Septembre 1626
North Blue
Zaun
Loth
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- Loth ?
Il se revoyait dans ce tunnel. Ce long tunnel pavé et tapissé d'algues. Combien de fois l'avait-il vu et revu ? A se demander s'il avait bien échappé à ses dédales crasseux et mouillés douze longues années plus tôt. Chaque détail de ce sinistre endroit lui revenait en mémoire, aussi clairement que s'il venait d'en sortir. Les parois empierrées, les tuyaux rouillés qui constellaient le plafond, la sonorité des gouttes d'eau qui en tombaient par intervalles réguliers... La seule vraie chorale qu'il eût entendu pendant ces années noires. Un son pur, sans prétention, sans jugement, sans discrimination.
Mais naturellement, dans cet afflux de souvenirs, deux éléments se distinguèrent. Tout d'abord la puanteur. L'effroyable effluve de pourriture qui se dégageait de ce tunnel l'avait si longtemps marqué qu'il eût besoin de trois années après sa libération pour s'en débarrasser. Des gens comme lui avait trépassé dans ce tunnel et leurs maitres n'avaient pas daigné les enterrer. A quelques mètres seulement du jeune Loth, ils s'étaient empuantis, avaient pourri offrant un festin aux vers. Ce souvenir lancina la poitrine du Moine Hérétique comme une lame chauffée à blanc. Bien des années après, il en faisait toujours des cauchemars. Tous ces pauvres zèbres lamentablement expiés en ces lieux pour la seule faute d'être nés différents.
Le plus poignant des souvenirs restait le sentiment d'être prisonnier. Cela pouvait sembler ridicule à côté des morts qui pourrissaient à proximité, insignifiant face à la famine, risible face aux tortures mais aussi loin que s'en souvînt Loth, la sensation d'être privé de liberté demeurait la plus atroce. Lui qui rêvait de liberté et d'évasion, lui qui voulait inscrire son nom dans l'histoire se retrouvait emprisonné, ne valant guère mieux qu'un oiseau en cage. Ce ressenti était définitivement le plus incomparable et le plus intense de tous. Un peu comme si on l'avait enterré vivant. La claustrophobie d'être figé dans son propre corps... Abominable.
A quel point Émeline pouvait-elle être désemparée et malade en ce moment même ? Être libre de ses mouvements et la seconde d'après, devoir supplier pour un centimètre de confort. Il ne souhaitait cette expérience à personne, mais voilà, Emeline la vivait pour la seconde fois. Et à cause de lui. Comment pourrait-il jamais se pardonner ça ?
- Loth ! fit Nivel plus insistant. Il le secoua sans ménagement jusqu'à ce que ce dernier reprenne ses esprits. C'est bon, relax, on va la retrouver d'accord ? Akim est là, et Jack aussi.
Jack Black était la solution à son problème ou du moins, à l'une d'entre-elle. L'ex-mercenaire était assis sur une chaise, les mains entravées par des menottes mais autrement, il semblait en pleine forme. La dernière fois que Loth l'avait vu, Red lui avait brisé les deux poignets avant de le jeter dans la mer environnant Boréa. Il fut repêché bien sûr, puis confié en tant que prisonnier aux Usuriers de Zaun et à leur chef Rajaadh Akim "Le Fournisseur" . Dans les yeux de Black, toute la haine du monde qu'il vouait à Loth et à Red. Un mauvais perdant en somme se dit le Binoclard en prenant place juste en face de son ancien ennemi. Une lampe à huile suspendue au plafond juste au-dessus de leurs têtes les auréolait d'une lumière jaune de forme conique.
- Je requiers tes services, Black, énonça Loth d'un ton claire et limpide bien qu'intérieurement tiraillé entre envie de torture et de massacre pur.
- Yah. Et moi, j'veux mon thé et ma liberté. Mais on peut pas tout avoir, n'est-ce pas ? répondit-il de sa voix cassée et enrouillée.
- Regarde bien cette photo, Black, continua Loth comme s'il l'avait pas été interrompu. Tu vois cette fille aux longs cheveux tressés en queue de cheval ? C'est mon amie, une très précieuse amie et...
[...]
« Yo mec, Émeline a été kidnappée ! »
Cette introduction de Dena' tambourinait encore en lui. Il se revoyait encore, lisant pépère son journal dans la chapelle du cimetière de Brinborian à Boréa quand son indic débarqua pour lui apprendre la nouvelle. Il avait tout d'abord eu un réflexe de déni en suspectant la blague puis s'était ravisé dans la seconde face à la mine alarmée de Denavellion. Émeline, enlevée ? Par qui ? Pourquoi ? Comment ? Quand ? Mille questions explosèrent tout d'un coup dans sa tête et elles trouvèrent toutes un seul coupable. Ashura, Lavoisier.
Il ne pouvait en être autrement se convainquit Loth sur le chemin qui le mena au lieu du sinistre. De la plus grande organisation de contrebande de Dance Powder des blues, il ne restait que la tête, Lavoisier. En neuf mois, les assauts répétés du Binoclard avaient fini de désintégrer cette machinerie bien huilée qui échappait aux autorités depuis quinze années. Lavoisier tenta à plusieurs reprises de l'éliminer, sans succès. D'une de ses tentatives était né le nouveau surnom de Loth : "Le Moine Hérétique". Alors qu'il ait pu s'en prendre à Émeline coulait de source. Bien que rien ne reliait directement la jeune femme à Loth, bien qu'elle s'assurait d'effacer les traces de leurs rencontres, nul n'était à l'abri d'une erreur et Lavoisier aurait pu savoir qu’Émeline Reus était la première chargée d'affaire de Loth, celle qu'il envoyait négocier en son nom et conclure des contrats.
Et pourtant, il déchanta vite quand le bateau les emmena loin des eaux territoriales de Boréa, hors de vue des icebergs, sur une île aux airs tropicales. Six heures de voile furent nécessaires pour l'atteindre. « N’sommes sur Holiday Isle » avant énoncé Dena' quand Loth posa un pied sur une plage de sable blanc très fin. Au loin, une furieuse agitation semblait régner. « Tu préfères qu'on ne n'voit pas ensemble non ? Alors va et découvre c'qui lui est arrivé ! »
Pour la sécurité de leurs affaires, Dena' restait toujours en retrait, il était plutôt connu dans le milieu. Sans se faire prier, Loth s'était avancé vers le cœur de l'ile et se retrouva face à un cordon de sécurité tendu par des Marines. La zone interdite aux civils était immense et semblait rassembler le gros du seul village de l'île. Malgré la foule qui s'était agglutiné autour des bandes, on constatait qu'il s'était passé quelque chose de violent. Beaucoup de maisons éventrées, des étables et des ustensiles par terre, un capharnaüm intégral.
- Salut, soldat.
- Vous ne pouvez pas entrer, c'est une scène de crime. Si vous avez perdu quelqu'un dans le raid, adressez à notre service d'aide aux familles des victimes, là-bas, sous le cocotier. Vous devez faire la queue.
- Ça ne sera pas nécessaire, je n'ai perdu personne. Je suis Loth Reich, un détective privé. Et j'entends vous aider dans cette affaire.
- Le "Loth Reich" ? Celui de Boréa et récemment de Bliss ? Ah ouais, c'est vous, je vous ai vu dans les journaux !
- Merci. Puis-je parler à celui qui dirige cette enquête ? Je ne demande aucune rémunération, juste apporter mon aide.
Sans délai, il fut introduit auprès d'un vieux Commodore dirigeant la flotte du G-6 dans cette zone maritime. Il accueillit Loth avec sympathie et le laissa examiner les lieux avec lui. Les dernières affaires à Bliss lui avaient octroyé une renommée sur les quatre Blues et c'était agréable de voir ouvrir des portes justes en mentionnant son nom. Bien qu'il eût préféré des situations plus glorieuses. « On dénombre cinquante-trois personnes enlevées, donc quinze femmes » l'informa le Commodore. « C'est en soi un miracle qu'il y ait eu si peu de kidnappés, rendez-vous compte qu'il y a encore moins de douze heures, ce village accueillait cinq cents personnes ! »
La "fête des fruits", avait-on répondu à Loth quand il demanda en quelle honneur autant de gens d'horizons divers s'étaient rassemblés là. « Mais que faisait Émeline dans un coin comme celui-ci ? » s'était martelé Loth en cherchant des indices. Quand elle l'avait quitté, elle lui avait simplement dit "aller se promener". Grosse promenade que c'était selon toute évidence, à six heures de Boréa. « Les esclavagistes ont planifié leur coup mais la présence de nos croiseurs dans les eaux a dû les inquiéter, c'est pour ça qu'ils ont juste fait un raid de quelques minutes puis se sont retirés. Nous les avons manqué de peu, vraiment ! »
Les opérations de ce genre s'étaient faites légions dans cette partie de North Blue depuis un moment déjà, Loth était au fait de la situation. Cinq autres îles avaient subi un sort semblable et on avait répertorié plusieurs villages côtiers razziés et des centaines de personnes enlevées. A défaut de preuves, la marine hypothétisait sur des pirates esclavagistes dont elle n'avait pas encore trouvé le moindre nom. Fadaises que tout cela, Loth lui connaissait bien les coupables et maintenant qu'ils avaient touché à son ami, le Moine Hérétique corrompu par une noire et froide colère depuis quelques heures s'imaginait le leur faire payer de la pire manière que ce soit.
« Je les exterminerai tous... Je les enterrerai jusqu'au dernier... » s'était-il surpris à penser.
- Ici, Commodore, nous avons trouvé une bannière ! avait gueulé un Marine, arrachant Loth à ses sombres pensées.
Étendu sur le sol, un noir étendard qui déclencha une série de remous intérieurs dans les entrailles du Binoclard. Ce n'était pas l'emblème des fautifs. C'était le sien, celui sur lequel Émeline, Dena' et lui s'étaient mis d'accord après d'âpres discussions. Ce logo devait blasonner l'étendard de Shadow Law, la première organisation criminelle montée par les soins du Moine Hérétique.
Était-ce ça la raison de la venue d'Emeline sur Holiday Isle ? S'y était-elle rendue en quête d'un artiste susceptible de matérialiser à la perfection les détails du logo qu'ils avaient choisi ?
- C'est bien ce que nous pensions, un drapeau pirate ! s'était exclamé le Commodore.
- Je connais ce drapeau, ce sont les pirates de Shadow Law, leur dit Loth. Ils viennent tout juste de débuter mais sont très teigneux. Du moins, c'est comme ça qu'ils se sont présentés à un ami pêcheur quand ils ont enlevé sa fille sous ses yeux le laissant là pour raconter l'histoire...
[...]
- La Marine continuera de mettre tous ces rapts sur le dos de Shadow Law, ce qui n'est pas plus mal, reprit Loth en s'arrachant à ce flot de souvenirs. Devant lui, Jack Black affichait un sourire en coin. Mais toi et moi, savons qu'Emeline et les autres ont été enlevés par le clan Burn de Carcinomia. Et c'est pour ça que je suis venu à toi.
- Yah, yah, parce que je suis le seul ressortissant de Carci' ici ? Parce que t'as besoin de moi pour te rendre dans ma patrie sous-marine ?
- Non, pour ça, les Usuriers font déjà affaire avec Carci', ils connaissent le chemin.
- Donc pourquoi, tu viens déranger ma tranquillité ? J'étais en plein milieu d'un truc important !
VLAM !
Nivel avait craqué. Son coup de pied gifla le sourire sarcastique de Jack qui l'importunait depuis le début de la conversation. Le prisonnier vola de sa chaine et percuta le mur en bois dur, tête la première. Après une plainte de douleur, il se releva visiblement sonné mais fier d'avoir exposé la colère de ses interlocuteurs.
- Encore un commentaire plein de sarcasme et petit dégueulasse bonhomme, je te pulvérise ! menaça l'anarchiste roux de sa voix pincée.
- Et qui utiliseriez-vous après pour, pour ?
- Pour forger une alliance avec le clan Darkness dont tu étais l'ancien chef. Depuis six mois que tu as été défait, ils ont dû s'en trouver un autre. Nivel et toi irez à Carci' et tenterez de rallier les faveurs des Darkness.
- Une alliance ? Pourquoi faire ? demanda Black sincèrement incrédule. Je croyais que tu voulais retrouver ta copine enlevée ? Les Burns sont des marchands avant tout. Va là-bas, propose leur un prix pour ta meuf et rachète la, point barre.
- Je la rachèterai, répondit Loth en se levant.
La lumière de la lampe suspendue se réfléchit sur ses lunettes les rendant sulfureuses et jaunâtres. « Je compte bien la racheter, crois-moi, » pensa-t-il férocement. « Je la rachèterai, avec le feu et le sang. »
Dernière édition par Loth Reich le Mar 5 Avr 2016 - 21:04, édité 1 fois