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Voyage au bout de l'ennui

Allongé sur une couche pourrie dans un bateau à peine plus solide qu’une allumette, le vieil homme observait les nouures du bois. Il n’était pas en veine, ces derniers temps. Après ses déboires au pays du sable omniprésent, il avait pris le parti de changer d’air. Pour le coup, le résultat était loin d’être probant. Il était coincé dans une cage à lapin qui puait les effluves de moisissures et de gerbes alcoolisées. Il repoussa les deux bouteilles victimes de sa nostalgie de la veille et se leva en craquant des os.

Quand le chasseur finit de s’équiper, il poussa la porte de sa modeste chambre pour se retrouver dans un espace partagé. Les lits étaient désertés et avaient l’aspect pitoyable de la pauvreté rance des passagers. Il sentait son crâne se fendre en deux et il avait besoin boire qui remplit les océans et avec lequel on fait la vaisselle, de l’eau.

Julius n’aimait pas trop la flotte. Elle ne l’aidait pas à prendre du recul. Avec son passif, être lucide était du suicide. Il ne trouvait la sérénité que dans l’effort ou la gnôle. Tout faire pour s’occuper, pour occulter les souvenirs qui radinaient en douce pour cogner sur son crâne. Il fallait éloigner la mélancolie à tout prix et pour cela, il se décida à éprouver son nouveau pouvoir.

Sur le pont, il y avait peu d’activité. Une grève du zèle en sous-main était lancée depuis le repas d’hier. C’était simplement immangeable. Cela dit, le vieil homme avait ses principes. Il ne regardait pas trop à la bouffe et se contentait de fourrer cette daube dans la gueule. L’équipage dirigeait mollement le navire alors que le capitaine s’époumonait jusqu’à l’apoplexie. Néanmoins, le bateau naviguait sans accrocs sur une mer clémente. Le vieil homme avisa un coin libre à la proue et laissa le vent le rafraîchir.

Encore un moment simple gâché par les reflux acides que lui envoyait son estomac. Décidément, monsieur était grognon et réclamait autre chose que du tord-boyaux. Au lieu de commencer son entraînement, le chasseur de prime se traîna dans les méandres de cette conserve en bois. Il prit une gamelle dont le contenu ne lui disait rien. Une sorte de lavure dans laquelle se battent en duels des légumes non identifiables. Sans être d’un naturel délicat, Julius n’aimait pas qu’on se foute de sa tronche. Et là, tout portait à croire qu’on se paye sa mine. Cette attitude appelait une sanction.

Quand il brisa le plat sur la tête du cuistot, personne n’osa se porter à son secours. Il n’était déjà pas apprécié et puis Julius avait l’air hostile. Aussi, il put dénicher quelque chose de plus consistant. Pas forcément meilleur, mais plus nutritif. Il avala le tout sans faire de cérémonies et s’allongea sur le pont, face au vent.

Tous les matins depuis sa convalescence à Alabasta, il se réservait un moment pour éprouver ce nouveau pouvoir qui était le sien. L’appeler à volonté et le maintenir était en soi un défi. Évidemment, il avait appris l’évasion du pirate. Il faisait partie d’un équipage outrancièrement célèbre pour ses frasques. Le genre de gros poissons loin de la portée du vieux chasseur de prime. Dire qu’un des lieutenants était aussi capable ne laissait présager rien de bon quant à la puissance de leur meneur. Il fallait qu’il devienne meilleur afin d’espérer boucler ces menaces.

Au lieu de se prélasser sur un morceau de bois qui flotte, Julius se mit à l’œuvre. Répéter ses gammes lui était nécessaire puisqu’il était loin de tout maîtriser. Il lui semblait que ça allait de mieux en mieux. Mais les exercices étaient longs et fastidieux. Il lui fallait l’entière totalité de sa concentration pour faire jaillir ce pouvoir. Quant à le conserver, c’était une tout autre affaire. En condition de combat, il avait eu plus de facilité à l’amener. Il était galvanisé par l’adversaire. Poussé dans ses derniers retranchements dès le début par la force destructrice de son ennemi. Il fallut les efforts conjugués de l’armée et du chasseur pour en venir à bout. Les victimes furent nombreuses. Aussi bien civiles que militaires. Lui, par contre, avait gentiment récupéré. Comme si de rien n’était. Il maudissait sa coupable faiblesse et reprit l’exercice avec une ardeur renouvelée.


Dernière édition par Julius Ledger le Dim 24 Avr 2016 - 21:53, édité 1 fois
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Pendant les quelques premiers jours, Julius essuya des échecs cuisants. Pourtant, il ne se laissa pas décourager. L’apprentissage se devait d’être ardu. Et la patience était une vertu dont il ne manquait pas. Il en fallait au moins tant si ce n’était plus pour être un chasseur.

Le temps était une ressource dont il avait à revendre. Coincé sur un lit d’infirmerie d’abord, puis sur à bord d’un assemblage de planches grinçantes, suffocantes d’humidité et de pourriture, il se consacrait à son entraînement. Il n’y avait pas l’ombre d’une femme dans l’équipage. Un oubli pertinent vu la population qui empruntait cette route. Personne ne s’occupait du vieux chasseur et il ne dérangeait personne. Il pouvait entendre dans leurs pensées la crainte et l’indifférence qu’il suscitait. Ainsi, il était laissé à lui-même des jours entiers. Il n’avait rien d’autre à faire que de contempler avidement l’océan et ses frasques. Vivre une tempête debout, les guiboles bien plantées et la tronche offerte aux pluies torrentielles et aux lames de fond gargantuesques. Il laissait le sel marin ainsi que le soleil tanner sa peau. Sa barbe poussait allégrement sans entretien. Et puis, il se décidait à combattre les éléments. Son épée couverte de fluide transperçait vagues entières en un seul passage. Il essayait jusqu’à imprimer ses coups dans le vent. Mais celui-ci absorbait patiemment ses frasques et le contournait sans vaciller.

Personne dans l’équipage ne pouvait lui servir d’étalon à sa capacité. Personne n’avait ni la carrure ni la démarche de puissants guerriers. Alors, il rongeait son frein et se concentrait sur son objectif ; dompter cette nouvelle acquisition. Il fallait qu’il y arrive, coûte que coûte.

Debout, fièrement face aux embruns qui lui fouettaient le museau, il enchaînait les passes d’armes. Il en avait besoin pour s’échauffer. Puis, il s’arma de son fluide et tenta de le maintenir. Après des essais plus ou moins avortés, il arrivait à appeler ce pouvoir librement. Le garder était le défi suivant. Pour cela, il n’avait d’autre choix que d’essayer sans se lasser. Personne ne pouvait lui apprendre quoi que ce soit à ce propos.

Pendant son séjour à bord, il ne faisait pas attention à qui que ce soit. Les visages, minés par la pauvreté, se ressemblaient tous. Des faces marquées par la maladie ou les blessures. Une sorte de mouroir vétuste et tanguant. L’équipage avait une meilleure forme. Des gars élevés en mer, les poignes de marins chevronnés et les épaules larges. Julius pensait qu’on ne pouvait guère survivre aux exigences de ces mers si l’on n’avait pas cette constitution d’esprit qui faisait de chaque membre un battant. Quand la tempête était à son sommet, les faibles périssaient sans faillir. Il n’y avait de place sur cet océan que pour les exceptionnels.

Le capitaine, lui, était un type hors du commun. Un vieil homme-poisson sec comme une trique. Une voix tonitruante comme on n’en faisait plus. Une vitalité extraordinaire contrastant avec sa silhouette voûtée et son visage fripé. Julius voyait en lui une puissance impressionnante, forgée par les épreuves et affinée par les années. Cela dit, le vieux capitaine déclina l’offre du chasseur de lui servir de partenaire d’entraînement. Il avait mieux à foutre que de ramasser des pains, selon lui. Il lui demanda aussi de garder ce genre de propositions pour lui à l’avenir dans un langage autrement plus fleuri. Le rôdeur ne releva pas l’offense et continua à s’exercer dans son coin. La monotonie du voyage provoquait en lui un appel à la nostalgie. Il fallait qu’il s’occupe pour ne pas penser. Il redoublait d’efforts à l’entraînement après qu’il n’y eut plus de bibine à bord. Pourtant, ils avaient prévu large.

Pas assez large pour combler sa mélancolie.
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Deux semaines de trajet et les jours se suivaient identiques. La même bectance immonde sans alcool au bout d’un moment. Et puis, toutes ces journées passées à travailler sa technique inlassablement. Le navire n’offrait pour ainsi dire aucune distraction. Il fallait jouer aux cartes avec la plèbe ou bien rester dans son coin à ruminer ses vieilles rancunes.

Julius se tint à l’écart de tout le monde avec ferveur. Il désirait qu’on lui foute une paix royale et l’obtint avec sa gueule de criminel en vadrouille. Personne ne le reconnaissait à bord et les gens souhaitaient secrètement qu’il ne les vît pas. Il leur donna ce qu’ils voulaient en évitant soigneusement la moindre interaction avec qui que ce soit, excepté cet incident avec le cuistot fêlé.

Grailler régulièrement et passer le reste du temps à s’entraîner constituait son quotidien. Il ne faisait rien de plus. Évidemment, il se faisait chier comme un rat agonisant en plein cagnard. Mais il n’avait d’autres choix que de prendre son mal en patience. L’équipage trouvait dans leur routine de quoi s’occuper le temps d’arriver à terre et tout dépenser en putes. Faire des économies ne rimait à rien dans cet univers. Au moindre caprice climatique, tout le monde pouvait clamser sans y pouvoir quoi que ce soit. Les quelques autres voyageurs passaient le temps en jouant aux cartes et en se piquant des trucs. De gueulante en gueulante, ils trouvaient à faire. Julius n’intervenait pas dans leurs affaires. Il était usuel que certains objets changent de main au cours de ce genre de trajet. Il laissait faire tant que les bagarres subséquentes ne faisaient pas couler le sang.

Au seizième jour, le chasseur prit son habituel repas matinal avant de s’installer à la poupe du navire. Quand il commença l’échauffement, il fut rapidement interrompu par la vigie.

Navire en vue. Pavillon noir. Mauvaise nouvelle.

Le capitaine gueula si fort que tous les membres de l’équipage débarquèrent sur le pont. Il fallait se sortir les doigts pour éviter le combat. Énergiquement, tous se mirent au boulot. Les voir s’affairer impressionna grandement Julius qui se plaça à la proue. L’ennemi arrivait d’en face, son éperon en acier menaçait de les couler en un seul coup. Le chasseur se demanda l’intérêt de les passer par le fond sans pouvoir les piller. Cependant, les circonstances n’étaient pas idéales pour réfléchir au pourquoi du comment. Il fallait se préparer à l’abordage imminent. Mais avant toute chose, il devait maîtriser la menace de l’éperon.

Le navire qui l’accueillait était destiné au fret. Il était lourdement chargé et ne pouvait espérer distancier les pirates. Le capitaine fit en sorte que le choc soit latéral pour conserver la structure centrale et éviter que tout tombe à l’eau, littéralement.

À l’approche des pirates, Julius brisât l’éperon sec et fit un abordage à contre-courant. À son débarquement, il faucha prestement trois troufions hébétés et d’un coup de pied en jeta un à la mer. Très vite, il se retrouva encerclé d’ennemis, mais pas seul puisque le capitaine du navire de transport le rejoignit et assomma deux pirates. Désormais, les deux hommes, dont un au poisson, se battaient côte à branchies. Ils dézinguèrent encore cinq lascars sans se mettre en danger avant l’intervention funeste du capitaine pirate. Une vraie monstruosité sur pattes, un doigt d’honneur à dame nature. Tout en muscle et en graisse, il faisait bien ses trois mètres et devait peser pas moins de six cents livres. Un vrai bestiau. Il était armé d’une masse d’arme couverte de croûte de sang et sa tenue, composée de morceaux de tissus divers cousus aléatoirement, était immonde. C’était un demi-géant mastoc et qui était partant pour briser Julius et son ami, la poiscaille.

Il s’avança vers les deux hommes et ses troupes lui firent place. Craignant leur meneur encore plus qu’eux. Il abattit son arme en plein sur les deux protagonistes avec une force prodigieuse. Cependant, Julius l’arrêta avec son épée couverte de fluide, la masse se brisa en deux et avec elle la nuque du capitaine pirate. En effet, l’homme-poisson adepte d’un art de combat secret le défit d’une seule attaque. Il était, sans nul doute, encore plus effrayant que ce que le chasseur croyait.

Immédiatement, les pirates se rendirent sans condition et les vieux les laissèrent en paix. Les tuer n’apporterait rien de bon, de toute manière. Ils regagnèrent leur pont et reprirent leur chemin sans regarder derrière eux.
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Entre les protagonistes, la glace était rompue et le reste du voyage fut moins ennuyeux pour Julius. Il trouva en l’homme-poisson un adversaire plus que coriace pour son entraînement, largement supérieur en force. Et puis, il lui offrit l’accès à sa réserve d’alcools forts. Des liqueurs à en devenir aveugle et manchot.

De son nom, Vilgram, l’homme-poisson était cynique au possible. Son humour était fin et incisif et ses attaques coriaces. Il fournit quelques rares conseils sous la forme de critiques acerbes en matière de Haki offensif. Cette aide fut précieuse à Julius qui sut qu’il lui restait encore du chemin à parcourir avant d’égaler les grands de ce monde.

Le voyage dura deux jours de plus et, à la fin de la troisième semaine, ils débarquèrent à Nebelreich sans encombre.

L’esprit du vieil homme était en ébullition devant cette île à la population dense. Il quitta le navire sans faire de sentiments et sans au revoir.

Le monde était si grand.
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