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Chaos Theory


Septembre 1626
North Blue
Zaun
 
Loth
___________________

- Loth ?

Il se revoyait dans ce tunnel. Ce long tunnel pavé et tapissé d'algues. Combien de fois l'avait-il vu et revu ? A se demander s'il avait bien échappé à ses dédales crasseux et mouillés douze longues années plus tôt. Chaque détail de ce sinistre endroit lui revenait en mémoire, aussi clairement que s'il venait d'en sortir. Les parois empierrées, les tuyaux rouillés qui constellaient le plafond, la sonorité des gouttes d'eau qui en tombaient par intervalles réguliers... La seule vraie chorale qu'il eût entendu pendant ces années noires. Un son pur, sans prétention, sans jugement, sans discrimination.

Mais naturellement, dans cet afflux de souvenirs, deux éléments se distinguèrent. Tout d'abord la puanteur. L'effroyable effluve de pourriture qui se dégageait de ce tunnel l'avait si longtemps marqué qu'il eût besoin de trois années après sa libération pour s'en débarrasser. Des gens comme lui avait trépassé dans ce tunnel et leurs maitres n'avaient pas daigné les enterrer. A quelques mètres seulement du jeune Loth, ils s'étaient empuantis, avaient pourri offrant un festin aux vers. Ce souvenir lancina la poitrine du Moine Hérétique comme une lame chauffée à blanc. Bien des années après, il en faisait toujours des cauchemars. Tous ces pauvres zèbres lamentablement expiés en ces lieux pour la seule faute d'être nés différents.

Le plus poignant des souvenirs restait le sentiment d'être prisonnier. Cela pouvait sembler ridicule à côté des morts qui pourrissaient à proximité, insignifiant face à la famine, risible face aux tortures mais aussi loin que s'en souvînt Loth, la sensation d'être privé de liberté demeurait la plus atroce. Lui qui rêvait de liberté et d'évasion, lui qui voulait inscrire son nom dans l'histoire se retrouvait emprisonné, ne valant guère mieux qu'un oiseau en cage. Ce ressenti était définitivement le plus incomparable et le plus intense de tous. Un peu comme si on l'avait enterré vivant. La claustrophobie d'être figé dans son propre corps... Abominable.

A quel point Émeline pouvait-elle être désemparée et malade en ce moment même ? Être libre de ses mouvements et la seconde d'après, devoir supplier pour un centimètre de confort. Il ne souhaitait cette expérience à personne, mais voilà, Emeline la vivait pour la seconde fois. Et à cause de lui. Comment pourrait-il jamais se pardonner ça ?

- Loth ! fit Nivel plus insistant. Il le secoua sans ménagement jusqu'à ce que ce dernier reprenne ses esprits. C'est bon, relax, on va la retrouver d'accord ? Akim est là, et Jack aussi.

Jack Black était la solution à son problème ou du moins, à l'une d'entre-elle. L'ex-mercenaire était assis sur une chaise, les mains entravées par des menottes mais autrement, il semblait en pleine forme. La dernière fois que Loth l'avait vu, Red lui avait brisé les deux poignets avant de le jeter dans la mer environnant Boréa. Il fut repêché bien sûr, puis confié en tant que prisonnier aux Usuriers de Zaun et à leur chef Rajaadh Akim "Le Fournisseur" . Dans les yeux de Black, toute la haine du monde qu'il vouait à Loth et à Red. Un mauvais perdant en somme se dit le Binoclard en prenant place juste en face de son ancien ennemi. Une lampe à huile suspendue au plafond juste au-dessus de leurs têtes les auréolait d'une lumière jaune de forme conique.

- Je requiers tes services, Black, énonça Loth d'un ton claire et limpide bien qu'intérieurement tiraillé entre envie de torture et de massacre pur.

- Yah. Et moi, j'veux mon thé et ma liberté. Mais on peut pas tout avoir, n'est-ce pas ? répondit-il de sa voix cassée et enrouillée.

- Regarde bien cette photo, Black, continua Loth comme s'il l'avait pas été interrompu. Tu vois cette fille aux longs cheveux tressés en queue de cheval ? C'est mon amie, une très précieuse amie et...

[...]

« Yo mec, Émeline a été kidnappée ! »
Cette introduction de Dena' tambourinait encore en lui. Il se revoyait encore, lisant pépère son journal dans la chapelle du cimetière de Brinborian à Boréa quand son indic débarqua pour lui apprendre la nouvelle. Il avait tout d'abord eu un réflexe de déni en suspectant la blague puis s'était ravisé dans la seconde face à la mine alarmée de Denavellion. Émeline, enlevée ? Par qui ? Pourquoi ? Comment ? Quand ? Mille questions explosèrent tout d'un coup dans sa tête et elles trouvèrent toutes un seul coupable. Ashura, Lavoisier.

Il ne pouvait en être autrement se convainquit Loth sur le chemin qui le mena au lieu du sinistre. De la plus grande organisation de contrebande de Dance Powder des blues, il ne restait que la tête, Lavoisier. En neuf mois, les assauts répétés du Binoclard avaient fini de désintégrer cette machinerie bien huilée qui échappait aux autorités depuis quinze années. Lavoisier tenta à plusieurs reprises de l'éliminer, sans succès. D'une de ses tentatives était né le nouveau surnom de Loth : "Le Moine Hérétique". Alors qu'il ait pu s'en prendre à Émeline coulait de source. Bien que rien ne reliait directement la jeune femme à Loth, bien qu'elle s'assurait d'effacer les traces de leurs rencontres, nul n'était à l'abri d'une erreur et Lavoisier aurait pu savoir qu’Émeline Reus était la première chargée d'affaire de Loth, celle qu'il envoyait négocier en son nom et conclure des contrats.

Et pourtant, il déchanta vite quand le bateau les emmena loin des eaux territoriales de Boréa, hors de vue des icebergs, sur une île aux airs tropicales. Six heures de voile furent nécessaires pour l'atteindre. « N’sommes sur Holiday Isle » avant énoncé Dena' quand Loth posa un pied sur une plage de sable blanc très fin. Au loin, une furieuse agitation semblait régner. « Tu préfères qu'on ne n'voit pas ensemble non ? Alors va et découvre c'qui lui est arrivé ! »
Pour la sécurité de leurs affaires, Dena' restait toujours en retrait, il était plutôt connu dans le milieu. Sans se faire prier, Loth s'était avancé vers le cœur de l'ile et se retrouva face à un cordon de sécurité tendu par des Marines. La zone interdite aux civils était immense et semblait rassembler le gros du seul village de l'île. Malgré la foule qui s'était agglutiné autour des bandes, on constatait qu'il s'était passé quelque chose de violent. Beaucoup de maisons éventrées, des étables et des ustensiles par terre, un capharnaüm intégral.

- Salut, soldat.

- Vous ne pouvez pas entrer, c'est une scène de crime. Si vous avez perdu quelqu'un dans le raid, adressez à notre service d'aide aux familles des victimes, là-bas, sous le cocotier. Vous devez faire la queue.

- Ça ne sera pas nécessaire, je n'ai perdu personne. Je suis Loth Reich, un détective privé. Et j'entends vous aider dans cette affaire.

- Le "Loth Reich" ? Celui de Boréa et récemment de Bliss ? Ah ouais, c'est vous, je vous ai vu dans les journaux !

- Merci. Puis-je parler à celui qui dirige cette enquête ? Je ne demande aucune rémunération, juste apporter mon aide.

Sans délai, il fut introduit auprès d'un vieux Commodore dirigeant la flotte du G-6 dans cette zone maritime. Il accueillit Loth avec sympathie et le laissa examiner les lieux avec lui. Les dernières affaires à Bliss lui avaient octroyé une renommée sur les quatre Blues et c'était agréable de voir ouvrir des portes justes en mentionnant son nom. Bien qu'il eût préféré des situations plus glorieuses. « On dénombre cinquante-trois personnes enlevées, donc quinze femmes » l'informa le Commodore. « C'est en soi un miracle qu'il y ait eu si peu de kidnappés, rendez-vous compte qu'il y a encore moins de douze heures, ce village accueillait cinq cents personnes ! »

La "fête des fruits", avait-on répondu à Loth quand il demanda en quelle honneur autant de gens d'horizons divers s'étaient rassemblés là. « Mais que faisait Émeline dans un coin comme celui-ci ? » s'était martelé Loth en cherchant des indices. Quand elle l'avait quitté, elle lui avait simplement dit "aller se promener". Grosse promenade que c'était selon toute évidence, à six heures de Boréa. « Les esclavagistes ont planifié leur coup mais la présence de nos croiseurs dans les eaux a dû les inquiéter, c'est pour ça qu'ils ont juste fait un raid de quelques minutes puis se sont retirés. Nous les avons manqué de peu, vraiment ! »
Les opérations de ce genre s'étaient faites légions dans cette partie de North Blue depuis un moment déjà, Loth était au fait de la situation. Cinq autres îles avaient subi un sort semblable et on avait répertorié plusieurs villages côtiers razziés et des centaines de personnes enlevées. A défaut de preuves, la marine hypothétisait sur des pirates esclavagistes dont elle n'avait pas encore trouvé le moindre nom. Fadaises que tout cela, Loth lui connaissait bien les coupables et maintenant qu'ils avaient touché à son ami, le Moine Hérétique corrompu par une noire et froide colère depuis quelques heures s'imaginait le leur faire payer de la pire manière que ce soit.
« Je les exterminerai tous... Je les enterrerai jusqu'au dernier... » s'était-il surpris à penser.

- Ici, Commodore, nous avons trouvé une bannière ! avait gueulé un Marine, arrachant Loth à ses sombres pensées.

Étendu sur le sol, un noir étendard qui déclencha une série de remous intérieurs dans les entrailles du Binoclard. Ce n'était pas l'emblème des fautifs. C'était le sien, celui sur lequel Émeline, Dena' et lui s'étaient mis d'accord après d'âpres discussions. Ce logo devait blasonner l'étendard de Shadow Law, la première organisation criminelle montée par les soins du Moine Hérétique.



Était-ce ça la raison de la venue d'Emeline sur Holiday Isle ? S'y était-elle rendue en quête d'un artiste susceptible de matérialiser à la perfection les détails du logo qu'ils avaient choisi ?

- C'est bien ce que nous pensions, un drapeau pirate ! s'était exclamé le Commodore.

- Je connais ce drapeau, ce sont les pirates de Shadow Law, leur dit Loth. Ils viennent tout juste de débuter mais sont très teigneux. Du moins, c'est comme ça qu'ils se sont présentés à un ami pêcheur quand ils ont enlevé sa fille sous ses yeux le laissant là pour raconter l'histoire...

[...]

- La Marine continuera de mettre tous ces rapts sur le dos de Shadow Law, ce qui n'est pas plus mal, reprit Loth en s'arrachant à ce flot de souvenirs. Devant lui, Jack Black affichait un sourire en coin. Mais toi et moi, savons qu'Emeline et les autres ont été enlevés par le clan Burn de Carcinomia. Et c'est pour ça que je suis venu à toi.

- Yah, yah, parce que je suis le seul ressortissant de Carci' ici ? Parce que t'as besoin de moi pour te rendre dans ma patrie sous-marine ?

- Non, pour ça, les Usuriers font déjà affaire avec Carci', ils connaissent le chemin.

- Donc pourquoi, tu viens déranger ma tranquillité ? J'étais en plein milieu d'un truc important !

VLAM !
Nivel avait craqué. Son coup de pied gifla le sourire sarcastique de Jack qui l'importunait depuis le début de la conversation. Le prisonnier vola de sa chaine et percuta le mur en bois dur, tête la première. Après une plainte de douleur, il se releva visiblement sonné mais fier d'avoir exposé la colère de ses interlocuteurs.  

- Encore un commentaire plein de sarcasme et petit dégueulasse bonhomme, je te pulvérise ! menaça l'anarchiste roux de sa voix pincée.  

- Et qui utiliseriez-vous après pour, pour ?

- Pour forger une alliance avec le clan Darkness dont tu étais l'ancien chef. Depuis six mois que tu as été défait, ils ont dû s'en trouver un autre. Nivel et toi irez à Carci' et tenterez de rallier les faveurs des Darkness.

- Une alliance ? Pourquoi faire ? demanda Black sincèrement incrédule. Je croyais que tu voulais retrouver ta copine enlevée ? Les Burns sont des marchands avant tout. Va là-bas, propose leur un prix pour ta meuf et rachète la, point barre.

- Je la rachèterai, répondit Loth en se levant.

La lumière de la lampe suspendue se réfléchit sur ses lunettes les rendant sulfureuses et jaunâtres. « Je compte bien la racheter, crois-moi, » pensa-t-il férocement. « Je la rachèterai, avec le feu et le sang. »




Dernière édition par Loth Reich le Mar 5 Avr 2016 - 21:04, édité 1 fois
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Loth
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Sur les talons d'Akim, le Moine se dirigea vers les immenses installations de la zone portuaire. Zaun n'en avait qu'un de port, un endroit sensible assurément, défendu par une puissante milice et des systèmes d'armes automatisées puisés dans les derniers cris des technologies de défense de l'île. Zaun était sans doute la plus avancée des îles de North Blue en matière de technologies de pointes et cela leur avait d'ailleurs énormément coûté. La lumière du soleil pour commencer, pensa Loth qui regarda machinalement vers les cieux. Au-dessus des humains flottait un épais nuage de pollution qui obstruait les rayons de l'astre du jour et enfermait l'île dans un étau de serre. Parfois, il en tombait même des pluies acides et de méthane dans ce pays. Un fort prix à payer et une leçon à tirer de la mécanisation incontrôlée.

Tout au long de leur chemin, ils en croisèrent beaucoup dans ces ruelles et dédales qui tentèrent de les attaquer. La loi du plus fort était la seule que connaissaient les Zaunards et le gouvernement en place ne l'encourageait que trop bien. On attaquait pour de multiples raisons, aussi bien pour un mauvais coup d’œil que pour vous dérober un médaillon en or. Si à sa première venue on tenta de le brutaliser, aujourd'hui plus personne ne s'y risquait. Il n'était pas spécialement connu à Zaun mais Akim si, et la Guilde des Usuriers avait pignon sur rue. Et pourtant, Loth donnerait beaucoup pour être attaqué, pour réduire en charpie un parfait inconnu, histoire de déverser toute la colère corrosive qui rongeait son âme. Il n'était plus maître de lui depuis longtemps et avait abandonné l'idée de reprendre contenance et de discipliner son esprit comme il savait si bien le faire. Il n'était pas non plus sans ignorer que son état émotionnel le rendait incapable de prédire et de prévoir des coups d'avances, mais il n'en était pas inquiet pour autant. Au contraire.

- Loth, voici Malfada Kripke.

Un immense entrepôt sur les berges abritait une femme recouverte de plaques de métal moulées en grève, genouillères et gantelets. Excentriquement, ces plaques recouvraient aussi les papilles mammaires de ses seins dénudés. De droite à gauche, elle balançait ses cheveux bruns attachés en catogan comme pour chasser une mouche particulièrement inconvenante. Loth comprit plus tard qu'elle massait son cou encagé dans d'autres plaques de métal. Les cyborgs devaient être plus nombreux à Zaun que ceux qui avaient gardé leur pureté biologique.

- Je suis Maldafa Kripke. Et toi tu es Loth, c'est ça ? Le Chien de Givre ?

- Pardon ? C'est un surnom ?

- Oui, beaucoup de l'underground t'ont surnommé ainsi. Le gentil toutou du roi de Boréa et plus récemment, on dit que tu as vendu ta culotte à Bliss aussi.

- Et ben, je savais pas que j'étais aussi connu, mais tant mieux. Je préfère qu'on parle de moi en ces termes que pas du tout.

- Je vois, tu es le genre à préférer être mal accompagné que seul, hein. Je me disais bien que je t'aimerais toi ! Mais assez blablaté, vous voulez voir mon bébé ?

- Ouais, c'est pour ça qu'on est là.

Sur un signe de la dame, des pans de mur amovibles s'écartèrent en grinçant et révélèrent une jetée qui partait de l’entrepôt et s'enfonçait dans la mer. Ancrée tout près du quai, il y avait ce que Loth et Akim étaient venus chercher. Un submersible. A vue d’œil, la créature devait mesurer quinze mètres de long pour moitié moins de haut et arborait une altière forme cylindrique. Le sous-marin en imposait, rien à dire et qui plus est, il semblait taillé pour la vitesse. Exactement ce que requérait Loth.

Des pas se firent entendre et annoncèrent Denavellion, l'indic de l'underground, un homme comme Loth n'en possédait pas deux. Le meilleur en renseignement de tout North Blue et même des quatre Blues, le Moine en aurait donné sa main droite à couper. Parce qu'il était gaucher. Déna et lui travaillaient ensemble depuis trois ans déjà et s'était forgé entre les deux hommes une solide amitié cimentée par les millions de Berry qu'ils avaient amassé ensemble.

- Oh belle bête ! s'écria-t-il en lorgnant le sous-marin. C'combien, miss Hopkrik ?

- Parce que je te connais, en plus d'Akim, je le ferai à cent dix briques pour notre ami Loth.

- Vous plaisantez, j'espère ?

- Il faut un équipage maximum de cinq personnes pour bien le piloter, mais trois sont aussi suffisant si tu éjectes les mécanos de bord. En plus, il peut accueillir sept zèbres supplémentaires pour un total de douze. Il fend les flots à treize nœuds. Tu ne trouveras pas de sous-marin plus rapide sur North Blue, je t'assure.

- C'est parce que nous voulons de la qualité que je me suis adressé à vous, mais ce prix est au-dessus de mes moyens actuels.

- Tu sais que ce n'est pas construit ici et que ça provient de Grand Line en pièces détachées que mes hommes et moi réassemblent ?

- Et vous voulez me faire payer les coûts de déplacement ou quoi ? Voici tout ce que j'ai, dit-il en faisant signe à Dena qui déposa aux pieds de la cyborg deux mallettes en cuir noir. Quatre-vingt millions de Berry, cash.

- Ah non, cent millions, c'est mon dernier mot !

- Je n'ai pas vingt millions supplémentaires, je vous assure. Je ne vous demande pas de la pitié mais ce submersible ne faisait pas partie de mes projets de dépense, il y a vingt-quatre heures. C'est parce que c'est une nécessité absolue. J'en ai besoin pour sauver une amie. "Chien de Givre", m'avez-vous appelez non ? Et bien le chien est fidèle et je saurai vous être reconnaissant, dans le futur. Sûrement vous êtes-vous demandé pourquoi quelqu'un comme moi trainait ici ?

- Pas vraiment, je sais que t'étais un protégé du Gila.

- Alors prenez ça pour acquis et demandez-vous ceci. Si j'arrive en quelque mois à démanteler une organisation que nul n'a jamais mis à genou en quinze ans, que pourrais-je faire d'autre dans ce monde ? De quelle largesse saurais-je être capable pour mes amis ? Et surtout, de quelle cruauté damnerais-je mes ennemis ? Laissez-moi repartir avec cet appareil et dans moins d'une semaine, vous aurez la réponse à la deuxième interrogation et là, je vous garantis que vous serez contente d'être mon amie.

- Dans ce monde, Loth Reich, reprit-elle après quelques minutes à soutenir et à lire dans les prunelles du Moine, il est très peu de choses aussi sûres que la mort. Ne meurs pas avant de m'avoir comblée des joies de ton amitié.

- Vous ne regretterez pas ce choix, répondit-il en serrant la main gantée d'acier qui lui était tendue.

- Je t'offre aussi l'équipage jusqu'à la formation du tien. Amusez-vous bien les garçons.

Entourée de ses hommes, elle quitta l'entrepôt laissant Loth seul avec Dena et Akim. Sur le quai attendait l'équipage du submersible habillé d'un bleu de travail. Sous leurs yeux écarquillés, débarquèrent quelques minutes plus tard une colonne d'hommes habillés de noirs, en costard cravate pour la plus part. Ils marchèrent au pas puis s’immobilisèrent en plusieurs rangées bien droites. « Mes hommes, pensa Loth. Les cent hommes que j’ai piqué à Lavoisier et retourné. Ils ne suivent que la loi du gagnant et leur instinct de conservation leur a dit qu'Ashura était fini. C'est pour ça qu'ils me serviront loyalement jusqu'au prochain qui en finira avec moi. Si d'ici là, ils me survivent. »
Il les avait nommé "les Fumiers" et décidé de faire d'eux une unité d'assaut et de frappe, le bras armé de sa future organisation en somme. A cet effet, ils furent rudement entrainés par Nivel et la tueuse androgyne Avada Kedavra. Leur premier théâtre de déploiement sera Carcinomia.  

- Maintenant, c'est quoi le plan ? Tu vas faire quoi avec tous ces hommes ?

- Les Fumiers sont l'armée de Shadow Law, normal qu'il la défende quand elle est attaquée. Leur chef se nomme Nox et il est en route depuis Luvneel. Le plan c'est qu’ils devront tous venir à Carcinomia.

- Je te demande encore d'y réfléchir une dernière fois. Ton amie, tu peux la récupérer en la rachetant comme conseillé par Black. Déclencher des hostilités là-bas...

- Ça se passera mal Akim, pour eux. Et surtout, j'ai besoin d'envoyer un message maintenant que Shadow Law va prendre son essor. Sur les cadavres des Burn je hisserai mon étendard pour qu'à l'avenir, tout le monde dans l'underground respecte mes hommes. N'as-tu pas entendu comment elle m'a appelé ? Le chien de Givre. Un chien. J'ai hâte de leur montrer que ça a des dents.

- Alors que que tes dieux soient avec toi. Mais je n'ai qu'un sous-marin de dispo et il ne peut embarquer que quinze personnes. Avec le tien qui reviendra ici après vous avoir déposé Dena et toi, je pense qu'en quatre voyages, tes cent hommes seront sur Carci'. Mais autant de personnes qui débarquent le même jour, ça va forcément être repéré.

- Merci, Akim. Laisse-moi gérer le coté infiltration ou déguisement. Sois-juste prêt à les faire convoyer quand je te donnerai le signal.

- Et si on causait de tes intérêts là-dedans ? dit Dena'.

- Mon intérêt est d'abord que Loth revienne en vie. Mais ensuite, en échange du transport en sous-marin de tes hommes, je ne te demande qu'une chose, des plants de Vyper.

- C'est quoi ?

- Selon les rumeurs, ce serait la plante dont la résine donnerait le Venner. Tu sais, cette drogue qui fait ravage sur North Blue et qui rend les dents super blanches.

- J'en ai entendu parler. Tu veux te lancer dans la drogue, Akim ?

- Nan. Un ami bactériologiste a découvert de puissants principes antibiotiques dans le Venner. Mais juste en quantité infinitésimale, à cause des différents produits qui ont servi à couper la résine. Il pense que la plante elle-même doit être un peu le One Piece en matière de pharmacologie/bactériologie et il est prêt à débourser beaucoup de millions pour l'étudier. Énormément de millions.

- Hahaha ! Mais tu fais du commerce avec Carci', d'puis l'temps tu n'as pas mis la patte d'ssus ?

- T'imagines bien que c'est pas aussi facile. Le Vyper ne pousse que sous certaines conditions sine qua none que seul le clan Oméga maitrise. Il pousse dans leur jardin secret, hyper protégé. Mais avec ce que prévoit Loth, la situation risque d'être assez instable pour vous permettre de faucher quelques plants, je pense. En fait, ce n'est pas tant que je vous envoie chercher l'impossible en guise de contrepartie à mon aide. Pour ça, on pourra toujours s'arranger. Je t’achèterais les pousses de Vyper si tu arrives à en dégoter. Mais si c'est trop dangereux, oublie.

- Tu auras tes plantes. Sur combien table-t-on ?

- Dix plants pour 30 millions de Berry.

- Ah ouais, tes bénéfices doivent être exoorrrb' pour lui filer tant !  

- Donc, si j'amène plus vingt plants, je touche 60 millions ?

- Ouais, ainsi de suite.

- Alors c'est cool, j'aurais de quoi payer Dena' et les autres si je mets la main sur cette plante.

- Hein ? T'as pas besoin d'me payer mec, on va sauver une amie commune. Tout n'est pas question d'fric dans la vie hein !

- Que la chance soit avec vous les amis.

- On en aura besoin, murmura Loth en décrochant son escargophone.

___ ___ ___


- Oui ? C'est sécurisé de ton côté ?

- Oui.

- Alors parle.

- Je suis à Zaun. Eme' a été enlevée et emmenée à Carci par les Burn.

- Quand ça ?

- Dans la nuit d'hier à aujourd'hui, surement. Carcinomia, je suppose que tu connais non ?

- Oui.

- Sur une échelle de 1 à 10 ?

- Huit, je dirais.

- Alors c'est parfait. Je suis dans l'incapacité de peaufiner un plan viable.

- Et pourquoi cela ? Attends, inutile de répondre.

- Ça me touche trop émotionnellement, je n'arrive pas à faire la part des choses ou à tempérer mes envies de meurtres. Je pourrai toujours improviser, j'ai appris à prospérer sur le chaos mais c'est d'un plan dont j'ai besoin avant tout. L'improvisation viendra après. Donc, je te demande de m'établir un scénario contrôlé.

- Ce n'est pas ton domaine ça plutôt ?

- Pas autant que toi, tu l'as élevé au rang d'art. Je compte sur toi, Aella.

- Quels sont tes objectifs ?

- Récupérer Eme', exterminer les Burn.

- Pardon ?

- Je n'aime pas me répéter. Je veux envoyer un message tout simple : "Pas touche à Shadow Law".

- C'est dément, mais soit. Tu as des pions, des atouts ?

- Je tiens Jack Black le précédent chef du clan Darkness; Dena' a une amie là-bas du nom de Louli qui nous servira de guide; j'ai nos cent hommes que je dois faire accoster en trouvant une excuse valable sans déclencher des soupçons et il y a Nivel et ses deux élèves. Ah, j'allais oublier, côté objectif, je dois également aller voler des plantes sur le territoire du clan Oméga.  

- Jack Black, tu l'as dans tes bottes ? Il est fiable ?

- Non. C'est un pion sacrifiable.

- Tant mieux. Donne-moi une heure pour peaufiner un plan et je te rappelle. Mais d'ores-et-déjà, demande à Akim s'il a les moyens de te trouver une souche de la Rosécaille ou de la Emdéaire.

- La Rosécaille ou la Emdéaire ? Ce sont des maladies du passé ça...

- Toutes éradiquées il y a plus de deux cent ans. Mais certains laboratoires conservent des souches pour étude. Je sais que le département virologie de Zaun est très en pointe dans ce domaine. Voyez si vous pouvez vous procurer l'une ou l'autre de ces souches.  

- Pourquoi ai-je l'impression que je vais regretter de t'impliquer là-dedans ?

- Seul un imbécile profère des menaces qu'il n'est pas prêt d'exécuter. Un certain binoclard m'a dit ça un jour.

- Il devait me ressembler...

- Tu veux faire un massacre ? Alors laisse-moi t'aiguiller sur ce chemin.

Aella Madoff raccrocha et Loth se mit à sourire sans en avoir conscience. Dernière en date de ses recrues dans sa cabale contre le Réseau Ashura, Madoff qu'on surnommait aussi Zéro était l'un des esprits les plus brillants que le Moine eût jamais croisé de son existence. Ex-N°2 du Réseau, la jeune femme était une mathématicienne de génie mais surtout elle avait un talent incomparable en structuration des organisations. Si Ashura avait pu s'étendre de North à South Blue, c'était intégralement son œuvre. Loth avait dû se mettre en tandem avec un autre limier plus doué que lui, l'ex-colonel de la 19e Division des Marines de Bliss, Arsène Dickson pour pouvoir démêler les toiles d'Ashura sur South Blue et mettre au jour le plus impressionnant réseau de blanchiment d'argent de cette Blue. Aella était une illusionniste qui pendant quinze années avait intégré les rouages d'Ashura dans la vie économique de Bliss sans que nul ne se doutât de rien. Et au terme d'une série d'enquête très éprouvante, Loth avait réussi à la recruter. Aujourd'hui, elle sera sa torche dans les ténèbres, sa propre lumière étant obscurcie par la rage.

___ ___ ___


Zéro rappela une heure plus tard et explicita les bases de son plan à Loth. Ce n'était pas un scénario contrôlé comme il s'y attendait mais un scénario adaptatif, ce qui en soit était sans doute mieux dans un environnement qu'il ne connaissait pas.
Grâce à l'ami d'Akim qui désirait les plants de Vyper, ils eurent leurs accès au département virologie de l’hôpital Ord Mantell puis à une souche scellée en seringue de la Emdéaire. Après avoir fignolé les derniers détails avec Nivel, ils quittèrent Zaun.  

Dena' sur ses pas, ils s'engouffrèrent via une échelle dans les entrailles du sous-marin. Un bel animal que Loth aurait inspecté avec plus de minutie en temps normal. En temps normal, il n'aurait même pas pensé à acquérir un submersible, se corrigea-t-il. Peut-être le vendrait-il à la fin de toute cette épreuve. L'intérieur était exigu comme il s'y attendait mais le luxe était le dernier de ses soucis. Il s'installa dans le cockpit, dans une chaise plutôt moelleuse. Les cinq membres d'équipages se hâtèrent autour de consoles et de boutons puis soudainement, le capitaine, un homme d'âge mur au teint mat doté d'une barbe en bouc se tourna vers Loth.

- Ça porte malheur d'naviguer sans d'nom au bébé, 'sieur. Donnez-lui son nom.

- Quoi, il n'a pas de nom ? Il naviguait bien avant non ?

- Nan, juste pour les tests. Z'êtes son vrai premier proprio.

- Ben dans ce cas... susurra-t-il les yeux fixés sur un énorme gyrophare rouge juste au-dessus de la tête du capitaine. Il devait se déclencher dès que la procédure d'immersion s'entamait pensa Loth. Appelons-le... Antarès ! C'est le nom d'une étoile, la plus brillante de la constellation du scorpion, visible dans le ciel septentrional. C'est une très vieille étoile en fin de vie qui représente la démesure et la puissance. Nous n'en aurons que trop besoin durant cette mission.

- Alors qu'les dieux d'la mer nous soient favorables. Longue vie, Antarès !

- Longue vie ! répétèrent-ils tous en chœur pendant que le gyrophare s'allumait.

Grâce à la baie vitrée en face du cockpit, Loth put admirer cette descente sous les eaux du port de Zaun puis progressivement serpentèrent-ils loin de l'île et s’enfoncèrent dans les abysses de North Blue. Quelque part, à près de trois milles marins sous la mer, Émeline étaient prisonnière et toutes les pensées de Loth étaient tournées vers elle. « Persévère encore quelques heures, nous serons bientôt ensemble. Pour toi, je ferai du territoire des Burn, le plus grand brasier que North Blue ait jamais vu ! » pensa-t-il avec force, indifférent à la beauté sous-marine qui défilait par-delà le hublot.

L'Antarès


Dernière édition par Loth Reich le Sam 2 Avr 2016 - 3:13, édité 1 fois
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Un quart d'heure avant le départ de Loth...

Jonathan Nivel, "L'anarchiste"

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- Attends, Poil de carotte ! J'ai bien compris ce que veut faire ton pote bigleux ? Il veut déclarer la guerre aux Burn pour avoir enlevé sa copine ?

- C'est pas sa copine.

- Ouais, chipote pas, t'as pigé. Il veut aller la récupérer par la force ?

- Pas seulement la récupérer mais faire payer ses ravisseurs.

- C'est d'un démentiel ! J'le pensais fou de s'attaquer à Ashura mais pas au point d'projeter d'aller à Carci' s'en prendre à la famille la plus sauvage d'l'île. Et il espère que j'vais vous aider dans ce suicide ? Que l'clan Darkness va vous aider ? Houahouahoua ! acheva-t-il sur un rire aux airs d'aboiements.

- Oh ils vont le faire.

- Tu nous connais mal tête d'roux. Qu'est-ce qui t'rend si sûr d'toi ?

- Parce que tu vas leur dire de le faire, toi le précédent chef de clan.

- Et qu'est-ce que j'gagne dedans ? Pourquoi je vous aiderai alors que j'suis retenu prisonnier depuis six mois ?

- Ça c'est une bonne question, répondit Nivel avec un sourire plein de malveillance qui frigorifia Black sur sa chaise. La réputation du Niveleur de Las Camp était fameuse.

Dans la pièce entra une jeune femme drapée dans une bouse blanche. Quand elle sortit une seringue de sa poche, Black cogita sur son siège mais ses entraves étaient trop solides. Avec la minutie d'un bourreau, elle planta l'aiguille dans son bras et y injecta le liquide pourpre qu'il contenait. Elle ressortit sans piper mot pendant que son patient hurlait des imprécations, fou de colère et horrifié.

- Par les enfers, enfoiré ! Qu'est-ce que tu m'as fait faire ?! beugla-t-il en postillonnant abondamment.

- As-tu déjà entendu parler de la Emdéaire ? (Aussi abréviée MDR)
Non ? Et bien, je te fais le topo,
fit-il lentement, se délectant de chaque seconde. C'est une pandémie apparue il y a deux cent ans et poussières dans la zone sud de West Blue. Les archives nous informent que le patient zéro a sans doute été contaminé en mangeant de la viande de capucin-rieur de l'ouest. Le délai d'incubation de l'agent pathogène est de vingt quatre heures. Tu commenceras par sentir un poussée brusque de chaleur, tu auras l'impression de flotter puis sans savoir pourquoi tu commenceras à te marrer. Une douce folie, un merveilleux délire qui perdurera pendant deux semaines. Tu riras à t'en exploser les poumons. Jack Black, c'est le sort qui t'attends. Littéralement, tu mourras de rire. Et moi, ça me fait déjà marrer, Nininininininini ! acheva-t-il, les larmes aux yeux, en se tenant les côtes.

- TU BLUFFES ! vociféra-t-il.

- Du déni, hein. Malheureusement, je n'ai pas les moyens là de te prouver que j'ai raison. Mais comme tu vas m'accompagner à Carci', tu changeras d'avis à la première montée en flèche de ta température corporelle, Ninini.

- Donc quoi, c'est ça vot'plan pour m'obliger à vous obéir ? M'contaminer avec une salop'rie préhistorique ?

- Ouais, en somme. On sait que tu tiens trop à ta misérable petite vie alors tu vas gentiment suivre nos directives à la lettre sinon, meurs en riant. Je ne m'y habituerai jamais, Loth et Aella sont trop forts, Nininininininini ! Il partit dans un autre fou rire.

- J'... j'pourrai t'contaminer non ? T'as dit que ça avait été une pandémie !

- Transmission par voie sexuelle uniquement. Tu nous crois fou de lâcher un virus viable dans l'air ? Donc mon pote, tu es bien seul dans ta barque. Mais j'ai aussi dit que le virus avait été éradiqué. Donc, il y a un antidote, dit-il en sortant lentement et théâtralement une seringue contenant une solution jaunâtre de son sac en bandoulière.

- DONNE MOI CA !

- Dans tes rêves. Dès que tu nous auras obtenu l'alliance des Darkness, tu seras sauf.

- C'est bon, il est cuisiné ? s'enquit Akim.

- Ouais, il vient de comprendre qu'il a intérêt à nous obéir s'il ne veut pas que sa mort devienne une bonne blague.

- Tant mieux.
 
- Alors, je vais... Bouaaah !

L'uppercut de Loth avait accueilli la fin de sa phrase. Black roula et se tortilla sur le sol, la bouche ensanglantée. Il s'était méchamment mordu la langue. Au-dessus de lui, le Moine Hérétique le tutoyait de son regard impassible bien que ses yeux jetassent des éclairs.

- Écoute moi bien Jack Black. Quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois, j'étais prisonnier sur le bateau de Benjamin Levasseur. Tu m'as dit que j'étais fou et inconscient de m'attaquer à Ashura et que je devais retourner dans mon village jouer aux bandits. Aujourd'hui, d'Ashura, il ne reste que Lavoisier. Et si tu avais raison à cette époque que j'étais fou, alors tu n'imagines même pas le degré de folie qui est mien aujourd'hui. L'équation est simple, vas-tu suivre mes ordres à la lettre, oui ou non ? Je ne marchande pas avec toi, c'est à prendre ou à laisser. Je t'en prie, dis non et tu auras un aperçu de ma sanglante détermination.

Encore étalé sur le sol crasseux, Black soutint le regard de Loth pendant quelques minutes avant de baisser le sien en marmonnant un « D’accord, tout c'que tu veux, tant que j'meure pas... »
L'ignorant par la suite, Loth se tourna vers ses acolytes, Nivel en premier.

- Tu iras à Carcinomia avec cet énergumène et tes Niveleurs. Vous vous rendrez au Roc et tu t'assureras qu'il demande l'appui de son clan pour notre cause. Remets l'antidote à tes élèves si jamais il devait t'arriver quelque chose de fâcheux ou s'il échouait à nous rallier son clan.  

- Quoi ? Non attendez ! L'clan a sûrement un nouveau chef ! J'ne peux pas garantir l'convaincre, j'sais même pas qui s'est !

- Prie pour le salut de ton âme parce que dans ce cas-là, tu ne me serviras plus à rien du tout. Je ne te demande pas l'impossible, juste de persuader les tiens que le clan Burn est un ennemi.

- Mais...

- Akim vous prêtera un sous-marin, ses pilotes connaissent le chemin. Soit sur tes gardes.

- Comme toujours ! Mais n'oublie pas ta promesse.

- Une école de Niveleur, compris. Tu l'auras et quelque chose me dit que Carcinomia serait plus appropriée que Boréa.

Après le départ de Loth et d'Akim, Nivel laissa son prisonnier dans sa cellule et s'aventura sur Zaun. Cette île avait été son refuge après sa fuite du ponton, après que la pègre eût mis sa tête à prix. C'était dans les dédales de Nar Shadaa que Loth lui avait sauvé la vie et avait racheté le contrat d'assassinat sur sa tête auprès de la tueuse à gage Avada "Bob Cat" Kedavra. Depuis, il travaillait avec le Binoclard même s'il n'avait pas été très actif ces derniers temps. Pour démanteler Ashura, Loth avait préféré la collaboration avec les autorités plutôt que les bombes. Mais ce cas-ci était différent. L'ordre était de se déchainer et de massacrer du Burn sans réserve.

Le Moine Hérétique était hors de lui. Il prenait plus de risques que d'habitude, se dit Nivel en empruntant une venelle sinueuse. Aussi apathique que pouvait l'être Loth, il y avait finalement quelque chose qui le faisait sortir de ses gongs. L'esclavagisme... Son passé dans les geôles du Conclave ne pouvait qu'aisément expliquer son état de fureur silencieuse. Il voulait éviter à son amie de vivre les mêmes horreurs que lui et ça, Nivel ne le comprenait que trop bien. Le ponton de Las Camp n'était pas loin de l'état d'esclave...

Cependant, Jack Black avait raison. S'attaquer aux Burn relevait de la folie furieuse, déjà pour la simple raison que Carcinomia leur était inconnue. Bien sûr, ils avaient des infos sur l'île mais cela ne valait pas l'expérience et le vécu. Déclencher une guerre en terrain inconnu... Voilà qui satisfait l'anarchiste qu'était Jonathan Nivel. Il voulait aider son ami mais il ne perdait pas de vue son véritable objectif. Une école de Niveleurs... Le rêve absolu.

Dans la petite maison en bordure de falaise qui se dressait devant lui, deux de ses élèves l'attendaient. L'un faisait partie de ses tous premiers disciples sur Las Camp. A contrario de lui même, Sam Tex avait réussi à échapper au Ponton et avait roulé sa bosse dans d'autres contrées, s'étant fait remarquer puis primé à trois millions de Berry. Nivel en était particulièrement fier.

Quant à l'autre, l'artificier frissonna rien qu'à l'idée de l'emmener avec lui. Adria était une catastrophe ambulante, ayant deux pieds gauches et deux mains gauches. Sûrement même un cerveau tout gauche. Malgré tout, elle lui était chère en sa qualité de sa première et seule élève depuis le début de sa collaboration avec Loth. Il lui fallait un baptême du feu et bien que Carcinomia risquât d'être un enfer, le Moine avait tenu à ce qu'il l’emmène. A son grand plaisir.

- Hey, apprêtez-vous les enfants, leur dit-il, nous allons à mille lieues sous North Blue, au Pays Caché du Rocher !

- Yoouuuupiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Alors c'est décidé maître ? On s'en tient au plan ?

- Oui, Adria, nous y vendrons le Nivellement !

Spoiler:
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Septembre 1626
North Blue
Carcinomia
 
Nivel
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Le Scylla, c'était le nom du submersible que leur avait prêté Akim. Un vieux coucou des mers à la coque tellement rouillée que sa couleur d'origine leur était inconnue. Si le matériel semblait vétuste, l'équipage quant à lui devait effectuer son deux millième voyage entre Zaun et Carcinomia, aussi l'anarchiste se détendit-il à cette idée. Le paramètre humain semblait excellent et il espérait que cela suffise pour combler les lacunes apparentes du matériel. Il avait pris place à l’intérieur sur des sièges baquets munis de trois ceintures. Selon le capitaine, un vieil homme édenté, ça risquait de secouer très fort une fois qu'ils seraient pris dans La Randonnée.
« Et c'est quoi cette Randonnée ? » avait demandé Nivel pour meubler la conversation. Il savait que c'était un courant marin, et selon les dires intégralement composé de bulles et d'écumes. Ce courant louvoyait dans les profondeurs de North Blue, à des milles sous la surface. Pour se rendre à Carcinomia, il n'y avait qu'un seul moyen, repérer et se laisser porter par La Randonnée.

Histoire d'étudier plus attentivement la géopolitique, il déroula une carte de Carcinomia faite par les Usuriers. A côté de lui, un Jack Black amer et libre de ses mouvements le lorgnait de ses yeux malveillants. De temps à autre, il passait une main sur son bras piqué au grand contentement de Nivel. Son pire cauchemar serait de commencer à rire et cette hantise était renforcée par le fait que l'anarchiste n'avait apparemment pas sur lui l'antidote. Black savait qu'il l'avait confié à des sous-fifres dont il ignorait les visages. Déguisés en mécanicien de bord, Sam Tex et Adria s'étaient fondus dans l'équipage du Scylla et débarqueraient après eux, tout en les suivant à la trace à l'insu de Black.

Carcinomia

- Nous y voilà, le pays caché du Rocher, marmonna l'anarchiste roux. A la surface, Carcinomia n'est qu'un rocher effondré, vestige d'une montagne marine qui s'est affaissée des siècles plus tôt.

- Tu révises ta géographie ? Tu veux donner des cours ?

- Je veux savoir où je mets les pieds et c'est toi l'expert alors ne te fait prier. Parlons géopolitique, que je sache ce qui m'attend.

- Genre vous n'aviez rien prévu du tout ? Aucun plan ? Aucune reconnaissance ?

- Non, juste des concepts généraux. On va improviser.

- Une guerre improvisée ? répéta Black totalement hébété. Vous êtes fous et stupides ma parole !

- Insulte-nous tant que tu voudras, mais fais-moi un exposé quand même. Je sais que La Randonnée nous mènera directement sur le lac Azur. L'eau qui vaut de l'or, n'est-ce pas ?

- Hmph... Ouais, c'est la seule retenue d'eau d'l'île. Carci' est à des kilomètres sous la flotte, sur un plateau rocheux qui s'situe en fait au fond d'un volcan sous-marin. Quand l'cratère du volcan à la surface s'est effondrée, la population a fait avec et aux termes d'une longue guerre civile, l'territoire s'est partagé en cinq secteurs contrôlés par les cinq clans majeurs. Le Secteur 1 appelé Palafitte est dirigé par le clan Wave. C'est le secteur en café sur la carte.

- Il entoure tout le littoral. Les Wave ont donc l'accès exclusif à l'eau ?

- Ouais et ils sont très enviés pour ça. Ils taxent toute activité sur le lac et en tirent une grande richesse. Y a trois ports sur le littoral qui permet de joindre rapidement les autres secteurs. Le clan Darkness dirige le Roc, le plus grand et le plus peuplé des Secteur de Carci'. La Jungle est dirigée par le clan Oméga, le Secteur 3 nommé Virus est dirigé par le Clan Avast. Je suppose que c'est le Secteur 4 qui vous intéresse, Favela, dirigé par le clan Burn qui a le monopole sur le commerce d'esclave.

- Tu étais le chef du clan Darkness, on dit que vous avez la plus puissante armée.

- C'est pas faux, mais l'prestige n'se vérifie qu'en temps d'guerre. Et depuis des siècles, personne n'a envie d'une guerre civile à Carci'.

- Nous si et tu vas nous y aider, sinon, "hahahahaha !" Et après les corbeaux se repaitront de ta chair ! menaça Nivel avec un sourire sadique. Tu entreras dans le livre des records en tant que dernière victime d'une pandémie disparue y a deux siècles.

- Silence derrière ! ordonna le capitaine. J'ai trouvé La Randonnée, accrochez-vous et vous ne serez que légèrement blessé !

- Donc on va être blessé quoi qu'il se passe ? Whooooooh !

Soudainement, Nivel fut balloté de gauche à droite. Black, à ses côtés, subit la même trajectoire et leurs têtes entrèrent violemment en collision. Des étoiles défilèrent sous les yeux du roux. Il fut pris d'une puissante envie de rendre son déjeuner mais se retint. Dans l'habitacle tout dansait le swing. Les baquets boulonnées sur leurs supports tanguèrent et grincèrent de manière si inquiétante que l'anarchiste se voyait déjà arraché de son siège et propulsé contre une des machineries en face lui. Mais contrairement à Jack et lui, l'équipage semblait rodé à ces secousses et Nivel fut bien content de les voir décontractés, certains se tenant même debout ajustant des pistons de pressions ici et là. Parfois, un compteur ou une tuyauterie explosait en émettant un sifflement aigu ou en relâchant une langue de fumée. L'équipage veillait au grain et réparait ce qui devait l'être avec le même détachement. L'intérieur fut bientôt saturé d'odeur de vieille huile, de rouille et de métal en fusion. Ses élèves étaient hors de vue, sûrement à se cramponner eux aussi, de l'autre côté de ces satanées machines qui encombraient l'habitacle mais veillaient au fonctionnement du Scylla, pensa Nivel.

- Plus... jamais... ça ! marmonna-t-il, les jambes flageolantes, le teint exsangue quand il toucha enfin de la terre ferme. Il se précipita vers une jetée, s'accroupit et vomit de tout son soûl.

- Bienvenue à Carcinomia, vous êtes au Port 3, port d'attache pour tous ceux qui souhaitent se rendre au Roc ou dans les quartiers Est de Palafitte.

- Au Roc, répondit Nivel en revenant aux affaires. Mais avant, je ne dirai pas non à une taverne, me faut un remontant. Horrible cette Randonnée !

- Vous trouverez une auberge, Le Kraken, à cinq cents mètres en dehors de la zone portuaire, répondit d'une voix monocorde le garde-côte qui se chargeait d'eux. Mais je dois vous demander les motifs de votre visite. Commerce ou Guerre ?

- Quoi ?

- Commerce, répondit Black.

- Il me semble vous avoir déjà vu quelque part, monsieur. Êtes-vous un fréquent client ?

- Je suis venu deux fois, mais c'était il y a dix ans, vous devez faire erreur sur la personne, répondit Black à qui on avait teint les cheveux en noir de jais puis coupé court. On l'avait aussi affublé d'une barbe en collier pour le déguiser. Et pourtant...

- Bon dans ce cas... Le parking pour un sous-marin de cette taille...

- On repart mon garçon ! cria le capitaine.

- Vous serez les deux seuls à débarquer, messieurs ?

- Ouaip, répondit Nivel en sachant que Black cherchait à repérer ses élèves.

- Cinq cent mille Berry par personne alors.

- Un million pour tous les deux ? C'est pas donné !

-  Nul ne vient à Carci' pour du tourisme monsieur, même pas ceux qui viennent chercher des esclaves libidineux. On vient forcément pour faire affaire.

- Esclaves libidineux hein... marmonna-t-il en payant la somme demandée.

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Loth

- C'est quoi un esclave libidineux ? demanda Loth qui sentit une créature griffue se mouvoir dans ses tripes.

- Et ben, Lord Caffree Burn a la réputation d'dresser des filles et de leur apprendre la méthode des soixante-neuf soupirs et positions d'orgasmes, répondit le douanier. Et je n'vais pas faire d'pub' mais bon dieu qu'elles sont douées ! J'vous les conseille, on peut en trouver dans les bordels d'chez Chataya. Mais si vous v'lez les acheter, c'est plus cher mais vous, vous n'avez pas des fins d'mois compliqués, mes Seigneurs.

L'Antarès mouillait au Port N°2.
Presque cinq heures s'étaient écoulées depuis qu'ils s'étaient mis en branle de Zaun. La traversée fut paisible, même quand le sous-marin se fit attaquer par une espèce de vache marine. Les gros projecteurs avaient suffi à inonder cette créature des profondeurs d'une lumière crue qui la fit vite détaler. Ensuite était venue La Randonnée mais là aussi, l'Antarès s'en était magnifiquement tiré. Bien qu'il fut malmené par le courant, les répercutions en cabine restèrent minimes. Selon le capitaine, un système de gyroscope interne compensait les ballotements de la coque. Une fois émergé sur le lac Azur, ils s'étaient dirigés vers le Port 2 où un douanier bavard voulait savoir s'ils venaient déclarer la guerre ou profiter des esclaves libidineux de Favela.

- Des esclaves sexuels donc, fit-il d'une voix presque inaudible. Dans ses boyaux, la créature vociférait et faisait ses griffes sur les parois de chair répandant du sang qui ensuite montait droit au cerveau d'un Loth de plus en plus coléreux. Des esclaves sexuels...

- Un soucis ? s'enquit le fonctionnaire.

- Aucun mon bon m'sieur, vous allons d'abord faire affaire à Virus ensuite, si on a l'temps, on ira profiter des joyeuseté d'Lord... Comment avez-vous appelé le maitre d'ces esclaves libidineux ?

- Lord Caffree Burn, c'est l'numéro trois du clan et un puiné au chef d'clan. Pour un million par individu, il y a des carrosses compris dans les frais, messieurs, pour des hommes de vos statures. Suivez cette stagiaire, elle vous escortera.

- Merci. Allez viens mec.

Dena' le prit par un coude et le tira. Loth jeta un dernier coup d’œil haineux au douanier qu'il aurait voulu mettre en charpie. « On va pas sauter sur tout l’monde, hein, calme-toi. ‘tain, dire que j’me plaignais d’ton côté cent pour cent placide, que j’étais con ! Le Loth coléreux craint plus ! » dit l'indic quand ils prirent place dans une voiture attelée. « Il a dit esclave sexuel, ça ne te fait rien ? » grinça Loth. « Que dalle ! C'est parce que t'as collé ça à Émeline que t'as tout à coup eu des envies de massacre. C'n'est pas un scoop que les esclaves à caractère sexuel sont légions, alors maitrise-toi et surtout ferme-la où j'vais t'assommer » baragouina Dena' qui en avait plus que marre de l'explosivité de son compère. « On s'en tient au plan de Zéro, mec, et c'est tout ! »

Dena' n'avait pas l'habitude de l'accompagner sur le "terrain". Son travail d'indic ne nécessitait pas qu'il fût sur le théâtre des opérations. Un ou deux coups de fils lui permettaient ordinairement d'aider Loth à trouver une information. Qu'il eût tenu à venir démontrait assez au Binoclard du sérieux de la situation mais surtout de ce qui soudait à présent la petite équipe qu'il avait rassemblé autour de lui. La situation actuelle était une épreuve de plus pour tester de leur union. Dena' aurait pu partir arguant que les plans de Loth étaient ce qu'ils étaient, une suite de folies et de suicides mais non, il l'avait appuyé et même décidé de se déplacer avec lui. Contrairement à Lavoisier ou même à Zéro quand elle travaillait encore pour Ashura, pensa Loth, lui n'avait nullement besoin de contracter une dette de sang ou d'honneur envers ses subordonnés pour obtenir leur soutien. Et cela le réconfortait plus qu'il ne l'avouerait jamais.

Les yeux perdus dans le vague, les paysages de Palafitte le très convoité territoire du clan Wave défilaient sous ses yeux. Les maisons étaient principalement en bois, construites à degré et en hauteur, se chevauchant. Une partie des bâtiments empiétait sur le lac et dans ces coins-là s'étaient développées des quartiers sur pilotis. Et comme la plupart des constructions s'élevaient, des ponts suspendus et des mini-viaducs par dizaines s'entrecroisaient formant un réseau tentaculaire qui surplombait le sol. Loin au-dessus de cette toile gigantesque s'élevait la voute céleste, en fait la cheminée de l'ancien volcan. C'était impressionnant, pensa Loth, à quel point la vie s'adaptait aux pires conditions. Il regarda sa montre qui lui indiqua onze heures. La lumière du soleil ne parvenait ici que par rais diffus mais là aussi, l'ingéniosité via un système d'amplificateurs et de miroirs recréait quasiment la clarté qui régnait à la surface. Et plus le soleil progressait dans sa course à travers le firmament, plus la lumière diminuait jusqu'à l'extinction et là des projecteurs nocturnes prenaient le relai. La nuit à l'extérieur était la même que celle de Carcinomia.

Battant le pavé, le cheval et son cocher les emmenèrent hors du territoire du clan Wave. Loth s'était senti détendu en arpentant leurs rues. Le clan Wave était le seul qui interdisait strictement l'esclavage dans son Secteur et cela ne pouvait que déclencher les empathies de Loth. Malgré tout, c'était aussi un clan de vieux loups de mer qui vivaient des taxes à l'entrée et sur le lac mais aussi de razzias. A l'image des Burn, ils organisaient des pillages de villes côtières à l’extérieur, dérobant bijoux, argent et autres précieuses babioles mais sans enlever d'individus selon leur code très strict, avait appris Loth. Dans l'absolu, le Binoclard ne condamnait pas la razzia...

Leur carrosse s'immobilisa devant le péage qui marquait la frontière de Palafitte avec Virus, le Secteur 3. De tous les Secteurs, seul le Roc était entièrement muré et protégé par des remparts selon ses informations. Les autres se contentaient de poser de petites garnisons de milices le long de la ligne représentant leur frontière. La libre circulation des civils était acquise bien que ceux qui désiraient changer de Secteur pour s'installer devaient se frotter à l'administration du Secteur en question. Certaines zones étant plus riches que d'autres, on acceptait difficilement de donner asile aux immigrés. Et Virus était le champion toute catégorie du chauvinisme et du protectionnisme.  
Territoire ancestral du richissime clan Avast, Virus se targuait d'avoir le plein emploi, avait-on expliqué à Loth. Œuvrant dans la médecine cybernétique et dans la technologie de pointe, les premiers Avast étaient des ressortissants de Zaun qui furent piégés ici suite à l’effondrement du cratère. Virus et sa haute société constitueraient le pied-à-terre de Dena' et Loth durant leur séjour à Carci'. Après avoir passé le péage, ils se dirigèrent vers l’hôtel Blue Diamond où deux suites avaient été réservées à leurs noms.  

___ ___ ___


- Il est dans ce carrosse, Loth Reich.

- T'es sûr que c'est l'même ?

- Sûr, c'est lui, le Chien de Givre. Les infos de Maître Willy sont véridiques ! En plus il est venu en sous-marin perso, genre il roule sur l'or maintenant après avoir massacré notre frère. Il a tué Milton, il doit payer le prix du sang ! Loth Reich doit mourir !

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Loth
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Accoudé à la rambarde de sa véranda, Loth regardait Virus s'étaler en dessous dans une multitude de couleurs. Il pensa fugacement à une pizza particulièrement peu ragoûtante. Sa suite était située au vingtième étage du Blue Diamond et il y avait encore plus haut dans ce Secteur. A l'instar de Palafitte, une myriade de ponts et de passerelles reliaient les édifices et gratte-ciels. C'est ainsi que Loth pouvait voir des individus à bicyclettes roulant le plus tranquillement du monde sur des ponts de singe suspendus à une centaine de mètres au-dessus du sol...
On toqua à sa porte et un jeune homme poussa une table room-service dans le vestibule. Il disposa quelques couverts puis s'apprêtait à sortir prestement quand Loth le héla.

- Vous vous êtes trompé de chambre. C'est mon camarade dans la Suite 15 qui a commandé tout une table. Moi, juste un café.

Quelque chose dans le regard que porta sur lui le garçon de chambre le titilla immédiatement. Quand on n’était pas quelqu'un de naturellement placide voir apathique comme Loth (il l'était en temps normal), il était difficile de maquiller un vorace sentiment tel que la haine. Et même si on arrivait à garder son faciès impassible, le regard en disait bien plus long. Et celui de l'homme en face de lui hurlait carrément toute l'aversion qu'il éprouvait envers Loth. Le Binoclard en connaissait un rayon en matière de yeux haineux, c'était souvent la seule expression qu'avaient ceux qui avaient passé leur vie en tant qu'esclaves. Brimés, humiliés, torturés, muselés, tout ce qu'ils pouvaient faire le plus souvent, c'était maudire leurs bourreaux de toute la haine qu'ils pouvaient retranscrire dans leurs prunelles. Jusqu'à ce qu'on leur crevât les yeux...
Ceux de ce type ne mentaient pas. Il haïssait Loth à vouloir l'écorcher vif et pourtant, quand il lui répondit, ce fut de la voix calme du parfait acteur et là le Moine comprit. « Un tueur à gage. »

- Le premier buffet est offert, monsieur. Vous trouverez ici, une carte vous souhaitant un long séjour dans notre établissement.

- Retournez la table au maitre d'hôtel et dites-lui que je n'en veux pas, répondit-il avec le même calme. Je n'ai pas faim.

- Au Blue Diamond, les clients sont rois, monsieur. Bonne journée.

Sous le regard fixe de Loth, il lui tourna le dos et commença à pousser le room-service. Un demi-battement de cœur et un éclat argenté plus tard, la main droite du Moine se refermait sur un couteau à un centimètre de son cœur. L'assassin avait profité du fait qu'il lui fît dos pour balancer son projectile par dessous son aisselle gauche. « Je suis impressionné » dit-il en faisant volte-face. « Peu de personnes peuvent parer une attaque provenant d’un angle mort. J’aurais été déçu si le Chien de Givre n’avait été qu’un vulgaire cabot pouilleux ! Il en fallait au moins ça pour tuer notre frère ! »
"Notre" ? se demanda Loth toujours adossé à la rambarde. Donc, ils étaient plusieurs. Au moins deux, et si le second n'était pas encore en vue c'était probablement parce que... Dena' ? pensa Loth. Nan, apparemment, c'était à lui qu'ils en voulaient, Dena' devait être sauf et au pire des cas, l'indic savait se débrouiller, nul ne tenait autant à la vie que lui.

- Du meurtre de qui m'accuse-t-on encore ? fit-il sur le ton de la conversation alors qu'en son for intérieur, la créature qui ronronnait dans ses intestins et qui ne demandait qu'à assouvir de bas instincts de vengeance et de massacre se réveilla avec humeur. De la chair fraiche.

- De mon frère, Milton Pendergast ! beugla-t-il en se jetant sur Loth, une lame kukri dans une main.

Milton Pendergast. Le nom réveilla de vieux souvenirs dans l'esprit du Moine alors qu'il se dégageait vivement de la balustrade qu'entaillait comme du beurre la lame ennemie. Elle zigzagua dans l'air forçant Loth à reculer encore et encore jusqu'à se faire coincer dans un pan de mur. Une sauvage expression vengeresse anima le visage du brun glabre qui l'attaquait. Il pirouetta et abattit la lame incurvée dans l'intention manifeste d'étêter le Binoclard. Et là, dos contre le mur, voyant la mort arriver, il se souvint plus clairement que jamais. Milton Pendergast, alias le Marabout. Il fut l'un des meilleurs snipers de North Blue, jusqu'à ce que son chemin croisât celui de "Botcat" Avada Kedavra, l'androgyne. Le Marabout était un des lieutenants de Benjamin Levasseur "La Braise", le Numéro 3 et commandant militaire du réseau Ashura. Quand Loth soutenu par un commando formé de Nivel et de Bobcat attaqua la base de Levasseur durant l'opération Maple, un duel épique de snipers eut lieu entre la tueuse androgyne et le Marabout qui vit la victoire de Bobcat. Loth avait suivi le truc de loin, occupé à placer des bombes sur les navires de La Braise. Ainsi donc le Marabout provenait de Carcinomia...

Loth laissa le Kukri s'abattre sur son frêle cou. Au lieu de le trancher, la lame buta contre une épaisse couche brune claire. « De la chitine ? » marmonna l'assassin étonné. Pour s'éloigner, il fit un salto arrière mais son adversaire le cueillit au milieu de sa manœuvre. Un genou de Loth percuta son dos et l'envoya s'abîmer contre la balustrade. Sa lame lui échappa et tomba dans le vide. La créature remonta vers son estomac en rugissant d'espoir et tout à coup, la colère que Loth avait accumulée depuis le début de ce qu'il considérait comme un cauchemar explosa violemment. Il la canalisa et l'employa pour donner vie à ses cheveux grâce à la technique du Retour à la Vie. Voulant ligoter son adversaire avec, ce dernier se soustrait à ses tentacules capillaires et fila à quatre pattes vers le vestibule. Il cribla Loth de multiples projectiles que ce dernier dévia sans peine à l'aide de sa chevelure au volume démultiplié. Loth en durcit une partie et en usa pour perforer le talon d’Achille de son vis-à-vis. Il s'effondra avec un râle et Loth voulut l'achever en dirigeant sur lui une pluie de pointes capillaires. Sans l'intervention de son compère, il aurait fini en charpie.

Le second membre de l'équipe que Loth avait pressenti à travers le "notre frère" plus tôt intervint via la véranda. Comment s'y était-il pris pour escalader vingt étages, le Moine ne se le demanda pas mais toujours est-il qu'il enjamba la rambarde une arme à la main. De son canon émergea une flèche, non une sorte de harpon. Loth l'esquiva puis un autre en plusieurs. Pendant qu'il ondulait telle une ballerine au milieu de ce déluge de harpons, l'autre assassin l'attaqua au lance-flamme. Une langue de feu jaillit et pourlécha Loth qui vacilla à forcer de reculer. Le Moine s'effondra sur une table qui céda sous son poids puis immédiatement après l'obombrèrent ses deux assaillants. Avant que le nouveau venu ne le criblât, il les crocheta aux pieds et les envoya au sol. Ses cheveux doués de vie serpentèrent dans la poussière et saucissonnèrent ses ennemis encore à terre. Plus ils se débattirent plus l’étreinte se fit plus ferme.  

- C'est qui ceux-là ?

- Nos nouveaux amis, répondit Loth qui avait invité Dena' dans sa suite après la bagarre. Crois moi, je vais les écorcher lentement, fit Loth alors que le monstre en lui se délectait déjà. Ils voulaient venger la mort d'un des lieutenants de Benjamin Levasseur mais j'aurais d'avantage de questions à leur poser.

Alors que Loth s'occupait à solidement attacher ses prisonniers à des chaises dans une chambre à l'écart, quelqu'un tambourina à la porte. La rythmique leur prouva qu'il ne s'agissait pas du service de l'hôtel.

- C'est Louli, elle est venue à nous.

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Nivel

- Patientez, le Maitre va vous recevoir.

La servante sortit, laissant Black et Nivel seuls.
Après une petite heure dépensée dans une taverne de Palafitte où l'Anarchiste s'était refait des couleurs grâce à des alcools forts, le duo s'était rendu au poste frontière pour demander un laisser-passer vers le Roc. Les murailles du plus grand Secteur de Carci' étaient hautes de cinquante pieds environs et fortifiées à intervalle régulier par des canons. Malgré le déguisement de Black, les gardes-frontières écarquillèrent les yeux de surprise en le voyant. Beaucoup bégayèrent en s'adressant à lui, d'autres mirent carrément un genou à terre en signe de salutation ou de respect, mais d'autres aussi n'esquissèrent aucun signe de déférence même après l'avoir reconnu. Nivel notifia ce fait et attribua ce comportement aux hommes du nouveau chef ou à ceux qui désiraient le départ de Black avant qu'il ne fût capturé par Red. Après une autre heure où ils passèrent entre les mains de petits chefs frontaliers à des chefs de quartiers, on les aiguilla vers le saint des saints, au manoir du chef de clan creusé dans la roche -à l'instar de toutes les habitations du Roc-. Ce manoir qui fut longtemps celui de Black. Bien qu'il ne manifestât aucun signe à son approche, l'anarchiste ne douta pas qu'il fût toute chose à l'intérieur.

Le "Maitre" émergea finalement d'une des chambres, de sa démarche dégingandée. Pour exprimer un quelconque signe de respect et pour le jauger, Nivel se mit debout. Bien qu'il fût plus grand que le Maître, ce dernier était davantage plus baraqué que lui. De son torse nu saillaient ses muscles mais aussi des tas de bidules et machines clignotantes. Le chef de clan était manchot du bras gauche mais cette perte avait été savamment remplacée par une mitrailleuse à quatre canons, remarqua Nivel. De son visage, seul l’œil gauche n'était pas couvert par l'épais masque de fer qu'il portait. Pour compléter ce tableau, sa respiration était profonde, rauque, semblable à une succion ou à un évier qu'on déboucherait. C'était si inquiétant que chaque inspiration semblait ne jamais être suivie d'une expiration. Sa voix, gutturale.

X-Bronze (Diez Bronze)

- Jack Senpai ! Je n'en ai pas cru mes oreilles quand on m'a dit que tu étais dans mes murs.

- "Mes murs", pensa Nivel. Il marque déjà son territoire, ça sent pas bon.

- Pendant trois mois on t'a cherché au large de Boréa mais rien ! On a su que la flotte de La Braise a été détruite et on a conclu que toi aussi avec. C'est une surprise, une bonne surprise. Buvons à la vie !

Il s'assit à côté de son "senpai" qui souriait sans joie. L'attention qu'il accorda à Nivel se résuma à un bref coup de tête et une permission silencieuse de se rasseoir. Des servantes défilèrent avec des boissons et l'Anarchiste se surprit à penser qu'il avait gaspillé son argent dans cette auberge. Ils trinquèrent et toastèrent à la vie et aux miracles puis burent en silence jusqu'à ce que l'hôte le brise.

- Mais par le corps noir de Dieu, où étais-tu passé ? Chacune de ses phrases était ponctuée par sa puissante respiration.

- A Zaun. J'ai été gravement blessé et pendant ces six derniers mois, mes amis m'ont soigné, mentit-il d'une voix monocorde en désignant Nivel. J'te présente X-Bronze, chef du clan Darkness.

- Oh, il lui file le titre avant même que le gusse n'ai dit qu'il était le nouveau chef. Diplomate et escroc ! s'amusa le Roux.

- Diez, j'te présente...

- Le grand anarchiste de Las Camp, Jonathan Nivel, primé à 30 millions de Berry. Je l'ai reconnu tout de suite. Merci d'avoir sauvé mon senpai, Nivel. Mais tu es loin de ta West Blue natale.

- Pas si loin, juste un peu plus au nord. Et puis, là où il y a une affaire à se mettre sous la dent, j'y suis.

- Dois-je comprendre que la destruction de l'administration de Gouvernement n'est plus ton cheval de bataille ?

- Si toujours, mais ça ne nourrit pas, voyez-vous. Ça n'assure pas l'avenir des enfants. Même dans la révolution, il faut des Berry, il faut de l'or.

- Ah ça, je suis bien d'accord. Maudit or ! Si beau, si indispensable mais pourtant si traitre !
Aaaaah !


Alors qu'il postait un toast imaginaire à l'or, il laissa tomber son verre à pied et s'agrippa le masque. On aurait dit qu'une violente migraine le tenaillait. Les servantes qui se tenaient à l'extérieur accoururent, apparemment habituées à cette crise. L'une soutint le bras du Maître et l'autre lui fit une injection par intraveineuse. La substance que contenait la seringue était blanche et de l'angle de vue de Nivel, avait une consistance pâteuse. Pendant un battement de cœur, Black écarquilla des yeux puis redevint normal mais le manège n'échappa à Nivel. Peu après, la douleur se calma.

- Pardonnez-moi, ma vie est un enfer de migraines chroniques depuis cette satanée blessure de guerre qui m'a valu d'être robotisé ! maugréa-t-il. Donc où en étions-nous, senpai ? L'enfant prodige du clan Darkness est de retour à la maison. Mais que vient-il faire après une moitié d'année d'absence ? Commerce, servitude ou guerre ?
Bien, pensa Nivel, le ton est donné, on va pouvoir se parler dans le blanc de l’œil.

- Formulé comme ça, "guerre", j'suppose, répondit tranquillement Black alors que Bronze s'écartait de surprise et d'arrogance.

- Tu crois vraiment que tu peux t'amener et revenir à ta place, Senpai ? Ta place, ma place. Ta tête, elle saute quand je veux. Ne me tente pas !

- Oh pardon Bronze, désolé d'n'pas m'être montré plus clair. La guerre, c'est lui qui la veut, fit-il en désignant Nivel. D'ta place, j'n'veux guère. Lui, par contre, est venu solliciter ta puissance pour une vraie guerre. Envahir Favela.


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Émeline Reus

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Tout son corps était endolori. Le moindre pore protestait de douleur. Sa respiration était courte, saccadée et pourtant un vent frais s'engouffrait par la fenêtre à barreaux. On devait l'avoir droguée, se dit-elle quand sa vision juste éclose fut floue avant de s'améliorer. Émeline eut d'abord envie de pleurer mais se ravisa tout en renonçant à digérer le nœud qui s'était formé quelque part dans sa gorge. Elle se haïssait de s'être laissée si stupidement capturée par ces bandits. Pour la deuxième fois de sa vie, elle était prisonnière de quelqu'un qui avait manifestement l'intention de la réduire en esclavage. A cette pensée, de chaudes larmes coulèrent en abondance sur sa joue et de son nez s'échappa un filet de morve. Pitoyable, risible, faible, inutile, ces élogieux qualificatifs émergèrent tous en même temps dans sa tête. A quoi avaient donc servi ces deux années d'entrainement chez les maitres du sabre à Shimotsuki ? Cette situation n'était plus jamais censée arriver ! Elle était censée être le bras de Loth.

Loth...

La honte et la colère l'accablèrent comme si elle soutenait la voûte céleste de ses bras. Loth était depuis des années, l'idéal vers lequel elle tendait. Le seul homme de sa vie, celui qu'elle admirait plus que tout, celui qu'elle voulait aider à réaliser ses rêves et par là, elle réaliserait les siens. L'entrainement dans le but de devenir plus forte, pour lui. Son voyage autour du monde, pour lui. Son voyage à Holiday Isle, pour lui. La peine l'atterra davantage. Elle se souvenait exactement des raisons de sa présence sur cette Holiday Isle, ce qui lui avait valu un retour simple à la case esclave. Lui faire un cadeau...
Shadow Law allait bientôt être lancée et elle avait pensé qu'il était temps d'offrir un cadeau d'anniversaire à Loth. Si le Moine savait exactement en quelle année il avait vu le jour, la date exacte lui était inconnue et pour d'autres raisons, il n'aimait pas les anniversaires, n'aimait pas qu'on lui en parle. Mais elle était décidée ce jour-là à lui faire un cadeau qu'il n'oublierait pas. A la fête du fruit de Holiday Isle, elle avait trouvé quelque chose de bien rare à lui donner qui symboliserait ce qu'il représente pour elle. Mais voilà, ces bandits étaient arrivés et ce type l'avait désignée, battue puis capturée. Il était trop fort pour elle et même si en toute conscience elle le savait, cela n'aidait pas son humeur à s'améliorer. Mais une chose était sûre, elle n'allait pas encore laisser Loth venir à son secours comme il l'avait fait la dernière fois. Elle se sortirait toute seule de cette situation et retournerait auprès de lui à Boréa comme si de rien ne s'était passé. Mais... elle avait dit à Dena où elle se rendait... Et il y avait tellement eu de rapts que la nouvelle devait s'être déjà répandue sur North Blue... Aussi, elle n'avait pas de temps à perdre en geignement !

Pour commencer, détailler son environnement. Son esprit analytique prit le dessus. Où était-elle ? Elle l'ignorait pour avoir dormi durant le trajet de Holiday Isle à ici. D'ailleurs -et là son pouls s’accéléra- combien de jours s'étaient passés ? Elle aurait pu s'être réveillée une semaine après qu'elle n'en saurait rien. Soit, c'était encore du secondaire ça. Présentement, elle était dans une petite pièce meublée d'un seul lit à baldaquin. Une mince fenêtre à barreaux ornait le mur ouest. Elle était trop petite, seul un enfant pourrait y passer. Il y avait un pot de chambre dans un coin et une poubelle à côté. Point d'armoire. Elle se leva et constata pour la première fois qu'elle n'était pas entravée. Pour s'être réveillée sur le parquet, son cerveau avait considéré ce fait comme consommé et depuis tout ce temps, ses mains étaient restées derrières son dos... Ce que la suggestion vous faisait faire...

Émeline se précipita à la fenêtre et eu un hoquet d'espoir. Il y avait une plage, une immense retenue d'eau qui s'étalait à quarante mètres à peine de sa position. La vue était parfaitement dégagée. Quelques arbres formaient des rangées interrompues ici et là, mais globalement, tout le pourtour était un jardin zen de pierres blanches. Certes, il y avait des bâtiments qui s'alignaient aux extrémités droite et gauche de sa cellule, mais aucun qui troublait le panorama. A croire que celui qui vivait ici en temps normal désirait une vue sans encombre jusqu'à la mer. La mer... Qu'était-ce cette mer qui ne faisait pas de vagues ? remarqua soudain la jeune femme. North Blue n'était pas une mer morte et partout où elle était allée sur cet océan, il y avait eu des vagues à l'approche des côtes. Pourquoi n'y en avait-il pas ici ? D'ailleurs, constata-t-elle de plus belle, cette étendue d'eau ne semblait pas vivante, elle ne ruisselait pas.

- C'est un lac... marmonna-t-elle.

En se rendant compte que cette information n'aidait en rien sa fuite, elle porta son attention à la porte. Elle était en bois massif et d'emblée, elle sut qu'elle n'arriverait jamais à la briser. Son style, c'était le Iaido, le maniement du katana, pas les épreuves de force. Elle s'intéressa alors à la serrure mais d'un coup, elle pivota. Émeline recula et laissa entrer une femme grassouillette qui portait à la main un plateau de nourriture.
Sans réfléchir, elle la bouscula et sortit de sa prison. Elle voulait sortir de cette maison et se diriger vers le lac. Mais où était la porte ? Derrière elle, la domestique vociférait et hurlait à la fuyarde. Elle trouva une porte et s'y engouffra mais si tôt après, deux hommes qui jouaient aux cartes dans la cour lui barrèrent le chemin.

- Dégagez la route ! s'époumona-t-elle en serrant dans sa main le couteau à pain qu'elle avait chipé sur le plateau repas avant de fuir.

Elle comptait sortir Émeline, même si elle devait invoquer le feu et le sang.

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Loth

Louli

- Héhéhé, à peine venus et déjà on tente de vous buter ?

- J'croyais que c'était une bonne idée d'venir en sous-marin perso mais on dirait qu'ça n'a fait qu'attirer l'attention sur nous.

- Héhé, c'était pas une mauvaise idée dans l'ensemble. Venir en submersible privé, payer la taxe pour VIP, tout ça compte, ça montre que vous pesez dans l'game. Ne vous y trompez pas, il est très difficile voire impossible de garder une info' secrète à Carcinomia, surtout si ça concerne les gros poissons qui s'amènent, héhé. Des VIP du milieu, il en vient chaque heure et la plupart du temps, les questions qu'on se pose c'est "comment leur vendre ça, comment attirer leur attention ici".  

- Mais moi on a décidé de me tuer ?

- Qui étaient-ils ?

- A toi de nous le dire, non ? Nous sommes nouveaux ici, toi, rien ne t'échappe.

- Ils se sont échappés, mentit-il. Mais ils étaient deux, forts. Entrainés surtout, un entrainement à la fois de militaire conventionnel mais aussi de techniques d'assassinats de l'ombre. Le premier m'a apporté un room-service, j'ai pensé qu'il y avait une bombe sous les couverts mais en fait, le repas était sans doute empoisonné. Ils marmonnaient un nom, Milton Pendergast que je ne connais ni d'Eve, ni d'Adam.

- Pendergast ? Le Marabout ? Héhé, vous avez reçu la visite de deux Énigmatiques. Vous êtes fort, Loth Reich, vous avez de la chance d'être en vie. D'habitude, ils ne laissent aucun témoin. Les Énigmatiques sont un peu l’Élite de ce qui se fait de mieux à Carci' en terme d'assassins. Ils viennent du Roc et en des termes plus exacts, ce sont des ninjas.

- Des assassins du clan Darkness, répéta-t-il en évitant de croiser le regard de Loth.

Il savait ce qu'ils en pensaient tous les deux. Si les tueurs provenaient du clan qu'ils espéraient s'allier alors c'était très mal parti. Mais il demeurait la possibilité que ces deux-là fussent des électrons libres et que cette tentative d'assassinat n'eût pas été orchestré au sommet. « Cela dit, vous êtes peu aimé sur cette île, Loth Reich, où devrais-je vous appeler "Chien de Givre" ? Ah vous le connaissez, ce prénom ? » dit-elle avec une expression sardonique.

- On m'en a fait part. Mais, je suis tout autant sidéré par l'étrangeté de la réaction. Ashura faisait beaucoup d'affaire ici et je comprends que mes actions contre le réseau aient monté ses clients contre moi, mais on m'a déroulé le tapis rouge carrément à l'entrée. Je suis connu pour être à la botte de deux rois et de travailler avec la Marine. Ne devrait-on pas me faire méchamment sauter ? N'est-ce pas ce que vous feriez contre tout Marine qui s'aventurerait ici ?

- Oh si, héhé, toutes les Mouettes qui découvrent Carci sont éliminées pour garder le secret. Mais vous, le milieu ne sait pas comment réagir vis-à-vis de vous. D'un côté, il est su que vous avez fréquenté le Gila, donc il y a ceux qui disent que vous culbutez Lavoisier dans une guerre interne pour prendre sa place et que vous la mettez de surcroit à l'envers de la Marine. De l'autre y a ceux qui ne voient en vous qu'une Mouette ou un chasseur de prime sans licence et ceux-là n'hésiteraient pas à vous faire la peau. Mais ça, vous en avez déjà eu un aperçu.

- Soit, c'est à notre avantage que ça soit ambigu. On saura faire avec c'te menace, c'pas la première fois, on a vu pire. Parlons renseignement, comment va la Red Hair Postal ?

- Héhé, très bien, ma foi. Les affaires marchent bien. J'ai été étonnée de recevoir ton coup de fil, ça fait combien d'années Denavellion, petit chenapan ?

- Six ans ou plus. Si nous sommes ici, c'est pour retrouver une amie...

Dena lui raconta l'histoire d’Émeline en occultant le fait que Loth était résolu à exterminer le clan Burn pour cette infamie. Louli hocha la tête et arbora un air très grave. Directrice de Red Hair Postal, le premier service courrier et de transport de colis de Carci', Louli avait elle-même été une ancienne esclave. Enlevée par les Burn quand elle était mineure sur une île dont elle ne se souvenait même plus, elle fut vendue à un des hauts cadres du clan Avast. Son propriétaire en fit une coursière et à cet effet, elle fut emmené à côtoyer aussi bien les bas-fonds de l'île que ses sommets. Affranchie comme l'exigeait la coutume des Avast après des années de loyaux services, elle se mit à son compte et monta une entreprise de coursiers pour sous-traiter le transport des courriers de ses anciens maitres. Preuve que l'esclavage était banalisé sur cette ile, Louli employait elle-même des esclaves. Bien qu'elle disait qu'elle les traitait surement mieux que les autres porcs de l'île et qu'ils avaient un salaire...
L'autre face du miroir, inconnue de la masse, faisait de Louli la meilleure experte en renseignement du coin. Pour avoir fréquenté le clochard et le puissant, elle avait tissé des relations un peu partout, avait placé des oreilles un peu partout. C'était la Dena' de ce monde souterrain, elle connaissait les petits secrets de ce pays et les vendait à ceux qui étaient capables de se les offrir.  

- La razzia sur Holiday Isle dont tu parles a été orchestrée par Lord Caffree Burn.

- Celui qui dresse les "esclaves libidineux" ? demanda Loth, impassible bien que Dena' lui jeta un coup d'œil inquiet. Sûrement craignait-il qu'il explose de rage.

- Oh, héhé, oui lui. Vous en avez entendu parler ?

- Ouais vagu'ment, par un douanier.

- À Favela, c'est la loi du plus fort. Si tu veux être chef de clan, aucun souci, faut juste battre et tuer l'actuel. Mais depuis dix ans, Foster Burn tient la dragée haute à tous ses prétendants. Son passe-temps favori, c'est de tuer des esclaves à qui il promet la liberté s'ils arrivent à l'égratigner. Mais Caffree, son frère, a lui compris qu'il fallait que le business continue de tourner pour alimenter leurs caisses alors, il a innové et redéfini les bases du métier. C'est lui le principal marchand d'esclaves actuellement. Il ne se contente pas uniquement de les capturer et de les vendre, ils les poli, les forme à des corps de métier. Pas seulement l'érotisme. Le portefeuille du clan Burn, c'est Caffree.

- C'est étrange, vous semblez l'admirer.

- Héhé, disons que je ne suis pas altruiste et je n'ai pas le syndrome du messie. En tant qu'ancienne esclave, je devrais me rebeller ? En faire ma cause et prôner la révolution ? Nan, m'en fous. Personne n'a levé le petit doigt quand j'ai été capturée alors je ne vois pas pourquoi je devrais m'indigner ou faire quelque chose pour les autres. Comme le disait mon vieux Maitre, "on est venu en détail". J'admire Caffree oui, pour son sens des affaires pas pour ses qualités humaines, qui à vrai dire sont tout ce qu'il y a de plus humaines à y penser. La cupidité, l'individualité, la méchanceté.

- Voici une succincte analyse que j'aime bien. Un de mes écrivains préférés à un jour écrit : "Nous faisons de notre vie, la mort d'autrui". Ça résume assez bien vos pensées. Mais pour en revenir au sujet principal, comment pourrais-je faire pour récupérer mon amie avant qu'elle ne soit forcée d'apprendre comment satisfaire un homme dans un bordel ?

- Le prix de l'or, il n'y a pas d'autres solutions. Après chaque razzia, Caffree organise une vente aux enchères où il expose ce qu'il a dérobé. Certains aiment acheter les esclaves bruts alors ils se servent. Ceux qui restent finissent dans les ateliers de métiers. Si vous voulez reprendre votre amie, je peux vous trouver un passe-droit pour la vente. Elle aura lieu ce soir à 19h et vous enchérirez quand votre amie montera sur l'estrade.

- C'est une bonne idée, fais péter les passe-droits !

- Je vais mettre mes coursiers sur le coup. En parlant de cou, Loth Reich, j'adore votre médaillon !

Loth dut regarder pour comprendre de quoi elle parlait. D'une mince chaine d'or ceinte autour de son cou pendait un médaillon en argent pur sous forme de flûte de Pan. Le médaillon lui fut offert par Myléna Matryona Mendeliev's alias M&M's, la jouvencelle surdouée qui officia en tant chimiste-en-chef de la plus grande des Cellules d'Ashura. Loth l'avait recrutée et protégée après ses investigations à Bliss.

- C'est une flûte de Pan ? Oui mais pas que, cette courbure caractéristique des tuyaux sonores, on dirait le Naï ! C'est également une flûte de Pan mais diatonique. Héhé, vous ne comprenez rien à ce que je dis, n'est-ce pas ?

- Que dalle.

- La musique m'a beaucoup aidé durant mes années en tant qu'esclave qui ne furent pas si terribles que ça en fait. Comparé à d'autres. La musique est mon exutoire encore aujourd'hui, je joue de beaucoup d'instruments mais la flûte de Pan est ma préférée.

- C'est un cadeau d'une amie.

- Et si on parlait des yeux de la tête que devraient nous coûter tes services ?

- Soit pas mauvaise langue Dena. Cela dit, mon addition risque d'être salée, très salée. Mais vous n'aurez pas à la payer tout de suite. Un jour viendra, où peut-être je vous en devrai une ou bien je pourrais fauter envers vous Reich. Et ce jour-là, nous serons quittes.

- Pardon ?

- Mon paiement, c'est le futur. Nos chemins se recroiseront peut-être sans que cela ne soit à votre avantage. Vous montez en puissance Reich et c'est comme ça que je contracte mes assurances-vie auprès des puissants. Ils me doivent des services et au cas où je viendrais à les froisser dans le futur, ils donnent parole de ne pas s'en prendre à moi et de mettre ça sur le compte du service qu'ils me doivent. Pour solder leur dette, ils pourraient aussi être amenés à me protéger d'autres puissants.

- Ça, j’savais pas mon pote, dit Dena' à Loth.

- C'est malin mais tout aussi stupide de croire en la parole d'un malfrat. Il pourrait vous faire bouffer ses dettes en même temps que des pissenlits par la racine.

- C'est pour ça que je jette mon dévolu sur les hommes de paroles. Il y en a plus que vous ne pensiez dans ce monde. En êtes-vous un ?

- Je veux bien croire que oui. Je vous donne ma parole de ne pas vous étriper si vous me froissez dans un futur proche, c'est ça ? Ou de vous protéger quand vous le requerrez ?

- Atta, t'es sûr ? J’suis certain que c'est une vipère qui n’tardera pas à t’mordre une fois cette promesse scellée.

- Tu me fais de la peine mon chou, héhé. Ne discrédite pas tes amies.

- Elle peut nous aider à retrouver Eme' et en ce moment, rien n'est plus important, Dena'. Le futur appartient aux vivants. Nous avons un accord, Louli.

- Chouette ! Héhé, dans ce cas, rendez-vous ce soir au True Plaza. Demandez à un cocher de l'hôtel de vous y emmener !

- Mouais, à ce soir.

- Bon, c'est pas tout ça, fit Loth dès qu'elle s'en alla, mais j'ai du travail avant ce rendez-vous. Nos amis Énigmatiques ont des choses à nous dire, dit-il en retroussant ses manches.    

il s'en fut dans leur chambre en sifflotant un air tout en tirant un chariot surchargé d'armes de jet et d'instruments de torture qu'il avait apporté avec lui. Les deux assassins muselés gesticulèrent sur leurs sièges. Avec raison, ils redoutaient le pire.

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Dans sa calèche qui s’éloignait à petites foulées du Blue Diamond, Louli était aux anges. Depuis combien d'années recherchait-elle la trace de ce flutiste ? Grâce à un pur hasard et au Chien de Givre, elle le savait désormais. « C'est un cadeau d'une amie », avait-il dit. Et Louli devinait aisément de qu'elle amie il pouvait s'agir.

Fouillant dans son carnet d'adresses, elle se lança à la recherche de ceux qui, nombreux, seraient prêts à débourser une centaine de millions pour avoir une bribe d'indication sûre sur la localisation de la fille de Pavel Mendeliev's. La dernière de cet illustre lignage était toujours en vie. Le Saint Graal de tous les chimistes.

Si seulement Loth Reich connaissait le réel prix du service qu’il venait de contracter…

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Nivel
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- Envahir Favéla ? répéta Bronze, son œil réduit à une fente. Mais par le rein de Dieu, pourquoi je déclarerais la guerre au clan Burn ?

- Pour le prestige et la puissance ? Ce que nous cherchons, c'est un allié puissant.

- Et "nous", c'est ?

- Shadow Law. Je crois que vous connaissez Loth Reich ? Il est plus connu récemment sous les sobriquets du Moine Hérétique ou du Chien de Givre. Je vais vous montrer quelque chose, fit Nivel en sortant de sa poche un étendard noir. Celui de Shadow Law. C'est l'emblème qui remplacera désormais celui d'Ashura en tant que première organisation de contrebande de Dance Powder.

- On dirait un drapeau de pirate.

- Parce que l'essentiel des activités de Shadow Law se fera en mer et qu'il vaut mieux qu'aucun lien ne soit fait avec Reich.

- Attends, je comprends pas. Qu'est-ce que ce Shadow Law à avoir avec nous les Darkness ? Et qu'avez-vous contre les Burn ?

- C'est très simple. Durant un pillage ayant eu lieu hier, une des cadres de notre organisation a été enlevée par les Burn. Et vous savez aussi bien que moi que dans notre monde, rien n'est plus important que le respect. Loth Reich entend faire passer un message à tout le monde. Et l'exemple, il compte la donner en éliminant les Burn pour que plus jamais quiconque s'avise de toucher à Shadow Law.

Diez Bronze observa un silence médusé pendant un moment puis éclata de dire, l'échine pliée, les pieds tambourinant le sol. Il en pleura tellement la situation lui semblait burlesque.

- Dididididi ! Grotesque, je n'ai rien entendu de si drôle depuis longtemps ! Elle est trop bonne cette blague ! Didididididididididididi !

- En ce moment même, les autres cadres de Shadow Law rassemblent plus de cinq milles hommes dans le but de marcher sur Favela, mentit Nivel. Demandez à Black, il a vu cette armée à l’œuvre, celle qui a infligé une cinglante défaite à la flotte d'Ashura combinée à celle des Darkness que menait votre senpai. La question est simple, de quel bord seriez-vous quand cette armée débarquera à Carcinomia ?

- Dididi, c'est donc ce qui s'est passé, Senpai ? Tu as été vaincu puis sauvé par tes ennemis et depuis tu les sers ?

- ...

- Tu veux dire que tu baisses le pantalon comme une tapette et que tu les laisses te la mettre bien profond par peur de la mort ? Le ton de Diez ne donnait plus à plaisanterie, ses yeux jetaient des éclairs de malveillance et il cracha au pied de Jack.

- Reconnaitre une puissance supérieure et la servir, c'est du bon sens. Maintenir une lutte vaine jusqu'à l'annihilation, c'est de la bêtise ! commenta Nivel. Je vous propose une alliance gagnant-gagnant. Dès que les Burn seront hors circuit, Favela sera à vous en récompense. Qui plus est, vous serez aux premières loges du renouveau de Carcinomia.

- Un renouveau ?

- Loth Reich à un plan pour Carcinomia. Une aube nouvelle où le ciel sera de nouveau visible ! dit le Roux, l'index pointé vers le plafond. Depuis combien de siècles ce rocher s'est effondré, vous privant de la lueur du jour ? Grâce à son allié Red, Loth a trouvé un Ingénieur de Grand Line susceptible de dégager ces mastoc gravats et de littéralement couper et cisailler le sommet. Non seulement vous pourrez de nouveau rejoindre la surface par le haut en dirigeable mais il prévoit également de doter le sommet d'une ouverture mécanique qui ressemblerait à s'y méprendre à ce qu'il est aujourd'hui, un tas de gravats, pour que le secret de Carci ne soit jamais trahi. Main dans la main, nous pouvons réaliser cela. Et quand vous contrôlerez le sommet, le pouvoir du clan Wave décroitra fortement et vous pourrez liguer les Avast et les Oméga contre eux. Ce que Reich vous propose n'est rien de moins que de vous adjuger le contrôle total de Carcinomia.

- Tout ça en échange de mon aide pour exterminer les Burn ?

- Rien de plus, rien de moins. Vos hommes, nos hommes, ça devrait largement suffire.

- Et ils viendront par quel biais vos hommes ? Plus de cinq milles, vous avez autant de submersibles ?

- Oh croyez-moi, il y a plus de choses entre le ciel et la terre, que n'en saurait rêver votre science. Vous changerez d'avis en voyant nos hordes débarquer.

- Dans ce cas, je crois que je vais... accepter votre offre !

- Vous faites bien, c'est un investissement qui sera rentable... Bouah !

Une brutale interruption, un coup de pied et un râle de douleur plus tard, la vieille carcasse de l'anarchiste vola à travers le salon et s'esquinta contre un mur. Un gros tableau épinglé-là tomba de son crochet et lui fracassa le crâne. A moitié assommé, la tête boursoufflée, Nivel s'étala par terre de son long et peina à se relever. Alors que Bronze s'esclaffait, une colonie d'hommes en arme débarquèrent dans la pièce et se saisirent de lui puis le passèrent à tabac dans la foulée quand il tenta de les combattre. Il s'en sortit avec une côte cassée à en juger par l'élancement qui fulgurait son côté droit. Dans sa bouche, le goût du sang se répandait allégrement et c'est avec son œil valide au beurre noir et injecté de sang qu'il vit approcher la floue silhouette de Bronze. La poigne du chef de clan se referma sur son menton et l'obligea à le regarder droit dans les mirettes.

- C'est pas que je prenne du plaisir à écraser les petites merdes fanfaronnes comme toi et ton Reich, mais juste que je n'ai pas votre temps. Il ponctua son insulte d'un coup de sa main-canon qui coupa le souffle au Roux dont les pensées s’embrumèrent plus qu'elles ne l'étaient. Déclarer la guerre à mon pote Caffree qui me gâte en soubrettes et chaufferettes de lit à chaque fois qu'il revient de ses emplettes sur North ?! Qui me tiendra chaud quand il n'y aura plus d'esclaves, hein ?! Un coup, suivit de plusieurs autres jusqu'à ce que Nivel sombrât presque dans l'inconscience. Déclarez votre guerre, rameutez vos cinq milles hommes, on verra bien ! Jetez-moi ça dans les oubliettes et prenez cette merde avec vous ! beugla-t-il en désignant Black qui était resté de marbre depuis le début.

- Quoi non ! Attends, je suis d'ton côté, ils m'ont menacé, je t'en pr... Aaaaah !

Une averse de coups s'abattit sur l'ancien chef de clan. Alors que Nivel se sentit glisser sur le sol et trainé, il entendit dans X-Bronze hurler de la même douleur qui l'avait tenaillé des instants auparavant. Une vague d’infirmières se précipitèrent sur lui pour lui injecter son calmant. Alors qu'il se laissait étreindre par les doux bras de l'inconscience, Nivel l'entendit donner un ordre. « Passe-moi l’escargophone, idiote, je dois informer Caffree qu’on en veut à sa marchandise ! »

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Loth

- 10% ?

- 10% pas plus. C'est la chance que Nivel a de convaincre Diez Bronze.

- Donc tu l'as envoyé à l'abattoir ?

- Ne raconte pas n'importe quoi. Il savait exactement ce qu'il en était. Aella a estimé à 40% les chances qu'il se fasse tuer directement.

- D'mieux en mieux.

- Quand quelqu'un vient te proposer -avec condescendance- une telle alliance pour un projet aussi invraisemblable, tu ne le tues pas sans demander ton reste. Non, tu affirmes d'abord ton autorité en le tabassant histoire de lui montrer que de couilles, tu en as de plus grosses puis ensuite, tu réfléchis à l'offre. Soit elle t'intéresse et tu demandes au messager une ligne directe histoire de parler à son patron d'homme à homme, soit tu la rejettes définitivement et là, deux solutions s'offrent à toi. Soit tu élimines le messager ou tu le livres à l'ennemi qu'il comptait te faire combattre. C'est à cette seconde phase que Nivel risque de ne pas survivre, c'est pour ça qu'il doit se démener pour se libérer avant qu'elle ne survienne.

- Tu énonces ces gravités avec un tel détach'ment. Tu penses que tu pourras contrôler l'scénario ici ?

- Carci' n'est un terrain que je connais, mais la nature humaine, je saurai y faire avec. Comme je l'ai dit, j'ai acquis certaines compétences à improviser et à prospérer sur le chaos. On verra à chaque étape. J'attends le coup de fil d'Aella, elle ne m'a pas encore donné l'étape suivante.

- Black n'risque pas d'nous faire faux bond ?

- Jack est notre atout principal dans cette histoire. Aella avait tout bon en me conseillant la menace de mort pour qu'il nous accompagne. Mais elle ne mesurait pas à quel point il pourrait nous être utile. Ces deux-là m'ont davantage éclairé sur le sujet, fit Loth en se tournant vers la pièce annexe où étaient ligotés les deux Énigmatiques.

Des assassins, il ne restait plus grand chose. Pendant les heures qui avaient défilé, Loth s'évertua à leur appliquer toute la science de l'interrogatoire qu'il avait apprise du Gila, son Maitre. Tout le monde avait un seuil de résistance, que ce fût à la douleur ou au chantage émotionnel, mais en général la douleur était le meilleur moyen d'obtenir des renseignements. C'était d'autant plus facile de briser des gens non fanatiques, affiliés à une organisation juste pour l'argent ou l'autorisation de tuer. C'était en l’occurrence le cas de ces frères d'adoptions, grandis dans la misère Manshon, faisant la navette et servants de petites mains aux principaux clans mafieux. Loth apprit après leur avoir écorché deux doigts de la main qu'ils s'enfuirent un beau jour avec Pendergast leur fameux autre "frère" et trouvèrent asiles à Carci', au Roc où après des années de servitude, ils furent autorisés à rejoindre les bancs de formation de leur armée d'élite.

Mais ces informations-là n'intéressèrent nullement le Moine qui plongea leur pied dans une bassine remplie d'eau et y jeta un Thunder Dial emprunté à Dena'. L'électricité rendait très réceptifs les suppliciés notamment après que le corps -et les extrémités surtout- eussent été couverts de blessures ouvertes. La douleur en était décuplée. Naturellement, le bâillon était l'instrument indispensable du maître tortionnaire. Après une demi-heure de ce traitement où à chaque minute, le monstre dans les tréfonds de Loth s'égosillait de joie, goûtait au sang versé et la douleur donnée, les deux frères passèrent une nouvelle fois à table. Les informations récoltées furent plus sensibles cette fois-ci et concernèrent le climat interne au Roc. Depuis la disparition de Black, confièrent-ils, beaucoup de hauts cadres avaient défié Diez Bronze à qui ils reprochaient son inaptitude à gouverner. Bronze serait apparemment sanguin et malade, sujet à de violents maux de tête qui ne le rendraient aucunement lucide. Pire encore, il serait soi-disant accro au Venner. « Ah tiens, merci de me rappeler que je dois aller chiper la plante qui produit ce truc dans la Jungle ! » avait commenté Loth tout content. A la fronde ouverte des cadres du clan, Bronze avait réagi avec violence en les faisant tous exécuter.
« On… on dit… que leurs crânes… ornent sa c..chambre… » avait baragouiné à bout de souffle un des torturés.

- Tu sais ce que tout ça veut dire ? dit Loth en revenant à leur conversation. Que le nouveau chef est mal aimé. S'il a fait sauter ses opposants, il est fort à parier qu'il en a doublé le nombre par cet acte. Mais ils ont trop peur pour le défier ouvertement alors ils restent dans l'ombre.

- Ouais mais ça arrange pas nos affaires ça. Ils sont dans l'ombre !

- Et c'est là qu'intervient notre Joker. Black ! Plus qu'un Joker, c'est un messie. L'homme providentiel qu'attendent tous ceux qui de peur se sont tus. Ils n'espèrent que lui pour se rebeller ! Je le soupçonnais déjà mais ces mecs me l'ont confirmé. Jack fut le plus jeune chef de clan depuis des décennies. N'oublie pas, chez les Darkness, le poste de chef est méritoire. Pas en terme de puissance brute mais de génie, d'aura. Black fut un meneur et un fabriquant d'arme très doué. Il s'est rapidement hissé au premier rang et a dirigé le clan durant une ère de prospérité. Rien que sa venue rengorgera de courage les indécis et les peureux. Ils se rallieront à lui et essaieront de destituer Bronze. Faut juste lui en laisser le temps. Je pense qu'il l'a lui-même déjà compris.

- Au risque d'paraitre obtus, j'vois pas en quoi ça fait nos affaires. Jack n'est pas ton meilleur pote j'te rappelle. Tu lui as inoculé un virus ! Imagine qu'il arrive à faire un putsch à Bronze sans crever, c'est ta tête qu'il réclamera ensuite !

- Ben j'espère bien hein. Mais je doute que Bronze soit si facile à éliminer. Ah je vais te révéler un petit secret. Zéro et moi sommes d'accord, le Roc, nous n'avons pas besoin de leurs hommes. Ce dont nous avons besoin, c'est de l'instabilité du plus peuplé des Secteurs de Carcinomia. Ce que nous voulons, c'est d'une guerre civile là-bas. Pourquoi penses-tu que c'est à Nivel qu'a échu le rôle d'accompagner Black ? L'anarchie, c'est ce que nous requerrons.

- Attends. Vraiment, pardonne-moi pour c'qui va suivre, mais tu veux vraiment délivrer Eme' ? Pa'c'que jusqu'à présent, j'n'vois rien dans tes actes qui démontre c'fait. Je croyais qu'on cherchait l'alliance des Darkness pour créer assez de chaos à Favela pour la soustraire d'là tout en éliminant les Burn ?

- C'est ce qu'on va faire mon pote. Avec nos propres hommes, pas avec de l'aide extérieur au risque d'être trahi. Le Roc instable nous servira juste de base. Tu comprendras bien assez tôt !

- Quel objectif tu poursuis réellement ici, Loth ? Dis l'moi, en tout franchise. Tu m'l'dois bien.

- Je te dois beaucoup de choses Dena'. Mais tu veux vraiment être spoilé avant la fin de l'arc ?

- C'est pas un livre, dis-moi tout !

- Pour Émeline, pour éviter que cette situation ne se reproduise à nouveau, j'ai bercé l'idée de contrôler et de m'accaparer Carcinomia.

- Hein ????

- Cette île est le paradis pour nous. Tu imagines si on s'implantait ici ? Trafic en tout genre, armements, espionnages industriels, on pourra même installer un chantier naval pour sous-marin. Un marché qui n'existe pas encore sur les Blues. Regarde Malfada, elle est obligée de les importer en pièces détachées de Grand Line.

- Il y a un gouffre entre Ashura et Carci, mec. Ashura c'était p't'être sur les quatre Blues mais toi, tu n'l'as défait que sur North et South. Ashura c'était seul'ment "1500" mecs et meufs armés. Carci, c'est cinq clans, plus d'cent milles péquenauds qui vivent d'l'underground. C'est une tâche bien plus ardue.

- Depuis quand tu n'aimes pas les défis ? Tu seras avec moi ?

- Pose pas d'questions stupides. Mais tu rêves, tu n'as même pas encore éliminé Ashura, il reste encore Lavoisier et s'lon les dernières news, il préparerait un gros truc. On s'en inquiétait avant que c'te histoire n'vienne tout perturber.

- On trouvera un dénouement heureux à cette histoire, je repartirai à Boréa pour en finir définitivement avec Lavoisier puis reviendrai ici terminer le job. On verra bien comment s'agenceront les évènements. Mais depuis Bliss, je ne suis plus à ignorer et comme l'a dit Louli, "on pèse dans l'game". Et puis Carcinomia, ce n'est encore qu'une étape d'un projet plus grand.  

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !

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- Yep. C'est sécurisé. Dena' est avec moi.

- Avant de commencer, je t'informe que Avada est en route pour Carcinomia.

- QUOI ?

- Ne me crie pas dessus, je te passe l'information.

- Pourquoi ? Elle avait la garde de Myléna. Elle a des ennemis !

- Qu'est-ce tu n'as pas compris dans ma phrase ? Je t'informe, c'est tout. Aux dernières nouvelles, c'est toi qui gère cette affaire là. Avada a remarqué ton absence de Boréa, elle m'a contacté, je lui ai dit la vérité. Elle a rétorqué se rendre à Zaun puis y prendre un sous-marin.

- C'est plus fort qu'elle, elle n'peux pas rester en dehors d'une bonne bagarre ! J'arrive toujours pas à croire qu'elle tue pour l'argent. Elle pourrait l'faire gratuitement si tant est qu'la baston soit bonne.

- Le problème c'est qu'elle protège M&M's ! répéta Loth comme s'ils ne prenaient pas conscience de la situation.

- Je lui ai rappelé son rôle, elle a répliqué que la fillette était introuvable et que tu aurais plus besoin d'elle que Myléna.

- Avada ici, ça n'serait pas d'refus, mec. J'suis sûr qu'elle a pris ses dispositions pour rendre la fille non repérable.

- Mouais... J'espère qu'elle sait ce qu'elle fait... Je n'aime pas du tout l'idée de savoir Aella sans protection autre que sa nounou.

- Bon, inquiétude suivante. La miss, c'quoi la suite du plan ?

- La suite se passe dans La Jungle.

- Hmmm, il fallait y aller tôt ou tard. Que devrais-t-on y faire ?

- J'ai obtenu un rendez-vous avec l'Arbre à Palabre pour ce soir à minuit.

- Hein ?

- "L'arbre à Palabre", c'est un conseil des trois seigneurs les plus influents du clan Oméga. C'est l'organe dirigeant suprême de La Jungle.

- Et toi tu as leur contact ?

- Le clan Oméga n'est pas seulement un clan d'herboristes ou de pharmaciens, c'est aussi un clan de supers chimistes. Ils fournissaient Ashura en certaines matières premières mais depuis que tu as détruit la Cellule Tempest à Boréa nous n'avons plus eu de rapports commerciaux avec eux.

- Ah, donc les Oméga doivent faire partie des gusses grave vénères qui veulent faire la peau à Loth pour leur avoir soufflé des clients ?

- Disons qu'ils sont plutôt pacifistes, je veux dire, beaucoup moins violents que les autres clans du Rocher. Soit, je ne leur ai pas parlé directement, mais j'ai eu leur secrétaire principal que j'ai pu convaincre que Lavoisier est au crépuscule de sa vie et que Loth représente le futur d'affaires encore plus juteuses pour toutes les parties. Donc, après des tracasseries, ils ont accepté d'entendre ton plaidoyer.

- Mais je n'ai rien à leur dire moi...

- Si, beaucoup en fait. C'est grâce à eux que tu pourras faire venir tes cent hommes à Carci' sans éveiller de soupçons. C'est aussi indirectement grâce à eux que le Roc sera dans le chaos qu'on escompte.

- Comment ça ?

- Oh ! Tu es vraiment la meilleure Aella ! marmonna-t-il en comprenant tacitement où elle voulait en venir. Un coup de maître ! Mais pendant que nous y serons, quid des plants de Vyper dont dépendent le financement de cette mission ?

- En fait, Dena' et moi allons nous occuper de la négociation avec l'Arbre à Palabre.

- Faudrait d'jà que j'comprenne d'quoi il en retourne vu que vous parlez en code !

- Je t'expliquerai. Toi, Loth, pendant que nous négocierons la venue de tes hommes, tu t'infiltreras dans La Jungle, à son coeur le plus sensible, "les Serres". C'est là que se trouvent tous leurs labos de recherches, surement aussi la culture du Vyper.

- Même les hommes d'Akim n'ont jamais pu y avoir accès. C'est super sécurisé.

- Heureusement, il y a les déguisements. Rends-toi à 23h tapante dans un motel du nom de Alouette à Virus. C'est situé sur sa frontière avec La Jungle. Dans la chambre 26 t'attendra un chimiste supérieur du clan Oméga. Il a collaboré avec Marie-Curie sur de nombreuses affaires, il s'attend à ce qu'un contact vienne lui remettre les notes de ses dernières recherches avant sa mort.

- Marie-Curie...

- Garde ta haine. Tu verras qu'il te ressemble physiquement, ce sera d'autant plus facile de te faire passer pour lui.  

- Mais avant, je l'interroge pour lui faire cracher le morceau sur le Vyper.

- Pour m'être rendue en personne plusieurs fois négocier avec les Oméga, celui-ci connait mon visage. Il ne nous sera plus d'aucune utilité après ton interrogatoire.

- Message reçu.

- Bon Dena', je vais t'expliquer maintenant...

- Plus tard. Nous sommes en retard à un autre rendez-vous tout aussi important.

- Appelez-moi quand vous aurez fini.

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- Le True Plaza doit grouiller de gens venus acheter des esclavages chaudement capturés et bien sauvages. Promets-moi d'pas déclencher d'incident là-bas. On n'est pas encore prêts à les affronter.

- Je sais, je sais. Je vais juste la racheter. Après, je leur paierai le prix du fer.

- Et... ces mecs-là ? marmonna-t-il en indexant les prisonniers.

- Dans le coma pour plusieurs heures, ils ne s'échapperont pas. J'aurais peut-être d'autres questions à leur poser.

  • https://www.onepiece-requiem.net/t12978-fiche-technique-de-loth
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10961-loth-reich-le-marchand-heretique

Émeline
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Dépitée mais pas résignée.
D'un geste haineux du revers, Émeline chassa la domestique qui tenta de lui éponger le front. Un mince filet de sang y ruisselait, preuve de sa tentative infructueuse de fuite qui se solda lamentablement sur le sol caillouteux du jardin zen. Son couteau à pain fut d'une totale inefficacité comme les gorilles qui montait le guet. Son seul moment de gloire fut quand elle planta la lame émoussée sous la clavicule de l'un d'entre eux. Un acte qui requerra toute sa force et la laissa démunie face à l'autre gorille qui l'assomma du plat de sa hache. Il aurait plus la mettre en morceau. Retour à la case départ donc pour la nouvelle esclave qui se sentait toujours autant écœurée. De sa mésaventure, elle apprit au moins une chose, son acheteur la désirait vivante, ses hommes ayant tout fait pour ne pas la blesser. L'écorchure au front, elle se l'était faite en tombant tête la première après avoir été assommée.

- Dégagez je vous dit ! Ne me touchez pas ! cria-t-elle une nouvelle fois à la domestique qui voulait la soigner vaille que vaille. Eme' alla se réfugier sur son lit. Une chaine menottée liait maintenant son poignet droit à une des quenouilles du baldaquin.

En voulant échapper à la servante qui n'en démordait pas, elle remarqua avec une certaine violence que la femme était une Long-bras. Comme Loth. Cette réalité fit naître en elle une douleur si vive qu'elle se plia en deux, comme si une estocade lui avait été portée à la poitrine. Quand les blessures émotionnelles se transformaient en douleur physique... Rien de pire. La bonniche se précipita sur elle et l'aida à mieux respirer en lui donnant des tapes sporadiques dans le dos. Ses mains étaient étonnamment douces, remarqua Eme', ses gestes délicats, attendrissants. Presque maternels.
Elle releva les yeux et scruta plus minutieusement la dame. Elle était vieille, l'âge de ménopause consommée depuis longtemps. Sa peau ridée ressemblait vaguement à une toile qu’un arachnide aurait tissée. Il y avait dans son expression un étrange mélange de tendresse, de compassion et de quelque chose de plus déstabilisant. Eme' mit du temps à identifier ce sentiment qui brûlait les fades prunelles de l'ancêtre. « De la pitié, pensa-t-elle, Elle a pitié de moi. Mais que fait un membre de l’altier peuple Longs-bras ici, à jouer les camérières pour des humains normaux ? » se demanda-t-elle, dévisageant toujours la vieille dame. « Elle est esclave aussi. C’est pour ça cette expression ! C’est pour ça qu’elle a pitié de moi. Se voit-elle en moi ? Est-elle esclave depuis des décennies ? Depuis toujours ? »

- Tu dois être propre et soignée pour le Maître. Tu dois aussi rester tranquille. C'est très mal ce que tu as fait, tu as tué un homme !

- Quoi ? Celui que j'ai planté est mort ? La lame a dû sectionner une artère ou toucher le cœur... Oh mais c'est fabuleux ! s'écria-t-elle. La seule bonne nouvelle dans cet enfer.

- Non ! Pas bien, pas bien ! répliqua la vieille en secouant sa tête aux mèches délavées comme une vieille éléphante ennuyée par des mouches. Quand le Maître l'apprendra, il sera très furieux ! C'est pas bon ! En plus, ton acte risque d'attirer l'attention du Grand Maître sur le Maître et ça, ça risque d'être vraiment mauvais ! ajouta-t-elle tremblante. Soit gentille, docile et soumise. Tu as de la chance, le Maître prépare vos épousailles ! Tu seras libre... pas comme...

La dernière phrase fut dictée sur le plus pur ton maternel qui puisse exister. Des informations avaient été lâchées par bribes et Émeline s'attelait à les décortiquer et réagir aussi rapidement que possible. Son meurtre risquait d'attirer sur elle le courroux de son "propriétaire". Mais plus important, son proprio devait lui-même rendre des comptes à quelque de plus puissant qui lui taperait sur les doigts s'il/quand il viendrait à apprendre ce qui c'était passé. Elle était donc retenue au sein d'un système hiérarchisé... Si tuer un homme attirerait l'attention des puissants, se dit-elle, que se passerait-il si elle pouvait en tuer plusieurs ? Depuis sa tentative de fuite, quatre hommes avaient été postés sur le pas de sa porte. Si elle pouvait se débrouiller pour les massacrer... En plus, ils la voulaient vivante alors elle avait de la marge. Pouvait-elle ainsi jouer avec le feu ? Non, se résolut-elle, c'était risqué et elle pouvait explorer d'autres pistes avant de recourir à cette extrémité.

Ainsi donc son propriétaire préparait leurs épousailles ? Au lieu de la révolter, cette information la contenta. Elle aurait bientôt l'occasion de voir son acheteur. Peut-être d'être libre en sa présence et lui arracher les tripes avec les dents...
Épouser une esclave ? Il y avait quelque chose qui clochait et elle n'arrivait pas à mettre la main dessus. A supposer que l'esclavage était normal sur cette île, il n'y avait pas besoin d'épouser une esclave. On devrait en disposer comme d'un meuble, analysa-t-elle froidement. En épouser un était d'un tel ridicule que cela titilla fortement son imagination. Le mariage était une convention sociale où les deux époux étaient reconnus devant les hommes et les dieux s'ils en vénéraient. Épouser une esclave signifierait donc que l'asservie devenait reconnue et libre de jouir des mêmes droits que les citoyens de naissance. Un acte tabou dans la plupart des sociétés esclavagistes qu'Émeline avait étudié de près ou de loin. Il y avait une pièce du puzzle qui lui manquait et elle ne savait pas ce que c'était... Aussi amouraché que son propriétaire eût pu être d'elle, il n'avait pas besoin de l'épouser... Elle était un objet, nul besoin de reconnaissance. Son côté froid fit cette analyse sans état d'âme, son côté émotionnel s'horrifia de s'entendre se qualifier d'objet.

Reléguant tout ça à une place secondaire, elle décortiqua plus en profondeur la dernière partie de la dernière phrase de la vielle. "Tu seras libre... pas comme..."
Pas comme qui ? Pas comme elle ? Ou... ?
« Non, elle ne parlait pas d’elle-même » se convainquit Eme’. « Le ton maternel qu’elle avait pris était puissant. Épousée, je serai plus libre que quelqu’un… un être cher à cette femme. Sa fille peut-être ? Son fils ? »

- Je serais plus libre que qui ? demanda-t-elle en soufflant et tout à coup, le visage de la vieille s'assombrit.

- Hé Vieille Nan, on t'a dit d'essuyer sa blessure, pas de la cajoler ! maugréa un des nouveaux gorilles plantés à la porte. Une sorte de culturiste aux muscles horriblement saillants. Le regard haineux qu'il posa sur Eme' la conforta dans l'idée que la mort de l'autre avait fait mal à chacun d'entre eux et ça, c'était vraiment jouissif mais ça ne réglait pas son souci majeur. Elle devait sortir...

- Mange ! fit-elle en déposant un plateau devant elle. Je reviens dans trente minutes pour te faire prendre un bain et de rendre présentable au Maitre. Mange !

Et elle s'en fut d'une démarche de canard, la tête baissée. Il y avait certaines blessures qui ne se soignaient pas quelque fût le temps qui s'était écoulé. Cette vieille était esclave depuis tant d'années qu'elle avait accepté son sort et pourtant, il était évident pour Émeline qu'elle n'avait pas accepté celui d'une autre personne chère qu'elle chérissait intensément. C'était ça la fibre qu'il fallait exploiter maintenant. Dans cet enfer, une seule personne avait pour elle un semblant d'empathie et c'était cette vieille dame. Désormais, elle était la clé. Cette empathie devait être cultivée, murie et récoltée. Au bout de la moisson, sa liberté.

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Loth

- J'pensais pas qu'il y aurait tant d'monde !

Le True Plaza était bondé et ses deux cents places assises, toutes occupées.

Loth détestait chaque portion de ce Secteur qu'était Favela depuis qu'ils avaient quitté leur hôtel et abandonné derrière eux Virus et son chic. La périphérie de Favela ressemblait beaucoup à un bidonville grandeur nature avec ses maisons en tôles ou en argile battue. Les ruelles étaient sales, jonchées de détritus et d'eaux anthracites. Malgré cette pauvreté visible à chaque coin de rue, on y différenciait les esclaves des citoyens de droit par des tatouages de toutes sortes au visage. D'ailleurs, le terme "tatoué" à Favela signifiait d'emblée un esclave. Loth les vit dans les venelles de ce Secteur, employés à de diverses tâches plus ingrates les unes que les autres. L'esclavage était si banalisé dans ce secteur que même les familles les plus démunies, celles qui arrivaient à peine à se nourrir deux fois par jour, possédaient tout de même un esclave. De tout âge, de tout sexe. Même des enfants. « Je les libèrerai tous et c’est sur les cadavres des Burn que je monterai quand j’abolirai l’esclavage en ces lieux. »

Au centre du Secteur se trouvait une aire où les constructions étaient bien en dur, spacieuses et huppées. La Plaza y était et y dressait son somptueux édifice baroque avec ses trois toits en dômes et bulbes d'oignons et ses façades où surenchérissaient des fresques plus stylisées et plus colorées les unes que les autres. Toute cette opulence au détriment de la liberté la plus élémentaire rendait Loth malade. Avec effort, il réussit à ne pas sombrer une nouvelle fois dans les couloirs du passé et à revisiter ce long tunnel empierré où la mort empestait éternellement...

Ils prirent place dans des fauteuils personnels et rembourrés après avoir montré les passe-droits chèrement acquis par Louli qui était de la partie. La salle était très grande et pouvait aisément accueillir le double des deux centaines de personnes qu'elle accueillait ce soir mais les fauteuils avaient été disposés à côté de petites tables basses où des serveuses -esclaves à n'en pas douter- déposaient les plats et les boissons commandés par la richissime clientèle. Car c'était aussi un bar-restaurant et le spectacle d'esclaves vendus aux enchères ne saurait couper l’appétit au gotha du crime de North Blue. Certains clients, essentiellement les femmes, portaient les masques de carnavals qu'on leur avait remis à l'entrée. Les messieurs, de leur côté, affichaient avec défi leurs visages barbus ou glabres, leurs smokings valant toute une caravelle d’esclaves, sans compter qu'ils marchaient tous avec cette assurance comme s’ils revendiquaient la propriété de l'univers. Loth et Dena' choisirent d'arborer leurs masques pour passer une soirée tranquille. Le Chien de Givre n'avait peut-être que des ennemis en ces lieux. Ils prirent place juste en bas de l'estrade, à l'extrémité gauche de la salle. Situé au milieu du trio, Loth avait Déna à sa gauche et Louli à sa droite. A côté d'elle était posé un jeune blanc-bec au visage intelligent et avenant que Loth reconnu comme étant See Dol, le triple champion de North Blue du jeu de go. Sur chacune de ses cuisses était assise une femme à la plastique aguichante, au corps dénudé à l’exception de la poitrine et du dessous de ceinture.

La vente commença par un mot de bienvenue du patron des lieux.

Lord Caffree Burn

- Bienvenue nobles Seigneurs et Dames ! Sa voix était un maniérée et un poil mielleuse. Comme tous les jeudi après des bonnes emplettes... "Des emplettes". Loth sentit une bouffée de colère monter en flèche en lui. ... Donc sans plus vous faire perdre votre temps, les produits vous serons présentés. Amusez-vous et surtout n'oubliez pas le plus important...

- Ne lésinez sur les Berry ! répondit en chœur l'assistance comme s'ils étaient tous habitués au coin et connaissaient le slogan de la boite.

Caffree Burn s'en alla et Loth fut tenté de le suivre. L'envie de l'étriper dans un coin sombre puis de donner ses restes à manger à des chiens galeux menaçait de le submerger. Comme s'il avait anticipé les pensées du Moine, Dena posa sur son épaule une main apaisante en oscillant du chef. Plus tard... semblait-il dire. La vente débuta et tout au long, Loth s'attela à s'orner de son masque d’impassibilité. En fait, il aurait voulu déconnecter son cerveau jusqu'à ce que ce cauchemar fût passé. A l'image de Louli, son passé d'esclave n'avait pas fait de lui un fervent défenseur des libertés individuelles au point de rejoindre un mouvement comme la Révolution. L'esclavage existait mais hors de sa vue, et tant que ça ne le touchait pas directement ou indirectement, tout était bien dans le meilleur des mondes. Loth n'avait pas à s'en soucier. Mais le vivre directement, en être témoin comme en ce moment où un demi-géant mâle entravé et battu montait sur l'estrade sous les applaudissements causait en lui de tels remous qu'il pouvait sérieusement envisager, ne serait-ce que pendant une minute rejoindre la Révolution. Bien sûr, il ne saurait se mentir, jamais il ne pourrait soutenir une telle cause bien longtemps. Il était beaucoup trop vénal et friands d'aventures et de projets. Donner sa vie pour une cause universelle était loin de ses préoccupations en temps normal mais bon sang que c'était dur de rester stoïque face à ce genre d'injustice par moment ! Quand elle se déroulait juste sous votre nez...

- Maintenant, admirez, ladies, gentlemen, un magnifique spécimen de femelle humaine ! Quelqu'un la reconnait ? Qui ? Oui ?

- Amy House ! cria quelqu'un au fond de la salle.

- Sa seigneurie Platini a raison. Il s'agit là de la seule et unique Amy House. Escargot d'or de North Blue en 1625, connue pour sa voix suave et son corps de rêve ! Début des enchères, 10 millions !

« Vingt fois plus cher que le prix normal pour une humaine. » Parce que c'était une célébrité. Donc personne n'était à l'abri de se faire chiper sur une plage ? Non pensa-t-il, ce point-ci ne pouvait pas être aussi simple et d'un coup, Loth sut ce qui avait réellement attiré les Burn à Holiday-Isle. Il y avait une fête, la fête du fruit et Amy devait y chanter. Mais rafler une chanteuse internationale comme elle n'était pas sans conséquence, elle était produite par la Roxx Music, une maison de production qui appartenait -comme la quasi-totalité de l'industrie de la musique sur North- à la toute puissante mais non moins discrète et invisible famille Grante. Une des Sept Familles qui coiffait la mafia de North Blue.

Un siècle plus tôt, quand La Randonnée fut découverte et que les clans de Carcinomia émergèrent sur North et voulurent y étendre leur activité, ils furent violemment écrasés et soumis par les Sept Familles dirigées par les Tempiesta. Même aujourd'hui, les clans -comme toutes les organisations criminelles sur North- devaient payer des redevances aux Sept. Ainsi, les Burn n’auraient jamais osé s'en prendre à une étoile sûre des Grante. « Ils l’ont capturée avec la bénédiction de la famille Grante » pensa-t-il. « C’est pour maquiller son seul enlèvement que tant de personnes, dont Eme’, ont été kidnappées. La pauvre, elle a dû gravement décevoir le parrain Victor Aleopoldo Grante pour qu'il la vende de la sorte. »
C'était ça le pouvoir d'un des Sept et très bientôt, médita Loth, lui aussi devrait se rendre à Manshon et leur faire allégeance quand il lancera Shadow Law. Et il savait déjà ce qui allait s'y passer...
L'ex-star trop choquée pour pleurer fut soldée deux fois la mise de départ et fut conduite vers son nouveau maitre, un vieux chauve bedonnant au regard pervers que Loth identifia comme Ronaldo Siffredi alias "Le Veuf Noir", un armateur véreux de Luvneel connu pour sa centaine de concubines.

La soirée se poursuivit ainsi. Des drames, des vies à jamais bouleversées, Loth les compta, mémorisa leurs visages. Il viendra un moment sanglant où il se devait de rappeler leurs souvenirs aux Burn qui les avaient soumis. Dix hommes, des ressortissants robustes d'Holiday Isle furent vendus en pack à un minier louche, une Longue-jambe au visage atterré (Mais d'où sortait-elle ? se demanda Loth) fut vendue à un autre pervers que Dena soupçonna être un fétichiste des jambes, une troupe de danseurs fut cédée à une patronne de cabaret. Et plus ce triste défilé s'étiolait et plus la patience du Binoclard s'amenuisait. Mais où était Émeline ? A chaque fois qu'une ombre tremblante se dessinait sur le podium, il y voyait la silhouette de son amie avant d'être placidement déçu. Et cette succession d'espoir et déception s'entretint à la manière d'un cercle vicieux jusqu'en fin de soirée. Quand l’atmosphère saturée de fumées de tabac et de relents de millésimes hors de prix rendit les acheteurs plus enclins à claquer leur argent, on fit entrer le troupeau de femmes quelconques capturées. La chanteuse était une pièce de collection et Loth comprenait pourquoi elle fut écoulée en premier. Et bien que beaucoup de celles qu'on fit défiler maintenant étaient belles voir même sublimes pour certaines, ce n'étaient que des femmes ordinaires, sans renom.

Ordinaires.. Émeline était tout sauf ça. Peu lui importait son physique, il ne jugeait jamais à l'emballage. L'esprit était le plus grand des trésors et Eme' en avait un de particulièrement aiguisé et remarquable. Mais elle n'était pas dans ce lot non plus. Ce fut le moment que choisit See Dol, le joueur que Loth avait repéré plus tôt pour entrer en scène et faire grimper les enchères. Coup sur coup, il acquerra une douzaine de filles plus belles les unes que les autres. Et à la surprise de Loth qui haussa des sourcils, ils les affranchies sur le champ, leur donnant la liberté de le suivre ou de partir.

- Tu parles ! murmura Dena'. C'est d'la psychologie à deux balles ! Elles vont aller où à ton avis ? Si elles n'le suivent pas, elles vont s'faire prendre comme des chiennes par tous les galeux d'Favela. Tu parles d'un choix !

- Héhéhé, on attrape d’innombrables mouches avec du miel, les garçons, fit Louli.

- Et cent fois plus avec du fumier, commenta Loth.

See Dol étalait-il son corps avec du miel ou des excréments ? Quoiqu'il en fût, les mouches dont il venait de faire acquisition se posèrent en meute autour de lui. Pas une ne se défila, l'analyse de Dena' était juste. Marcher droit pour mourir dans l'arène ou y être trainé par la peau des fesses... Certains diront que la différence était la fierté, l'orgueil ou même l'honneur. D'autres diront que le résultat était le même, la mort. Sur le podium, les filles qui n'avaient pas trouvé preneur à cause de disgrâces physiques lorgnaient avec une puissante détresse supplantée d'envie le harem de See Dol. Le jeune homme était beau, du genre qui en temps normal ne souffrirait sans doute pas d'un refus de la gente féminine si peu qu'il se montrât galant. En ces lieux, c'était la seule personne faisant foi d'une certaine humanité et toutes désiraient se faire acheter par lui. Quand la déchéance vous reléguait plus bas que le plus misérable des vermisseaux et que votre seul envie était d'appartenir à un autre humain si peu qu'il fût plus conciliant...

Loth connaissait ce sentiment, il l'avait vu dans les yeux de ses nombreux compagnons d'infortunes qui partagèrent son quotidien dans ce tunnel maudit... Parfois les esclaves qu'ils étaient changeaient de mains et à chaque fois venait l'espoir de tomber sur un Maître plus généreux. Lui n'éprouva jamais cela. La seule conviction qui, jamais, anima son cœur était la Certitude. Celle d'être libre à nouveau, celle de vivre, de vivre ses rêves. Il savait qu'il sortirait et ce sentiment, tout au long de ces douze années de Tartare agit comme un talisman le protégeant des brimades.

- Cinq millions pour les dix restantes, dit-il avant de pouvoir s'en empêcher.

- Oooooui ! Nous avons un preneur ici. Cinq millions, qui dit mieux ? Personne ? Cinq millions une fois ! Deux fois...

- Hey, mais tu débloques ? On va faire quoi avec elles ?

- Elles allaient finir dans des bordels et apprendre les méthodes de soupirs ou je ne sais quoi.

- Et ta solution c'est d'les ach'ter ? Putain, que j'sois damné si j'pensais pouvoir t'dire ça un jour mais réfléchis avant d'agir ! Mec, tu craques, tu fais n'importe quoi !

- Je sais très bien ce que je fais. Je leur rends leur liberté. Et la vente s’achève là. Tu as vu Émeline quelque part ? Il va nous falloir des réponses et elles l'ont sûrement côtoyée, fit-il en indexant les filles. Nous allons les interroger. Elles pourront rester chez vous en attendant que mon sous-marin revienne et les embarquent pour la surface ?

- Aucun soucis, répondit Louli un peu perplexe devant l'inattendue réaction de Loth.

- Cinq millions, cinq fois. Adjugé ! C'est avec cette dernière enchère que se conclut la vente de ce soir ! Le pack des dix dernières filles revient à...

- Au Chien de Givre, répondit-il en se levant, le visage à découvert, comme s'il désirait saluer la salle.

Émeline n'était pas des leurs. Où était-elle alors ? Le regard que posa Loth sur la salle ne reflétait en rien les sombres idées qui naquirent dans son esprit. Trouver le conduit d'aération de cette Plaza et gazer tout cette racaille par exemple, ou sortir une automatique et les canarder comme du gibier, ou... ne rien faire et laisser couler. Dans la salle, il venait d'apercevoir un visage dont lui avait jadis parlé le Gila. Pablo Moltisanti Benedetto, le mandataire des Tempiesta à Carcinomia. Celui qui encaissait les redevances au nom des Sept.

Pablo Moltisanti Benedetto
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Loth
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L'atmosphère devint tout à coup tendu et lourd. Dans la semi pénombre de la salle, les faciès étaient soucieux ou hostiles. Il n'en attendait pas moins et fut satisfait du résultat engendré. Les ignorant complètement, il se dirigea vers le cinquantenaire barbu à la chevelure blonde sale à l'autre bout de la pièce. Pablo Moltisanti Benedetto fut élevé en tant que pupille et otage de la famille Tempiesta quand la guerre entre elle et les Benedetto prit fin à leur avantage. Les Benedetto devinrent alors plus rares que le soleil à Boréa et Pablo parachuté dans ce trou perdu pour servir d’ambassadeur et collecteur d’impôts des décennies plus tard. Loth savait tout ça avant de mettre le premier pied à North Blue. Il avait étudié les ramifications de chacune des familles avec le Gila.

- Sincères salutations, Don Pablo, dit-il d'une voix très basse. Toujours se montrer déférent, ne pas oublier le titre de politesse. Toujours les gratifier de respect... Avant de leur planter un couteau... Loth se souvenait très bien des leçons du Reptile, son Maître. Puis-je ?

- Yé t'en prie. Lé Chien dé Givre. Yé me disais que y'allais té voir bientôt. Sa voix était calme, mesurée. Dans la salle, les gens commençaient à sortir doucement. Les regards étaient toujours posés sur eux, sûrement s'interrogeaient-ils sur le sort que les Sept réservaient à Loth. Donc, Lavoisier, c'est fini ?

- Pas tout à fait, mais il a fait son temps, nous en conviendrons tous.

- Pas mes maestros.

- Lesquels de maitres ? fit-il.

Selon le Gila, on connaissait l'importance d'un mandataire à la richesse du commerce dont il percevait les tributs. Carcinomia était certes un immense morceau de choix mais elle était sous la mer. Donc éloignée des affaires courantes. Loth titillait le terrain, il se devait de savoir si l'allégeance de l'ambassadeur envers ses mandants était au beau fixe. L'homme l'ignora et préféra siroter sa liqueur en silence. Aucun doute qu'il n'était pas né de la dernière pluie et qu'il en fallait bien plus pour qu'un jeunot comme Loth lui tire les vers du nez. Mais il prit son silence pour un demi-consentement, ce qui en soit était logique. Pablo fut un otage puis réduit à servir les Tempiesta toute sa vie. N'importe qui dans sa position, à moins de souffrir d'un syndrome d'attachement à son ravisseur (HRP : Syndrome de Stockholm mais c'est où Stockholm sur la carte de OP ? xD) devait nourrir des rêves de liberté, voire de vengeance. Mais Loth n'était pas encore assez significatif pour qu'il daignât s’acoquiner avec lui et d'ailleurs, le Binoclard ne se risquerait pas à lui proposer une quelconque affaire dans sa position actuelle. Ç’aurait été du suicide. Mais il était bon de tenter le terrain. Pour le futur.

- Bientôt, je me rendrai à Manshon proclamer mes vœux, dit-il en lui faisant comprendre que même si Lavoisier sautait, la production de Dance continuerait.

- Ashura toujours ?

- Non, Shadow Law, dit-il en glissant au mandataire une boite à montre. Le coffret était stylisé au blason de sa nouvelle organisation et la montre en or à l'intérieur arborait un cadran également frappé de ce blason. Émeline s'était occupée de personnaliser certains articles pour en faire des cadeaux. Un petit présent. Je resterai un moment dans le coin. A nous revoir, Don.

- Commerce ou Guerre ? murmura-t-il.

- Guerre, naturellement.

La salle était presque vide à présent. Sur l'estrade patientaient avec des regards anxieux et terrifiés les dix femmes qu'il venait d'acheter. Acheter...
Dena' signait quelques papiers pour l'acquisition finale. En absence d’Émeline, Loth lui avait confié son portefeuille. Les filles le dévisageaient en se demandant sûrement quel genre de maître serait-il ou si elles ne reverraient jamais leurs proches. Loth connaissait ces états d'âmes.

- Vous allez suivre toutes les directives que vous donnera cette dame, fit-il en désignant Louli alors que Dena' suivait le commissaire-priseur pour payer la facture. Autant que ce soit clair, je n'ai aucune intention de vous utiliser à quelques escients que ce soient. J'ai des affaires à régler ici et aussi longtemps que je demeurerai à Carci', vous aussi. Quand j'aurais une ouverture, mon sous-marin vous évacuera vers la surface, sur une île civilisée à partir de laquelle vous pourrez rejoindre vos pays respectifs. Oui, je vous rends votre liberté, dit-il. Elles se regardaient avec une joie naissance et des visages incrédules. Mais jusqu'à ce que vous soyez évacuées, je répète, vous devrez suivre tout ce que dit cette demoiselle. Vous avez vu comment s'est ici, vous ne ferez pas long feu dehors.

- Merci, monsieur Reich ! dit avec passion une d'entre-elles. C'était une femme de grande taille au teint lacté typique des Boréalins.

- Vous êtes de Boréa vous.

- Oui et j'ai assisté à vos funérailles y a quelques mois !

- Ah oui... Une mise en scène grandeur nature, c'était, cette aventure de sa "Mort". Heureusement que vous n'avez pas assisté à ma résurrection, c'était tout aussi passionnant ! plaisanta-t-il sans y avoir le cœur.

- Ça... ça fait chaud au cœur de voir un compatriote. Merci !

Un compatriote... Loth était beaucoup de choses mais il ne se voyait pas encore comme un Boréalin, lui qui était originaire de la lointaine South Blue, plus précisément du Cimetière d'épaves. Mais il était d'accord avec cette inconnue, il était bon de voir un visage familier en enfer. Que devait ressentir Eme' en ce moment même ? Où était-elle si non ici ? Louli soutenait que les produits des razzias étaient exposés et vendus mais son visage perplexe renseignait Loth sur son total désarroi. Elle ne savait pas pourquoi la chargée de clientèle de Loth n'était pas dans ce lot. Mais il n'y avait pas à paniquer, au moins était-il certain que c'est bien le clan Burn qui razzia Holiday Isle. Ce qu'ils avaient fait d’Émeline, il pourrait en avoir une idée en interrogeant les filles, mais pas ici. Une fois dans la tranquillité de Virus. Suivant deux coursières de Louli, elles sortirent à la queue-leu-leu sans manquer de remercier Loth au passage. Certaines lui baisèrent même la main.

- Il y a un célèbre proverbe de Boréa qui dit que les personnes piégées par le froid ne sont pas mortes tant qu'elles ne sont pas réchauffées et mortes. Comment avez-pu rester mort pendant une semaine, donc ? Je suis curieux, monsieur Reich.

Le commentaire provenait de See Dol. Des clients, il était le seul encore restant, même Pablo s'en était allé. Il se rapprocha de Loth et lui tendit une main qu'il serra sans chaleur. Les filles aux formes divines qu'il avait achetées ne papillonnaient plus autour de lui, sans doute furent-elles conduites dans ses appartements dans l'attente d'une nuit endiablée et rien qu'à cette idée, le Moine voulut décocher un coup de pied dans sa face pétillant de malice. Il ne s'expliquait pas vraiment sa présence ici, à Carcinomia, à part l'évidence de la perversion. Professionnel depuis plus de sept ans, See Dol était ses trois dernières années, le champion de North Blue du jeu go, le jeu de stratégie le plus compliqué au monde selon ses partisans. En tout cas, il comptait plus combinaisons que les échecs. Loth s'y était essayé quelques fois mais à l'instar des échecs et du Shogi, il détestait les jeux de stratégie sur plateau. Le sien de jeu de stratégie, il préférait le jouer dans la réalité, avec des vies en jeux, comme en ce moment même.

- Un poison avait ralenti mes signes vitaux, c'est pour ça que mes médecins m'ont déclarés mort. Je puis m'estimer heureux d'avoir eu la force pour défoncer mon tombeau.

- Oui, en effet. Je me demande si un commerce de pelle marcherait à Boréa. Oui, proposer des pelles pour accompagner les défunts au cas où ils se réveilleraient.

- Dans c'cas, une masse s'rait mieux.

- Haha, tout à fait mon cher monsieur. Ah ! Madame Louli, fit-il avec une courbette en prenant la main droite de la rousse pour y déposer un baiser.

- Loth, permettez-moi de vous présenter.

- Je sais qui c'est.

- Ce que vous croyez. See Dol n'est qu'une identité fictive. Je vous présente Willian Darkness, Troisième du nom.

Willian Darkness

- Mes amis m'appellent Willy.

- Darkness ? répéta Loth.

- Le Seigneur Darkness descend directement des fondateurs du Roc.  

- Je suis surpris. Je ne pensais pas que la famille historique subsistait toujours.

- Depuis que mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière- grand père a instauré la méritocratie, nous nous sommes effacés des affaires courantes pour nous concentrer sur...

- Les plaisirs de la chair ?

- La philosophie. L'art. Ma sœur est une superbe peintre et moi je me fraye mon chemin dans le jeux.

- Et dans la chair.

- Loth ! Je vous en prie !

- Hahaha, je vous aime bien vous. Vous désapprouvez hein ?

- Ça ne change pas grand-chose. A chacun sa vie.

Il se rapprocha de Loth si bien qu'on aurait dit qu'il voulût l'embrasser. Le Binoclard sentait les effluves floraux de ses cheveux. Ses lèvres se rapprochèrent de son oreille gauche et il lui susurra de telle manière qu'ils furent les seuls à entendre : « Mon cadeau de bienvenue, l’avez-vous apprécié ? » Les assassins... pensa Loth. « C'est vous qui les avez envoyé hein... » Willy rit pendant un battement de cœur. « Une bonne amie m'a dit que vous vous rendiez à Carci' et il y avait ces deux-là qui désiraient se venger depuis tellement de temps que je n'ai pas pu m'empêcher de vous les envoyer. Pardonnez-moi, j'estimais très probable qu'ils ne soient pas de taille. Leurs corps, s'il vous plait, déposez les au 12 Rue des Agoras, à Virus. Dès lors, je serai votre débiteur. Ah, j'allais oublier, ça ne se passe pas bien pour votre Nivel. Actuellement, il croupit dans les catacombes du Roc mais je suis certain qu'un marionnettiste de votre niveau a tout prévu ! »
Il s'en alla ensuite laissant Loth dans un était de perplexité avancée.

- Bon, il est temps de rentrer. Louli, j'interrogerai les filles demain à l'aube quand elles auront les idées fraiches et que la peur de se faire vendre sera retombée. Si je les secoues maintenant, ça sera contreproductif. enchaina-t-il comme si rien ne venait de se passer. La rouse voulait savoir bien sûr, mais il n'était pas disposé à en parler, surtout qu'il n'y comprenait rien lui-même. Dena' avait saisi que l'heure des questions viendrait plus tardivement.  

- Tu plaisantes ? La peur d's'faire vendre ? Tu les as déjà achetées, andouille ! Hahaha !

- La peur de se faire vendre à des types comme toi, répliqua-t-il.

- Si votre amie n'est pas là, c'est soit qu'ils l'ont déjà vendue en privé, soit qu'il ne l'ont pas capturée. Elle a peut-être réussi à fuir Holiday Isle non ?

- Ou qu’un des Burn a préféré s'la garder, aussi. C'est sûr qu'elle a été enlevée, sinon, on l'saurait déjà.

- Dans tous les cas, qu'allez-vous faire ? L'usage de la force serait...

- De la folie pure, selon toutes vraisemblance. Un autre de mes auteurs préférés avait l'habitude de se demander "Est-ce moi ou les autres qui sont fous ?". Le futur nous apportera la réponse mais d'ores-et-déjà, pouvez-vous secouer vos toiles ? Ça aidera notre enquête si on pouvait dénombrer et cibler individuellement les hommes qui ont participé à la razzia d'Holiday. Surtout les têtes de pont autres que Caffree, je veux dire.

- Caffree est un homme d’affaire, il ne participe plus personnellement aux pillages depuis très longtemps. Je sais qu’il a réparti ses hommes en quatre équipages. Je vais me renseigner.

- Merci. Mais soyons clairs, j'emploierai la force si besoin est. Si ça peut nuire à vos affaires, nous pouvons nous en arrêter là. S'il vous vient à l'idée de me trahir, rappelez-vous que ma promesse de ne pas m'en prendre en vous est conditionnée au fait que je retrouve mon amie.

- Héhéhéhé, les plus faibles se font bouffer par les plus forts, c'est la loi de la nature. Je suis de votre côté et je ne compte pas vous trahir au profit des Burn. Mais là, nous discutons tranquillement dans leur repère et c'est vachement étrange. On ferait mieux de se retrouver demain au siège de la Red Hair Postal.

- A d'main alors.

___ ___ ___ ___ ___


- Tu te méfies de Louli ?

- Bien sûr que je me méfie d'elle. Je ne sais pas à qui elle voue ses allégeances et surtout, on ne peut pas lui avouer qu'on vient mettre son pays à feu, répondit Loth. Ils étaient dans la tranquillité de leur suite d’hôtel. Mais elle me semble du genre opportuniste donc peut-être que mon idée d'utiliser la force l'arrange en quelque chose. Mais passons, concernant Willian Darkness, écoute...

- Quoi ? Qui l'a prév'nu tu penses ? "Une amie" l'a dit ?

- Sûrement Malfada. C'est la seule femme qui savait que je viendrais là. Et pourtant, je lui avais dit d'être mon amie et pas mon ennemie. Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir me tester !

- Oh calme-toi hein. Donc, le Will t'envoie ses potes en sachant qu'il les précipitait à l’abattoir ? Puis maintenant, tu dois déposer leurs corps quelque part à Virus ? D'ailleurs, note qu'il a causé de "corps". Comme si c'était acquis que tu les avais zigouillés. C'est un piège, c't'évident. Soit un comité t'attends là-bas pour t'faire la peau, soit il va t'mettre leurs morts sur l'dos.
Mais c'qui me sidère l'plus, c'est son culot et son manque d'respect. Il t'a parlé comme si t'étais à sa botte. T'es plus n'importe qui maint'nant, c'est sur les Blues qu'on connait ton nom. Dans l'milieu, t'en impose maint'nant, t'as qu'à voir la réaction d'la salle quand t'as montré ton visage. Moi, j's'rai d'avis que tu donnes une leçon à c'jeunot.


- Motion acceptée. Mais plus tard, j'ai d'autres chat à fouetter. S'il veut vraiment leurs corps, il viendra à moi.  

- Hey, ils sont encore vivants !

- Pas pour longtemps. Tiens, je pense à faire appel à un des élèves de Nivel pour me seconder dans La Jungle.

- Et pour Nivel lui-même ? S'il est prisonnier...

- Alors au moins, il y a une chose qui se passe comme je l'avais escompté. L'anarchiste gérera tout seul ses soucis de liberté. Laissons X-Bronze comprendre qu'une bête sauvage n'est jamais aussi dangereuse que quand elle se retrouve acculée et encagée.  

- Nivel une bête sauvage, j'aurais jamais cru.

- Non, la bête c'est moi. Fais effort et suis les analogies.

- Quoi ?



Dernière édition par Loth Reich le Jeu 24 Mar 2016 - 22:57, édité 1 fois
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Pendant ce temps, au Roc...
Nivel
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- Hé, pssssss ! Tu sais qui j'suis ? Cette armorie sur l'revers d'ton manche, t'es d'la famille Hank, n'est-c'pas ? T'as quel âge gamin ? T'étais déjà en service quand j'étais aux affaires ?

- Essaie avec le mur, t'auras plus vite une réponse.

Quelques heures s'étaient écoulées depuis qu'ils furent tabassés et enfermés dans les catacombes rocheuses du Roc. Ces oubliettes étaient austères et glaciales. Nivel partageait sa cellule avec Jack Black qui depuis le début essayait de jouer des derniers relents d'influence dont il disposait pour persuader leur geôlier d’intercéder en sa faveur auprès de Bronze.

- J'veux juste une audience, camarade. Y a eu malentendu, j'dois reparler à Diez, c't'important. Réponds-moi au moins. Tu sais qui j'suis ?

- Je sais qui vous étiez, répondit le jeunot après un long moment de silence.

- Ah, enfin, il parle !

- Tu sais que j'étais un...

- Grand chef de clan, oui. Mon père m'en a parlé.

- Ton père ?

- Osmund Hank.

- Les dieux soient loués ! marmonna-t-il de soulagement. J'comptais Osmund Hank parmi mes plus proches et fidèles lieutenants quand j'étais chef d'clan. J'en ai fait l’chef d’la section confection et ventes des mines.

- Il l'est toujours.  

- Loquace le gamin. Son point de côté l'élançait toujours et son œil au beurre noir désenflait progressivement.

- Toi, la ferme ! Écoute petit... C'est quoi ton nom ?

- Jonas.  

- Bien, Jonas, tu peux m'appeler ton père ? Non, est-ce tu peux lui dire d'parler d’moi à Bronze ? C't'une terrible méprise c'qui s'passe là. Bronze peut m’compter parmi ses amis. Ma place est ici, sur ma terre natale. Transmets ceci à ton père, dis-lui "n'oublions pas Maxwell". Répète-l’lui, il comprendra.

L'élocution de Black était précipitée et même s'il essayait de maintenir sa peur sous contrôle, elle transpirait de chacune de ses phrases. La raison, Jonas ne pouvait le savoir. A un niveau microscopique, quelque part dans l'organisme de Black, le virus de la MDR se dupliquait allègrement. Le temps d'incubation étant de vingt-quatre heures, il devrait ressentir la première montée fulgurante de fièvre d'ici six heures environ et cette idée le terrifiait. Il faisait tout pour sortir d'ici et réussir à rallier Bronze pour que Nivel lui donne l'antidote.

- S'il te plait, Jonas ! J'ai donné à ta famille ses lettres d'noblesses en lui confiant les mines, vous en avez tiré fortune, vous m'devez bien ça.

- J's'rai vu comme un traitre.  

- Traitre envers qui ? Tu n'fais qu'transmettre un message. Si tu n'peux pas abandonner ton poste, fait glisser la missive à quelqu'un d'sûr, à qui tu confierais ta vie sans hésiter. T'as quelqu'un comme ça ici ?

- Ma... sœur. Dans les cuisines.  

- Parfait ! Et pendant que tu y es, apporte-moi un truc bien frais pour me rincer la panse, Nininini.

- Merci, Jonas, vas-y maintenant. C'est l'affaire d'deux minutes et personne ne pourra t'reprocher d'être allé grignoter un truc.

Après un moment d'hésitation, le jeune homme s'en alla au petit trot. Le bruit de ses pas se répercuta en échos dans les oubliettes. De soulagement, Black se laissa choir au sol puis jeta un regard haineux à Nivel qui s'amusait bien de son désarroi. Une lampe à huile à l’extérieur de leur cellule faisait danser sur leurs visages des ombres fantomatiques.  

- Tu prends ton pied hein ?

- Bah ouais, ce n'est pas moi qui risque de mourir de rire. Enfin, si. Je mourrai de rire en te regardant mourir de rire, nininininini !

- Non, tu n'auras pas c'temps. La maladie tue en deux semaines maxi non ? Toi tu risques d'mourir c'soir. T'as pas entendu Bronze ? Il a fait appeler Caffree Burn ! C'est l'maître des esclaves, l'grand manitou des razzias. Ils vont t'buter ensemble et cimenter leur amitié avec !

- J'espérais une fin plus glorieuse. Mais tu vas nous sortir d'ici. Sinon, peu importe que je meure, tu me suivras tôt ou tard. L'avantage avec une maladie éteinte, c'est qu'elle est éteinte ! Le seul antidote au monde, nous l'avons. Alors, pas de coup de pute. Ça veut dire quoi "n'oublions pas Maxwell" ? Tu fais passer des messages secrets à tes anciens hommes ? Tu complotes quelque chose ?

- Ce que Reich et toi voulez, c'est bien l'soutien des Darkness non ? Vous l'aurez et peu importe qui dirige. Et puis, j'vois pas en quoi j'complote. L'poste d'chef est à moi, je l'avais juste laissé... en vacance. Ce s'rait légitime d'vouloir l'récupérer. Surtout d'la main d'ce drogué...

- Y avait quoi dans la seringue que ces infirmières lui ont foutu dans les veines ?

- J'l'ignore. Probablement du Venner. Il contient de la morphine mais est tellement addictif...

Des pas les prévinrent et ils se turent. Jonas revint se placer à son poste de garde en hochant la tête d'un air content. Un silence muré s'installa, uniquement brisé par les airs occasionnels que chantonnait Nivel. Un moment après le contact avec Jonas, un quartet d'hommes en arme vint chercher Black. L'anarchiste se leva et fit mine de les accompagner mais il se fit une nouvelle fois rouer de coup. On le laissa seul et misérable dans sa cellule. Le tour de garde Jonas prit fin et personne ne vint le remplacer. On emporta également la lampe et Nivel demeura seul dans le noir le plus absolu. Jamais des oubliettes n'avaient aussi bien porté leur nom.

Patiemment, il attendit le retour de Black. Le temps s'égraina lentement et il finit par en perdre le compte. L'anarchie, c'était son fort, pas les plans à long terme. Sortir d'ici n'était pas un problème mais l'heure n'était pas encore venue, la situation ne s'était pas assez détériorée. Ils étaient sur la bonne voie mais pour que survînt le chaos que recherchait Loth, quelques goupilles supplémentaires devaient sauter. Devait-il attendre la venue de ce Caffree Burn pour leur montrer un aperçu du Nivellement ? A coup sûr, ce type était un cador des Burn et probablement celui qui avait tout raflé sur Holiday. L'éliminer constituerait une avancée majeure mais uniquement si Loth avait déjà retrouvé Émeline. Mais enfermé et dépouillé de son escargophone, il n'avait pas directement les moyens de prendre le pouls de la situation des autres.

La lumière réapparue et les oubliettes s’illuminèrent à nouveau. Black revint mais tout seul. Il arborait à nouveau cet air suffisant qui avait éclairé son visage bien des mois plus tôt, quand Levasseur et lui étaient certains de leur victoire sur Loth et ses alliés.

- Toi, tu as la gueule de quelqu'un qui a une bonne nouvelle à m'annoncer.

- Une bonne nouvelle assurément. J'ai trouvé un accord avec Bronze, mes contacts ont plaidé en ma faveur. C'pour ça qu'j'peux m'balader tranquillement, j'jouis d'toute ma liberté.

- Et qu'en est-il de notre accord ?

- Accord ? Ton chantage tu veux dire ? Pour ça... ça m'brulait d'pas le dire mais... VA TE FAIRE FOUTRE !

- Parfait, parfait, pensa-t-il, tout joyeux. Quoi ? Attends, joue pas avec le feu, tu sais bien que si tu ne nous obtiens pas l'alliance...

- J'vais mourir d'rire ? Non. Vous avez fait deux erreurs en m'amenant ici.  La première, c'est que j'ai toujours des soutiens et grâce à vous, bientôt, je recouvrerai mon poste, dit-il d'une voix conspirationniste. La seconde, c'est que votre méconnaissance d'Carci' vous perdra. Les maitres d'la Jungle, l'clan Oméga regroupe les meilleurs pharmaciens et virologues de l'ile. De North Blue ! Qui n'ont rien à envier aux toubibs de Zaun. Et tu peux l'croire ça ? Eux aussi ont des échantillons du virus d'la MDR. Quand j'ai expliqué à Bronze d'qu'elle manière vous m'teniez par les couilles, il m'a laissé contacter le Grand Pharmacien. L'remède, ils l’ont déjà en formule, mais il faut quatre jours maxi pour l’concocter. J'aurai d'la fièvre mais d'ici là, aucun délire selon lui. Tu vois, tout votre plan tombe à l'eau.  

- Sale fils de...

- Houahouahoua, on dirait que l'désespoir a changé d'côté hein ? Mais tu sais ce qu'est mieux ? C'est que Caffree arrive pour toi et que votre plan va plus qu’jamais unir nos deux clans. Bronze a convoqué son conseil de guerre, j'vais lui conseiller d'envoyer des Énigmatiques capturer Reich. J’viendrai t'montrer sa tête de binoclard quand nous en aurons fini avec lui. Et la putain qu'il cherche, si Caffree n'la pas encore vendue, c'moi-même qui m'la baiserais ! Avant que j’sois soigné, j’espère. Et comme ça, j'pourrai lui transmettre la MDR et la regarder mourir d’rire. Touchant non ?

- Tu vas me payer ça, connard de mes deux ! Reviens ici, reviens te battre comme un homme !

- Cause toujours, tu m'intéresse, looser.

Et il s'en alla. Et Nivel cessa sa comédie. Finalement, si le Nivellement ne donnait rien, il pourrait toujours se reconvertir en acteur, se dit-il en riant. Il ne restait plus qu'à attendre la venue de Caffree pour donner libre cours au chaos selon Zéro.  

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Aella Madoff "Zéro"

Une liqueur chocolatée à la main, Aella était allongée à côté d'une cheminée d'époque où un puissant feu ronflait. Son escargophone posé à ses côtés, elle attendait l'appel de Dena' dès que l'Arbre à Palabre le recevrait. La suite du plan qu'elle avait tissé pour Loth dépendait de la décision de ce conseil des trois de les soutenir ou pas. Et elle avait confiance dans ses prévisions, il y avait quatre-vingt pour cent de chance qu'ils acceptent selon ses calculs. Les vingt pour cent restants dépendaient entièrement de la réussite sans accrocs de la mission que Loth devait mener parallèlement aux négociations. Les plants de Vyper, il devait les dérober sans tapage, en toute finesse pour que nul ne pût les relier à ce vol. Déjà que son absence déplairait fortement à l'Arbre à Palabre, la totale serait qu'un incident les trahît...

- Finalement, ce n'était pas une bonne idée de lui cacher cette information, je pense... susurra-t-elle dans la solitude de son manoir Boréalin.

Elle avait sciemment occulté une information qui pourrait paraître risible à première vue mais qui, dans le cas très spécifique où Loth viendrait à en prendre connaissance pourrait déterminer non seulement de la suite des opérations à Carcinomia mais aussi de leur survie là-bas. Ils ne devraient pas s’aliéner le clan Oméga, les Burn, c'était déjà assez. Mais si elle avait divulgué cette information à Loth, il serait rentré dans une noire colère et vu ses états d'âmes actuels, ça n'aurait pas tardé à péter et tout aurait été foutu. La seule chose à faire était d'espérer que dans son cheminement vers les Serres, rien ne l’emmènerait à visiter le laboratoire Manhattan...

PULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULUPULU !

- Allô ?

- Yeah Miss. J'suis avec l'Arbre à Palabre. On peut y aller.

- Mes amitiés, vénérables membres de l'Arbre.

- Nos amitiés réciproques, Zéro. Ça a été une surprise cette demande d'audience. Nous pensions ne plus jamais entendre de vos nouvelles après la brutale interruption de nos relations commerciales.  

Elle reconnut la voix asthmatique du Grand Pharmacien, Aloès White. Bien qu'elle ne l'eût pas sous ses yeux, Aella visualisa aisément la vénérable carcasse de ce nonagénaire à la barbe blanche descendant jusqu'au genou. En tant que plus ancien membre, il était toujours le premier à prendre la parole. L'arbre à Palabre tenait toujours ses réunions au centre des Serres, sous un baobab plusieurs fois centenaire qu'on disait être du bois d'Adam. Dans le tronc massif et noueux de l'arbre avait été sculptés trois sièges où prenaient places les membres du conseil. Durant sa première visite à Carcinomia, elle se souvint avoir été magnifiquement impressionnée par la beauté et le sens artistique de ces trônes.  

L'Arbre à Palabre était un conseil rassemblant les trois individus occupant les plus hautes fonctions de La Jungle. Ceux qui avaient été élevés aux titres de Grand Pharmacien, de Grand Chimiste et de Grand Toubib. Ces titres regroupaient les trois domaines majeurs de l'économie de La Jungle. Le chef de clan était choisi par ces trois-là et depuis six ans, cet honneur revenait au Grand Chimiste, Barnaby White. Aella l'imagina occuper le trône du milieu et laisser ses longs cheveux soyeux à la texture liquide cascader négligemment sur ses épaules. A sa gauche, le Grand Toubib, une femme de forte corpulence à la mâchoire carrée et aux airs de bulldog siégeait surement.

- Je m'excuse pour ça, répondit-elle. La situation était très compliquée et pénible, je n'ai pas eu le temps de rompre nos accords comme cela se devait. C'était un cas de force majeure.

- Marie-Curie est-elle vraiment morte ? s'enquit le chef de clan.

- Je crains que oui.

- Dommage. Je l'aimais bien, c'était une chimiste comme j'en avais rarement rencontrée dans ma vie. Sa compréhension de la chimie était intuitive et son approche, remarquablement innovante.

- Sa mort a sonné le glas de la Cellule Tempest qu'elle dirigeait. Qui plus est, son laboratoire installé dans le train de Boréa fut saisi et détruit. Nos stocks de Dance également. Vous comprenez qu'à ce niveau, nos relations ne pouvaient que brutalement s'interrompre ? Une chasse aux hommes d'Ashura avait lieu dans le royaume, nos existences même étaient menacées.

- Ouais, vous aviez d'autres chats à fouetter en somme. On a compris. Et si vous nous renseigniez sur la raison de votre... présence par escargophone ? fit la voix sèche de Liza White, le Grand Toubib.

- Et bien, c'est assez simple. Je suis venue relancer notre partenariat au point mort. Nous désirons nous approvisionner une nouvelle fois en intrants auprès de la haute et très spécialisée industrie chimique des Oméga.

- Vraiment ? Aux dernières nouvelles, Ashura agonisait, poignardé de part en part par les œuvres du Chien de Givre.

- Au dernière nouvelle, j'étais morte. La réalité n'est qu'une illusion.

- Donc ces nouvelles seraient fausses ? Ashura aurait encore des ressources ?

- Non, Ashura, c'est terminé. C'est de l'histoire ancienne. Mais la Dance Powder est un marché toujours rentable et le carnet d'adresse d'Ashura subsiste toujours. Donc, j'ai des clients à satisfaire. Du crépuscule d'Ashura est née l'aube de Shadow Law.

- Shadow Law... Donc Lavoisier serait toujours du jeu ?  

- Non, il est fini lui aussi. Ou en passe de l'être.

- Cette nouvelle organisation, c'est vous qui en menez la danse ?  

- Non. Le Chien de Givre.

- Pardon ? Vous plaisantez ?  

- Je ne plaisante jamais. Il se trouve que le Chien a des tentacules qu'il dissimule à la leur du crédule et de la populace. Laissons le commun des mortels raconter ce qu'il veut et engrangeons nos millions, n'est-ce pas ce pour quoi nous travaillons si dur ? Le partenariat que nous avions concernait la fourniture de solvants PH-25 pour la Cellule Tempest à raison d'une tonne par mois. Mais Shadow Law ayant un nouveau chimiste-en-chef, la formule de la Dance a changé. Il nous faudrait du dissolvant XX-56 ainsi que du Nitrate de Zinc en granule. Deux tonnes par mois. Pouvez-vous satisfaire une telle commande ?

- Naturellement, répondit le Grand Chimiste. Même si le Nitrate de Zinc requerra des installations supplémentaires.

- De l'investissement de production que vous rentabiliserez. Shadow Law sera deux fois plus étendue que ne l'était Ashura. Cette commande n'est que pour ses deux premières cellules. Nous comptons en ouvrir d'autres et vous donner l'exclusivité de notre approvisionnement en matières premières.

- C'est ce que j'appelle un retour en force. Vous disparaissez sans nouvelles pendant huit mois et tout à coup, vous nous offrez de juteux contrats qui valent le triple du précédent. N'étant pas né de la dernière pluie, Zéro, où est l'anguille sous la roche ? fit la voix du vieillard. On ne la lui faisait pas. D'autant plus que selon mes informations, Loth Reich lui-même est à Carcinomia présentement, ajouta-t-il, déclenchant la surprise de ses collègues.

- Il est ici ? Ben pourquoi n'est-il pas venu personnellement nouer nos futures relations ?  

- Il a pensé que j'étais la plus à même de le faire étant donné nos passifs. Mais le vénérable Aloès a raison. Mes propositions de fourniture, aussi juteuses qu'elles soient, ont un prix.  

- Un prix ? Nous vous fournirons déjà en intrants très rares. Vous pensez que vous êtes en position d'exiger quoique ce soit en retour ? s'indigna le Grand Toubib.

- Bien sûr que je le pense sinon, nous n'aurions pas cette conversation, répondit-elle de sa voix la plus hautaine et cassante. Elle en avait déjà marre de cette écœurante déférence dont elle faisait preuve, son égo en était à chaque fois meurtri. Avec Ashura, vous n'aviez qu'un contrat de fourniture avec une seule Cellule. Là, je vous propose l'exclusivité pour toutes les Cellules de North Blue que Shadow Law ouvrira. Et en gage de bonne foi, je viens de vous donner les marchés d’approvisionnement de nos deux Cellules actuelles, le Terrier et la Poudrière.

- En échange d'l'exclusivité, on vous d'mande juste une seule chose. D'donner un visa médical d'entrée à cent d'nos hommes, dit Dena'.

- Pardon ? Cent visas d'entrée ? Ils souffrent de quoi vos hommes ?

- De rien du tout. Nous ne pouvons pas les faire venir autrement sans susciter des méfiances de part et d'autres. Les milices Wave ne laisseront jamais passer une telle quantité d'hommes sans une enquête approfondie. Mais si c'est un convoi médical, surtout estampé "hautement contagieux", ça passera. Votre science étant quasi inégalée sur cet océan, vous avez l'habitude d'importer des malades pour les soigner. Le tourisme médical est un des pans principaux de votre économie. Vous aviez délivré le même type de visa pour soigner cinquante-deux hommes d'Ashura après leur intoxication au chlore dans un des labos de Marie-Curie, il y a trois ans.

- Oui mais ils étaient réellement malades ! Là, ce que vous nous proposez c'est... c'est quoi ? Être complice d'une force d'invasion à Carcinomia ?    

- M'enfin, où est passé votre bon sens, Barnaby ? Vous pensez vraiment que cent hommes pourraient faire pencher une quelconque balance à l'échelle de tout Carcinomia ? Non. Mais à l'échelle du Roc, peut-être. Il y a un complot qui se trame actuellement ce Secteur. Le Roc va se retrouver déchiré entre des luttes intestines de pouvoir et si nous n'empêchons pas ça, alors oui, la situation globale risque d'être un poil nauséabonde.

- L'aide de Loth a été mandée par l'jeune Willian Darkness qui a vu v'nir ces troubles. Malheureusement, il a été trop éloigné des affaires toute sa vie pour avoir l'soutien des principaux lieutenants. Ses forces sont risibles comparées à celles des Éléphants qui s'disputent l'pouvoir. Les cent hommes dont vous bénirez l'entrée s'ront un appui tactique aux quelques hommes d'Willy.

Un mensonge de dernière minute pour palier le seul point faible du plan qu'elle avait dressé. Le plus ardu quand on prétendait soutenir une des parties d'un conflit était de choisir le bon. Elle n'avait aucune idée des sympathies que pouvait avoir l'Arbre à Palabre pour X-Bronze ou Jack Black. Par défaut, elle avait opté pour la solution Black jusqu'à ce que Loth croisât Willian Darkness durant cette vente aux enchères. Manifestement, le jeune homme complotait quelque chose lui aussi et même si ils en ignoraient la teneur, ils avaient tous unanimement opiné pour en faire le porte-étendard de leur bluff.



Dernière édition par Loth Reich le Jeu 31 Mar 2016 - 2:22, édité 1 fois
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Aella Madoff "Zéro"
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- Non mais vous délirez, personne ne se dispute un quelconque pouvoir au Roc ! répliqua Barnaby.

- En êtes-vous certains ? Vous ignoriez la présence de Loth, donc vous ignorez aussi le retour de Jack Black, l'ancien chef de clan ?

- Non, j'crois qu'ils savent, commenta Dena. Lui, était en face d’eux, il pouvait décrypter leurs expressions.

- Rien que sa présence a réussi à galvaniser les lieutenants qui ne portaient pas Bronze et ses méthodes expéditives dans leurs cœurs. Ils se préparent à le renverser mais étant plus paranoïaque que dupe, Bronze mobilise aussi ses forces. Ce que je vous dis est véridique, le Roc va être à couteaux tirés et les seuls qui puissent empêcher ça sont Loth et Willian Darkness.

- Aux dernières news, Black était enfermé puis a réussi à sortir des oubliettes. Mais avant, Bronze aura réussi à l'empoisonner d'une quelconque manière. Et pour ça, il a désespérément juré vengeance.  

- Je suis certaine que Black ne tardera pas à vous faire appel pour le soigner si jamais il ne trouve pas de remède au poison par ses propres moyens.

- Ce n'est pas un poison, déclara le Grand Pharmacien après un silence pesant. Jack black a été contaminé par un ancien virus. Et oui, il nous a contacté.  

- Bingo ! Pile poil au bon moment. Beau travail Nivel ! pensa-t-elle.

- Mais tout ceci est extrêmement troublant. Jack Black nous a dit qu'il a été infecté par une souche à Zaun.  

- Sérieusement, Grand Toubib, vous vouliez qu'il vous dise la vérité ? Qu'il veut reprendre le trône qu'il a laissé ? Que ce drogué au Venner de Diez Bronze -oui nous savons- lui a refourgué un virus qu'il projetait surement d'utiliser comme arme bactériologique si jamais ? J'espère que vous n'êtes pas crédule à ce point.

- Contrôlez vos paroles, Zéro !  

- Non ! Vous, réfléchissez plus rapidement ! tonna-t-elle, feignant l'impatience. L'équation est simple. Le plus puissant Secteur est sur le point de basculer. Et un des principaux acteurs vous a demandé de l'aide et vous avez accepté. Que pensera Bronze de vous quand il saura que vous soignerez son ennemi ? Bien sûr, c'est de la médecine, peu importe la personne, vous la soignez. De biens nobles idéaux, mais pensez-vous que Bronze les comprendra ? Je viens pour vous ouvrir les yeux, bon sang ! Sans le savoir, vous avez pris parti dans une guerre intestine à l'issue incertaine.

- Et vous alors ? Vous êtes un des camps et venez quémander notre aide pour qu’on vous serve d'appui. N'est-ce pas prendre part ? Votre victoire non plus n'est pas certaine.

- Retirez ce mot, Barnaby, il est blessant. Vous me connaissez assez pour savoir que je ne quémande jamais. Je marchande, il y a une puissante différence. Je ne vous demande pas de lever vos bannières, je vous demande cent visas d'entrée en échange d'un juteux contrat et d'une exclusivité. A prendre ou à laisser.

- Vous pensez vraiment être en position de force ?  

- Je suis toujours en position de force quand je viens négocier, Vénérable. Si ça ne vous intéresse pas, dites-le et je trouverai un autre moyen d'acheminer nos hommes. Je pense notamment au clan Burn. On pourra toujours les faire venir en tant qu'esclaves. Le clan Avast aussi pourrait être partant, ils entretiennent une forte relation avec Zaun, ils s'échangent souvent des ingénieurs.

- J'penche pour les Burn. Ce s'ra plus facile ainsi.  

- Ne vous y trompez pas. Je viens vous proposer ceci par nostalgie de notre collaboration passée qui s'est toujours bien déroulée. A vous de voir de quel bord vous êtes.

Un épais silence s'installa. Aella changea de position sur ses coussins et attendit le verdict du conseil. Elle pouvait entendre leur cerveau machiner et grincer sous les réflexions. En fait, calculaient-ils sûrement les centaines de millions que pouvaient leur faire gagner une exclusivité avec l'organisation remplaçante d'Ashura. Les questions géopolitiques étaient secondaires pour eux, elle en était certaine. La Jungle et le Roc étaient tous deux aux extrémités opposées de la carte. Pour qu'un trouble partant du Roc atteignît La Jungle, il faudra vraiment du temps et ils le savaient tous.

- Disons qu'on accepte de vous octroyer ces laisser-passer. Il est hors de question que La Jungle serve de base arrière à vos troupes. Elles devront débarrasser le plancher aussitôt débarquées ici.

- Disons qu'elles dégageront au plus tard une semaine après leur arrivée. Nous n'avons pas encore décidé des modalités de déploiement.

- Vingt-quatre heures.

- Soixante-douze heures, c'est mon dernier mot.

- Vendu.

- Alors nous avons un accord. Dena' !

Il était prévu que l'indic leur remette un porte-document portant sur l'exclusivité que Shadow Law s'engageait à leur octroyer. Même dans l'underground, la bureaucratie avait court et en cas de conflit, cela pouvait se régler à coup de balles ou soit devant le tribunal des Sept de Manshon. Elle entendit les bruits de griffonnement d'un stylo à plume sur du parchemin. Loth avait déjà signé ses parties.  

- Voilà, c'est fait, dit Dena'. Tout est bon. Maintenant nos visas, Vénérables.

Quelqu'un claqua des doigts et Aella entendit ses clapotements de pas. Barnaby adjoint Dena' de suivre le nouveau venu qui se chargerait de lui délivrer les bonds d'entrées tant attendus. Il était l'heure de rompre la communication, Zéro fit ses adieux au conseil et souffla de soulagement. Tout s'était bien passé et à l'heure actuelle, Loth devait déjà avoir chipé les plants. Alors qu'elle voulut raccrocher le combiné, une formidable détonation lui hérissa les cheveux. Elle était à des centaines de kilomètres de Carci et pourtant, elle avait eu la chair de poule. Elle imagina Dena et les autres se retrouver à terre à cause des secousses ou de l'onde de choc. Normalement, ils étaient assez loin de la source pour subir de quelconques blessures. Parce qu'elle savait exactement ce qui venait de se passer, ses pires craintes se trouvèrent confirmées.

Loth avait trouvé le laboratoire Manhattan.

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Une heure plus tôt, parallèlement aux négociations avec l'Arbre à Palabre...

Loth

Le Niveleur Sam Tex sur ses talons, ils se frayaient un chemin à travers les venelles boisées de la Jungle. Ce Secteur portait bien son nom, tout y était vert, d'entêtantes plantes grimpantes avaient colonisé tous les pans de mur et rendus mousseux la moindre parcelle de pavé. Et dire que la végétation était rare dans les autres Secteur, ici, elle abondait. Le clan Oméga fut le premier à dompter la végétation et à faire pousser un quelconque arbuste après l'effondrement du sommet. La lumière du soleil ne leur parvenant plus que par des raies épars, la photosynthèse devint quasi impossible mais il existait des plantes capables de se développer avec le minimum et les Oméga en firent culture.

Ils venaient de quitter la frontière de Virus et se dirigeaient vers le centre de la Jungle, au siège même du pouvoir des Oméga, un quartier appelé les "Serres". Un conglomérat de laboratoires dédiés aux sciences chimiques, à la pharmacologie/herboristerie/virologie, à la médecine et bien sûr à la fabrication de drogues et de poisons. Chemin faisant, ils eurent un aperçu des ravages que provoquait le Venner. Dans les plus sombres quartiers malfamés qu'ils avaient emprunté par souci de raccourci, des gens de tout âge, de tout sexe leur étaient tombés dessus, certains suppliant, d'autres faisant preuves de violence, tout ça pour quémander un peu de pièces et acheter l'addictive résine de Vyper. Il était alors vingt-trois heures passé et dans les ténèbres, leurs dents luisaient d'une lumière blanche et éclatante. La preuve ultime de l'addiction au Venner. Loth jeta quelques billets pour se débarrasser d'eux et telles des hyènes se battant pour une carcasse, ils s'étaient jetés sur l’argent, s'entre-déchirant pour attraper une coupure. Après ce pitoyable spectacle, au détour d'une rue, une fille, même pas majeur leur avait proposé ses services sexuels contre de l'argent. « Tiens, prends ça et va t’acheter quelque chose à manger ! » lui dit-il en lui remettant quelques milliers de Berry.

- Vous savez bien qu'elle ira acheter cette saloperie avec votre fric, monsieur, commenta Sam Tex.  

- Mouais, je sais... Dépêchons, Dena' doit déjà parler au conseil.

- Notre cadence soutenue depuis notre départ du motel Alouette a payé, monsieur. Nous sommes en avance, le quartier des Ronces est en vue.

L'alouette expliquait pourquoi Loth était attifé dans une blanche blouse de médecin, pourquoi il avait coupe en bol et était blond tirant sur le blanc. Même ses précieuses lunettes photochromiques rectangulaires furent remplacées par des verres ronds. Là, il ressemblait vraiment à un binoclard boutonneux, encore heureux se dit-il qu'il gardât sur lui plusieurs formes de ses verres en cas de déguisement improvisé. Ainsi transformé, il revêtait l'identité de Wolfgang Van Pest, le chimiste de haut rang du clan Oméga qui les attendait dans la chambre 26 du motel. « Tu verras qu'il te ressemble physiquement » avait-elle dit mais à la vue de la dégaine de l'homme, Loth fut pris d'une furieuse envie de se téléporter à Boréa et de fracasser la tête de Zéro contre un mur jusqu'à ce qu'elle retrouve sa vision. Ce type ne lui ressemblait en rien du tout... Pas plus qu'un lapin Agora ne ressemblait à un limier.
Wolfgang Van Pest avait travaillé avec Marie-Curie et rien qu'en y pensant, Loth eut envie de le tuer. Sa voix ridiculement haut-perchée n'arrangea rien du tout. Il s'attendait à ce que Loth et Sam lui remettent certains résultats de recherche de Marie mais tout ce qu'il eut en retour furent des coups de poings et un ligotage à son lit.

- Quoi ? Qu'est c'passe ? Doit être une méprise ! Pas celui que vous cherchez ! Moi partir !

- Ça lui arrive de former des phrases complètes, tu penses ?

- Je pense qu'il est trop terrorisé, monsieur.

- Très étrange de la part d'un chimiste ayant travaillé avec Curie. Tu sais qui était cette abominable bonne femme, hein ? Van Pest ?

- Laissez-moi, vous dit !

- J'ai entendu parler d'elle, vous l'avez tuée au début de l'année non ? C'était une génocidaire qui aurait éliminé des centaines de personnes sur son île natale avant de refaire la même à Boréa.

- Oui, elle tuait et gazait pour le plaisir. Elle a éliminé le peuple des Yrys à Boréa pour implanter son laboratoire sur leur territoire. Trois cent trois personnes. Gazées comme des sauterelles. Quelle genre de recherche meniez-vous avec elle, Wolfgang ?

- Insecticide, lutte contre les nuisibles. Pitié, relâchez-moi !

- Les nuisibles hein... C'est le même terme qu'elle utilisait pour parler des personnes qui n'étaient bonnes qu'à être gazées. On peut y aller Sam.

- Non, noooooooooooooon, pitié !  

L'anarchie était une voie de vie et même dans la torture, les anarchistes convaincus restaient désordonnés, chaotiques et peu élégants. Loth laissa Sam Tex jouer les bouchers avec Wolfgang pour peu qu'il leur révéla ce qu'ils désiraient savoir. Et il parla très rapidement, ce qui ne fit qu'augmenter l'aversion qu'avait Loth pour lui. Dès qu’ils étaient confrontés à la douleur, ce n'étaient rien que des fiottes lâches et pleurnichards, ces petits misérables et abjects scientifiques qui pouvaient tuer des centaines de personnes pour une expérience. Au moins Marie-Curie s'était-elle battue avec abnégation en emportant dans sa tombe le Lieutenant de Marine Will Kelly, partenaire de Loth dans cette enquête.

Wolfgang parla. Dans les Serres, au nord, dans un laboratoire appelé les SS (Serres Sulfureuses) était cultivé le Vyper. Pour y rentrer, il fallait une accréditation de niveau 5 et le sien était de 4. Ce qui signifiait pour Loth qu'ils allaient pouvoir progresser jusqu'au dernier labo avant les SS. Après, il s'agira d'improviser ou de casser quelques os. Ce que voulait éviter Zéro. Mais sous la torture, il leur révéla l'existence d'un passage secret qui permettait de rallier les SS sans passer par les voies habituelles.

- Sous terre... ha... dans l'quartier... ha... des Ronces... la bouche d'égout juste à côté d'la fontaine publique mène... ha... ha... directement au labo Manhattan. L'est situé... ha... juste sous les... SS... Y a une échelle... secrète qui... monte... Ha... Pitié... cessez... ça... hacha-t-il, dégoulinant de larmes, en émergeant de l'inconscience quelques minutes après que Sam Tex lui eût coupé le membre viril. Il avait osé se laisser aller à une résistance en refusant de les renseigner sur le passage secret.

- Bon, je crois qu'on a fini avec lui Sam.

- Plea..se... J'ai... une femme... des en..fants...

- Des milliers de femmes et d'enfants dans le monde seront surement sauvés quand tu mourras. Faut se sacrifier pour la majorité, Wolf !

Sam lui trancha alors la gorge et pendant qu'il agonisait en borborygmes, Loth lui fit les poches et rafla toutes ses possessions, clés, escargophones et pièces d'identités.

- C'est ici monsieur. La fontaine publique. Nous sommes dans le quartier des Ronces. Les Serres ne sont pas loin, de ce côté vers le nord.

- Cherchons l’égout dont il a parlé alors.

Ils la trouvèrent soigneusement cachée sous les racines d'un enchevêtrement de lianes et y plongèrent. Pas d'odeurs fétides, pas d'eaux usagers, le tunnel était propre et soigné, entretenu. Ils marchèrent pendant quelques centaines de mètres dans les ténèbres faiblement éclairés par le lumino-dial de Sam. Loth quant à lui avait un tube fluo rempli de lucioles de Boréa. Ils tombèrent sur une massive porte en plomb où des affiches "interdit d'entrer", "personnel autorisé uniquement", étaient collées. Ils ignoraient ce qui les attendaient derrière la porte alors ils revêtirent leurs masques à gaz. D'un commun accord, autant par souci de sécurité que de discrétion, les armes à feu furent prohibées. Grâce à une des clés, Loth ouvrit la porte.

Personne. Le laboratoire était immensément vaste. Tout était une blancheur de lin, les carreaux, les murs, la lumière, les machines. Sam Tex sortit un instrument de mesure à clignotants et les lumières se mirent à festoyer. Il fit à Loth un signe qui lui signifia que l'air n'était pas respirable et qu'il valait mieux garder leurs masques. Le Moine s'y attendait. Sachant qu'il n'y avait aucune issue, ce misérable petit binoclard les avait aiguillés dans un piège mortel. Marie-Curie également avait la manie de répandre dans son laboratoire un gaz létal avant d’en sortir, de sorte que quiconque entrât en son absence fût tué sur le coup. Il devait y avoir quelque part un système d'aération pour purifier l'atmosphère se dit Loth mais il renonça à chercher. Y avait-il seulement un quelconque escalier ici menant dans les SS où s'était-il payé leur tête ?

Ils se séparèrent pour chercher. Le labo devait au moins faire trois deux cents mètres de long. Pendant un moment, Loth ne croisa que des machineries, des frigos et des bocaux dans lesquelles mijotaient de petits animaux morts. Parfois, une bouteille plus grande accueillait un tigre ou quelconque félin marinant dans un liquide ambré. Sur de longs tableaux étaient exposées des formules chimiques, des éléments et des combinaisons que Loth reconnaissait sans y être un expert. La mémoire eidétique permettait de toucher à tout, de savoir une bribe de ci et de ça mais son domaine de prédilection à lui demeurait la criminologie. Il tomba sur le carnet de bord du laboratoire dans un petit bureau et plus il feuilleta, plus il perdait le semblant de contrôle qu'il avait réussi à garder ces dernières heures en pensant le moins possible à Émeline. « C’est un laboratoire de test. Ils y expérimentent des psychotropes, des médicaments et des poisons. Sur des cobayes. Animaux comme humains… » pensa-t-il en décodant les lignes du carnet.

Sam Tex tapota et le bruit parvint à Loth. Il était à l'autre bout du laboratoire, dans la partie que le Moine Hérétique espérait ne pas voir. Des humains. Encagés. Il en compta vingt-deux et fit signe à Sam de se tenir à l'écart. Beaucoup semblaient plus légumes que vivants. Avec émotion, Loth reconnut le demi-géant battu qui avait ouvert la vente aux enchères quelques heures auparavant. Maintenant, il ne ressemblait plus à grand-chose, des pustules violettes avaient poussés sur tout son corps. Il était vivant mais juste de peu. Sporadiquement, un spasme épileptique le secouait puis il retombait dans sa léthargie. Dans la cage à côté, un enfant homme-poisson était amputé de tous les membres. Seul son tronc subsistait mais il était toujours vivant, les yeux vitreux, la respiration lente. Des esclaves tous. Achetés pour servir de cochons d’Inde.

Plus tôt le matin, sur les quais, il avait explosé en apprenant pour les esclaves sexuels mais ceux-là...
Émeline n'avait rien de particulier en termes d'unicité physique. Pour les tests, il fallait souvent des caractéristiques génétiques ou corporelles uniques pour tester telle ou telle molécule. Non, elle n'était pas passée par ces cages, se mit-il à espérer. Tremblant, il fit signe à Sam de le suivre dehors. Si seulement il avait eu une idée de ce que Wolfgang expérimentait réellement ! Mais au vu de son passif avec Curie, il ne s’attendait pas à ce qu’ils eussent travaillé sur des projets sociaux mais là... Finalement, les recherches de la génocidaire qu'il espérait recevoir ce soir étaient peut-être en rapport avec le gaz dont elle se servit pour exterminer les Yrys. « Aella le savait, elle ne m’a rien dit », se convainquit-il. C'était-elle tout craché, elle savait qu'il n'aurait jamais été lui-même si elle l'avait renseigné sur la nature réelle du chimiste qu'était Wolfgang Van Pest. Mais elle lui avait demandé de le supprimer. Pas pour camoufler son identité mais une ultime excuse pour avoir collaboré dans le passé avec cet homme, en conclut Loth. Certes, mais il était beaucoup trop en colère pour faire preuve de bon sens et lui pardonner à son Numéro 2 ce coup de pute.

- Il n'y a aucune échelle là-dedans, il s'est foutu de nous. Un ultime doit d'honneur avant de mourir. On aurait dû le garder vivant, lui arracher chaque centimètre carré de sa peau... baragouina-t-il dans les égouts, loin de la toxicité du labo.

- C'était horrible ! Vous avez vu cette femme qui...

- Assez ! Donne-moi ton sac. On va faire sauter cet endroit.

- Euh... certain, monsieur ? Je comprends que...

- Donne-moi ton sac ! Il n'avait pas envie d'élever la voix mais il ne se contenait plus. Je sais ce que j'ai à faire. Ce laboratoire n'utilisera plus personne comme cobaye. Bon sang, ils perdent tous la tête dans ce pays et c'est ça qui me conforte dans l'idée de tout rafler et de redéfinir les bases d'une contrebande saine. On n'a pas besoin de cobayes de telles sortes, bordel ! Il te faudrait combien de temps pour faire le chemin inverse, faucher un carrosse, retourner dans ma suite au Blue Diamond, y extraire les corps des deux Énigmatiques et revenir ici, juste au niveau de la fontaine publique ?

- Une heure ?

- Je t'en donne la moitié. Vole, fais aussi vite que possible, je minuterai les bombes sur une demi-heure. Tu viens, tu déposes les corps et tu te tires. Pendant ce temps, je m'occupe de récupérer le Vyper.

- Le Roc sera accusé de l'attentat...

- Vas-y, file !

Trente minutes plus tard, une superbe explosion éventra toute une partie du quartier des Ronces et des Serres. Le laboratoire Manhattan contenant des produits chimiques inflammables, la réaction fut démultipliée. Les débris furent projetés très haut dans le ciel puis retombèrent en une pluie de gravats. Pendant ce temps, Loth s'était débrouillé pour arriver aux SS juste au moment où la détonation eut lieu. Ce labo-là était le mieux gardé, il y avait tout un peloton de gorilles armés mais après l'explosion, ils se ruèrent comme un seul homme vers les lieux du sinistre, convaincus que leur territoire était attaqué. En resta une vingtaine devant laquelle se présenta Loth, Crépuscule son Wakizashi à la main. Jusque-là, les clés de Wolfgang lui avaient permis d'éviter la confrontation. Mais il ne désirait plus s'esquiver, depuis trop longtemps, le monstre dans ses entrailles désirait se nourrir à nouveau. Au nom de ces pauvres malheureux qu'il avait dû éliminer d'une balle pour couper court à leur souffrance. Le feu de l'explosion, pria-t-il intensément, purifiera leur corps et donnera à leurs âmes la paix qu'ils n'ont pas eue en ce monde.

- Tirez à vue !

- [...] Et vos cobayes me montreront le chemin vers votre sanglante destinée.



Dernière édition par Loth Reich le Jeu 31 Mar 2016 - 2:29, édité 1 fois
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Loth
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- Mais putaaaaaain mec ! T'as merdé un maaaaaax, t'as grave déconnnéééé !

- Euh, ma question c'était si tu le voulais corsé ou pas ton café.

- T'fous pas d'moi. C'était quoi ça hier ? A cause d'toi j'ai pas dormi !

- Moi non plus. Et tu sais qui sûrement n'a pas dormi, Émeline ! C'est pour elle qu'on fait tout ça, n'oublie pas.

- Justement ! Mais c'que toi t'as fait n'faisait pas partie du plan !

- Je ne peux qu'être d'accord avec Dena, fit la voix désincarnée de Zéro s'échappant de l'escargophone.

- Peut-être que si tu m'avais averti que tu connaissais Wolfgang parce qu'il faisait des expériences inhumaines avec Marie-Curie, j'aurais réagi un peu moins violemment en entrant dans son labo.

- Ç’aurait été pire ouais ! Mec, tu t'contrôles plus !

- C'est pour ça que vous êtes là non ? Me garder dans la ligne.

- Belle réussite pour l'instant...

- Et puis, je ne vois pas du tout le propos de ces sermons. Tout s'est emboité comme sur des roulettes. Même quand je pète les plombs comme tu dis, je garde un minimum de jugeote. Nous avons les visas et en plus, La Jungle et le Roc sont quasi en état de guerre.

- Ouais, guerre froide parce qu'ils n'peuvent géographiqu'ment pas s'friter directement, sinon ça partirait déjà en couille. Les corps d'tes Enigmatiques ont été découverts après l'explosion et tout d'suite, z'ont attribué ça au Roc. J'ai fait d'mon mieux pour les convaincre que c'est la preuve de c'qu'on avançait avec Zéro. Que Bronze s'est vengé en apprenant qu'ils vont soigner son ennemi Black. Il aurait fait sauter leur labo de test en représailles.

- Bien joué sur ce coup-là.

- La tension est monté d'un cran après les opérations d'secours. Trente morts. L'Arbre à Palabre a qualifié ça d'acte d'guerre et a rompu toutes ses relations avec l'Roc qui n'a cessé d'clamer son innocence depuis l'aube.

- De gardes, j'en ai tué vingt pour accéder aux SS. Les autres victimes sont sûrement des chercheurs dans des labos voisins. Bien fait pour leurs gueules. Mais je remarque qu'ils n'ont pas compté les vingt-deux cobayes parmi les victimes.

- A cinq heures c'matin, un incident a eu lieu sur l'lac Azur. Un sous-marin du clan Oméga a "accidentellement" éperonné et coulé un chalutier du Roc. Deux mat'lots sont morts noyés.

- L'acte irréfléchi de Loth aurait pu nous être gravement préjudiciable mais le fait d'avoir placé ces corps là-bas change tout. La situation va évoluer à grande vitesse maintenant.

- Roooh, t'étais pas censée lui jeter des fleurs mais lui passer un savon !

- Désolé. Navré que t'aies dû rester là-bas toute la nuit et que t'aies dû jouer des partitions pour colmater les brèches de ma connerie. Mais c'était plus fort que moi. Je ne pouvais pas sortir en sachant que d'autres personnes serviraient de lapins dans ce labo.

- Encore heureux que j'sois resté. Déjà que c'était bizarre que tu n'sois pas venu en personne proposer l'partenariat, manquerait plus que j'me sois sauvé juste après l'explosion. Là, z'auraient pensé qu'on est d'mèche avec les coupables.

- Sur mon conseil, il est resté et a essayé d'influencer l'Arbre à Palabre. Et bon travail du coup, Dena. Vraiment super.

- Oui, super travail.

- C'bon, vous allez m'faire chialer. T'as récupéré les plants au moins, j'espère ?

- Tu me prends pour un poids mort ? Ils sont là-bas, dit-il en désignant un coin de la pièce. Dix pousses de Vyper, soit trente millions de Berry.

- Whouah. Comment t'as pu acheminer une telle quantité ? Dans leurs bocaux qui plus est !

- L'attentat a suscité assez de chaos, Sam Tex est venu me rejoindre et ensemble, on a fait plusieurs voyages pour mettre les plants sur un chariot attelé. On les a couverts puis on a embarqué deux corps qui trainaient là qu'on a disposé autour. Ensuite, il nous a suffi de partir au triple galop comme si on amenait des victimes à l’hôpital.

- M'est avis que ces plantes sont incriminantes et qu'il vaut mieux s'en débarrasser au plus vite.  

- Maintenant qu'on a le feu vert, l'Antarès et le Scylla peuvent revenir. Dès qu'ils repartiront, les Vyper seront conditionnés dans leurs soutes. Je les ai pris avec leurs pots parce qu'ils poussent dans de la terre contenant un fort taux de sulfure.

- Bon voilà, ça c'est fait. La situation va s'empirer toute seule maintenant. Avec l'aide de Nivel aussi. Vous avez des nouvelles ?

- Selon Adria, son autre élève, il serait toujours détenu dans les oubliettes du Roc. Mais il doit s'y plaire ou attendre quelque chose avant de sortir. Il le fera au moment qu'il jugera opportun.

- Et son élève, où est-elle exactement ?

- Dans le manoir de Bronze, déguisée en esclave camérière. Apparemment, y en a tellement que personne ne vérifie leurs effectifs. Elle m'a renseignée que Bronze a convoqué ses lieutenants, la réunion doit avoir lieu dans quelques heures. On verra bien comment il réagira. J'attends surtout la réaction de Black en fait, maintenant que la Jungle a coupé toute relation et que son espoir de trouver un remède contre la MDR s'écroule.

- Hahahaha. La tronche qu'il doit tirer en c'moment... Pas fameuse !

- Bon du coup, laissons Nivel gérer le Roc. Quarante-huit heures ont passé depuis l'enlèvement d’Émeline. Vous venez de passer les dernières vingt-quatre heures là-bas. Vous connaissez celui qui a organisé la razzia. Quelle est la suite aujourd'hui ?

- La r'trouver, elle peut pas s'être évanouie. Elle est quelque part là, dehors !

- Quand viendront mes Fumiers ?

- Vers dix heures. Ils débarqu'ront tous en même temps, j'ai réussi à obt'nir de l'Arbre à Palabre qu'il nous prête quatre sous-marins supposément médicalisés. Ils étaient tell'ment furieux après l'Roc que tout c'qu'ils peuvent faire pour s'venger est la bienv'nue. Leurs submersibles sont bien plus mastoc qu'le Scylla ou ton petit Antarès. Mais à cause d'la situation, il s'peut que les visas médicaux suscitent la méfiance. Ils pourraient penser que La Jungle r'crute des mercenaires.

- Le convoi serait marqué "maladie contagieuse", nul ne se risquera à le fouiller de toute manière.

- Donc nous avons encore deux heures devant nous avant leur arrivée. Après déjeuner, nous irons à la Red Hair Postal voir ce que les copines d'infortune d’Émeline ont à m'apprendre sur leur enlèvement. Sans oublier que j'ai demandé des renseignements sur le modus operandi des razzias. J'aurais de la matière à exploiter pour approfondir la recherche, je pense.

- Tenez-moi au courant dans ce cas. Ciao.

- Rectification, tu iras seul chez Louli, mec. J'ai pas fermé l’œil, faut que j'me repose.

___ ___ ___

Une petite heure après cette conversation, son cocher le déposa au siège de la Red Hair, un modeste office à un étage à l'ouest de Virus. Louli le reçut avec une drôle d'expression. Elle brûlait d'envie de savoir s'il était d'une quelconque manière en relation avec les évènements de la nuit dernière mais comme elle ne formula aucune question, Loth feignit de ne pas comprendre les sous-entendus. Les filles étaient au fond de la boutique, aidant à trier des colis.

- Vous êtes rapides vous. Je vous ai demandé de les héberger, pas de les mettre au travail.

- Ben non, elles ont voulu donner un coup de main. Pour certaines, ça occupe leur esprit et les empêche de ruminer. Tiens, les voici, fit-elle alors que les filles se regroupaient autour de Loth comme des fourmis sur un morceau de sucre.

- Bien le bonjour mesdames. Avant midi, un sous-marin viendra vous chercher, vous pourriez alors partir de cet endroit maudit. Mais avant, j'aimerais bien un coup de main de votre part.

- Tout ce que vous voudrez, répondit la Boréaline à qui il avait parlé la veille. Ses camarades approuvèrent du chef.

- Cette femme a été capturée avec vous, mais hier elle n'était de celles qui furent vendues aux enchères, dit-il en leur montrant une photo d'Emeline. Quelqu'un parmi vous la reconnait ?

- Ah mais vous aviez une photo d'elle ! Moi je pensais que non. Sinon, on pourrait en faire des duplicatas, mes coursiers pourraient se renseigner !

- Non, je tiens à faire ça en toute discrétion. Il est une chose que le bruit court que je cherche un esclave particulier, c'est une autre qu'on sache que c'est elle. Rien ne me lie à Eme' alors son détenteur actuel ne devrait pas s'inquiéter. Chose qu'il fera s'il apprend que quelqu'un est à sa recherche. Il pourrait être tenté de se débarrasser d'elle ou de la faire déplacer hors de l'île et ça rendra les choses plus compliquées. Alors, les filles ? Personne ?

Timidement, une femme d'âge mûr leva la main. C'était une native d'Holiday Isle et son histoire sidéra proprement Loth. Coiffeuse de profession, elle lui apprit qu’Émeline fut sa dernière cliente juste avant l'arrivée des esclavagistes. « Pardon ? s’exclama Loth. Vous lui avez cousu un fruit sur la tête ? Un fruit ? » Elle acquiesça de la tête et poursuivit son histoire. Apparemment, Éme' aurait opté pour un modèle de chignon de geisha qu'elle aurait amandé en proposant à la coiffeuse d'insérer un fruit dans la boule de cheveu sur sa nuque. « Y r’ssemblait à une poire avec pleins d’arabesques y dessinés d’ssus » explicita-t-elle de son patois.

- Ouais... bon passons les excentricités d’Émeline et concentrons-nous sur l'après. Qu'est-il arrivé quand les pillards sont venus ?

Selon la femme, sans hésiter, elle aurait dégainé son katana et serait allée au-devant du combat. Cela lui ressemblait textuellement, jamais elle n'aurait fui devant une telle agression. Dans le capharnaüm qui suivit, la coiffeuse perdit de vue Émeline, cherchant à sa sauver sa propre peau. Une autre prit alors la parole et affirma l'avoir vue quand elles étaient emmenées par boutre aux sous-marins. Elle se souvint l'avoir remarquée parce qu'elle était inconsciente et prisonnière de l'homme qui dirigeait les opérations. « Un trapu large comme trois hommes côte à côte mais plus court que moi » dit-elle. La suite était plus nébuleuse parce que nulle ne se souvint de sa montée à bord du submersible. Elles furent endormies au somnifère. Toutes se réveillèrent ensuite dans des cages puis battues pour être soumises à leur nouvel état d'esclave.

- Bon, c'était enrichissant. Merci les filles. Je reviendrai vers vous si j'ai d'autres questions. Je ne suis pas sûr qu'on se reverra avant votre départ. Mon camarade d'hier, Dena', vous conduira au sous-marin. Bonne chance !

- Merci infiniment, clamèrent-elles.

- Je suppose que vous avez reconnu la description de l'homme dont elle parlait ? demanda Loth à Louli dans la tranquillité du salon de la Rousse.

- Oui et ça concorde avec mes informations. C'est Jon "Dwarf" et son équipage des Burned-out Dwarf qui a mené la razzia d'Holiday.  

- Bien. Où puis-je trouver ces gentils personnages ?

- Sûrement quelque part sur North Blue en ce moment. L'équipage est reparti très tôt ce matin parce qu'un de leur éclaireur a repéré une île de sauvageons non répertoriée.  

- Vous plaisantez ? Putain mais quelqu'un se fout de moi ! Pourquoi tout ce que j'attrape me glisse entre les doigts ? Je ne vais quand même pas attendre que cet enfoiré revienne avec de nouveaux esclaves pour localiser la position d'Eme' ?

- Il vous reste toujours ma solution.

- Non, pas de tapage, pas d'avis de recherche. Donc le seul à ma portée qui sache où elle trouve, c'est Caffree. C'est un cauchemar, j'espérais ne m'attaquer à lui qu'en dernier recours, de préférence quand Eme' sera en sureté.

- Caffree Burn est en permanence sous la protection d'une colonne d'hommes. L'approcher est impossible.

- Rien n'est impossible. Juste que si je le fais maintenant...

Cette nouvelle éventualité contrecarrait ses projets. Caffree Burn était un morceau de choix qu'il escomptait utiliser pour la dernière partie du chaos selon Zéro. D'ailleurs elle avait insisté sur ce point, retrouver Eme' sans s'en prendre au maître des esclaves mais maintenant, il se retrouvait au dos du mur. Soit il attendait le retour de Jon Dwarf à une date inconnue, soit il interrogeait Caffree. L'une ou l'autre des solutions ne lui plaisaient. Bien sûr Émeline avait la priorité mais s'il se hâtait de manière inconsidérée, le plan qu'avait tissé Zéro risquerait de se retourner contre eux et Carcinomia pourrait se transformer en piège mortel. Les pleurs de son escargophone le tirèrent des limbes de ses pensées. A l'autre bout du fil, il eut la surprise d'entendre la voix de Willian Darkness. L'héritier lui fixa un rendez-vous dans un restaurant huppé de Virus, toute affaire cessante. Loth prit rapidement congé d'une Louli qui voulut l'accompagner, en lui promettant de revenir la tenir au courant.

___ ___ ___

- A quoi jouez vous ? attaqua-t-il d'emblée. Il avait perdu la superbe qu'il arborait la veille et les légers cernes sous ses yeux témoignaient d'une nuit agitée. Sans doute pas festive. Vous voulez déclencher une guerre ici ?

- Bonjour. Moi ça va et vous ? Bien dormi ?

- Ne vous foutez pas de moi ! Vous a été instrumentalisé les corps de Xavier et de Xaro pour camoufler vos propres actes !

- Ce n'est pas l'avis de l'Arbre à Palabre.

- Ce n'est pas ce qui était convenu ! L'accord c'était que vous déposiez les deux corps à l'adresse et je vous aurais été redevable !

- L'accord ? Je ne me souviens pas avoir pipé mot. Ressassez notre conversation. Même pas un "hmmm" n'est sorti de ma bouche. Malgré tout, j'ai satisfait votre demande d'une certaine manière. J'ai déposé les corps en évidence quelque part. Juste pas à la bonne adresse...

- Vous vous payez ma tête ?

- C'est le but. Mais arrêtons ces chamailleries de cours d'école et parlons carte sur table, voulez-vous. Vous complotez quelque chose, vous envoyez vos hommes à la mort, vous vouliez disposer de leur corps. Je complote quelque chose, j'ai tué vos hommes, j'ai disposé des corps. Et si on s'alliait tout simplement au lieu de commencer à se tirer dans les pattes ? J'ai assez d'ennemis comme cela. Surtout de futurs ennemis en fait, mais passons.

- Nous allier ? Vous avez irrémédiablement saboté mes projets !

- Quels qu’ils fussent, j'espérais bien vous les bousiller, vos projets. Parce que..., marmonna-t-il alors que son bras à double articulation fusa comme une balle et que ses mains se refermèrent sur le tendre cou de son interlocuteur, ...vous devez apprendre le respect. Vous ne me connaissez ni d'Eve ni d'Adam et vous envoyez des gens me tuer puis osez me l'avouer tout en me sommant de déposer leurs cadavres à un endroit de votre choix ?

L'intimité de la salle VIP évitait toute intervention extérieure. La voix de Loth était froide mais puissante du dégoût qu'avait ressenti son égo blessé de la veille. Willian tenta de se soustraire à son emprise et de suite, Loth reconnut les mêmes mouvements que ceux des deux assassins. Lui aussi avait appris ces techniques de ninja et ça rassura Loth. Ce n'était pas un minable. L'héritier pirouetta d'une manière improbable qui obligea le Moine a lâcher sa prise. Sans lui laisser le temps de contrattaquer ou de fuir, Loth l'envoya embrasser le mur grâce à un coup bien placé au sternum. Le choc fut sourd, Willy en sortit sonné, le cerveau embrouillé. Il déglutit quand il perçut le contact glacé de Crépuscule sur sa carotide. Le Wakizashi était encore écarlate du sang qu'il avait versé la veille.

- Vous êtes fort, mais pas à ce point. Dans notre monde, il n'y a rien de plus important que le respect. Et envers moi, vous en avez manqué, fit-il en s'accroupissant à son niveau. Vous m'avez pris pour votre chose, continua-t-il. Il déploya sa chevelure qui devint démente à onduler comme des tentacules. Le but recherché était l'effroi. Alors, dois-je vous ouvrir la gorge ici-même pour laver cet affront ou pourrions-nous repartir sur de nouvelles bases profitables à tous les deux où je vous pardonnerais cette tentative de meurtre doublé d'irrespect et où vous me devrez toujours un service ? Qu'en pensez-vous, Willian Darkness ?

- Je... pense que c'est un bon arrangement... baragouina-t-il, les yeux fixés sur le Wakizashi.

- Bien, voilà ce que j'appelle une conversation d'homme à homme, dit-il en relevant le jeunot. Ils reprirent leur place et burent en silence. Pour la première fois depuis qu'il était à Carcinomia, Loth fut pris d'une envie de rire et il s'y abandonna à cœur joie.

- C'est m'humilier qu'il y a de drôle ?

- Ben non, je ne vous ai pas humilié. Je vous ai appris le respect. Si je ris, c'est parce que vous me rappelez l'effronté que j'étais il y a trois ans. Pour attirer l'attention du puissant parrain qui deviendra mon maître à penser dans le milieu, j'ai introduit un mortel scorpion dans ses vêtements. Le Gila fut piqué et fit une réaction allergique au venin. Ce n'était pas prévu mais heureusement que j'ai pu le sauver. Dans ma vanité, je lui ai avoué être l'auteur de cette tentative de meurtre. J'espérais gagner son respect, lui montrer que j'en ai de grosses. Qu'est-ce que je me suis fait tabasser par ses hommes ! Hahahaha ! Ça ne vous rappelle rien ?

- Et ensuite ? Il a accepté de vous prendre sous son aile ?

- Oui heureusement. Mes prévisions étaient justes cela dit, le Gila était un homme à respecter la force et l'audace. Au lieu de me bourrer de balles, il a voulu tester une nouvelle fois mon toupet et m'a confié une mission de détournement du navire rempli de guano d'un concurrent. C'est uniquement après cette réussite que j'ai été accepté dans son entourage. De bons souvenirs en somme. Et parce que ça ressemble trop à ce que j'ai vécu, je ne saurai m'empêcher de vous proposer ceci : voulez-vous vous associer avec moi ?

- Ai-je le choix ?

- Oui, vous l'avez. Je ne fais pas appel à ce service que vous me devrez un jour. Je parle d'ambition. Votre clan est agité et dans quelques heures, ce sera encore pire. Mon œuvre, oui. Et dans ce plan là, il était juste prévu que le Roc soit super instable, mais maintenant que je vous ai sous les yeux, quelque chose me semble couler de source. Il faut un leader au plus peuplé des Secteurs de Carci. Bien que voir s'entredéchirer Bronze et Black soit à mon avantage, un Roc uni sous la coupe d'un ami me serait bien plus profitable. Un ami. On peut se considérer ainsi et partir sur ces nouvelles bases.

- Qu'est-ce que c'est ? A l'image du Gila, vous voulez me tester aussi ?

- Non. Je n'ai pas ce temps, le Gila n'était pas dans une situation comme la mienne. Je vous propose un partenariat, une alliance dans laquelle vous évincerez les deux clowns actuels et reprendrez le fauteuil de vos ancêtres. Ne me dites pas que vous n'y avez jamais pensé ? X-Bronze est un drogué paranoïaque et Black un perdant imbu de lui-même. Qui plus est, peut-être était-ce prémonitoire mais devant l'Arbre à Palabre hier, mes amis ont dit que vous et moi étions de connivence pour prendre le pouvoir au Roc.

- QUOI ?! Non... J'espère que cette information n'est pas arrivé à l'oreille de Pablo...

- Pablo Moltisanti Benedetto ? Le mandataire ? C'est avec ou contre lui que vous complotiez ?

- Avec lui, répondit-il blasé après plusieurs minutes de réflexion, sûrement pour savoir si Loth était digne de sa confidence. Nous comptions faire accuser Favela de la mort de ces Énigmatiques et nous en servir pour créer une brouille entre les deux Secteurs qui aurait débouché sur une guerre. Mais vous nous avez devancé avec un plan semblable.

- En quoi ça pourrait bien arranger Pablo et vous que le Roc et Favéla entrent en confrontation ?

- Hmph...

- Dites-moi tout. De toute façon, votre plan a l'air fichu grâce à moi.

- Même si Don Pablo est officiellement le mandataire des Tempiesta ici, en réalité, il n'encaisse aucun impôt puisque les chefs de clans traitent directement avec eux. Ils l'ont envoyé en retraite ici et il désire changer les choses.

- Donc, une guerre entre Favéla et le Roc priveraient les Tempiesta d'une partie de leurs revenus ici. Don Pablo projetait utiliser sa connaissance du terrain pour revenir aux affaires en résolvant le conflit et en s'imposant comme incontournable aux yeux des Tempiesta, c'est ça ? formula Loth qui comprit instinctivement la manœuvre. La guerre se terminera, les Burn auront un nouveau chef et vous, héritier légitime remplacerez ce drogué de Bronze. Ce n'était pas mal comme plan mais pour tuer vos deux Énigmatiques, vous n'aviez pas prévu que je vienne ?

- Non, vous étiez le grain dans le rouage. Xavier et Xaro devaient mourir de toute manière, ils disaient à qui voulait l'entendre qu'ils comptaient déserter pour aller se venger de vous. Quand j'ai su que vous veniez, j'ai cru bon de les précipiter sur vous, sachant que vous seriez très bien protégé. Je n'avais pas calculé que vous pourriez disposer ainsi de leurs corps, ni que vous ramèneriez Jack Black.

- Un problème de plus, n'est-ce-pas ? Avant, vous aviez un seul ennemi interne, maintenant, deux. La situation se corse pour vous mais pour Don Pablo, ça a l'air de rouler. Il doit juste y avoir assez de trouble pour qu'il prouve son utilité à ses maitres, pas forcément une guerre entre Favela et le Roc. Présentement, c'est le Roc et La Jungle mais bientôt, Favela aussi entrera dans la danse. Sans le vouloir, mes plans arrangent magnifiquement bien Pablo mais vous, vous êtes le grand perdant de l'histoire.

- Que projetez-vous de faire ?

- Un bon magicien ne dévoile jamais ses secrets, naturellement. Le jeu de go vous a préparé à sacrifier des pièces pour un objectif plus grand et j'aime cette qualité. Il aussi fait de vous un stratège d'un certain niveau bien qu'il vous reste encore beaucoup à apprendre. Je peux vous aider à développer ce don comme le Gila m'a appris à développer les miens. Je peux vous rendre le trône de vos ancêtres et vous aider à débarrasser votre Secteur de ces deux malotrus.

- Ça me semble une proposition intéressante mais je ne sais toujours pas ce que vous gagnez à déclencher la guerre à Carcinomia.

- Je cherche la même chose pour laquelle je vous ai mis une épée sous la gorge. Je cherche, le respect. De quels soutiens disposez-vous au Roc pour envisager de renverser Bronze ?

- Le chef des Énigmatiques et la troupe tout entière sont à ma solde.

- Oh, super ça !

- Même s'ils sont plus entrainés, ils forment à peine 1/5 de l'armée du Roc.

- Mais c'est mieux que rien. Le seul moyen pour vous de sceller notre alliance est de m'accompagner dans La Jungle accueillir mes hommes qui vont y débarquer sous peu. Nous en profiterons pour présenter nos condoléances et nos respects à l'Arbre à Palabre.

- Quoi ? Mais, je vais me faire tuer ! Avec un patronyme comme le mien, c'est comme s'il y a écrit "enfant du Roc" sur mon front.

- Ils sont sûrement allergiques à tout ce qui vient du Roc maintenant, mais n'oubliez pas, mes amis les avaient informés que tous les deux, nous désirons reprendre le pouvoir à Black et Bronze. Vous serez bien accueilli.

- Je n'arrive pas à croire que vous m'ayez mêlé à ça sans mon accord.

- Et moi, je n'arrive pas à croire que vous ayez pu compter sur ma coopération alors que vous ne me connaissiez même pas. On ne peut pas avoir tout ce qu'on désire, n'est-ce pas ? Si vous êtes partant, alors suivez-moi.



Dernière édition par Loth Reich le Mar 5 Avr 2016 - 21:38, édité 2 fois
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Jack Black

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Son cœur battait à tout rompre et de partout, il tremblait. Des tics réguliers agitaient son visage lui donnant de temps à autre des expressions carnassières. Tous ceux qui croisaient son chemin ce matin-là s'en écartaient vivement, épouvantés par la rage meurtrière qui se dégageait de ses pores. En des termes plus concrets, sûrement voyaient-il derrière Black une ombre encapuchonnée, parfaite réplique de la si célèbre Faucheuse. Une sorte d'illusion d'optique, de mirages, créés par ses yeux étincelant d'une intense lueur olivâtre. Les yeux du diable.

Bouillant de cette rage qui précédait généralement les génocides, il se précipita dans les catacombes du Roc puis dans ses oubliettes fuligineuses. Arrachant puis allumant une torche murale dans la foulée, il se précipita vers la cellule de son pire ennemi vivant. Celui qui était la source de ces ennuis, celui qui l'avait condamné à mort. La mort... Ironique qu'elle apparût derrière lui pour effrayer ses adversaires alors qu'en ce moment, celui qui en avait le plus peur, c'était-lui même. Sur son front perlaient des gouttes de sueur et il ne saurait dire si c'étaient des excrétions dues à la peur ou à la fièvre qui s'était déclarée à l'aube. Il se planta devant la cellule de Jonathan Nivel et c'est avec une haine telle qu'il n'en avait jamais ressenti dans sa vie qu'il pointa son "mini-canon carbonisateur" sur la carcasse dormante du Roux.

- DONNE-MOI L'ANTIDOTE NIVEL OU J'TE JURE PAR LES ANCIENS DIEUX ET LES NOUVEAUX QUE TU VA RAMASSER TA CERVELLE PAR TERRE !

- Hmmm ? fit-il d'une voix ensommeillée. Les anciens dieux, c'est qui ? Les nouveaux...

- TE FOUS PAS D'MOI ! tempêta-t-il de plus belle, les deux déments, postillonnant abondamment.

- Oh mais c'est toi, pardon, je faisais un rêve, mâchonna Nivel qui semblait retrouver ses esprits. Il y a encore quelques heures, ne te pavanais-tu pas, sûr que ton... comment tu l'as appelé déjà... Grand Pharmacien, oui c'est ça, saurait te trouver un remède contre la Emdéaire ? Qu'est-ce qui a changé ?  

- Tu l'sais très bien ! Vous avez fait exploser un labo dans la Jungle et l'Arbre à Palabre a coupé toute relation avec nous ! Ils n'veulent plus m'fournir l'sérum !

Nivel partit d'un franc rire ressemblant à un hennissement qui l'irrita au plus haut point. Il pressa machinalement sur la queue de détente de son arme et du canon fusa une lumière rougeoyante qui frôla l'Anarchiste au-dessus de l'épaule droite et l'y brûla. Son rire se transforma en cri de douleur puis il roula par terre, tentant d'éteindre son chemisier qui avait pris feu.

- ÇA C’ÉTAIT JUSTE L'COMMENCEMENT, NIVEL ! J'VAIS T'FAIRE FRIRE COMME UNE CARPE SI TU N'ORDONNES PAS A TES ACOLYTES D'ME DONNER L'SÉRUM !

- ALORS VAS-Y ! mugit-il à son tour. Tue-moi, torture-moi et meurs quand même de rire ! Mais laisse-moi te dire une seule chose. Si ton arme merdique me touche encore une fois, tu peux dire adieu à toute chance de négociation ! Ne joue pas plus aux durs que tu ne l'es réellement Black ! Un seul d'entre-nous ici est prêt à mourir pour sa cause et nous savons tous deux que ce n'est pas toi ! Il se leva et s'approcha au plus près de la barrière de sorte qu'il aurait pu embrasser son vis-à-vis. Regarde dans mes yeux, mec, et dis-moi si je suis un plaisantin. Loth non plus. Seul un couillon profère des menaces qu'il ne peut mettre à exécution. Et toi, Black, tu es un couillon ! Il lui cracha à la figure. Vas-y, tue-moi, putain, VAS-Y ! Mouais, c'est bien ce que je pensais. Trop faible, trop accroché à ta misérable petite vie. Alors laisse-moi te dire ce que tu vas faire pour obtenir le sérum. Tu vas retourner chez ton drogué de maitre, le supplier d'adhérer au plan initial qui est toujours d'envahir Favéla et tu seras sauf. Hein ?

Écumant de l'essence même de la rancœur, il se détourna du Roux et s'en fut d'une démarche rapide. Il entendait encore les rires sonores de Nivel raisonnant en écho dans les galeries. Il avait faux, il avait tout faux. Lui, Jack Black, n'avait jamais été un trouillard. C'était une différence de point de vue, il préférait ne pas sacrifier sa vie quand le jeu n'en valait pas la chandelle. Il aurait pu le rôtir mieux qu'un poulet mais à quoi cela lui aurait-il servi ? Nivel restait le seul capable de lui filer le remède comme la maladie et agir en impulsif en le tuant pour une notion aussi sotte que l'honneur serait bien stupide. Rira bien qui rira le dernier. Encaisser silencieusement un crachat pour vivre et le lui faire payer plus tard, voilà qui lui seyait mieux. Sa vengeance était un plat qu'il préférait manger bien froid, sinon avarié.

Bien sûr, il y avait toujours Loth Reich qui saurait sans doute où se trouvait l'antidote mais...
Oui, il devait jouer sur les deux tableaux histoire d'avoir plus de perspectives. Enfin, sur trois tableaux en réalité, mais le troisième était un dangereux joker qui pouvait soit le condamner définitivement, soit le sauver. Pile ou face. Mais c'était l'heure de prendre des mesures désespérées, dans deux semaines il serait trop délirant de rire pour pouvoir prendre une quelconque décision sensée. S'il désirait sauver sa vie, c'est maintenant qu'il devait s'y employer et quand il obtiendra enfin gain de cause, il montrera à ce rouquin qui était le plus lâche des deux. Oui, il le torturera jusqu'à ce qu'il lui demande grâce.

Fagoté dans sa longue cape anthracite, capuche dissimulant son visage, Black se faufila à travers une porte dérobée dans la roche. Il était à près de cinq cent pieds sous la surface du Roc, dans un réseau d'anciens boyaux jadis dévolus à clandestinement drainer l'eau du lac Azur. C'était durant la période de guerre civile, quand la puissance du clan Wave avait affirmé sa suprématie sur le littoral et en excluait les autres clans. Après la trêve et les accords, ces dédales tombèrent dans la désuétude, le lac étant accessible monnayant une rente annuelle. C'était moins couteux que la guerre, beaucoup moins que l'entretien de ces canaux dont tout le monde s'empressa d'oublier l'existence. Les générations qui les avaient construits avaient emporté leurs secrets dans la tombe jusqu'au jour où lui, Jack Black s'aventurant au plus profond des constructions sous le Roc les mit à jour. En deux ans, il les fit cartographier et découvrit qu'ils s'étendaient sur tout le Secteur 5. Nul ne se soucia de cette découverte qui ressembla à une folle lubie du chef de clan mais lui en avait saisi la puissance en son temps. Des galeries secrètes... Un moyen de se déplacer sous le Roc sans risque d'être filé. Dans ces labyrinthes de calcaire, chaque bruit pas était démultiplié en échos et tous ceux qui s'y hasardaient sans en connaitre les recoins s'y perdaient irrémédiablement, emmurés vivants.

Il esquissa un sourire et sa rage descendit d'un cran quand il se souvint y avoir abandonné quelques un de ses lieutenants dont l'incompétence ou les tendances conspirationnistes lui nuisait. Lui, faisait toujours dans la finesse pour éliminer la concurrence. Un accident durant une mission de soutien à l'extérieur, une disparition mystérieuse dans les catacombes. Il ne s'était jamais aliéné la masse a contrario de cet idiot de Bronze. Le poste de chef de clan lui revenait de droit, pensa-t-il, sa seule connaissance sur le bout des doigts de ces lacis ne le prouvait-il pas ?
« Aujourd’hui, je vais reprendre ce qui m’est dû et alors, Nivel et Reich, je vous montrerai de quel parfum je m’embaume ! » pensa-t-il avec colère. Après quelques lieues de parcourus dans ces entrailles devenues le grand royaume arachnéen des Blues, il émergea couvert de toiles via une petite trappe et un escalier rudimentaire dans une salle de séjour où l'attendaient un parterre d'hommes. « Mes hommes, mes lieutenants, toujours fidèles. »

- Il nous faut faire vite, Maitre, il a avancé l'heure de la réunion. Dans trente minutes.

- Ça m'laisse juste l'temps d'refaire l'chemin inverse et de débarquer. P'quoi il s'précipite, Osmund Hank ? La situation avec la Jungle s'gâte ?

- Oui, un de nos bateaux de pêche a été coulé par un de leur sous-marin. Deux morts, les nôtres. Accident ils disent mais c'est clairement des représailles.

- Le mot d'ordre, Maître ?

- Il est temps. N'oublions pas Maxwell.

- N'oublions pas Maxwell ! répétèrent-ils en chœur avant de rapidement se disperser.

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- On m'a trahi ! tonna Diez Bronze.

Il semblait plus dérangé et plus shooté que d'habitude, pensa Black qui réprima le dégoût qu'il éprouvait pour celui qui fut pendant longtemps son second. Dans la grande salle de réunion, l'état-major du Roc, huit lieutenants assis sur des coussins étaient rassemblés en ovale. Au milieu de la figure, tempêtait et paradait leur Maître à tous.
« Pas pour longtemps... »

- Alors ? Que faisaient deux Énigmatiques à plastiquer un laboratoire de la Jungle ? AU MILIEU DES SERRES ? HEIN ? Tiens, demandons à leur chef, tiens !

Il se tourna vivement vers Randyll Randall qui resta de marbre et c'était bien le seul de l'assistance. Tous les lieutenants craignaient les sursauts de folie de Bronze, ils étaient les mieux placés pour le savoir, beaucoup ne devaient leur place ici qu'au fait que leurs prédécesseurs furent soulagés de leurs têtes. Mais s'il y avait quelqu'un au Roc que ne craignait nullement Bronze, cela ne pouvait être que ce vieux tigre de Randyll Randall, "Double R" ou "R.R" comme on l'appelait plus couramment. Commandant des Énigmatiques depuis plus de cinquante ans, l'homme s'était vu offert un nombre incalculable de fois le poste de chef de clan. Un nombre incalculable de fois, il avait refusé. Ce type était une sorte de monument du Roc dont l'allégeance était aussi nébuleuse que le visage qu'il dissimulait sous ce masque. Tour à tour, tous les chefs de clan qu'il avait vu défiler du haut de son demi-siècle d'exercice s'étaient débrouillés pour l'avoir dans leur grâce tout en se gardant de l'irriter. Jack Black n'avait pas dérogé à la règle. Seul un fou comme Bronze oserait le défier, surtout publiquement. Double R était un homme à l'ancienne, attaché aux vertus d'honneur et loyauté.

Randyll Randall

Le vieux monstre ne lui répondit pas de suite et se contenta de le dévisager. La tension électrifia la pièce. Du coin de l’œil, Black vit se déplacer une camérière, la seule personne qui osait bouger dans cette ambiance. Apparemment, Double R avait commandé un thé. L'esclave dérapa sur le parquet et renversa le breuvage chaud sur la tête chauve du lieutenant commandant de la Porte du Roc. Il hurla, elle tomba, il se leva, elle se morfondit en excuse et beaucoup commencèrent à se gausser du risible spectacle. Furieux, le chauve échaudé saisit la chambrière par ses dreadlocks et s'apprêta à lui faire passer un mauvais quart d'heure quand la voix profonde mais paisible de Randyll tomba comme une sentence.  

- Assez, dit-il et d'un coup, tout le monde se tut comme si un sortilège de mutisme avait été jeté. Ce type dégageait un charisme de fou, pensa Black. Il était dangereux. Très. L'esclave fut congédiée. Il y a trois mois, je vous ai envoyé un double rapport, j'en ai un duplicata ici, continua-t-il comme s'ils n'avaient pas été interrompus. D'un porte-document, il sortit des papiers et les tendit à Bronze. Ces rapports concernaient deux de mes éléments. Xavier et Xaro, frères d'adoption de Milton Pendergast. J'y spécifiais leur envie de déserter et d'aller se venger de Loth Reich. J'y ai préconisé leur arrestation et leur exécution. Comme je n'ai pas eu de suite, je vous ai relancé durant la réunion mensuelle passée, vous avez dit y réfléchir. Hier, ils faisaient, les dieux savent quoi dans la Jungle. Vous ne saurez m'accuser de ne pas tenir mes hommes, Maître, ils étaient incontrôlables et à vous seul revenait la décision de les punir.

Bureaucratique et pourtant si concis. Ce type maitrisait les procédures sur le bout des moustaches et quand il finissait un exposé, vous ne pouviez qu'être d'accord. C'est en l’occurrence ce qui se passa. Tous les lieutenants lorgnèrent Bronze d'un regard neutre mais qui ne souffrait d'aucune ambiguïté. Le seul coupable, c'était lui et son indécision. Si effectivement les frères défunts tenaient Reich en haine, il fut normal qu'ils essayassent de s'en prendre à lui dès la rumeur de sa présence à Carci. Le Moine Hérétique étant un opportuniste, il aurait pu utiliser les corps des vaincus à ses propres desseins. Cela coulait de source, mais Black ne manqua pas de se questionner sur la loyauté du vieux briscard. Mais cette question, il se l'était posé durant tout son mandat à la tête du clan...

- Tu veux dire que le seul coupable, c'est moi, c'est ça ?

- Non, ça c'est vous qui le dites, Maître. Moi je dis juste que ce n'est pas moi.

- Alors, parce que tu es incapable de tenir tes hommes, on va entrer en guerre pour leurs conneries ? vociféra-t-il en agitant sa main-canon devant la figure masquée du Double R qui ne cilla pas.

- Ou nous laissons couler et essayons de faire profil bas. Nous ne pouvons, géographiquement parlant, entrer en guerre avec La Jungle sans violer le territoire d'au moins un autre Secteur, sinon de trois. Ce qui serait le préambule à une guerre totale.  

- Laisser couler ? Vous entendez tous ? LAISSER COULER ! Sage décision de ta part que celle de n'avoir jamais brigué le poste de chef, tu aurais été le pire de notre histoire ! Laisser couler alors qu'on nous couvre de calomnies ? Mais qui respectera le Roc après ça ? Après qu'on se serait laissé marcher dessus par ces jardiniers de mes deux ?

- J... j'n'peux qu'être d'accord avec l'Commandant Randyll, intervint Jack. Ces deux Énigmatiques rel'vaient du Roc et leurs fautes sont malheureusement les nôtres. Si nous pouvions, n'serait-ce que calmer la colère d'la Jungle...

- Hahahahaha ! En voilà une autre femmelette ! N'est-ce pas Senpai ? Donc toi aussi, tu veux qu'on écarte bien les cuisses et qu'on se fasse fourrer par La Jungle ? Hein ? Ah non, je suis bête. Toi, c'est juste ta peau qui t'intéresse ! Ah oui, la plupart ne sont pas au courant. Voyez-vous, messieurs, notre ancien chef a été contaminé par ceux qui l'ont défait il y a six mois. Contaminé par un virus vieux de quelques siècles -non ne vous inquiétez pas, faut qu'il ait couvert une chambrière pour transmettre la saleté-. Ce qui veut dire que celui qui a le plus à perdre dans notre conflit avec la Jungle c'est ce mec-là ! dit-il théâtralement avec des grands gestes.

- Mais non... C'que j'préconisais c'est juste...

- De la fermer ! Oui, ferme là avant que je ne perde plus patience que de raison ! Impossible, il semblait déjà à son niveau maximum.  Je ne suis pas sans remarquer que c'est depuis ta venue hier que tout a commencé à aller de traviole !

- Quoi ? Mais non...

- Oh si, oh si, oh si ! Ce Reich qu'ont tenté de tuer ces imbéciles d’Énigmatiques, n'est-il pas venu avec toi ? Ce Nivel qui voulait me convaincre d'entrer en guerre avec Favela, n'est-ce pas toi qui l'a ramené ? Tiens, bonne nouvelle pour lui, on m'a informé que Caffree vient de traverser la frontière et progresse sur le Chemin des Dames. Il sera bientôt là. Aaaaaaah !

C'était à prévoir, pensa Black quand Bronze s’effondra, sa main valide sur son masque. Il était encore en proie à une de ses éternelles douleurs. Aussitôt, ses servantes accoururent et s'attelèrent à lui injecter ce que Bronze faisait passer pour un puissant analgésique mais que tout le monde savait être du Venner. Paniqué, Black réfléchissait à sa situation. La réunion ne se déroulait pas comme prévu, il avait espéré plaider sa cause et faire entendre raison à Bronze. Il comptait prôner l'apaisement avec la Jungle tout en plaidant pour une action directe d'Énigmatiques plus confirmés contre Reich. L'un ou l'autre lui aurait permis de trouver son sérum mais face à ce chef qui ne voulait pas entendre raison et qui voulait inconsidérément entrer en guerre contre les seules personnes capables de le sauver, il fallait agir. Sa survie en dépendait. Toute considération faite, c'était insultant pour le Roc d'avoir un tel défoncé comme Maître.

Pendant que ses chambrières s'affairaient autour de lui, Black jeta un coup d’œil circulaire autour pour capter l'attention des lieutenants lui étant fidèles. Il en demeurait beaucoup moins qu'il ne l'aurait cru, les autres ayant été occis par Bronze. Sur les huit présents, il avait l'allégeance certaine des trois qu'il avait rencontré plus tôt dans la demeure d'Osmund Hank. A part eux, il pouvait être sûr qu'au moins un, ce vieux tigre Randyll n'était pas un fervent allié de Bronze. Quant aux quatre restants, beaucoup étaient de vieux compagnons issus du giron même de Diez et il était fort à parier qu'ils le soutiendraient sans réserve. Trois voix pour lui, quatre contre, un neutre. Si ces hommes et lui tentaient le coup de force maintenant, ils devaient être sûrs d'éliminer non seulement Bronze mais aussi ses soutiens ici-même, puis rapidement réorganiser le Roc pour qu'aucune guerre civile, aucun enlisement ne survienne. Randyll Randall avait assisté impassible à beaucoup de coup d'état depuis qu'il commandait les Énigmatiques, Jack Black comptait sur sa légendaire neutralité aussi cette fois-ci, à défaut de compter sur son allégeance. S'il devait tenter un putsch, c'était le moment où jamais, Bronze était faible, enroulé en position fœtale sur le sol, ses plus proches lieutenants et ses camérières autour de lui.

Il n'avait pas attendre plus que de raison, chaque minute qui s'égrainait le rapprochait de la mort. Il promena un dernier coup d’œil sur ses hommes avant de donner le signal mais il remarqua une absence. Randyll Randall s'en était allé. Où ? Il le vit entrer par la porte coulissante au fond de la pièce qui desservait les toilettes. Alors que Black soufflait de soulagement -c'était beaucoup mieux si le putsch se déroulait sans la présence de cet homme-, son regard fut aimanté par une des chambrières de Bronze. La seule à ne pas s'être approchée de lui. Dos aux lieutenants, elle s'affairait autour du service à thé. C'était celle qui avait renversé du thé auparavant, remarqua-t-il, celle coiffée de dreadlocks. Des dreads... Ce n'était pas une coiffure commune et quelque part dans son cerveau, quelque chose lui fit remarquer que c'était la deuxième fois en deux jours qu'il en voyait. C'était où déjà la première fois ? Ah oui... c'était... Et tout à coup, Black suffoqua en se rendant compte de la violente réalité. Cette femme... il l'avait vue sur le Scylla, coiffée des mêmes dreadlocks, habillée d'un bleu de travail. C'était une des mécaniciennes de bord du submersible !

Comme si la scène globale se déroulait au ralenti, il se leva brusquement, suivit par ses lieutenants qui pensèrent que l'heure de l'action avaient sonné. Il les vit sortir leurs armes sous les yeux écarquillés des autre lieutenants qui se jetèrent par terre pour certains, d'autres sortant à leur tour leurs propres armes. Mais il s'en fichait Black, toute son attention était monopolisée par cette rasta, c'était elle la complice de Nivel, c'était elle qui détenait sa fontaine de jouvence ! La femme au teint d'ébène glissa le long du service à thé et se dirigea vers la porte qu'avait emprunté Double R. Chemin faisant, toujours au ralenti, son regard croisa celui de Black qui se précipitait sur elle. Elle souriait, nota-t-il, de ce sourire malveillant qui vous donnait la chair de poule. « Oh non ! » s'exclama-t-il subitement en faisant volte-face. Il s'était souvenu de la réputation de Jonathan Nivel. L'anarchiste, le plastiqueur de Las Camp. « A terre, tous ! » beugla-t-il en plongeant au sol. Dans la salle, c'était déjà le chaos, des coups de feu fusaient.

Une déflagration à vous arracher les tympans survint.
Et tout à coup, de ténèbres, le monde se teinta.  


Spoiler:
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  • https://www.onepiece-requiem.net/t10961-loth-reich-le-marchand-heretique

Émeline
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C'était un cadeau destiné à Loth... Elle ne pouvait pas...
Mais à situation désespérée, mesure extrême, ne disait-on pas ? L'important était de sortir d'ici, après elle lui trouverait un autre cadeau d'anniversaire. Loth comprendrait surement et puis, connaissant l'individu, elle savait bien que ce cadeau, il ne l'aurait jamais accepté. Mais sa valeur sentimentale, elle y tenait et peu importe ce que le concerné allait en penser. Devait-elle en disposer pour s'enfuir ou chercher sa libération par d'autres moyens ? Elle se releva de son lit et tira les rideaux du baldaquin. Émeline avait mal au dos, à l'endroit exact où un manche de hache s'était abattu plus tôt dans la nuit. Elle avait encore tenté de s'échapper et une seconde fois, avait échoué. Cette fois-ci, elle ne put ne serait-ce qu’égratigner quelqu'un, ils étaient trop forts. Petit à petit, le désespoir la gangréna et toute la nuit durant, elle ressassa encore et encore ce qui se présentait désormais comme sa seule alternative, son seul moyen de sortir d'ici libre. Elle devait gagner en puissance et sur elle, elle disposait d'un tel moyen.
Mais c'était un cadeau...

En fait, il y en avait une autre de possibilité. Elle pouvait attendre son acheteur, lequel selon la vieille camérière, devait faire son apparition en ce nouveau jour. Il comptait la marier, ce qui logiquement se ferait dehors, à l'air libre, où elle aurait plus de possibilités de s'échapper. Mais était-ce seulement un plan viable ? Si elle n'arrivait pas à battre ou à fausser compagnie à ses gorilles ici, qu'est-ce qui pouvait bien l'assurer qu'elle réussisse au milieu des convives ? Et d'ailleurs, qui lui disait que ce mariage aurait lieu dans les jours proches ? Son acheteur pouvait bien organiser leurs fiançailles puis l'enfermer à jamais. Possible, mais invraisemblable, contre-analysa-t-elle aussitôt dès que l'idée germa. Comme elle l'avait pensé auparavant, quelque chose clochait dans le désir de son acheteur de la marier. D'épouser une esclave. Lui donner un statut à la hauteur de celui des citoyens normaux en somme. On n’épousait pas une esclave, on la possédait. Et elle en savait assez sur les sociétés esclavagistes pour le savoir. Elle en connaissait un rayon, elle était esclave pour la seconde fois de sa vie.

Et soudainement, on aurait dit que quelqu'un avait inondé son esprit confus de lumière. Surexcitée pour un sou, elle se leva comme si elle venait de recevoir une décharge électrique. Mais comment n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Elle maudit sa stupidité et se frappa le front de la paume de sa main. Bien sûr, c'était évident ! Si dans les sociétés esclavagistes on ne saurait faire l'honneur du mariage à une esclave, c'était tout à fait possible dans les sociétés abolitionnistes ! C'était le cas de l'île de Reideen sur lequel elle s'était documentée après sa libération par Loth. Les sociétés esclavagistes étaient devenues une sorte de hobby lugubre pour elle après ce traumatisme.
Sur l'ile de Reideen sise à West Blue vivaient deux civilisations humaines, les Reid et les Deen, ayant toutes deux des passés esclavagistes jusqu'au jour où un roi novateur accéda au trône de Deen. Il abolit l'esclavage et après la guerre civile qui en résulta où les esclavagistes furent vaincus, il leur proposa deux alternatives. Épouser les femmes esclaves et les élever à la dignité de citoyen Deen, si jamais elles y consentaient, ou les libérer. Serait-ce possible que sur l'ile où elle était détenue en ce moment, l'esclavage fut interdit ? Pas totalement se dit-elle, sinon, son propriétaire n'aurait jamais eu le culot d'en ramener une. Il devait y avoir une certaine forme de tolérance passive, quelque part, dans cet environnement, l'esclavage devait avoir court mais pour une raison ou pour autre, dans la société de son acheteur, c'était interdit. Et il désirait la marier pour qu'elle soit reconnue.

Pauvre de lui, tout de même se dit-elle. Soit il n'avait jamais eu de succès avec les femmes pour en arriver à cette extrémité, soit il s'était vraiment amouraché d'elle. Le second cas serait plus bénéfique, elle pourrait en profiter dès qu'elle le verra en chair et en os. La porte grinça et la vieille Nan s'annonça. C'était l'heure de prendre un bain et de se pouponner pour le mari-acheteur. La salle de bain se trouvait plus loin dans le complexe. Sans piper mot, Émeline la suivit, perdue dans ses pensées, leurs gardes formant une haie menaçante autour d'elles. Manipuler par les sentiments n'avait jamais été son fort, elle échouerait. Surtout si le type était maladivement entiché d'elle. S'il avait décidé d'épouser quelqu'un qu'il avait acheté depuis vingt-quatre heures seulement, sûrement était-il fou à lier ou souffrait-il d'un quelconque manque affectif, asséna une puissante voix dans sa tête. « Tu dois te prendre en main, ma vieille, personne ne viendra te sauver ! Surtout pas Loth ! Bien sûr, il doit être en train de retourner ciel et terre en ce moment mais…. »

- T'as entendu la nouvelle ? demanda un des gardes à son compère.

- L'explosion dans La Jungle ? fit l'autre.

- Nan, si c'était qu'ça ! Apparemment, ça barde dans l'Roc. Y aurait eu une grosse 'xplosion durant une réunion d'l'état-major. Les infos n'filtrent pas plus mais normal'ment, Bronze est en vie et maint'nant, c'est la guerre !

- Qui et qui ?

- Au sein même du Roc mec ! Jack Black est d'retour depuis hier, t'es pas au courant ? Mec, soit plus informé ou tu vas finir par marcher à reculons ! Il est là, il était là durant l'explosion appar'ment. On dit qu'il a tenté un putsch raté et maint'nant, c'est l'chaos là-bas.

- Putain ! Le spectre de la guerre revient. Personne n'en a vu depuis des siècles ! Que fait le Deepboss ?

- J'sais pas, mais la milice est en alerte maximum. Faut pas que leur merde déferle sur nous, nous avons plus d'la moitié d'notre territoire collé à eux.
Voici les douches. Faites vites mesdames !


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- Vieille Nan... marmonna Émeline dans un état second après avoir entendu cette conversation. Nous sommes à Carcinomia ?  

- Oui, bien sûr, répondit-elle avec la même pitié dans la voix. Elle semblait se dire, "pauvre fille, elle ne savait même pas où elle était."

- Carci... Carci... Putain... Carci... Le... maître est-il du clan... Nous sommes dans le clan Wave ?  

- Oui. Déshabilles-toi et entre dans le bain, ma fille. Attends, je vais te défaire ton chignon...

- Non, pas touche à mon chignon ! brailla-t-elle en rejetant la main de la vieille d'un revers.

Tout en se dévêtant, elle recoupait les informations qu'elle détenait. C'était bien pire que ce qu'elle pensait, elle n'était pas détenue sur n'importe quelle île, elle se trouvait sur Carcinomia, à des kilomètres en dessous du niveau de la mer. Loth lui avait parlé de ce pays un mois auparavant et entre l'enquête à Bliss et son apothéose à Boréa, elle s'était documentée, surtout auprès de Dena'. Sa première analyse était bonne, elle était bien dans une société abolitionniste, dans le clan Wave où l'esclavage était interdit. Son maître devait l'épouser pour jouir des droits de mariage et sûrement la menacerait-il de ne jamais parler de son état d'achetée. Quelle issue avait-elle à présent ? Aucune. Même si elle parvenait à s'échapper, il lui fallait un sous-marin pour remonter. Que pouvait-elle bien faire ? Prendre en otage un équipage et le forcer à piloter un submersible ? Ridicule.
Quand elle pénétra dans la baignoire au bain mousseux et parfumé grande comme une petite piscine, elle se sentit acculée par le poids de la détresse. Le désespoir menaçait une nouvelle fois de la submerger telle une chape de plomb. Elle n'avait même plus la force de pleurer.

- Ça va Solaria ? Solaria ?

- Oui ? sursauta-t-elle. Solaria Seldon, elle disait s'appeler.  

- Ça va ? Tu es bizarre depuis que tu as appris que nous sommes à Carci', marmonna la vieille Nan en lui frottant le dos.

- C'est que je nourrissais encore des espoirs... Mais je ne comprends pas, es-tu esclave ou non ? Je veux dire, que fait un membre du fier peuple Long-bras en tant que servante d'un cador du clan Wave où l'esclavage est censé être interdit si j'en crois mes sources ?  

- Prononce pas ce mot ! Nan n'est pas une esclave ! Son père et ma mère ont servi les Blue, Nan aussi sert fidèlement ses maitres Blue ! Pas esclave, Nan n'est pas esclave !

- Du conditionnement, elle n'accepte même pas qu'elle puisse être esclave. Pour elle, elle sert des maitres et est payée pour ça... Donc dans le clan Wave et dans la famille dirigeante Blue, on troque l'esclavage contre du lavage de cerveau hein... pensa-t-elle.
Tu sais, j'ai un ami Long-bras comme toi. Grand, avec lunette, toujours sans humeur ou presque pas. C'est grâce à lui si je suis ce que je suis. Enfin, ce que j'étais avant de me faire capturer. Mais je m'en irai et le rejoindrai, c'est ça qui me permet de ne pas craquer.  

- C'est impossible de partir ! dit-elle tout bas mais avec la plus grande fermeté. Elle agrippait si fort l'épaule d’Émeline qu'elle se crut entre les serres d'un rapace. La vieille était terrifiante quand elle était grave.
Tu m'entends ? Renonce à cet espoir utopique ! C'est impossible de s'enfuir de Carcinomia ! Tout ce que tu récolteras, c'est la mort ! Tu as de la chance, Nan te l'a déjà dit ! Épousée, tu seras libre, de sortir, te balader. Tu pourras même aller à la surface ! Tu ne sais pas ce que tu dis ! La vie est trop précieuse pour la gâcher en caprice ! Le destin choisit pour nous ! Des larmes noyaient ses joues ridées.

- Je suis désolée Nan, désolée pour tout ce que tu as pu endurer, marmonna-t-elle, dévastée. Je comprends mieux maintenant, je comprends mieux pourquoi tu n'avais pas complété ta phrase la première fois quand tu m'as dit que j'avais de la chance, "pas comme...". Pas comme elle ? Tu avais une fille ? De mon âge ? Elle a refusé les conventions ? Refusée d'épouser ce maître-là ou un autre ? Elle a tenté de s'enfuir et elle a été tuée pour ça ?  

- Non, non, non ! Nan n'a jamais eu de filles. Toujours, elle a été sans descendance !

La vieille attrapa la tête et la secoua de droite à gauche. Sa voix se réduisit à d'aigus piaillements douloureux. Cette blessure était vive malgré le bourrage de crâne. L'avaient-ils battue pour qu'elle acceptât l'inacceptable ou juste rempli le crâne de sornettes ? "Le destin choisit pour nous" ? On dirait une parole de gourou faite pour faire pardonner l'indicible. Elle devait en avoir bavé la pauvre, soumise depuis sa naissance, donnant naissance à une fille convoitée qui malheureusement était rebelle. Fille qui mourut dans de quelconques conditions douloureuses après avoir tenté de d'échapper de cet enfer. Puis une nouvelle fois, on la manipula pour qu'elle restât docile et tolérât l'horreur.

- Dis-moi, lui murmura-t-elle, comment s'appelle l'homme qui l'a tuée ? Dis-moi.  

Violent hochement de tête. Déni de la réalité. Épouvante.

- Bon, d'accord, je n'insiste pas. On peut continuer à se laver ?  

- Tu ne vas plus chercher à t'enfuir n'est-ce pas, Mina ? dit-elle en changeant si soudainement d'humeur que ç'en fut inquiétant. La quintessence même du bonheur irradia son visage quand elle prononça ces mots.

- Mina ? Sûrement le nom de sa fille. La pauvre, elle perd la tête. A cause de moi. Elle ne devait pas en être loin, à garder en elle toute cette détresse depuis les dieux savent combien d'année. J'ai été le déclencheur et la goutte de trop... pensa Eme' avec tristesse.
Solaria, tu te souviens, je m'appelle Solaria.  

- Oui, oui, Solaria. Pardonne la vieille Nan sénile. Tu ne veux vraiment pas que je te coiffe autrement ? Le Maître Adalbert aime les longs cheveux soyeux.

- Donc il s'appelle Adalbert Blue, le sale vicieux. Sûrement lui qui a tué cette pauvre Léa parce qu'elle refusait de se faire posséder... conclut-elle.
Non, c'est bon, tu peux défaire le chignon. Fais attention, dans la boule il y a un fruit. Donne-le-moi.  

- Un fruit ? Oh c'est vrai ! Pourquoi tu as un fruit dans les cheveux ?

- C'est un fruit extraordinaire, d'un goût rare que je comptais offrir à Loth. L'ami long-bras dont je t'ai parlé. C'était son anniversaire, c'est pour acheter ce fruit que je me suis rendue sur Holiday-Isle...

Un fruit du démon

Dans sa main, elle tenait ce fruit ressemblant à une poire difforme. Il en émanait une énergie étrange qui le rendait plus lourd qu'il n'était réellement. Émeline déglutit et approcha le fruit maudit de ses lèvres. Elle ignorait le pouvoir que recelait cet artéfact mais il demeurait son plus sûr moyen de s'enfuir de cet enfer. S'il elle acquérait un grand pouvoir, elle pourrait balayer sans peine ses opposants et contraindre les plus faibles à la conduire à la surface. Si elle héritait d'un pouvoir saugrenu... et ben son sort ne serait pas différent de l'habituel à part qu'elle deviendrait une enclume à vie. Ce qui n'était pas plus mal, elle n'avait jamais eu le pied marin. Mais le plus dur, c'était de braver les barrières sentimentales qui entouraient ce fruit qu'elle comptait lui offrir... Mais à ce train-là, jamais elle ne le reverrait si elle ne se bougeait pas.

- Aux grands maux, les grands remèdes ! Advienne que pourra...  



Dernière édition par Loth Reich le Dim 24 Avr 2016 - 20:27, édité 1 fois
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Nivel
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Après s'être échappé des oubliettes, il s'était retrouvé au cœur d'un champ de bataille où deux camps s'affrontaient par rafales interposées. De ce qu'il avait vu, le manoir pierreux du chef de clan était assiégé par une armée qui essayait d'en prendre le contrôle. Dans l'édifice, profitant d'une position géographique plus avantageuse, les hommes de Bronze résistaient vaillamment. L'anarchiste qu'il était avait alors senti une joie sauvage se déverser dans ses veines. C'était en marche, c'est le chaos qu'ils voulaient provoquer depuis la veille. Plusieurs fois, des balles perdues sifflèrent au-dessus de sa tête alors qu'il arpentait à quatre pattes les couloirs du manoir. Bien avant que Black ne vînt lui piquer sa crise et le menacer de le rôtir tel un poulet, Adria lui avait rendu visite et lui avait remis les plans du manoir qu'elle avait fait elle-même. Ce plan comportait surtout un chemin d'exfiltration en prévoyance d'un moment comme celui-ci.

Il descendait un escalier en colimaçon qui n'en finissait plus. Chaque marche l'enfonçait plus profondément dans les entrailles du manoir. Il devait être en dessous des oubliettes elles-mêmes. Les ténèbres y régnaient. Enlevant son cache-œil, il activa la fonction nyctalopique de cet œil droit. Durant son séjour à Zaun il y a sept mois de cela, cet œil auparavant invalide fut remplacé par une prothèse oculaire dernier cri. Maintenant, ces boyaux souterrains étaient pour lui, aussi clairs que s'ils étaient baignés de la lumière du soleil. Le tunnel qu'il empruntait maintenant était juste assez large pour qu'un homme de moyenne taille y passât sans encombre. Le plafond par contre était très haut et colonisé par des araignées. Les parois étaient en granit dur ce qui prouvait les passages avaient été taillés à même la roche. En promenant ses mains sur les façades, il y découvrit -outre la poussière centenaire et les toiles- des signes de polissure naturelle. Ce n'était pas le travail de l'homme, il avait eu l'occasion de voir de la roche polie de cette manière quand il séjourna à Nar Shadaa dans les entrailles de Zaun. C'était l’œuvre de l'eau, se dit-il, de l'eau avait coulé ici et s'il avait raison, ce qu'il prenait pour un boyau souterrain était en fait un canal de drainage... Le goulet l'emmena dans une vaste pièce ronde.
On l'attendait, son élève Adria et un homme masqué qui avait l'air très vieux.

- Ah bienvenue Maitre ! Attendez, je vous présente le Commandant Randyll Randall, il dirige les Énigmatiques. Ce sont les forces spéciales du Roc. Commandant, c'est celui qui m'a tout appris...

- Jonathan Nivel de Las Camp.  

- Ah super, il est enfin là ? J'ai pensé qu'il attendait de voir pousser le gazon, dit la voix de Loth. Adria tenait dans sa paume un escargophone.

- Ça canarde de partout là-haut, il fallait bien que je me débrouille pour ne pas finir en passoire avant d'arriver ici. Je ne comprends pas, on a quand même trouvé des alliés au Roc ?

- Oui, c'est une longue histoire. Mais pour résumer, j'ai avec moi ici le dernier descendant mâle des fondateurs antiques du Roc. Un Darkness de pure souche, Willian.

- Salut. Enchanté.

- Idem. Du coup, qu'est-ce qu'on fait ? C'est quoi la situation globale ? T'as retrouvé Émeline ?

- Non, malheureusement, je n'ai pas pu la retrouver. Elle aura sûrement été vendue à quelqu'un et c'est cette personne que je dois maintenant trouver. Je voulais interroger l'équipage qui a mené la razzia mais elle est repartie en expédition. Donc, il ne reste que le grand patron qui pourrait nous aiguiller et j'ai appris qu'il était au Roc pour prendre possession de ta tête sur invitation de Bronze.

- Je confirme. Durant la réunion, Bronze disait que Burn arrivait par le "chemin des dames".

- C'est une vieille route faite en argile jaune qui relie les capitales du Roc et de Favela. Intégralement construite par des femmes esclaves, elle symbolise l'union de nos deux Secteurs.

- Il voyage en carrosse et selon mes hommes, il était arrivé à moins d'un kilomètre du manoir quand les premiers coups de feu ont éclaté après l'explosion dans la salle de réunion. Il aura sitôt rebroussé chemin, intervint le vieux ninja.

- Donc sur ce point, Nivel, il faut le prendre vivant.

- Il a une forte avance sur moi là. En plus, s'il est tracté par un cheval...

- Nous sommes présentement à cinq cent pieds sous le Roc. Ce sont d'anciens canaux construits pour siphonner l'eau du lac. Certains d'entre eux sont en pente raide pour favoriser l'écoulement. Je vous montrerai des raccourcis pour gagner en vitesse. En gros, ce sera comme faire du toboggan par endroit. En plus, il est fort possible que la généralisation des affrontements eût fait ralentir Caffree Burn.

- Pour répondre à tes autres questions, sache que les Fumiers sont presque arrivés. Avec Willian, je suis en route vers la Jungle pour les accueillir. La situation globale est, elle, ce qu'elle est. La bombe d'Adria n'a malheureusement pas réussi à éliminer les deux éléphants, mais a empêché la réussite du putsch que fomentait Black. Après l'explosion, une partie de ses hommes a attaqué le manoir puis ça s'est embrasé dans d'autres parties du Roc. Les fidèles de Bronze ont riposté en lançant des assauts sur les fiefs des hommes sûrs de Jack Back. Je tiens ces informations de nos amis Énigmatiques.

- Les combats durent depuis moins d'une demi-heure mais selon les rapports que je reçois, l'avantage semble pencher pour Bronze. Il avait apparemment prévu le coup de force. Ni lui, ni Black n'est dans le château actuellement mais leurs hommes s'y battent toujours. Ce manoir symbolise le pouvoir du Roc et celui qui le possédera aura l'avantage psychologique.

Situation au Roc, 30 min après la tentative de putsch ratée...

- Bronze est plus fieffé au nord et au nord-est, Black à l'ouest et au sud-ouest. Le centre est plus ou moins sécurisé par les Énigmatiques qui n'ont jamais pris part à des conflits internes depuis que Maître Randyll les commande. Donc les deux parties doivent s'attendre à plus ou moins de neutralité de leur part, mais si Jack Black veut généraliser le conflit, il devra s'attaquer au fief de Bronze.

- Et donc traverser le centre. Idem si Bronze veut recevoir des renforts de l'Est. Donc, la stratégie, c'est de couper le territoire en deux ?

- Idéalement oui, ça permettra d'isoler les deux parties mais nous ne pouvons assumer cette tâche bien longtemps. Toute force d’Élite que soient les Énigmatiques, les parties adverses comptent deux fois plus d'hommes que nous. En combattre une c'est du domaine du possible. Les deux, inenvisageable. Même avec l'apport de vos hommes. Cent individus, ce n'est pas grand-chose, Bronze devrait totaliser à lui seul près de trois milles hommes et Black, deux milles. Pour rappel, la population du Roc est de quinze mille habitants. C'est à dire que les possibilités de mobilisation restent grandes pour les deux camps.

- On rentre maintenant dans la géopolitique et dans la géostratégie pure. L'objectif final étant que Willian Darkness contrôle le Roc -assez rapidement- et nous prête sa puissance pour envahir Favela et exterminer les Burn. Ç’aurait été mieux si on avait pu éliminer Jack et Bronze durant la réunion mais voilà, ils ont la peau dure.

- Mouais bon, tant qu'on récupère Émeline avant de jouer à la guerre, ça me va. Mais attendez... Le nord et le nord-est du Roc sont directement frontaliers avec Favela ! Bronze pourrait bien demander des renforts de ses potes esclavagistes !

- Mes craintes précisément. C'est pour ça que tu dois impérativement mettre la main sur Caffree Burn. Nous pourrons instrumentaliser sa capture pour définitivement semer la discorde entre les meilleurs amis au monde. En attendant, je pense que je vais confier la mission aux Fumiers de mettre Favela à feu et à sang en perpétrant des attentats à la bombe par petit groupes. Ça va complètement désolidariser leurs forces. Ils ne sont que cent et même s'ils ne peuvent apporter un soutien conséquent face aux milliers d'hommes de nos ennemis, ils peuvent faire très mal en attaquant en traite et en guérilla.

- C'est à cet effet qu'Avada et moi les avons formés. Mais Loth, tu te rends compte que le plan change au fil de tes humeurs et de tes rencontres ? On était censé foutre la guerre au Roc et profiter du chaos pour y installer une base arrière pour les Fumiers et frapper Favela en ses points névralgiques.

- C'est ce que les Fumiers vont faire. Je viens de le dire.

- Oui, mais le plan initial ne comportait pas le fait de mettre un terme à la guerre au Roc et d'imposer un chef.  

- Non en effet. Et c'est une contrainte en plus. Mais tu n'as pas à t'en faire pour ça, une chose à la fois. La capture de Burn et après, on avisera. Mes objectifs ont grandement évolués ici. Tu seras bien content quand je te détaillerai le final. Nous arrivons dans la Jungle, je dois vous laisser. Appelle-moi quand tu auras Burn entre les griffes.

___ ___ ___

- Il en a fomenté des plans tordus depuis que je suis avec lui mais là... Ça ne vous gène pas ?

- Quoi donc ?

- Votre territoire sera en guerre. M'enfin, il l'est déjà mais ça risque de s'étendre. Et si je capture Burn, il est même possible que Favela vous envahisse. Vous ne craignez pas pour la population civile ?

- C'est étrange. Un anarchiste avec une âme.

- Non, moi je m'en fiche. Mais maintenant que nous sommes alliés, j'aimerais quand même comprendre.

- On ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs, Jonathan Nivel. Mon jeune maître poursuit le dessein de récupérer le siège de ses ancêtres pour le plus grand bien. Cela demande des sacrifices, mais au final, ceux qui se trouvent au sommet décident du destin du petit peuple qui subit. En quoi serait-ce différent maintenant ? Je ne suis pas un défenseur du droit commun.

- Très sec et pragmatique l’aïeul. Et si vous m'indiquiez comment faire pour rattraper ce Burn ? Vos hommes et vous allez nous aider ?

- Non. Des Énigmatiques ne doivent en aucun cas être vu avec vous. Et ce n'est pas l'habit qui fait le moine, nous avons des techniques bien spécifiques qui peuvent nous trahir. Venez, je vais vous montrer le chemin.

___ ___ ___

Traversant le Roc du nord-est au sud-ouest sur près de vingt kilomètres, le Chemin des Dames était l'une des principales voies d'échanges avec Favela. Au-delà de la frontière avec le Roc, le Chemin s'enfonçait au cœur du secteur esclavagiste jusqu'à sa capitale. Après un bref calcul en prenant en compte la vitesse maximale de déplacement d'un cheval tractant un carrosse de luxe, la distance à parcourir, le situation sécuritaire progressivement chaotique, ils en déduisirent que Nivel et Adria rattraperaient Caffree Burn aux encablures du kilomètre cinq, le kilomètre zéro commençant à partir de la frontière des deux Secteurs. C'était à la fois dangereux et intéressant d'essayer de capturer le baron de l'esclavage aussi près de son Secteur natal et surtout dans le fief de son estimé ami X-Bronze.

Courant peu, s'accrochant beaucoup, les deux Niveleurs dévalèrent à grande vitesse les toboggans que formaient les canaux de drainage. Ils avaient revêtus pour l'occasion une combinaison matelassée appartenant aux hommes de la section déminage des forces du Roc. Nivel eut l'impression de se retrouver à nouveau pris dans les remous de La Randonnée. En pleine descente, sans prévenir, les glissières formaient souvent un angle serré de quatre-vingt degrés. Parfois, elles étaient spiralées à vous en donner le tournoi. D'autres fois, elles vous éjectaient brutalement et vous faisiez alors un vol plané sur des dizaines de mètres avant de vous écraser brutalement dans un autre canal qui lui avait une forme zigzaguée...

- Je... donnerai... beaucoup... pour... foutre... un... pain... au... malade... qui... a... dessiné... les... plans... de... cette... merde... mâchonna-t-il, émacié quand leur course dans les entrailles prit fin dans une piscine à vide. Dans un coin, le Roux rendit son maigre dîner de la veille.

- Tenez maître, j'ai un remontant en bouteille.

- Merci tu es la meilleu... Mais regarde ce que tu fais ! Noooon !

- Eeeeeeh ! Ma main a dérapé, la bouteille a glissé. Pardon, je suis maladroite. Pardon, maître... Vraiment navré, votre rhum...

- Oui, il abreuve maintenant ces roches qui n'ont pas vu de liquide depuis des siècles. C'est bon, remontons, il nous faut nous renseigner et au passage on devrait opérer, un peu de transformisme... Eurrrrk !

Il vomit de nouveau, des secrétions biliaires cette fois. Il n'avait plus rien dans l'estomac. Ce rhum aurait pu lui donner un bon coup de fouet pour retrouver des couleurs mais la gaucherie congénitale d'Adria avait encore frappé, ressassa-t-il de mauvaise grâce. Depuis ce malheureux accident survenu à Las Camp au début de sa période anarchiste où une de ses bombes explosa plus tôt que prévu, il peinait à s’accommoder des vitesses trop importantes ou des cabrioles trop violentes. Durant cet accident où un débris de la bombe lui creva l’œil droit, une onde de choc abîma son système vestibulaire qui régulait l'équilibre. Le vertige était depuis devenu pathologique et se déclenchait dès qu'il était soumis à de fortes contraintes d'accélération ou de ballotements. Même à cheval, à plus de 75km/h, il ressentait les premiers signes de désorientation spatiale. Un bateau en pleine tempête avait le même résultat. Il aurait dû consulter un cyber-ORL à Zaun se dit-il, ce trouble le handicapait cruellement à certaines occasions. Avec la vie qu'il avait choisie, il ne pouvait faire abstraction de la vitesse...

Alors qu'à quatre pattes, il essayait de retrouver son équilibre naturel et d'endiguer cette vague de nausées, Adria se changeait déjà. Randyll Randall leur avait fourni les uniformes orange réglementaires de la milice propre de Bronze. Elle se coiffa également d'une perruque blonde et enleva le cache œil droit qu'elle mettait par pure fantaisie et désir de ressembler à son maitre. Ce dernier se mit debout tant bien que mal et s'adonna au même transformisme. Grâce à un colorant naturel à effet immédiat, il teinta sa chevelure de feu en noir de jais, parsemée de mèches blanches. Ils remontèrent ensuite à la surface via des escaliers qui les conduisirent au sommet d'un vieux château d'eau adossé à la montagne. Le réservoir culminait à quelques vingtaines de mètres au-dessus du sol mais était loin d'être ce qu'il y avait de plus haut dans le coin. Comme le reste de Carcinomia, les constructions s'épanouissaient en hauteur et cette particularité architecturale était plus affirmée au Roc où la moitié des habitations étaient taillée dans la roche.  

- Voilà, nous sommes au kilomètre cinq. Vous entendez ?

- Les gargouillis de mon estomac à vide ? demanda-t-il, les yeux vitreux.

- C'est calme maitre. Y a pas un bruit. Même en hauteur, dit-elle, les yeux tournés vers les sommets et les ponts suspendus.

- Ils sont au courant de ce qui se passe dans le sud. Y a sûrement un couvre de feu, imposé ou non. Quand la guerre éclate, seuls les fous sortent... D'un côté ça peut faciliter notre mission mais d'un autre, comment savoir si Burn n'est pas déjà passé par ici ? Je comptais interroger quelques habitants mais aller toquer aux portes alors que les gens sont enfermés à double tour... Eurrrrkkk !

- Vous vomissez encore ?

- Non... Jus..juste un rot. Si... je dois encore vomir, ce sera mes tripes... Tu n'as rien à grignoter ?

- Non, maitre. Désolée encore pour la bouteille... fit-elle d'une voix anéantie et plaintive.

- Ça va, ça va. Bon bonne nouvelle, nous n'allons pas faire du porte à porte. Notre ami Burn vient vers nous...

La fonction zoom télescopique de son œil cybernétique lui permettait de faire le point à cinquante mètres au-delà des capacités d'un œil normal. Mais aujourd'hui, il voyait plus loin parce que l'horizon était dégagé. Ce quartier était partagé en deux blocs, de chaque côté d'une longue route de pavés jaunes. Le Chemin des Dames. La route était droite et rien ne gênait la vue jusqu'à ce qu'elle touche l'horizon et disparaisse au-delà des blocs de pierre. Au loin, peut-être trois cent ou cinq cent mètres, avançait une voiture hippomobile.

- Attendez, il y a des gens qui courent à côté de la voiture ma parole ! Quelle idée de courir à côté d'un cheval ! commenta-t-elle, une paire de jumelles tournée vers le sud.

- C'est une haie d'honneur et de protection. La traction... Eurrrrrrk... pardon... est assurée par deux chevaux et mais ça avance assez lentement. Normal, je dirais... Vise moi la taille de la voiture ! Euurk.... On dirait une maison !

- Y a les mêmes à Boréa, ce sont des voitures princières. On les appelle les Dormeuses parce qu'on peut s'y allonger. Elles accueillent facilement jusqu'à huit personnes. Peut-être que Caffree voyage avec quelques soubrettes pour le tenir au chaud. Quel dégueu petit personnage !  

- On ne va ni discuter de voiture, ni de moralité ! Allez, on descend sur le Chemin, faut leur réserver un petit accueill. Sa colonne de protection doit compter au moins trente zèbres armés.

- Ouais ! Je...

- Non, tu vas me regarder faire, trancha-t-il. Il y a eu assez de catastrophe aujourd’hui... Euuuuurrrrrrrk !

- Ce rot-là était particulièrement fort maitre... Je peux le faire, ce ne sont que des mines télécommandées à placer. En plus, c'est moi qui les ai choisies et préparées. Regardez-moi faire ! Et elle lui arracha le sac des mains et descendit du château d'eau.

- Les dieux soient avec nous...


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Nivel
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Quelques minutes plus tard, tout était en place. Placés de chaque côté du Chemin, Nivel et Adria patientaient. Chacun d'entre eux avait une commande pour déclencher une partie des mines dissimulées sous les pavés limoneux. Il n'y aurait aucun témoin se dit Nivel toujours aussi nauséeux, les fenêtres étaient closes et les habitants terrés chez eux. Dire qu'aucun coup de feu ne s'entendait encore ici... Mais ça ne durerait pas, à moins qu'il n'y eût une victoire nette de l'un ou l'autre camp dans le sud-ouest, le conflit devrait s'exporter ici. D'ailleurs, ce couvre-feu ne s'éterniserait pas non plus, la vie devait reprendre et surtout une fois que les familles nodales de ce coin se seraient réunies et réorganisées, les rues grouilleraient de patrouilles en prévention d'une attaque des hommes de Black. Pour l'instant, tout le monde attendait de plus limpides nouvelles du sud-ouest. Et c'était tout bénéfice pour lui.

Le monstrueux carrosse fut précédé à petit trop par cinq hommes armés. Trop tôt pour déclencher les mines, les Niveleurs se tapirent davantage et attendirent. Une autre flopée d'hommes passa suivi du gros du cortège. Les sabots enferrés des chevaux battirent le pavé et les énormes roues de la voiture crissèrent. Sur un signe de Nivel, ils actionnèrent les détonateurs. Rien. Encore une fois. Toujours rien. Horrifié Nivel fusilla du regard Adria de l'autre côté. « As-tu pensé à enlever les boulons de sécurité avant d’enterrer les mines ? » demandèrent silencieusement ses yeux. Maudissant son incompétence, l'anarchiste se résolut à sortir de sa cachette et rattraper le convoi qui venait de les dépasser. Bon sang, maintenant, il devait se coltiner trente hommes armés. Dans son état émétique qui plus est ! Mais à peine avait-il levé le pied qu'une série de détonations survint. Les pavés flavescents implosèrent. Des gravats voletèrent dans tous les sens, Nivel plongea à terre. « Bon sang, se dit-il, en préparant les munitions, elle a choisi des mines à retardement ! ». Il plut des cailloux pendant un bref moment et la poussière satura la route de telle sorte qu'on n'y voyait plus rien.

Avec sa vision cybernétique, la poussière stagnante ne le dérangeait pas, aussi Nivel fondit-il sur ses ennemis paniqués qui se beuglaient des ordres à tort et à travers. L'arrière du convoi avait été touché, il avait distinctement vu le carrosse être soulevé par la déflagration. La voiture avait ensuite fait un tonneau vers la droite de la route. Dans le nuage de poussière, certaines silhouettes étaient au sol, d'autres debout, fusils levés et torches de sorties, cherchaient leur maître. Armé d'un couteau à dépecer, Nivel planta dans la poitrine le premier qu'il approcha. La victime émit un gémissement que l'anarchiste tut d'une main. Il la laissa tomber et se dirigea vers une autre plus alerte. « Hey, Jay, ça va ? » s'enquit le garde. Pour toute réponse, il vit une ombre floue le contourner et l'égorger avant qu'il ne pût appuyer sur la détente de son arme. « Deux de moins. J'ai compté quatre corps séchés par les mines. Six sur trente, ça va être un putain de chantier... Euuuuuuurrrrrk ! »

- Non pas maintenant ! pensa-t-il, pris d'un nouveau soubresaut de vomissures. Maudits toboggans souterrains, à quel point ont-il éprouvé mon sens de l'équilibre ? Bon sang ! Non ! Non ! Non ! J'arrive plus à tenir debout !

- Z'ai entendu vomir ici, n'vez ! Prot'gez l'boss !

« Là, ça ne va pas le faire… Faut que je me sorte de là, putain, bouge ! »
Il ne bougea pas, au contraire, il s'affala davantage sur le sol, comme une marionnette aux fils coupés. Cette escapade au centre du Roc lui avait laissé des séquelles irrémédiables et bousillé un organe déjà au bord de la rupture. L'anarchiste ne parvenait plus à discerner le haut et le bas et dès qu'il tentait de se remettre sur pied, il s'écroulait comme un bébé apprenant à marcher. « Non, ça ne va pas se finir comme ça ! Pas ici ! Je dois ouvrir mon école et former de futurs artificiers... Non ! » pensa-t-il furieusement quand ses ennemis armés l'enténébrèrent. Sa dernière pensée fut pour son élève. « Vas-y, fuis Adria, ne fais rien de stupide, sauve ta vie ! »

- Quelque chose a dire avant de clamser, vermine ?

- Ne vends pas la peau... de l'ours avant de l'avoir dépecé ! répondit-il avec toute la hargne dont il était encore capable tout en priant pour qu'un quelconque dieu bienfaisant lui vienne en aide.

Ses prières furent exaucées. Les deux hommes s'effondrèrent en éclaboussant le roux de sang. Ensuite, une bombe explosa, rajoutant une couvée supplémentaire de poussières alors que le précédent nuage se dissipait. Des rafales tonnèrent, Nivel vit des lumières sporadiques illuminer la suspension. « Il est là-bas, à six heures ! Le ratez pa..Aaaaaaaaaaaaaah ! » Une autre grenade péta, tout près de lui cette fois-ci, l'anarchiste sentit le souffle de la déflagration. « John ! Ash ! Les gars ! Répondez ! » Personne ne répondit, sauf un autre homme qui hurla. « Ne te préoccupes pas d'eux, imbéciles, sors-moi de là ! » La voix provenait de quelque part à droite de la route. Sensiblement vers l'endroit où le carrosse avait dégringolé. L'autorité et la puissance de cette verve ne laissa aucun doute à Nivel sur son auteur. C'était Caffree, il était là, juste à quelques mètres de lui. Puisant dans ses ressources comme jamais auparavant dans sa vie, il se mit debout mais aussitôt le premier pas fait, il embrassa le sol une nouvelle fois. C'était frustrant, incroyablement humiliant de rester là alors que le gros de l'action se déroulait sans lui. C'était sa mission, il ne pouvait laisser... Et tout à coup, il se dit que c'était impossible que les derniers actes fussent d'Adria. On cria encore, des coups de feu se firent entendre à nouveau. Quelqu'un combattait et éliminait minutieusement les hommes de Caffree Burn dans la poussière et ce ne pouvait être Adria... Elle était trop bordélique, elle aurait déjà détruit tout le pâté de maisons aux alentours si c'était elle. Nivel rampa vers les corps de ceux qui l'avaient en joue un plus tôt. Il les tâta jusqu'à trouver l'origine de leur mort. Une balle dans la tête. Pas plus. Du travail propre et sans bavure. Étaient-ce Randyll Randall et ses Énigmatiques ? Non, il disait ne pas vouloir intervenir dans cette mission précise. Alors qui ?

Une ombre se faufila auprès de lui et il reconnut Adria. Elle répondit par un hochement de tête quand il l'interrogea sur l'identité de celui qui leur venait en aide alors que des balles fusaient à nouveau. Elle le traina hors du nuage puis sur le bas-côté de la route, dans un caniveau asséché. Une grenade détonna encore. Ce ballet rafales/grenades s'éternisa durant les cinq minutes suivant. Après, ce fut un silence mortuaire. La suspension de poussière s'était dispersée entre-temps, leur offrant une vision de carnage. Mort tous. Ils constellaient le pavé, le sol jaunâtre de cette portion du Chemin des Dames était teinté de cramoisi, éventré par les explosions. L’atmosphère empestait le sang et la poudre. De l'autre côté gisait, les quatre roues en l'air, le carrosse. Les chevaux morts étaient étendus à côté. Mais le spectacle le plus intéressant se déroulait un peu plus loin, sous les murets d'une épicerie où Caffree avait semble-t-il tenté de se réfugier. Le nouveau venu l'y avait coincé et maintenant, le gros bonnet de l'esclavage implorait pour sa vie tout en tentant de négocier avec son bourreau.

- C'est qui ? Il est habillé de la même tenue orange que nous ! Vous avez vu le fusil qu'il tient dans son dos ? Je n'en ai jamais vu de tel !

- Prie pour ne jamais en voir de semblable, maugréa Nivel, malade mais tout aussi dégoûté d'avoir été sauvé par cette personne. Près de sept mois plus tôt, il s'était réfugié dans les entrailles de Zaun pour lui échapper dès qu'il avait su qu'un contrat avait été placé sur sa tête.  C'est le meilleur tueur à gage actuellement en service sur les Blues. Sa prime, cinquante millions de Berry.

Avada Kedavra

- Ooooooooh ! C'est elle, Avada Kedavra ? J'ai entendu des choses sur elle... On ne la verrait qu'une seule fois... La dernière !

- Mouais, ça des parfums de vérité.
Hey, Protocole d'Août !
cria-t-il à Avada.

- Hein ? C'est quoi, maitre ?

- Tais-toi, Adria. Protocole...

- Ça va, je t'ai entendu la première fois. L'androgyne assomma Caffree Burn d'un coup de cross sur la tête et le traina dans le sang et l'argile jusqu'à rejoindre Nivel et Adria. Je vois que tu n'as pas soigné ton petit problème vestibulaire ? Sérieux, tu t'es fait greffer un œil cybernétique sans penser à soigner tes oreilles ?

- Oh écrase et dis-moi plutôt ce que tu fiches là ! Aux dernières nouvelles, tu étais le garde du corps de la petite précieuse de Loth.

- M'écraser ? Parle pas d'ironie, c'est toi qui mange la poussière comme un serpent. Sinon, j'ai décidé de prendre de l'air, il n'y aucun défi à baby-sitter une gamine de treize ans. Zéro m'a dit ce que vous faisiez et je suis venue vous donner un coup de main.

- T'es quel genre de tueur à gages à t'engager dans un conflit où on ne te réclame pas ? Et si Loth ne désire pas te payer ?

- Loth m'a versé cinquante millions à la fin de Victoire à tout prix, il y a juste trois semaines pour les services rendus durant cette mission à Bliss, la protection de Myléna et "ce que je continuerais d'accomplir". C'est cette dernière tâche indistincte que je viens remplir ici.

- C'est ça, tu parles ! Dis plutôt que t'es juste une excitée du combat qui veut en découdre ouais ! C'est Loth qui t'a dit comment nous localiser ?

- Non, il ignore que je suis arrivée sur l'île. Adria devrait penser à utiliser un escargophone brouilleur pour sécuriser ses coups de fils, dit-il, ses yeux émeraudes fixés sur la Niveleuse. J'ai intercepté votre conversation, donc d'autres peuvent aussi le faire et ce serait très ennuyeux.

- Oh, pardon...

- Arrête de t'excuser.

- Je ne les ai pas tous tués, faut qu'il y en ait qui survivent histoire de colporter à Foster Burn que son petit frère a été enlevé par des gens habillés à la manière de la milice de Bronze. Le fait que Loth ne vous ait pas spécifié ça prouve qu'il n'est pas dans son état normal et qu'il faut quelqu'un pour l'épauler. Zéro est trop loin, elle n'a pas une vue d'ensemble des réalités du terrain. Et toi, tu es ce que tu es, Nivel. Un anarchiste bon à détruire, pas à prévoir.

- Les cieux soient loués alors. Que ferions-nous sans toi... satirisa le roux.

- Je crois que nous ferions mieux de déguerpir d'ici, les milices ne tarderont pas à rappliquer. Si tu veux bien tenir notre magnat assommé, Adria, je vais porter ton maitre désarticulé.

- On va où ? s'enquit-il alors qu'il se faisait soulever comme un sac de riz.

- Dans une maison libérée de ses occupants.

- Libérée à coup de plombs tu veux dire...

________________________________________
   
Loth

Loth et Willian arrivèrent dans les Serres une heure avant l'amarrage des Fumiers. Ils mirent à profit cette avance pour demander audience à l'Arbre à Palabre. Le Moine s'y excusa de ne pas s'être déplacé en personne la veille, retenu par des "urgences". A ses côtés, Willian Darkness acquiesça et présenta ses excuses les plus profondes au conseil pour la tragédie soi-disant causée par des Énigmatiques. Cette comédie amusa intérieurement le vrai coupable qui releva ses lunettes d'un index. Ils s'étendirent alors en explications et surtout en mensonges sur la nature de leur alliance et des buts qu'ils poursuivaient.

- Je veux récupérer et rendre sa dignité à la terre de mes aïeux, affirma Willian avec une conviction non feinte. Six mois de pouvoir de Diez Bronze ont suffi à m'y décider. Cet homme jette l’opprobre sur notre clan et Jack Black ne vaut pas mieux.

- Nous sommes heureux de nous savoir tous sur la même longueur d'onde. Mais cela ne nous suffit pas. Nous réclamons justice ! déclara le Grand Pharmacien.

- Justice ? Les deux plasticiens sont morts, Vénérable.

- Certes, mais ils n'ont pas agi de leur propre chef. Cet attentat contre notre laboratoire de test était un acte de représailles parce que nous avions accepté de sauver son rival Black du virus qui l'a contaminé. C'est Bronze le responsable, nous voulons le capturer et le juger selon nos lois ! avait précisé le Grand Chimiste et chef de clan. Bien que Loth fût animé par l'envie de se jeter sur lui et de lui arracher la tête à coup de dents, parce qu'il chapeautait surement cet infâme Wolfgang Van Pest, il garda son visage grave des circonstances.

- C'est louable et légitime. Mettre la main sur Bronze nous permettrait à coup sûr de faire un grand bond dans la stabilisation du Roc, mais voilà, la guerre interne... Joindre la Jungle à leur cause, il n'en avait pas espéré autant, alors, il essaya de tourner la phrase de telle sorte à les rallier. Willian a déjà le soutien des Énigmatiques. Pardonnez-moi, les vrais, pas les éléments libres à la solde de Bronze comme les deux énergumènes d'hier. Moi, j'ai mes hommes. En unissant nos forces, nous pourrions sans mal mettre un terme à ces troubles. Nous y serons tous gagnant, plaida-t-il.

Ils furent momentanément congédiés par l'Arbre qui devait réfléchir. S'engager dans une guerre n'était pas une mince affaire, surtout que les contraintes géographiques étaient grandes. Les deux Secteurs étaient situés aux antipodes l'un de l'autre. Le conseil désirait vengeance et Loth les avait senti belliqueux, bien que mesurés. En temps normal, La Jungle n'aurait sans doute pas les ressources d'affronter le Roc dans une guerre singulière. Mais avec la rébellion de Black et l'appui de Willian qui dégageait une légitimité "ancestrale", c'était tout à fait jouable. Mais le problème principal restait le même. Pour atteindre le Roc, il fallait soit, passer Palafitte ou par Virus et Favéla.

- Nous sommes des scientifiques, pas de guerriers, déclara le Grand Toubib dès la reprise de l'audience. Mais nous savons nous défendre quand nous sommes attaqués. Nous ne doutons pas que les yeux des autres clans majeurs sont tournés vers nous et notre réaction face à ce Casus Belli. Si nous ne réagissons pas fermement, ils y verraient une faiblesse et seraient aussi tenter de nous envahir. Notre territoire et nos plantes sont les plus convoités après Palafitte.

- Je ne peux qu'approuver.

- Donc nous avons décidé la mise en place d'une force expéditionnaire de trente supers-hommes qui auront la mission de se rendre au Roc et de capturer Bronze afin qu'il soit jugé.  

- Trente ? avait répété Loth furieusement déçu. Trente misérables hommes, il en attendait dix fois plus au moins. Ces fichus scientifiques n'étaient bons qu'à torturer des esclavages, ragea-t-il, impassible. Et "super-hommes", aviez-vous dit ?

- Ils résultent d'un programme secret. Conditionnés au "Régime", un traitement visant à améliorer les performances, nos super-hommes sont plus forts, plus rapides, plus réactifs que les soldats lambda.

- Des drogués en somme.

- Ce serait réducteur de les catégoriser ainsi. Et surtout, le nombre ne compte pas sur cet échiquier. Le conflit est centralisé autour de deux hommes. Si notre plan réussit, les hommes de Bronze se retrouveront sans leader et il est très probable qu'ils se tourneront vers vous, Willian Darkness, dès que vous aurez affiché vos ambitions. C'est pour cela que nous vous exhortons à ne pas agir dans l'ombre. Déclarez vos ambitions à la lumière, cette guerre des deux Chefs doit devenir une guerre des trois Chefs.

- L'analyse est tout à fait pertinente. Nous débarrasser des sommets est le moyen le plus rapide de mettre fin à l'effusion de sang. C'est ce qu'ils tentèrent de faire avec Adria mais ce fut un échec. Nous serions honorés de compter la puissance de la Jungle derrière nous. Mais le problème géographique demeure. La solution serait par exemple de déguiser nos hommes une nouvelle fois ou de les cacher, dans des carrosses cargos à double fond qui nous permettraient de les acheminer vers Virus puis à travers Favela. Ils rejoindraient ainsi le Roc par le nord-est, fief de Bronze, là où il est plus susceptible de se trouver.

- Hors de question d'agir ainsi. Pour nos forces en tout cas. Si jamais nos hommes sont découverts entrant illégalement dans un autre Secteur, ce serait une déclaration de guerre. Là vous nous proposez d'en violer deux. Non.

- Mais pour aller au Roc...

- Nous allons passer par Palafitte. Et pour ce faire, nous allons solliciter une audience secrète et urgente auprès du Deepboss. Le chef de clan.

- Vous ne comptez quand même pas lui demander l'autorisation de traverser son territoire avec des hommes armés ?

- Si. C'est la procédure habituelle, nous sommes respectueux de nos lois. Nous invoquerons auprès du Deepboss la légitime défense et le droit à la justice. Nos relations avec le clan Wave sont excellentes, Johnny Blue comprendra nos aspirations. C'est également un procédurier attaché aux valeurs que nous chérissons, nous sommes certains qu'il donnera son aval. Des valeurs... Loth faillit cracher son fiel.

- Mais, supposons qu'il n'entende pas raison et qu'il ne souhaite pas cautionner des représailles qui déboucheraient sur une guerre ? Vous pourrez toujours essayer avec Virus et même si eux acceptent, jamais Favéla ne vous donnera une telle autorisation, ce sont des inséparables avec Bronze. Donc, quel est le plan en cas de refus de Palafitte ?

- Aucun. C'est notre dernier espoir. Vous devez les convaincre sinon, nous serions obligés de renoncer à rendre justice pour nos chers disparus. Nous ne saurions violer le territoire souverain d'un autre clan pour parvenir à nos objectifs, nous sommes catégoriques sur ce point.

- Pardon ? "Devez les convaincre ?" Vous nous incluez dedans ?

- Oui, il faut que notre alliance soit représentée au plus haut niveau. Je m'y rendrai et il est impératif que vous nous accompagniez.

- Je suis maudit... pensa Loth, blasé. Et Émeline aussi... Je veux juste la sauver et ça tourne au labyrinthe de Pan cette histoire...

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Loth
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Les Fumiers arrivèrent sous les coups de onze heures, conditionnés avec soin dans des caissons aseptisés et oxygénées, escortés par les épidémiologistes de La Jungle. Tout fut orchestré de telle manière à ce que nul ne se doutât de la supercherie. Ce n'était pas la première fois qu'un tel convoi médical était acheminé vers les herboristes alors, ce ne fut qu'une cargaison de plus en cette journée spéciale où une certaine tension était palpable à Carcinomia. La Jungle et le Roc étaient presque en état de guerre. Et le Roc lui-même en proie à une guerre des chefs. Tous sentaient ici le retour de ce nul n'avait expérimenté depuis plus d'un siècle. La guerre civile. Dena arriva également, flanqué des dix esclaves que Loth avait achetées puis affranchies.

- Il était vraiment obligatoire de les endormir ? demanda Loth au Grand Toubib, en voyant défiler ses Fumiers.

- Oui, ils n'allaient pas entrer dans les caissons puis faire semblant de dormir. Ne vous inquiétez pas, ils n'auront aucune séquelle, c'est juste un somnifère basique. Ils se réveilleront dans un quart d'heure, frais et dispos.

Le capitaine du Scylla avait suivi les Fumiers jusque dans les Serres. Il fut pris en aparté par Dena et Loth qui lui expliquèrent la prochaine étape à savoir transporter les affranchies vers une île civilisée à partir de laquelle elles pourraient rejoindre les leurs. Le vieux capitaine souleva le problème du bavardage et de la fuite d'informations qu'elles pourraient représenter, Carcinomia ayant réussi à préserver le secret de sa localisation pendant des siècles. Mais Loth avait déjà anticipé le problème et Louli avait travaillé les versions qu'elles donneraient avec elles.

- Genre z'avez confiance qu'elles cafarderont pas sur Carci ? demanda le capitaine, perplexe.

- J'ai confiance, elles me sont reconnaissantes de leur avoir sauvé la vie. Il est possible qu'elles émettent des hypothèses sur la localisation souterraine de l'ile étant donné qu'on ne voit pas le soleil. Mais ne nous y trompons pas, même si elles le faisaient, cela n'aurait aucun poids concret en tant que témoignage. Les Burn ont été imprudents en s'attaquant à Holiday Isle alors que la présence de la Marine était si forte dans les parages. Les Mouettes savent déjà que les "pirates de Shadow Law" opèrent via des submersibles.

- Loth a raison, ça n'change pas grand chose. C'comme un surfeur qui s'fait bouffer la guibole par un squale et qui cherch'rait vengeance. Faudrait fouiller toute la mer. Si les victimes déclarent avoir été emmenées sur une île sous-marine, la Marine d'vrait passer la mer au peigne fin pour r'trouver Carci.

- Mais le fait est qu'elles ignorent qu'elles sont sous la mer. Elles ont été droguées durant leur trajet. Elles n'étaient même pas conscientes quand elles furent transférées des boutres au sous-marin. Tout ce qu'elles savent, c'est qu'elles se sont réveillées dans des cages. Et nous allons observer le même procédé.  

- Vous voulez les droguer aussi ?

- Non. Mais sur le chemin vers le Scylla, elles prendront place dans des carrosses intégralement couverts en plus de porter des casques opaques. Elles seront aveugles pendant tout le voyage et une fois à la surface, vous les transférerez sur un bateau avant de les autoriser à enlever les casques. En aucun cas, elles ne devront voir le Scylla. Elles auront l'impression d'avoir juste changé de bateau. Dena' a tout vu avec Akim sur ces points et moi, je leur ai expliqué qu'il était dans leur intérêt d'avoir le visage dissimulé sinon, Caffree Burn risquerait de les capturer à nouveau, les esclaves n'étant pas autorisés à quitter l'ile.

- D'accord, j'suis convaincu. Mais et vous ? Y en a qui vous ont reconnu non ?

- Ce n'est pas un problème ça. Je compte bien m'illustrer dans la lutte contre les dangereux pirates de Shadow Law, répondit-il, amusé. J'ai déjà un plan prêt pour ça qui implique que je devrais encore faire appel à la Marine. Midnight ou Ombeline, je me tâte encore. Mais ça ce n'est pas pour tout de suite.

- D'acc. Si vous avez tout prévu alors ça marche.

- Une dernière chose, captain, murmura Dena'. Dans l'carrosse, qui vous ramen'ra au Scylla, y a deux caisses hermétiquement fermées. D'l'herbe pour Akim. Il est déjà au courant. Qu'il fasse péter les millions.  

- Compris, grand chef.

___ ___ ___


Après le départ du Syclla, alors que les Fumiers s'éveillaient petit à petit de leur sommeil provoqué, Loth et Willian prirent place dans un calèche aux côtés du Grand Chimiste Barnaby White. La voiture s'ébranla vers le secteur lacustre de Palafitte. La demande d'audience au Deepboss avait été acceptée et le rendez-vous fixé à onze heure et demi.

- C'est quoi l'histoire de Palafitte ? s'enquit-il en regardant par la fenêtre de la voiture. Les cinq clans majeurs de Carcinomia ont une approche différente sur la question de l'esclavage. Favela en fait commerce et pour eux, les esclaves n'ont pas plus de droit qu'un fruit. A Virus, ils ont un statut particulier, ils sont même rémunérés pour leurs tâches et peuvent demander l'affranchissement après un certain nombre d'années de service. Au Roc, c'est surtout l'esclavage des femmes qui y a court, dans les bordels où elles sont prisées, ou dans les foyers où elles servent de chaufferette de lit pour leurs propriétaires. C'est en outre de cette manière que Caffree gâtait en cadeau son ami Bronze. Dans la Jungle...

- Ils ont un statut particulier aussi chez nous. Je ne parle pas des familles lambda qui peuvent en acquérir sans souci mais dans les hautes sphères, nous appliquons ce que les autres clans appellent "L'esclavage choisi". Nous n'achetons pas n'importe quels esclaves, il faut qu'ils aient des qualités. Scientifiques j'entends. Un professeur, un docteur, ce genre de profil. Nous les mettons à l'aise, dans un cadre bénéfique pour les recherches que nous leurs confions.

"A l'aise"... Il sentit remuer de fureur la créature dans son estomac. A l'aise... Ces pauvres cobayes emprisonnés dans le laboratoire Manhattan... A quel point furent-ils à l'aise ? Loth se garda d'agir impulsivement, mais il médita sur la réponse de Barnaby. Le fait qu'il n'ait pas avoué expérimenter des poisons et médicaments sur des esclaves prouvait bien que même dans un milieu tel que Carcinomia, cette pratique relevait d'un certain interdit. L'esclavage sexuel, normal. Mais l'utilisation en tant que rat de laboratoire, tabou ? Ben voyons... maugréa-t-il.

- Donc, je disais, c'est quoi l'histoire de Palafitte ? Pourquoi c'est le seul secteur à prohiber l'esclavage ?

- Il n'en a pas toujours été ainsi. Au début de notre ère commerciale, quand La Randonnée fut découverte, ils n'ont pas rechigné -à l'instar des autres clans- à utiliser des esclaves à tort à travers pour bâtir leur Secteur. Puis il y a quoi... cinquante, soixante ans, un Deepboss abolitionniste du nom d'Erik Blue est monté à tête du clan et a déclaré l'esclavage tabou. Y a eu quelques troubles mais rien d'important.

- Ah bon ? Les citoyens ont abandonné leur mode de vie soutenu par des esclaves sans se soulever ?

- Oui parce qu'au final, ce n'était qu'une semi-abolition. Les profanes pensent que l'esclavage n'existe pas à Palafitte, erreur ! La loi promulguée par Blue devenue célèbre se libellait comme suit : "A partir d'aujourd'hui, moi Erik Blue, déclare interdit et tabou l'achat ou l'acquisition par la force de nouveaux esclaves."
Notez qu'il n'a pas émancipé ceux qui étaient déjà esclaves hein. A l'époque, comme aujourd'hui d'ailleurs, ceux qui possèdent le plus d'esclaves sont les familles aisées. Alors, pour ne pas perdre leurs serviteurs, les vieilles familles de Palafitte ont eu l'idée de regrouper tous leurs esclaves et d'en faire des castes. L'objectif étant de les forcer à procréer et que leurs descendances soient immédiatement assujetties.


- Des castes ? répéta-t-il, mal à l'aise.

- Parce que vois-tu, si la loi interdisait l'achat des esclaves voir leur acquisition par la force brute durant des pillages, pour ce qui était de leurs progénitures, un vide subsistait. La descendance n'était ni achetée, ni capturée. Erik a laissé faire de son vivant, et c'est comme ça que les petites gens ont perdu leurs esclaves à la mort de ceux-ci et se sont retrouvés incapables d'en racheter sous peine de tomber sous le coup de la loi. Mais les vieilles familles ont perduré la tradition et ont maintenu viable des castes d'esclaves, s'en échangeant pour diversifier les gênes. Il n'y a pas d'esclaves à Palafitte ? Foutaises que tout cela ! Il entretiennent l'une des pires formes !

- Intéressant...

Il se mura dans le silence, le regard perdu aux delà des paysages du Secteur côtier. Il se souvint de son arrivée la veille, de la manière dont Palafitte lui avait semblé accueillant et frais. Parce qu'il pensait que c'était le seul des Secteurs de Carci' à interdire l'esclavage sous toutes ses formes. Il n'avait pas imaginé qu'au plus profond de ce territoire, s'étaient noués des drames depuis plusieurs générations. Esclaves de pères en fils, de mères en filles. Pire encore, ils programmaient la natalité de leurs esclaves dans le seul dessein d'asservir les nouveaux nés. Faire de tels plans pour des enfants n'étant même pas encore nés lui sembla encore pire que les cobayes qu'il avait dû tuer la veille pour les soulager de leurs souffrances. Mais à quand s'arrêtera cette surenchère à propos de l'esclavage sur cette île ? se demanda-t-il, au plus noir de sa colère silencieuse. Trouverait-il encore pire demain ? Après demain ? Mais qu'avaient ces gens à pourfendre ainsi leurs congénères ? Certes, lui, Loth n'était pas un modèle d'humanité malgré l'image qu'il ait pu entretenir auprès du public. La Dance Powder qu'il comptait vendre avec Shadow Law allait créer des guerres, de la souffrance, de la mort. Il en était conscient mais considérait qu'il n'était au final qu'un marchand d'armes. Un fusil, vous pouviez l'utiliser pour chasser le daim ou l'humain. Mais ces gens-là se complaisaient dans l'oppression de leurs semblables...

A l'image du Conclave...

Seul un puissant désir lui permit de s'extirper de ce couloir mouillé et fétide qui l'engloutit dès qu'il pensa au Conclave. Il avait une négociation à mener et malgré tout le mal qu'il pensait du clan Wave à l'heure actuelle, il devait garder la tête froide. S'immerger dans les fantômes du passé et surtout dans ce couloir ne l'aiderait en rien, au contraire. Mais cette révélation sur les dessous des mœurs des Wave lui fit prendre une ferme résolution. « Quand je contrôlerai Carcinomia, l’esclavage, je le bannirai à jamais. Et ceux qui résisteront passeront au fil de l’épée. Promesse d’un marionnettiste. »


Ils trouvèrent le Deepboss au bord du lac, une guitare à la main, entouré de filles. Son public était comme hypnotisé par sa musique que Loth trouva des plus désagréables. Sans doute parce qu'il était d'une humeur noire. Johnny Blue devait avoir son âge pas plus, observa-t-il. Habillé d'une chemise à fleur, un bandana ceint sur la tâte, il ressemblait plus à un quelconque insulaire hippie passant sa vie couché dans son hamac, sous son cocotier favori, plutôt qu'au chef du Secteur le plus jalousé de Carcinomia.

Johnny Blue

Il continua son concert pendant quelques temps et quand il finit, son public de guenons (pensa Loth avec humeur) applaudit à tout rompre. Willian et Barnaby les imitèrent mais le Moine resta stoïque, ses mains si profondément enfouies dans son manteau qu'il lui fallût plusieurs années pour les en sortir. Quand il reçut un discret coup de coude de Willy, il se força à sourire au Deepboss alors qu'au plus profond de son âme, il ne désirait que le rouer de coup jusqu'à ce qu'il mette fin à cette horreur d'esclavage par génération.

- Pardonnez-moi pour l'attente, mais quand t'as l'bon rythme, rien ne compte plus au monde. Barnaby mon pote ! Bien ou bien ? Condoléances pour vos pertes dans ce tragique coup foireux ! Il avait une propension extraordinaire à exhiber ses dents tout en parlant et il ne semblait pas désolé du tout. Venez, suivez-moi, dans la Blue House, nous serons à l'aise.

Ils le suivirent sur une jetée en pente raide. Elle était enrobée de parois de verres qui les isolèrent de l'eau, quand la môle s'enfonça sous le lac. La vue était analogue à cellee dont avait joui Loth à travers la grande baie de verre de l'Antarès à cette différence près que cette fois ci, l'eau les environnait intégralement. Au-dessus, point de ciel, juste le bleu azur du lac et quelques bancs de poissons, idem tout autour. Et à l'instar de leur plongée dans les abysses de North Blue, le spectacle le laissa froid. Willian, lui, était comme un gamin, il effleurait le vitrage du doigt, tapotant dessus parfois en essayant d'effrayer les poissons qui nageaient tout près. Il fit un bon en arrière quand un énorme requin marteau apparut avant de disparaître dans les flots.  

- Mais non, il n'y a pas de requin dans ce lac !

- La Randonnée, mon cher. Parfois, des poissons de mers se prennent dans ses courants et dérivent jusque dans le lac, expliqua-t-il de la voix du connaisseur blasé par tant de beauté vue et revue.

- Il y a deux ans, nous avons eu fort à faire sur l'lac quand l'courant nous a rameuté un énorme chat des mers. Deux bateaux ont été perdus ce jour-là, mais avec sa viande, nous avons fait la fête pendant des jours ! Des jours ! Tu devais encore être à la surface, Willy, petit veinard !

- Hé, surement.
 
- Prenez place, fit-il en désignant des poufs disposés en cercle. Ils étaient dans une pièce circulaire, intégralement faites de verre aussi. Nous sommes à soixante-dix mètres sous la surface. Des rafraichissements ! ordonna-t-il et quelques instants plus tard, un jeune homme entra dans la pièce, les bras chargés d'un plateau.

Ses bras...

- Qu'est-ce que... pensa-t-il, foudroyé sur place. Mais ce serviteur... C'est un Long-bras... Comme moi... Ne me dites pas que dans leurs castes d'esclaves, existe une famille de Long-bras...

Ses origines, son peuple, il n'y avait jamais vraiment porté attention jusqu'à maintenant. L'esclave baissa les yeux en servant les autres mais arrivé à sa hauteur, il le dévisagea et ses noires et profondes prunelles qui s'attardèrent ensuite sur les bras de Loth. Comme les siens. A double articulation. Peut-être n'avait-il jamais vu d'autres gens de la même race que lui à part sa famille ? Peut-être lui avait-on dit que les "difformes" de son espèce n'étaient jamais libres et destinés à servir à jamais ? Après un bref moment, il sortit. A reculons, la tête baissée en révérence.  

- Bien, attaquons le vif du sujet, Johnny, dit rapidement Barnaby White comme s'il craignait que Loth fasse un commentaire déplacé.

- Oh, ta lettre remise main à main était très claire ! Seulement, j'suis très ennuyé par cette perspective, tu vois ? Je comprends tes aspirations mais si j'autorise ça, je vais cautionner cette guerre.

- Il n'y aura pas de guerre, ce sera une frappe chirurgicale. Nous passerons par Palaffite, atteindrons et traverserons la Porte du Roc et enlèverons Bronze. Sa disparition mettra du répit dans la confrontation interne, ce qui nous permettra de...

- Hihihi, j'aime bien comment tu énonces simplement ces faits comme si tu parlais d'faire des courses sur un marché au poisson ! C'est d'guerre qu'on parle, Willy ! Vous pouvez échouer, Bronze peut gagner et moi, me retrouver dans la merde parce que j'vous aurais soutenu !

- Vous craignez autant le Roc ?
 
- Je crains surtout la guerre et ses affres. Mais j'crains aussi l'alliance Roc et Favela. Et...

Il se tut car un homme à l'extérieur demandait à entrer, ce qu'il fit sur invitation du Deepboss. D'une imposante carrure, le nouveau venu avait un air un tantinet sauvage avec la forêt de favoris qui poussaient drue sur ses joues. Il s'accroupit à hauteur de son chef et lui susurra des mots à l'oreille.

- Bien, ça va vous intéresser, jeune gens, on vient de m'apprendre les dernières nouvelles en provenance du Roc. Apparemment, X-Bronze n'tiendrait plus l'ouest. Le manoir et l'intégralité d'ses territoires environnants, c'que vous appelez "la capitale", s'raient désormais entre les mains de Black. On annonce Bronze en fuite vers l'Est. Sauf que vous l'savez aussi bien qu'moi, l'est, c'est son bastion. Il n'fuit pas, il fait une retraite stratégique pour mobiliser des hommes et r'venir en force.

- Mais si nous lui mettons la main dessus...

- Je suis désolé. Vraiment Barnaby. Mais j'ai tâté des options avec mes lieutenants et nous préférons rester parfaitement neutres dans cette histoire. Au Roc ses guerres intestines, surtout quand maintenant, on est sûr que ça va s'généraliser. Palafitte a vingt-huit kilomètres d'frontière avec l'Roc. Nous mobilisons déjà des efforts pour empêcher que c'conflit déborde chez nous alors, nous n'saurons avaliser un acte comme l'vôtre. C'est notre dernier mot.

- Tant mieux, pensa Loth. Ca va obliger l'Arbre à Palabre à se sortir les doigts et envisager des solutions extrêmes. S'ils désirent réellement se venger.
 
- Mais tiens Barnaby, j'espère que tu répondras présent, fit-il tout joyeux en lui remettant une espèce de ticket. C'est une invitation. Mais bon sang, j't'ai même pas présenté ! Viens-là, on a deux invités qui n'te connaissent pas ! Il saisit par le coude le nouveau venu qui s'éclipsait. Loth, Willian, je vous présente mon grand cousin. Le comte Adalbert Blue, protecteur du Troisième Comté de Palafitte.

- Et ça c'est...

- Une invitation. J'espère que nous sommes toujours cool tous les deux, hein ? On n'pourrait laisser la politique gâcher une amitié ! Hihihi ! C'est l'mariage d'Adalbert dans sept jours, les préparatifs vont bon train. Du moins, allaient jusqu'à cette crise mais ça n'sera pas reporté. Parait qu'la mariée est impatiente d'être une Blue !

- Mes félicitations, fit Barnaby, sans sourire. Il était froidement mécontent du refus de son "pote". Mais j'aurais juré avoir assisté à votre mariage en 1623. Puis en 1624. Et l'année dernière aussi.

- Tout à fait, noble seigneur. Mais des difficultés et trois divorces plus tard... répondit-il. Dans sa voix, Loth perçut quelque chose de malsain qu'il ne sut identifier.

- On dirait du plaisir... Il a énoncé ça comme si ses divorces consécutifs étaient particulièrement jouissifs... se dit-il, curieux.

- C'est pour ça que je ne m'engagerai jamais ! Haha !
 
- C'est mon cousin, c'est un chaud lapin ! Il a rencontré sa muse y a même pas un mois hein ! Et il veut déjà la baguer ! Une quelconque fille d'la surface en plus, hihihi !

- Je t'en prie. Elle n'est pas "quelconque".
 
- Huuuu, pardon. Je dirai donc pas que tu la marries juste pour sa paire de pamplemousses bien fermes et son goulot bien serré ! Hihihhihihi ! Il partit d'un franc rire moqueur.

- Il n'y a pas besoin d'un tel langage, Johnny ! Soit, félicitation à vous Adalbert. Mes vœux à votre future femme. Comment s'appelle-t-elle ?

- Solaria Seldon.

Et en une tierce, Loth revécut sa journée d'hier à aujourd'hui, repensa à ses choix, à ses actes et comprit à quel point il s'était fourvoyé. La guerre au Roc ? Inutile. Exterminer les Burn ? Au second plan. Attendre le retour de Jon "Dwarf" ? Risible. Sa méprise n'égalait que celle de Luigi "l'idiot", un personnage des contes pour enfant de Boréa qui pensait que l'heure était venue d'alimenter les cheminées avec de la neige et non du bois. Il mourut gelé.
Mais comment avait-il pu se tromper d'ennemi à ce point ? se demanda-t-il dans un état quasi-catatonique. Qui l'avait réellement enlevée ? Caffree l'avait-il vendue à ce marieur en série ? En tout cas, elle était là, juste dans ce Secteur qu'il n'aurait pour rien au monde soupçonné étant donné que l'esclavage y était supposément interdit.

Solaria Seldon. Un nom de code, un SOS que seuls les initiés du Gila pouvaient repérer. Il avait eu raison de l'apprendre à Émeline.

- Mes vœux les meilleurs, dit-il à l'heureux élu. Espérons que ce mariage-ci soit le dernier.

- Avec l'aide des dieux.

- J'y veillerai, pensa-t-il. Je vous éradiquerai tous. Je vous inhumerai jusqu'au dernier.

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