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Je vous raconterai le Rough Death.

Un jour, si vous êtes, si seulement j’ai réussi à ranger toute ma folie dans un placard que j’aurais enterré au fin fond des mers du Nouveau Monde ou si une, qui ne sera pas Lana, est assez tarée pour m’accepter comme je suis, vous serez là. J’ai bon espoir.

Un jour si vos museaux en l’air me regardent moi et pas le ciel comme je l’ai fait à votre âge, crachant sur la relation avec mon père pour la regretter trente ans après, ce jour-là, mes énormes paluches caresseront vos joues et puis vos cheveux et je vous prendrai dans mes bras pour vous raconter des milliers d’histoires.

Je vous raconterai, si vous êtes sages, ou si vous ne l’êtes pas, pour vous calmer, mes bateaux, mon chantier, mes hommes. Ceux qui m’ont permis de devenir le meilleur charpentier du monde. Je vous raconterai l’histoire de toute ma vie, vous connaîtrez votre père sur le bout des doigts et vous pourrez le raconter à vos propres marmots.

Un jour, si je ne perds pas la mémoire, j’espère que j’aurais toujours une crête sur la tête, une crête poivre et sel et encore ce visage d’anarchiste. J’espère que je vous ferai honte quand j’irai vous chercher à l’école, quand je vous appellerai les bambins devant vos aminches, j’espère être ce genre de père qu’on aime mais qui casse les roubignoles. J’espère que même dans 30 ans je serai encore un fils de radasse en forme.

Je vous imagine les yeux rivés vers moi, moi, assis sur une chaise à bascule qui me ferait triper et me ferait paraître sans doute très vieux. J’imagine la cheminée qui nous réchauffe, des maquettes de coques accrochés au mur, à quel point vous ressemblerez à votre mère qui aurait un caractère fort, obligé, pour m’avoir fait plier. Nous serons là où nous avons rêvé d’être, à contempler le monde d’un point culminent, haut, spirituel sans jamais que l’on regrette quelque chose. On ne regrettera rien car notre vie, toute notre vie, nous aura mené à vous avoir vous.

Ce jour-là, et les jours d’après je vous raconterai le KGB, Kiril le pirate charpentier, Kiril le Saigneur, l’Ex-Saigneur, les aventures de Yarost avec lequel vous jouerez encore, Nounours et Serena, Crack Joe, le Kultuur, Micha et ses coups de poêle plus terrible que le Kraken, le Scott lui qui est la cause de tout, Rimbau qui m’a donné envie d’écrire des trucs qui riment, pas des poèmes, Dead End, Lynbrook, Lilou, Linus et moi à la poursuite de la Liberté. Je pense que si j’ai réellement réussi ma vie, je ne serai jamais à court d’histoire pour vous, jusqu’à ce que vous grandissiez et que moi je ne sois plus en mesure d’utiliser ma voix.

Mais lorsqu’il sera temps de partir pour vous, j’espère que vous n’aurez pas de moi l’image d’un vieux décrépi sur sa siante à bascule, mais celle du mec des histoires : impulsif, intrépide, rêveur, fou et con, certes, mais cherchez bien au fond et vous verrez sa justesse et son grand cœur. J’espère que vous découvrirez le vrai moi, celui que cache les histoires, les actes, les actions, celui que je suis vraiment. J’espère que vous le trouverez, qu’au moins quelqu’un de plus que votre mère sache qui je suis. Parce que pour moi il est difficile d’admettre que je suis quelqu’un d’autre que… le Punk. Le pirate primé.

Mais je ne vous raconterai pas seulement mes plus grandes bêtises même si vous y aurez le droit, je vous raconterai mes exploits, ce dont je suis fier, mes navires, mes flottants, ma fierté.

Je vous raconterai le Rough Death.
    Le Rough Death était une de nos premières commandes, la requête avait été émise par Phoenix Juusei, un autre pirate des Red Spectres dont mes hommes s’étaient occupés de construire le Jackdaw, navire pour le capitaine Mantle Shoma. J’avoue devoir remercier cet homme que je n’avais jamais rencontré à part dans les journaux. On disait que c’était un pirate effroyable, un pirate sans pitié, beaucoup plus que Jack ou que même Tahar Tahgel et vous savez, les gosses, ce n’était pas mon style de, ou la vision que je me faisais de la piraterie mais sincèrement dans un monde où ceux qui sont censés incarner le Bon et le Juste sont des escrocs malhonnêtes et les hommes les plus mauvais de la planète, les actions d’hommes comme Shoma ne me faisaient ni chaud ni froid. Pourtant, il y avait une règle sur le chantier : on ne construit pas de bateaux aux bleus, normal, et pas aux révos à capuche, l’Umbra. Pour moi, ils étaient des lâches qui feraient mieux de faire savoir ouvertement la raison pour laquelle ils se battaient. Assassinaient. Les mouettes ne savaient même pas, ils défendaient une Justice qui n'existait clairement pas et l'Umbra se cachait pour assassiner quelqu'un qui dérangeait. Pourquoi ? Aucune idée. Qui ? Aucune idée. Vous appelez ça des révolutionnaires, vous ? Haha, ne me faites pas rire.

    Je ne reprocherai rien aux chasseurs de prime qui jouaient le jeu de la Marine pour manger plus de pain le jour suivant comme moi j’ai fait ou faisais encore. J’avais donc du respect pour les verts mais je pensais qu’ils ne risqueraient pas leur carte de chasseur de prime en se montrant avec un bateau construit sur le chantier naval d’un pirate. Je n’avais rien non plus contre la révolution, la petite révolution, ceux qui défendaient les opprimés et se battaient contre les vrais méchants.

    Je pense qu’il était plus difficile de me faire une idée sur le groupe des pirates qui était très large à notre époque, il y avait des pirates dit « gentils » comme des sacrés enfoirés comme Shoma, Teach ou Jack. Mais je ne vais pas vous mentir, j’étais clairement motivé par le rêve d’être appelé « Le plus grand quelque chose de tous les temps »  alors je regardais rarement le passif des rouges qui venaient toquer à ma porte.

    Au KGB, il y avait Memson. Pour vous resituer, Memson était un mec qui dirigeait les industries Faypher, une usine d’armes en somme, placée sur la troisième voie de Grand Line. Je l’avais rencontré lorsque j’étais Saigneur, fraîchement Saigneur, et que j’avais offert un bateau, le Kultuur dont je vous ai sûrement déjà parlé, à Jack. C’était mon premier bateau et c’est celui qui m’a donné envie de continuer dans cette voie. Dès que je l’ai abandonné lâchement sur l’île maléfique, je l’ai perdu et j’ai été obsédé, dès lors, par l’idée de le récupérer. Ce sera pour une autre histoire, malheureusement.

    Du coup, Memson avait accepté de nous rejoindre dans notre entreprise, notre petite collaboration avec Florin, grand maître des lieux à  l’époque, d’Alvel, son autorité était à peu près la même que celle d’un Roi. Il gérait tout le marché de l’esclavage, il rapportait de l’argent à la ville et en échange, il y régnait. Nous avons décidé puisque vraisemblablement nous étions tous des hommes occupés, de désigner des maîtres charpentiers définitifs, qui le seraient à chaque projet et qui représenteraient chacun de nous, pour le chantier. Alors il y avait l’Ingé de chez les Faypher, Omy pour Florin et l’homme et son singe pour moi-même.

    Ils avaient déjà bossé sur le Jackdaw qui n’avait d’ailleurs pas encore quitté le chantier, et je pouvais les observer à l’aide d’un den den projecteur liée à la cabine de l’Attrape-rêve, notre flottant avec Lilou, et au KGB. Le Jackdaw était d’une splendeur aveuglante, j’avais un très bon pressentiment pour le Rough Death et pour les navires à venir, quand l’alchimie entre eux serait faite, que leur confiance pour chacun serait à son paroxysme et qu’ils travailleront en symbiose parfaite, les gens accourront à Alvel même ou feront sonner mon den den mushi pour qu'on leur construise un bateau.

    Il en allait de même pour tous les hommes qu’on cite que trop peu souvent dans les histoires, ces hommes qui font office de figurants mais sans qui les navires ne verraient jamais le jour. Je ne peux pas tous les citer mais ils étaient charpentier depuis des trentaines, des vingtaines d’années ou quelques seulement, ils étaient père de famille, mari, marin, pêcheur aussi. Ils travaillaient comme des fous, et je suis bien placé pour dire fou, parce que c’est moi qui leur mettais une pression immense à laquelle ils répondaient comme des forcenés. Ils s’appelaient Fredo ou se faisaient appeler l’Enclume ou encore la Bidoche, l’Albinos, le Bras de Fer... Ils étaient plus d’une centaine et étaient aussi le KGB.
      L’expérience et le professionnalisme de ces mecs avaient contribué à la réussite du chantier du Jackdawn. Et puis, en quelques mois, ils étaient devenus comme des anciens aminches de guerre, partageant la bière et le rhum. Alvel n’avait jamais été aussi prospère, florissant d’une économie toute nouvelle, de nouveaux gros revenus, là-bas mon nom résonnait comme celui d’un Dieu. Le Panthéon réunissait Memson et Florin évidemment mais aussi tous les charpentiers de la ville qui étaient devenus des sortes de héros. C’était une fierté d’être charpentier. C’était de l’argent presque propre si on ne considérait pas qu’il venait de pirates, plus propre que ceux des esclavagistes.

      Et là était tout le problème, les enfants. Les esclavagistes avaient perdus toute leur suprématie et avant que Florin ne puisse s’en douter, déjà, dans les caves de rades comme le Bison Affuté se réunissait ceux à qui ça le KGB ne plaisait pas.

      C’était une coalition de négriers, capitaines racistes qui voyaient des hommes poissons ou des anciens esclaves travaillés au chantier pour le double de leur salaire qui lui avait diminué sous ordre de Florin. Il disait qu’il fallait se concentrer sur le KGB.

      Alors, tandis que le Rough Death prenait forme, les esclavagistes montaient un plan pour le saboter. Ce n’était pas vraiment un plan, à vrai dire, personne ne se serait douté que quelqu’un puisse ruiner un bateau en construction. Ce qui n’était pas facile pour eux, c’était le fait que les chantier ne s’arrêtait jamais. Des charpentiers bossaient de nuit, d’autres de jour alors le chantier était tout le temps éclairé et il était difficile d’agir. Le seul moyen pour eux d’approcher le bateau, c’était de signer, donner un coup de main.

      Je suppose qu’un métier apporte différentes sortes d’émotions. Entre celui d’esclavagiste et celui de charpentier, il y avait un  monde cela dit ils étaient, chacun d’entre eux, fier de ce qu’il faisait. L’esclavagiste naviguait sans honte à travers le monde, le charpentier rendait ça possible.

      La coalition avait donc envahi le chantier. Sans mal. Elle devait bien se comporter à l’égard de ceux qu’elle ne considérait même pas comme humain pour éviter de se faire réprimander. On était à Alvel, après tout. L’étiquette de l’île ne risquait pas de changer du jour au lendemain. Pour se fondre dans la masse, aussi, ils avaient dû travailler comme de vrais charpentiers, couper du bois, polir, participer à la construction de pièces importantes.

      J’aime cette histoire parce qu’il y a de la magie dedans. La vérité était que j’avais deviné leurs intentions depuis le départ. Des regards et des mots échangés, des réunions assis sur les bancs dans les coins sombres des rades, on me les avait rapportés. Mais toute aide était bonne à prendre, alors j’ai laissé faire. On a laissé faire. Et puis le lapin est sorti du chapeau.

      Héhé.

      Ceux qui avaient voulu faire couler le bateau le voyaient, jour après jour, prendre vie. Et ils savaient qu’ils n’y étaient pas pour rien, ils savaient que c’était aussi grâce à eux. Alors ils sont revenus les lendemains qui ont suivi, ont sué comme leurs camarades et sont allés boire avec eux quand il a fallu célébrer la construction du navire. Ils étaient tous ensembles, homme-poissons, ex-esclaves, ex-imposteurs, charpentiers.

      J’ai alors pensé qu’il n’y avait rien de mieux qu’un métier permettant de réunir, de créer et de marquer l’histoire. Plus que jamais j’ai voulu être le meilleur quand je les ai vu changer de camp, oublier leur camp, carrément, comme s’il n’avait jamais existé, comme s’ils avaient toujours été parmi eux, les charpentiers du KGB.

      Le Rough Death était, dès lors, notre premier bateau magique. Une fierté pour moi, il symbolisait, symbolise encore aujourd’hui la réussite de mon chantier. Ma réussite aussi. C’était un pouvoir, après seulement quelques jours, de transformer la haine en camaraderie. De changer une pensée. C’était un pouvoir que seuls les charpentiers du KGB était capable d’éveiller. Voilà pourquoi le Rough Death était une étape importante de leur histoire.

      Mon but qui me paraissait jusqu’à lors égoïste ne l’était plus. Je voulais en plus d’être moi-même le représentant de cette nouvelle forme de charpenterie, réunir les meilleurs charpentiers au KGB et créer un esprit. Un esprit assez puissant qui à la manière d’un aimant, attirerait le meilleur de chacun pour construire les meilleurs bateaux possibles. Parce qu’il ne fallait que le meilleur. Parce que je ne serais arrivé à rien sans ça. Je le savais, ils le savaient.

      Que sont devenus ces ex-esclavagistes, vous me dites ? Boh, je préfère dire nouveaux charpentiers ! Eh bien, pour vous répondre, je ne sais pas trop. Je n’ai que leur nom en tête. Ils s’appelaient Fredo, l’Enclume, la Bidoche, l’Albinos, le Bras de Fer...