucun électorat mais à sauver des vies ! Trois cent vies !
- Désolé Majesté ce n'est pas ce que je voulais dire. Tout simplement que les oppositions de vue entre les militaires et les civils -même les rois- sont courantes.
- Votre Commandante d’Élite vient d'émettre des réserves sur cette opération.
- Loth Reich est votre conseiller principal et il soutient l'opération, réplique Jared.
- Majesté, pouvons-nous vous exposer le plan et ensuite, vous déciderez ? intervient le Moine Hérétique qui s'abstient de souligner qu'il n'épaule pas Jared pour le plaisir.
Maximilian lui jette un regard incendiaire qui souligne la traitrise qui est la sienne. Qu'il soutienne Jared plutôt que lui semble entre une infamie pour le roi. Le sous-amiral toise Midnight d'une façon similaire. Lavoisier se gausserait de leur situation. L'échelle de commandement dans les royaumes acceptant les Marines n'est pas bien définie et dépend surtout de la passivité du roi en exercice. Maximilian est tout sauf un attentiste ou un roi de palais. Il n'hésite jamais à aller au-devant des manœuvres et à mettre la main dans le cambouis. Et ça, Jared le sait et a eu le bon sens de n'user d'aucune condescendance ou menace. Les Nordin sont ni plus, ni moins que les souverains les plus puissants de North Blue depuis que Luvneel n'est que réminiscence de son passé glorieux. « Le plan, c''est de suivre la galerie creusée par ses gamins et nous retrouver dans la Chambre. Il n'y a aucun garde dans ce bâtiment selon eux. Notre chef artificier a analysé les ceintures d'explosifs à partir des clichés en hautes résolutions. Selon lui, elles sont branchées en réseau et déclenchable par un seul coup de fil. » détaille l’Étau.
- La menace principale, c'est qu'ils fassent sauter les boucliers humains. Si on neutralise les gilets explosifs, on peut avoir une certaine marge pour intervenir. Donc, on va s'armer de ça, ajoute Ombeline de sa voix mélodieuse en montrant au roi un escargophone géant d'un intense bleu électrique posé sur une table.
Il peut tenir dans un sac à dos et c'est le dernier cri en matière d'escargophone brouilleur. Quand on l'enclenchera, il mettra hors service tous les escargophones dans un rayon de quinze mètres.
- Quinze mètres... répète le roi. Vous vous approchez ça du Rectorat ?
- Ouais. Il s'active, il brouille les ondes pendant dix minutes et c'est durant ce laps de temps qu'on les submerge. Une équipe de démineurs s'occupera de soustraire les boucliers pendant que le gros de l'armée fera sa fête aux Autres.
- Mais et le reste des otages dans tout ça ?! Ils sont deux cent à former les boucliers mais y en a cent autres dans le Rectorat !
- Selon Lavoisier, rectifie Jared.
- Vous pouvez pas penser sérieusement qu'il bluffe ? Après avoir fait tout ça ?
- Il dit sans doute la vérité, déclare Loth. Mais ce dont je doute, c'est que les otages dans le rectorat portent eux aussi des ceintures. Si le plan marche, ils seront noyés sous un océan de Marines, c'est l'affaire de quelques minutes, le Cénacle est complètement encerclé. Il y aura sans doute des morts parmi les otages mais c'est un moindre mal en pensant à la boucherie qui se prépare.
- Boucherie qui a déjà eu lieu, dit Bee qui affiche un visage désolé pour son royal "allié".
J'émets toujours des réserves Majesté, mais ce plan est le meilleur qu'on ait. D'un côté, soit attend de se plier aux quatre volontés de Lavoisier, qu'il nous chie dessus jusqu'à ce qu'il en ait marre, soit on force la main du destin en sacrifiant quelques vies au passage.
- Et en tant que votre conseiller principal, il y a une chose que je vous conseille de considérer en premier. Boréa.
- Quoi ? Comment ? De quoi m'accuses-tu là ?
- De possible faiblesse, Majesté, dit posément Loth sans émotion.
A ses côtés, Jared écarquille les yeux et Midnight ouvre la bouche stupéfaite. Ombeline sourit. Loth reprend : « Le mot est fort mais je n'en ai pas trouvé d'autres et si m'avez engagé, c'est pour vous dire la vérité et non vous sucer. Si nous, non, si vous vous aplatissez devant Lavoisier, le message envoyé aux forbans du monde entier sera le suivant : "Boréa est une putain qui se couche plus vite qu'un boxeur corrompu dès que vous prenez en otage des dizaines de personnes qui pèsent un peu". Vous êtes un roi fort Maximilian, pas une serpillière et ils doivent tous le savoir ! Si Lavoisier, si toutes les Lunes en sont là aujourd'hui, c'est à cause de votre courage, vous avez pris le taureau par les cornes, avez déclaré la guerre à la corruption et à Ashura. Votre père, le père de celui-ci et l'arrière-grand-père de ce dernier, tous ont vécu sous le joug des différentes générations de Lunes. Vous seul leur avez déclaré une guerre sans merci. Ne vous arrêtez pas en si bon chemin, je vous prie ! Ils sont à genoux, portez le coup de grâce ! Laissez-moi le faire pour vous, je suis votre main armée depuis le début 1626. Ce plan, je l'approuve. Nous sommes loin de la Victoire à tout prix. Mais dans cette situation, le dommage zéro est une utopie. En voulant sauver tout le monde, vous ferez de Boréa un synonyme de Victime. »
- C'est donc lui l'énergumène qu'il réclame ?
- Oui, monsieur.
- V-vous ferez une grave erreur en me donnant à lui.
- Et pourquoi ?
- Il va me tuer ! C'est ce qu'il veut !
- Et ?
- ...
- C'est soit ton immonde gueule, soit celle d'un étudiant. Tu penses qu'il y a photo ? dit Jared.
- Non, faites pas ça. Je vaux plus que ça !
- Quoi, t'as des infos ? s'enquiert Bee.
- Oui, oui, marmonne rapidement Holle qui a perdu de sa superbe depuis. J'étais le super ministre de l'énergie des ombres, je connais tous les ripoux dans l'administration, tous ceux qui ont détourné des milliards pendant deux décennies. Ils sont encore là dehoooo..BOOOUUUAAAAAAUH !
- Elle parle d'infos utiles pour sauver des vies, là maintenant, ducon ! coupe Ombeline qui interrompt la Lune Rouge d'un coup de pied. Ton marchandage aurait eu plus de valeur en temps de paix. Alors t'as une info qu'on n'a pas, oui ou non ?
- I-il détient déjà la Lune J-Jaune.
- Et c'est ça ton scoop ?
- Emmenez-le et préparez le pour la livraison, ordonne Jared.
- Noooon, attendez ! Je peux donner plus ! Y-y a... Odin ! C'est un certain Odin qui-qui dirige les Autres ici.
- Encore une autre info inutile. Odin, primé à 110 millions de Berry, Général commandant de la Compagnie Asgard des Autres. Sa flotte a été signalée au passage de Reverse de South Blue en mars 1626, débite Midnight d'une voix monocorde.
- Et on vient de l'entendre là. Il nous a dit de "rester en iench", compléte sa sœur. Allez, évacuez-moi ça, sergent, on va l'envoyer à son vieil ami plus tard.
- NOOOOOOOOOOOOOOON !
- Pour peu, il me ferait presque pitié. Sinon, Loth, une idée ? T'as plus bronché depuis un moment, constate Bee qui semble avoir abandonné le ton goguenard et sarcastique qu'elle lui réserve habituellement.
- Non, aucune idée, dit-il. Je suis sur la même longueur d'onde que vous.
- Peuh, n'insulte pas mon intelligence. Tu n'es jamais sur la longueur d'onde de quelqu'un et constamment, tu calcules. Lavoisier désire vengeance mais rien ne t'a paru bizarre dans son appel ?
- Ah part le fait qu'il tue de sang froid ?
- Il n'a pas énoncé ton nom. Pas une seule fois. Quand on s'est vu ce matin, t'as insisté sur le désir corrosif de vengeance qui le ronge. S'il en veut à ses camarades pour ne pas l'avoir soutenu dans l'adversité, il doit t'en vouloir encore plus. Et là, rien. Pas un mot sur toi. Il aurait pu demander à ce que t’apporte la bouffe.
- Oh non, il sait que je ne suis pas votre prisonnier et que je n'ai aucunement l'intention de me sacrifier pour protéger des vies. Je ne suis qu'un freelance. C'est vous autres qui avez prêté ce serment. Il sait aussi que je cherche à le neutraliser et c'est inutile de courir après moi. Je viendrais à lui.
- Ce qui veut dire ?
- Quand j'aurai trouvé une faille dans la muraille humaine, je vous en informerais. Là, je vais marcher pour m'aérer l'esprit, ça m'aide à me concentrer.
Laissant les Marines à leurs tribulations, Loth se laisse machinalement porter par ses pieds et déambule dans la Batture en direction de la Cordelette. A quoi sert de calculer si tous les scénarios tombent dans l'impasse et l'horreur ? Lavoisier a également omis de préciser qu'à la moindre tentative, il ferait sauter les charges des boucliers. Mais nul n'a été assez aventureux pour émettre l'hypothèse que les ceintures d'explosifs qu'ils portent sont factices. Alors comment faire pour surprendre un homme au milieu d'une marée de victimes sous contrôle sans oublier qu'il a une armée professionnelle qui le défendra envers et contre tout ? A combien s'élèvent le nombre des Autres ? Il a demandé de la nourriture pour soixante personne mais ça ne veut pas dire grand chose. Comment neutraliser les Autres alors qu'ils sont surement éparpillés dans tout le Cénacle ? Un hic et tout peut sauter. Comment ? Loth n'obtient aucune réponse et chaque expérience de pensée pour contrôler le scénario de la prise d'otage se solde par un échec sanglant. La seule solution viable étant de tous les neutraliser, Lavoisier et ses Autres en même temps. Pour que personne n'actionne d'explosifs mais ça, c'est encore du domaine de l'impossible. Tout le long de l'année 1626, à chaque fois qu'il démantelait une part d'Ashura, Lavoisier faisait soit l'erreur de le sous-estimer (au début) soit il en faisait une grossière qui permettait à Loth d'avancer à grand pas.
A force, il finit mésestimer Lavoisier et par croire que le véritable Boss d'Ashura c'était Aella Madoff et avec raison. Mais la Lune Bleue n'a joint l'organisation que cinq ans après sa création et même si son impact fut décisif, Lavoisier menait déjà la barque avant. Le visage actuel est celui du "vrai" Lavoisier, planificateur, calculateur, d'une logique froide et cruelle. Le type gauche, coléreux, imbu de lui-même et se complaisant dans sa folie n'était que le fruit de la suprématie d'Ashura dans son secteur d'activité. A force de se reposer sur ses lauriers, Lavoisier tel un individu manquant de sport mais se goinfrant à longueur de journée, était devenu obèse de suffisance. La raclée graduelle que lui infligea Loth le remit sur pied et lui permis -malheureusement- de retrouver de sa superbe. C'est ainsi qu'il a pu monter ce plan. Mais le Moine Hérétique ne puis s'empêcher de se demander si tout ceci rime vraiment à quelque chose ? Lavoisier a-t-il vraiment l'intention de finir sa vie ici ? La conclusion semble logique vu ses exactions et les forces en présence. Il n'a aucun marge de fuite alors comment compte-t-il tirer son épingle du jeu ? Quel coup tordu a-t-il prévu ? Les méninges de Loth fonctionnent à plein régime, tellement qu'il finit par rentrer dans quelqu'un.
- Désolé, je ne vous ai pas vu... Sous-lieutenante Potter. Mais putain qu'est-ce que tu fous ici ? susurre Loth en reconnaissant Avada Kédavra, le meilleur sniper des Blues derrière l'écharpe qui masque le visage du Marine. Depuis la mi-1626, l'androgyne a une sorte de contrat prolongé avec Loth.
- Qu'est-ce qui t'étonne ? On est revenu de Carci' ensemble, tu pensais que j'allais rater une bagarre comme celle-là ?
- Ce n'est pas bon, il y a Ombeline ici, en plus de Jared sans oublier Midnight. Tous veulent ma peau, ce n'est pas le moment de bavasser dans une ruelle avec toi.
- Pourquoi pas ? Je suis Sous-lieutenante de Marine, matricule 1478/Charlie/0056/Mango.
- Tu te fous de moi, tu as une couverture de Marine ?
- Une identité Marine, oui. Mais je suis réserviste à cause de "problèmes de santé". Je sers un mois par an environ. Depuis que j'ai commencé à travailler avec toi, je me suis faite muter à Boréa puis j'ai pris un congé maladie. Donc relax, ta Ombeline peut venir.
- J'hallucine... Ouais, non, il ne vaut mieux pas pour le monde qu'elle et toi vous vous retrouviez au même endroit. Trop de cinglées au centimètre carré. Alors, tu as quelque chose pour moi ?
- Comme une faiblesse au cordon humain ? Non. C'est de l'excellent boulot et j'ai dirigé l'équipe d'éclaireurs. Là aussi c'est parfait comme travail. Ce sont les Autres après tout. Ils assurent.
- Non, je parlais de la mission que je t'ai confiée quand nous avons quitté Carcinomia ! As-tu retrouvé Wilhelmina ?
- Plus ou moins. Selon mes informateurs -et les coupures de presse- l'équipage des Twin Bones Pirates a été aperçu au large d'Endaur la semaine passée.
- South Blue ?! Mais non, putain, mais qu'ils aillent se faire ! Ce sont des pirates de North Blue !
- Les pirates n'ont de domicile que l'océan, binocle.
- Tu te rends compte que nous n'avons que cinq jours avant le mariage d'Emeline qui doit être empêché ? Et que durant ce laps de temps, je dois non seulement ramener Wilhelmina à Carci mais aussi trouver Leonid Norman pour payer ma dette à la Grenouille ? Et tout ça après avoir résolu cet enfer ?
- Tu es un homme occupé... Et où se trouve le Frelon ?
- Leonid est sur South Blue...
- Haha, l'ironie ! Pourquoi tu rages alors, on fera d'une pierre deux coups. On trouve la Baronne Rouge Wilhelmina, on sort Leonid de sa prison et on fait voile vers Carci ! Mais avant, faut descendre Lavoisier. Tu sais ce qui serait bien ? Avoir un pouvoir genre un zoan taupe. Pour creuser notre propre galerie et là bam ! On les encule !
- Je n'avais jamais remarqué à quel point tu ressembles à Ombeline.
- Sérieux, va en toucher deux mots au commandement, voir s'il y a un Zoan fouisseur non loin de Boréa. Autrement, Lavoisier va nous bullshiter pendant un mois et on n'a pas de... La ferme !
- Pardon ?
- Silence j'ai dit !
- Mais c'est toi qui parlais !
- La ferme, respire même pas !
- ... ?
- Je les entends.
Autour d'eux, juste le silence habituel occasionnellement rompu par le vent. A deux bâtiments de là, un Élite en faction. Loth se demande ce qui arrive à la tireuse quand elle se tourne, son fusil de précision levé et plaqué contre son épaule. Elle avance rapidement. A l’Élite positionné là, Avada fait signe, l'index et le majeur gauche collés désignant un endroit encore devant eux. Elle agrémente sa muette conversation avec d'autres signes et codes militaires de la main. L'autre se joint à elle et ensemble, épaule contre épaule, ils s'engouffrent dans une ruelle. Loth est sur leur talon. Il se rend compte que sa marche de réflexion l'a emmené loin, c'est la zone la plus extérieure de la Batture, à l'orée de la Cordelette. La venelle devient une espèce de traboule, un passage piéton à travers la cour d'un immeuble qui permet de se rendre d'une rue à une autre. C'est une des spécificités architecturales de Jalabert. Qu'a détecté Avada ? Loth se concentre et finit par percevoir des murmures. De si faibles qu'il est estomaqué de savoir que la tueuse a réussi à les entendre malgré le vent et d'aussi loin.
Au pied d'une arche en bois massif qui soutient un balcon de l'immeuble, ils trouvent une bouche d'égout. C'est de là que proviennent les bourdonnements qui vont en augmentant ; les voix se rapprochent. Le groupe se dissimule derrière d'autres arches et attend qu'elles émergent. La plaque de fer qui scelle la bouche est soulevée et un jeune homme aux cheveux blonds à la coupe en banane apparait. Il est très sale, couvert de poussières et de suies. Une voix plaintive sort de l’égout à coup de : « Aide-moi Tommy ! » Le garçon à la banane tend une main et tire une femme aux nattes roses de la canalisation. Ensuite suivent deux autres hommes, puis une dernière femme. Tous jeunes, tous sales. Tommy referme soigneusement l'égout et fait signe à ses camarades de le suivre. C'est à ce moment-là que Loth et les siens surgissent de leurs cachettes, fusils en avant pour ceux qui en ont, l'index sur les lunettes pour le Moine. Les filles hurlent, les hommes lèvent les mains au ciel en signe de reddition.
- On est pas armé ! crie le Tommy. On est des étudiants de l'académie ! Nous avons réussi à fuir !
- Fuir ? Par quel biais ? Les canalisations sont piégées.
- Pas celle-là, répond-il à la hâte. Peu de personnes la connaissent. Elle s'étend dans les dédales sous la ville. Normalement, elle est bouchée depuis belle lurette et est inutilisable parce qu'une partie du sol s'est affaissée. Mais avec quelques potes ont a creusé et déblayé le sous-sol il y a des mois.
- Parce que tu es un samaritain qui aime fouiner dans les labyrinthes sous les villes tel un rat ? demande Loth.
- Bah... En fait... marmonne-t-il comme s'il aurait aimé aborder ce sujet seulement au cours des prochains millénaires, nous... nous cherchions un moyen de... de pouvoir nous rendre discretos à la Chambre, achève-t-il avec une petite voix déconfite.
- La Chambre ? répète Loth qui se rappelle qu'au cours de sa première enquête ici, cet endroit a été rendu responsable de la folie de beaucoup d'étudiants et pour cause, c'est là où sont rédigées et stockées les épreuves des examens.
Oh, donc l'étudiant modèle que tu es cherchais un moyen de voler quelques épreuves hein.
- L'idée générale, oui, monsieur. Et ce tunnel débouche dans la salle des archives de la Chambre. On l'a recouverte avec une plaque de carreaux semblable à ceux qui tapissent le sol de la bâtisse. Personne ne sait que cette galerie existe à par mes deux potes ici et moi. Quand la guerre a commencé, me suis abrité puis ai regagné la Chambre tant bien que mal. En chemin, j'ai ramassé mes potes et les filles.
- Je vous en prie, aidez-nous ! supplie une des filles, secouée de sanglots.
- Vous êtes saufs, on va vous conduire au QG, dit Avada. Mon gars, c'est quoi ton nom complet ?
- Tommy Mouton.
[...]
- Là, c'est de la bombe ! s'exclame Bee après un bref briefing. Les gars, vous êtes des génies.
- Des tricheurs plutôt, grande sœur.
- Qui s'en soucie ? rétorque Jared. Leur galerie va nous permettre d'apparaitre au cœur même du Cénacle. On pense que Lavoisier se trouve ici, dans ce bâtiment en dôme de verre. C'est le Rectorat. Apportez-moi une carte. Où se trouve cette Chambre ?
- Là. Elle est en face du Rectorat, une rue les sépare.
- C'est parfait, on va pouvoir monter une expédition. Où en est la nourriture ?
- En train d'être emballée monsieur.
- On va enclencher les deux opérations simultanément alors.
- Attendez Jared, c'est quoi le but exactement ? intervient Maximilian toujours secoué mais déterminé.
- Votre Majesté, Lavoisier n'a plus rien à perdre si ce n'est sa vie, expose Loth. Tout ceci, toute cette attention, ce chaos l'égaye. Tel un sadique, il fera perdurer le supplice et nous avons toutes les raisons de croire que le carnage est son objectif.
- Donc pour résumer, ces trois cent otages sont déjà morts pour lui, précise Ombeline.
- NON !
- Si, Majesté. Donc au lieu d’obéir au scénario qu'il a prévu, nous ferions mieux de tenter quelque chose, même risquée. Lavoisier a planifié ça depuis des mois sans doute, il s'est sûrement assuré de kidnapper les étudiants qui lui donneront plus de poids dans son manège avant même les premiers coups de feu. Nous sommes dans un scénario prémédité et pour le bousculer, il faut agir.
- Mais, mais... Jared vous disiez vouloir négocier ! Et les pressions que vous subissez, vous vous en fichez désormais ?!
- Trouver une résolution à l'amiable est toujours mon intention mais pour l'instant, le maître chanteur n'a formulé aucune demande spécifique. Mes ordres sont de lui donner ce qu'il demande tant que les progénitures nobles et royales sont sauves, mais si la boucherie est ce qu'il vise alors on serait idiot de jouer à son petit jeu.
- Mais ça ce sont juste des conjectures ! objecte le roi pas du tout favorable au plan. Nous risquons la vie de trois cent personnes pour des suppositions !
- Basées sur une analyse psychologique et environnementale. C'est du profilage basique, Majesté.
- Je sais que c'est ton domaine Loth mais...
- Mettez-vous à sa place, Majesté. Ce type aurait pu partir depuis des mois, s'enfuir loin d'ici, kidnapper un rejeton ou deux pour demander des rançons pour assurer ses vieux jours. Leurs familles auraient payé sans rechigner. Mais au lieu de ça, il débourse une fortune pour engager une armée privée, il s'enferme au cœur de la cité et déclenche une guerre frontale avec ses ex-alliés. Il savait où trouver la Lune Jaune et Rouge, il aurait très bien pu orchestrer leurs rapts. Mais non, il a préféré la confrontation tout en sachant que la Marine ne tarderait pas à y mettre son grain. Vous pensez que ce sont les actes de quelqu'un prêt à s'en sortir ?
- Malgré nos différends, je suis d'accord avec Reich, complète Jared.
- Sauf votre respect Sous-amiral, je pense qu'il y a une grosse faille dans le profil dressé par Loth. Les Autres. Même si Lavoisier est prêt à mourir pour se venger, je doute qu'eux le soient. Ce sont des mercenaires, pas des fanatiques ou des kamikazes.
- Je sais, Bee. Ce qui nous m'amène à la conclusion que Lavoisier les a sans doute bernés et laissés entrevoir une solution de sortie.
- Ou il y a réellement une sortie à cette crise ! tempête le roi. Après avoir mangé, Lavoisier peut demander quelque chose, son départ contre la vie des étudiants ! Si ça se trouve, il veut juste mettre la main sur les Lunes ! Et qu'il ait pu les kidnapper avant, ça tu n'en sais rien Loth ! Conjectures encore ! Ces Lunes ont exercé le pouvoir dans mon royaume quand mon père était encore vivant ! Tu ignores de quelles protections elles ont jouit. Peut-être qu'il était réellement impossible à Lavoisier de les localiser sans la guerre ! Arrêtez de voir le verre à moitié vide, il y doit y avoir une solution d'entente et je ne laisserai personne foirer la négociation sur des a priori !
- Bon, on ne va pas jouer la classique du politicien et du militaire, puis...
- Je ne suis pas un politicien, Sous-amiral, retirez-ça ! Boréa demeure le plus puissant soutien du Gouvernement sur North Blue, je siège à l'assemblée des nations ! Je ne cherche à contenter aucun électorat mais à sauver des vies ! Trois cent vies !
- Désolé Majesté ce n'est pas ce que je voulais dire. Tout simplement que les oppositions de vue entre les militaires et les civils -même les rois- sont courantes.
- Votre Commandante d’Élite vient d'émettre des réserves sur cette opération.
- Loth Reich est votre conseiller principal et il soutient l'opération, réplique Jared.
- Majesté, pouvons-nous vous exposer le plan et ensuite, vous déciderez ? intervient le Moine Hérétique qui s'abstient de souligner qu'il n'épaule pas Jared pour le plaisir.
Maximilian lui jette un regard incendiaire qui souligne la traitrise qui est la sienne. Qu'il soutienne Jared plutôt que lui semble entre une infamie pour le roi. Le sous-amiral toise Midnight d'une façon similaire. Lavoisier se gausserait de leur situation. L'échelle de commandement dans les royaumes acceptant les Marines n'est pas bien définie et dépend surtout de la passivité du roi en exercice. Maximilian est tout sauf un attentiste ou un roi de palais. Il n'hésite jamais à aller au-devant des manœuvres et à mettre la main dans le cambouis. Et ça, Jared le sait et a eu le bon sens de n'user d'aucune condescendance ou menace. Les Nordin sont ni plus, ni moins que les souverains les plus puissants de North Blue depuis que Luvneel n'est que réminiscence de son passé glorieux. « Le plan, c''est de suivre la galerie creusée par ses gamins et nous retrouver dans la Chambre. Il n'y a aucun garde dans ce bâtiment selon eux. Notre chef artificier a analysé les ceintures d'explosifs à partir des clichés en hautes résolutions. Selon lui, elles sont branchées en réseau et déclenchable par un seul coup de fil. » détaille l’Étau.
- La menace principale, c'est qu'ils fassent sauter les boucliers humains. Si on neutralise les gilets explosifs, on peut avoir une certaine marge pour intervenir. Donc, on va s'armer de ça, ajoute Ombeline de sa voix mélodieuse en montrant au roi un escargophone géant d'un intense bleu électrique posé sur une table.
Il peut tenir dans un sac à dos et c'est le dernier cri en matière d'escargophone brouilleur. Quand on l'enclenchera, il mettra hors service tous les escargophones dans un rayon de quinze mètres.
- Quinze mètres... répète le roi. Vous vous approchez ça du Rectorat ?
- Ouais. Il s'active, il brouille les ondes pendant dix minutes et c'est durant ce laps de temps qu'on les submerge. Une équipe de démineurs s'occupera de soustraire les boucliers pendant que le gros de l'armée fera sa fête aux Autres.
- Mais et le reste des otages dans tout ça ?! Ils sont deux cent à former les boucliers mais y en a cent autres dans le Rectorat !
- Selon Lavoisier, rectifie Jared.
- Vous pouvez pas penser sérieusement qu'il bluffe ? Après avoir fait tout ça ?
- Il dit sans doute la vérité, déclare Loth. Mais ce dont je doute, c'est que les otages dans le rectorat portent eux aussi des ceintures. Si le plan marche, ils seront noyés sous un océan de Marines, c'est l'affaire de quelques minutes, le Cénacle est complètement encerclé. Il y aura sans doute des morts parmi les otages mais c'est un moindre mal en pensant à la boucherie qui se prépare.
- Boucherie qui a déjà eu lieu, dit Bee qui affiche un visage désolé pour son royal "allié".
J'émets toujours des réserves Majesté, mais ce plan est le meilleur qu'on ait. D'un côté, soit attend de se plier aux quatre volontés de Lavoisier, qu'il nous chie dessus jusqu'à ce qu'il en ait marre, soit on force la main du destin en sacrifiant quelques vies au passage.
- Et en tant que votre conseiller principal, il y a une chose que je vous conseille de considérer en premier. Boréa.
- Quoi ? Comment ? De quoi m'accuses-tu là ?
- De possible faiblesse, Majesté, dit posément Loth sans émotion.
A ses côtés, Jared écarquille les yeux et Midnight ouvre la bouche stupéfaite. Ombeline sourit. Loth reprend : « Le mot est fort mais je n'en ai pas trouvé d'autres et si m'avez engagé, c'est pour vous dire la vérité et non vous sucer. Si nous, non, si vous vous aplatissez devant Lavoisier, le message envoyé aux forbans du monde entier sera le suivant : "Boréa est une putain qui se couche plus vite qu'un boxeur corrompu dès que vous prenez en otage des dizaines de personnes qui pèsent un peu". Vous êtes un roi fort Maximilian, pas une serpillière et ils doivent tous le savoir ! Si Lavoisier, si toutes les Lunes en sont là aujourd'hui, c'est à cause de votre courage, vous avez pris le taureau par les cornes, avez déclaré la guerre à la corruption et à Ashura. Votre père, le père de celui-ci et l'arrière-grand-père de ce dernier, tous ont vécu sous le joug des différentes générations de Lunes. Vous seul leur avez déclaré une guerre sans merci. Ne vous arrêtez pas en si bon chemin, je vous prie ! Ils sont à genoux, portez le coup de grâce ! Laissez-moi le faire pour vous, je suis votre main armée depuis le début 1626. Ce plan, je l'approuve. Nous sommes loin de la Victoire à tout prix. Mais dans cette situation, le dommage zéro est une utopie. En voulant sauver tout le monde, vous ferez de Boréa un synonyme de Victime. »
- Huhu, chéri, t'as grave assuré. Les rois n'aiment pas qu'on leur dise la vérité et surtout pas devant une centaine de curieux.
- Maximilian n'est pas un roi comme les autres et je devais intervenir. Il perdait les pédales avec son syndrome du héros.
- N'empêche, il aurait pu ordonner qu'on fasse sauter ta tête.
- Un risque minime. Il a peut-être déclaré la guerre aux Lunes mais c'est moi qui ai fait tout le boulot et ai fini deux fois dans le coma. J'ai affermi son trône et il a plus que besoin de moi.
- Mouais, pour la première fois, je reconnais que t'en as des balls. Une bonne paire. Sinon, tu te plais à mater mon cul ? C'est pour ça que t'as voulu rester en arrière ?
- La ferme Ombeline ! Nous sommes à la queue-leu-leu dans ce tunnel, si tu penses que c'est par plaisir ! Et puis, je serai cinglé de te laisser derrière moi.
- Quoi, je te file les jetons, chéri ?
- Le mot est faible.
- En tout cas, c'est dommage que grande sœur soit blessée. On se serait bien amusé ensemble.
- Bien sûr. C'est le rêve de tous les hommes d'aller en infiltration avec les sœurs sadiques.
Ça sent le moisi et chaque pas est une épreuve à cause de la mousse très glissante qui recouvre les parois. Ce boyau est une ancienne canalisation d'eau tombée en désuétude depuis des lustres. Malgré cela, la présence de mousse prouve que de l'eau continue de couler ici de temps à autre, sûrement vers la Pleureuse. Le plafond est très bas, ce qui oblige l'équipe d'infiltration à avancer à quatre pattes. A leur tête, le jeune Tommy Mouton dont la main a été forcée compte tenu de la topographie des lieux. Il n'y a en effet pas un seul tunnel qui mène droit à la Chambre mais des dizaines entrelacés dans un labyrinthe souterrain. Ils datent tous des débuts de la ville, plus d'un siècle plutôt et ne sont répertoriés sur aucune carte parce qu'ils ont été scellés ou abandonnés suite à des éboulements. Ceux-là, aucune chance que Lavoisier les maitrisent et s'ils n'y ont pas pensé avant l'apparition de Tommy et de ses compères c'est parce que personne ne connaissait l'entrée d'un des boyaux de jadis. Après une centaine de mètres, la galerie débouche sur un vaste espace souterrain nauséabond où convergent une multitude de tuyaux assez mastoc chacun pour laisser passer une vache.
Loth comprend que l'espace est ce qui reste d'une ancienne canalisation principale qui recueillait les déchets de tous les embranchements. Bien sûr, c'est sombre et humide ; leur lampe torche dissipent à peine ces ténèbres qui semblent opaques. Sans Tommy, ils auraient fait demi-tour à moins de prendre le risque de se perdre à jamais. Au lieu de ça, le jeune homme les aiguille vers un tube en face à droite de celui dont ils sont sortis. Rien ne le distingue des autres, mais Tommy assure avoir passé des mois dans ces entrailles et les connaitre comme sa poche. Les voleurs ont de la ressource, Loth le sait mieux que quiconque alors ils le suivent. Tommy a estimé à deux kilomètres en tout la longueur du trajet. Les tunnels sont de différentes formes, droites, arquées et parfois zigzaguées. D'autres fois, ils sont en pente descendante tel un toboggan crasseux. Sales et puants, ils le sont depuis longtemps. Sporadiquement, un bruit de cassure croustillant se répète en écho sur les murs. C'est le signe que quelqu'un a marché sur le squelette d'un petit animal. Au détour d'une galerie à angle droit, ils tombent sur un squelette humain complet.
- Oh putain...
- C'est là depuis longtemps, dit Tommy.
- Et t'as pas pensé à alerter quiconque ? Ben non, t'aurais été obligé d'expliquer ce que tu fichais là, c'est ça ? demande Ombeline.
- A mon avis, il est mort depuis plus de vingt ans.
- Comment tu peux savoir ça ?
- Un jeu d'enfant. Tu vois ce champignon strié qui lui a poussé sur la rotule droite ? C'est un Lycoperdon umbrinum eternae, de son nom commun Vesse-de-loup-millénaire. C'est un champignon rare qui germe dans les chairs en décomposition et qui grandit à raison d'un centimètre chaque deux ans.
- Dix centimètres, donc vingt ans. Cool.
- C'était un homme d'après la forme du bassin et regardez, sa troisième côte droite présente une coupure profonde qui peut indiquer qu'une flèche ou une sagaie a pénétré par...
- Loth ! C'est important là maintenant ?
- J'imagine que non.
- Tu t'amuseras avec ce meurtre plus tard, on a de l'huile sur le feu. La Lune Rouge a déjà dû livrer la nourriture, on doit les attaquer pendant qu'ils se restaurent. Allez on se bouge le cul, les enfants ! ordonne la Commandante.
Après d'autres dédales supplémentaires, ils arrivent au bord d'un genre de piscine dont Loth peine à deviner l'utilisation antérieure. A cause de ses eaux anthracites et flétries, la fétidité leur agresse les narines. Les membres de l'escouade y dardent leurs torches, anxieux à l'idée qu'un quelconque vivant puisse être tapi dans le bassin. « Nan, nan, y a rien de tel ! Quand je suis arrivé ici pour la première fois, je suis tombé dedans. Il fallut me déparasiter pendant longtemps après mais à part des bactéries, y a rien. Faut juste passer sur le rebord et après ça tourne et on sera en dessous de la Chambre. » Tommy est le premier à emprunter la mince surélévation sur le bord droit de la piscine qui dessert l'autre côté. Il avance latéralement et presque à tâtons, dos à la paroi. Les cinq membres restants de l'équipe le suivent. Rechignant de se laisser embarquer dans cet étrange numéro de funambule, Loth et Ombeline optent pour une autre solution. Les airs. Geppou pour la Commande, son équivalent manuel pour Loth. Le Karaté Aérien qui constitue une des branches ultime de son art martial lui permet notamment -à l'instar du Geppou- de frapper l'air et de le solidifier pour y prendre appui. Sauf qu'il utilise ses mains.
Ombeline se gausse des funambules en sautillant au-dessus de la marée noire de la cuvette puis soudainement, elle se fige tout comme Loth à ses côtés. Ça se passe un moins d'un battement de cœur, pendant un instant irréel où tout semble se dérouler au ralenti. Ils perçoivent un déplacement très rapide dans l'air et tous deux impriment un mouvement d'esquive. Ils ne déportent pas assez de la trajectoire du projectile quand ce dernier explose avec fracas. D'abord, l'illumination éphémère et intense des ténèbres, puis l'onde de choc surchauffée. Le Retour à la Vie l'aidant, Loth peut contracter ses muscles en moins d'une seconde pour encaisser ce choc. Il est brutal et le percute avec la force d'un train à vitesse de croisière. Il réussit juste à penser « Guet-apens... Tommy... Grenade... » La chute dans la flaque est inévitable et suivie d'un moment d'absence. Loth est réveillé, tête dans la flotte, par des tirs nourris. Les échos rendent le boucan encore plus infernal. Dans l'obscurité tangible, juste des éphémères flashs provenant de l'autre côté de la piscine. Son cœur bat à tout rompre et il essaie de se dégager de là. Les complaintes se mêlent aux crépitements des balles qui ricochent parfois et tombent près de lui. Et dans ce capharnaüm, l'ennemi demeure invisible.
Loth se hisse sur l'autre côté de la cuvette, prêt à en découvre mais si seulement il pouvait les voir ! Sa lampe n'éclaire rien ou presque. Sauf le cadavre de Tommy allongé non loin, baignant dans son propre sang, les yeux vides. S'il n'est pas le traitre alors comment ? Haletant de son bain glacial, le Moine Hérétique entend de furieux gigotements dans l'eau. Quelqu'un se noie. Sa lampe éclaire ce qu'il reconnait comme Aguicheuse, le katana d'Ombeline. L'effet de douche froide s'accentue. Pourquoi se noierait-elle ? A-t-elle reçu une balle dans les membres ? Sans réfléchir davantage, il replonge dans la flaque et en ressort quelques secondes plus tard l’Épée du Matin. Il n'y a pas de sang qui suinte d'elle, pas plus qu'elle n'arbore une blessure visible. Toussotant, éructant, désorientés, ils sont impuissants et sentent une nasse les recouvrir et les entasser. Loth essaie de faire appel au Retour à la Vie sans succès, la morsure du froid semble empêcher l'éveil des cellules. N'abandonnant pas, il tire de toutes ses forces sur les mailles pour rompre le filet sans plus de réussite. « Ombeline, fais quelque chose, reste pas... » S'il s'interrompt dans sa phrase, c'est qu'il se rend compte que loin des affres de la noyade, sa compagne d'infortune à l'air d'être au comble de la fatigue. Et il comprend, avec incrédulité.
- Tiens, tiens. Paul, j'crois qu'on a une Maudite des eaux, ici.
- Et Reich ?
- Je l'ai aussi. La prise du siècle pour moi.
- Ouf, tous les autres sont cannés. J'pensais qu'on l'avait zigouillé, le boss aurait pas été content du tout. Ah le voilà. C'qui la meuf ? On s'en débarrasse ?
- T'es ouf ou quoi ?
- C'est une démone.
- Et on a des armes pour affaiblir les démons. Et puis, j'ai déjà vu sa tête plusieurs fois dans la presse. L'épée du Matin qu'on la surnomme. Le Boss ou le Général s'ront ravis d'la voir aussi. On embarque ça !
[...]
- Loth, Loth, Loth. Qu'est-ce que c'est gentil de nous rendre visite, je me demandais quand tu allais faire ton entrée en scène. Car le plat de résistance, c'est toi.
La voix enjouée est lointaine et les bourdonnements incessants dans son crâne n'aident pas. Pas plus que le sang qui perle et goutte de sa tempe. Ses derniers souvenirs remontent à l'obscurité des souterrains et à un coup violent sur la tête. Là, il est assis, menotté les mains dans le dos. Ses chevilles également sont ferrés, à base de granit marin vu qu'il n'arrive pas à briser ses menottes. Sa vision d'abord floue corrige les bugs petit à petit et fait le point. La pièce est vaste, et contient deux niveaux. Le plus bas est rempli de sièges tandis qu'une espèce d'estrade leur fait face. Ils sont dans un amphithéâtre, celui du Rectorat. Loth est déjà venu ici un auparavant. Le mur en face qui soutient le tableau noir est d'un blanc étrange, presque lumineux. Sur l'estrade sont entassés les étudiants recroquevillés, et bâillonnés. Ils sont épouvantés, hagards, tremblants et certains, blessés. Le silence est aussi glacial que les vêtements trempés et puants du Moine Hérétique. Devant lui, juché sur une table massive sculptée et vernis d'ambre, celui qu'il recherche depuis un an. Ébénézer Oort Aka Lavoisier. Loth n'aurait jamais pu oublier les détails de son apparence. Chauve, lunette ronde sur le nez, la barbe impeccablement taillée et dont la blancheur inspire une infinie confiance. Mais beaucoup apprirent à leur dépend que l'habit ne fait pas le moine.
- Salut, tu t'amuses bien ? Je peux te tutoyer non ?
- Oh, très très bien. Bien sûr. La nourriture était super bonne, merci de ne pas l'avoir empoisonnée.
- Bof, qui ferait ça, nous n'y avons pas pensé ne serait-ce qu'une fois. Sinon moi j'étais en route avec des copains pour te passer le bonjour mais semblerait que tu aies su. J'ai d'abord pensé à la traitrise de ce pauvre Tommy mais vu qu'il a payé sa hardiesse de sa vie, je me demande.
- Trois fois rien, tu sais. Une patrouille, une bouche d’égout mal refermée dans la Chambre, une autre patrouille...
- Aaah. Un coup de chance quoi.
- La chance fait partie du rayonnement des gagnants.
- Parce que tu te sens gagnant là ?
- Pourquoi pas ? Je me suis bien mis là, j'ai tous les acteurs du scénario de ma vie, pardon, le scénario de ma débâcle passée devant moi. Je suis l'homme le plus heureux du monde ! Tiens regarde à ta gauche, tu n'as pas eu le plaisir de le rencontrer lui, non ? dit-il tout joyeux en montrant un vieil homme en haillon et ensanglanté adossé au mur lacté.
- Non, pas directement.
- C'est la Lune Jaune, Ottoh von Bodmann, grand prête d'Aurora. Tu te souviens quand tu as mis en scène ta mort après que j'ai envoyé les Autres te tuer ? C'est lui qui a dirigé la messe durant tes funérailles.
- Oh merci, vieil homme. Il bouge à peine. Les civilités entre anciens compagnons ?
- Oui. Barbecue, viande saignante, tout ça. Tu connais.
- ARRÊTEZ LE BULLSHIT ! hurle Ombeline que Loth est surpris de voir dans la même position à sa gauche.
- Oh, qu'avez-vous contre les discussions posées, Ombeline Santana ? On parle de vous comme d'une bête assoiffée de sang.
- Libérez-moi et je vous ferai la démonstration !
- Vous êtes bien énergique pour une maudite entravée au granit marin. D'habitude, ça vampirise vos forces à vous autres maudits.
- Je fonctionne à la rage.
- Ah. Bon, si les civilités sont terminées alors passons aux choses sérieuses.
Il place un visioescagophone sur sa table puis l'active. L'appareil projette une lumière sur le mur blanc. Ça sonne un bref instant puis Jared, Bee et Maximilian apparaissent dans la projection. Leur première réaction est l'effarement et dans les yeux du roi, une forte déception. Il aurait surement hurlé un "je-vous-l'avais-dit" si la situation n'était pas si dramatique. Lavoisier quant à lui s'époumone de rire jusqu'à finir à genou. « Je me disais bien que vous tenteriez quelque chose. Je savais que les catacombes sous la ville allaient être le seul point faible à mon entreprise. Pas de cartes, entrées et débouchées oubliées depuis des temps immémoriaux. Vous suscitez mon admiration les gens, bravo ! L'escargophone géant est mort, pauvre bête. Mais si vous avez encore d'autres coups foireux comme ça, je vous conjure de les METTRE EN BERNE ! » dit-il en haussant la voix pour la première fois. « Le prochain intrus que mes hommes découvrent signera l'arrêt de mort de toute la chaine debout dehors ! C'est ça que vous voulez ? » Loth, honteux d'avoir échoué évite de regarder Maximilian. Il faudra passer sur le corps du roi pour tenter autre chose maintenant. Et d'ailleurs, il ne voit pas du tout ce qui pourrait marcher, c'était le seul plan.
- C'est quoi ton pouvoir ?
- Le fruit de l'orgasme. Je te touche et t'as le pied de ta vie.
- Tu penses que c'est le moment de plaisanter ?
- Toi, tu t'es bien tapé la causette pépère avec lui, y a deux minutes.
- C'est pour prendre la température !
- Et ?
- Bee et Maximilian ont raison. Je me suis trompé dans le profil. Cet homme n'a aucunement l'intention de mourir ici. Il a plan un B.
- Je me disais aussi. Son regard n'est pas celui d'un kamikaze.
- Alors, si tu es libre, ton pouvoir peut nous servir à quelque chose ?
- Non, je n'ai aucune idée de ce c'est ! Je l'ai mangé il y a un mois et toujours rien.
- Sérieux ? Toi la bourrine qui acquiert un pouvoir inutile qui refuse de se manifester ? Le karma ça existe.
- Ta gueule et travaille à une solution. Moi aussi, j'y planche.
- Qu'est-ce-que vous voulez enfin, Lavoisier ? demande le roi. Dites et laissez rentrer ces enfants chez eux.
- C'est vrai, nous avons assez perdu de temps. Ce que je veux, c'est le Silence.
- Le silence ?
- Pas le silence, le SILENCE. Jared sait de quoi je parle.
- Vous rêvez ! répond abruptement l'officier.
- Sous-amiral ?
- Désolé Majesté mais cela n'est pas de votre ressort mais celui de l'amirauté. Cet homme n'obtiendra jamais gain de cause.
- Pour éclairer votre lanterne, Maximilian, le Silence est le dernier petit bijou de la Brigade Scientifique. Une petite merveille de concentré de technologie.
- Un bateau ? Vous voulez un bateau pour vous en aller ?
- Pas un bateau. Le Silence. Qu'il vienne se poser sur le parvis du Rectorat d'ici deux heures.
- Pardon ? Se poser ?
- Et oui, n'ai-je pas dit que c'était un bijou ? Le Silence est navire volant. Enfin, je ne suis pas expert mais si la navigation inter pays est compliquée, il ne devrait pas avoir de mal à rejoindre Jalabert une fois en approche des côtes de Boréa. Je sais aussi qu'il est en test en ce moment même dans les eaux du Protectorat de Vulcastan. Et c'est à moins de deux heures d'ici alors...
- Vous rêvez, espèce de cinglé dégénéré ! tonne Jared. Vous vous imaginez que Gouvernement pliera devant vous parce que vous détenez quelques otages précieux ?! On n'a pas hésité à sacrifier des peuples entiers par le passé ! Rendez-vous tout de suite, où dès que je reçois mes ordres, on donne l'assaut, peu importe les menaces ! On ne va certainement pas mettre en péril l'avenir de ce monde en vous donnant une technologie pour sauver le présent !
- Vous, vous ferez un bon politicien, mais tombez le masque, c'est mieux pour le charisme, réplique Lavoisier avec sourire. Le Buster Call, bel exemple. Mais ceux qui ont été exterminés n'étaient pas reliés à ceux qui prirent ce genre de décision. Êtes-vous père, Jared ? Non ? Dans ce cas, vous ne pouvez pas comprendre l'amour paternel. Venez ici jeune homme et déclinez votre identité à ce Sous-amiral, s'amuse Lavoisier en extrayant du lot d'otages tremblants, un type à la peau d'ébène.
OUI ! OUI ! jubile-t-il ensuite tel un dément. C'est ça que j'espérais voir ! La défaite dans vos yeux, Jared ! Oh bon sang, c'était jouissif ! C'était un éclat délicieux !
- C'est qui ce type, Lady ?
- Aucune idée. Surement un fils à papa très important. Jared est aussi blanc qu'un œuf. Regarde Maximilian, il le reconnait lui aussi.
- Pas ta Midnight.
- Allons, présentez-vous mon garçon.
- R-rigobert Drinkwater.
- Votre vrai nom, mon garçon.
- Ryosuké Vagner.
- Bordel de merde ! Que le grand crique me croque ! Vagner ?
- Noooon. Le père de ce type serait le Monsieur Politique des Cinq Étoiles ?
- Ah vous ne saviez pas qu'il étudiait ici, n'est-ce pas ? Moi non plus, avant de devenir recteur en début d'année. Ça fait partie de la politique de protection des familles des gens aux sommets du monde. Deux hommes à l'allure très officiels m'ont forcé un rendez-vous le premier jour de ma nomination pour me signaler que le fils d'un Gorosei était là ! A ma portée ! J'étais le seul au courant, mon prédécesseur étant mort en fonction. Ils ne m'ont rien dit à propos de son service de sécurité mais j'ai très tôt fait de percer le mystère de deux de ses camarades de classe. Cipher Pol. Bon bref, ce gamin vaut de l'or. Alors passez un coup de fil à son père si vous pouvez voler dans ces strates Jared, mais j'en doute. Nordin, lui le peut, sûrement. Demandez à Kyozu Vagner quel est son choix. Entre son fils ainé et un pauvre bateau. Mais quelle que soit sa réponse, cette crise trouvera une issue dans deux heures alors, à bientôt les gens. Je vous rappellerai dans un moment pour connaitre votre réponse.
- Vous n'êtes qu'un fumier ! Vous supplierez qu'on vous achève quand on mettra... CLASH !
- La ferme, Lady ! enjoint Odin, le Général commandant des Autres qui lui assène un coup à la tête.
- Donc c'est ça ton échappatoire ? Partir en bateau volant ? Et si Vagner te dit merde ? Et même s'il dit oui, avec ce rapt-ci, cette affaire prend une tournure beaucoup trop médiatique.
- On verra, on verra bien, Loth. Moi je mise sur le pouvoir de l'amour.
- Le cas échéant ? Odin, vous êtes prêt à mourir pour lui ?
- C'est l'job. Il a été très clair dès l'départ et c'est bien payé.
- En enfer, les Berry ça sert à rien, réplique Ombeline. Allez, enlève ce satané granit, Odin. Toi et moi, en combat singulier. T'as pas envie de t'amuser ?
- Pas forcément. Le combat ça ne me dit rien tant que je peux l'éviter.
- Peuh, trouillard. On va s'ennuyer ferme alors.
- Oh non, j'ai préparé une série d'encas pour Loth, se réjouit Lavoisier. Mais d'abord je vais régler mes comptes avec mes vieux camarades.
Un semi-automatique à la main, il obombre les Lune Jaune et Rouge. Si la première a été sévèrement torturée et au bord de l'inconscience, la Rouge fraichement arrivée, ligotée et bâillonnée dévisage Oort avec une haine qui tranche de la supplication qui fut la sienne quand il apprit qu'il allait être remis à Lavoisier. D'ailleurs, ce dernier la lui rend bien, son expression n'est que dégoût et haine. « Merci de m'avoir fait intégrer vos rangs, merci de m'avoir formé et d'avoir fait de moi l'homme je suis. On se sera bien amusé ensemble à contrôler ce royaume mais cette fin était courue d'avance. Ici prend fin le clash des Lunes et les Lunes de Boréa. » Froidement, il lève son arme puis deux "Bang" sonores emplissent la pièce. Du sang gicle, et les otages se retiennent de hurler mais s’effondrent en silence. La page des Lunes de Boréa est clause, il n'en reste que deux en vie. La Mauve et la Bleue. La Verte, une énigme même pour les autres Lunes, n'entre pas dans l'équation. Pendant un long moment, Loth regarde fixement les éclaboussures sanglantes qui marbrent le mur blanc puis reporte son attention sur l'autre trace de sang indiquant l'exécution plus tôt de Jocelyne Snowgrass. « Le sang t'hypnotise Loth, ou tu es hématophobe ? Tu sais ce qu'on ressent quand on se venge ? »
- Libère-moi et je te montrerai.
- Ouais, bonne réponse, j'aurais pas dit mieux. Libérez-nous et je vous montrerai ce qu'est un hématophage, complète Ombeline.
- Vous formez un beau couple. Mais tu n'as aucune raison de te venger de moi, Loth. C'est moi qui t'en veux à mort d'avoir détruit ce que j'ai mis vingt ans à construire ! Toi qui a tué mes employés, mes amis !
- Moi aussi je les ai tués. Samory Queen, le numéro 4 et chef d'équipe du CP5 qui vous prévenait de toutes les enquêtes visant Ashura. Mais pour quelqu'un en quête de vengeance, tu manques de rage, Lavoisier !
- Tout à fait, Ombeline. La rage, je l'ai éprouvé depuis la mort de mon amie Marie-Curie.
- C'était une génocidaire qui a gazé trois cent trois personnes d'une même tribu, juste pour libérer de la place et construire son usine de Dance Powder sur leur territoire. Le monde se porte mieux sans elle, réplique Loth.
- C'était ma plus vieille amie ! Bref, Lady, je disais, j'ai éprouvé de la rage ! J'ai déversé ma colère en mettant en pièce de parfaits inconnus ! Et guidé par la rage, j'ai fait des erreurs impardonnables qui ont chacune conduit Loth a nuire davantage à Ashura. Toujours c'était ma faute et celle de ma rage, de ma suffisance. Puis, un beau jour, je suis tombé sur une maxime des Moines Servites. Les mêmes qui ont formé Loth : "La vengeance est un plat qui se mange non pas froid, mais avarié."
Derrière moi j'ai laissé ma colère, suis revenu à de meilleurs sentiments et me suis demandé : comment me venger de Loth Reich ? Comment l'impacter dans sa chair et lui rendre au centuple ce qu'il m'a pris ? Et pour répondre à cette question, on va jouer à un petit jeu.
- Je ne jouerai à aucun de tes jeux.
- Oh si, joue avec moi. Tu as des chiffres : De 1 jusqu'à 10. Mélange-les et classes-les dans l'ordre que tu désires.
- ...
- Allez, joue !
- Fais-ce qu'il te dit binocle.
- Hors de question. C'est un narcissique classique obsédé du contrôle doublé d'un complexe de dieu. Je ne vais pas jouer à être sa marionnette.
- Tu devrais l'écouter autrement, tu risques d'avoir la mort de quelqu'un sur la conscience, dit Lavoisier avec un ton sans humeur. Donne-moi les chiffres.
- Va te faire voir !
Bang !
- NON MAIS T'ES CINGLÉ !
- Il s'appelait Dylan Mcmillan, dix-huit ans, seul fils de la noble famille Mcmillan de Saint Uréa. C'est de ta faute s'il est mort Loth.
- Je suis ligoté, c'est toi qui a l'arme. Ne pense pas une seconde que ça va m'atteindre.
- Non ? Un autre alors, on verra combien de morts te seront suffisants pour m’obéir. Il y en a encore quatre-vingt-dix-huit ici, dit-il en trainant une rouquine terrifiée devant lui.
- DÉCONNE PAS LOTH, DONNE LUI SES PUTAINS DE CHIFFRE !
PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
- Maximilian n'est pas un roi comme les autres et je devais intervenir. Il perdait les pédales avec son syndrome du héros.
- N'empêche, il aurait pu ordonner qu'on fasse sauter ta tête.
- Un risque minime. Il a peut-être déclaré la guerre aux Lunes mais c'est moi qui ai fait tout le boulot et ai fini deux fois dans le coma. J'ai affermi son trône et il a plus que besoin de moi.
- Mouais, pour la première fois, je reconnais que t'en as des balls. Une bonne paire. Sinon, tu te plais à mater mon cul ? C'est pour ça que t'as voulu rester en arrière ?
- La ferme Ombeline ! Nous sommes à la queue-leu-leu dans ce tunnel, si tu penses que c'est par plaisir ! Et puis, je serai cinglé de te laisser derrière moi.
- Quoi, je te file les jetons, chéri ?
- Le mot est faible.
- En tout cas, c'est dommage que grande sœur soit blessée. On se serait bien amusé ensemble.
- Bien sûr. C'est le rêve de tous les hommes d'aller en infiltration avec les sœurs sadiques.
Ça sent le moisi et chaque pas est une épreuve à cause de la mousse très glissante qui recouvre les parois. Ce boyau est une ancienne canalisation d'eau tombée en désuétude depuis des lustres. Malgré cela, la présence de mousse prouve que de l'eau continue de couler ici de temps à autre, sûrement vers la Pleureuse. Le plafond est très bas, ce qui oblige l'équipe d'infiltration à avancer à quatre pattes. A leur tête, le jeune Tommy Mouton dont la main a été forcée compte tenu de la topographie des lieux. Il n'y a en effet pas un seul tunnel qui mène droit à la Chambre mais des dizaines entrelacés dans un labyrinthe souterrain. Ils datent tous des débuts de la ville, plus d'un siècle plutôt et ne sont répertoriés sur aucune carte parce qu'ils ont été scellés ou abandonnés suite à des éboulements. Ceux-là, aucune chance que Lavoisier les maitrisent et s'ils n'y ont pas pensé avant l'apparition de Tommy et de ses compères c'est parce que personne ne connaissait l'entrée d'un des boyaux de jadis. Après une centaine de mètres, la galerie débouche sur un vaste espace souterrain nauséabond où convergent une multitude de tuyaux assez mastoc chacun pour laisser passer une vache.
Loth comprend que l'espace est ce qui reste d'une ancienne canalisation principale qui recueillait les déchets de tous les embranchements. Bien sûr, c'est sombre et humide ; leur lampe torche dissipent à peine ces ténèbres qui semblent opaques. Sans Tommy, ils auraient fait demi-tour à moins de prendre le risque de se perdre à jamais. Au lieu de ça, le jeune homme les aiguille vers un tube en face à droite de celui dont ils sont sortis. Rien ne le distingue des autres, mais Tommy assure avoir passé des mois dans ces entrailles et les connaitre comme sa poche. Les voleurs ont de la ressource, Loth le sait mieux que quiconque alors ils le suivent. Tommy a estimé à deux kilomètres en tout la longueur du trajet. Les tunnels sont de différentes formes, droites, arquées et parfois zigzaguées. D'autres fois, ils sont en pente descendante tel un toboggan crasseux. Sales et puants, ils le sont depuis longtemps. Sporadiquement, un bruit de cassure croustillant se répète en écho sur les murs. C'est le signe que quelqu'un a marché sur le squelette d'un petit animal. Au détour d'une galerie à angle droit, ils tombent sur un squelette humain complet.
- Oh putain...
- C'est là depuis longtemps, dit Tommy.
- Et t'as pas pensé à alerter quiconque ? Ben non, t'aurais été obligé d'expliquer ce que tu fichais là, c'est ça ? demande Ombeline.
- A mon avis, il est mort depuis plus de vingt ans.
- Comment tu peux savoir ça ?
- Un jeu d'enfant. Tu vois ce champignon strié qui lui a poussé sur la rotule droite ? C'est un Lycoperdon umbrinum eternae, de son nom commun Vesse-de-loup-millénaire. C'est un champignon rare qui germe dans les chairs en décomposition et qui grandit à raison d'un centimètre chaque deux ans.
- Dix centimètres, donc vingt ans. Cool.
- C'était un homme d'après la forme du bassin et regardez, sa troisième côte droite présente une coupure profonde qui peut indiquer qu'une flèche ou une sagaie a pénétré par...
- Loth ! C'est important là maintenant ?
- J'imagine que non.
- Tu t'amuseras avec ce meurtre plus tard, on a de l'huile sur le feu. La Lune Rouge a déjà dû livrer la nourriture, on doit les attaquer pendant qu'ils se restaurent. Allez on se bouge le cul, les enfants ! ordonne la Commandante.
Après d'autres dédales supplémentaires, ils arrivent au bord d'un genre de piscine dont Loth peine à deviner l'utilisation antérieure. A cause de ses eaux anthracites et flétries, la fétidité leur agresse les narines. Les membres de l'escouade y dardent leurs torches, anxieux à l'idée qu'un quelconque vivant puisse être tapi dans le bassin. « Nan, nan, y a rien de tel ! Quand je suis arrivé ici pour la première fois, je suis tombé dedans. Il fallut me déparasiter pendant longtemps après mais à part des bactéries, y a rien. Faut juste passer sur le rebord et après ça tourne et on sera en dessous de la Chambre. » Tommy est le premier à emprunter la mince surélévation sur le bord droit de la piscine qui dessert l'autre côté. Il avance latéralement et presque à tâtons, dos à la paroi. Les cinq membres restants de l'équipe le suivent. Rechignant de se laisser embarquer dans cet étrange numéro de funambule, Loth et Ombeline optent pour une autre solution. Les airs. Geppou pour la Commande, son équivalent manuel pour Loth. Le Karaté Aérien qui constitue une des branches ultime de son art martial lui permet notamment -à l'instar du Geppou- de frapper l'air et de le solidifier pour y prendre appui. Sauf qu'il utilise ses mains.
Ombeline se gausse des funambules en sautillant au-dessus de la marée noire de la cuvette puis soudainement, elle se fige tout comme Loth à ses côtés. Ça se passe un moins d'un battement de cœur, pendant un instant irréel où tout semble se dérouler au ralenti. Ils perçoivent un déplacement très rapide dans l'air et tous deux impriment un mouvement d'esquive. Ils ne déportent pas assez de la trajectoire du projectile quand ce dernier explose avec fracas. D'abord, l'illumination éphémère et intense des ténèbres, puis l'onde de choc surchauffée. Le Retour à la Vie l'aidant, Loth peut contracter ses muscles en moins d'une seconde pour encaisser ce choc. Il est brutal et le percute avec la force d'un train à vitesse de croisière. Il réussit juste à penser « Guet-apens... Tommy... Grenade... » La chute dans la flaque est inévitable et suivie d'un moment d'absence. Loth est réveillé, tête dans la flotte, par des tirs nourris. Les échos rendent le boucan encore plus infernal. Dans l'obscurité tangible, juste des éphémères flashs provenant de l'autre côté de la piscine. Son cœur bat à tout rompre et il essaie de se dégager de là. Les complaintes se mêlent aux crépitements des balles qui ricochent parfois et tombent près de lui. Et dans ce capharnaüm, l'ennemi demeure invisible.
Loth se hisse sur l'autre côté de la cuvette, prêt à en découvre mais si seulement il pouvait les voir ! Sa lampe n'éclaire rien ou presque. Sauf le cadavre de Tommy allongé non loin, baignant dans son propre sang, les yeux vides. S'il n'est pas le traitre alors comment ? Haletant de son bain glacial, le Moine Hérétique entend de furieux gigotements dans l'eau. Quelqu'un se noie. Sa lampe éclaire ce qu'il reconnait comme Aguicheuse, le katana d'Ombeline. L'effet de douche froide s'accentue. Pourquoi se noierait-elle ? A-t-elle reçu une balle dans les membres ? Sans réfléchir davantage, il replonge dans la flaque et en ressort quelques secondes plus tard l’Épée du Matin. Il n'y a pas de sang qui suinte d'elle, pas plus qu'elle n'arbore une blessure visible. Toussotant, éructant, désorientés, ils sont impuissants et sentent une nasse les recouvrir et les entasser. Loth essaie de faire appel au Retour à la Vie sans succès, la morsure du froid semble empêcher l'éveil des cellules. N'abandonnant pas, il tire de toutes ses forces sur les mailles pour rompre le filet sans plus de réussite. « Ombeline, fais quelque chose, reste pas... » S'il s'interrompt dans sa phrase, c'est qu'il se rend compte que loin des affres de la noyade, sa compagne d'infortune à l'air d'être au comble de la fatigue. Et il comprend, avec incrédulité.
- Tiens, tiens. Paul, j'crois qu'on a une Maudite des eaux, ici.
- Et Reich ?
- Je l'ai aussi. La prise du siècle pour moi.
- Ouf, tous les autres sont cannés. J'pensais qu'on l'avait zigouillé, le boss aurait pas été content du tout. Ah le voilà. C'qui la meuf ? On s'en débarrasse ?
- T'es ouf ou quoi ?
- C'est une démone.
- Et on a des armes pour affaiblir les démons. Et puis, j'ai déjà vu sa tête plusieurs fois dans la presse. L'épée du Matin qu'on la surnomme. Le Boss ou le Général s'ront ravis d'la voir aussi. On embarque ça !
[...]
- Loth, Loth, Loth. Qu'est-ce que c'est gentil de nous rendre visite, je me demandais quand tu allais faire ton entrée en scène. Car le plat de résistance, c'est toi.
La voix enjouée est lointaine et les bourdonnements incessants dans son crâne n'aident pas. Pas plus que le sang qui perle et goutte de sa tempe. Ses derniers souvenirs remontent à l'obscurité des souterrains et à un coup violent sur la tête. Là, il est assis, menotté les mains dans le dos. Ses chevilles également sont ferrés, à base de granit marin vu qu'il n'arrive pas à briser ses menottes. Sa vision d'abord floue corrige les bugs petit à petit et fait le point. La pièce est vaste, et contient deux niveaux. Le plus bas est rempli de sièges tandis qu'une espèce d'estrade leur fait face. Ils sont dans un amphithéâtre, celui du Rectorat. Loth est déjà venu ici un auparavant. Le mur en face qui soutient le tableau noir est d'un blanc étrange, presque lumineux. Sur l'estrade sont entassés les étudiants recroquevillés, et bâillonnés. Ils sont épouvantés, hagards, tremblants et certains, blessés. Le silence est aussi glacial que les vêtements trempés et puants du Moine Hérétique. Devant lui, juché sur une table massive sculptée et vernis d'ambre, celui qu'il recherche depuis un an. Ébénézer Oort Aka Lavoisier. Loth n'aurait jamais pu oublier les détails de son apparence. Chauve, lunette ronde sur le nez, la barbe impeccablement taillée et dont la blancheur inspire une infinie confiance. Mais beaucoup apprirent à leur dépend que l'habit ne fait pas le moine.
- Salut, tu t'amuses bien ? Je peux te tutoyer non ?
- Oh, très très bien. Bien sûr. La nourriture était super bonne, merci de ne pas l'avoir empoisonnée.
- Bof, qui ferait ça, nous n'y avons pas pensé ne serait-ce qu'une fois. Sinon moi j'étais en route avec des copains pour te passer le bonjour mais semblerait que tu aies su. J'ai d'abord pensé à la traitrise de ce pauvre Tommy mais vu qu'il a payé sa hardiesse de sa vie, je me demande.
- Trois fois rien, tu sais. Une patrouille, une bouche d’égout mal refermée dans la Chambre, une autre patrouille...
- Aaah. Un coup de chance quoi.
- La chance fait partie du rayonnement des gagnants.
- Parce que tu te sens gagnant là ?
- Pourquoi pas ? Je me suis bien mis là, j'ai tous les acteurs du scénario de ma vie, pardon, le scénario de ma débâcle passée devant moi. Je suis l'homme le plus heureux du monde ! Tiens regarde à ta gauche, tu n'as pas eu le plaisir de le rencontrer lui, non ? dit-il tout joyeux en montrant un vieil homme en haillon et ensanglanté adossé au mur lacté.
- Non, pas directement.
- C'est la Lune Jaune, Ottoh von Bodmann, grand prête d'Aurora. Tu te souviens quand tu as mis en scène ta mort après que j'ai envoyé les Autres te tuer ? C'est lui qui a dirigé la messe durant tes funérailles.
- Oh merci, vieil homme. Il bouge à peine. Les civilités entre anciens compagnons ?
- Oui. Barbecue, viande saignante, tout ça. Tu connais.
- ARRÊTEZ LE BULLSHIT ! hurle Ombeline que Loth est surpris de voir dans la même position à sa gauche.
- Oh, qu'avez-vous contre les discussions posées, Ombeline Santana ? On parle de vous comme d'une bête assoiffée de sang.
- Libérez-moi et je vous ferai la démonstration !
- Vous êtes bien énergique pour une maudite entravée au granit marin. D'habitude, ça vampirise vos forces à vous autres maudits.
- Je fonctionne à la rage.
- Ah. Bon, si les civilités sont terminées alors passons aux choses sérieuses.
Il place un visioescagophone sur sa table puis l'active. L'appareil projette une lumière sur le mur blanc. Ça sonne un bref instant puis Jared, Bee et Maximilian apparaissent dans la projection. Leur première réaction est l'effarement et dans les yeux du roi, une forte déception. Il aurait surement hurlé un "je-vous-l'avais-dit" si la situation n'était pas si dramatique. Lavoisier quant à lui s'époumone de rire jusqu'à finir à genou. « Je me disais bien que vous tenteriez quelque chose. Je savais que les catacombes sous la ville allaient être le seul point faible à mon entreprise. Pas de cartes, entrées et débouchées oubliées depuis des temps immémoriaux. Vous suscitez mon admiration les gens, bravo ! L'escargophone géant est mort, pauvre bête. Mais si vous avez encore d'autres coups foireux comme ça, je vous conjure de les METTRE EN BERNE ! » dit-il en haussant la voix pour la première fois. « Le prochain intrus que mes hommes découvrent signera l'arrêt de mort de toute la chaine debout dehors ! C'est ça que vous voulez ? » Loth, honteux d'avoir échoué évite de regarder Maximilian. Il faudra passer sur le corps du roi pour tenter autre chose maintenant. Et d'ailleurs, il ne voit pas du tout ce qui pourrait marcher, c'était le seul plan.
- C'est quoi ton pouvoir ?
- Le fruit de l'orgasme. Je te touche et t'as le pied de ta vie.
- Tu penses que c'est le moment de plaisanter ?
- Toi, tu t'es bien tapé la causette pépère avec lui, y a deux minutes.
- C'est pour prendre la température !
- Et ?
- Bee et Maximilian ont raison. Je me suis trompé dans le profil. Cet homme n'a aucunement l'intention de mourir ici. Il a plan un B.
- Je me disais aussi. Son regard n'est pas celui d'un kamikaze.
- Alors, si tu es libre, ton pouvoir peut nous servir à quelque chose ?
- Non, je n'ai aucune idée de ce c'est ! Je l'ai mangé il y a un mois et toujours rien.
- Sérieux ? Toi la bourrine qui acquiert un pouvoir inutile qui refuse de se manifester ? Le karma ça existe.
- Ta gueule et travaille à une solution. Moi aussi, j'y planche.
- Qu'est-ce-que vous voulez enfin, Lavoisier ? demande le roi. Dites et laissez rentrer ces enfants chez eux.
- C'est vrai, nous avons assez perdu de temps. Ce que je veux, c'est le Silence.
- Le silence ?
- Pas le silence, le SILENCE. Jared sait de quoi je parle.
- Vous rêvez ! répond abruptement l'officier.
- Sous-amiral ?
- Désolé Majesté mais cela n'est pas de votre ressort mais celui de l'amirauté. Cet homme n'obtiendra jamais gain de cause.
- Pour éclairer votre lanterne, Maximilian, le Silence est le dernier petit bijou de la Brigade Scientifique. Une petite merveille de concentré de technologie.
- Un bateau ? Vous voulez un bateau pour vous en aller ?
- Pas un bateau. Le Silence. Qu'il vienne se poser sur le parvis du Rectorat d'ici deux heures.
- Pardon ? Se poser ?
- Et oui, n'ai-je pas dit que c'était un bijou ? Le Silence est navire volant. Enfin, je ne suis pas expert mais si la navigation inter pays est compliquée, il ne devrait pas avoir de mal à rejoindre Jalabert une fois en approche des côtes de Boréa. Je sais aussi qu'il est en test en ce moment même dans les eaux du Protectorat de Vulcastan. Et c'est à moins de deux heures d'ici alors...
- Vous rêvez, espèce de cinglé dégénéré ! tonne Jared. Vous vous imaginez que Gouvernement pliera devant vous parce que vous détenez quelques otages précieux ?! On n'a pas hésité à sacrifier des peuples entiers par le passé ! Rendez-vous tout de suite, où dès que je reçois mes ordres, on donne l'assaut, peu importe les menaces ! On ne va certainement pas mettre en péril l'avenir de ce monde en vous donnant une technologie pour sauver le présent !
- Vous, vous ferez un bon politicien, mais tombez le masque, c'est mieux pour le charisme, réplique Lavoisier avec sourire. Le Buster Call, bel exemple. Mais ceux qui ont été exterminés n'étaient pas reliés à ceux qui prirent ce genre de décision. Êtes-vous père, Jared ? Non ? Dans ce cas, vous ne pouvez pas comprendre l'amour paternel. Venez ici jeune homme et déclinez votre identité à ce Sous-amiral, s'amuse Lavoisier en extrayant du lot d'otages tremblants, un type à la peau d'ébène.
OUI ! OUI ! jubile-t-il ensuite tel un dément. C'est ça que j'espérais voir ! La défaite dans vos yeux, Jared ! Oh bon sang, c'était jouissif ! C'était un éclat délicieux !
- C'est qui ce type, Lady ?
- Aucune idée. Surement un fils à papa très important. Jared est aussi blanc qu'un œuf. Regarde Maximilian, il le reconnait lui aussi.
- Pas ta Midnight.
- Allons, présentez-vous mon garçon.
- R-rigobert Drinkwater.
- Votre vrai nom, mon garçon.
- Ryosuké Vagner.
- Bordel de merde ! Que le grand crique me croque ! Vagner ?
- Noooon. Le père de ce type serait le Monsieur Politique des Cinq Étoiles ?
- Ah vous ne saviez pas qu'il étudiait ici, n'est-ce pas ? Moi non plus, avant de devenir recteur en début d'année. Ça fait partie de la politique de protection des familles des gens aux sommets du monde. Deux hommes à l'allure très officiels m'ont forcé un rendez-vous le premier jour de ma nomination pour me signaler que le fils d'un Gorosei était là ! A ma portée ! J'étais le seul au courant, mon prédécesseur étant mort en fonction. Ils ne m'ont rien dit à propos de son service de sécurité mais j'ai très tôt fait de percer le mystère de deux de ses camarades de classe. Cipher Pol. Bon bref, ce gamin vaut de l'or. Alors passez un coup de fil à son père si vous pouvez voler dans ces strates Jared, mais j'en doute. Nordin, lui le peut, sûrement. Demandez à Kyozu Vagner quel est son choix. Entre son fils ainé et un pauvre bateau. Mais quelle que soit sa réponse, cette crise trouvera une issue dans deux heures alors, à bientôt les gens. Je vous rappellerai dans un moment pour connaitre votre réponse.
- Vous n'êtes qu'un fumier ! Vous supplierez qu'on vous achève quand on mettra... CLASH !
- La ferme, Lady ! enjoint Odin, le Général commandant des Autres qui lui assène un coup à la tête.
- Donc c'est ça ton échappatoire ? Partir en bateau volant ? Et si Vagner te dit merde ? Et même s'il dit oui, avec ce rapt-ci, cette affaire prend une tournure beaucoup trop médiatique.
- On verra, on verra bien, Loth. Moi je mise sur le pouvoir de l'amour.
- Le cas échéant ? Odin, vous êtes prêt à mourir pour lui ?
- C'est l'job. Il a été très clair dès l'départ et c'est bien payé.
- En enfer, les Berry ça sert à rien, réplique Ombeline. Allez, enlève ce satané granit, Odin. Toi et moi, en combat singulier. T'as pas envie de t'amuser ?
- Pas forcément. Le combat ça ne me dit rien tant que je peux l'éviter.
- Peuh, trouillard. On va s'ennuyer ferme alors.
- Oh non, j'ai préparé une série d'encas pour Loth, se réjouit Lavoisier. Mais d'abord je vais régler mes comptes avec mes vieux camarades.
Un semi-automatique à la main, il obombre les Lune Jaune et Rouge. Si la première a été sévèrement torturée et au bord de l'inconscience, la Rouge fraichement arrivée, ligotée et bâillonnée dévisage Oort avec une haine qui tranche de la supplication qui fut la sienne quand il apprit qu'il allait être remis à Lavoisier. D'ailleurs, ce dernier la lui rend bien, son expression n'est que dégoût et haine. « Merci de m'avoir fait intégrer vos rangs, merci de m'avoir formé et d'avoir fait de moi l'homme je suis. On se sera bien amusé ensemble à contrôler ce royaume mais cette fin était courue d'avance. Ici prend fin le clash des Lunes et les Lunes de Boréa. » Froidement, il lève son arme puis deux "Bang" sonores emplissent la pièce. Du sang gicle, et les otages se retiennent de hurler mais s’effondrent en silence. La page des Lunes de Boréa est clause, il n'en reste que deux en vie. La Mauve et la Bleue. La Verte, une énigme même pour les autres Lunes, n'entre pas dans l'équation. Pendant un long moment, Loth regarde fixement les éclaboussures sanglantes qui marbrent le mur blanc puis reporte son attention sur l'autre trace de sang indiquant l'exécution plus tôt de Jocelyne Snowgrass. « Le sang t'hypnotise Loth, ou tu es hématophobe ? Tu sais ce qu'on ressent quand on se venge ? »
- Libère-moi et je te montrerai.
- Ouais, bonne réponse, j'aurais pas dit mieux. Libérez-nous et je vous montrerai ce qu'est un hématophage, complète Ombeline.
- Vous formez un beau couple. Mais tu n'as aucune raison de te venger de moi, Loth. C'est moi qui t'en veux à mort d'avoir détruit ce que j'ai mis vingt ans à construire ! Toi qui a tué mes employés, mes amis !
- Moi aussi je les ai tués. Samory Queen, le numéro 4 et chef d'équipe du CP5 qui vous prévenait de toutes les enquêtes visant Ashura. Mais pour quelqu'un en quête de vengeance, tu manques de rage, Lavoisier !
- Tout à fait, Ombeline. La rage, je l'ai éprouvé depuis la mort de mon amie Marie-Curie.
- C'était une génocidaire qui a gazé trois cent trois personnes d'une même tribu, juste pour libérer de la place et construire son usine de Dance Powder sur leur territoire. Le monde se porte mieux sans elle, réplique Loth.
- C'était ma plus vieille amie ! Bref, Lady, je disais, j'ai éprouvé de la rage ! J'ai déversé ma colère en mettant en pièce de parfaits inconnus ! Et guidé par la rage, j'ai fait des erreurs impardonnables qui ont chacune conduit Loth a nuire davantage à Ashura. Toujours c'était ma faute et celle de ma rage, de ma suffisance. Puis, un beau jour, je suis tombé sur une maxime des Moines Servites. Les mêmes qui ont formé Loth : "La vengeance est un plat qui se mange non pas froid, mais avarié."
Derrière moi j'ai laissé ma colère, suis revenu à de meilleurs sentiments et me suis demandé : comment me venger de Loth Reich ? Comment l'impacter dans sa chair et lui rendre au centuple ce qu'il m'a pris ? Et pour répondre à cette question, on va jouer à un petit jeu.
- Je ne jouerai à aucun de tes jeux.
- Oh si, joue avec moi. Tu as des chiffres : De 1 jusqu'à 10. Mélange-les et classes-les dans l'ordre que tu désires.
- ...
- Allez, joue !
- Fais-ce qu'il te dit binocle.
- Hors de question. C'est un narcissique classique obsédé du contrôle doublé d'un complexe de dieu. Je ne vais pas jouer à être sa marionnette.
- Tu devrais l'écouter autrement, tu risques d'avoir la mort de quelqu'un sur la conscience, dit Lavoisier avec un ton sans humeur. Donne-moi les chiffres.
- Va te faire voir !
Bang !
- NON MAIS T'ES CINGLÉ !
- Il s'appelait Dylan Mcmillan, dix-huit ans, seul fils de la noble famille Mcmillan de Saint Uréa. C'est de ta faute s'il est mort Loth.
- Je suis ligoté, c'est toi qui a l'arme. Ne pense pas une seconde que ça va m'atteindre.
- Non ? Un autre alors, on verra combien de morts te seront suffisants pour m’obéir. Il y en a encore quatre-vingt-dix-huit ici, dit-il en trainant une rouquine terrifiée devant lui.
- DÉCONNE PAS LOTH, DONNE LUI SES PUTAINS DE CHIFFRE !
PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
- Je ne m'attendais pas à avoir sitôt de vos nouvelles, Nordin. Vous avez une bonne nouvelle pour moi ?
- Non, ça s'avère plus ardu que prévu.
- Ah, les batailles de juridiction et de pressions ? Ouais, je connais, on faisait la même dans le Conseil pour empêcher votre père de faire passer des décrets. Pourquoi cet appel alors ? Vous avez deux heures, je ne reviendrai pas dessus.
- On a entendu trois coups de feu et on voulait savoir ce qui se passe ! rétorque Midnight à côté du roi.
- Ah, ce n'est rien, juste Phineas et Ottoh qui nous ont quittés. Et un garçon du nom d'Edgell.
- Quoi ?! V-vous p-pourquoi vous exécutez des otages ?! bafouille Nordin, horrifié.
- Rien à avoir avec vous, juste Loth qui me résiste et refuse de jouer à un jeu avec moi. D'ailleurs, je m'apprête à faire exploser la cervelle de cette fille pour lui montrer que je ne bluffe jamais ! Tiens, je t'enlève ton bâillon, petite.
- Pitiéé ! Je v-vous en prie, non, se lamente-t-elle. Faites-ce qu'il vous dit, professeur Reich, s'il vous plait !
- Professeur ? Ah oui, tu as enseigné ici après la mort de Marie-Curie. Tu étudies la criminologie ?
- Oui, j'étais dans sa classe, *snif-snif* J-j'ai pas envie de mourir ! Ayez pitié ! *snif-snif*
- LOTH ! tonne le roi de l'autre côté ! C'est à cause de toi que j'ai autorisé cette mission foireuse ! Le moins que tu puisses faire c'est de nettoyer ta merde ! FAIS CE QU'IL TE DIT ! Ton rôle est de préserver toutes les vies possibles, pas de les gâcher dans un duel d'égo ! Tu m'entends ? C'est un ordre ! LOTH ?
- Ça va. 7-2-1-8-10-3-6-4-9-5.
- Tu vois ? Ce n'est pas si compliqué ! se réjouit Lavoisier. D'ailleurs, gardez la ligne ouverte Midnight, je vous invite à participer à la fête que j'ai organisée juste pour mon ami Loth. DJ, envoi la sono !
- SOME PEOPLE MAKE IT, WHAT CAN I DOOOOOOOO ! OH BABY OHOOOHOOOOH ! JE RESSENS TON DÉSIR, JE GARDE TON ODEUR, PENDANT DES HEURES OOOUUUHHHHHHH !
- C'est quoi ce délire ?
- Reste concentrée.
- Enfoiré, je t'en collerai une si j'étais pas menottée ! T'as laissé un pauvre garçon se faire tuer ! Et puis, tu veux que je concentre avec cette musique et notre ennemi qui se déhanche comme s'il avait seize ans ? En plus il bouge bien le vioque...
- Lavoisier est un sociopathe narcissique, ses sentiments, il les feints. Il n'est pas du tout chagriné de la mort de ses "amis", tout ce qu'il désire c'est contrôler le scénario de nos vies, décider qui va mourir ou non.
- DÉSIRE ! LOTH REICH BREAK IT ! MY ENTIRE BUSINESS ! J'AI GARDE SA RANCUNE SUR MOI PENDANT DES HEURES ! OUHHHHHAOOOOOUH ! OH BABY !
- Et en l'énervant on obtient quoi ? Juste la mort d'autres personnes ! Et si t'es pas concerné par la mort de Dylan Edgell alors c'est que t'es sociopathe aussi !
- Ça mort ne me laisse pas indifférent mais je ne me sens pas responsable, ce n'est pas moi qui ai appuyé sur la gâchette. Simple logique. Il veut me briser.
- Mouais, ça j'ai remarqué. A quoi servent les chiffres que t'as donnés ? Ça en plus du fait qu'il veut que tu expérimentes la "douleur" qu'il a ressenti, ça me dit rien qui vaille. C'est peut-être l'ordre dans lequel des bombes dissimulées vont exploser et il va t'attribuer les morts.
- TON DÉSIR ! JE GARDE TON ODEUR ! SUR MOI PENDANT DES HEURES ! ALLEZ VENEZ LES FILLES ! Dansez comme si c'était votre dernier jour sur terre ! WOOOUHHHAAAA ! Oh Baby !
Le "tube de l'hiver" que diffusent toutes les chaines de radio résonne dans l’amphithéâtre et ajoute une couche de surréalisme au drame. La mise en scène était prévue, des spots de lumière multicolore placés au plafond bougent dans tous les sens donnant à la salle un air de boite de nuit. Sur l'estrade, Lavoisier est rejoint par des femmes aux airs de lolita qui se trémoussent avec lui. Même Odin semble complètement perdu avec son rire jaune d'incrédulité. Idem pour Midnight qui n'a surement jamais été aussi éberluée de sa vie. « I JUST WANT TO LIVE ON MY DÉSIRE ! Woouhooou ! Ça c'est du son ! Je t'aime DJ ! » crie le maitre de cérémonie coincé entre deux poitrines qui lui donnent la réplique de sa danse. « Amenez les chaises les filles ! Oh yeah, aujourd'hui c'est le plus beau jour de nos vies ! Oh entend mon soupir ! Ouuuuuuh ! »
- Tu sais quoi Loth ? Il me fait penser au Joker de la trilogie de Jonathan Spencer.
- La complaisance dans la folie ?
- C'est vraiment la seule explication qui me vienne à l'esprit.
- Lavoisier est loin d'être fou. Tout ça fait partie de son scénario.
- Hey, j'aime pas ça... Les poufs amènent dix chaises...
- Ne regarde pas ses simagrées. Réfléchis à une solution pour nous sortir de là. Ces murs tout blancs par exemple, ils m’intriguent depuis notre arrivée. Au début d'année, avant que le précédent recteur ne soit tué par le Réplicateur, j'étais venu dans cet amphi les murs étaient en briques rouges.
- Les murs ? En quoi c'est important ? Tout le monde refait la déco' quand il s'empare d'un nouveaux bureaux.
- Justement. Ce ne sont pas des bureaux, mais une salle de cours.
- Bah il a refait la déco ! Tu penses à quoi ? Qu'il aurait prévu son coup depuis et aménagé une sorte de trappe secrète pour s'enfuir au cas où ?
- C'est une possibilité.
- Chéri, tu réfléchis trop. Moi je suis plutôt fixée sur l'escargophone écarlate sur la table. Le lieutenant Raven a dit que l'escargot qui contrôlerait la mise à feu des ceintures serait de cette espèce-là. Si on peut le tuer, Jared peut intervenir. Mais il est à douze-treize mètres...
- Et surélevé par rapport à nous. Si je trouve le moyen de quitter la fosse pour l'estrade, je pourrai m'en emparer avec mes cheveux. Retour à la Vie.
- Ouais, faut trouver un moyen rapide. Je ne pense pas que l'amirauté va tolérer son chantage plus longtemps. Regarde l'écran, Maximilian est parti, rejoindre Jared surement.
- Allez stop DJ ! Hoou, on s'est assez amusé pour le moment. Il est temps de faire rentrer les invités qui vont encore plus égayer cette fabuleuse journée ! Invité n°1 Serena !
- Qu'est-ce que... marmonne Loth, foudroyé de stupeur. Quelque part, de ses entrailles et à sa gorge une chaine de nœuds inextricable semble s'être formé.
- Hey, c'est qui cette meuf ?
Grande grâce à ses jambes démesurées, Serena s'avance en titubant à cause des chaines qui lui entravent les chevilles. Comme les autres otages, elle a été bâillonnée. Loth désire discipliner son esprit, ne pas tomber dans le jeu de son adversaire mais son corps bouge frénétiquement malgré lui. Il se tortille jusqu'à s'abimer les poignets dans la vaine entreprise de se libérer. Les larmes perlent sur les joues de Serena quand elle le voit et esquisse un mouvement dans sa direction. Le mercenaire qui l'escorte la force à s’asseoir dans la première chaise. Sur sa poitrine est épinglé un badge marqué "N°1". Comment Lavoisier avait-il pu... S'il n'a pas de contact avec eux, c'est justement pour éviter ce genre de cas, alors comment ? Où ? Loth gigote de plus belle et lance des menaces et malédictions à Lavoisier qui se rit de la situation. Le n°2 à entrer confirme les pires appréhensions du Moine Hérétique. Le vieux moine Cabrel, le bibliothécaire de l'Île de Craie, l'homme avec lequel il a sans doute le plus passé de temps durant ses années au monastère. Les souvenirs l'assaillent, il se revoit tout fraichement libéré du Conclave, découvrant sur cette île à la terre blanche, une bibliothèque aussi grande que celle de cette université. Il se souvient de sa première rencontre avec Cabrel, les livres qu'il lui a conseillé, les journées passées à s'exposer des histoires. Et c'est seulement empli de cette nostalgie que Loth se rend compte à quel point il avait aimé ce vieil homme à la barbe grisonnante, combien il avait compté dans la reconstruction de sa vie.
Et l'objectif de Lavoisier est soudainement clair. Loth arrête de se tortiller et baisse sa tête en proie a une émotion qu'il n'a jamais ressenti de sa vie. Le regret. De n'avoir pas efficacement su effacer les traces de son passé. « T'es vraiment une sale pourriture, Lavoisier ! » crache Ombeline qui comprend aussi la manœuvre du recteur. « Œil pour Œil, Sang pour Sang ! » répond-il avant de présenter les autres "invités". N°3, Gengis.
N°4, la Sœur Léonella, celle qui l'a soigné de ses infections, de sa malnutrition chronique, de son kwashiorkor. Le regret laisse place à la rage et Loth se retrouve à mener un autre combat, contre quelque chose qui nait et qui grandit en lui. Une entité de pure colère qui souhaite émerger. Le Moine Hérétique la repousse dans un numéro de tir à la corde spirituelle. Shawn doit rester sous clé, aussi désespérée que soit la situation, il veut conserver un brin de lucidité et pas céder au Berséker en lui. Déjà pour assumer la bêtise d'avoir condamné ceux qui ont fait sa vie mais aussi parce qu'il cherche toujours une solution. Si seulement il pouvait ruser pour que Lavoisier le rapproche de l'estrade... Mais depuis le début, il garde une distance de sécurité, comme s'il était au courant de ses capacités. S'il a pu remonter aussi loin dans son passé, savoir qu'il utilise le Retour à la Vie est une affaire bénigne.
Le N°5, Rémie Hoover est une figure qu'il n'a pas revue depuis quatorze ans. Elle en avait six la dernière fois qu'ils se sont séparés. Aujourd'hui c'est une femme faite. Aucun des "invités" n'est indemne, Lavoisier ne s'est pas dérangé pour les passer à tabac après les avoir enlevés. Surement en leur martelant que c'est de la faute d'une seule personne. Le N°6 porte à son comble sa culpabilité et manque de le faire chavirer du côté Shawn. Krystalynn. Loth n'a pas besoin de la regarder, il se souvient de tout. De ses cheveux argentés, de sa grâce féline, de son teint de porcelaine... Il désire hurler après Lavoisier mais continue de se répéter en boucle "Fais le vide, discipline ton esprit !" Le N°7, Raphaela de Souza. Le N°8, Jerry Hargreaves... Mais comment... Il est le seul que Loth ose regarder, le seul qui lui semble totalement déphasé dans ce cauchemar. Les prunelles du Moine lui beuglent la question silencieuse : « Putain tu diriges une des branches les plus rentables de la Triade des Quatre Bambous ! Une organisation paramilitaire de plus de trois milles membres armés ! Comment t'es-tu fait prendre CONNARD ?! » Jerry hausse les épaules et secoue la tête. Pour la première, il est en colère contre un autre que lui-même mais à l'image de montages russes, son humeur redescend au plus bas quand le N°9 fait son entrée. Trapis. Son père adoptif. Le dixième s'empresse de l'achever. Le commodore Lin Colt, le briseur de chaines.
- Bien bien, c'est bien. Bon, nous tous ici pouvons certifier que Reich a donné les chiffres selon un ordre précis que j'ai noté. Voyons... 7-2-1-8-10-3-6-4-9-5. Ce que tu ne savais pas c'est que chacune des personnes présentes a été numérotée auparavant, ce qui fait que...
- Non, ne fais pas ça, fumier !
- Tenez votre langue Commandante ou je vous la fait arracher. Loth, tu as en fait donné l'ordre des matchs selon ce tableau ! dit-il gaiement en déroulant puis en accrochant une toile sur le tableau noir. On va jouer à un Survival !
- Ce sont tous des personnes qui comptent pour toi. A de divers degrés. J'ai été sur les quatre Blues pour les trouver, évaluer leurs impacts dans ta vie. Me faisant tantôt passer pour un journaliste, un biographe, un recteur -ce que je suis-. Certains, je les ai capturés sur place, à d'autres j'ai fixé des rendez-vous avec ce mot d'ordre : Motus. Ils étaient tous contents de te faire cette surprise. C'était émouvant. Le Gila aurait dû t'enseigner à mieux couvrir ton passé, surtout quand tu t'attaques à de plus puissants que toi !
- ...
- Elle est simple, la règle du Survival. Tu décides. Tu disais que je souffrais d'un complexe de dieu non ? Maintenant c'est toi qui va décider qui va vivre et qui va mourir. A la fin, il n'en restera qu'un. Et celui-là, pourra partir.
- Ouais, c'est ça, et moi je suis la reine de sabbat.
- Je promets, Ombeline ! Un seul survivant, libre de s'en aller. Si tu refuses de jouer, Loth, je les tues tous ! Regarde-les tous, tu auras leur destin entre les mains, hahahahahaha ! Mais avant, DJ, envoie un son dans la mesure de l’ambiance !
- Alors après cet interlude, le premier survival opposera Raphaela de Souza au moine Cabrel ! Alors Loth, qui choisis-tu de laisser vivre ? Entre ton bibliothécaire et la femme qui indirectement permit ta libération ? Pour ceux qui ne savent pas, c'est de Souza qui a signalé à la Marine des agissements suspects sur l'ile censée être inhabitée d'Abovhe. En plus, c'est une donatrice très régulière des Moines Servites et Loth l'a côtoyée pendant plusieurs années, expose Lavoisier comme si l'assistance avait demandé des détails.
Alors, Loth ? Qui vit ? Qui meurt ? Qui passe au second tour ?
- Vas-y, obéis-lui ! Donne un nom, il va rester un au final, s'il tient promesse, c'est toujours mieux que rien !
- Je suis désolé, dit-il aux otages en les regardant dans les yeux cette fois-ci. Désolé d'avoir été dans vos vies, de vous avoir parlé un jour. Si je savais que ça se produirait ainsi, je n'aurais pas...
- RACONTE PAS N'IMPORTE QUOI ! beugle Ombeline, furieuse une mystérieuse raison.
Tu ne sais pas de quoi tu parles, alors la ferme avant que je ne te refasse le portrait ! Qu'est-ce que et t'as vécu de si horrible ? Sans parents puis esclave ? C'est tout ? Arrête de te la raconter, tu sais ce qu'on a vécu Midnight et moi ? T'as déjà entendu parler du Milo Kingdom, l'île-continent sur Calm Belt ? Plus de milles tribus, un continent à feu et à sang depuis plusieurs siècles. Tu sais ce que je portais jusqu'à quinze ans ? Rien ! Ou parfois, des feuilles. Tu sais ce qu'on mangeait ? As-tu la moindre idée de ce qu'on ingérait pour survivre ? Tu veux le savoir ?
- Ombeline, ça suffit ! C'est du passé ! intervient sa sœur toujours en visio.
- Des cadavres ! Humains comme animaux ! Désolé grande sœur mais cette petite pute de Reich m’écœure en se morfondant ! Tu ne peux pas être désolé de vivre, c'est ce que j'ai moi j'ai appris ! Pas plus que tu ne peux pas être désolé d'avoir croisé des gens, de les avoir chéris ! L'être humain est un animal social. Je suis un tout de toutes les rencontres, bonnes ou mauvaises que j'ai faites dans ma vie. Enlève une seule et je ne serai plus moi. Tu veux dire quoi à ton beau-père Reich ? Que tu es désolé d'avoir été son fils ? Mais tu ne lui as pas demandé de t'élever, il l'a fait en son âme et conscience. Je suppose qu'il a été fier de tes exploits, autant assumer aussi tes déboires. Surtout qu'au final, tu n'as rien à voir dans leurs sorts. Tout le monde peut un jour se retrouver à ta place à cause de maboul alors moi, je n'ai qu'une seule chose à vous dire vous autres : vous allez mourir. Nous allons peut-être tous mourir mais pas à cause de ce binoclard mais à cause de ce taré ! C'est lui que vous devez maudire pas le fait d'avoir croisé ou aidé Loth un jour dans vos vie !
- Whoaw ! Odin, ça du discours !
- Et quant à toi, j'espère que tu me tueras Lavoisier sinon, ce sont des chiens galeux qui dévoreront ta chair !
- Ça c'est de la menace aussi mais parole n'est que parole Ombeline, la puissance réside dans l'action. Et pour l'instant, je mène la barque. Essayez de la faire taguer si vous pouvez ! Alors, Loth, tu choisis ?
- Choisis, et regarde les biens droits dans les yeux, binoclard. Tu n'en sauveras qu'un.
BANG !
BANG !
- MAIS QU'EST-CE QUI CLOCHE CHEZ TOI ! IL ALLAIT CHOISIR !
- Trop tergiversé à mon goût. La prochaine fois, n'hésite pas ! Allez ramassez-moi ça vous autres. Raphaela et Cabrel, Game Over ! Bravo Lincolt, avec cette double mort, tu es qualifié directement aux demi-finales ! Veinard ! Alors qu'est-ce que ça fait, Loth ? Est-ce que tu ressens ce que j'ai éprouvé quand j'ai appris la mort de Marie-Curie ? Non ? Progressons ! Second match ! Serena contre Jerry !
La charge d'Ombeline l'a chamboulé et lui a rappelé pour quelle raison il n'a jamais perdu l'esprit dans les caves du Conclave. Il poursuit un but : toucher le ciel. Y inscrire son nom, pour que des siècles après sa mort, des enfants, des étudiants, quelque part dans le monde apprennent son histoire. Celle de Loth Reich. C'est à cet effet qu'il s'est toujours réfugié dans la recherche de connaissances, dans cette bibliothèque que gérait Cabrel dont le sang ruisselle sur le carrelage blanc. Et aussi loin qu'il s'en souvienne, il se fichait éperdument d'être connu en bien ou en mal. Son objectif changea ici même à Jalabert un matin de Janvier 1626 quand il tua le tueur en série surnommé le Réplicateur. Avec la médiatisation qui suivit, il se trouva une voix double : se faire un nom respectable tout en continuant ce à quoi il avait été formé, c'est à dire le crime organisé. Par réflexe, il tint éloigné de lui ce qui s'apparenterait à une famille mais au fond, s'en soucie-t-il ?
Non, il faudra reformuler, se dit-il. Choisira-t-il leur destin au détriment du sien ? Si la vie d'un des membres de sa famille est en jeu et qu'il devait cesser toute collaboration avec le monde du crime, ou arrêter toute enquête criminelle, le ferait-il ? Non, la réponse était d'une violente évidence. Loth Reich est un homme dévoré d'ambition et qui ne compte pas faire cas des ombres du passé. En ce moment même, à Carcinomia, se déroule une guerre qu'il a déclenché dans le but de contrôler ce pôle de l'underground. A-t-il pensé aux familles des gens décédés ou qui le seront ? Non. Il a toujours tracé son chemin sans cure des dommages collatéraux qu'il provoque. Mais que sa famille et ses amis deviennent de tels dommages, on ne s'y prépare vraiment jamais. Là, il doit choisir entre la vie de Serena, sa "sœur" recueillie par son père après son enlèvement et Jerry qui avait déjà fini sa formation quand lui-même entra au service du Gila en 1622. Le choix n'est pas difficile. Doucement, il refoule la culpabilité et le chagrin. Plus tard, il se laissera aller s'il a le temps.
- Ding Dong ? Pourquoi tu souris ? C'est devenu drôle tout à coup ?
- Parce que je suis navré de m'être laissé aller. Merci Ombeline. Et désolé pour vos vies qui doivent si brutalement s'arrêter parce que quelqu'un a décidé de me faire payer mes actions en vous atteignant. Encore plus désolé, Jerry mais je ne peux pas te choisir. On se sera bien amusé ensemble mais si avec les hommes qui sont les tiens, tu ne peux pas te protéger, je ne peux rien pour toi. Ne changeons pas.
- Oh oui ! Il a choisi, enfin ! Le condamné a droit à une dernière parole, dit-il en retirant son bâillon à Jerry.
- Pas grave mec, y m'a chopé durant un deal. J'ai merdé, j'assume les conséquences. Change pas, déclare-t-il tout souriant. Tu sais ce que dit le vieux : Dans ce métier, vaut mieux mourir de balles que vieillesse.
BANG !
Loth ferme les yeux et sent une partie de lui se détacher et le quitter à jamais.
« Adieu vieux frère. »
- Non, ça s'avère plus ardu que prévu.
- Ah, les batailles de juridiction et de pressions ? Ouais, je connais, on faisait la même dans le Conseil pour empêcher votre père de faire passer des décrets. Pourquoi cet appel alors ? Vous avez deux heures, je ne reviendrai pas dessus.
- On a entendu trois coups de feu et on voulait savoir ce qui se passe ! rétorque Midnight à côté du roi.
- Ah, ce n'est rien, juste Phineas et Ottoh qui nous ont quittés. Et un garçon du nom d'Edgell.
- Quoi ?! V-vous p-pourquoi vous exécutez des otages ?! bafouille Nordin, horrifié.
- Rien à avoir avec vous, juste Loth qui me résiste et refuse de jouer à un jeu avec moi. D'ailleurs, je m'apprête à faire exploser la cervelle de cette fille pour lui montrer que je ne bluffe jamais ! Tiens, je t'enlève ton bâillon, petite.
- Pitiéé ! Je v-vous en prie, non, se lamente-t-elle. Faites-ce qu'il vous dit, professeur Reich, s'il vous plait !
- Professeur ? Ah oui, tu as enseigné ici après la mort de Marie-Curie. Tu étudies la criminologie ?
- Oui, j'étais dans sa classe, *snif-snif* J-j'ai pas envie de mourir ! Ayez pitié ! *snif-snif*
- LOTH ! tonne le roi de l'autre côté ! C'est à cause de toi que j'ai autorisé cette mission foireuse ! Le moins que tu puisses faire c'est de nettoyer ta merde ! FAIS CE QU'IL TE DIT ! Ton rôle est de préserver toutes les vies possibles, pas de les gâcher dans un duel d'égo ! Tu m'entends ? C'est un ordre ! LOTH ?
- Ça va. 7-2-1-8-10-3-6-4-9-5.
- Tu vois ? Ce n'est pas si compliqué ! se réjouit Lavoisier. D'ailleurs, gardez la ligne ouverte Midnight, je vous invite à participer à la fête que j'ai organisée juste pour mon ami Loth. DJ, envoi la sono !
- SOME PEOPLE MAKE IT, WHAT CAN I DOOOOOOOO ! OH BABY OHOOOHOOOOH ! JE RESSENS TON DÉSIR, JE GARDE TON ODEUR, PENDANT DES HEURES OOOUUUHHHHHHH !
- C'est quoi ce délire ?
- Reste concentrée.
- Enfoiré, je t'en collerai une si j'étais pas menottée ! T'as laissé un pauvre garçon se faire tuer ! Et puis, tu veux que je concentre avec cette musique et notre ennemi qui se déhanche comme s'il avait seize ans ? En plus il bouge bien le vioque...
- Lavoisier est un sociopathe narcissique, ses sentiments, il les feints. Il n'est pas du tout chagriné de la mort de ses "amis", tout ce qu'il désire c'est contrôler le scénario de nos vies, décider qui va mourir ou non.
- DÉSIRE ! LOTH REICH BREAK IT ! MY ENTIRE BUSINESS ! J'AI GARDE SA RANCUNE SUR MOI PENDANT DES HEURES ! OUHHHHHAOOOOOUH ! OH BABY !
- Et en l'énervant on obtient quoi ? Juste la mort d'autres personnes ! Et si t'es pas concerné par la mort de Dylan Edgell alors c'est que t'es sociopathe aussi !
- Ça mort ne me laisse pas indifférent mais je ne me sens pas responsable, ce n'est pas moi qui ai appuyé sur la gâchette. Simple logique. Il veut me briser.
- Mouais, ça j'ai remarqué. A quoi servent les chiffres que t'as donnés ? Ça en plus du fait qu'il veut que tu expérimentes la "douleur" qu'il a ressenti, ça me dit rien qui vaille. C'est peut-être l'ordre dans lequel des bombes dissimulées vont exploser et il va t'attribuer les morts.
- TON DÉSIR ! JE GARDE TON ODEUR ! SUR MOI PENDANT DES HEURES ! ALLEZ VENEZ LES FILLES ! Dansez comme si c'était votre dernier jour sur terre ! WOOOUHHHAAAA ! Oh Baby !
Le "tube de l'hiver" que diffusent toutes les chaines de radio résonne dans l’amphithéâtre et ajoute une couche de surréalisme au drame. La mise en scène était prévue, des spots de lumière multicolore placés au plafond bougent dans tous les sens donnant à la salle un air de boite de nuit. Sur l'estrade, Lavoisier est rejoint par des femmes aux airs de lolita qui se trémoussent avec lui. Même Odin semble complètement perdu avec son rire jaune d'incrédulité. Idem pour Midnight qui n'a surement jamais été aussi éberluée de sa vie. « I JUST WANT TO LIVE ON MY DÉSIRE ! Woouhooou ! Ça c'est du son ! Je t'aime DJ ! » crie le maitre de cérémonie coincé entre deux poitrines qui lui donnent la réplique de sa danse. « Amenez les chaises les filles ! Oh yeah, aujourd'hui c'est le plus beau jour de nos vies ! Oh entend mon soupir ! Ouuuuuuh ! »
- Tu sais quoi Loth ? Il me fait penser au Joker de la trilogie de Jonathan Spencer.
- La complaisance dans la folie ?
- C'est vraiment la seule explication qui me vienne à l'esprit.
- Lavoisier est loin d'être fou. Tout ça fait partie de son scénario.
- Hey, j'aime pas ça... Les poufs amènent dix chaises...
- Ne regarde pas ses simagrées. Réfléchis à une solution pour nous sortir de là. Ces murs tout blancs par exemple, ils m’intriguent depuis notre arrivée. Au début d'année, avant que le précédent recteur ne soit tué par le Réplicateur, j'étais venu dans cet amphi les murs étaient en briques rouges.
- Les murs ? En quoi c'est important ? Tout le monde refait la déco' quand il s'empare d'un nouveaux bureaux.
- Justement. Ce ne sont pas des bureaux, mais une salle de cours.
- Bah il a refait la déco ! Tu penses à quoi ? Qu'il aurait prévu son coup depuis et aménagé une sorte de trappe secrète pour s'enfuir au cas où ?
- C'est une possibilité.
- Chéri, tu réfléchis trop. Moi je suis plutôt fixée sur l'escargophone écarlate sur la table. Le lieutenant Raven a dit que l'escargot qui contrôlerait la mise à feu des ceintures serait de cette espèce-là. Si on peut le tuer, Jared peut intervenir. Mais il est à douze-treize mètres...
- Et surélevé par rapport à nous. Si je trouve le moyen de quitter la fosse pour l'estrade, je pourrai m'en emparer avec mes cheveux. Retour à la Vie.
- Ouais, faut trouver un moyen rapide. Je ne pense pas que l'amirauté va tolérer son chantage plus longtemps. Regarde l'écran, Maximilian est parti, rejoindre Jared surement.
- Allez stop DJ ! Hoou, on s'est assez amusé pour le moment. Il est temps de faire rentrer les invités qui vont encore plus égayer cette fabuleuse journée ! Invité n°1 Serena !
- Qu'est-ce que... marmonne Loth, foudroyé de stupeur. Quelque part, de ses entrailles et à sa gorge une chaine de nœuds inextricable semble s'être formé.
- Hey, c'est qui cette meuf ?
Grande grâce à ses jambes démesurées, Serena s'avance en titubant à cause des chaines qui lui entravent les chevilles. Comme les autres otages, elle a été bâillonnée. Loth désire discipliner son esprit, ne pas tomber dans le jeu de son adversaire mais son corps bouge frénétiquement malgré lui. Il se tortille jusqu'à s'abimer les poignets dans la vaine entreprise de se libérer. Les larmes perlent sur les joues de Serena quand elle le voit et esquisse un mouvement dans sa direction. Le mercenaire qui l'escorte la force à s’asseoir dans la première chaise. Sur sa poitrine est épinglé un badge marqué "N°1". Comment Lavoisier avait-il pu... S'il n'a pas de contact avec eux, c'est justement pour éviter ce genre de cas, alors comment ? Où ? Loth gigote de plus belle et lance des menaces et malédictions à Lavoisier qui se rit de la situation. Le n°2 à entrer confirme les pires appréhensions du Moine Hérétique. Le vieux moine Cabrel, le bibliothécaire de l'Île de Craie, l'homme avec lequel il a sans doute le plus passé de temps durant ses années au monastère. Les souvenirs l'assaillent, il se revoit tout fraichement libéré du Conclave, découvrant sur cette île à la terre blanche, une bibliothèque aussi grande que celle de cette université. Il se souvient de sa première rencontre avec Cabrel, les livres qu'il lui a conseillé, les journées passées à s'exposer des histoires. Et c'est seulement empli de cette nostalgie que Loth se rend compte à quel point il avait aimé ce vieil homme à la barbe grisonnante, combien il avait compté dans la reconstruction de sa vie.
Et l'objectif de Lavoisier est soudainement clair. Loth arrête de se tortiller et baisse sa tête en proie a une émotion qu'il n'a jamais ressenti de sa vie. Le regret. De n'avoir pas efficacement su effacer les traces de son passé. « T'es vraiment une sale pourriture, Lavoisier ! » crache Ombeline qui comprend aussi la manœuvre du recteur. « Œil pour Œil, Sang pour Sang ! » répond-il avant de présenter les autres "invités". N°3, Gengis.
N°4, la Sœur Léonella, celle qui l'a soigné de ses infections, de sa malnutrition chronique, de son kwashiorkor. Le regret laisse place à la rage et Loth se retrouve à mener un autre combat, contre quelque chose qui nait et qui grandit en lui. Une entité de pure colère qui souhaite émerger. Le Moine Hérétique la repousse dans un numéro de tir à la corde spirituelle. Shawn doit rester sous clé, aussi désespérée que soit la situation, il veut conserver un brin de lucidité et pas céder au Berséker en lui. Déjà pour assumer la bêtise d'avoir condamné ceux qui ont fait sa vie mais aussi parce qu'il cherche toujours une solution. Si seulement il pouvait ruser pour que Lavoisier le rapproche de l'estrade... Mais depuis le début, il garde une distance de sécurité, comme s'il était au courant de ses capacités. S'il a pu remonter aussi loin dans son passé, savoir qu'il utilise le Retour à la Vie est une affaire bénigne.
Le N°5, Rémie Hoover est une figure qu'il n'a pas revue depuis quatorze ans. Elle en avait six la dernière fois qu'ils se sont séparés. Aujourd'hui c'est une femme faite. Aucun des "invités" n'est indemne, Lavoisier ne s'est pas dérangé pour les passer à tabac après les avoir enlevés. Surement en leur martelant que c'est de la faute d'une seule personne. Le N°6 porte à son comble sa culpabilité et manque de le faire chavirer du côté Shawn. Krystalynn. Loth n'a pas besoin de la regarder, il se souvient de tout. De ses cheveux argentés, de sa grâce féline, de son teint de porcelaine... Il désire hurler après Lavoisier mais continue de se répéter en boucle "Fais le vide, discipline ton esprit !" Le N°7, Raphaela de Souza. Le N°8, Jerry Hargreaves... Mais comment... Il est le seul que Loth ose regarder, le seul qui lui semble totalement déphasé dans ce cauchemar. Les prunelles du Moine lui beuglent la question silencieuse : « Putain tu diriges une des branches les plus rentables de la Triade des Quatre Bambous ! Une organisation paramilitaire de plus de trois milles membres armés ! Comment t'es-tu fait prendre CONNARD ?! » Jerry hausse les épaules et secoue la tête. Pour la première, il est en colère contre un autre que lui-même mais à l'image de montages russes, son humeur redescend au plus bas quand le N°9 fait son entrée. Trapis. Son père adoptif. Le dixième s'empresse de l'achever. Le commodore Lin Colt, le briseur de chaines.
- Bien bien, c'est bien. Bon, nous tous ici pouvons certifier que Reich a donné les chiffres selon un ordre précis que j'ai noté. Voyons... 7-2-1-8-10-3-6-4-9-5. Ce que tu ne savais pas c'est que chacune des personnes présentes a été numérotée auparavant, ce qui fait que...
- Non, ne fais pas ça, fumier !
- Tenez votre langue Commandante ou je vous la fait arracher. Loth, tu as en fait donné l'ordre des matchs selon ce tableau ! dit-il gaiement en déroulant puis en accrochant une toile sur le tableau noir. On va jouer à un Survival !
- Ce sont tous des personnes qui comptent pour toi. A de divers degrés. J'ai été sur les quatre Blues pour les trouver, évaluer leurs impacts dans ta vie. Me faisant tantôt passer pour un journaliste, un biographe, un recteur -ce que je suis-. Certains, je les ai capturés sur place, à d'autres j'ai fixé des rendez-vous avec ce mot d'ordre : Motus. Ils étaient tous contents de te faire cette surprise. C'était émouvant. Le Gila aurait dû t'enseigner à mieux couvrir ton passé, surtout quand tu t'attaques à de plus puissants que toi !
- ...
- Elle est simple, la règle du Survival. Tu décides. Tu disais que je souffrais d'un complexe de dieu non ? Maintenant c'est toi qui va décider qui va vivre et qui va mourir. A la fin, il n'en restera qu'un. Et celui-là, pourra partir.
- Ouais, c'est ça, et moi je suis la reine de sabbat.
- Je promets, Ombeline ! Un seul survivant, libre de s'en aller. Si tu refuses de jouer, Loth, je les tues tous ! Regarde-les tous, tu auras leur destin entre les mains, hahahahahaha ! Mais avant, DJ, envoie un son dans la mesure de l’ambiance !
- Alors après cet interlude, le premier survival opposera Raphaela de Souza au moine Cabrel ! Alors Loth, qui choisis-tu de laisser vivre ? Entre ton bibliothécaire et la femme qui indirectement permit ta libération ? Pour ceux qui ne savent pas, c'est de Souza qui a signalé à la Marine des agissements suspects sur l'ile censée être inhabitée d'Abovhe. En plus, c'est une donatrice très régulière des Moines Servites et Loth l'a côtoyée pendant plusieurs années, expose Lavoisier comme si l'assistance avait demandé des détails.
Alors, Loth ? Qui vit ? Qui meurt ? Qui passe au second tour ?
- Vas-y, obéis-lui ! Donne un nom, il va rester un au final, s'il tient promesse, c'est toujours mieux que rien !
- Je suis désolé, dit-il aux otages en les regardant dans les yeux cette fois-ci. Désolé d'avoir été dans vos vies, de vous avoir parlé un jour. Si je savais que ça se produirait ainsi, je n'aurais pas...
- RACONTE PAS N'IMPORTE QUOI ! beugle Ombeline, furieuse une mystérieuse raison.
Tu ne sais pas de quoi tu parles, alors la ferme avant que je ne te refasse le portrait ! Qu'est-ce que et t'as vécu de si horrible ? Sans parents puis esclave ? C'est tout ? Arrête de te la raconter, tu sais ce qu'on a vécu Midnight et moi ? T'as déjà entendu parler du Milo Kingdom, l'île-continent sur Calm Belt ? Plus de milles tribus, un continent à feu et à sang depuis plusieurs siècles. Tu sais ce que je portais jusqu'à quinze ans ? Rien ! Ou parfois, des feuilles. Tu sais ce qu'on mangeait ? As-tu la moindre idée de ce qu'on ingérait pour survivre ? Tu veux le savoir ?
- Ombeline, ça suffit ! C'est du passé ! intervient sa sœur toujours en visio.
- Des cadavres ! Humains comme animaux ! Désolé grande sœur mais cette petite pute de Reich m’écœure en se morfondant ! Tu ne peux pas être désolé de vivre, c'est ce que j'ai moi j'ai appris ! Pas plus que tu ne peux pas être désolé d'avoir croisé des gens, de les avoir chéris ! L'être humain est un animal social. Je suis un tout de toutes les rencontres, bonnes ou mauvaises que j'ai faites dans ma vie. Enlève une seule et je ne serai plus moi. Tu veux dire quoi à ton beau-père Reich ? Que tu es désolé d'avoir été son fils ? Mais tu ne lui as pas demandé de t'élever, il l'a fait en son âme et conscience. Je suppose qu'il a été fier de tes exploits, autant assumer aussi tes déboires. Surtout qu'au final, tu n'as rien à voir dans leurs sorts. Tout le monde peut un jour se retrouver à ta place à cause de maboul alors moi, je n'ai qu'une seule chose à vous dire vous autres : vous allez mourir. Nous allons peut-être tous mourir mais pas à cause de ce binoclard mais à cause de ce taré ! C'est lui que vous devez maudire pas le fait d'avoir croisé ou aidé Loth un jour dans vos vie !
- Whoaw ! Odin, ça du discours !
- Et quant à toi, j'espère que tu me tueras Lavoisier sinon, ce sont des chiens galeux qui dévoreront ta chair !
- Ça c'est de la menace aussi mais parole n'est que parole Ombeline, la puissance réside dans l'action. Et pour l'instant, je mène la barque. Essayez de la faire taguer si vous pouvez ! Alors, Loth, tu choisis ?
- Choisis, et regarde les biens droits dans les yeux, binoclard. Tu n'en sauveras qu'un.
BANG !
BANG !
- MAIS QU'EST-CE QUI CLOCHE CHEZ TOI ! IL ALLAIT CHOISIR !
- Trop tergiversé à mon goût. La prochaine fois, n'hésite pas ! Allez ramassez-moi ça vous autres. Raphaela et Cabrel, Game Over ! Bravo Lincolt, avec cette double mort, tu es qualifié directement aux demi-finales ! Veinard ! Alors qu'est-ce que ça fait, Loth ? Est-ce que tu ressens ce que j'ai éprouvé quand j'ai appris la mort de Marie-Curie ? Non ? Progressons ! Second match ! Serena contre Jerry !
La charge d'Ombeline l'a chamboulé et lui a rappelé pour quelle raison il n'a jamais perdu l'esprit dans les caves du Conclave. Il poursuit un but : toucher le ciel. Y inscrire son nom, pour que des siècles après sa mort, des enfants, des étudiants, quelque part dans le monde apprennent son histoire. Celle de Loth Reich. C'est à cet effet qu'il s'est toujours réfugié dans la recherche de connaissances, dans cette bibliothèque que gérait Cabrel dont le sang ruisselle sur le carrelage blanc. Et aussi loin qu'il s'en souvienne, il se fichait éperdument d'être connu en bien ou en mal. Son objectif changea ici même à Jalabert un matin de Janvier 1626 quand il tua le tueur en série surnommé le Réplicateur. Avec la médiatisation qui suivit, il se trouva une voix double : se faire un nom respectable tout en continuant ce à quoi il avait été formé, c'est à dire le crime organisé. Par réflexe, il tint éloigné de lui ce qui s'apparenterait à une famille mais au fond, s'en soucie-t-il ?
Non, il faudra reformuler, se dit-il. Choisira-t-il leur destin au détriment du sien ? Si la vie d'un des membres de sa famille est en jeu et qu'il devait cesser toute collaboration avec le monde du crime, ou arrêter toute enquête criminelle, le ferait-il ? Non, la réponse était d'une violente évidence. Loth Reich est un homme dévoré d'ambition et qui ne compte pas faire cas des ombres du passé. En ce moment même, à Carcinomia, se déroule une guerre qu'il a déclenché dans le but de contrôler ce pôle de l'underground. A-t-il pensé aux familles des gens décédés ou qui le seront ? Non. Il a toujours tracé son chemin sans cure des dommages collatéraux qu'il provoque. Mais que sa famille et ses amis deviennent de tels dommages, on ne s'y prépare vraiment jamais. Là, il doit choisir entre la vie de Serena, sa "sœur" recueillie par son père après son enlèvement et Jerry qui avait déjà fini sa formation quand lui-même entra au service du Gila en 1622. Le choix n'est pas difficile. Doucement, il refoule la culpabilité et le chagrin. Plus tard, il se laissera aller s'il a le temps.
- Ding Dong ? Pourquoi tu souris ? C'est devenu drôle tout à coup ?
- Parce que je suis navré de m'être laissé aller. Merci Ombeline. Et désolé pour vos vies qui doivent si brutalement s'arrêter parce que quelqu'un a décidé de me faire payer mes actions en vous atteignant. Encore plus désolé, Jerry mais je ne peux pas te choisir. On se sera bien amusé ensemble mais si avec les hommes qui sont les tiens, tu ne peux pas te protéger, je ne peux rien pour toi. Ne changeons pas.
- Oh oui ! Il a choisi, enfin ! Le condamné a droit à une dernière parole, dit-il en retirant son bâillon à Jerry.
- Pas grave mec, y m'a chopé durant un deal. J'ai merdé, j'assume les conséquences. Change pas, déclare-t-il tout souriant. Tu sais ce que dit le vieux : Dans ce métier, vaut mieux mourir de balles que vieillesse.
BANG !
Loth ferme les yeux et sent une partie de lui se détacher et le quitter à jamais.
« Adieu vieux frère. »
- La Justice Absolue doit prévaloir ! affirme Jared.
- Vous voulez dire la Justice Insensée, Obtus et Extrémiste non ? réplique Maximilian. On parle de la vie de trois cent personnes !
- Trois cents au début ! Il en a déjà exécuté deux ! Un petit nobliaux de Saint Uréa et votre propre cousine par alliance ! Madame, Excellence, ce type est fou à lier ! Il veut juste tourner le Gouvernement en ridicule !
- Mon avis est différent, il cherche une échappatoire. Le Gouvernement négocie quand ça lui chante et aucun de vous ne me parlera de Justice Absolue ! Ce concept, je le dis en présence de l'Amirale-en-chef et d'un Gorosei, c'est de la merde ! Du vent ! La corruption gangrène nos systèmes, nous accordons des largesses à des pirates qui viennent se pavaner à Marijoa ! Le respect, la protection du futur, tout ça ce sont des conneries pour légitimer tel ou tel acte. On parle de la Crise des Enchainés sur North Blue ? On parle de la population de Manshon qui se meurt ? La Justice Absolue, mes couilles ! Les faits sont là. Y a deux cents hommes et femmes, tous âgés de moins trente ans, plus brillants que nous ne le serons jamais vous et moi qui sont transformés en bombe humaine. Dans l'enceinte de l'établissement qu'ils ceinturent, il y a quatre-vingt dix-huit autres jeunes du même acabit. Presque tous nobles, oui, mais peu m'importent leur provenance ! Le ravisseur ne nous demande qu'une chose : Le Silence.
- Ne prenez pas cet air dégagé en parlant du Silence. On parle du bateau le plus avancé actuellement en construction par la Brigade Marine de Vulcastan ! Dirigeable, zérometal, moteur révolutionnaire, propulsion à hélium, canon laser. Il ne veut pas un bateau pour s'échapper, il veut le meilleur bateau au monde ! Qui d'ailleurs n'existe qu'en un seul prototype ! Le maitre chanteur a déjà causé la guerre, messieurs, on a déjà dénombré quatre-cent-quinze morts dont cinquante dans les rangs de la Marine et cent-deux civils ! C'est une infâme boucherie et après l'avoir perpétuée, il s'est retranché derrière des boucliers humain pour exiger le Silence. Et vous voulez qu'on lui obéisse, majesté ? Si on ne lave pas un tel affront, tous les criminels du monde feront la même !
- Lavez l'affront qui signifie, augmenter le bilan ?
- Pour protéger le futur ! Thomas Payne a dit un jour : "S'il doit y avoir la guerre, qu'elle ait lieu de mon temps, afin que mes enfants puissent connaitre la paix !"
Elle lui remettant le Silence, nous projetterons la guerre dans le futur ! En éliminant Lavoisier maintenant, nous nous assurons qu'il ne nuira plus !
- Oh pitié, vous voulez juste garnir votre CV d'une opération réussie après le ridicule de Manshon ! Vous vous en fichez des vies, Jared ! Et Payne était un sympathisant révolutionnaire ! Si vous voulez protéger le futur, laissez cet homme partir et qu'il nous rende nos frères et sœurs transformés en bombe ! C'est eux le futur, ils sont venus étudier ici pour ça !
- Cessez vos chamailleries ! Sommes-nous seulement sûrs qu'il rendra les otages sains et saufs ? intervient la voix métallique de Kenaro Gakuen, l'Amirale-en-chef.
- On ne peut que l'espérer.
- Ce qui revient à donner une puissante arme à un criminel recherché depuis vingt ans, primé à 60 millions de Berry tout en laissant près de trois cent vie à sa démence.
- Je refuse du sang supplémentaire dans mon royaume !
- Livrer le Silence n'est pas une décision qui vous revient !
- C'est pas une cour de récréation vous deux ! Entre parenthèses, comment il a pu capturer Ryosuké Vagner ? Il avait une protection très rapprochée.
- Vous ne semblez pas comprendre Amirale-en-chef, on parle de l'homme qui a monté le plus grand réseau de contrebande de Dance Powder, étendu sur les quatre Blues ! Et il est le recteur de l'université de Jalabert ! Il a eu le temps de préparer son coup, sans compter qu'il a engagé les Autres.
- C'est au Cipher Pol que revient la protection des enfants de hautes personnalités et le protocole pour éviter ce genre de situation c'est juste la discrétion. D'après les dires de Lavoisier, le protocole exigeait que lui, le recteur, soit au courant. C'est comme ça qu'il a su ; les agents qui assuraient la protection de monsieur Ryosuké sont probablement morts, madame. Désolé d'être abrupt, Excellence, mais Lavoisier compte sur votre... coopération, il utilise l'amour paternel contre nous.
- Vous l'avez-vu, Ryosuké ?
- Oui, en visio. Il n'a pas l'air blessé. C'est un otage qui pèse très lourd après tout.
- Vous avez épuisé toutes les options ?
- Ce sont les Autres, Madame, pas une armée de porte-flingues de seconde zone. Ils ont tout quadrillé, surveillent leurs hauteurs, maîtrisent les goulots. On a tenté une percée par de vieilles canalisations mais l'escouade est tombée dans une embuscade et résultat, six morts et une commande d’Élite prise en otage.
- C'était quoi le plan ?
- On voulait s'approcher suffisamment pour placer un type rare d'escargophone spécialement conçu pour brouiller les ondes des boomboom'scargo, ceux qui déclenchent les bombes.
- S'approcher à combien ?
- La portée est faible. Maximum quinze mètres. Si ça avait réussi, la principale menace aurait été neutralisée, on aurait sauvé les otages-boucliers puis attaqué le reste.
- Sans garantie que le reste des otages s'en sortent. Y compris mon fils, dit le Vénérable qui daigne enfin se joindre à la conversation.
- Ça nous semblait le meilleur plan, Excellence.
- Je suis de l'avis de Jared, lui obéir renverrait une mauvaise image, mais je ne suis pas mère donc incapable de comprendre vos sentiments. Aussi, je passe la main. A vous de décider, Honorable.
- Notre point commun le plus basique est que nous habitons tous cette planète, nous respirons tous le même air, nous chérissons tous l'avenir de nos enfants et nous sommes tous mortels.
C'est une citation d'un de mes politiciens préférés. Sous-amiral, la politique est une question d'image et ce n'est pas en taillant à tout va dans le vif qu'on arrive à contenter la masse. Plus de cent-soixante-dix pays à travers le monde forment le Gouvernement Mondial, Sous-amiral ; combien de nationalités sont présentes dans les otages ?
- Trente quatre, Excellence dont plus de quatre-vingt pour cent sur les Blues.
- Vous pensez qu'on a le loisir de mécontenter trente-quatre souverains siégeant au conseil des rois ?
- Ils ne sont pas tous des princes...
- Si vous aviez fait de la pure politique, vous saurez que la plupart des rois ne détiennent un quelconque pouvoir que parce qu'ils ont des bannerets ou des industriels qui les soutiennent. Et parfois, certains rois ne sont que marionnettes. Si Lavoisier s'enfuit, il ne sera qu'un criminel génocidaire parmi les milliers d'autres qui essaiment nos eaux. Par contre si nous cautionnons ce massacre en connaissance de cause, nous donnerons une arme à la Révolution qui n'attend que ça. Et que ça soit clair, mon raisonnement n'est pas entaché par ma peine. Je vise le contentement du Plus Grand Nombre. C'est aussi ça être un leader. Et... excusez-moi un instant, on me remet un rapport.
- Sinon, comment Lavoisier a eu connaissance du Silence. C'est ce que j'aurais dû demander en premier. Ce n'est un projet hyper secret ?!
- Pas si secret que ça. Selon ce rapport du Cipher Pol, les plans du Silence ont déjà été compromis et volé il y a trois mois ! coupe Vagner semblant en colère. Vous étiez au courant Sous-amiral ?!
- Oui, monsieur. J'ai reçu un rapport mais le Gouvernorat de Vulcastan et son groupement de marines sont sous le commandement de...
- Je m'en fiche ! Vous savez pourquoi je suis énervé, Sous-amiral ?
- Non, Excellence...
- Vous nous faites perdre notre temps pour un projet déjà entaché ! Il y a déjà des criminels voir des révolutionnaires qui ont les plans de ce bateau ! Un de plus, un deux moins... ! Livrez-lui le Silence et veuillez à ce qu'il relâche les otages ou je ne donne pas cher de votre tête !
- Trouvez un moyen Jared. Aucun échec ne sera toléré, ramenez chaque otage à sa famille ! Sur ce.
- Merci Amirale, Honorable. Vous avez entendu, Sous-amiral ? Donnez cet ordre !
- Voici le programme du second tour du Survival !
- Bon, on a encore du temps alors, DJ, envoie un son qui fait bouger, j'ai envie d'exprimer ma joie !
- Mes condoléances pour ton ami mais vu qu'il était primé à 40 millions pour fabrication de faux billets, je peux pas être désolée. Tu as de sacrés amis !
- Amis du passé.
- Mouais, tu parles ! Sinon, ça va ? Y a que moi qui dois te tuer, donc meurs pas avant !
- Je n'ai pas l'intention de mourir ! Tiens, Maximilian.
- Nous sommes de retour.
- Et ? Si vous vous êtes là c'est que la motion est passée sinon vous aurez attaqué.
- Dans moins d'une heure, le Silence sera là.
- Dans moins d'une heure ? répète Lavoisier. Il fait vite, mais tant mieux.
- Sérieux ? Le Vénérable cherche vraiment à sauver son fils au détriment d'une arme avancée ? questionne Ombeline.
- Non, les plans du Silence ont déjà été volés dans le passé. Le Vénérable a estimé qu'il était inutile de troquer la vie de jeunes esprits contre une invention dont on n'a plus l'exclusivité.
- Ah... Une fuite hein... Très étrange.
- Donc en attendant, vous n'exécuterez plus aucun otage.
- Je n'ai plus exécuté personne.
- La famille de Loth y compris.
- Ce ne sont pas otages, aucun d'entre-eux ne vit à Boréa. Ils n'ont jamais été compris dans le deal.
- Non arrêtez !
- Ne vous en mêlez pas Nordin ! IL DOIT VOIR A TRAVERS MES YEUX ! Alors, on s'y colle, Loth. Gengis Vs Krystalynn. Un match très très difficile. Celui qui se rapproche le plus de ton meilleur ami au monastère contre ta première copine si j'ai bien suivi les ragots. Choisis où tous y passeront !
Gengis tremble comme une feuille et sa chemise baigne dans ses larmes. Il a toujours été quelqu'un d'expansif se rappelle Loth. Il se rappelle aussi de leurs longues discussions, des nuits blanches passées à débattre de sujets divers. Orphelin, Gengis a toujours connu l'orphelinat des Moines mais comme Loth, il rêvait de découverte et d'aventure. Pendant leurs soirées à refaire le monde, ils planifièrent de nombreux voyages. Il voulait aller sur le Frozen Continent et voir de ses yeux Chateaugéant, le monde des terribles Mangemondes. Loth voulait retrouver Zunisha, l'éléphant millénaire et nomade du Nouveau Monde et faire un tour à Al-Jezeda. Gengis voulait être historien, Loth voulait toucher à tout. Le Moine ne saurait expliquer ce qui les éloigna avec le temps, si ce n'est leurs départs respectifs du Monastère. Peu de correspondances échangées, mais c'est le lot qu'ils choisirent. A chacun sa vie. Et malheureusement...
- Tu connais les raisons qui font que je vais choisir Krysta, ne m'en veux pas Gengis. Et pour vous tous que j'enverrai à la mort, je suis désolé d'être toujours désolé.
- C'est. c'est. bafouille-t-il, terrifié et tremblant. Je.verrai.le.Frozen.continent.à.travers.tes.yeux.donc.t'as intérêt.à vivre.
Bang !
Après ça, le Moine Hérétique a l'impression de recevoir un coup de poignard surgelé entre les côtes. Il halète, de plus en plus vite. « Ne me sors pas le coup de la crise d'hyperventilation Loth ou ils sont tous condamnés ! Nous allons finir ce que nous avons commencé ! » Loin de l'écouter, Loth reste concentré sur les marques de sang presque séchées à l'endroit où les Lunes ont été exécutées. Ce mur blanc lacté continue de l'intriguer. Sans savoir pourquoi, il a une impression de déjà-vu ce qui lui arrive très rarement avec une mémoire comme la sienne. D'habitude, il recoupe les informations en moins d'une seconde. Où diable a-t-il déjà vu ce mur blanc ? Le coup de poignard imaginaire qui lui fulgure le côté se transforme en une gifle monumentale quand il identifie enfin la nature du mur. Comment a-t-il pu tergiverser sur ça ? Son cerveau fonctionne à si haut régime qu'il craint que Lavoisier l'entende penser. Maintenant il a une explication sur l'objectif de la Lune et du pourquoi de cette mise en scène mais il lui manque un élément important du scénario. Pourquoi ? Pourquoi demeure-t-il encore là ?
- Hey tapette, vise ça. Odin prend Lavoisier en aparté.
- Arrête de me donner ces noms !
- La ferme, j'essaie de lire sur leurs lèvres !
- C'est toi qui a engagé la conversation !
- "Masculine...est... presque... arrivé." "Parfait".
- Masculine ?
- Je sais pas, ça ressemblait à ce qu'a dit Odin. Lavoisier semble content. Ça veut rien dire "masculine".
- Tu es sûre de tes talents ?
- Tu m'as pas entendu ? Quand tu survis dans une guerre civile perpétuelle, tu apprends plus de ce que ne disent pas les gens ! C'est un talent qui s'est développé au fil du temps en restant à distance des chefs de guerre et en lisant sur leurs lèvres. Mais certains phonèmes se ressemblent. "Masculine" est peut être un nom. Donc ça veut dire ? Lavoisier attendrait des renforts ?
- Tu n'as pas remarqué qu'il semblait étonné quand le roi lui a dit que le Silence arriverait plus tôt que prévu ?
- Oui, ça m'a semblé bizarre mais je comprends plus rien ! Il veut s'en sortir vivant ou pas ? Quels types de renforts il peut espérer pour ses hommes et lui ? Il y a au dehors plus de deux milles Marines et un Sous-amiral. Je vois très mal ce qui pourrait l'aider de l'extérieur ! Surtout si c'est pour passer en force ! Sans compter que toute la zone maritime est bouclée.
- Tommy Mouton.
- On l'a pas vu mort, lui ?
- Moi aussi j'ai mis en scène ma mort au premier trimestre 1626, tu t'en souviens ? Bee a fait une judicieuse remarque sur le fait que Lavoisier n'ait pas cherché à me parler durant son premier appel. De un, il savait bien que je chercherais un moyen de venir à lui mais il s'est assuré que j'en trouverai un ! Tommy nous a conduit dans un guet-apens comme des bleues, a fait semblant d'avoir été tué pour retourner du côté des Marines.
- On a posté des gens dans la traboule.
- Tommy est surement ressorti par une autres galeries pour aller rejoindre ses camarades à l'extérieur. Ils étaient cinq, n'oublie pas.
- Bon quoi, il y a cinq mercenaires dans nos rangs, quels dégâts pourraient-ils faire de si significatifs ?
- Je l'ignore mais ce dont je suis certain c'est que Lavoisier prépare cette opération depuis qu'il a compris qu'Ashura était mort. Il s'est donné la peine d'aller farfouiller mon passé et de kidnapper les miens sans que je ne m'en rende compte. Il a tout millimétré, mais il y a quelque chose, un élément indépendant de sa volonté qui ne s'est pas bien inséré dans son mécanisme. Oh non... Non, non, non, putain ! Non.
- Hey, partage ton illumination !
- Tu étais la solution depuis le début Ombeline ! Pourquoi tu es à Boréa ?
- Quoi ?
- Pourquoi es-tu à Boréa ? Où est ta flotte ?
- Je t'avais déjà répondu ! Je traque le Transporteur !
- A Boréa, précisément ?
- Non, non. Selon mes indics, il aurait dû récupérer une cargaison d'arme dans la mer des Béquasses, c'est juste à quinze miles en dehors des eaux de Boréa. L'info' était pas bonne, y avait aucun bateau donc, j'ai envoyé mes gars chercher d'autres pistes pendant que moi, je passais dire bonjour à Bee et en chemin, j'ai croisé la flotte de Jared. C'est lui qui m'a informé de la situation. Tu veux dire que le Transporteur serait en route pour Boréa ?
- Le Transporteur est le livreur des mercenaires. Sa spécialité, c'est de briser les blocus, de s'infiltrer, et de livrer des armes !
- Ouais et depuis que je le traque, je pense qu'il aurait un pouvoir du démon du genre Porte ou Coffre. En tout cas, il a un moyen pas normal de dissimuler des tonnes de cargaison pour passer les barrages. Okey, récapitulons vite. Lavoisier attend du renfort en arme de dehors et il patiente là pourquoi ? Il nous a déjà mis en échec sans combattre. Ce serait idiot d'attendre des munitions pour nous attaquer alors qu'ils sont encerclés et à un contre dix !
- Sauf si... Attends, est-ce que ton "masculine" pourrait être "Maskelyne" ?
- Ouais... ouais, à fond. Possible, oui. Mais Maskelyne c'est le nom d'une stratégie massive de diversion connue des érudits qui figure dans le manuel de la Marine.
- Je sais, il tire son nom de Jasper Maskelyne, Colonel de la Marine réputé pour ses talents d'illusionnistes. Il a gagné la Drôle de Guerre en implantant des poupées gonflables sur le champ de bataille. Pendant une journée, l'armée ennemie a fait face à ces avatars, attendant la braise, c'est alors qu'ils ont été pris à revers. Mais...
- Ça va vous deux et les messes basses ! dit Odin en se rapprochant.
Paul, on les sépare, ce sont des ventriloques ! Ils parlent sans remuer les lèvres ! Déplace la maudite jusqu'au bout là-bas. J'ai pas envie qu'ils complotent sous nos yeux.
- Non, non, s'il vous plait ! Il me dit des cochonneries que j'aime bien ! On sera sage ! Promis !
- Reste-là, et ferme-la !
A l'extrémité Est de la fosse, Ombeline lui lance des signes du regard. Elle brûle de savoir mais Loth est incapable de lui faire comprendre par un quelconque signe. Ce qu'il voulait lui dire avant d'être interrompu est simple : « Mais Maskelyne est aussi le nom d'une arme de destruction massive capable d’annihiler les deux milles Marines de cette ville en même temps ! » Lavoisier a les moyens de sortir de là, toute cette mascarade n'est pour lui qu'une manœuvre pour tuer le temps. Ils veut exterminer tout le monde, il a planifié l'éradication méthodique et des otages, et des Marines présents. Finalement, se dit Loth, il ne s'est pas trompé dans le profil. Oort veut décocher son dernier coup d'archet sur une montagne de cadavres tout en s'en tirant à bon compte. La mise en scène, la négociation, c'est pour meubler et combler son délire narcissique, son complexe de dieu et son auto-vénération. Il faut maintenant qu'il donne l'alerte, qu'il trouve le moyen de délivrer le message aux bonnes personnes. Le temps de la passivité est terminé, pense-t-il, déterminé. L'heure de la contre-attaque a sonné.
- Le prochain est intéressant aussi. Sœur Léonella contre Serena ! Ta sœur adoptive contre la femme qui t'a soigné et à bien des égards, sauvé la vie ! claironne Lavoisier de retour au micro.
- Serena, dit Loth feignant l'hésitation pendant un moment. Mais j'aimerais dire un mot à Sœur Léonella.
- Bien sûr, bien sûr, le condamné a droit à la parole. Vas-y parle, et montre-moi ton désespoir !
- Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi, je vous l'ai déjà dit à mon départ, je vous le redis encore. Serena n'a que 20 ans, vous plus de 60.
- Ouuh, il veut dire par là "Exit les vieux, vous ne méritez pas de vivre" ! Tel est le message de votre aimé Loth Reich !
- Non ! Je veux lui dire de se souvenir de la parabole du fils de Daniel !
- Qu'est-ce-que c'est ? Un passage du livre saint des Moines Servites ? C'est ça, bassinez-nous avec des fumisteries écrites par un drogué il y a des millénaires ! Je crois savoir que vous vénérez des entités multiples appelées Gennys ? satirise-t-il.
- Ne l'écoutez pas ma sœur, vous souvenez-vous de la parabole ?
- Pa-parmi nous vivait Da-Daniel, un homme d'essence divine. Suivant les préceptes des Gennys, il vécut pendant...
- Pendant huit cent ans, reprit Loth alors que Léonella s’effondrait en larmes.
Daniel était aimé de son peuple mais plus que tout de son fils unique, Anthonéel. Déchiré par l'agonie de son père, Anthonéel pria : "Guérissez mon père, Gennys ! Prenez ma vie en échange !" Mais les Gennys lui répondirent : "En vérité, je vous le dis, aucun père ne devrait survivre à son enfant, aucun chêne ne devrait voir dépérir un gland. Et de même, aucun adulte ne saurait rentrer dans le royaume des Gennys s'il n'a pas une âme d'enfant." Tout comme les Gennys qui ne pouvaient accepter le sacrifice d'une jeune pousse pour sauver l'arbre millénaire, je ne peux me résoudre dans cette horreur, à saborder une vie naissante contre la votre ma sœur, déclare Loth, peiné, sans simulation.
- Oui, oui, oui ! clame Lavoisier !
Tu as enfin compris où je voulais en venir ! Tu es leur dieu, tu décides ! N'est-ce pas jouissif et magnifique ? Tu as décidé, tel un dieu ! Tu vivras toute ta vie avec et à chaque fois que tu te rappelleras ce moment, tu ne m'oublieras pas ! Je te hanterais comme tu m'as hanté, Loth Reich ! Prête à partir, Sœur Léonella ?
- Les Gennys ont dit : "Ne craignez pas la mort charnelle mais celle de votre âme". Et telle la prophétesse Mathizelle, vous serez une martyre. Son histoire est contée dans le Livre des Rois, Chapitre 14, verset 7. "Mathizelle se rendit à Avénicas pour prêcher la parole des Gennys à ces païens sodomites. Aux portes de la cité, elle fut accueillie avec hostilité et une horde de chiens galeux. Soixante-neuf fauves s'emparèrent de Mathizelle et la traînèrent devant les fornicateurs. Kidnappée par les ennemis des Justes, la prophétesse invoqua la toute puissance des Gennys. Entendant ses complaintes et prières depuis les cieux, les Gennys mandatèrent Caleb, le Guerrier. Le dernier fils d'Amos abattit le feu et le sang sur la ville impie, la retournant à la poussière. Yerathel le démon d'Avénicas brisa alors ses sceaux et s'opposa à Caleb dans le désert de Boavista. Neutralisée par la puissance des Gennys, le démon au souffle acide fut banni dans le Sous-monde. En vérité, je vous le dis : Tous ceux qui perdent leur vie pour les Gennys, trinqueront à leurs tables."
BANG !
Loth baisse la tête et crispe ses poings sur l'accoudoir. Depuis quinze ans qu'il n'a plus senti ses yeux picoter. Sur ses joues et malgré lui perlent des larmes qui gouttent, auréolées par le rire tonitruant d' Ébénézer Oort. Au moins de ce malheur, son message sera passé. A eux de faire le reste maintenant ! Puisse Léonella festoyer à la table des Gennys.
[...]
- Ça suffit, j'en ai assez vu !
Lavoisier se gausse davantage en regardant Midnight sortir furieuse du champ de la visio, suivi de Jared. Seul demeure le roi qui encourage Loth à tenir bon, en lui rappelant que rien n'est de sa faute. Le Dard de Minuit se déplace cahin-caha et trouve une table libre au fond du réfectoire où elle s'assoit lourdement et fait appel à ses officiers Time, Illusion et Carotte. Jared aussi est de la partie. « Loth, nous a envoyé un message, » susurre-t-elle bien qu'à cette distance et hors champ, la visio ne capterait rien de toute manière. « Avant d'intégrer l'escouade, il m'a donné ce livre, c'est "La Voie Octuple", le livre saint des Servites. On soupçonnait que Lavoisier ne lui tende un piège. Le mot de passe pour déclencher le message, c'est "Parabole". »
- Il a prononcé le mot "parabole" en parlant de la parabole d'un fils à Daniel, ou je ne sais quoi, dit Jared. Mais il a déblatéré plein de truc, comment on sait où se trouve le message ?
- Les textes qu'il a cité ne sont importants que s'il donne un verset avant. Il a meublé la conversation jusqu'à la fin pour que Lavoisier ne se doute de rien. Puis il a parlé du Livre des Rois, Chapitre 14, verset 7. Attendez, je cherche... Voilà : "Abattez vos faux dieux et idoles, détruisez ce temple de la débauche et avec ses restes, construisez l'arche qui vous sauvera du déluge. Car en vérité, je vous le dis, la dernière tempête approche. Celle qui purifiera ce monde souillé par le péché ! "
- Ce n'est pas ce qu'il a récité. Il a parlé d'une prophétesse martyrisée et de la vengeance de ses dieux.
- Tout à fait ! Loth a une mémoire eidétique, il maitrise ce livre à la virgule prêt, jamais il ne serait trompé. Le message est dans ce texte-là.
- Relis moi ça ?
- Je n'aime pas les devinettes, déclare Jared. C'est du ponéglyphe pour moi.
- Heureusement monsieur, la Lieutenante Time Clinton a elle aussi une mémoire photographique et est incollable en devinettes. Tu me décryptes ça, Time ?
- Ç’aurait été plus facile si je connaissais Reich, les interprétations peuvent vraiment différer...
- Faites-le, c'est un ordre ! La Commandante Ombeline et lui ont découvert quelque chose, c'est pour ça qu'ils ont été séparés mais Reich s'est servi de la vie d'une femme pour nous passer le message. Même si je ne l'aime pas, c'est le moins qu'on puisse faire. Lavoisier se prépare surement à nous entuber.
- A vos ordres.
[...]
Nul ne fit attention, ni ne remarqua que la Sous-lieutenante Potter sortit du réfectoire en même temps que Midnight s'éloignait du visio. Avada Kédavra était un bien étrange sniper oscillant entre le chaud et le froid, la patience et l'impulsivité. Ce fut une torture pour elle d'attendre et de subir les singeries de Lavoisier. Elle savait que ce Tommy avait trahi l'escouade, elle se doutait que le reste des rescapés qu'il ramena avec lui étaient des mercenaires. Elle brûla de partir à leur recherche et de les éliminer mais les mots de Loth furent on ne peut plus clairs à son départ. Rester dans le réfectoire, ne pas bouger dans l'attente d'un signal de sa part.
Le client est roi, dit-on... Alors elle attendit, se mêlant à la masse qui étudiait les solutions de sortie de crises. Jusqu'au verset énoncé par le Moine Hérétique. Si Loth ne lui a pas donné de bouquin, c'est parce le message qui lui est adressé figure dans la fausse parabole. Ainsi la Marine ne se douterait pas qu'il a envoyé deux messages simultanément.
Seule dans une ruelle derrière le QG improvisé, elle relit les phrases qu'elle a noté.
- Il est complètement barge pour avoir inventé ces paraboles en si peu de temps, monologue la tueuse. Mon message à moi doit se trouver dans les premières lettres de chaque phrase. Si ça a un sens, c'est bingo, autrement, ça veut juste dire qu'il n'a envoyé qu'un seul message. Donc... ça donne... M-A-S-K-E-L-Y-N-E. Maskelyne ! Oh ce fils de pute !
PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
- Bonjour Grenouille. C'est moi.
- Comment va la miss ?
- Mieux quand tu m'auras répondu.
- Demande toujours.
- Loth veut savoir, est-ce que ses hommes vont bien ?
- Pourquoi ils n'iront pas bien ? Ce sont des garanties pour qu'il respecte la promesse qu'il m'a faite. A quoi ça sert, des otages morts ?
- A rien, on est d'accord. Durant la bataille de l'industrie Kuerten, ton armée a battu celle de Loth en ne tirant aucun coup de feu. Gazés comme des rats. Il m'a dit que tu avais utilisé un gaz nommé Maskelyne.
- Viens en au fait, t'as un marché pour moi ? Tu toucheras 30% de commission.
- Je n'ai pas de marché pour les gaz bénins. Y-a-t-il une forme mortelle de Maskelyne ?
- Ce qu'on appelle Maskelyne, c'est le système que mes génies ont mis au point. C'est quoi le plus compliqué à maitriser dans l'utilisation des armes chimiques ?
- La dispersion, le climat.
- Voilà. Mon équipe a mis au point un système de diffuseurs climatiques qui emprisonnent la gaz dans un étau.
- Diffuseurs climatiques ? On parle d'individus ou de machines ?
- Les deux. Une symbiose parfaite. Tu choisis quatre points de sorte à former un carré ou un rectangle autour de la zone à gazer où on place les bombes. Au milieu de chaque côté de la figure, se positionne un utilisateur du climat tact selon un mode très précis qui se charge de générer le courant venteux qui maintiendra le gaz dans le périmètre de confinement. Ton client vise quelle genre d'étendue ?
- Oh, de visu, je dirais, une ville universitaire par exemple ?
- ...
- Tu savais pertinemment que Loth allait à Boréa solder quelques comptes et t'as pas daigné l'avertir !
- Non, je savais qu'il partait. Où, j'en avais rien à foutre, je suis pas sa secrétaire. En plus, je suis un marchand d'armes, fillette, pas un moine et surtout pas un allié de Reich. Je fais mes affaires, lui les siennes et si elles se télescopent, tant pis et que le meilleur gagne.
- Dans ce cas, j'ai une bonne nouvelle pour toi. Ton client est l'ennemi que Loth est parti affronter et pour l'instant, il est prisonnier de ce type. Pendant que nous parlons, ton équipe installe peut-être déjà les bombes pour gazer la ville. On est aussi d'accord que si Loth meurt, tu n'auras plus aucune chance de récupérer ce qu'il t'a promis ? Ton propre frère, Leonid Norman alias le Frelon ? Tu vas me dire où trouver tes bombes et comment les désactiver !
- Désolé, mais j'ai déjà assez parlé. Vrai que j'ai envie qu'il me ramène ce traître et que je me venge mais je suis un fournisseur et je ne peux pas balancer mes clients. Nous sommes tous des professionnels et si c'est toujours la loi du plus fort qui prédomine dans notre métiez alors montrez que vous êtes les plus forts !
- Donc ça ne te dérangerai si je tuais tes hommes ?
- En réalité, le projet date de plusieurs mois et on a eu le temps de former les propres hommes du client au climat tact. Ce qu'on a pas eu, c'est le temps pour fabriquer et livrer le système Maskelyne. Et ironiquement, tout ça a été perturbé par la guerre que ton client a enclenché ici. S'il n'avait pas foutu la merde à Carcinomia, le gaz serait déjà là, et tout le monde serait mort, tu vois ? On dirait que Loth Reich a une certaine étoile qui veille. Bref, mon seul homme est celui qui livre le système. Si tu te sens de taille à affronter le Transporteur alors, bonne chance !
Gloire aux vainqueurs, mort aux vaincus !
- Spoiler:
- Bon, on a encore du temps alors, DJ, envoie un son qui fait bouger, j'ai envie d'exprimer ma joie !
- Mes condoléances pour ton ami mais vu qu'il était primé à 40 millions pour fabrication de faux billets, je peux pas être désolée. Tu as de sacrés amis !
- Amis du passé.
- Mouais, tu parles ! Sinon, ça va ? Y a que moi qui dois te tuer, donc meurs pas avant !
- Je n'ai pas l'intention de mourir ! Tiens, Maximilian.
- Nous sommes de retour.
- Et ? Si vous vous êtes là c'est que la motion est passée sinon vous aurez attaqué.
- Dans moins d'une heure, le Silence sera là.
- Dans moins d'une heure ? répète Lavoisier. Il fait vite, mais tant mieux.
- Sérieux ? Le Vénérable cherche vraiment à sauver son fils au détriment d'une arme avancée ? questionne Ombeline.
- Non, les plans du Silence ont déjà été volés dans le passé. Le Vénérable a estimé qu'il était inutile de troquer la vie de jeunes esprits contre une invention dont on n'a plus l'exclusivité.
- Ah... Une fuite hein... Très étrange.
- Donc en attendant, vous n'exécuterez plus aucun otage.
- Je n'ai plus exécuté personne.
- La famille de Loth y compris.
- Ce ne sont pas otages, aucun d'entre-eux ne vit à Boréa. Ils n'ont jamais été compris dans le deal.
- Non arrêtez !
- Ne vous en mêlez pas Nordin ! IL DOIT VOIR A TRAVERS MES YEUX ! Alors, on s'y colle, Loth. Gengis Vs Krystalynn. Un match très très difficile. Celui qui se rapproche le plus de ton meilleur ami au monastère contre ta première copine si j'ai bien suivi les ragots. Choisis où tous y passeront !
Gengis tremble comme une feuille et sa chemise baigne dans ses larmes. Il a toujours été quelqu'un d'expansif se rappelle Loth. Il se rappelle aussi de leurs longues discussions, des nuits blanches passées à débattre de sujets divers. Orphelin, Gengis a toujours connu l'orphelinat des Moines mais comme Loth, il rêvait de découverte et d'aventure. Pendant leurs soirées à refaire le monde, ils planifièrent de nombreux voyages. Il voulait aller sur le Frozen Continent et voir de ses yeux Chateaugéant, le monde des terribles Mangemondes. Loth voulait retrouver Zunisha, l'éléphant millénaire et nomade du Nouveau Monde et faire un tour à Al-Jezeda. Gengis voulait être historien, Loth voulait toucher à tout. Le Moine ne saurait expliquer ce qui les éloigna avec le temps, si ce n'est leurs départs respectifs du Monastère. Peu de correspondances échangées, mais c'est le lot qu'ils choisirent. A chacun sa vie. Et malheureusement...
- Tu connais les raisons qui font que je vais choisir Krysta, ne m'en veux pas Gengis. Et pour vous tous que j'enverrai à la mort, je suis désolé d'être toujours désolé.
- C'est. c'est. bafouille-t-il, terrifié et tremblant. Je.verrai.le.Frozen.continent.à.travers.tes.yeux.donc.t'as intérêt.à vivre.
Bang !
Après ça, le Moine Hérétique a l'impression de recevoir un coup de poignard surgelé entre les côtes. Il halète, de plus en plus vite. « Ne me sors pas le coup de la crise d'hyperventilation Loth ou ils sont tous condamnés ! Nous allons finir ce que nous avons commencé ! » Loin de l'écouter, Loth reste concentré sur les marques de sang presque séchées à l'endroit où les Lunes ont été exécutées. Ce mur blanc lacté continue de l'intriguer. Sans savoir pourquoi, il a une impression de déjà-vu ce qui lui arrive très rarement avec une mémoire comme la sienne. D'habitude, il recoupe les informations en moins d'une seconde. Où diable a-t-il déjà vu ce mur blanc ? Le coup de poignard imaginaire qui lui fulgure le côté se transforme en une gifle monumentale quand il identifie enfin la nature du mur. Comment a-t-il pu tergiverser sur ça ? Son cerveau fonctionne à si haut régime qu'il craint que Lavoisier l'entende penser. Maintenant il a une explication sur l'objectif de la Lune et du pourquoi de cette mise en scène mais il lui manque un élément important du scénario. Pourquoi ? Pourquoi demeure-t-il encore là ?
- Hey tapette, vise ça. Odin prend Lavoisier en aparté.
- Arrête de me donner ces noms !
- La ferme, j'essaie de lire sur leurs lèvres !
- C'est toi qui a engagé la conversation !
- "Masculine...est... presque... arrivé." "Parfait".
- Masculine ?
- Je sais pas, ça ressemblait à ce qu'a dit Odin. Lavoisier semble content. Ça veut rien dire "masculine".
- Tu es sûre de tes talents ?
- Tu m'as pas entendu ? Quand tu survis dans une guerre civile perpétuelle, tu apprends plus de ce que ne disent pas les gens ! C'est un talent qui s'est développé au fil du temps en restant à distance des chefs de guerre et en lisant sur leurs lèvres. Mais certains phonèmes se ressemblent. "Masculine" est peut être un nom. Donc ça veut dire ? Lavoisier attendrait des renforts ?
- Tu n'as pas remarqué qu'il semblait étonné quand le roi lui a dit que le Silence arriverait plus tôt que prévu ?
- Oui, ça m'a semblé bizarre mais je comprends plus rien ! Il veut s'en sortir vivant ou pas ? Quels types de renforts il peut espérer pour ses hommes et lui ? Il y a au dehors plus de deux milles Marines et un Sous-amiral. Je vois très mal ce qui pourrait l'aider de l'extérieur ! Surtout si c'est pour passer en force ! Sans compter que toute la zone maritime est bouclée.
- Tommy Mouton.
- On l'a pas vu mort, lui ?
- Moi aussi j'ai mis en scène ma mort au premier trimestre 1626, tu t'en souviens ? Bee a fait une judicieuse remarque sur le fait que Lavoisier n'ait pas cherché à me parler durant son premier appel. De un, il savait bien que je chercherais un moyen de venir à lui mais il s'est assuré que j'en trouverai un ! Tommy nous a conduit dans un guet-apens comme des bleues, a fait semblant d'avoir été tué pour retourner du côté des Marines.
- On a posté des gens dans la traboule.
- Tommy est surement ressorti par une autres galeries pour aller rejoindre ses camarades à l'extérieur. Ils étaient cinq, n'oublie pas.
- Bon quoi, il y a cinq mercenaires dans nos rangs, quels dégâts pourraient-ils faire de si significatifs ?
- Je l'ignore mais ce dont je suis certain c'est que Lavoisier prépare cette opération depuis qu'il a compris qu'Ashura était mort. Il s'est donné la peine d'aller farfouiller mon passé et de kidnapper les miens sans que je ne m'en rende compte. Il a tout millimétré, mais il y a quelque chose, un élément indépendant de sa volonté qui ne s'est pas bien inséré dans son mécanisme. Oh non... Non, non, non, putain ! Non.
- Hey, partage ton illumination !
- Tu étais la solution depuis le début Ombeline ! Pourquoi tu es à Boréa ?
- Quoi ?
- Pourquoi es-tu à Boréa ? Où est ta flotte ?
- Je t'avais déjà répondu ! Je traque le Transporteur !
- A Boréa, précisément ?
- Non, non. Selon mes indics, il aurait dû récupérer une cargaison d'arme dans la mer des Béquasses, c'est juste à quinze miles en dehors des eaux de Boréa. L'info' était pas bonne, y avait aucun bateau donc, j'ai envoyé mes gars chercher d'autres pistes pendant que moi, je passais dire bonjour à Bee et en chemin, j'ai croisé la flotte de Jared. C'est lui qui m'a informé de la situation. Tu veux dire que le Transporteur serait en route pour Boréa ?
- Le Transporteur est le livreur des mercenaires. Sa spécialité, c'est de briser les blocus, de s'infiltrer, et de livrer des armes !
- Ouais et depuis que je le traque, je pense qu'il aurait un pouvoir du démon du genre Porte ou Coffre. En tout cas, il a un moyen pas normal de dissimuler des tonnes de cargaison pour passer les barrages. Okey, récapitulons vite. Lavoisier attend du renfort en arme de dehors et il patiente là pourquoi ? Il nous a déjà mis en échec sans combattre. Ce serait idiot d'attendre des munitions pour nous attaquer alors qu'ils sont encerclés et à un contre dix !
- Sauf si... Attends, est-ce que ton "masculine" pourrait être "Maskelyne" ?
- Ouais... ouais, à fond. Possible, oui. Mais Maskelyne c'est le nom d'une stratégie massive de diversion connue des érudits qui figure dans le manuel de la Marine.
- Je sais, il tire son nom de Jasper Maskelyne, Colonel de la Marine réputé pour ses talents d'illusionnistes. Il a gagné la Drôle de Guerre en implantant des poupées gonflables sur le champ de bataille. Pendant une journée, l'armée ennemie a fait face à ces avatars, attendant la braise, c'est alors qu'ils ont été pris à revers. Mais...
- Ça va vous deux et les messes basses ! dit Odin en se rapprochant.
Paul, on les sépare, ce sont des ventriloques ! Ils parlent sans remuer les lèvres ! Déplace la maudite jusqu'au bout là-bas. J'ai pas envie qu'ils complotent sous nos yeux.
- Non, non, s'il vous plait ! Il me dit des cochonneries que j'aime bien ! On sera sage ! Promis !
- Reste-là, et ferme-la !
A l'extrémité Est de la fosse, Ombeline lui lance des signes du regard. Elle brûle de savoir mais Loth est incapable de lui faire comprendre par un quelconque signe. Ce qu'il voulait lui dire avant d'être interrompu est simple : « Mais Maskelyne est aussi le nom d'une arme de destruction massive capable d’annihiler les deux milles Marines de cette ville en même temps ! » Lavoisier a les moyens de sortir de là, toute cette mascarade n'est pour lui qu'une manœuvre pour tuer le temps. Ils veut exterminer tout le monde, il a planifié l'éradication méthodique et des otages, et des Marines présents. Finalement, se dit Loth, il ne s'est pas trompé dans le profil. Oort veut décocher son dernier coup d'archet sur une montagne de cadavres tout en s'en tirant à bon compte. La mise en scène, la négociation, c'est pour meubler et combler son délire narcissique, son complexe de dieu et son auto-vénération. Il faut maintenant qu'il donne l'alerte, qu'il trouve le moyen de délivrer le message aux bonnes personnes. Le temps de la passivité est terminé, pense-t-il, déterminé. L'heure de la contre-attaque a sonné.
- Le prochain est intéressant aussi. Sœur Léonella contre Serena ! Ta sœur adoptive contre la femme qui t'a soigné et à bien des égards, sauvé la vie ! claironne Lavoisier de retour au micro.
- Serena, dit Loth feignant l'hésitation pendant un moment. Mais j'aimerais dire un mot à Sœur Léonella.
- Bien sûr, bien sûr, le condamné a droit à la parole. Vas-y parle, et montre-moi ton désespoir !
- Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi, je vous l'ai déjà dit à mon départ, je vous le redis encore. Serena n'a que 20 ans, vous plus de 60.
- Ouuh, il veut dire par là "Exit les vieux, vous ne méritez pas de vivre" ! Tel est le message de votre aimé Loth Reich !
- Non ! Je veux lui dire de se souvenir de la parabole du fils de Daniel !
- Qu'est-ce-que c'est ? Un passage du livre saint des Moines Servites ? C'est ça, bassinez-nous avec des fumisteries écrites par un drogué il y a des millénaires ! Je crois savoir que vous vénérez des entités multiples appelées Gennys ? satirise-t-il.
- Ne l'écoutez pas ma sœur, vous souvenez-vous de la parabole ?
- Pa-parmi nous vivait Da-Daniel, un homme d'essence divine. Suivant les préceptes des Gennys, il vécut pendant...
- Pendant huit cent ans, reprit Loth alors que Léonella s’effondrait en larmes.
Daniel était aimé de son peuple mais plus que tout de son fils unique, Anthonéel. Déchiré par l'agonie de son père, Anthonéel pria : "Guérissez mon père, Gennys ! Prenez ma vie en échange !" Mais les Gennys lui répondirent : "En vérité, je vous le dis, aucun père ne devrait survivre à son enfant, aucun chêne ne devrait voir dépérir un gland. Et de même, aucun adulte ne saurait rentrer dans le royaume des Gennys s'il n'a pas une âme d'enfant." Tout comme les Gennys qui ne pouvaient accepter le sacrifice d'une jeune pousse pour sauver l'arbre millénaire, je ne peux me résoudre dans cette horreur, à saborder une vie naissante contre la votre ma sœur, déclare Loth, peiné, sans simulation.
- Oui, oui, oui ! clame Lavoisier !
Tu as enfin compris où je voulais en venir ! Tu es leur dieu, tu décides ! N'est-ce pas jouissif et magnifique ? Tu as décidé, tel un dieu ! Tu vivras toute ta vie avec et à chaque fois que tu te rappelleras ce moment, tu ne m'oublieras pas ! Je te hanterais comme tu m'as hanté, Loth Reich ! Prête à partir, Sœur Léonella ?
- Les Gennys ont dit : "Ne craignez pas la mort charnelle mais celle de votre âme". Et telle la prophétesse Mathizelle, vous serez une martyre. Son histoire est contée dans le Livre des Rois, Chapitre 14, verset 7. "Mathizelle se rendit à Avénicas pour prêcher la parole des Gennys à ces païens sodomites. Aux portes de la cité, elle fut accueillie avec hostilité et une horde de chiens galeux. Soixante-neuf fauves s'emparèrent de Mathizelle et la traînèrent devant les fornicateurs. Kidnappée par les ennemis des Justes, la prophétesse invoqua la toute puissance des Gennys. Entendant ses complaintes et prières depuis les cieux, les Gennys mandatèrent Caleb, le Guerrier. Le dernier fils d'Amos abattit le feu et le sang sur la ville impie, la retournant à la poussière. Yerathel le démon d'Avénicas brisa alors ses sceaux et s'opposa à Caleb dans le désert de Boavista. Neutralisée par la puissance des Gennys, le démon au souffle acide fut banni dans le Sous-monde. En vérité, je vous le dis : Tous ceux qui perdent leur vie pour les Gennys, trinqueront à leurs tables."
BANG !
Loth baisse la tête et crispe ses poings sur l'accoudoir. Depuis quinze ans qu'il n'a plus senti ses yeux picoter. Sur ses joues et malgré lui perlent des larmes qui gouttent, auréolées par le rire tonitruant d' Ébénézer Oort. Au moins de ce malheur, son message sera passé. A eux de faire le reste maintenant ! Puisse Léonella festoyer à la table des Gennys.
[...]
- Ça suffit, j'en ai assez vu !
Lavoisier se gausse davantage en regardant Midnight sortir furieuse du champ de la visio, suivi de Jared. Seul demeure le roi qui encourage Loth à tenir bon, en lui rappelant que rien n'est de sa faute. Le Dard de Minuit se déplace cahin-caha et trouve une table libre au fond du réfectoire où elle s'assoit lourdement et fait appel à ses officiers Time, Illusion et Carotte. Jared aussi est de la partie. « Loth, nous a envoyé un message, » susurre-t-elle bien qu'à cette distance et hors champ, la visio ne capterait rien de toute manière. « Avant d'intégrer l'escouade, il m'a donné ce livre, c'est "La Voie Octuple", le livre saint des Servites. On soupçonnait que Lavoisier ne lui tende un piège. Le mot de passe pour déclencher le message, c'est "Parabole". »
- Il a prononcé le mot "parabole" en parlant de la parabole d'un fils à Daniel, ou je ne sais quoi, dit Jared. Mais il a déblatéré plein de truc, comment on sait où se trouve le message ?
- Les textes qu'il a cité ne sont importants que s'il donne un verset avant. Il a meublé la conversation jusqu'à la fin pour que Lavoisier ne se doute de rien. Puis il a parlé du Livre des Rois, Chapitre 14, verset 7. Attendez, je cherche... Voilà : "Abattez vos faux dieux et idoles, détruisez ce temple de la débauche et avec ses restes, construisez l'arche qui vous sauvera du déluge. Car en vérité, je vous le dis, la dernière tempête approche. Celle qui purifiera ce monde souillé par le péché ! "
- Ce n'est pas ce qu'il a récité. Il a parlé d'une prophétesse martyrisée et de la vengeance de ses dieux.
- Tout à fait ! Loth a une mémoire eidétique, il maitrise ce livre à la virgule prêt, jamais il ne serait trompé. Le message est dans ce texte-là.
- Relis moi ça ?
Abattez vos faux dieux et idoles, détruisez ce temple de la débauche et avec ses restes, construisez l'arche qui vous sauvera du déluge. Car en vérité, je vous le dis, la dernière tempête approche. Celle qui purifiera ce monde souillé par le péché !
- Je n'aime pas les devinettes, déclare Jared. C'est du ponéglyphe pour moi.
- Heureusement monsieur, la Lieutenante Time Clinton a elle aussi une mémoire photographique et est incollable en devinettes. Tu me décryptes ça, Time ?
- Ç’aurait été plus facile si je connaissais Reich, les interprétations peuvent vraiment différer...
- Faites-le, c'est un ordre ! La Commandante Ombeline et lui ont découvert quelque chose, c'est pour ça qu'ils ont été séparés mais Reich s'est servi de la vie d'une femme pour nous passer le message. Même si je ne l'aime pas, c'est le moins qu'on puisse faire. Lavoisier se prépare surement à nous entuber.
- A vos ordres.
[...]
Nul ne fit attention, ni ne remarqua que la Sous-lieutenante Potter sortit du réfectoire en même temps que Midnight s'éloignait du visio. Avada Kédavra était un bien étrange sniper oscillant entre le chaud et le froid, la patience et l'impulsivité. Ce fut une torture pour elle d'attendre et de subir les singeries de Lavoisier. Elle savait que ce Tommy avait trahi l'escouade, elle se doutait que le reste des rescapés qu'il ramena avec lui étaient des mercenaires. Elle brûla de partir à leur recherche et de les éliminer mais les mots de Loth furent on ne peut plus clairs à son départ. Rester dans le réfectoire, ne pas bouger dans l'attente d'un signal de sa part.
Le client est roi, dit-on... Alors elle attendit, se mêlant à la masse qui étudiait les solutions de sortie de crises. Jusqu'au verset énoncé par le Moine Hérétique. Si Loth ne lui a pas donné de bouquin, c'est parce le message qui lui est adressé figure dans la fausse parabole. Ainsi la Marine ne se douterait pas qu'il a envoyé deux messages simultanément.
Seule dans une ruelle derrière le QG improvisé, elle relit les phrases qu'elle a noté.
Mathizelle se rendit à Avénicas pour prêcher la parole des Gennys à ces païens sodomites.
Aux portes de la cité, elle fut accueillie avec hostilité et une horde de chiens galeux.
Soixante-neuf fauves s'emparèrent de Mathizelle et la trainèrent devant les fornicateurs.
Kidnappée par les ennemis des Justes, la prophétesse invoqua la toute puissance des Gennys.
Entendant ses complaintes et prières depuis les cieux, les Gennys mandatèrent Caleb, le Guerrier.
Le dernier fils d'Amos abattit le feu et le sang sur la ville impie, la retournant à la poussière.
Yerathel le démon d'Avénicas brisa alors ses sceaux et s'opposa à Caleb dans le désert de Boavista.
Neutralisée par la puissance des Gennys, le démon au souffle acide fut banni dans le Sous-monde.
En vérité, je vous le dis : Tous ceux qui perdent leur vie pour les Gennys, trinqueront à leurs tables.
- Il est complètement barge pour avoir inventé ces paraboles en si peu de temps, monologue la tueuse. Mon message à moi doit se trouver dans les premières lettres de chaque phrase. Si ça a un sens, c'est bingo, autrement, ça veut juste dire qu'il n'a envoyé qu'un seul message. Donc... ça donne... M-A-S-K-E-L-Y-N-E. Maskelyne ! Oh ce fils de pute !
PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
- Bonjour Grenouille. C'est moi.
- Comment va la miss ?
- Mieux quand tu m'auras répondu.
- Demande toujours.
- Loth veut savoir, est-ce que ses hommes vont bien ?
- Pourquoi ils n'iront pas bien ? Ce sont des garanties pour qu'il respecte la promesse qu'il m'a faite. A quoi ça sert, des otages morts ?
- A rien, on est d'accord. Durant la bataille de l'industrie Kuerten, ton armée a battu celle de Loth en ne tirant aucun coup de feu. Gazés comme des rats. Il m'a dit que tu avais utilisé un gaz nommé Maskelyne.
- Viens en au fait, t'as un marché pour moi ? Tu toucheras 30% de commission.
- Je n'ai pas de marché pour les gaz bénins. Y-a-t-il une forme mortelle de Maskelyne ?
- Ce qu'on appelle Maskelyne, c'est le système que mes génies ont mis au point. C'est quoi le plus compliqué à maitriser dans l'utilisation des armes chimiques ?
- La dispersion, le climat.
- Voilà. Mon équipe a mis au point un système de diffuseurs climatiques qui emprisonnent la gaz dans un étau.
- Diffuseurs climatiques ? On parle d'individus ou de machines ?
- Les deux. Une symbiose parfaite. Tu choisis quatre points de sorte à former un carré ou un rectangle autour de la zone à gazer où on place les bombes. Au milieu de chaque côté de la figure, se positionne un utilisateur du climat tact selon un mode très précis qui se charge de générer le courant venteux qui maintiendra le gaz dans le périmètre de confinement. Ton client vise quelle genre d'étendue ?
- Oh, de visu, je dirais, une ville universitaire par exemple ?
- ...
- Tu savais pertinemment que Loth allait à Boréa solder quelques comptes et t'as pas daigné l'avertir !
- Non, je savais qu'il partait. Où, j'en avais rien à foutre, je suis pas sa secrétaire. En plus, je suis un marchand d'armes, fillette, pas un moine et surtout pas un allié de Reich. Je fais mes affaires, lui les siennes et si elles se télescopent, tant pis et que le meilleur gagne.
- Dans ce cas, j'ai une bonne nouvelle pour toi. Ton client est l'ennemi que Loth est parti affronter et pour l'instant, il est prisonnier de ce type. Pendant que nous parlons, ton équipe installe peut-être déjà les bombes pour gazer la ville. On est aussi d'accord que si Loth meurt, tu n'auras plus aucune chance de récupérer ce qu'il t'a promis ? Ton propre frère, Leonid Norman alias le Frelon ? Tu vas me dire où trouver tes bombes et comment les désactiver !
- Désolé, mais j'ai déjà assez parlé. Vrai que j'ai envie qu'il me ramène ce traître et que je me venge mais je suis un fournisseur et je ne peux pas balancer mes clients. Nous sommes tous des professionnels et si c'est toujours la loi du plus fort qui prédomine dans notre métiez alors montrez que vous êtes les plus forts !
- Donc ça ne te dérangerai si je tuais tes hommes ?
- En réalité, le projet date de plusieurs mois et on a eu le temps de former les propres hommes du client au climat tact. Ce qu'on a pas eu, c'est le temps pour fabriquer et livrer le système Maskelyne. Et ironiquement, tout ça a été perturbé par la guerre que ton client a enclenché ici. S'il n'avait pas foutu la merde à Carcinomia, le gaz serait déjà là, et tout le monde serait mort, tu vois ? On dirait que Loth Reich a une certaine étoile qui veille. Bref, mon seul homme est celui qui livre le système. Si tu te sens de taille à affronter le Transporteur alors, bonne chance !
Gloire aux vainqueurs, mort aux vaincus !
Pendant ce temps, dans le réfectoire...
- Votre raisonnement est dément Time !
- Attendez, monsieur, ils sont allés chercher quelques réfugiés... Ah les voilà. Merci sergent. Déclinez votre identité, monsieur.
- Pr. Allen Pharell, chef du département de physique.
- Très bien. On aimerait savoir si au cours des trois derniers mois, des travaux ont été effectués dans la bâtisse du rectorat, demande Time.
- Tout ça fait. Le plafond de l'amphithéâtre s'effritait depuis des années puis, un jour, un gros bloc s'en est détaché. Le rectorat ne pouvait plus procrastiner les travaux.
- Comment se sont passées les rénovations ?
- C'était plutôt une reconstruction en bonne et due forme. Le recteur... ce criminel... enfin, je m'égare, il a voulu un style plus contemporain alors que l'ancien était du victorien. Il a remplacé un toit plat en pente par un dôme de verre.
- Avez-vous vu la construction en cours ? Je veux dire, les ouvriers au travail ?
- Non, tout le périmètre autour fut bouclé par des bâches à cause de la démolition en premier lieu puis des bruits des travaux qui gênaient les cours. Les bâches confinaient le son. Enfin, c'est l'explication qui a été donnée.
- Ce sera tout Professeur. Merci.
- Wow, j'ai du mal à croire ça. Répète encore une fois, dit Midnight abasourdie.
- Le message brut que Reich a délivré, le voici :
- Ça relate d'une période charnière de la mythologie des Gennys où ces derniers décident de purifier le monde par un déluge. Le chapitre en entier parle de la destruction du temple de Saquarrah dont les matériaux ont ensuite servi à construire une arche. Et comme je viens de le prouver indirectement, je pense qu'on doit prendre le texte au sens premier. Tout comme le temple de Saquarrah, le rectorat a été détruit puis reconstruit, sauf qu'au lieu d'un bâtiment normal, Lavoisier a fait construire un bateau à la place.
- Donc ce que nous voyons là, serait... un bateau ? Comment ?
- Le zérométal, Commandante. Le mur qui supporte le tableau est blanc, très lacté, tout comme le zérométal. Ils ont recouvert le sol d'un textile pour cacher sa blancheur mais un mur intégralement tapissé aurait été suspect. Pas plus qu'ils ne pouvaient peindre le métal sous peine de détruire ses propriétés. Et Reich est le promoteur de cet alliage, il l'aurait reconnu plus rapidement que quiconque. Pour l'instant le rectorat ne ressemble qu'à une coupole mais je suis certaine qu'en activant les propriétés du métal à mémoire de forme, ça se métamorphosera en navire. Et pour cacher l'entreprise, ils ont bâché les travaux.
- Mais comment pourrait-il fuir avec un bateau ? s'enquiert Midnight. A moins de... le Silence monsieur !
- Quoi le Silence ?
- Les plans du Silence ont été volés à Vulcastan, il y a trois mois ! Peu avant le début des travaux ici ! C'est pour ça que Lavoisier est au courant pour le bateau, les tests en mer, la date. Tout ça, c'est de la poudre aux yeux ! Il ne veut pas le Silence, il a déjà le Silence ! C'est évident !
- Les plans du Silence comportaient du zérométal, effectivement, marmonne le Sous-amiral. Il veut s'enfuir par les airs. S'il le pouvait depuis tout ce temps, qu'est-ce qu'il attend ?
- C'est pour ça que ça ne semble pas bon pour nous, il prépare quelque chose. Qu'est-ce que c'est ?
- Adjudant au rapport ! Désolé d'vous interrompre, mais les quatre étudiants rescapés d'la traboule avec Tommy Mouton ont disparu ! Le garde qui les surveillait a été retrouvé mort !
- Les enfoirés, ils veulent nous prendre à revers ! jure Bee.
- A quatre ou cinq ?
- Parfaitement, Sous-amiral, déclare un nouvel arrivant. Lieutenant-colonel Euron Bear, Commandant du Styx, second navire de la flotte des Bêtes de l'ombre, au rapport ! Permettez-moi de me joindre au briefing.
- Approche Euron, ça fait longtemps, depuis que tu as abandonné la direction de la Brigade Canine du G-6 pour te promener avec Ombeline.
- Où est-elle ?
- Prise en otage.
- Ah, d'accord. Juste la routine chez les Bêtes de l'Ombre. Je viens avec des nouvelles alarmantes et j'aurais besoin de votre concours.
- Nous même avons un problème qu'on essaie de solutionner-là...
- Est-ce qu'il a un rapport avec un possible apport extérieur dans cette crise ? demande Euron.
- Tu sais quelque chose à propos de nos quatre réfugiés manquants ?
- Mes hommes les traquent actuellement. Je vous expose brièvement la situation. Depuis six mois, toute la flotte est à la recherche du Transporteur. Ça fait dix ans qu'il officie. Le dernier tuyau de l'équipage du Styx que commande Lady était bidon mais comme elle était proche de Boréa, elle est partie en chaloupe pour vous voir Commandante Bee, pendant que son équipage sous le commandement de l'Ingénieur en chef Aemon poursuivait d'autres pistes. De mon côté, avec mon équipage, on a suivi des chemins différents qui nous ont mené à un atoll non loin d'ici. On a obtenu des infos très précieuses. Lavoisier avait planifié l'extermination millimétrée de toute la population de Jalabert grâce au Maskelyne !
- C'est quoi ça ?
- Un gaz létal. Mais le pire, c'est son mode de dispersion. J'ai fait un plan approximatif :
- En rouge au centre, c'est le Cénacle entouré du bouclier humain. L'englobant en bleu, c'est la zone quadrillée par la Marine. Le carré noir tout autour, c'est la zone où devrait opérer le Maskelyne.
- Chaque côté fait plus de quinze kilomètres ! s'étonne Midnight.
- C'est une arme de destruction massive madame.
- Et ça fonctionne vraiment ?
- Je ne tiens pas à le savoir et vous non plus, je pense. Les points blancs dans chaque angle droit du carré représentent les bombes qui diffuseront le gaz suivant un angle de quatre-vingt-dix degrés. Mais ce sont les cœurs orange qui jouent le rôle central et on a toutes les raisons de penser que ce sont vos réfugiés fugitifs. Selon notre informateur, avec la capacité du climat tact, ils peuvent générer des vents qui vont comme encager le gaz. Apparemment, ça a été inspiré du Courant Tarai.
- C'est ça que ce fumier projetait ! rage Jared. Pendant qu'il nous faisait attendre avec sa mise en scène, des gens nous auraient gazé par derrière. Lui se serait enfuit avec son bateau !
- Quelque chose a retardé la livraison qui aurait dû être faite il y a deux jours, mais je n'en sais pas plus. Après, ça c'est une carte à main levée du système. Il faut trouver d'abord les utilisateurs du climat tact, puis désamorcer les bombes. Comme dit, mon équipe fouille les zones possibles, sans résultat pour l'instant. On n'est même pas sûr que le Transporteur qui doit livrer les gaz soit déjà arrivé mais c'est une course contre la montre !
- C'est le plus grand euphémisme de la semaine, Euron. Courir contre le temps, c'est ce qu'on fait depuis le début de cette maudite journée ! Bon, je me joins aux recherches, Time, Illusion, Carotte, suivez-nous. Midnight, restez-là.
- Je vais très bien, je peux me battre, en plus avec mon pouvoir...
- Je déconseille, prescrit Illusion.
- C'est un ordre. Vous pouvez à peine marcher droit et vous voyez que d'un œil ! Puis au cas où Lavoisier appellerait l'un d'entre nous, vous assumez. C'est pas pour nous montrer la torture psychologique infligée à Reich qu'il a maintenu la visio, mais bien pour nous espionner. Par chance, ça va lui desservir. Il doit déjà trouver suspect qu'on ait disparu depuis un moment, il ne faut pas lui donner plus de raison de soupçonner qu'on sait. Allez ! Go go go !
Regrettant et plus que jamais furieuse d'avoir donné l'opportunité à cette petite frappe de Julian Jacem Jahel Jawad Junior de l'avoir handicapée, Bee s'interroge. Vu que les "rescapés" sont des mercenaires, surement Tommy Mouton l'est-il. Ce qui implique qu'il ne serait pas mort dans les catacombes avec le reste de l'escouade. Alors, si le rôle des quatre est de maintenir le gaz en cage, quel peut bien être le sien ? Lavoisier leur réserve-t-il une dernière petite surprise insoupçonnée ? Sans réponse, elle retourne à la visio. Le roi lui parait bizarre, il ne détourne pas les yeux de la mise en scène et Midnight se dit que c'est bien la première fois qu'elle le voit aussi taciturne et peu bavard. Durant la crise du génocide de Marie-Curie, il était demeuré "chaud bouillant", toujours agité, toujours bavard. Mais une crise comme celle-ci a tôt fait de vous changer un homme !
[...]
Revenant sur ses pas, Avada s'éloigne du réfectoire. Dans l'impossibilité de désamorcer quatre bombes et d'éliminer quatre mercenaires répartis sur plus de deux cents kilomètres carrés, elle s'était résolue à en parler et à solliciter l'aide du commandement. Mais les Bêtes de l'Ombre l'avaient précédée et c'est tant mieux, se dit-elle. S'il y a des Élites efficaces, c'est bien eux et Jalabert ne saurait être en de meilleures mains, en plus, Jared lui-même s'est joint aux recherches. Avada peut alors délaisser les petits mercenaires pour se consacrer sur le gros morceau. Le Transporteur. S'il n'est pas encore arrivé, autant l'empêcher de poser ses bombes. Le cas échéant, le forcer à livrer leurs positions et les voies de désamorçage. Mais plus que tout et la tueuse n'a aucun mal à le reconnaitre, c'est son envie de combattre qui prend le dessus. Comme elle, le Transporteur est une légende du crime des Blues et elle brûle d'envie de le rencontrer. A l'abri dans l'ombre d'un immeuble, elle déroule une carte de Boréa et y place des pions pour reconstituer l'échiquier actuel.
Toute la zone en rouge, c'est le théâtre des opérations, Marines et Autres compris. C'est aussi l'aire qui risque d'être gazée avec le Maskelyne. Tout le royaume subit un important blocus de la 444e couplée à la flotte de Jared. Surtout au sud, où les cuirassés et les patrouilleurs du Lieutenant-colonel Nerboc empêchent justement une intervention extérieure ou une fuite par la mer. Ils ont sécurisé la baie des Gloutons et l'allée aux Phoques où se jette la Pleureuse. Au sud-est, on trouve les multiples deltas du fleuve Rhomus mais la zone est une tourbière bien que bouclée aussi par la flottille du croiseur Barracuda. L'étau des Marines est parfait à l’exception de la zone nord de Jalabert formée par la Mort Blanche. Si les Marines ne sont pas donné la peine de la sécuriser c'est pour la simple raison qu'elle est impossible à emprunter à cause des champs de glaciers dérivants. Le dispositif a été posé pour un ou plusieurs engins de surface, mais comme Avada l'a appris après son séjour à Carcinomia, c'est un monde ou la discrétion est maitresse et elle sévit jusque dans les moyens déplacements de ces contrebandiers.
- Le Transporteur se déplace en sous-marin, y a pas de doute. Mais le blocus pourrait mettre en échec même un sous-marin parce qu'à un moment, faut bien remonter pour accoster, monologue-t-elle.
Et toute la côte est méga ceinturée. Sauf, au nord, encore. C'est une zone verte classique. Avec un bon submersible, le Transporteur peut naviguer sous les icebergs, trouver une crique et paisiblement jeter l'ancre. Oui, si j'étais lui, c'est ce que je ferai : discrétion maximum, c'est à moins d'un kilomètre de la Cordelette et de Gefroid. Va pour ça.
Elle n'a pas de toute, sa cible se trouve au nord. Elle y fuse et en chemin, son escargophone branché sur la fréquence secrète du commandement se met à brailler. « Géronimo-Zulu-T- ! » dit la voix grave d'un homme. Géronimo pour la bombe trouvée, Zulu pour le sud, T pour "trois heures, donc l'est". Une des Bêtes de l'Ombre a trouvé la bombe du sud-est ! Ce qui signifie pour Avada que la situation est plus pressée que jamais.
[...]
L'Ingénieur-en-chef Aemon Roose patauge sur le littoral dégelé de la Pleureuse depuis un moment, son avancée rendue plus compliquée par Pénitence, l'espèce de colossal claymore-marteau dans son dos. C'est lui qui a percé le secret du système Maskelyne, une invention diabolique pour enlever encore plus de vie à la Mère. Car oui, Aemon est un homme très pieux et un prêtre de surcroit. Ce monde est trop pollué par le crime, la corruption, la méchanceté. Et depuis qu'il a intégré la Marine, il n'a eu de cesse de professer les saintes paroles de la Matrice aidées, parfois, d'un coup d'estoc bien placé. La violence n'est un outil pour que le bien demeure et aujourd'hui plus que jamais, la violence doit malheureusement succéder à la violence. Sa mission à son équipe et lui : arrêter l'utilisateur du climat tact posté au sud. D'autres démineurs plus qualifiés s'occupent déjà de la bombe Zulu-T. Le plus gros point faible du système Maskelyne étant la symétrie sine qua none des dispositions, il lui est facile de trouver sa cible, plantée là, au milieu de nulle part. Ici, juste du dégel, quelques arbres solitaires et des moustiques.
- Nous savons quelle machiavélique entreprise vous pousse à rester. Au nom de la Mère, je vous arrête pour terrorisme !
- La mère ? T'es pas un Marine ? répond avec dédain l'homme.
- Les desseins de la Mère sont impénétrables et supplantent ceux des hommes.
- Lightning Arrow ! lance le mercenaire qui éjecte un arc électrique avec son bâton.
- Bien, il semblerait que tout compromis à l'amiable soit impossible, constate-t-il après avoir paré l'attaque avec sa claymore. Mère, ne pardonnez-lui pas, parce qu'il sait ce qu'il fait !
[...]
Les combats pour la désactivation du Maskelyne battent leurs pleins d'après les échos radios qu'elle a reçu. Trois quart des bombes ont déjà été localisées et en train d'être neutralisées, deux quarts en ce qui concerne les composantes humaines du système. Il ne reste qu'une seule des bombes, la Fox-N, autrement dit, celle devant se trouver en haut en gauche du carré. Et celle-ci est sûrement la mieux lotie et la moins exposée des quatre parce que située en plein cœur de la Cordelette. Mais où exactement, telle est la question. La Toundra est sombre à cause de sa canopée qui ne laisse que sporadiquement filtrer la lumière. Ajoutez à ça le fait qu'elle est vivante et peuplée d'animaux, et vous vous retrouverez à sursauter à cause du moindre bruissement d'herbes. Enfin, pour les gens du commun en tout cas, ce que n'est pas Avada Kédavra. Son plus grand plaisir : chasser de l'humain.
Dans cette forêt gelée, il y a quelqu'un qui ne doit pas y être et elle finit par le localiser après des minutes de recherches. Ses yeux pourtant perçant n'ont pas su l'aider dans cette opération où elle s'est plus fiée à son "troisième œil", son Observation. La capacité extrasensorielle lui indique qu'à dix mètres juste à ses neuf heures se trouve une présence. Humaine. Cette partie de la forêt composée de bouleaux boréaux très rapprochés de telle sorte qu'il faut y mettre du sien pour passer en deux arbres. On aurait dit une prison végétale. C'est entre les espacements des arbres qu'Avada distingue sa cible, occupée à régler la dernière bombe. Malgré le sol craquelant et les feuilles, elle s'est approchée sans bruit, telle une ombre, telle la mort elle-même. C'est entre autre pour ça qu'on la surnomme Le Lynx. Ses yeux verticaux ne lâchent plus la cible qu'elle sait être le Transporteur. Rien qu'à sa "voix", elle se doute de la résistance qui sera la sienne. Qu'a dit la Grenouille déjà ? Ah oui, elle lui a souhaité "bonne chance".
- Si tu veux me tuer, faudra faire plus discret que ça, Bobcat, dit le Transporteur.
- Bien sûr, lui aussi a l'Observation, pense-t-elle. Ton patron t’a averti donc ? Il n'est pas fairplay.
- Y a pas de fairplay qui tienne. C'est du business. Donc tu veux me descendre.
- Pas vraiment non. Plutôt voir à quoi tu ressembles et éventuellement m'amuser un peu mais là, je suis refroidie. Tu sais que ce que tu fais ne sers à rien ? A part celle-là, toutes les autres ont été trouvées et les climat-tact-guys sont en train de se faire rectifier le rectum par les Bêtes de l'Ombre.
- Moi je suis qu'un livreur, je fais mon job, je livre. Le reste me concerne pas. Le client a le détonateur, il agira en conséquence, dit-il en se levant pour faire face à son interlocutrice. La bombe d'une couleur blanche arborant une forme de tonneau lui arrive au genou.
Alors ? Maintenant tu sais à quoi je ressemble. Déçue ?
- Par milles tonnerres... Dimas ! Non, là c'est de la triche ! Haha, si j'avais pu imaginer que tu serais le Transporteur ! Qu'est-ce qui s'est passé avec ta voix, elle est bien différente.
- Prothèse vocale. Ça a été nécessaire, après la chirurgie, après la balle que tu m'as collée !
- Wow ! C'était y a quoi, quinze ans ? Ça nous rajeunit pas n'est-ce pas ? Après, j'étais jeune, inconsciente et assez gauche. Sinon, je t'aurais pas laissé en vie.
- T'es devenue plus adroite ?
- Non, juste que j'ai appris à tuer plus proprement.
La balle s'échappe du barillet bien avant la fin de sa phrase. Le Transporteur aussi. Il devient une forme flou qui slalome entre les bouleaux et réapparait l'instant d'après derrière la tueuse dont les semi-automatiques sont déjà dirigés dans son angle mort. Éjecté par une salve en pleine poitrine, le Livreur valse sur quelques mètres avant de s'arrêter net. Les balles écrabouillées ne lui ayant causé que des égratignures tombent tristement sur le sol. « De toutes les cibles possibles, ce sont les cyborgs que je déteste le plus ! Sinon, question idiote, comment tu fais pour transporter les charges sans aide ou moyen de traction ? » interroge-t-elle l'air ennuyée. Son adversaire affiche un rictus moqueur puis se débarrasse de sa chemise. « Je vais te montrer comment et après, tu seras morte ! » Sous les yeux ébahis de la tueuse, Dimas gonfle, grandit, de plus en plus en cassant les arbres sur son chemin. Deux secondes après le début de sa métamorphose, un géant se tient devant elle.
- Alors, prête pour ta déculottée ?
- Dire ça à une dame. C'est vraiment de très mauvais goût, bonhomme !
- Votre raisonnement est dément Time !
- Attendez, monsieur, ils sont allés chercher quelques réfugiés... Ah les voilà. Merci sergent. Déclinez votre identité, monsieur.
- Pr. Allen Pharell, chef du département de physique.
- Très bien. On aimerait savoir si au cours des trois derniers mois, des travaux ont été effectués dans la bâtisse du rectorat, demande Time.
- Tout ça fait. Le plafond de l'amphithéâtre s'effritait depuis des années puis, un jour, un gros bloc s'en est détaché. Le rectorat ne pouvait plus procrastiner les travaux.
- Comment se sont passées les rénovations ?
- C'était plutôt une reconstruction en bonne et due forme. Le recteur... ce criminel... enfin, je m'égare, il a voulu un style plus contemporain alors que l'ancien était du victorien. Il a remplacé un toit plat en pente par un dôme de verre.
- Avez-vous vu la construction en cours ? Je veux dire, les ouvriers au travail ?
- Non, tout le périmètre autour fut bouclé par des bâches à cause de la démolition en premier lieu puis des bruits des travaux qui gênaient les cours. Les bâches confinaient le son. Enfin, c'est l'explication qui a été donnée.
- Ce sera tout Professeur. Merci.
- Wow, j'ai du mal à croire ça. Répète encore une fois, dit Midnight abasourdie.
- Le message brut que Reich a délivré, le voici :
Abattez vos faux dieux et idoles, détruisez ce temple de la débauche et avec ses restes, construisez l'arche qui vous sauvera du déluge. Car en vérité, je vous le dis, la dernière tempête approche. Celle qui purifiera ce monde souillé par le péché !
- Ça relate d'une période charnière de la mythologie des Gennys où ces derniers décident de purifier le monde par un déluge. Le chapitre en entier parle de la destruction du temple de Saquarrah dont les matériaux ont ensuite servi à construire une arche. Et comme je viens de le prouver indirectement, je pense qu'on doit prendre le texte au sens premier. Tout comme le temple de Saquarrah, le rectorat a été détruit puis reconstruit, sauf qu'au lieu d'un bâtiment normal, Lavoisier a fait construire un bateau à la place.
- Donc ce que nous voyons là, serait... un bateau ? Comment ?
- Le zérométal, Commandante. Le mur qui supporte le tableau est blanc, très lacté, tout comme le zérométal. Ils ont recouvert le sol d'un textile pour cacher sa blancheur mais un mur intégralement tapissé aurait été suspect. Pas plus qu'ils ne pouvaient peindre le métal sous peine de détruire ses propriétés. Et Reich est le promoteur de cet alliage, il l'aurait reconnu plus rapidement que quiconque. Pour l'instant le rectorat ne ressemble qu'à une coupole mais je suis certaine qu'en activant les propriétés du métal à mémoire de forme, ça se métamorphosera en navire. Et pour cacher l'entreprise, ils ont bâché les travaux.
- Mais comment pourrait-il fuir avec un bateau ? s'enquiert Midnight. A moins de... le Silence monsieur !
- Quoi le Silence ?
- Les plans du Silence ont été volés à Vulcastan, il y a trois mois ! Peu avant le début des travaux ici ! C'est pour ça que Lavoisier est au courant pour le bateau, les tests en mer, la date. Tout ça, c'est de la poudre aux yeux ! Il ne veut pas le Silence, il a déjà le Silence ! C'est évident !
- Les plans du Silence comportaient du zérométal, effectivement, marmonne le Sous-amiral. Il veut s'enfuir par les airs. S'il le pouvait depuis tout ce temps, qu'est-ce qu'il attend ?
- C'est pour ça que ça ne semble pas bon pour nous, il prépare quelque chose. Qu'est-ce que c'est ?
- Adjudant au rapport ! Désolé d'vous interrompre, mais les quatre étudiants rescapés d'la traboule avec Tommy Mouton ont disparu ! Le garde qui les surveillait a été retrouvé mort !
- Les enfoirés, ils veulent nous prendre à revers ! jure Bee.
- A quatre ou cinq ?
- Parfaitement, Sous-amiral, déclare un nouvel arrivant. Lieutenant-colonel Euron Bear, Commandant du Styx, second navire de la flotte des Bêtes de l'ombre, au rapport ! Permettez-moi de me joindre au briefing.
- Approche Euron, ça fait longtemps, depuis que tu as abandonné la direction de la Brigade Canine du G-6 pour te promener avec Ombeline.
- Où est-elle ?
- Prise en otage.
- Ah, d'accord. Juste la routine chez les Bêtes de l'Ombre. Je viens avec des nouvelles alarmantes et j'aurais besoin de votre concours.
- Nous même avons un problème qu'on essaie de solutionner-là...
- Est-ce qu'il a un rapport avec un possible apport extérieur dans cette crise ? demande Euron.
- Tu sais quelque chose à propos de nos quatre réfugiés manquants ?
- Mes hommes les traquent actuellement. Je vous expose brièvement la situation. Depuis six mois, toute la flotte est à la recherche du Transporteur. Ça fait dix ans qu'il officie. Le dernier tuyau de l'équipage du Styx que commande Lady était bidon mais comme elle était proche de Boréa, elle est partie en chaloupe pour vous voir Commandante Bee, pendant que son équipage sous le commandement de l'Ingénieur en chef Aemon poursuivait d'autres pistes. De mon côté, avec mon équipage, on a suivi des chemins différents qui nous ont mené à un atoll non loin d'ici. On a obtenu des infos très précieuses. Lavoisier avait planifié l'extermination millimétrée de toute la population de Jalabert grâce au Maskelyne !
- C'est quoi ça ?
- Un gaz létal. Mais le pire, c'est son mode de dispersion. J'ai fait un plan approximatif :
- En rouge au centre, c'est le Cénacle entouré du bouclier humain. L'englobant en bleu, c'est la zone quadrillée par la Marine. Le carré noir tout autour, c'est la zone où devrait opérer le Maskelyne.
- Chaque côté fait plus de quinze kilomètres ! s'étonne Midnight.
- C'est une arme de destruction massive madame.
- Et ça fonctionne vraiment ?
- Je ne tiens pas à le savoir et vous non plus, je pense. Les points blancs dans chaque angle droit du carré représentent les bombes qui diffuseront le gaz suivant un angle de quatre-vingt-dix degrés. Mais ce sont les cœurs orange qui jouent le rôle central et on a toutes les raisons de penser que ce sont vos réfugiés fugitifs. Selon notre informateur, avec la capacité du climat tact, ils peuvent générer des vents qui vont comme encager le gaz. Apparemment, ça a été inspiré du Courant Tarai.
- C'est ça que ce fumier projetait ! rage Jared. Pendant qu'il nous faisait attendre avec sa mise en scène, des gens nous auraient gazé par derrière. Lui se serait enfuit avec son bateau !
- Quelque chose a retardé la livraison qui aurait dû être faite il y a deux jours, mais je n'en sais pas plus. Après, ça c'est une carte à main levée du système. Il faut trouver d'abord les utilisateurs du climat tact, puis désamorcer les bombes. Comme dit, mon équipe fouille les zones possibles, sans résultat pour l'instant. On n'est même pas sûr que le Transporteur qui doit livrer les gaz soit déjà arrivé mais c'est une course contre la montre !
- C'est le plus grand euphémisme de la semaine, Euron. Courir contre le temps, c'est ce qu'on fait depuis le début de cette maudite journée ! Bon, je me joins aux recherches, Time, Illusion, Carotte, suivez-nous. Midnight, restez-là.
- Je vais très bien, je peux me battre, en plus avec mon pouvoir...
- Je déconseille, prescrit Illusion.
- C'est un ordre. Vous pouvez à peine marcher droit et vous voyez que d'un œil ! Puis au cas où Lavoisier appellerait l'un d'entre nous, vous assumez. C'est pas pour nous montrer la torture psychologique infligée à Reich qu'il a maintenu la visio, mais bien pour nous espionner. Par chance, ça va lui desservir. Il doit déjà trouver suspect qu'on ait disparu depuis un moment, il ne faut pas lui donner plus de raison de soupçonner qu'on sait. Allez ! Go go go !
Regrettant et plus que jamais furieuse d'avoir donné l'opportunité à cette petite frappe de Julian Jacem Jahel Jawad Junior de l'avoir handicapée, Bee s'interroge. Vu que les "rescapés" sont des mercenaires, surement Tommy Mouton l'est-il. Ce qui implique qu'il ne serait pas mort dans les catacombes avec le reste de l'escouade. Alors, si le rôle des quatre est de maintenir le gaz en cage, quel peut bien être le sien ? Lavoisier leur réserve-t-il une dernière petite surprise insoupçonnée ? Sans réponse, elle retourne à la visio. Le roi lui parait bizarre, il ne détourne pas les yeux de la mise en scène et Midnight se dit que c'est bien la première fois qu'elle le voit aussi taciturne et peu bavard. Durant la crise du génocide de Marie-Curie, il était demeuré "chaud bouillant", toujours agité, toujours bavard. Mais une crise comme celle-ci a tôt fait de vous changer un homme !
[...]
Revenant sur ses pas, Avada s'éloigne du réfectoire. Dans l'impossibilité de désamorcer quatre bombes et d'éliminer quatre mercenaires répartis sur plus de deux cents kilomètres carrés, elle s'était résolue à en parler et à solliciter l'aide du commandement. Mais les Bêtes de l'Ombre l'avaient précédée et c'est tant mieux, se dit-elle. S'il y a des Élites efficaces, c'est bien eux et Jalabert ne saurait être en de meilleures mains, en plus, Jared lui-même s'est joint aux recherches. Avada peut alors délaisser les petits mercenaires pour se consacrer sur le gros morceau. Le Transporteur. S'il n'est pas encore arrivé, autant l'empêcher de poser ses bombes. Le cas échéant, le forcer à livrer leurs positions et les voies de désamorçage. Mais plus que tout et la tueuse n'a aucun mal à le reconnaitre, c'est son envie de combattre qui prend le dessus. Comme elle, le Transporteur est une légende du crime des Blues et elle brûle d'envie de le rencontrer. A l'abri dans l'ombre d'un immeuble, elle déroule une carte de Boréa et y place des pions pour reconstituer l'échiquier actuel.
Toute la zone en rouge, c'est le théâtre des opérations, Marines et Autres compris. C'est aussi l'aire qui risque d'être gazée avec le Maskelyne. Tout le royaume subit un important blocus de la 444e couplée à la flotte de Jared. Surtout au sud, où les cuirassés et les patrouilleurs du Lieutenant-colonel Nerboc empêchent justement une intervention extérieure ou une fuite par la mer. Ils ont sécurisé la baie des Gloutons et l'allée aux Phoques où se jette la Pleureuse. Au sud-est, on trouve les multiples deltas du fleuve Rhomus mais la zone est une tourbière bien que bouclée aussi par la flottille du croiseur Barracuda. L'étau des Marines est parfait à l’exception de la zone nord de Jalabert formée par la Mort Blanche. Si les Marines ne sont pas donné la peine de la sécuriser c'est pour la simple raison qu'elle est impossible à emprunter à cause des champs de glaciers dérivants. Le dispositif a été posé pour un ou plusieurs engins de surface, mais comme Avada l'a appris après son séjour à Carcinomia, c'est un monde ou la discrétion est maitresse et elle sévit jusque dans les moyens déplacements de ces contrebandiers.
- Le Transporteur se déplace en sous-marin, y a pas de doute. Mais le blocus pourrait mettre en échec même un sous-marin parce qu'à un moment, faut bien remonter pour accoster, monologue-t-elle.
Et toute la côte est méga ceinturée. Sauf, au nord, encore. C'est une zone verte classique. Avec un bon submersible, le Transporteur peut naviguer sous les icebergs, trouver une crique et paisiblement jeter l'ancre. Oui, si j'étais lui, c'est ce que je ferai : discrétion maximum, c'est à moins d'un kilomètre de la Cordelette et de Gefroid. Va pour ça.
Elle n'a pas de toute, sa cible se trouve au nord. Elle y fuse et en chemin, son escargophone branché sur la fréquence secrète du commandement se met à brailler. « Géronimo-Zulu-T- ! » dit la voix grave d'un homme. Géronimo pour la bombe trouvée, Zulu pour le sud, T pour "trois heures, donc l'est". Une des Bêtes de l'Ombre a trouvé la bombe du sud-est ! Ce qui signifie pour Avada que la situation est plus pressée que jamais.
[...]
L'Ingénieur-en-chef Aemon Roose patauge sur le littoral dégelé de la Pleureuse depuis un moment, son avancée rendue plus compliquée par Pénitence, l'espèce de colossal claymore-marteau dans son dos. C'est lui qui a percé le secret du système Maskelyne, une invention diabolique pour enlever encore plus de vie à la Mère. Car oui, Aemon est un homme très pieux et un prêtre de surcroit. Ce monde est trop pollué par le crime, la corruption, la méchanceté. Et depuis qu'il a intégré la Marine, il n'a eu de cesse de professer les saintes paroles de la Matrice aidées, parfois, d'un coup d'estoc bien placé. La violence n'est un outil pour que le bien demeure et aujourd'hui plus que jamais, la violence doit malheureusement succéder à la violence. Sa mission à son équipe et lui : arrêter l'utilisateur du climat tact posté au sud. D'autres démineurs plus qualifiés s'occupent déjà de la bombe Zulu-T. Le plus gros point faible du système Maskelyne étant la symétrie sine qua none des dispositions, il lui est facile de trouver sa cible, plantée là, au milieu de nulle part. Ici, juste du dégel, quelques arbres solitaires et des moustiques.
- Nous savons quelle machiavélique entreprise vous pousse à rester. Au nom de la Mère, je vous arrête pour terrorisme !
- La mère ? T'es pas un Marine ? répond avec dédain l'homme.
- Les desseins de la Mère sont impénétrables et supplantent ceux des hommes.
- Lightning Arrow ! lance le mercenaire qui éjecte un arc électrique avec son bâton.
- Bien, il semblerait que tout compromis à l'amiable soit impossible, constate-t-il après avoir paré l'attaque avec sa claymore. Mère, ne pardonnez-lui pas, parce qu'il sait ce qu'il fait !
[...]
Les combats pour la désactivation du Maskelyne battent leurs pleins d'après les échos radios qu'elle a reçu. Trois quart des bombes ont déjà été localisées et en train d'être neutralisées, deux quarts en ce qui concerne les composantes humaines du système. Il ne reste qu'une seule des bombes, la Fox-N, autrement dit, celle devant se trouver en haut en gauche du carré. Et celle-ci est sûrement la mieux lotie et la moins exposée des quatre parce que située en plein cœur de la Cordelette. Mais où exactement, telle est la question. La Toundra est sombre à cause de sa canopée qui ne laisse que sporadiquement filtrer la lumière. Ajoutez à ça le fait qu'elle est vivante et peuplée d'animaux, et vous vous retrouverez à sursauter à cause du moindre bruissement d'herbes. Enfin, pour les gens du commun en tout cas, ce que n'est pas Avada Kédavra. Son plus grand plaisir : chasser de l'humain.
Dans cette forêt gelée, il y a quelqu'un qui ne doit pas y être et elle finit par le localiser après des minutes de recherches. Ses yeux pourtant perçant n'ont pas su l'aider dans cette opération où elle s'est plus fiée à son "troisième œil", son Observation. La capacité extrasensorielle lui indique qu'à dix mètres juste à ses neuf heures se trouve une présence. Humaine. Cette partie de la forêt composée de bouleaux boréaux très rapprochés de telle sorte qu'il faut y mettre du sien pour passer en deux arbres. On aurait dit une prison végétale. C'est entre les espacements des arbres qu'Avada distingue sa cible, occupée à régler la dernière bombe. Malgré le sol craquelant et les feuilles, elle s'est approchée sans bruit, telle une ombre, telle la mort elle-même. C'est entre autre pour ça qu'on la surnomme Le Lynx. Ses yeux verticaux ne lâchent plus la cible qu'elle sait être le Transporteur. Rien qu'à sa "voix", elle se doute de la résistance qui sera la sienne. Qu'a dit la Grenouille déjà ? Ah oui, elle lui a souhaité "bonne chance".
- Si tu veux me tuer, faudra faire plus discret que ça, Bobcat, dit le Transporteur.
- Bien sûr, lui aussi a l'Observation, pense-t-elle. Ton patron t’a averti donc ? Il n'est pas fairplay.
- Y a pas de fairplay qui tienne. C'est du business. Donc tu veux me descendre.
- Pas vraiment non. Plutôt voir à quoi tu ressembles et éventuellement m'amuser un peu mais là, je suis refroidie. Tu sais que ce que tu fais ne sers à rien ? A part celle-là, toutes les autres ont été trouvées et les climat-tact-guys sont en train de se faire rectifier le rectum par les Bêtes de l'Ombre.
- Moi je suis qu'un livreur, je fais mon job, je livre. Le reste me concerne pas. Le client a le détonateur, il agira en conséquence, dit-il en se levant pour faire face à son interlocutrice. La bombe d'une couleur blanche arborant une forme de tonneau lui arrive au genou.
Alors ? Maintenant tu sais à quoi je ressemble. Déçue ?
- Par milles tonnerres... Dimas ! Non, là c'est de la triche ! Haha, si j'avais pu imaginer que tu serais le Transporteur ! Qu'est-ce qui s'est passé avec ta voix, elle est bien différente.
- Prothèse vocale. Ça a été nécessaire, après la chirurgie, après la balle que tu m'as collée !
- Wow ! C'était y a quoi, quinze ans ? Ça nous rajeunit pas n'est-ce pas ? Après, j'étais jeune, inconsciente et assez gauche. Sinon, je t'aurais pas laissé en vie.
- T'es devenue plus adroite ?
- Non, juste que j'ai appris à tuer plus proprement.
La balle s'échappe du barillet bien avant la fin de sa phrase. Le Transporteur aussi. Il devient une forme flou qui slalome entre les bouleaux et réapparait l'instant d'après derrière la tueuse dont les semi-automatiques sont déjà dirigés dans son angle mort. Éjecté par une salve en pleine poitrine, le Livreur valse sur quelques mètres avant de s'arrêter net. Les balles écrabouillées ne lui ayant causé que des égratignures tombent tristement sur le sol. « De toutes les cibles possibles, ce sont les cyborgs que je déteste le plus ! Sinon, question idiote, comment tu fais pour transporter les charges sans aide ou moyen de traction ? » interroge-t-elle l'air ennuyée. Son adversaire affiche un rictus moqueur puis se débarrasse de sa chemise. « Je vais te montrer comment et après, tu seras morte ! » Sous les yeux ébahis de la tueuse, Dimas gonfle, grandit, de plus en plus en cassant les arbres sur son chemin. Deux secondes après le début de sa métamorphose, un géant se tient devant elle.
- Alors, prête pour ta déculottée ?
- Dire ça à une dame. C'est vraiment de très mauvais goût, bonhomme !
Pendant ce temps, dans l'amphithéâtre...
- LE PROCHAIN MATCH EST CELUI DE TOUTES LES VÉRITÉS MESDAMES ET MESSIEURS ! Souvenez de cet instant, quelques minutes plus tôt. Qu'a dit Loth déjà avant de choisir sa sœur adoptive au dépend de la vieille Léonella ? "Tout comme les Gennys qui ne pouvaient accepter le sacrifice d'une jeune pousse pour sauver l'arbre millénaire, je ne me peux résoudre dans cette horreur, à saborder une vie naissante contre la vôtre, sœur Léonella" !
De belles et profondes paroles mais en fait, juste de l'hypocrisie. Là, c'est Trapis Contre Rémie ! Une jeune fille dans la fleur de l'âge et qui t'adule soit dit en passant contre ton père adoptif, l'homme qui a été le véritable précurseur de ce que tu es maintenant ! Trapis est vieux, si faible qu'une piqure moustique l’achèverait ! Mais il pèse dans ton cœur, plus que cette fille que tu connus fillette et esclave comme toi ! Elle n'est rien pour toi ; lui, tout. Allez montre-nous quel hypocrite tu es, montre leur que tu ne les choisis que selon le poids des sentiments qu'ils t'inspirent ! discourt Lavoisier en se paradant.
- Je te l'ai déjà dit Lavoisier, déclare Loth paisiblement.
Tu prends ton pied certes, tu as même réussi à déclencher en moi des sentiments qui ont fait naitre des larmes que je pensais taries depuis une décennie, mais non, tu ne m'entendras jamais te supplier d'arrêter. Tu ne me briseras pas. Pas plus que tu ne me forceras à renier mes convictions. Tu as failli réussir, juste le temps d'une seconde avant qu'Ombeline ne me ramène à la réalité à sa façon. Tu as failli, mais ça c'était avant.
En jetant un œil à la Commandante, Loth constate que toute son attention est fixée sur ses pieds. Elle les scrute comme s'ils sont devenus plus intéressants tout à coup. Puis elle lance : « Lavoisier, sale croquemitaine, je vais te buter ! » ce qui déclenche sur elle une ruée de coups de la part du mercenaire qui la garde. Les mots ont de l'importance, les actes également et Loth les ressasse rapidement pour comprendre l’Épée du Matin. Contrairement aux dernières invectives lancées contre Oort, elle n'y a pas mis de rage. C'était juste une simple phrase, froidement mortelle et résolue. Loth la connait depuis huit ans et assez pour savoir qu'il vaut mieux la voir gueuler que de menacer à voix basse. La plupart du temps, un immonde massacre s'ensuit, raison pour laquelle elle et l'équipage des Bêtes de l'Ombre en particulier sont particulièrement décriés. Efficaces mais très mal vus. A l'image d'Edwin Morneplume. Ombeline va agir, Loth le sait et questionne sur les raisons de cette soudaine prise d'aplomb. Aussi, il l'imite et regarde aussi ses pieds ferrés... Et comprend. C'était sous ses yeux...
- Alors ? Que veux-tu dire ? dit Lavoisier en ignorant l'intervention d'Ombeline.
- Que je choisis Rémie au détriment de Trapis. C'est l'évidence même ! répond Loth sans émotion.
Il a eu une vie pleine et selon ses vœux, puis si t'y connaissais vraiment quelque chose tu verrais que ses yeux ne sont pas ceux d'une personne qui a peur de mourir. Regarde le Lavoisier. Avant que tu ne l'achèves, je te demande juste de me laisser l'embrasser et le serrer dans mes bras une dernière fois.
- Hahaha et ça c'est quoi si ce n'est pas une supplication ? TU MANDES MA GENTILLESSE COMME LE CHIEN GALEUX QUE TU ES ! Tu veux sentir sur toi la carcasse chétive de cette chose que tu appelles père ! Je pourrais loger une balle dans son corps et ne même pas te permettre de toucher son cadavre !
- Tu pourrais. Mais je me demande ce qui te causerait le plus de satisfaction. Me voir enlacer et dire adieu à mon père ou me torturer en opposant un refus ?
En voyant Odin s'approcher et prendre Lavoisier en aparté, tous savent que l'heure de vérité a sonné. Ombeline lui adresse un clin d’œil imperceptible puis réitère le message subliminal à sa sœur sur l'écran. Elle aussi comprend que l'heure est à l'action. Les Autres savent que le plan gazage ne marchera pas à cause de la désactivation du système Maskelyne. Autrement dit, plus rien ne les retient ici, et surtout pas la vie des otages en bouclier, ou ceux-ci présent. C'est l'heure véridique où ils doivent se battre pour leur vie alors Loth parle à son père qui le regarde tout aussi paisible que lui, presque souriant ; ce qui contraste avec Rémie terrifiée, tremblotante à ses côtés. « Prie avec moi Trapis. L'ordre et le chaos, le jour et la nuit, la vie et la mort. Le monde s'est scindé en deux et c'est alors qu'apparurent les Gennys... » récitent le Moine et son père. Autour d'eux, les mercenaires se regroupent dans l'amphi', en prévision d'un départ précipité. Une nouvelle forme de tension électrifie l'air. Lavoisier et Odin sont toujours en discussion, totalement absorbés par le point qu'ils font de la situation. Loth ne quitte pas des yeux le boomboom'scargo posé à côté du projecteur qu'un mercenaire vient éteindre. Ombeline n'attend que lui pour agir. « [...] Mais la rancœur de ceux qui avaient quitté le droit chemin a grandi dans les abysses de Damarys où les Justes les avait bannis ! »
D'une simple rotation des chevilles, il se débarrasse de ses fers lesquels, contrairement aux menottes ne sont pas en granit marin mais juste déguisés ainsi. C'est ce qu’Ombeline regardait fixement. La différence entre des pieds libres ou enchainés ? La liberté. En concentrant quantité d'énergie dans ses jambes, il s'éjecte de sa chaise tel un boulet de canon. « [...] Les enfants du mal ont empoisonné tout ce qu'ils ont touché et apporté la solitude, et la mort ! » Serena s'est jointe à Trapis dans la prière et leurs voix couvrent la stupéfaction des uns et des autres. En l'espace d'un clignement d'yeux, Loth survole la table, son pied droit fusille et étête le mercenaire le plus prêt. Il s'effondre sans tête lâchant un geyser de sang qui éclabousse le moine plus que jamais hérétique. Les Autres dans la salle commencent à bouger mais un cisaillement d'air entaille leur premier rang près de l'estrade. Odin sauve Lavoisier en le poussant hors de la trajectoire du Rankyaku qu'il encaisse. Il disparait sous un empilement de chaises. Décuplant ses cheveux, Loth s'empare de l'escargo déclencheur qu'il broie sous ses mèches. Dehors, une douce ode à leur rébellion résonne, les Élites exfiltrent surement les boucliers pendant que d'autres attaquent les positions fortes des Autres. Trapis et sa fille prient encore plus fort. « [...] Leurs victimes ne connaissaient pas le repos jusqu'à ce que les Gennys leur murmurent doucement... DORMEZ CAR LA FIN EST PROCHE ! »
Avec le déplacement instantané Soru, Ombeline les mains dans le dos, toujours ferrée de granit, se téléporte entre les chaises de l'amphi et tranche d'un coup de Rankyaku les ennemis sur son chemin. Ils sont à présent plus d'une quarantaine à se replier dans la salle. Les bombes tonnent à l'extérieur, les échanges de feu sont nourris et en approche. Personne n'ouvre de feu dans l'amphi par contre, de peur d'endommager le fragile revêtement au zérométal. Et c'est tout à l'avantage de la Commandante d’Élite qui ne se pose aucune question. De son côté, Loth a déjà délivré les siens de leurs simples menottes et ils s'empressent d'aller détacher les étudiants. Des Autres ayant échappé à Ombeline montent sur l'estrade mais temps ne leur est pas laissé de nuire. De ses longues jambes pleine de hargne, Serena en cueille deux si violemment qu'ils s’aplatissent au plafond avec un bruit écœurant de cassure. « Loth ! Comment on sort ? » Par la porte normalement mais il découvre qu'Ombeline est surchargée de toujours plus d'ennemis au fur et à mesure que les combats dehors gagnent en intensité et se rapprochent. Dans la marée qui noie L'épée du Matin, quelqu'un hurle au "décollage". Le sol vibre, les gens chancellent. Loth essaie de repérer Oort mais plus aucune trace de lui. Ils seront piégés ici s'il ne fait rien alors il choisit la mode Ombeline. Trancher dans le vif.
Le Moine se retourne pour faire face à la paroi blanche qui le titilla. Son pied se déplace vivement et génère une grande lame d'air qui la taillade comme du beurre. Un autre coup et un pan important du revêtement se détache. Le vent s'y engouffre violemment. Ça tremble de plus en plus, ce qui signifie que le navire prend forme grâce à l'alliage à mémoire de forme. L’amphithéâtre ne doit être qu'un des compartiments. Dire que c'est sa propre invention qui lui a tant coûté ! Le destin a un drôle de sens de l'humour. Il encourage les siens et otages à passer dans l’entrebâillement ouverte. Krystalynn est la première suivie de Trapis puis des otages. Il laisse le soin à Serena de les superviser ; les mercenaires viennent y mettre leurs grains alors il décuple davantage sa masse capillaire et se précipite sur le groupe qui envahit l'estrade. Il esquive un estoc, pare une attaque de fléau, mitraille de coups de pied, se protège de flèches grâce à un cocon capillaire puis... « Primate, Danse de Borée ! » Tournant sur lui-même telle une toupie, il brasse de l'air et déclenche un cyclone tailladant localisé qui balaie et renvoie les poursuivants vers la fosse, s'il ne les a pas cisaillés. A son tour, Loth emprunte l'ouverture et se retrouve sur le pont du navire.
La vue est dégagée sur le réfectoire et la nuée de Marines en approche rapide. La version "Lavoisier" du Silence est de bonne taille ; il commence son décollage. Les otages les plus téméraires passent au-dessus du bastingage tandis que les plus timides doivent être aidés. A elle seule, Serena tente de contenir les Autres sur le pont. Loth fuse l'aider, un ennemi apparait dans l'angle mort de la Longue-Jambe mais quelqu'un d'autre le prend de vitesse et écrase une barre de fer sur la tête du mercenaire. Ryosuké Vagner. « Passez par-dessus, sautez ! Même si vous devez vous casser une jambe ! » hurle-t-il à ses compagnons d'infortune. La minute suivante, ils se jettent tous dans le minime vide qui les sépare du sol. Il les suit, encourageant Serena à faire de même mais celle-ci n'a d'yeux que pour son frère qui s'en retourne à l'intérieur. « Qu'est-ce-que tu fais ? Viens on dégage ! » lui crie-t-elle en le prenant par le bras. « Hors de question, Ombeline est là-bas. C'est grâce à elle si nous en sommes-là, je ne partirai pas sans elle. Toi tu t'en vas ! Ne discute pas ! Allez file ! On se reverra dans un moment ! » Aidé d'un croche-pied, il la précipite par tribord. Ils sont déjà à plus de dix mètres du sol et le ballon oblong qui surplombe le grand mat peine à se gonfler. En bas, les Marines sont maitres du Cénacle où un gros trou vide indique l'espace auparavant occupé par la construction en zérométal. Les Mouettes tirent sur la coque puis une explosion plaque Loth au sol. Les balles ont touché le ballon. Ils vont s'écraser.
- Vous glandez quoi ? Mettez-vos masques et lancez-le coup d'Burst ! tonne la voix d'Odin.
Immédiatement après, Loth subit la plus violente accélération de sa vie. La vitesse passe de zéro à plus de deux cents en moins d'une seconde ce qui le placarde davantage contre le parquet. Il subit la gravité négative qui expulse l'air de ses poumons et l'asphyxie. Le paysage défile à une vitesse incroyable qu'il ne peut ni constater, ni admirer. Son cerveau privé d'oxygène s'éteint dans une brume glaciale et sa dernière pensée est pour la prière qu'ils n'ont pas fini de réciter. « Quand viendra le dernier combat, tous les fidèles salueront la victoire des Gennys sur leurs rivaux ! » Ça ne s'est pas ainsi passé mais avec l'infime brin de lucidité qui précède la syncope, Loth sourit malgré lui. Lavoisier l'a gagnée cette manche.
[...]
- NOON !
Le cri que lâche Midnight Bee est aveux d'impuissance. En moins de temps qu'il ne faut pour inspirer, le blanc navire flottant hyper-accélère grâce à une colossale éjection d'air surchauffé par sa figure de poupe. La seconde d'après, ce n'est guère plus qu'un point à l'horizon. Lavoisier et le gros des Autres leur ont échappé. Frénétiquement, elle étend son Observation dans les alentours à la recherche de la voix de sa sœur, en vain. Ombeline et Loth manquent à l'appel, coincés sur ce navire, à la merci de leurs ennemis. Elle a l'impression qu'une coulée d'acide se répand dans ses entrailles. Mais les mauvaises nouvelles ne s'arrêtent pas là.
- Madame, le roi !
- Quoi le roi ?!
- Enlevé ! Tous les techniciens dans le réfectoire sont morts et à notre arrivée, nous avons vu un... un homme chauve-souris s'envoler rapidement avec le roi dans ses serres ! On a tiré mais... il est parti !
- C'était Tommy Mouton, précise Time qui arrive à son tour, haletant. Nous avons eu les quatre autres et les bombes. Il était le seul manquant. C'était un back-up chargé de kidnapper le roi si le gazage venait à échouer. Et c'est un maudit. Ce Lavoisier nous aura eus jusqu'au bout. Le sous-amiral ne va pas en mener large...
Midnight échoue à genou, la rage au ventre. Jamais dans sa carrière, elle n'a autant été au pied du mur. Boréa est débarrassé des Lunes et d'Ashura mais à quel prix ? Un massacre couronné par la capture du roi. Que va-t-il advenir du royaume ? Sous le Gouvernorat du Gouvernement ou les Nordin vont-ils s'entre-déchirer pour la succession ? Mais le plus important, où est ce navire ? Il n'a pas pu aller très loin ! se dit-elle en reprenant du poil de la bête, refusant de céder au désespoir. « Dites, au Lt-Colonel Nerbosc d'accentuer l'étau autour du littoral nord, vers la Mort Blanche ! Le bateau de Lavoisier devrait s'y trouver, ne serait-ce que pour attendre Tommy et le roi ! Allez bougez-vous ! » Mais nul ne bouge et pour cause, une carriole argentée tractée par les massifs sang-purs d'Abraxans aussi gros que des éléphants s'immobilise. La porte s'ouvre et Bee est bouche bée et comprend d'un coup les paroles échangées entre Loth et le souverain. "Avez-vous la Gomme ?" lui demanda-t-il quand Maximilian émit le souhait de se rendre sur le champ.
C'est donc ça, la Gomme...
[...]
Le combat entre les vieux ennemis a tourné très court quand les Bêtes de l'Ombre commandées par le Lt Ricard West jaillirent sur eux. N'ayant aucune envie que soit compromise sa couverture Marine, Avada renonça au combat et disparut dans la végétation. Idem pour le géant qui rapetissa et s'évanouit dans les bosquets. Il a le pouvoir du fruit de la taille se dit Avada, c'est ça son secret.
L'avoir perdu de vue ne signifie pas perdre sa piste, surtout quand elle sait avoir deviné son lieu d'ancrage. Alors elle se met en route plein nord vers la baie de la Mort Blanche. Chemin faisant, elle entend une déflagration aiguë puis assiste médusée à un bateau volant qui fuse dans le ciel telle une étoile filante avant de disparaitre à l'horizon. C'était le navire-rectorat. L'absence de détonation en série indique que le bouclier humain a été neutralisé d'une manière ou d'une autre. Mais ce qui importe Bobcat c'est... Elle retire de sa poche la boite plate que lui remit Loth, qu'il reçut lui-même de Maximilian. Elle ne contient qu'une feuille de papier, plus grande qu'une main. Mais elle bouge, comme aimantée vers le nord. Parce que celui dont elle représente la vitalité se trouve dans cette direction. Loth est à bord du bateau.
- Tu nous quittes déjà ? demande-t-elle en dominant le Transporteur en contrebas, occupé à arracher son ancre d'un glacier.
- Oh non ! Toi t'es pire qu'une sangsue. Tu veux encore te battre ? On oublie le passé, et j'ai plus de raison de t'en vouloir.
- M'en fous du passé, je veux que ton embaucheur et toi nettoyiez votre merde ! Loth est prisonnier de Lavoisier.
- C'est ton problème ça, ma vieille. C'est ton client. Et depuis quand t'es garde du corps ?
- Depuis que je suis intéressée et curieuse de savoir jusqu'où va aller ce garçon. Le fait est que nous sommes partenaires.
- Loth est partenaire de la Grenouille. Et moi, je suis un livreur de ce dernier. Pas son sbire. Donc c'est votre problème.
- Tu attends une minute, je l'appelle.
- Oh non...
PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
- Alors t'as tué le Transporteur ? interroge la Grenouille.
- Comme si elle pouvait.
- Content de te savoir en vie, Dimas. Alors, elle veut quoi la Miss ?
- Que vous arrêtiez vos conneries et m'aidiez à sortir Loth de ce merdier. Je te l'ai déjà dit Grenouille, pas de Loth, pas de promesse. Là, tes bombes sont hors service et ton client dans la nature. J'espère qu'il t'a payé un gros pourcentage avant la livraison.
- Non il n'a pas payé la livraison. C'est ennuyeux. T'as tout livré, Dimas ?
- Évidemment mais les Marines sont tombés sur le dispositif et sur les gars au Climat-tact.
- Bon... Il n'acceptera jamais de payer comme il était convenu. Et ça m'ennuierait encore plus que Reich se fasse zigouiller sans tenir sa promesse. C'est quoi sa situation ?
- Aucune idée, juste prisonnier de son ennemi, c'est ce que je sais. Parce que j'ai son vivre-card, donc de quoi le localiser. Peu importe où ils vont, il y aura tout un paquet de mercenaires, je réclame un coup de main. Il est temps d'arrêter de se marcher sur les pieds.
- Je sais que tu détestes ça mais tu peux lui prêter main forte, Dimas ? Je paierais les surcoûts, Loth est le seul à même d'apaiser les démangeaisons de la cicatrice que m'a causé mon frère. Veille à ce qu'il s'en sorte et me ramène Leonid.
- Bien, comme tu voudras. On ne sera que deux contre une armée professionnelle ?
- Shadow Law compte 1500 hommes, Dimas. Je vais tous les rameuter.
- C'est quoi ça, là-bas ?
- Oh ! Quelque chose me dit qu'on aura plus d'aide qu'on ne le pense !
Une flotte décalque ses multiples silhouettes sur les glaciers. Les quatre bambous formant un carré qui blasonnent leurs voiles ne laissent une ambiguïté. Mais ils arrivent trop tard pour sauver leur patron se dit Avada. Elle presse le Transporteur de remettre les gaz et d'aller à la rencontre de la flotte avant que la Marine ne dénote sa présence. C'est une occasion inespérée de rallier l'une des plus puissantes triades d'East Blue à la guerre contre Lavoisier et les Autres, où qu'ils soient.
Il faut sauver le soldat Loth Reich.
- LE PROCHAIN MATCH EST CELUI DE TOUTES LES VÉRITÉS MESDAMES ET MESSIEURS ! Souvenez de cet instant, quelques minutes plus tôt. Qu'a dit Loth déjà avant de choisir sa sœur adoptive au dépend de la vieille Léonella ? "Tout comme les Gennys qui ne pouvaient accepter le sacrifice d'une jeune pousse pour sauver l'arbre millénaire, je ne me peux résoudre dans cette horreur, à saborder une vie naissante contre la vôtre, sœur Léonella" !
De belles et profondes paroles mais en fait, juste de l'hypocrisie. Là, c'est Trapis Contre Rémie ! Une jeune fille dans la fleur de l'âge et qui t'adule soit dit en passant contre ton père adoptif, l'homme qui a été le véritable précurseur de ce que tu es maintenant ! Trapis est vieux, si faible qu'une piqure moustique l’achèverait ! Mais il pèse dans ton cœur, plus que cette fille que tu connus fillette et esclave comme toi ! Elle n'est rien pour toi ; lui, tout. Allez montre-nous quel hypocrite tu es, montre leur que tu ne les choisis que selon le poids des sentiments qu'ils t'inspirent ! discourt Lavoisier en se paradant.
- Je te l'ai déjà dit Lavoisier, déclare Loth paisiblement.
Tu prends ton pied certes, tu as même réussi à déclencher en moi des sentiments qui ont fait naitre des larmes que je pensais taries depuis une décennie, mais non, tu ne m'entendras jamais te supplier d'arrêter. Tu ne me briseras pas. Pas plus que tu ne me forceras à renier mes convictions. Tu as failli réussir, juste le temps d'une seconde avant qu'Ombeline ne me ramène à la réalité à sa façon. Tu as failli, mais ça c'était avant.
En jetant un œil à la Commandante, Loth constate que toute son attention est fixée sur ses pieds. Elle les scrute comme s'ils sont devenus plus intéressants tout à coup. Puis elle lance : « Lavoisier, sale croquemitaine, je vais te buter ! » ce qui déclenche sur elle une ruée de coups de la part du mercenaire qui la garde. Les mots ont de l'importance, les actes également et Loth les ressasse rapidement pour comprendre l’Épée du Matin. Contrairement aux dernières invectives lancées contre Oort, elle n'y a pas mis de rage. C'était juste une simple phrase, froidement mortelle et résolue. Loth la connait depuis huit ans et assez pour savoir qu'il vaut mieux la voir gueuler que de menacer à voix basse. La plupart du temps, un immonde massacre s'ensuit, raison pour laquelle elle et l'équipage des Bêtes de l'Ombre en particulier sont particulièrement décriés. Efficaces mais très mal vus. A l'image d'Edwin Morneplume. Ombeline va agir, Loth le sait et questionne sur les raisons de cette soudaine prise d'aplomb. Aussi, il l'imite et regarde aussi ses pieds ferrés... Et comprend. C'était sous ses yeux...
- Alors ? Que veux-tu dire ? dit Lavoisier en ignorant l'intervention d'Ombeline.
- Que je choisis Rémie au détriment de Trapis. C'est l'évidence même ! répond Loth sans émotion.
Il a eu une vie pleine et selon ses vœux, puis si t'y connaissais vraiment quelque chose tu verrais que ses yeux ne sont pas ceux d'une personne qui a peur de mourir. Regarde le Lavoisier. Avant que tu ne l'achèves, je te demande juste de me laisser l'embrasser et le serrer dans mes bras une dernière fois.
- Hahaha et ça c'est quoi si ce n'est pas une supplication ? TU MANDES MA GENTILLESSE COMME LE CHIEN GALEUX QUE TU ES ! Tu veux sentir sur toi la carcasse chétive de cette chose que tu appelles père ! Je pourrais loger une balle dans son corps et ne même pas te permettre de toucher son cadavre !
- Tu pourrais. Mais je me demande ce qui te causerait le plus de satisfaction. Me voir enlacer et dire adieu à mon père ou me torturer en opposant un refus ?
En voyant Odin s'approcher et prendre Lavoisier en aparté, tous savent que l'heure de vérité a sonné. Ombeline lui adresse un clin d’œil imperceptible puis réitère le message subliminal à sa sœur sur l'écran. Elle aussi comprend que l'heure est à l'action. Les Autres savent que le plan gazage ne marchera pas à cause de la désactivation du système Maskelyne. Autrement dit, plus rien ne les retient ici, et surtout pas la vie des otages en bouclier, ou ceux-ci présent. C'est l'heure véridique où ils doivent se battre pour leur vie alors Loth parle à son père qui le regarde tout aussi paisible que lui, presque souriant ; ce qui contraste avec Rémie terrifiée, tremblotante à ses côtés. « Prie avec moi Trapis. L'ordre et le chaos, le jour et la nuit, la vie et la mort. Le monde s'est scindé en deux et c'est alors qu'apparurent les Gennys... » récitent le Moine et son père. Autour d'eux, les mercenaires se regroupent dans l'amphi', en prévision d'un départ précipité. Une nouvelle forme de tension électrifie l'air. Lavoisier et Odin sont toujours en discussion, totalement absorbés par le point qu'ils font de la situation. Loth ne quitte pas des yeux le boomboom'scargo posé à côté du projecteur qu'un mercenaire vient éteindre. Ombeline n'attend que lui pour agir. « [...] Mais la rancœur de ceux qui avaient quitté le droit chemin a grandi dans les abysses de Damarys où les Justes les avait bannis ! »
D'une simple rotation des chevilles, il se débarrasse de ses fers lesquels, contrairement aux menottes ne sont pas en granit marin mais juste déguisés ainsi. C'est ce qu’Ombeline regardait fixement. La différence entre des pieds libres ou enchainés ? La liberté. En concentrant quantité d'énergie dans ses jambes, il s'éjecte de sa chaise tel un boulet de canon. « [...] Les enfants du mal ont empoisonné tout ce qu'ils ont touché et apporté la solitude, et la mort ! » Serena s'est jointe à Trapis dans la prière et leurs voix couvrent la stupéfaction des uns et des autres. En l'espace d'un clignement d'yeux, Loth survole la table, son pied droit fusille et étête le mercenaire le plus prêt. Il s'effondre sans tête lâchant un geyser de sang qui éclabousse le moine plus que jamais hérétique. Les Autres dans la salle commencent à bouger mais un cisaillement d'air entaille leur premier rang près de l'estrade. Odin sauve Lavoisier en le poussant hors de la trajectoire du Rankyaku qu'il encaisse. Il disparait sous un empilement de chaises. Décuplant ses cheveux, Loth s'empare de l'escargo déclencheur qu'il broie sous ses mèches. Dehors, une douce ode à leur rébellion résonne, les Élites exfiltrent surement les boucliers pendant que d'autres attaquent les positions fortes des Autres. Trapis et sa fille prient encore plus fort. « [...] Leurs victimes ne connaissaient pas le repos jusqu'à ce que les Gennys leur murmurent doucement... DORMEZ CAR LA FIN EST PROCHE ! »
Avec le déplacement instantané Soru, Ombeline les mains dans le dos, toujours ferrée de granit, se téléporte entre les chaises de l'amphi et tranche d'un coup de Rankyaku les ennemis sur son chemin. Ils sont à présent plus d'une quarantaine à se replier dans la salle. Les bombes tonnent à l'extérieur, les échanges de feu sont nourris et en approche. Personne n'ouvre de feu dans l'amphi par contre, de peur d'endommager le fragile revêtement au zérométal. Et c'est tout à l'avantage de la Commandante d’Élite qui ne se pose aucune question. De son côté, Loth a déjà délivré les siens de leurs simples menottes et ils s'empressent d'aller détacher les étudiants. Des Autres ayant échappé à Ombeline montent sur l'estrade mais temps ne leur est pas laissé de nuire. De ses longues jambes pleine de hargne, Serena en cueille deux si violemment qu'ils s’aplatissent au plafond avec un bruit écœurant de cassure. « Loth ! Comment on sort ? » Par la porte normalement mais il découvre qu'Ombeline est surchargée de toujours plus d'ennemis au fur et à mesure que les combats dehors gagnent en intensité et se rapprochent. Dans la marée qui noie L'épée du Matin, quelqu'un hurle au "décollage". Le sol vibre, les gens chancellent. Loth essaie de repérer Oort mais plus aucune trace de lui. Ils seront piégés ici s'il ne fait rien alors il choisit la mode Ombeline. Trancher dans le vif.
Le Moine se retourne pour faire face à la paroi blanche qui le titilla. Son pied se déplace vivement et génère une grande lame d'air qui la taillade comme du beurre. Un autre coup et un pan important du revêtement se détache. Le vent s'y engouffre violemment. Ça tremble de plus en plus, ce qui signifie que le navire prend forme grâce à l'alliage à mémoire de forme. L’amphithéâtre ne doit être qu'un des compartiments. Dire que c'est sa propre invention qui lui a tant coûté ! Le destin a un drôle de sens de l'humour. Il encourage les siens et otages à passer dans l’entrebâillement ouverte. Krystalynn est la première suivie de Trapis puis des otages. Il laisse le soin à Serena de les superviser ; les mercenaires viennent y mettre leurs grains alors il décuple davantage sa masse capillaire et se précipite sur le groupe qui envahit l'estrade. Il esquive un estoc, pare une attaque de fléau, mitraille de coups de pied, se protège de flèches grâce à un cocon capillaire puis... « Primate, Danse de Borée ! » Tournant sur lui-même telle une toupie, il brasse de l'air et déclenche un cyclone tailladant localisé qui balaie et renvoie les poursuivants vers la fosse, s'il ne les a pas cisaillés. A son tour, Loth emprunte l'ouverture et se retrouve sur le pont du navire.
La vue est dégagée sur le réfectoire et la nuée de Marines en approche rapide. La version "Lavoisier" du Silence est de bonne taille ; il commence son décollage. Les otages les plus téméraires passent au-dessus du bastingage tandis que les plus timides doivent être aidés. A elle seule, Serena tente de contenir les Autres sur le pont. Loth fuse l'aider, un ennemi apparait dans l'angle mort de la Longue-Jambe mais quelqu'un d'autre le prend de vitesse et écrase une barre de fer sur la tête du mercenaire. Ryosuké Vagner. « Passez par-dessus, sautez ! Même si vous devez vous casser une jambe ! » hurle-t-il à ses compagnons d'infortune. La minute suivante, ils se jettent tous dans le minime vide qui les sépare du sol. Il les suit, encourageant Serena à faire de même mais celle-ci n'a d'yeux que pour son frère qui s'en retourne à l'intérieur. « Qu'est-ce-que tu fais ? Viens on dégage ! » lui crie-t-elle en le prenant par le bras. « Hors de question, Ombeline est là-bas. C'est grâce à elle si nous en sommes-là, je ne partirai pas sans elle. Toi tu t'en vas ! Ne discute pas ! Allez file ! On se reverra dans un moment ! » Aidé d'un croche-pied, il la précipite par tribord. Ils sont déjà à plus de dix mètres du sol et le ballon oblong qui surplombe le grand mat peine à se gonfler. En bas, les Marines sont maitres du Cénacle où un gros trou vide indique l'espace auparavant occupé par la construction en zérométal. Les Mouettes tirent sur la coque puis une explosion plaque Loth au sol. Les balles ont touché le ballon. Ils vont s'écraser.
- Vous glandez quoi ? Mettez-vos masques et lancez-le coup d'Burst ! tonne la voix d'Odin.
Immédiatement après, Loth subit la plus violente accélération de sa vie. La vitesse passe de zéro à plus de deux cents en moins d'une seconde ce qui le placarde davantage contre le parquet. Il subit la gravité négative qui expulse l'air de ses poumons et l'asphyxie. Le paysage défile à une vitesse incroyable qu'il ne peut ni constater, ni admirer. Son cerveau privé d'oxygène s'éteint dans une brume glaciale et sa dernière pensée est pour la prière qu'ils n'ont pas fini de réciter. « Quand viendra le dernier combat, tous les fidèles salueront la victoire des Gennys sur leurs rivaux ! » Ça ne s'est pas ainsi passé mais avec l'infime brin de lucidité qui précède la syncope, Loth sourit malgré lui. Lavoisier l'a gagnée cette manche.
[...]
- NOON !
Le cri que lâche Midnight Bee est aveux d'impuissance. En moins de temps qu'il ne faut pour inspirer, le blanc navire flottant hyper-accélère grâce à une colossale éjection d'air surchauffé par sa figure de poupe. La seconde d'après, ce n'est guère plus qu'un point à l'horizon. Lavoisier et le gros des Autres leur ont échappé. Frénétiquement, elle étend son Observation dans les alentours à la recherche de la voix de sa sœur, en vain. Ombeline et Loth manquent à l'appel, coincés sur ce navire, à la merci de leurs ennemis. Elle a l'impression qu'une coulée d'acide se répand dans ses entrailles. Mais les mauvaises nouvelles ne s'arrêtent pas là.
- Madame, le roi !
- Quoi le roi ?!
- Enlevé ! Tous les techniciens dans le réfectoire sont morts et à notre arrivée, nous avons vu un... un homme chauve-souris s'envoler rapidement avec le roi dans ses serres ! On a tiré mais... il est parti !
- C'était Tommy Mouton, précise Time qui arrive à son tour, haletant. Nous avons eu les quatre autres et les bombes. Il était le seul manquant. C'était un back-up chargé de kidnapper le roi si le gazage venait à échouer. Et c'est un maudit. Ce Lavoisier nous aura eus jusqu'au bout. Le sous-amiral ne va pas en mener large...
Midnight échoue à genou, la rage au ventre. Jamais dans sa carrière, elle n'a autant été au pied du mur. Boréa est débarrassé des Lunes et d'Ashura mais à quel prix ? Un massacre couronné par la capture du roi. Que va-t-il advenir du royaume ? Sous le Gouvernorat du Gouvernement ou les Nordin vont-ils s'entre-déchirer pour la succession ? Mais le plus important, où est ce navire ? Il n'a pas pu aller très loin ! se dit-elle en reprenant du poil de la bête, refusant de céder au désespoir. « Dites, au Lt-Colonel Nerbosc d'accentuer l'étau autour du littoral nord, vers la Mort Blanche ! Le bateau de Lavoisier devrait s'y trouver, ne serait-ce que pour attendre Tommy et le roi ! Allez bougez-vous ! » Mais nul ne bouge et pour cause, une carriole argentée tractée par les massifs sang-purs d'Abraxans aussi gros que des éléphants s'immobilise. La porte s'ouvre et Bee est bouche bée et comprend d'un coup les paroles échangées entre Loth et le souverain. "Avez-vous la Gomme ?" lui demanda-t-il quand Maximilian émit le souhait de se rendre sur le champ.
C'est donc ça, la Gomme...
[...]
Le combat entre les vieux ennemis a tourné très court quand les Bêtes de l'Ombre commandées par le Lt Ricard West jaillirent sur eux. N'ayant aucune envie que soit compromise sa couverture Marine, Avada renonça au combat et disparut dans la végétation. Idem pour le géant qui rapetissa et s'évanouit dans les bosquets. Il a le pouvoir du fruit de la taille se dit Avada, c'est ça son secret.
L'avoir perdu de vue ne signifie pas perdre sa piste, surtout quand elle sait avoir deviné son lieu d'ancrage. Alors elle se met en route plein nord vers la baie de la Mort Blanche. Chemin faisant, elle entend une déflagration aiguë puis assiste médusée à un bateau volant qui fuse dans le ciel telle une étoile filante avant de disparaitre à l'horizon. C'était le navire-rectorat. L'absence de détonation en série indique que le bouclier humain a été neutralisé d'une manière ou d'une autre. Mais ce qui importe Bobcat c'est... Elle retire de sa poche la boite plate que lui remit Loth, qu'il reçut lui-même de Maximilian. Elle ne contient qu'une feuille de papier, plus grande qu'une main. Mais elle bouge, comme aimantée vers le nord. Parce que celui dont elle représente la vitalité se trouve dans cette direction. Loth est à bord du bateau.
- Tu nous quittes déjà ? demande-t-elle en dominant le Transporteur en contrebas, occupé à arracher son ancre d'un glacier.
- Oh non ! Toi t'es pire qu'une sangsue. Tu veux encore te battre ? On oublie le passé, et j'ai plus de raison de t'en vouloir.
- M'en fous du passé, je veux que ton embaucheur et toi nettoyiez votre merde ! Loth est prisonnier de Lavoisier.
- C'est ton problème ça, ma vieille. C'est ton client. Et depuis quand t'es garde du corps ?
- Depuis que je suis intéressée et curieuse de savoir jusqu'où va aller ce garçon. Le fait est que nous sommes partenaires.
- Loth est partenaire de la Grenouille. Et moi, je suis un livreur de ce dernier. Pas son sbire. Donc c'est votre problème.
- Tu attends une minute, je l'appelle.
- Oh non...
PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !!!
- Alors t'as tué le Transporteur ? interroge la Grenouille.
- Comme si elle pouvait.
- Content de te savoir en vie, Dimas. Alors, elle veut quoi la Miss ?
- Que vous arrêtiez vos conneries et m'aidiez à sortir Loth de ce merdier. Je te l'ai déjà dit Grenouille, pas de Loth, pas de promesse. Là, tes bombes sont hors service et ton client dans la nature. J'espère qu'il t'a payé un gros pourcentage avant la livraison.
- Non il n'a pas payé la livraison. C'est ennuyeux. T'as tout livré, Dimas ?
- Évidemment mais les Marines sont tombés sur le dispositif et sur les gars au Climat-tact.
- Bon... Il n'acceptera jamais de payer comme il était convenu. Et ça m'ennuierait encore plus que Reich se fasse zigouiller sans tenir sa promesse. C'est quoi sa situation ?
- Aucune idée, juste prisonnier de son ennemi, c'est ce que je sais. Parce que j'ai son vivre-card, donc de quoi le localiser. Peu importe où ils vont, il y aura tout un paquet de mercenaires, je réclame un coup de main. Il est temps d'arrêter de se marcher sur les pieds.
- Je sais que tu détestes ça mais tu peux lui prêter main forte, Dimas ? Je paierais les surcoûts, Loth est le seul à même d'apaiser les démangeaisons de la cicatrice que m'a causé mon frère. Veille à ce qu'il s'en sorte et me ramène Leonid.
- Bien, comme tu voudras. On ne sera que deux contre une armée professionnelle ?
- Shadow Law compte 1500 hommes, Dimas. Je vais tous les rameuter.
- C'est quoi ça, là-bas ?
- Oh ! Quelque chose me dit qu'on aura plus d'aide qu'on ne le pense !
Une flotte décalque ses multiples silhouettes sur les glaciers. Les quatre bambous formant un carré qui blasonnent leurs voiles ne laissent une ambiguïté. Mais ils arrivent trop tard pour sauver leur patron se dit Avada. Elle presse le Transporteur de remettre les gaz et d'aller à la rencontre de la flotte avant que la Marine ne dénote sa présence. C'est une occasion inespérée de rallier l'une des plus puissantes triades d'East Blue à la guerre contre Lavoisier et les Autres, où qu'ils soient.
Il faut sauver le soldat Loth Reich.
- Spoiler:
- Le granit marin ne vampirise pas obligatoirement toutes les forces. C'est ce qui fut présenté dans un premier temps à Alabasta avec le contact de Luffy sur les barreaux mais l'arc Enies Lobby a donné un tout autre visage. Robin pouvait marcher par elle même, courir, et même se battre en mordant Spandam. Si elle avait eu des capacités martiales supérieures, elle aurait fait bien pire. Ce que j'ai exploité ici avec Ombeline entendu que Loth lui n'est affecté en rien. Comme Jimbe à Impel Down, on utilise le granit marin sur les gens sans pouvoir pour pas qu'ils se libèrent.
Merci.
Une heure après...
- Arrêtez de vous disputer comme des chiffonniers, c'est la faute à votre incompétence à tous !
Comme réplique, Ombeline reçoit un violent coup de crosse sur le front. L'ambiance n'a pas été joyeuse depuis la fuite de Jalabert, Lavoisier pestant contre Odin et ses hommes de n'avoir pas su entraver les mouvements des prisonniers. Ce à quoi ces derniers ont répondu qu'ils ne possédaient que deux menottes et un filet en granit et que personne n'aurait su prévoir qu'ils pourraient faire de tels dégâts avec juste leurs pieds. Le résultat est là pourtant, la moitié tribord du navire a été tranchée par un Rankyaku d'Ombeline ce qui a rendu instable le mécanisme de l'alliage à mémoire de forme. Il leur a fallu jeter la Commandante dans la mer pour en venir à bout. Maintenant, elle est maintenue dans une baignoire, le corps à moitié immergé, ce qui ne l'empêche pas de parler.
- En tout cas, je te tire mon chapeau, dit Loth fignolé au mat comme un saucisson.
Mais je trouve un peu triste que tu ais voulu commettre un génocide pour ton dernier coup d'éclat. Heureusement que les bombes ne sont pas arrivées à temps, ce qui nous a permis de te percer à jour.
- Triste ? TRISTE ! tempête-t-il en martelant Loth de coups de poings à la figure.
Je voulais me venger d'eux tous, les exterminer comme des rats ! Mais au moins, j'aurais assouvi mes principales vengeances. Holle et Bodmann morts, il restait toi et le roi en haut de ma liste. J'espère que tu es bien assis Maximilian ? dit-il au souverain menotté aux accoudoirs d'un fauteuil.
- Je vais bien. J'ai accompli mon devoir.
- En te sacrifiant pour ton peuple, ou une connerie de ce genre ?
- Non, ducon ! Il veut dire qu'il n'est pas le roi ! chantonne l’Épée du Matin.
- QUOI ?
- Ce qu'on appelle une Gomme, Lavoisier, détaille Loth d'une voix pincée à cause de son nez pété.
C'est un sosie, tu n'as jamais vu Maximilian Nordin aujourd'hui. Celui qui a pris toutes les décisions, a parlé avec le Gorosei n'était qu'un réplique aussi vraie que nature.
- Quarante fois sur le billard pour lui ressembler. Mais j'étais tout le temps en conversation avec lui. Ce sont ses décisions en fait. Mon rôle est accompli.
Bang !
- Bien accompli, complète Lavoisier après lui avoir froidement tiré en pleine tête.
On verra bien à la lecture du journal si c'était le roi ou pas.
- Pourquoi tu ne nous tues pas aussi ? demande Ombeline.
- Toi, je pourrais te monnayer à très bon prix. Y en a qui paieraient une fortune pour s'amuser avec une Commandante d’Élite doublée d'une maudite.
- Oh bah, je suis rassurée alors, ironise-t-elle. Et Loth ?
- Je vais le vendre aussi, ou du moins, tenir ma promesse à ceux qui m'ont aidé à obtenir des informations sur son passé et financé mon opération à grand coup de millions. Ils le détestent encore plus que moi et l'appellent "Loth Reich, le garçon qui a survécu". Le seul a avoir jamais atteint un tel âge dans leurs geôles. Le seul qui refusait de mourir.
- Tu as pactisé avec le Conclave ?! s'enquiert Loth.
- Genre tu t'es pas vengé de ces fils de putes après ta libération, binocle ?
- Non, Ombeline. J'avais mieux à faire que de me lancer en quête de vengeance.
- Tssss, c'est pour ça que je déteste ton côté moralisateur ! Regarde ce qu'ils ont fait aujourd'hui !
- Je ne suis pas responsable de leurs actes, pas plus que tu ne l'es des horreurs que Teach a pu commettre cette journée. Si j'avais consacré ma vie à mon passé, je serai devenu Marine comme celui qui m'a sauvé, ou Révolutionnaire et prôner un changement de système. Mais chaque jour m'aurait rappelé mon passé. Au contraire, j'ai choisi de m'en délier et de vivre la vie que j'avais déjà choisie avant même ce malheureux parcourt. Pour moi, c'est ça avancer.
- Dans ce cas, je vais te faire reculer, se rit Lavoisier.
- Donc nous allons à Rhétalia, sur South Blue ?
- Il n'est pas de notoriété publique que le Conclave est originaire de Rhétalia. Donc malgré tout ton discours, tu as enquêté sur tes bourreaux ?
- Du tout, je l'ai juste supposé à cause des découvertes récentes que j'ai faite, répond-il en passant à Carcinomia où l'institution de l'esclavage a été plagié sur le système Réthalien.
- Rhétalia ? Rhétalia ? Non mais tu sais ce que tu fais au moins ? Il est interdit à ce royaume de soumettre des citoyens du Gouvernement en esclavage sous peine de guerre !
- Tu me fais rire, Ombeline. Contre la paix, Rhétalia a alloué de grosses mines d'or au Gouvernement. Les textes sont les textes, tu penses vraiment que quiconque va entrer en guerre pour deux pauvres individus ?
- Je suis Commandante d’Élite et dès que ma flotte me retrouvera, on mettra Rhétalia à feu et à sang !
- A supposer qu'elle te retrouve. Elle l'aurait déjà faite sinon. Nous avons du chemin, mais nous arriverons sur South Blue demain à l'aube. Prépare-toi Loth, tu supplieras qu'on t'achève ! Surgissant tout droit du passé, tes tortionnaires feront leurs grands retours grâce à moi. Tous les chemins mènent au Conclave ! Hahaha !
Tous les chemins mènent à South Blue, plutôt. Le destin se joue de lui. Dès demain, il n'aura que quatre jours pour se sortir de cette misère, retrouver Wilhelmina ainsi que son équipage puis extraire Leonid Norman de prison. Alors que le soleil crépusculaire colore les nuages de cramoisi, Loth repense à cette journée et à ce que la lutte contre Ashura lui aura coûté au final. Des figures importantes de son passé. Des gens qui avaient leurs propres rêves et qui ont été victimes des siens. Gengis, Jerry, Raphaela, Cabrel, Léonella, Lin Colt. Cette épreuve lui aura confirmé l'implacable vérité qu'il savait déjà. Pour atteindre les sommets et laisser une indélébile marque en ce monde, il est prêt à sacrifier tout ce qu'il a. Malgré tout, il en aura tiré la résolution de mieux protéger les êtres qui lui sont chers. Il aura le temps de rendre hommage à ses chers disparus après tout ceci. Boréa quant à elle va pleurer ses morts, les derniers en rapport avec Ashura et les Lunes, le Moine espère. La corruption est un cancer qui ne s'enlève pas sans quelques opérations invasives. L'université sera reconstruite, et les étudiants reviendront dans quelques mois. Loth admire la magnificence de ce coucher de soleil sanguin sur North Blue, prisonnier de son ennemi qui le conduit vers sa mer natale, au pays des Milles Pyramides.
- Arrêtez de vous disputer comme des chiffonniers, c'est la faute à votre incompétence à tous !
Comme réplique, Ombeline reçoit un violent coup de crosse sur le front. L'ambiance n'a pas été joyeuse depuis la fuite de Jalabert, Lavoisier pestant contre Odin et ses hommes de n'avoir pas su entraver les mouvements des prisonniers. Ce à quoi ces derniers ont répondu qu'ils ne possédaient que deux menottes et un filet en granit et que personne n'aurait su prévoir qu'ils pourraient faire de tels dégâts avec juste leurs pieds. Le résultat est là pourtant, la moitié tribord du navire a été tranchée par un Rankyaku d'Ombeline ce qui a rendu instable le mécanisme de l'alliage à mémoire de forme. Il leur a fallu jeter la Commandante dans la mer pour en venir à bout. Maintenant, elle est maintenue dans une baignoire, le corps à moitié immergé, ce qui ne l'empêche pas de parler.
- En tout cas, je te tire mon chapeau, dit Loth fignolé au mat comme un saucisson.
Mais je trouve un peu triste que tu ais voulu commettre un génocide pour ton dernier coup d'éclat. Heureusement que les bombes ne sont pas arrivées à temps, ce qui nous a permis de te percer à jour.
- Triste ? TRISTE ! tempête-t-il en martelant Loth de coups de poings à la figure.
Je voulais me venger d'eux tous, les exterminer comme des rats ! Mais au moins, j'aurais assouvi mes principales vengeances. Holle et Bodmann morts, il restait toi et le roi en haut de ma liste. J'espère que tu es bien assis Maximilian ? dit-il au souverain menotté aux accoudoirs d'un fauteuil.
- Je vais bien. J'ai accompli mon devoir.
- En te sacrifiant pour ton peuple, ou une connerie de ce genre ?
- Non, ducon ! Il veut dire qu'il n'est pas le roi ! chantonne l’Épée du Matin.
- QUOI ?
- Ce qu'on appelle une Gomme, Lavoisier, détaille Loth d'une voix pincée à cause de son nez pété.
C'est un sosie, tu n'as jamais vu Maximilian Nordin aujourd'hui. Celui qui a pris toutes les décisions, a parlé avec le Gorosei n'était qu'un réplique aussi vraie que nature.
- Quarante fois sur le billard pour lui ressembler. Mais j'étais tout le temps en conversation avec lui. Ce sont ses décisions en fait. Mon rôle est accompli.
Bang !
- Bien accompli, complète Lavoisier après lui avoir froidement tiré en pleine tête.
On verra bien à la lecture du journal si c'était le roi ou pas.
- Pourquoi tu ne nous tues pas aussi ? demande Ombeline.
- Toi, je pourrais te monnayer à très bon prix. Y en a qui paieraient une fortune pour s'amuser avec une Commandante d’Élite doublée d'une maudite.
- Oh bah, je suis rassurée alors, ironise-t-elle. Et Loth ?
- Je vais le vendre aussi, ou du moins, tenir ma promesse à ceux qui m'ont aidé à obtenir des informations sur son passé et financé mon opération à grand coup de millions. Ils le détestent encore plus que moi et l'appellent "Loth Reich, le garçon qui a survécu". Le seul a avoir jamais atteint un tel âge dans leurs geôles. Le seul qui refusait de mourir.
- Tu as pactisé avec le Conclave ?! s'enquiert Loth.
- Genre tu t'es pas vengé de ces fils de putes après ta libération, binocle ?
- Non, Ombeline. J'avais mieux à faire que de me lancer en quête de vengeance.
- Tssss, c'est pour ça que je déteste ton côté moralisateur ! Regarde ce qu'ils ont fait aujourd'hui !
- Je ne suis pas responsable de leurs actes, pas plus que tu ne l'es des horreurs que Teach a pu commettre cette journée. Si j'avais consacré ma vie à mon passé, je serai devenu Marine comme celui qui m'a sauvé, ou Révolutionnaire et prôner un changement de système. Mais chaque jour m'aurait rappelé mon passé. Au contraire, j'ai choisi de m'en délier et de vivre la vie que j'avais déjà choisie avant même ce malheureux parcourt. Pour moi, c'est ça avancer.
- Dans ce cas, je vais te faire reculer, se rit Lavoisier.
- Donc nous allons à Rhétalia, sur South Blue ?
- Il n'est pas de notoriété publique que le Conclave est originaire de Rhétalia. Donc malgré tout ton discours, tu as enquêté sur tes bourreaux ?
- Du tout, je l'ai juste supposé à cause des découvertes récentes que j'ai faite, répond-il en passant à Carcinomia où l'institution de l'esclavage a été plagié sur le système Réthalien.
- Rhétalia ? Rhétalia ? Non mais tu sais ce que tu fais au moins ? Il est interdit à ce royaume de soumettre des citoyens du Gouvernement en esclavage sous peine de guerre !
- Tu me fais rire, Ombeline. Contre la paix, Rhétalia a alloué de grosses mines d'or au Gouvernement. Les textes sont les textes, tu penses vraiment que quiconque va entrer en guerre pour deux pauvres individus ?
- Je suis Commandante d’Élite et dès que ma flotte me retrouvera, on mettra Rhétalia à feu et à sang !
- A supposer qu'elle te retrouve. Elle l'aurait déjà faite sinon. Nous avons du chemin, mais nous arriverons sur South Blue demain à l'aube. Prépare-toi Loth, tu supplieras qu'on t'achève ! Surgissant tout droit du passé, tes tortionnaires feront leurs grands retours grâce à moi. Tous les chemins mènent au Conclave ! Hahaha !
Tous les chemins mènent à South Blue, plutôt. Le destin se joue de lui. Dès demain, il n'aura que quatre jours pour se sortir de cette misère, retrouver Wilhelmina ainsi que son équipage puis extraire Leonid Norman de prison. Alors que le soleil crépusculaire colore les nuages de cramoisi, Loth repense à cette journée et à ce que la lutte contre Ashura lui aura coûté au final. Des figures importantes de son passé. Des gens qui avaient leurs propres rêves et qui ont été victimes des siens. Gengis, Jerry, Raphaela, Cabrel, Léonella, Lin Colt. Cette épreuve lui aura confirmé l'implacable vérité qu'il savait déjà. Pour atteindre les sommets et laisser une indélébile marque en ce monde, il est prêt à sacrifier tout ce qu'il a. Malgré tout, il en aura tiré la résolution de mieux protéger les êtres qui lui sont chers. Il aura le temps de rendre hommage à ses chers disparus après tout ceci. Boréa quant à elle va pleurer ses morts, les derniers en rapport avec Ashura et les Lunes, le Moine espère. La corruption est un cancer qui ne s'enlève pas sans quelques opérations invasives. L'université sera reconstruite, et les étudiants reviendront dans quelques mois. Loth admire la magnificence de ce coucher de soleil sanguin sur North Blue, prisonnier de son ennemi qui le conduit vers sa mer natale, au pays des Milles Pyramides.