A la fin de l'histoire, le héros meurt.
Évanescent, temporel. Le vermeil tachant la pureté du blanc, se mélangeant à l'eau gelée puis virant au carmin, avant de disparaître sous une gerbe de neige, balayé en quelques seconde. Le paysage est fantomatique, enveloppé dans une écharpe de brume, à la limite du réel. Dans ce désert glacé, le combat fait rage, d'autres gouttes virevoltent, éclaboussent et se dispersent sur l'étendue immaculée. Ils sont deux, deux brutes épaisses, maîtrisant chacun des armes différente mais assez fins stratèges pour combiner leurs attaques. Face à un adversaire seul et acculé.
J'avais fini ma course à l'orée d'une forêt, peuplée d'arbres morts et grisâtres errant tels des spectres dans le brouillard ambiant qui semblait émaner du laboratoire lui-même plutôt que d'être dû à un phénomène naturel. Ma course effrénée dans la neige me donnait l'impression d'avoir duré plusieurs dizaines de minutes alors que cela pouvait tout aussi bien en faire une demi-douzaine. Forcée à faire de grands pas et me sortir régulièrement de l'épais tapis blanchâtre qui m'arrivait jusqu'à la taille, j'avais ainsi perdu en vitesse et en énergie tandis que les colosses aux physiques sculptés à même les montagnes me rattrapaient inévitablement. Je ne souhaitais pas me battre, pas après tout ça. J'avais peur, oui, peur d'échouer, peur de ne pas réussir à défendre ce satané Cœur, peur de devoir y laisser ma vie. Certains Sunset avaient la réputation d'être sans pitié, d'autres d'être plus cléments, cependant si je voyais juste dans les résultats des batailles menées aujourd'hui, cela m'étonnerait bien fort que les pirates se montrent indulgents à l'égard d'agents du Gouvernement. De toute manière, je ne souhaitais pas leur pitié, je préférais encore mourir. Mais tout de même, cela me semblait trop tôt, trop jeune, trop prématuré pour donner ma vie maintenant.
- Toi là-bas, arrête-toi !
Alors que je m'approchais du sous-bois avec ses arbres dépenaillés, j'avais pu remarquer la silhouette de l'un des hommes me pistant comme un gibier. Il avait été le premier à partir à ma poursuite et le plus véloce à me rejoindre ; une véritable épée de Damoclès à même de parcourir la distance qui nous séparait si je ne trouvais pas un moyen de le semer ou bien le courage de lui faire front. La peur, toujours la peur, ce sentiment malsain que j'avais bien souvent gommé de ma propre existence jusque là. Jamais je n'avais eu affaire à une mission aussi dangereuse, aussi suicidaire, jamais je n'avais eu à mettre autant ma vie en péril pour protéger quelque chose, même pas la chair de ma chair que j'avais abandonné sur mon lit d'hôpital, même pas ce dernier embryon de famille qu'il me restait que j'avais brutalement effacé, même pas une petite sœur, transpercée, violemment détachée de son cœur par un esprit maladif et une main sanguinolente. Pour la première fois dans toute ma vie, j'étais la gardienne de quelque chose et ce quelque chose n'était pas humain, n'était pas vivant, ne me procurait même pas de sentiments sinon la peur et faisait un peu moins de la taille de ma main. De cette petite sphère métallique, de ce cœur froid et luminescent, j'étais l'obligée, l'esclave.
- Larson ! Larson tu me reçois ?
J'avais déjà essayé à plusieurs reprises de contacter mon chef d'équipe mais la liaison semblait être coupée. Au pire des cas. Au fond de moi, j'espérais que l'homme pouvait m'entendre et ne cessais de répéter inlassablement à l'escargot mutilé et écrasé par la pression de ma main mes coordonnées. Celles-ci n'étaient pas claires, évidemment, cependant grâce au plan du laboratoire je pouvais plus ou moins dire sur quel versant de la bâtisse j'étais et vers où je me dirigeais. Une forêt, similaire à celle que nous avions traversé en venant, peut-être la même. Oh s'ils pouvaient venir, s'ils pouvaient m'épauler dans cette dure mission, s'ils pouvaient achever ces derniers forbans à ma poursuite qui avaient déjà eu la peau de mes deux compagnons. Mais non, une partie de moi se doutait qu'ils n'en feraient rien, que leurs corps gisaient probablement dans une marre de sang, dans l'Aile Nord, vaincus et non vainqueurs, annihilés par le commando dépêché par les Sunset pour venir chercher le fruit de leur dur labeur et de leurs sacrifices.
Tout le monde s'était sacrifié aujourd'hui et l'île semblait repeinte en nuances de rouge et de blanc.
- Quand je vais t'attraper...
La silhouette s'était approchée, inexorablement, tandis que je peinais à retirer mes bottes de l'étendue gelée, avalant systématiquement mes jambes dans son bayou poudreux et inodore qui ne me les restituait qu'après être venu s'enserrer autour de mes mollets et me glacer soudainement la circulation. Toujours. Encore. Comme des centaines de petites aiguilles rafraichissant mes nerfs et mes veines jusqu'à les immobiliser pour me les mettre à vif sous la pression des muscles.
- Ha... Ha...
Ça y est, j'y arrive, cette fameuse orée, cette fumeuse orée et ses alentours brumeux, déployant sous mes pieds une pente invisible et un retour sur la terre ferme bien mérité. Je n'en peux plus, je ploie sous l'effort, mon corps se cabre et mes mains viennent s'appuyer sur mes cuisses, absentes, indolores, paralysées par le froid. Je ne sens même pas la présence de l'ombre qui vient soudainement me prendre à revers, je ne prédis même pas l'arrivée de la poigne de la main gigantesque qui vient entourer mon cou, ni du couteau qui vient entailler légèrement mon bassin de sa pointe aiguisée. Tout ce que je sens, c'est une haleine de vinasse et une odeur d'humidité et de moisi, tandis que j'exprime mon échec par une larme involontaire roulant le long de ma joue.
- Je vais te saigner comme la putain que tu es, Cipher Pol de merde !
Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mar 21 Juin 2016 - 6:03, édité 1 fois