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Prémices de l'outre-tombe


Prémices de l'outre-tombe D8xyswew-4fb7c6b

A la fin de l'histoire, le héros meurt.

Évanescent, temporel. Le vermeil tachant la pureté du blanc, se mélangeant à l'eau gelée puis virant au carmin, avant de disparaître sous une gerbe de neige, balayé en quelques seconde. Le paysage est fantomatique, enveloppé dans une écharpe de brume, à la limite du réel. Dans ce désert glacé, le combat fait rage, d'autres gouttes virevoltent, éclaboussent et se dispersent sur l'étendue immaculée. Ils sont deux, deux brutes épaisses, maîtrisant chacun des armes différente mais assez fins stratèges pour combiner leurs attaques. Face à un adversaire seul et acculé.

J'avais fini ma course à l'orée d'une forêt, peuplée d'arbres morts et grisâtres errant tels des spectres dans le brouillard ambiant qui semblait émaner du laboratoire lui-même plutôt que d'être dû à un phénomène naturel. Ma course effrénée dans la neige me donnait l'impression d'avoir duré plusieurs dizaines de minutes alors que cela pouvait tout aussi bien en faire une demi-douzaine. Forcée à faire de grands pas et me sortir régulièrement de l'épais tapis blanchâtre qui m'arrivait jusqu'à la taille, j'avais ainsi perdu en vitesse et en énergie tandis que les colosses aux physiques sculptés à même les montagnes me rattrapaient inévitablement. Je ne souhaitais pas me battre, pas après tout ça. J'avais peur, oui, peur d'échouer, peur de ne pas réussir à défendre ce satané Cœur, peur de devoir y laisser ma vie. Certains Sunset avaient la réputation d'être sans pitié, d'autres d'être plus cléments, cependant si je voyais juste dans les résultats des batailles menées aujourd'hui, cela m'étonnerait bien fort que les pirates se montrent indulgents à l'égard d'agents du Gouvernement. De toute manière, je ne souhaitais pas leur pitié, je préférais encore mourir. Mais tout de même, cela me semblait trop tôt, trop jeune, trop prématuré pour donner ma vie maintenant.

- Toi là-bas, arrête-toi !

Alors que je m'approchais du sous-bois avec ses arbres dépenaillés, j'avais pu remarquer la silhouette de l'un des hommes me pistant comme un gibier. Il avait été le premier à partir à ma poursuite et le plus véloce à me rejoindre ; une véritable épée de Damoclès à même de parcourir la distance qui nous séparait si je ne trouvais pas un moyen de le semer ou bien le courage de lui faire front. La peur, toujours la peur, ce sentiment malsain que j'avais bien souvent gommé de ma propre existence jusque là. Jamais je n'avais eu affaire à une mission aussi dangereuse, aussi suicidaire, jamais je n'avais eu à mettre autant ma vie en péril pour protéger quelque chose, même pas la chair de ma chair que j'avais abandonné sur mon lit d'hôpital, même pas ce dernier embryon de famille qu'il me restait que j'avais brutalement effacé, même pas une petite sœur, transpercée, violemment détachée de son cœur par un esprit maladif et une main sanguinolente. Pour la première fois dans toute ma vie, j'étais la gardienne de quelque chose et ce quelque chose n'était pas humain, n'était pas vivant, ne me procurait même pas de sentiments sinon la peur et faisait un peu moins de la taille de ma main. De cette petite sphère métallique, de ce cœur froid et luminescent, j'étais l'obligée, l'esclave.

- Larson ! Larson tu me reçois ?

J'avais déjà essayé à plusieurs reprises de contacter mon chef d'équipe mais la liaison semblait être coupée. Au pire des cas. Au fond de moi, j'espérais que l'homme pouvait m'entendre et ne cessais de répéter inlassablement à l'escargot mutilé et écrasé par la pression de ma main mes coordonnées. Celles-ci n'étaient pas claires, évidemment, cependant grâce au plan du laboratoire je pouvais plus ou moins dire sur quel versant de la bâtisse j'étais et vers où je me dirigeais. Une forêt, similaire à celle que nous avions traversé en venant, peut-être la même. Oh s'ils pouvaient venir, s'ils pouvaient m'épauler dans cette dure mission, s'ils pouvaient achever ces derniers forbans à ma poursuite qui avaient déjà eu la peau de mes deux compagnons. Mais non, une partie de moi se doutait qu'ils n'en feraient rien, que leurs corps gisaient probablement dans une marre de sang, dans l'Aile Nord, vaincus et non vainqueurs, annihilés par le commando dépêché par les Sunset pour venir chercher le fruit de leur dur labeur et de leurs sacrifices.

Tout le monde s'était sacrifié aujourd'hui et l'île semblait repeinte en nuances de rouge et de blanc.

- Quand je vais t'attraper...

La silhouette s'était approchée, inexorablement, tandis que je peinais à retirer mes bottes de l'étendue gelée, avalant systématiquement mes jambes dans son bayou poudreux et inodore qui ne me les restituait qu'après être venu s'enserrer autour de mes mollets et me glacer soudainement la circulation. Toujours. Encore. Comme des centaines de petites aiguilles rafraichissant mes nerfs et mes veines jusqu'à les immobiliser pour me les mettre à vif sous la pression des muscles.

- Ha... Ha...

Ça y est, j'y arrive, cette fameuse orée, cette fumeuse orée et ses alentours brumeux, déployant sous mes pieds une pente invisible et un retour sur la terre ferme bien mérité. Je n'en peux plus, je ploie sous l'effort, mon corps se cabre et mes mains viennent s'appuyer sur mes cuisses, absentes, indolores, paralysées par le froid. Je ne sens même pas la présence de l'ombre qui vient soudainement me prendre à revers, je ne prédis même pas l'arrivée de la poigne de la main gigantesque qui vient entourer mon cou, ni du couteau qui vient entailler légèrement mon bassin de sa pointe aiguisée. Tout ce que je sens, c'est une haleine de vinasse et une odeur d'humidité et de moisi, tandis que j'exprime mon échec par une larme involontaire roulant le long de ma joue.

- Je vais te saigner comme la putain que tu es, Cipher Pol de merde !


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mar 21 Juin 2016 - 6:03, édité 1 fois
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- Je... je...

- Ferme la sale chienne ! Donne moi le Coeur, tu l'as sur toi. Je sais que tu l'as, héhéhé ! Donne.

Non, non, hors de question. Je ne peux pas abandonner ainsi, je ne peux pas lui donner ce pour quoi Akuma et Kayne ont donné si gratuitement leur vie, je ne peux pas trahir leur confiance, pas pour un maudit couteau qui me menace l'échine et trois doigts qui me compriment le larynx et m'empêchent quasiment de respirer. Ma bouche s'ouvre et se referme tandis que mon visage laisse dévoiler ma fragilité et ma lâcheté, ma conscience divisée par ce choix Cornélien. Non, c'est un mensonge, il n'y a pas de choix, l'issue sera la même dans tous les cas : je peux me battre et mourir au combat ou bien lui donner ce qu'il demande et subir pires sévices avant d'être abattue comme un animal sauvage. J'oublie souvent ma force, j'oublie souvent ce que je sais et lorsque l'adversaire devant semble être plus fort, ma faiblesse reprend le dessus. Pourtant, je suis plus forte que lui, je me suis entraînée, je maîtrise les six facettes du Rokushiki et ce n'est qu'un vil pirate, que peut-il faire contre ça ? Est-il si rapide ? Son couteau s'enfoncera-t-il assez rapidement dans ma chair pour me faire ployer ? Sa lame déchire progressivement mon épiderme et fait couler quelques larmes de sang sous mon chemisier blanc qui bientôt se teint de rouge à l'endroit de la blessure, rejoignant la neige elle aussi contaminée par cette émanation écarlate.

- Tek...

- Hein ?

- Tekkai.

Je bande soudain ma volonté, contracte brusquement mes muscles : sa lame ne peut rien, ses doigts n'ont aucune force, je suis aussi dure que du métal, que peut-il faire face à cela ? Au lieu de cela, son couteau, inefficace, cesse de pénétrer dans ma chair et un violent coup du poignet pour me l'asséner dans le flan résulte de l'échappement de l'arme de la main de son propriétaire. C'est le moment d'agir : je brise la technique pour envoyer mon coude dans le visage de l'homme que je devine derrière ma tête, n'échouant pas à provoquer un craquement sympathique au contact du nez. Je profite alors de la relâche du boucanier, préférant placer ses mains autour de son nez mutilé, pour me défaire de son étreinte et découvrir mon ravisseur : un homme grand, musclé, vêtu de haillons pourpres et noirs et d'un bandana semblant cacher une calvitie, supplantant un visage étroit avec deux yeux rougis de colère et une bouche tordue par un rictus de douleur.

- Sabe bude ! Du m'a gassé be nez ! hurle-t-il, baissant instantanément sa garde et m'offrant l'opportunité de frapper.

Cependant le gusse n'est pas aussi idiot qu'il en a l'air et il semble bien au courant de l'aspect superficiel de sa blessure, probablement douloureuse et fortement sanguinolente mais néanmoins bénigne. Ses réflexes sont donc loin d'avoir disparu au moment où je contre-attaque : parant au vol mon poing venu viser son thorax, l'homme me retourne sèchement le bras d'un seul geste souple de l'épaule.

- Aaarrr ! laissé-je échappée de douleur, les muscles du bras pressés par la violence de la torsion.

- Tu rigoles moins maintenant ? Sale garce ! Attends que mes copains arrivent, on va te faire vivre un enfer.

Du coin de l'oeil, je les vois arriver, les deux silhouettes adjudantes, ces "copains" dont il parle. Elles sont encore loin, cependant l'horloge ne cesse jamais de tourner et si j'ai l'opportunité de le finir ici et maintenant, je ne dois pas faire un seul faux pas. Trois contre un, j'ai peu de chances de gagner.

- Estime-toi heureux... on ne fait que commencer !

Trop d'ouvertures, sa posture est mauvaise, l'un de ses bras occupé à maintenir l'un des miens tandis que mes armes sont encore nombreuses. Saisissant de ma main libre ma pièce secrète camouflée à l'arrière de mon pantalon, je dégaine et abats violemment Clair de Lune dont la vivacité n'égale malheureusement pas celle du pirate qui parvient à se dégager suffisamment tôt pour ne pas voir son bras tranché. La distance, c'est le maître mot de mon style de combat et il vient de s'écarter assez pour que je puisse commencer à passer réellement à l'offensive. Terminant le geste de mon bras tenant la lame, je n'attends pas plus longtemps pour aussitôt me maintenir en équilibre sur une jambe et et de l'autre révéler soudainement une onde de choc dégagée par un découpage horizontal de l'air. Satisfaite en voyant que mon attaque a heurté ma cible de plein fouet, mon visage se décompose légèrement au moment où celle-ci se relève avec une relative difficulté, laissant entrevoir une estafilade au niveau du torse là où logiquement aurait dû se trouver une profonde entaille pour n'importe qui d'autre.

- C'est tout ce que tu as, Cipher Pol ?

Cette révélation me laisse pantoise et m'emplit de doutes, réelle preuve de ma faiblesse qui fait naître en moi la peur de ne pas être assez forte pour défaire mon opposant. Mon corps est parcouru d'un spasme, immobilisé, laissant le temps à mon adversaire de dégainer son sabre et afficher un sourire machiavélique sur son visage.

- A mon tour maintenant !

L'homme se propulse à une vitesse vertigineuse, égalant pratiquement le Soru, et vient en fin de sa course abattre sur moi son gigantesque épée que j'éloigne difficilement par un revers de mon sabre de ninja, m'obligeant à effectuer un bond en arrière pour me libérer de la pression. Cependant le pirate ne s'arrête évidemment pas là, enchaînant coups d'estoc et moulinets qui m'obligent à sauter dans tous les sens, à effectuer moult galipettes et roulades qui à long terme m'épuisent davantage. Malgré sa blessure, l'homme, seul, possède largement l'ascendant sur moi. Je ne préfère donc pas imaginer ce que cela donnera lorsqu'ils seront trois. Pas le choix, il faut que je me sorte de ce mauvais pas ! Tandis que j'esquive et pare donc les attaques du gaillard, je remarque progressivement une constance dans ses enchaînements et m'essaye à prédire son prochain coup, tentant ma chance pour venir soudainement transpercer son avant-bras avec une bonne partie de ma lame au moment où mon coup de poker réussit. Le forban mugit mais plutôt que de s'arrêter, poursuit dans son élan en redoublant d'agressivité et de vitesse ; néanmoins tout cela est vain puisque j'ai percé à jour sa technique. Retournant la lame pour que celle-ci couvre l'arrière de mon avant-bras comme le ferait une dague, je bloque un second coup qui me permet de me faufiler sous la garde de l'ennemi et de lui asséner une multitudes de coups violents.

- Shigan Ouren !

Renforcé par le Rokushiki, mon index vient se planter comme un véritable projectile d'arme à feu et se retirer aussi sec de la chair de mon ennemi, pour recommencer la procédure une vingtaine de fois. Secoué et encore sous le choc, l'homme ne peut rien faire sinon encaisser tandis que je continue de trouer ses abdominaux et le repousse incessamment sous la puissance de mes coups. Immobile et paralysé, la vie du forban ne tient plus qu'à un fil après un tel enchaînement, de fait il ne me reste plus qu'à le cueillir d'une balayette du pied droit pour le faire chuter au sol, d'où il ne pourra plus jamais se relever vu l'état de ses blessures qui déversent des litres et des litres de sang. Bientôt, sa bouche vient aussi tousser et recracher le liquide vermeil, tandis que ses yeux me balancent des éclairs de colère. Ses deux comparses n'étant plus très loin, j'entreprends de nettoyer mon sabre dans la neige et de me préparer à partir trouver un endroit pour me dissimuler dans la forêt. Cependant, au moment où je passe une dernière fois près du corps secoué de spasmes du pirate, ce-dernier vient refermer sa main contre ma botte, murmurant ses dernières paroles.

- Le capitaine... te le fera... payer...


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 22 Juin 2016 - 2:52, édité 1 fois
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Je n'en peux plus. De courir. De me battre. Je n'en peux plus. La bourrasque se fait plus forte, retardant chacun de mes pas, me repoussant violemment comme une poupée de chiffon, m'amenant à esquiver maladroitement les obstacles sur mon chemin à la dernière seconde. Frappée par la tempête, le blizzard, mon esprit est davantage découragé que mon corps, épuisé, qui peine à avancer, heurté de plein fouet par des perles de pluie, des gouttes de glaces. Les silhouettes autour de moi sont inhumaines, formes étranges des arbres pliés, tordus par le vent, courbant l'échine face à la puissance ravageuse de la nature qui nous fait paraître si petits et si insignifiants à ses côtés. Je suis faible, je suis sans force et mon dernier adversaire a manqué de me faire tuer.

C'était ce passage par le laboratoire, c'était cette confrontation avec l'au-delà, avec les monstres, avec mes propres terreurs nocturnes, mes illusions faites de chair ou non, ces spectres qui hantaient l'endroit abandonné, se nourrissant de sa dépravation et de sa nostalgie pour survivre. Et de la mienne. Jamais je n'avais été aussi branlante, aussi maladive, alors qu'avant je respirais l'arrogance et l'ambition, je n'étais plus que l'ombre de moi-même : fade et sans couleurs, ternie par la peur, ployant sous mes responsabilités, infirme et inefficace. Comment pouvais-je réussir ma mission ? Jusque là jamais je ne m'étais inquiété de l'avenir de mes camarades, jamais je n'avais pensé au nombre de vies qui étaient en jeu, jamais je ne m'étais surprise à être soudain philanthrope à ce sujet. Faible, c'était le mot, pourtant mes sentiments me poussaient à devenir quelque chose d'encore plus indéfini, innommable. Parfois faisaient-ils de moi l'un des monstres que je chassais que parfois je devenais leur victime, leur pantin, prisonnière de ce corps sans âme. Ao avait raison : j'avais eu du mal à me contrôler, cette fois-là, à Drum. Et aujourd'hui je regrette...

C'est une racine poignant hors du sol, dure et ferme, qui vient mettre fin à mes divagations aussi bien qu'à ma déroute dans les bois. Depuis l'orée, les arbres n'ont cessé de se rapprocher, les troncs de devenir plus épais. Ici, la neige a disparu pour laisser place à un entremêlement d'excroissances tubéreuses, tandis que les branches des arbres se sont étendues comme de grands bras malingres et osseux, se complaisant probablement à griffer les pauvres hères comme moi qui cherchent à fuir un prédateur en se dissimulant dans ce cité de ronces et de piquants.

- Ha... ha...

Je ne sais pas quoi faire, je ne sais plus vers où courir, point noir dans cette forêt de blanc, où les chênes sont gris et les corbeaux sont poivre et sel, je me devine comme extrêmement facile à suivre à la trace. Oh comme cela doit être facile d'être le chasseur et de sourire tout en pistant sa proie, d'être sûr de la rencontrer au bout du chemin tandis que celle-ci s'épuise à battre des ailes et à vriller la terre avec ses sabots et ses fers, pauvre bête. Ce que je suis en somme, trop apeurée pour faire face, trop peu confiante pour survivre : je pourrais tout aussi bien me débarrasser de cette sphère, là, en la planquant dans une souche, en l'enterrant sous un arbre, mais resterais aussi paranoïaque. Ils la trouveront : ils fouilleront, ils chercheront et mettront la main dessus, c'est certain. Je ne peux pas fuir mes responsabilités ainsi, mais je ne peux pas non plus continuer à fuir. Et ils approchent. Et j'entends leurs pas, brisant les brindilles, écrasant la neige dans de curieux craquements. Si fragile, à quatre pattes, je leur offre ainsi mon dos, sans le courage de me redresser, sans la force de me battre. Où est partie ma bravoure, sont-ce mes responsabilités qui m'obligent à être ne lâche ?

- Je ne suis pas lâche ! éructé-je.

Un brin de colère, un brin de cruauté, de la violence à l'état pur, voilà qui je suis : un assassin, un pion, sans sentiments, sans états d'âmes. Mes coéquipiers sont morts ? Akuma, Kayne ? C'était leur mission, ils étaient là pour ça. Quelle genre de stupidité m'avait donc amenée à me soucier d'eux, quelle cupidité étrange me les faisait tenir en estime ? Rien, rien sinon ces sentiments que je détestais tant.

- Elle est là bas ! Capitaine, nous l'avons trouvée !

En étaient-ils certains ? C'est la voix sombre d'un homme, la voix de l'un de ces fameux chasseurs qui s'exprime. Je sens en elle chaque once de joie, de bonheur à l'idée d'atteindre enfin l'objet de sa mission. Il est le premier à me voir, le premier à m'approcher, tandis que je reste coi, stoïque, inébranlable cette fois-ci. Rien n'aura raison de moi. Non, je lui tourne le dos, je ne le considère pas, il est mon ennemi, il n'est que chair et os. As-tu oublié Anna ? Si ça saigne, c'est qu'on peut le tuer.

- Toi là ! Tu vas gentiment te-

Shlack !

L'homme n'a pas le temps de finir sa phrase qu'un éclair gris virevolte et vient lui entailler méchamment la gorge, dévoilant des flots de sang bouillonnant qui s'agitent et imprègnent les racines qui drainent la terre. Je me retourne pour observer le spectacle, pour me délecter de la stupeur dans les yeux de ma victime, dont la main occupée laisse échapper un flintlock, dont les lèvres froides balbutient des mots inaudibles. Il est jeune, si jeune. Pas l'un de ces guerriers, non, pas non plus un mousse inexpérimenté non plus. Je le lis dans son regard, il a fait couler du sang, il sait se battre. Mais sur ce coup-là, le bambin n'a juste pas eu de chance : il est tombé sur un monstre, plus fort que lui, plus terrible que lui, plus cruel que lui. Il s'écroule, roulant au sol comme un vulgaire insecte décapité, cherchant encore à prévenir ses compagnons en s'égosillant comme un acharné. Ses mains frappent le sol, ses doigts labourent la terre, ses ongles griffent le bois comme pour échapper à son inexorable mort. D'un pas lent, je m'approche, savourant cette mort qui me remet en confiance, qui me rappelle ce que je suis et ce pour quoi je suis là. Finie la comédie, finis les caprices, je dois faire face désormais, faire front. Saisissant la lame venue se ficher dans un tronc près de là, je surplombe ma victime et lui dévoile mon plus beau sourire.

- Ton cauchemar s'arrête ici. dis-je d'une voix solennelle, plaçant la pointe de ma lame contre l'emplacement du coeur du jeune homme dont les pupilles dilatées semblent chercher dans mon oeil encore envie une once d'âme et d'espoir.

Il n'y en a plus. J'enfonce l’extrémité de l'arme d'une pression de la paume de la main gauche sur le bout de la garde tenue par ma main droite, geste rituel qui vient mettre fin aux souffrances de l'éclaireur, finissant sa vie dans un dernier sanglot. L'homme a parfaitement joué son rôle car les renforts arrivent, ils se déplacent entre les silhouettes sinueuses des arbres et viennent rejoindre l'arène que j'ai délimité avec le sang de leur comparse. J'apprécie l'odeur du sang, j'apprécie cette seconde victime, celle qui me rappelle que tout est bien plus facile lorsque je ne suis pas humaine. Pour m'illustrer en ce que je suis réellement, je m'agenouille près du cadavre et place ma main contre sa blessure encore sanguinolente avant de l'appliquer, rouge de sang, sur mon visage vierge et blanc. Dégoulinant sur mon front, sur mon nez et coulant sur mes joues et ma bouche, la vue et la sensation de l'hémoglobine sur mon visage me submerge d'un sentiment de pur bonheur, comme si je venais enfin de tourner la clé dans la serrure ouvrant la cage de ma folie machiavélique. Je n'ai plus peur et pour le prouver, je sors le Cœur de Pacifista que je tiens dans ma main gauche, à la vue et au su de tous, une façon de dire : si vous le voulez, venez le chercher. Bien que couvert de sang, la sphère continue à émettre sa curieuse lumière surnaturelle me glaçant les sangs. Mais je n'en ai cure, je ne doute plus de ma victoire car cette sotte et humaine d'Elizabeth Butterfly a enfin laissé place à la parricide et la matricide aliénée que je suis vraimen : Annabella Sweetsong.

Cela fait du bien d'être de retour.
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La douce mélodie des carnages sanglants. Seuls les plus forts sont les plus à même de comprendre, les maillons supplantant la chaîne alimentaire, les maîtres dominant leurs esclaves. Une douce chanson macabre aux notes incroyablement aigues puis étrangement graves, écartelant la gamme par ses octaves extrémistes qui viennent balader l'auditoire de gauche à droite tandis que ses terribles membres balayent la zone et l'ennemi, fendant, pourfendant, tranchant membres et mâchoires. Elle toupille et l'on toupille, elle fait des pointes et l'on s'exécute de même, balançant et contrebalançant pieds et mains de l'avant en arrière pour laisser courir sur les lignes adverses des ondes de chocs, des nuées d'estafilades qui tailladent les corps des suppliciés, affolés par leur faiblesse.

- Je ne veux pas que ça s'arrête, je ne veux plus que ça s'arrête ! fais-je tout en empoignant mon arme dans le tronc d'un cadavre tranché en deux.

L'harmonieux menuet continue, tandis que mes opposants se débattent comme de beaux diables pour faire face à mon acharnement sauvage. Je ne me contrôle plus, me dérobant aux estocs sous les pulsions du Rokushiki. Kami-E, me voilà drap blanc tâché de rouge, flageolant au vent pour ne plus être tangible, avant de redevenir moi-même pour percer et transpercer le corps du colosse. Des cinq qui me sont tombés dessus, il n'en reste bientôt plus que trois capables de se battre. Les deux autres sont en piteux état : le premier a eu l'inconscience de me sous-estimer, et en voulant mêler ruse et audace, il s'était grillé les ailes, décapité net par un Rankyaku qui avait scié en deux le paysage et l'homme avec ; le second s'est battu plus intelligemment mais un mauvais placement de jambes avait causé sa perte, le faisant trébucher en reculant et ainsi déstabilisé, m'ouvrant la voie pour accéder à son flanc. Clair de Lune s'était abreuvée du liquide rougeâtre, fendant chair et os comme s'il ne s'agissait que de glaise, tranchant net le corps en deux parties pour laisser l'abomination réaliser sa perte pendant encore quelques secondes avant de rendre l'âme.

Je n'avais là affaire qu'à des pions, des soldats d'avant-garde, de première ligne, de la chair à canon. Où était donc ce cortège funèbre qui était censé avoir eu la peau de mes partenaires ? Le premier homme que j'avais combattu était bien plus puissant que les trois jeunots que j'avais réduit en charpie au cours de cette bataille : était-il leur capitaine ? J'en doutais, sa dernière phrase prouvait le contraire et je brûlais d'envie de me mesurer à son supérieur, mais n'avais droit pour toute réponse qu'à un combat misérable contre du menu fretin. Une simple mise en bouche.

- Tu vas crever, sale pétasse !

Ça aboie mais ça ne mord pas. L'homme attend peut-être que je fasse le premier pas, que je sois assez folle pour me jeter sous sa lame, pour mettre le cou au bout de la planche et attendre que le bourreau fasse son œuvre, que la guillotine s'abatte et me coupe net le cigare. Je lui ris au nez, démente, je lui dévoile mon sourire teinté de rouge et l'invite à venir, lui, d'un geste de la main. Qu'espéraient-ils là, m'attirer avec des injures ? Il en fallait plus que ça pour me faire perdre pieds. Je les avais déjà perdus, je nageais depuis un petit moment déjà dans ce Styx fait de flots rouges baignant les racines gelées des armes environnants, sinon leurs troncs et leurs branches. Partout, le sang était partout, disséminé dans l'air, nous le respirions et le recrachions : c'était ainsi que la guerre nous formait. Ils sont trois, ils m'entourent et espèrent me bondir dessus de façon synchrone, mais aucun ne fait le premier pas, aucun ne veut y laisser sa vie pour prétexter le départ des deux autres, non. Ils sont bien trop faibles, bien trop froids. Alors j'attise leur convoitise, je les moque du bout des doigts, tenant entre ceux-ci la sphère luminescente.

- Que celui qui la veut vienne la chercher, j'attends.

C'est un drôle de moment de paix, comme l'on peut en trouver entre deux batailles, lorsque les camps adverses restent sur leurs positions et que plus rien ne bouge. Le blizzard nous submerge, il nous gèle et de temps en temps, l'un des fifres voit son apparence changée pour celle d'une silhouette, planquée dans la brume. J'estime que cela a assez duré.

- Savez-vous pourquoi il faut avoir peur des fantômes ?

Non, rien, ils ne savent pas. Ils ne sont pas hantés comme je le suis et leurs réponses sont dénuées d'intelligence, je les ignore. Ils savent que je prépare quelque chose, ils vont vite comprendre ce que c'est de vivre traqué par des spectres, d'avoir peur de l'obscurité lorsque quelque chose peut surgir dans ton dos et te poignarder sauvagement, d'avoir peur de la solitude mais de devoir la côtoyer tous les jours. Ils ne connaissent pas les méandres de la folie qui vous épuise psychologiquement et vous grignote les neurones comme s'il s'agissait là d'un buffet à volonté. Les monstres et les cauchemars, ça leur est bien étranger à ces brutes épaisses qui tuent de façon égoïste, qui ne pensent qu'à leur petite personne lorsqu'ils pillent les villages, lorsqu'ils violent les femmes, lorsqu'ils prennent les enfants pour les vendre en esclavage. Les Marines sont bien contents de traquer de tels connards, mais ce sont des incompétents et des raclures de ce genre continuent de vivre, au nez et à la barbe du Gouvernement Mondial qui nous missionne nous pour faire le sale boulot. Ce sont des agents comme moi, tourmentés et malmenés par leurs sentiments, devenus zinzins à force de missions et d'assassinats, qui sont employés pour nettoyer derrière les incompétents et les forcenés à défaut d'être des forçats. Non, je vais leur montrer ce que c'est la peur de l'invisible, la haine et l'aliénation. Déjà j'ai repéré ma cible et effectue deux petits gestes du pieds à une vitesse telle que cela leur semble inaperçu, ne renvoyant bientôt plus qu'une image désuète de ma personne encerclée. Non, je ne suis plus ici.

- Boo. murmuré-je à l'oreille du damné, confronté à son destin.

Il se retourne brutalement, surpris et aberré, brandissant son sabre au-dessus de sa tête. Trop tard, Clair l'a déjà éventré, taillant un chemin dans ses boyaux pour l'assassiner de façon rituelle. Le visage tordu par la douleur, le gaillard n'est plus en capacité de tenir son arme, refermant ses doigts maladroit sur mes mains qui tiennent encore la garde de mon sabre, traçant sa route de gauche à droite pour ouvrir une plaie béante qui laisse s'échapper une odeur nauséabonde mêlée à celle du sang frais. M'estimant satisfaite par la plaie béante, je retire violemment mon sabre du corps du pirate et, dans l'élan, l'amène à se vider de ses entrailles qu'il cherche désespérément à retenir dans un dernier moment d'espoir avant de s'agenouiller et s'effondrer finalement sur le sol, raid mort.

- Alors, qui est le prochain ? fais-je tout en pointant de façon alternée la pointe de Clair de Lune sur les deux hommes restants, livides au possible.

Aucun, non. Personne ne veut affronter un monstre, personne ne veut avoir à faire face à quelque chose qui peut venir dans votre dos et vous ouvrir en deux sans que vous vous en rendiez compte. Les voilà partagés entre leur honneur de bandits et leur désir de remporter la victoire, il faut trancher. Je propose donc de le faire à leur place. Mais tandis que mon choix se porte sur celui des deux qui semble le plus à même de vouloir s'enfuir, un drôle de clappement régulier vient m'interrompre dans mes réflexions.

Clap. Clap. Clap.

- Bravo. Ça c'est ce que j'appelle une vraie femme.

D'abord ombre floue puis silhouette épaisse et large surgissant du brouillard, l'homme à l'origine de cette constatation semble faire deux têtes de plus que les sbires environnants. Bientôt je peux dénoter son style vestimentaire étrange qui ne laisse planer aucun doute sur son identité : une armure incomplète en cuir et dents de reptile laissant plusieurs zones du torse à l'air libre mais recouvrant les bras et les mains de plaques de métal brun avec des ailes démoniques sortant des épaulières. Un capitaine des Sunset, le pyromane Alan Suburbs. Me délectant de cette arrivée, j'affiche donc un sourire vide d'humanité et de tout bon sentiment. Qu'il me rend en retour, se saisissant d'une arme étrange semblable à un fléau d'armes qu'il embrase d'une pichenette sur la boule hérissée de clous.

- Tu as l'air de savoir danser, maintenant voyons voir comment tu brûles, jolie petite flamme.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 23 Juin 2016 - 2:46, édité 1 fois
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Le temps semblait s'être arrêté, avoir fugué en même temps que l'homme avait prononcé ces mots, sur un ton serein, à la fois calme et empreint d'une extrême violence, atténuée au point de transformer les menaces en une simple énonciation, comme si le capitaine pirate venait de prononcer une vérité générale. Dans mon dos, j'entendais les rires gras de ses congénères saccager le silence, comme tant de bruits porcins polluant l'environnement par leur ignominie. Je les détestais, ces foutus pirates et leurs habitudes dégoutantes, leurs chicots ignobles et leurs vêtements empreints de sang séchés. C'est pourquoi je m'étais fendue d'une ultime technique de déplacement, le sourire aux lèvres, toujours, pour apparaître devant chacun d'eux et les égorger tendrement avant de revenir à ma place. Cet effort me laissait haletante, néanmoins le prix à payer n'était rien comparé à la joie des égosillements qui ponctuaient désormais le vide. Les hommes auraient pu lutter davantage, c'était évident, j'avais cueilli leur vie sur le fil tandis qu'ils avaient totalement baissé leur garde, tandis que leur chair déployée sous leur menton ne demandait qu'à être saignée, marquée d'une trace indélébile laissée par ma lame... ma douce pernicieuse.

- Je prends ça comme une invitation. ponctue le bonhomme face à moi, dernier debout, la langue pendue effectuant de drôles de contorsions tandis qu'un étrange liquide semble rouler à l'intérieur de sa gorge.

Puis ses lèvres se crispent brusquement, formant un "o" étrange qui ne demande visiblement qu'à expulser quelque chose. Perplexe, je ne bouge pas, ne fais pas un geste mais devine que quelque chose de mauvais se prépare. Soudain je sens l'air se roussir tandis qu'un souffle explosif sorti de nul part, une déflagration, vient m'agresser brutalement. Instinctivement, mon bras en parade, je goûte malgré moi l'enfer de flammes qui me pourlèchent le membre, déchirent mes vêtements en l'espace d'un instant, les réduisent en cendres et ne me laissent pour toute chose qu'une brûlure infâme s'étendant de mon poing jusqu'à mon coude. La douleur est forte, elle me transperce et me laisse avec la chair encore fumante, sans peau, presque glabre, que je rabats instinctivement contre moi comme s'il s'agissait d'un fragile nourisson. Le poing crispé, mes doigts sont engourdis et ne veulent plus répondre, tandis que mes nerfs à vif me tourmentent en m'envoyant des signaux d'alerte. La bouche exprimant désormais un rictus de géhenne, je me vois obligée de battre en retraite délaissant ma lame le temps d'apaiser mon mal pour pouvoir faire face à l'adversaire. Cependant c'est bien mal le connaître que de penser que le pyromane abandonnera le combat de cette manière : non, maintenant qu'il a diminué le dragon, il ne reste plus qu'à lui enfoncer son épée dans le cœur.

A cet effet le voilà qui a disparu, lorsque je ramène mon regard vers l'endroit où il se trouvait quelques instants auparavant, ne laissant à la place qu'un filet de fumée s'élevant vers les cieux. Le corps toujours plié en deux tandis que mes jambes m'emmènent loin d'ici, je me tourne dans tous les sens pour essayer de repérer la sombre silhouette du capitaine dans le paysage blanc et gris. Rien, il a tout bonnement disparu. Mais un flash me prévient, une vision de l'au-delà.

- Prends garde derrière toi ! me dit la voix aux aguets qui peut voir dans le futur, esprit libéré de mon corps qui a toujours les pieds dans le présent.

Bien évidemment, il compte m'atteindre dans le dos. Sans loyauté ni honneur, un pirate ; je ne peux pas me vanter de me battre d'une meilleure manière que lui néanmoins. La douleur ne s'en ira pas, mais je peux au moins la diminuer. Dans ce méli-mélo de racines et de sang, seul un petit tas de neige subsiste, celui vers lequel j'ai tôt fait de me projeter donc pour à la fois esquiver le fléau d'armes enflammé de l'ennemi, mais aussi pour y apposer mon bras et le faire rouler dans la poudreuse, de sorte à calmer légèrement les marques brunes qui continuent de me torturer. Directement, le geste me fait un bien fou, me permettant de faire presque instantanément le ménage dans mon esprit et me retourner sur le dos pour lever un doigt vengeur vers le responsable de l'attaque. Il se tient là, stoïque, l'arme enfoncée profondément dans l'écorce d'un chêne. Il s'imagine sûrement que le combat est gagné d'avance : il se trompe.

- TOBU SHIGAN !

Le Shigan à distance, un projectile d'air comprimé, invisible à l'oeil nu et pourtant meurtrier pour la simple plèbe. Il m'a fallu beaucoup de temps pour arriver à maîtriser cette technique d'assassin et voilà que je peux enfin l'utiliser comme il se doit, bénéficiant de l'effet de surprise. La balle ne manque donc pas sa cible et vient au contraire l'atteindre dans l'épaule, ce qui amène mon adversaire à pousser un hurlement rauque de rage et à vriller sur moi deux prunelles rendues folles par la haine. Oui, ce sentiment je le connais, ce besoin de destruction, cette envie de faire payer l'ennemi, œil pour œil, dent pour dent. C'est idiot, le Talion, cela va faire bien longtemps que je l'ai compris : on n'arrive pas à ses fins seulement grâce à la vengeance. Celle-ci doit être un moyen et non un but, car avant longtemps quelqu'un devra se venger de votre vengeance et vous devrez à nouveau vous venger de la vengeance de quelqu'un d'autre. Ainsi, l’Ouroboros a tôt fait de faire son travail et vous voilà parti pour tuer père et mère dans l'espoir de réclamer votre dû sanguinolent.

- Je vais te brûler vive sur un bûcher et me délecter de tes supplications, salope ! hurle mon opposant, dont l'une des mains vient maladroitement chercher à la ceinture son arme à feu, me laissant le temps pour agir.

Ni une, ni deux, me voilà accroupie, le bras droit tenu bien loin de mon corps pour éviter tout contact, les deux talons posés sur le sol. Puis, m'élevant avec l'habilité d'une grenouille grâce à un Geppou bien placé, me voilà désormais sur une branche, puis sur une autre. Mon but : disparaître de la vue de l'ennemi le temps d'avoir à nouveau les idées au clair. Pénible, la blessure continue de surcroit à me vriller les tympans des battements de mon cœur, faisant circuler l'hémoglobine à une vitesse folle dans mon système sanguin, ce qui m'empêche de me concentrer ; mais déjà la douleur diminue, temporairement apaisée par le contact avec la glace qui freine l'horrible dessèchement de la chair.

- REVIENS PAR ICI, J'EN AI PAS FINI AVEC TOI !

Un tir part, presque à l'aveuglette, que j'arrive facilement à éviter. Entraîné par ses sentiments, l'homme n'arrivera pas à grand chose ainsi, mais étant un pirate je le soupçonne de n'agir qu'en fonction de ses émotions. Il n'a pas ce professionnalisme dans l'assassinat, dans la manipulation que j'ai pu apprendre au cours de mes années passées.

- Moi non plus.

Un nouveau bon me ramène au sol, derrière l'ennemi, tout proche de ma lame fichée dans le sol que j'ai tôt fait de récupérer. Il m'a entendue sortir le sabre de son étrange écrin de bois, déjà il se retourne prêt à faire feu avec son flintlock.

BAKAM !

Pas besoin du Haki pour éviter la balle, je suis une spécialiste lorsqu'il s'agit des armes à feu et devine aisément la trajectoire grâce à l'angle de tir du canon. Toute ma confiance mise dans le sabre, un simple moulinet suffit alors à écarter la balle et l'envoyer ricocher ailleurs, me permettant de continuer à avancer vers mon ennemi, ahuri, jadis si content de m'avoir touché une première fois. Mais le capitaine a une dignité à tenir, il ne peut accepter qu'une donzelle vienne lui tenir tête en écartant ses balles. Le voilà reparti pour se gonfler les joues et expulser l'huile tantôt versée dans sa gorge qu'il enflamme par un procédé complexe qui m'échappe. Croit-il que je ne l'ai pas observé ? Pas une seconde fois, pas cette douleur.

- Rankyaku ! fais-je tout en levant la jambe verticalement au moment où l'adversaire émet une gigantesque boule de feu qui vient consumer le bois alentour.

Bonne tactique, la lame d'air tranche nette la déflagration qui s'écarte sur mes côtés sans m'atteindre, me laissant miraculée dans le paysage dévasté autour de moi. Les arbres sont en feu, le sol est noirci et drainé de tout liquide, le feu a tôt fait de tout consumer.

- Que...

- Soru !

Malgré sa posture offensive qui le laisse sans protection, l'homme arrive malgré tout à être aussi rapide que moi, esquivant de justesse mon Shigan porté à sa gorge au moment où je viens le confronter en face à face. Mon attaque ratée, je me rattache à ce qu'il me reste, c'est à dire mon autre poing rougi et en sang, mais dont le sacrifice de la douleur s'avère bien nécessaire pour faire pencher la balance en mon sens.

- Tekkai Kenpou, Jugon !

Renforcé par le durcissement de fer du Tekkai, le poing furieux vient s'abattre sur le visage de mon adversaire avant que celui-ci n'ait pu dire "ouf", l'expédiant littéralement à plusieurs mètres de là, laissant derrière lui une étrange ligne de fumée.

- Aouch...

L'attaque n'a malheureusement pas épargné mes doigts calcinés qui se contractent et se rétractent maladivement sous la mobilisation de mes muscles endoloris. Avec ça, je suspecte mon adversaire d'être salement amoché et au moins inconscient, mais tandis que je rejoins la zone de l'atterrissage, je me rends compte que je n'ai qu'à moitié raison. Découvrant une terre meuble fraichement retournée et des traces de sang, je suis surprise par l'absence de corps et encore plus par la résistance de mon adversaire. Je le sais déjà planqué quelque part à établir une échauffourée, mais ne le devine que trop tardivement derrière moi. Une vision funeste accompagne sa présence.

Non seulement l'homme est toujours debout, mais celui-ci a déjà brandi au-dessus de ma tête son fléau d'armes enflammé avec lequel il s'apprête spontanément à me décapiter.
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Trop tard, l'ombre de l'ennemi s'étend devant moi, me couvrant d'une étrange couverture de froid. Trop tard, j'entends un craquement sinistre provenant de la mâchoire brisée de mon adversaire qui semble essayer de sourire malgré la douleur. Trop tard, la mort me prend à revers, sans échappatoire possible. Mes neurones s'activent, tachant de me trouver une stratégie de dernière minute à adopter. Je scanne mes pensées, profitant du peu de temps qu'il me reste. Ce temps qui semble pourtant étonnamment figé. Aucune perspective de fuite, rien qui ne puisse m'amener saine et sauve de ce point A à un point B quelconque. Rien. Lentement mais sûrement, le manche de l'arme commence sa descente, entraînant avec lui le boulet levé haut dans les airs. Si ! Il y a bien une solution, mais... Je n'ai pas le temps pour douter, je dois sauver ma vie d'abord. Réfléchir ensuite. Je saisis la seule alternative qui s'offre à moi. L'arme chute donc tandis que je me baisse, lève mon bras mutilé à la place de ma tête en guise de bouclier pour dévier le coup. Alors, ce qui doit arriver... vous connaissez la suite.

Crac !

Le contact est vif et douloureux, produisant un craquement sinistre dans la chair puis dans l'os de mon avant-bras qui vient exploser en mille morceaux, se séparant brutalement du reste de mon membre qui retombe mollement le long de mon corps. Le fléau continue sa course, passe au ras de mon crâne et vient s'abattre dans la neige, emportant avec lui les vestiges de mon cubitus et de mon radius encore garnis de chair morte, de ma main empoignant encore Clair de Lune qui bute sur le sol dans un tintement blanc ; l'intégralité de la scène semble étrangement se dérouler comme au ralenti.

- RRRRRRRRAAAAAAAAAAHHHHHHHH !! expulsé-je brutalement, tétanisée par la souffrance terrible résultant de ma perte.

Le sang coule néanmoins en petite quantité, l'hémorragie évitée par l'incandescence du boulet qui a au moins eu le mérite de cautériser la blessure. Je tiens encore debout, même si chacun de mes nerfs est à fleur de peau et que mon unique œil semble sur le point de sortir hors de son orbites. Devant moi, le capitaine a sa garde baissée, le boulet cloué à terre, enfoncé entre deux racines, bloqué. L'effort semble avoir été surhumain pour l'homme à la mâchoire déboitée et aux nez presque absent : les forces l'ont définitivement quitté et sa faiblesse ne lui permet pas de se sortir de ce mauvais pas, de dégager son arme pour mettre un terme au combat. Dommage pour lui, mais son coup de poker a raté. Violemment traumatisée, mon râle de douleur est quand à lui loin d'être terminé, se prolongeant comme un véritable cri de guerre dans l'immensité froide de la forêt d'arbres dépecés. C'est donc tout en continuant à hurler que je me retourne vers l'ennemi dont l'expression affreuse trahit une peur malheureuse, originelle. Il sait que je vais lui rendre la monnaie de sa pièce, il redoute mon ire démoniaque illustrée par mon visage satanique. Ainsi stoïque, je n'ai plus qu'à cueillir l'opportunité qui se présente à moi, me persuadant davantage de la pertinence de mon choix, de mon sacrifice. Les doigts crispés vers l'intérieur de ma paume, je me prépare à frapper l'homme agenouillé, le visage bien en évidence. A son tour, trop tard, il devine le châtiment que je lui réserve. Trop tard, il échoue de protéger à temps son visage tuméfié. Trop tard, c'est lui qui fait face à son funeste destin désormais.

Telles les griffes d'un aigle immense, les dernières phalanges de mon index et de mon majeur viennent soudain profondément creuser les orbites de ma victime. Aveuglé, l'homme beugle d'abord, poussant des cris lancinants, violents. Puis, une fois ses globes oculaires définitivement transpercés et mes ongles enfoncés davantage dans sa chair, le voilà qui n'en finit plus de pousser des hurlements gutturaux horribles et démentiels. Canalisant toute ma frustration, sous le coup de la colère, de ma propre torture et de la sienne, j'appuie davantage. Sous la pression, de mes muscles, sous la force de mon élan, j'enfonce encore plus loin mes doigts. Malgré les mains maladroites du capitaine pirate qui viennent dans un dernier espoir s'accrocher à mon poignet, qui essayent de l'arracher du crâne ainsi troué de leur possesseur. Ma terrible vengeance ainsi accomplie, mon coup fatal porté, il ne me reste plus qu'à abréger les souffrances de ma pauvre victime. Me déportant sur le côté, je me place de sorte à ce que mon bras soit tendu à son maximum, le regard tourné à l'opposé du corps mon adversaire.

- KAMISORI !

La vitesse seule termine mon œuvre, arrachant brutalement la tête de mon opposant dans ma course. Le zigzag aérien la fait voler au loin, la décollant spontanément, quelques vertèbres l'accompagnant, des épaules dans laquelle elle était solidement logée quelques moments plus tôt. Le crime est terrible et les effusions de sang tâchent le paysage, recouvrant la scène d'hémoglobine comme si l'endroit n'avait jamais été blanc, mais rouge. Les arbres tordus semblent rire d'un tel supplice, se gausser d'une telle exécution. Le vent souffle plus fort que jamais, la tempête se déchaîne. Les éléments me font signe de fuir loin d'ici, loin du corps étêté, loin de mon funeste bras droit éclaté contre le sol, sur lequel je récupère ma lame à la volée. Et dans ma débâcle, la douleur de resurgir, plus vive que jamais, de me précipiter au bord de l'inconscience. Il me faut fuir tant que je le peux encore. Mais ma déroute est pleine d'obstacles contre lesquels je bute ou éloigne maladroitement de mon bras gauche. Pauvre malheureuse, je chute, atteinte d'une étrange cécité, puis d'une paralysie partielle. Idiote, je gis sur le flanc, n'ayant pas assez de forces pour me relever. C'est la fin, le sommeil m'appelle. Je ne peux plus résister à la douleur plus longtemps.

Mais ma conscience semble lutter pour rester éveillée. Et je sens une présence, non loin. Pas comme les autres, non, elle n'a pas d'intentions meurtrières. Je ne saurais l'expliquer, je le sais, je le sens. Alors je la vois se faufiler entre les arbres, la silhouette que j'identifie hasardeusement. Elle se rapproche, je la reconnais. Ça ne peut être ? Si, c'est bien lui, il s'en est tiré. Salement amoché, mais pas autant que moi. Geste idiot, je lui tends son sabre, heureuse de le voir en vie. Lui, moins heureux, vient se pencher sur moi et me redresse la tête avant de dévisser le bouchon de sa gourde pour m'appliquer premièrement le contenu dans la bouche, puis sur le visage pour me réveiller.

- Sweetsong, tiens bon ! Reste avec moi ! Sweetsong !

Je reviens à moi subitement, prenant une grande bouffée d'air, comme si ma respiration avait continuellement chuté jusque là. Je suis là, je suis encore en vie. Mais la douleur est intenable et je ne peux que serrer les dents, incapable de répondre à Kayne qui évalue l'étendue des dégâts. Lentement, le contrôle de mes muscles me revient, me permettant de jeter un coup d’œil à la blessure. Ouch, c'est pas joli joli : l'os apparent est entouré de lambeaux de peau et de chair déchirés, voilà ce qu'il reste de mon avant-bras droit. J'esquisse une vilaine grimace à l'égard du jeune homme qui affiche une mine lugubre.

- Ne t'en fais pas, je vais te sortir de là.

J'ai envie de lui demander comment il s'en était tirer, j'ai envie de lui poser des questions par rapport aux autres. Étaient-ils en vie ? Avait-il réussi à les joindre ? Avaient-ils reçu mes messages ? Mais ma voix reste bloquée au fond de ma gorge, étriquée, réduite à néant. J'ai continuellement envie de hurler mais je me retiens tandis que l'homme me prodigue les premiers soins. De l'alcool ? Non, non, non !

- ARRRRRGHHHH !!! laissé-je échapper de douleur.

Aspergé par l'éthanol, le moignon continue temporairement de me faire souffrir comme jamais avant que le mal ne devienne plus sourd et que les élancements cessent progressivement pour me permettre à nouveau de respirer normalement. Mon second bras vient saisir l'épaule du blondin, encore rouge du sang du pirate que j'ai éborgné puis supplicié. Alors, difficilement, tandis que l'agent m'aide pour me remettre debout, j'arrive à décrisper la mâchoire et, chose rare, lui témoigne mon profond ressentiment.

- Merci...
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A peine m'étais-je relevée que nous nous étions remis en route vers une destination inconnue. Temporairement incapable de réfléchir, le sang me battant les tempes à l'image d'un tambour de guerre affolé sonnant la charge d'une quelconque armée, je passais littéralement à côté de toutes les informations que pouvait me donner l'agent, m'obligeant à lui signifier directement mon incapacité à saisir ses paroles le temps de remettre de l'ordre dans mon crâne.

- Je... le choc... réfléchir c'est... difficile...

Malgré la confusion de mes mots et leur ordre incertain dans ce que je pensais avoir formulé comme une phrase, l'homme m'avait répondu par un simple hochement de tête, comprenant la situation délicate dans laquelle je me trouvais. Ainsi, dans le silence le plus total, je l'avais suivi sans poser de questions et ce durant une bonne dizaine de minutes, le temps d'avoir l'esprit plus clair. Remarquant mon embarras lié à la difficulté à faire tenir le sabre qu'il m'avait confié dans le pli de mon pantalon au niveau de mes reins, nous avions dû au cours de notre route faire une première étape de cinq minutes pour qu'il m'offre le fourreau allant avec le Ninjatou, m'aidant à l'accrocher dans mon dos et à y entreposer la lame.

- Inutile de protester, je te l'ai déjà dit : elle est à toi maintenant.

De façon récurrente, nous avions ainsi été amenés à réaliser de courtes haltes toutes les demi-dizaines de minutes dans l'optique de reprendre des forces. Notre progression était lente du fait de mon infirmité et cela semblait gêner mon partenaire sans que je sache précisément ce qui nous pressait autant, étant donné que la bande de rustres qui nous poursuivait avait été mise en pièces. Finalement, comme j'avais réussi à faire un peu d'ordre dans ma tête et vu que la douleur dans mon bras se faisait moins lancinante, me permettant de récupérer mes facultés mentales, j'avais fendu le silence par une première question, rapidement accompagnée de tout un tas d'autres. Avait-il eu des nouvelles de Larson et du reste de l'équipe ? Quelle était la situation sur les plages ? Et vers où allions-nous ? A ma grande surprise, les réponses furent d'une étonnante positivité, occasionnant même à ce moment d'éclaircissement la coïncidence d'un rayon de soleil perçant les épais nuages gris qui surmontaient la cime des arbres.

- Larson est en vie, mais quelques hommes sont tombés au combat et d'autres ont été grièvement blessés. Ce mec, là-bas, que tu as décapité : c'était le chef des pirates qui ont attaqué l'Aile Nord et qui nous ont poursuivi, Alan Suburbs. C'était son second, un type se faisant appeler Baroque, qui commandait le reste des troupes restées à l'arrière. Finalement l'équipage a été entièrement maté et tu t'es personnellement occupée de trancher la tête du serpent... au sens propre.

Les images du corps mutilé de l'homme-dragon m'étaient revenues en tête. Je savais très bien à qui j'avais à faire, au vu de l'apparence et des armes de prédilection du bonhomme, mais désormais j'en étais belle et bien sûre. En un sens, cela me réconfortait, me disant qu'au moins un des équipages s'était fait botter le cul. J'étais d'ailleurs loin d'être au bout de mes surprises.

- Au niveau des batailles sur la côte, la situation est stable. Deux autres capitaines et leurs seconds ont été capturés sur la plage nord, principalement grâce au soutien de la Marine d'élite. En revanche, la plage sud n'a pas pu tenir face à l'assaut conjoint des équipages de Suburbs et de Watt : le régiment qui s'y trouvait s'est fait totalement anéantir. Bien heureusement, les troupes de la plage nord ont mis le cap au sud pour terminer le travail et comme il ne reste plus là-bas qu'un seul officier pirate pour commander les troupes ennemies, ça ne devrait pas être trop difficile.

Étonnée de voir à quel point la chance nous souriait, je m'étais surprise à sourire l'espace d'un instant tandis que l'homme me contait plus en détails le déroulement des batailles. Finalement le vent avait tourné en notre faveur et les pirates n'étaient plus en position de force, contrairement à ce que je pensais au départ. Le Gouvernement Mondial avait la main sur l'île et d'ici quelques heures, l'endroit allait être complètement nettoyé de toutes ces infâmes vermines qui avaient eu l'audace de nous sous-estimer. Néanmoins l'énonciation des bonnes nouvelles s'arrêtait là, ma dernière question apportant un froid dans la conversation et accrochant au visage de mon compagnon un regard sombre et morbide.

- La question n'est pas où allons-nous mais que fuyons-nous. Pour la première, nous ne devrions plus être très loin de l'Aile Ouest, c'est le point de rendez-vous que l'on s'est donnés avec Larson et les autres. Après avoir échoué à retenir Suburbs à la sortie du laboratoire, je suis parti à ta recherche en espérant te trouver avant lui et te ramener avec moi au point de ralliement. Même si entre temps tu as perdu un bras, tu t'en es quand même pas trop mal tirée : l'Aile Ouest est un endroit où l'on fabrique des prothèses, spécialisée dans la chirurgie réparatrice. Ils pourront probablement te soigner voire même te rafistoler. Sa phrase s'était ponctuée sur une pointe de chaleur ; mais adoptant par la suite une expression de terreur, il avait alors continué : Ce que nous fuyons, et bien... le seul capitaine pirate à ne pas avoir été mis hors d'état de nuire et il est loin d'être le moindre. Je parle du Commandant de la Deuxième Flotte des Sunset Pirates, celui qui est à l'origine de cet assaut, qui a supervisé les quatre équipages ennemis et leurs rôles dans l'histoire. La véritable matière grise de nos assaillants : le Lord Watt.

A ce moment là, un puissant frisson m'avait parcouru l'échine. Le Lord Watt était connu comme étant un pirate aux mœurs étranges, se revêtant, lui ainsi que ses hommes, avec des habits de femme pour surprendre ses ennemis et les déstabiliser. Il avait aussi une colossale réputation de pillard, ce qui l'avait probablement amené à découvrir les plans de l'arme antique qui l'avaient conduit ici, à la recherche du Cœur de Pacifista. Malgré tout, sa notoriété n'était rien face à sa puissance : la capacité de contrôler la foudre et de laisser derrière lui des corps calcinés et desséchés. Voilà qui était le Lord Watt, voilà qui était l'homme qui nous poursuivait.

- D'ailleurs à propos des plans de Mercure, il semblerait qu'il les ait sur lui. C'est l'un des autres capitaines qui a vendu la mèche en échange d'une promesse de détention provisoire. Qu'il n'aura pas, bien évidemment, mais c'est toujours ça de gagné. Et comme il est après nous et que l'on aimerait bien mettre la main dessus, Larson nous a dit de ne pas trop traîner en chemin, histoire de pouvoir lui tendre une embuscade devant l'Aile Ouest.

- Et comment tu sais que ça va marcher ?

- Watt ne recule jamais devant quoi que ce soit pour obtenir ce qu'il veut. C'est en quelques sortes son motto.

Cette dernières phrase m'avait rongé les sangs, me poussant presque instantanément à presser mon coéquipier pour lever le camp. Comme Larson l'avait dit, nous n'avons pas de temps à perdre et si une telle brute était après nous, prendre le risque qu'il nous tombe dessus avant que nous soyons en sûreté relevait purement et simplement du suicide, surtout étant donné l'état dans lequel je me trouvais. Me brusquant moi-même pour avancer plus rapidement, j'avais alors plusieurs fois été atteinte de migraines et de nausées qui nous avaient temporairement ralenti. Mais finalement nous avions réussi à le faire : à atteindre la lisière de la forêt, pour finalement faire face au dernier obstacle qui nous séparait de notre objectif. Nous n'avions alors pas remarqué la dizaine de silhouettes qui s'était faufilée entre les arbres, plus loin derrière.

Et qui allaient bientôt nous tomber dessus.
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- Qu'est-ce que c'est que cet endroit ?

Étranger aux plaines désertiques neigeuses et aux forêts d'arbres squelettiques aux branches couvertes de poudreuse, le paysage lunaire s'illustrait devant nous par une longue étendue herbeuse criblée de trous d'eau et parsemée de tâches blanches que je découvrais comme étant des plaques de verglas ou bien de ridicules monticules de flocons. La question m'était venue subitement et je m'étais instinctivement tournée vers mon camarade qui ne semblait qu'à moitié surpris par cette trouvaille.

- Si je ne me trompe pas, on appelle ça une toundra. Fais attention à où tu mets les pieds.

En effet, le sol apparaît rapidement comme étant loin d'être lisse, tandis que nous continuons notre route en sinuant entre les gigantesques marres recouvertes d'une fine couche de glace et les zones verglacées qui ont tôt fait de nous faire tomber à la renverse une fois, puis deux.

- Bordeeeeel... fais-je tout en me tenant le bras meurtri sur lequel j'ai eu la maladresse de tomber, teintant le nouveau bandage d'une tâche rouge qui ne cesse progressivement de grandir.

Voyant ma détresse et la difficulté avec laquelle je peine à me relever, mon compère vient automatiquement m'apporter main forte, m'aidant à me redresser grâce à une poignée de main ferme. Je me rends soudainement compte qu'à force, je vais devoir être éternellement redevable à cet homme qui n'a cessé de me sauver la vie et de m'appuyer dans ce genre de moments, mais pour ne pas avoir à m'humilier avec de telles pensées, je ne cesse de me rappeler que tout cela est dans l'objectif de la mission. Sans faire de commentaire donc, je continue à progresser aux côtés de mon partenaire en gardant bien les yeux rivés sur le sol. L'herbe, toujours l'herbe, tant qu'elle est verte ou rousse, on peut marcher dessus, mais si elle est blanche... Ma dernière galipette me vaut malgré tout de nouvelles douleurs dans le moignon de mon avant-bras droit ce qui n'améliore en rien mon état et gêne ma concentration visuelle sur l'étrange sentier sinueux.

- Encore un petit effort, on n'est plus qu'à un kilo- commence l'homme en se tournant vers moi avant de s'interrompre et de devenir pâle comme un linge.

Encore ? Non, cette fois-ci ce n'est pas une créature infâme et monstrueuse que je devine à me supplanter dans mon dos. Mon ouïe surnaturelle m'informe à la place de clapotements rituels avant-coureurs des bruits de bottes qui se rapprochent, de craquements légers provoqués par la pression régulière des pas de nos poursuivants sur de fines couches de glace, de leurs cris et de leurs hurlement, enfin, qui déchirent le silence morbide de l'hiver. Pas besoin de me retourner pour savoir que Watt et sa clique nous ont retrouvé et qu'il est temps de partir. Prenant sur moi, je fais donc un signe de la tête, pointant l'infrastructure apparente au loin, à demi-camouflée par l'éternel brouillard. Puis je m'élance, les dents serrées, pour ne pas me laisser diminuer par la blessure qui macule à nouveau la terre sur laquelle je marche et corrompt l'eau des mares que j'enjambe agilement dans la précipitation et la fuite.

L'étrange chevauchée me fait rapidement tourner la tête et me couvre le front puis le visage tout entier de sueurs froides et maladives. Après tout, je ne serais pas étonnée de découvrir qu'en chemin j'ai réussi à chopper une infection. Mais il me faut prendre mon mal en patience, le laisser de côté pour continuer de courir, de forcer comme une folle sur mes muscles affaiblis pour qu'ils me portent au loin, là-bas, vers ce que je nomme intérieurement "le Refuge". La distance entre la bâtisse et nous est grande et celle qui nous sépare des pirates ne cesse de se réduire, la faute à mes jambes fatiguées qui n'arrivent plus à me faire bondir au-dessus des flaques et me font progresser de plus en plus lentement sur le sol strié de dénivelés. Kayne comprend mon désarroi et essaye de m'aider en me passant le bras sous l'épaule pour supporter la moitié de mon poids, pour me servir de béquille. Ainsi nous parcourrons cent mètres supplémentaires quand nos pisteurs les plus proches en ont déjà fait cent-cinquante.

- C'est pas la peine... ils nous ont... presque rattrapés... finis-je par avouer, essoufflée, tout en me libérant le bras de l'emprise de mon camarade et en m'arrêtant temporairement.

- Il faut continuer, Sweetsong ! On y est presque !

L'homme semble ne pas avoir compris la situation dans laquelle on se trouve. Malgré mes blessures, je lui adresse un regard à la fois empli de convictions et de sévérité.

- J'en ai marre de fuir. lancé-je tout en cherchant l'objet dans ma poche et en le déposant dans la main de mon collègue. A mon tour de me battre pour toi. Fuis, va-t-en, tu coures plus vite que moi alors accomplis ta mission et protège ce satané Cœur de merde !

Je n'ai plus l'esprit tout à fait clair à cause de la douleur, ce qui m'amène à adopter une expression que j'imagine terrifiante. A mon coéquipier je dévoile un terrible sourire mêlé à mon teint blanchâtre qui doit me faire passer pour une morte-vivante. Pourtant, malgré mes ordres, celui-ci ne bronche pas, la main toujours tendue avec son contenu à l'intérieur, tournée vers moi. L'homme semble déçu de découvrir que j'ai perdu espoir et compte courir vers la mort, que je compte retarder les tirailleurs qui ne sont plus qu'à quelques mètres, que je compte lui sauver la vie. Alors, au lieu de faire ce qui serait bon pour notre mission, au lieu de prendre ses jambes à son cou comme je lui demande, le gaillard préfère me rendre la sphère et se tourner vers l'ennemi.

- Je n'ai jamais été bon pour ce job de toute façon.

- Bwaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaarrr !!

- Shigan !

Le premier sang adverse coule, son corps chute, sa conscience s'évanouit. Tué sur le coup. L'homme compte bel et bien rester ici et faire muraille de tout son corps pour que les pirates ne passent pas. Dans quel but ? Il sait très bien que je ne pourrai pas courir. Un nouvel ennemi apparaît et est aussitôt balayé par une lame d'air expulsée par un puissant coup de pied. Deux suivent, derrière.

- Qu'est-ce que tu attends pour venir me filer un coup de main ?

Les yeux écarquillés, je peine à comprendre ce que veut l'agent. Compte-t-il mettre le monde en péril en laissant ces forbans cueillir gentiment sur nos cadavres estropiés l'objet de leur convoitise qui leur permettra de réveiller l'une de ces armes antiques ? Non, c'est autre chose. Balayant l'horizon du regard, je les vois alors. Grises. Huit ou neuf, une dizaine tout au plus. D'autres silhouettes qui sont encore loin mais qui ne sauraient tarder à venir nous secourir. Elles viennent du laboratoire, elles viennent du "Refuge", du point de ralliement. Larson ! Ils viennent nous secourir. Je saisis soudain les ambitions de Kayne, qui sont loin d'être suicidaires. Il aurait très bien pu prendre le Cœur de Pacifista et partir, mais il ne l'a pas fait. Et ce pour une bonne raison, toujours cette même raison qui le pousse à faire des choses stupides qui vont à l'encontre de notre mission : me sauver la mise.

- Pourquoi ? fais-je, les yeux larmoyants, ne comprenant pas ce qui me vaut d'être ainsi protégée, ne comprenant pas ce qui fait que ma vie a autant de valeur.

M'adressant un sourire, l'homme répond alors :

- Je fais ce que notre chef d'équipe nous a toujours appris : je sauve la vie de mes camarades.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Ven 24 Juin 2016 - 5:46, édité 1 fois
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Meurtrir la chair, faire couler le sang. Malgré l'horreur du charnier, le spectacle reste tout de même pour le moins insolite : loin de m'avoir surprise, les tenues des pirates me semblent exagérément drôles et m'arrachent un sourire à chaque fois que je vois une nouvelle princesse se baladant en porte-jarretelles ou en collants. De son côté, Vincent Kayne arrive parfaitement à se maîtriser mais moi... moi je suis hilare. Ce qui achève de rendre mes opposants fous furieux.

- Vous êtes pathétiques.

Cinq, dix, quinze, vingt, les corps des fifres en robes de dentelle et autres froufrous encore plus féminins que ceux de mon partenaire s'entassent autour de nous, percutés par nos techniques de Rokushiki, violentés par nos Shigan, nos Jugon, nos Rankyaku qui les ouvrent en deux de haut en bas, qui étalent leur sang à foison et recouvre le sol de leurs entrailles. Un art noble, qu'il disaient ; j'en cherchais encore la propreté. Un énième pirate vêtu comme une femme vient rencontrer mon poing renforcé au Tekkai Kenpou qui lui disloque brutalement la mâchoire et l'envoie voler plus loin, abrutissant le bonhomme sur le champ que je repousse violemment à terre du plat du pied. L'écoulement du sang frais de ces impuretés vagabondes, de ces pirates putrides et sales aux mœurs perverses et dépravées, me remplit de joie et me fait oublier la douleur, me fait même retrouver des couleurs. L'animal monstrueux qui sommeille en moi, cette bête avide de chair rosâtre et d'hémoglobine se complait à se baigner dans les gigantesques mares brunâtres qui séparent les corps éventrés et tailladés. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de perdre en efficacité tandis que mon coéquipier se retrouve à des mètres de là en train d'affronter ses propres démons. Sous mes pieds, la glaise opaque et noire vient enserrer mes semelles, créée par le piétinement des bottes ennemies, par leur cruor et par les déchirures dans le paysage provoquées par mes attaques. Progressivement, il me semble que les adversaires deviennent plus forts tandis qu'ils deviennent moins nombreux, à moins que ça soit moi qui devienne plus faible ou bien encore les deux.

Un belliciste en tutu, le corps couvert d'armes en tous genres et les mains tenant chacune une hache de jet, m'assaillit sur un côté, concluant un cercle avec deux autres de ses camarades brandissant épées et masses. De justesse j'esquive un coup qui n'aurait normalement pas dû me poser problème, mais que ma vision légèrement floutée et mon hémorragie rendent dangereux.

- Soru ! exécuté-je, me déplaçant dans le dos d'une grosse brute en jupon et décolleté plongeant pour venir lui enfoncer deux doigts dans le crâne et les retirer aussitôt. Shigan !

L'armoire à glace tombe, ne laissant plus que l'amoureux des armes et son copain maigrichon avec son sabre. Exténuée par à coups, je laisse malencontreusement une ouverture que l'homme à la hache saisit immédiatement, me tailladant le bras comme un bûcheron et me laissant une longue coupure qui aurait pu être bien pire si je n'avais pas reculé à temps. Ça serait idiot de perdre mes deux bras en une seule et même journée. Les idées claires à nouveau, j'arrive à stabiliser mon recul et même à en profiter pour me propulser vers l'autre ennemi qui se prépare à recevoir ma charge. Perdu.

- Tobu shigan !

Mon doigt-revolver fait mouche, transperçant le front du pauvre homme à l'épée et ne me laissant plus qu'en tête à tête avec le belliciste. A bout de souffle, je darde un œil aux alentours pour identifier les ennemis qui restent : mon collègue se bat avec deux hommes dont un avec une stature imposante et une robe très colorée et très seyante, moulant de façon répugnante son corps épais et large semblant bâti à même le roc. Au bras gauche de ce dernier, je remarque la présence d'un gant lourd et épais, en cuir et en acier, qui lui remonte jusqu'au coude et dont je n'arrive pas à définir l'utilité. Néanmoins mon attention est rapidement rapportée au dernier barbare en tutu qui me fait face : plus qu'un et je peux aller rejoindre Kayne. A cet effet, Larson et son équipe ne semblent plus être très loin, se rapprochant progressivement pour que je puisse désormais deviner les tailles des différents protagonistes.

- YAAAAAAH !

- Soru !

J'esquive un premier coup de hache de justesse, beaucoup trop contemplative du paysage j'en ai oublié mon adversaire qui, lui, ne m'a pas oubliée. Déplacée à quelques mètres de là pour éviter son attaque, je lui laisse le temps de remettre son soutien-gorge, dégainant Clair de Lune qui ne demande qu'à assister au festin. Semblant accepter le défi, l'homme lâche ses tomahawks pour se saisir à son tour d'un wakizashi accroché à son corset, le sourire aux lèvres. Pour la beauté du geste, je lui concède l'offensive, me postant fermement sur mes deux jambes, prête à parer sa pluie de coup. Commençant à bien savoir utiliser le Haki, j'en profite pour prédire à l'avance les coups de mon adversaire.

- Taille à la diagonale, taille à l'horizontale, estoc. me renseigne la voix dans ma tête.

Certes ce n'est pas du jeu, cependant cela facilite grandement le combat. Comme prévu, l'homme s'exécute en effectuant son enchaînement que je pare facilement, concluant la succession de mouvements par un blocage de sa lame avec le revers de ma main durci par le Tekkai, laissant mon adversaire surpris et sans aucune garde le temps d'une seconde, ce qui me permet instantanément de lui trancher la gorge d'un coup net. Ainsi mortellement blessé, le travesti laisse échapper un puissant jet de sang qui vient tapisser mon chemisier avant de s'écrouler sur le sol, raide mort. Un nouveau coup d’œil vers l'horizon me laisse prédire que les renforts seront là dans quelques minutes. A cet effet, je me tourne vers l'endroit où se trouve Kayne, espérant qu'il ait lui aussi terminé de se battre et me demandant en même temps où peut bien être passé ce fameux Lord Watt à la puissance si écrasante.

A la fois horrifiée et décomposée, je découvre la réponse à ma question. Il n'y a plus qu'un ennemi, c'est le gros baraqué chauve en costume multicolore, avec ses bas roses, son tutu bleu et son t-shirt jaune à motifs de tête de mort. Et dans son immense main gantée se trouve la tête par laquelle il garde suspendu au-dessus du sol un corps sans vie, les muscles crispés et la peau brune aux alentours du visage, comme s'il avait été heurté par la foudre. Immobile, il me sourit disgracieusement, il attend que je vienne, il attend que je hurle, il attend que je pleure, mais je n'en ferai rien. A la place je serre davantage mes doigts sur la poignée de mon sabre. Ce crime ne saura rester impuni.

Il a tué mon coéquipier.
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Prémices de l'outre-tombe No-hand-4fbfb36

Le pas mesuré, je m'avance vers l'ennemi que j'affronte du regard. L'expression froide et calme, j'arrive finalement à camoufler mes émotions, ma haine, ma tristesse, ma déception... On en revient toujours au même point : voilà la raison pour laquelle Kayne aurait mieux fait de me laisser mourir, voilà la raison qui m'avait permise de vivre jusqu'ici. Sans me soucier des autres, sans me mettre en danger pour eux. C'est le seul moyen de continuer à avancer, sans regarder constamment derrière. Ne pas avoir de cœur. Le titan me dévisage, son sourire ingrat toujours imprimé sur sa face de porc. Tandis que je me rapproche, l'énergumène s'amuse à balancer lentement le corps de mon coéquipier par de simples mouvements du poignet, avant de le jeter définitivement vers moi comme s'il ne s'agissait que d'un vulgaire pantin. Et c'est ce qu'il est, désormais. Kayne avait beau être doté de toutes les bonnes intentions du monde, il avait beau être sympathique et serviable, il était désormais mort, froid, frigide, un tas de chair en décomposition. Avec un seul bras à la réception, j'échoue à empêcher le cadavre de s'étendre devant moi, ce qui me permet malencontreusement de voir plus en détails ce qui a eu raison de lui. Large et épaisse, la marque noire, brûlée de la paume et des cinq doigts gantés apparaissait sur le faciès de mon coéquipier, carbonisé, craquelé et à vif à plusieurs endroit, le signe d'une électrocution. La rumeur disait donc vrai : l'homme avait le pouvoir de contrôler la foudre. Relevant le visage en direction de l'ennemi, je pointe le fil de ma lame dans sa direction pour lui signifier qu'il est la prochaine personne à subir un sort aussi funeste. Son air satisfait demeure immuable, coi, nappant le moment d'un long silence que seule ma lourde respiration vient épisodiquement interrompre. Avec une voix caverneuse qui semble tonner dans toute la toundra, mon ennemi lâche soudain un rire rauque et irrévérencieux. Puis ses poings viennent brutalement s'entrechoquer et la franche rigolade laisse place à un mépris abject et hargneux, qu'il exprime tout en crachant un glaviot au sol.

- Tu penses pouvoir me battre, l'éclopée ?

Amusée par l'ironie de la situation, je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour. Car malgré la fatigue qui s'est accumulée, malgré mon bras brutalement arraché continuant à perler des gouttes de sang à travers l'hémorragie qui me terrasse, la perspective du combat me fait tout de même me sentir bien. Je me surprends même à être positive et à me persuader moi-même que je peux l'emporter sur le commandant des vestiges de la cinquième flotte des Sunset Pirates. Trop de fois j'ai échappé à la mort aujourd'hui pour me permettre de perdre désormais, alors que les secours sont en chemin pour ultimement venir me délivrer de mon terrible fardeau et m'emmener loin d'ici. Pour ça je me suis battue vaillamment, j'ai décimé les rangs ennemis et il ne reste plus qu'une âme à venir chercher : la sienne. Le Lord n'en est pas un, il n'a pas de titre de noblesse, il n'est pas un Dieu, il n'est qu'un pirate comme tous ceux que j'ai buté jusqu'à présent, simple un criminel impur nécessité d'être nettoyé de la surface de la terre, un homme. Sa puissance réside dans les on-dits et dans l'arme qui revêt son bras, mais on sait bien que sans tout ça il n'est rien, tandis que moi... je suis un pion, une arme à part entière. En vérité, je sais déjà comment le battre, je sais déjà comment protéger ma vie et même si cela risque d'être difficile, au moins mon adversaire ne bénéficiera d'aucun effet de surprise. Je suppose. Finalement, le comble réside dans ce dernier mot : éclopée. Le gaillard a beau se tenir droit et bomber le torse, cela ne camoufle pas les blessures de son précédent combat, les cicatrices laissées par mon partenaire à divers endroits de son corps que je peux exploiter. Plusieurs entailles sur le torse et sur les jambes susceptibles de le faire ployer, un trou de Shigan au niveau de l'épaule gauche handicapant l'usage de l'un de ses bras, le titan n'est pas loin d'être dans un aussi mauvais état que moi. Et il est seul. Alors, pour bien conclure mon observation et lui faire comprendre qu'il aurait tort de me sous-estimer davantage, je fais le sacrifice de ma lame que je vrille brutalement dans la terre gelée maculée de sang avant de l'abandonner derrière moi pour m'approcher du colosse et le regarder dans les yeux. Et de répondre à l'interrogation suscitée par ses yeux suspicieux :

- Je n'aurai besoin que d'un seul bras pour te botter le cul.

La pupille sombre, le géant continue de me toiser, mais cette fois-ci avec une once de scepticisme, un doute qui l'habite tout au fond de ses yeux. La peur le fait alors parler à travers la menace, pour couvrir le fait qu'il chie à moitié dans son froc devant une simple femme désarmée.

- Quand j'en aurai fini, il ne restera plus rien de toi, vile charogne !

Brusquement, le vent se lève et vient furieusement balayer la zone par vagues successives, imprégnant le combat d'un perpétuel silence que ni lui, ni moi n'osons interrompre. Attendant le gong qui précipitera la chute de l'un de nous deux, je prends temporairement une posture de combat qui me permet de rester sur mes gardes. Ramenés en arrière par la bourrasque soudaine, mes cheveux souillés par le sang et la crasse s'animent en même temps que les plis de mon manteau pour venir fouetter l'air dans mon dos, tels les serpents de la mythologique créature appelée à juste-titre Méduse. Autour de nous, le morne paysage est peuplé de cadavres ou de ce qu'il en reste, charnier bicolore se déclinant en nuances de gris et de rouge, sans vie. Rien, sinon un corbeau planant au-dessus de la zone, un rapace attendant notre départ pour venir épancher sa faim sur la chair encore fraiche baignant le sol d'hémoglobine. Brisant le silence, son croassement retentit dans l'étendue déserte, mettant un terme au calme régnant sur la région, amenant avec lui un rayon de soleil transperçant l'épaisseur ouatée des nuages grisonnants et réchauffant temporairement la zone d'une aura surnaturelle. Un reniflement du nez, un claquement de la langue, le moindre petit bruit de crispation sert soudain d'avertissement. Tous les deux prêts à nous charger l'un l'autre, je proclame tout en m'élançant soudain, le poing envoyé vers l'arrière :

- Qu'il en soit ainsi !
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Les premiers échanges : brutaux, violents, ils nous amènent systématiquement épaule contre épaule, poing contre poing. J'ai l'avantage du jeu de jambes avec lequel j'enchaîne les Rankyaku mais vérifie à chaque fois que je me trouve à bonne distance de l'arme de l'ennemi qui, a plusieurs reprises, manque de m'effleurer, générant des étincelles et m'atteignant régulièrement grâce à un faible courant d'électricité statique qui vient me déstabiliser. Malgré sa taille et sa corpulence, l'homme est agile et adroit, capable d'effectuer des contorsions quasiment impossibles qui lui permettent d'esquiver mes coups, à l'instar de ce que me permet de faire le Kami-E. Au sein du combat, le Rokushiki possède une place prépondérante et nécessaire, m'obligeant à m'épuiser en effectuant l'intégralité des techniques que je maîtrise pour parvenir à me déplacer assez rapidement, à résister aux puissants coups qui manquent plusieurs fois de me mettre K.O. et à frapper assez fort pour étourdir mon adversaire. Rapidement, mon unique poing se retrouve couvert de sang et les ecchymoses commencent à apparaître.

- Shigan !

Une nouvelle fois mon doigt ripe contre la défense de l'adversaire, paré par un revers du bras aussi rapide que la technique elle-même, accompagné d'une tentative prévisible de l'ennemi pour me saisir la gorge à l'aide du gantelet. J'enchaîne les bonds en arrière et les déplacements sur chaque pied pour esquiver les coups de poings, pivotant sur moi-même pour affliger le titan d'un coup de talon dans l'estomac pour le repousser brutalement.

- Geppou ! Rankyaku Ran ! hurlé-je tout en bondissant dans les airs et en mitraillant l'adversaire de petites lames d'air atteignant pour certaines la cible au niveau des épaules et des avant-bras, provoquant en somme peu de dommages.

Le sourire que j'arborais encore au début du combat a désormais disparu, laissant place à une expression froide et dure trahissant ma frustration à l'égard de la résistance de l'ennemi. Aussi dure que du cuir, sa peau est naturellement difficile à percer ou à trancher, notamment celle de ses bras et de ses épaules avec lesquels il se protège, tels un véritable bouclier. D'un autre côté, tant que je continue à éviter le gant de son bras gauche, le combat reste en quelques sortes à égalité. Mais très vite, mes forces s'amenuisent, disparaissant à travers le sang qui continue à fuiter de mon pansement enroulé autour de mon moignon de bras.

- Alors, tu fatigues princesse ?

Tachant toujours de paraître aussi vivace et aussi énergique qu'au début du combat, l'homme se doit néanmoins d'éponger du revers du poignet une épaisse couche de sueur gouttant sur son front. Évidemment, son corps ne peut s'empêcher de trahir son mensonge éhonté, apparaissant douloureux à cause des multiples coupures, légèrement cambré par les multiples fractures et rouge de sang aux endroits où mes Shigan et Rankyaku ont eu raison de l'armure du titan.

- Parle pour toi le travelo.

Cette dernière insulte ne semble pas plaire au capitaine pirate qui arrive soudainement à virer au rouge malgré son teint déjà bien foncé. Touché. Son énervement conduit rapidement la brute à me foncer dessus et à commettre divers impairs, comme baisser sa garde ou bien tenter directement de m'attraper avec son bras ganté. Voyant une ouverture que je ne peux que saisir à la suite d'un uppercut proprement évité, je parviens à vivement transpercer un muscle intercostal de l'index, arrachant brutalement à mon ennemi un cri de douleur.

- Espèce de...

J'exulte de voir le colosse enfin dévoiler sa faiblesse, cependant celle-ci n'est que temporaire et le mal semble malheureusement lui rappeler qu'il ne doit pas se montrer impulsif comme il vient de le faire. Par la suite, le gaillard se montre donc beaucoup plus prudent, tachant de plus en plus de protéger ses points faibles que je continue de cibler systématiquement. Mais bientôt mon corps est amené à atteindre ses limites : trop de sang qui continue à être perdu, trop d'utilisation du Rokushiki et me voilà à ployer l'échine instantanément sous la pression d'un mal invisible qui laisse l'opportunité à l'ennemi de me brutaliser gratuitement. Frappée par un puissant coup de genou dans le ventre immédiatement suivi par une gigantesque baffe au visage me projetant à plusieurs mètres, je peux m'estimer heureuse de ne pas avoir été touchée par la foudre. Ainsi ramenée au sol, inerte, le regard tourné vers l'ennemi qui prend son temps pour me rejoindre, je remarque soudain une chose, un détail important que les mouvements de l'ennemi me dévoilent et qui m'oblige soudainement à changer de stratégie. Pointant hors du tutu, l'angle insolite et cornu d'une feuille de papier brun me rappelle soudain l'une des nombreuses informations dictées par feu mon partenaire tandis que nous nous rendions ici. Il avait parlé des plans de Mercure et avait dit qu'il les suspectait d'être en la possession du commandant de la flotte. Cependant, lorsque j'avais fini par saisir que le molosse était bel et bien le fameux Lord Watt, j'avais directement abandonné cette idée au vu de son accoutrement : pas de manteau, pas de poches donc pas d'endroit où ranger les papelards. Mais j'avais tort.

- Tu as enfin compris que tu ne pouvais pas gagner.

Restée hébétée un moment par ma découverte avant d'enfin me redresser, l'homme croit comprendre que je lâche l'éponge alors que mon regard ne cesse d'observer le morceau de papier balloté par l'élastique du tutu. Une fois remise debout, je saisis que le combat ne va plus pouvoir s'éterniser plus longtemps et qu'il va falloir risquer le tout pour le tout désormais. Migraineuse et parcourue de vertiges, j'ai de plus en plus de mal à tenir en équilibre et mon adversaire le voit bien, baissant sa garde tout en se précipitant vers moi pour me plaquer au sol de sa main nue. Affichant un terrible sourire goguenard, le bonhomme se tient ainsi à califourchon par dessus mon bassin, la paume sur ma poitrine, m'empêchant de respirer.

- Je vais te griller ton joli minois comme j'ai grillé celui de ton petit copain. ricane-t-il tout en rapprochant lentement et inexorablement son autre main de mon visage.

Le timing est parfait. Satisfaite que l'homme soit ainsi tombé dans le panneau et m'ait de surcroit immobilisée au sol tout en me coinçant avec son poids, j'arrive parfaitement à substituer le rouleau de parchemin avec celui de ma carte du laboratoire située dans mon manteau. Le temps joue en ma défaveur et c'est au millième de seconde près que je termine mon opération, les doigts du titan arrivés dangereusement à quelques millimètres de mon nez. Entre temps, l'étau de son bras s'est fait moins rigide et me permet de me décaler soudainement et de lui balancer mon pied dans l'entrecuisse avant de rouler sur moi-même pour m'enfuir aussi vite que possible. Poussant un terrible gémissement à la suite de mon coup bas, l'homme est ainsi temporairement transi et m'ouvre la voie vers la sortie. Un pas, deux pas, trois pas. Je me crois enfin sortie d'affaire lorsque soudain quelque chose vient brutalement m'empoigner le bras et décharger à l'intérieur de celui-ci un vif courant qui se propage instantanément dans le reste de mon corps et me laisse momentanément paralysée. Concluant ma chute dans un plongeon sur le sol qui me fait rouler sur plusieurs mètres avant de me stopper contre un corps inerte, je retrouve lentement mes capacités motrices qui me permettent notamment de découvrir l'origine de la douleur. Roussie et encore fumante, saccadée par des spasmes de douleur et des tics nerveux, mon unique main restante semble avoir fait les frais de l'électrocution qui était réservée à mon cerveau.

- Inutile... de fuir... vient ponctuer l'homme, remis de la douleur qui lui a terrassé les bijoux de famille et qui vient juste d'atténuer assez pour ne plus le clouer au sol.

Derrière le colosse, les silhouettes de mes compagnons se font de plus en plus distinctes, évoluant dans le brouillard à une vitesse prodigieuse. Soixante secondes, il faut que j'arrive à gagner soixante secondes et je serai tirée d'affaire. Malheureusement le pirate, qui lui aussi a remarqué les ennuis venant se profiler à l'horizon, a dans l'idée d'en finir avec moi avant et se lance donc aussitôt à ma poursuite. Poussée dans mes derniers retranchements, je ne peux plus qu'utiliser mes jambes pour courir, l'esprit encore embrumé par la puissante décharge qui m'a secouée et déshydratée. Chaque geste de la main à la peau crouteuse, noire et la chair carbonisée est un supplice, cependant je n'ai plus le choix. La fuite, je n'ai plus que ça, mais brusquement mes jambes refusent de me porter et me font trébucher, m'empêchent d'aller plus loin, se bloquent, court-circuitées comme le reste de mon corps. On ne résiste pas à la foudre. Dans mon dos, le titan rigole à gorge déployée, s'amusant de la situation.

- Inutile, je t'ai dit... ! Ton temps... est compté.

Brutalement, je ressens des sensations bizarres qui me portent progressivement à croire que le bandit a raison. Car même lorsque j'arrive à me le relever, même lorsque mes jambes acceptent de me porter et de faire un pas supplémentaire, quelque chose d'autre défaillit et vient bourdonner dans mes oreilles. Je note, je compte, j'essaye de retenir les chiffres, les millièmes de secondes qui se rajoutent entre chaque battement. Et je réalise soudain la vérité : mon cœur est en train de cesser de battre, lentement mais sûrement.

- Allez... donne moi le Cœur... et je te laisserai... mourir en paix... halète le pirate.

Sans pouvoir les contrôler, les larmes viennent toutes seules rouler le long de mes joues, voilant mon visage mortuaire d'une tristesse accablante. Toujours debout, j'utilise mes dernières forces pour me retourner en direction de la brute, à la fois hilare et au souffle coupé. Ainsi donc voilà comment tout s'achève ? Je refuse d'y croire, c'est trop irréaliste. Comme pour forcer le trait, les flocons se mettent alors à tomber, mais je ne les sens plus. Le vent secoue ma tignasse blanche mais la sensation m'est étrangère. Les forces me quittent petit à petit et les sens pour commencer. Le toucher, tout d'abord, tout bonnement absent. Puis le goût, illustrant la dernière saveur dans ma bouche comme étant de la cendre, de la poussière. L'ouïe, enfin, qui me transmet des informations qui n'ont plus aucun sens : les rires de mon ennemi deviennent subitement trop aigus, les croassements des charognards trop graves. Mais avant d'en être arrivée à perdre définitivement la vue, j'entreprends de faire une dernière chose, d'accomplir une dernière mission, de rendre une dernière révérence sans laquelle je ne peux m'avouer vaincue, terrassée par la mort après avoir été torturée durant toute mon existence par la vie.

Puisque je ne ressens plus rien, j'arrive à faire lentement bouger mes doigts et à les enfoncer dans la poche de ma veste pour en retirer l'étrange sphère, plus lumineuse que jamais. Ma perception auditive me fait signe que le capitaine apprécie ce qu'il voit, sans pour autant être sûre que cela arrive réellement. Je le vois alors avancer, la main tendue, prêt à récupérer l'objet que je pointe dans sa direction. Il s'imagine que je vais le lui donner, il s'imagine que c'est aussi facile. N'ai-je à ce point plus rien à perdre pour abandonner mes valeurs ? Non, je préfère encore mourir au champ d'honneur. Sa main vient bientôt se superposer à la mienne, ses doigts comme deux grosses pinces cherchent à me dérober le Cœur. Son rêve est à deux doigts de devenir réalité. Le temps semble se décomposer en tableau, à moins que ce soit la vue qui me lâche désormais. Ma respiration est de plus en plus lourde et mon corps est parcouru de soubresauts. C'est la fin. Je laisse tomber la sphère, je la laisse se dérouler le long d'un rideau d'air invisible et atterrir dans un bruit sourd sur une surface terreuse. L'homme perd soudain son sourire, mais déjà ma jambe droite est haute levée. Au tableau suivant elle survole la perle métallique, la camoufle presque avec son ombre. Plus rien ne peut m'arrêter, pas même le bras tendu du flibustier, ni sa voix aigüe qui ne crie qu'un seul et long mot.

- NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON

J'accomplis seulement ma mission. C'est mon devoir, c'est mon rôle. Pour le Gouvernement Mondial, pour le Cipher Pol, pour les citoyens qui n'auront pas à souffrir de la monstruosité qui pourrait naître de mon échec, je donne ma vie. L'espace d'une seconde je sens le cristal se fissurer sous l'impact lourd de mon talon, puis un court moment de silence seulement perturbé par le hurlement du colosse dont les mains malheureuses n'ont pas pu saisir la petite boule à temps et ne peuvent désormais plus se réfugier.

Sa peau en cuir ne lui servira plus à rien désormais.

BROOOOOOOOOOOOOM

Au moment où la détonation retentit, mon dernier œil a cessé de voir et ne m’envoie plus que des images floues et déformées. Sous la puissance de l'impact, mon corps semble brutalement déchiré en morceaux mais je ne sens plus rien. Un écran noir occupe ma pensée et je me retrouve soudain propulsée dans le néant.

A ce moment là, j'ai cessé d'exister.
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