-J’arriverais à tout mettre dedans, ne vous inquiétez pas.
-Enfin, monsieur, ça ne passera pas ! Laissez-moi faire. Ce n’est pas grave s’il faut demander de l’aide d’une ou deux personnes en plus.
La secrétaire boute Otto du devant de la table afin de ranger correctement les babioles qui ornaient encore récemment le bureau de l’ex Vice-Amiral Anderman. Ce n’est pas encore officiel, mais tout le monde est au courant. Les pontes de Marie-Joie auront tout le loisir de rendre tout cela officiel au cours d’un protocole bien comme il faut, le tout alimenté par des petits fours tout droit sortis des cuisines hautes de gamme de l’Amirauté. Pataud, Otto laisse faire sa bientôt ex-secrétaire tandis qu’elle range avec une précision quasi militaire, optimisant la moindre place dans le carton. Les mains expertes l’ont bien vite rempli et alors qu’elle vient tout juste de le fermer, elle en prépare un autre. Pour patienter, le vieil homme réitère un nouveau tour de ce qui a été son bureau pendant plusieurs décennies, se remémorant quelques anecdotes croustillantes, malgré la peinture refaite à neuf depuis qu’un certain pirate avait tenté de lui imposer ses convictions en matière de supériorité de l’un sur l’autre.
La penderie dans laquelle s’étaient enfermés Pludto et Milly. Cette chaise où Oko était passé au travers après un repas un peu trop copieux. Cette tache de café après que Kenpachi est renversé sa tasse au moment ou Otto évoquait un souvenir particulièrement gênant de l’ex-amiral. Otto sourit tout du long, perdu dans ses pensées. Il ne prend même pas conscience que sa secrétaire demande à ce que plusieurs marines entrent afin de transporter les derniers cartons. Ils seront amenés au Cuirassé mouillant au dock numéro 1 de la base. Le Céldèborde. La nouvelle demeure d’Otto Anderman. Alors que ce dernier examine un coin abimé d’une commode ; un lieutenant fraichement promu avait fait n’importe quoi avec son sabre ; sa secrétaire se met doucement à toussoter, sortant Otto de sa rêverie. Clignant des yeux trois fois, il contemple la petite brune qui le dévisage avec tristesse du haut de ses quarante ans. Mathilda a été la secrétaire personnelle d’Otto ces quinze dernières années et c’est une relation particulière qui s’est créée au fil des années entre les deux individus. C’est probablement celle qui a eu la chance de fréquenter le plus le vieil officier. Et c’est à propos de toute la gentille connivence qu’ils vécurent aux cours dès ces années qu’ils pensent, leur regard dans l’autre. Finalement, Mathilda coupe court à cet échange muet.
-Il ne vous reste plus que le dernier, monsieur. Les tiroirs de gauche n’ont pas été rangés. Ils sont…
-Personnels. En effet.
Elle connait ses habitudes. Otto lâche un sourire reconnaissant envers sa secrétaire qui a tant fait pour lui. La tristesse voile légèrement son regard, mais le reste de son visage reste impassible.
-Je vous remercie pour toutes ces années, monsieur. Ce fut un honneur de vous servir.
-Ce fut un plaisir de vous avoir à mes côtés. Le sous-amiral Larss vous a-t-il informé s’il comptait vous garder à ce poste ?
-Pas pour l’instant, mais le nouveau commandant ne souhaite pas perturber les choses pour l’instant.
-Je lui en toucherais un mot, si je le croise.
-Monsieur, vous ne devriez pas.
-De quoi ?
-C’est du favoritisme.
Les yeux d’Otto se mettent à luire d’une lueur pleine de malice.
-Mais enfin, Mathilda. Je ne peux tout de même pas lui permettre de passer à côté du meilleur café de toute la base.
-Monsieur, vous me flattez.
-Mais c’est bien le cas. Connaissant Larss, il m’en voudrait pendant une décennie si je ne lui dis pas cela.
-Je vous remercie, monsieur.
Instant de silence entre eux. Chacun se souvient de quelques mots qui ont rythmé leur vie. Ces réunions interminables, cette paperasse insurmontable, ces procédures à n’en plus finir. Sourires entendus. Puis Mathilda incline la tête en direction du bureau d’Otto d’un air soucieux.
-Vous vous en sortirez ? Vous voulez que j’appelle quelqu’un pour prendre le dernier paquet ?
-Non non. Ça ira. Je vous remercie. Je finirais tout moi-même.
-Bien. Je vais devoir vous laisser. Il y a une réunion du personnel administratif dans dix minutes.
-Faites, faites. Vous serez là pour mon départ ?
Elle a presque l’air choqué.
-Je ne connais personne qui manquerait ça, sauf ceux de service, voyons.
-Naturellement.
Autre moment de silence, puis Mathilda fait mine de s’en aller. Dérogeant à ses principes, mais se doutant qu’il allait beaucoup déroger aujourd’hui, Otto se permet une familiarité.
-Merci encore, Mathilda. Mes vœux vous accompagnent.
-Merci Otto. A vous aussi.
La secrétaire ferme la porte derrière elle après avoir échangé un dernier regard humide avec Otto. Il reste un petit instant là, debout, à contempler la porte qu’il a souvent contemplée ainsi par le passé, puis il revient à son bureau, s’asseyant pour la dernière fois dans son confortable siège. De là, il a une vie parfaite sur son bureau désormais totalement vide à l’exception de quelques éléments de mobiliers dont son successeur n’avait pas encore décidé quoi faire. Otto passe un doigt sur le bureau devant lui, se l’imaginant avec un tas de paperasses dessus. C’était son lot quotidien, ce n’est pas bien dur. Le vieil officier se permet un petit rire avant de récupérer le dernier carton et d’ouvrir ses derniers tiroirs.
Celui dédié à sa famille. Des photos, des lettres. Otto en lit une ou deux, la mine grave, avant de les ranger précieusement dans plusieurs chemises de tissus. Un autre dévoile quelques vieux souvenirs prenant un peu la poussière. Des babioles riches en anecdotes dont personne pourrait soupçonner l’existence, si ce n’est les quelques individus avec qui il a pu partager lesdites anecdotes. Ils les rangent toutes dans son carton, s’attardant là aussi sur un ou deux objets, souriant suite aux fugaces souvenirs qu’ils évoquent. Il continue comme ça avec deux autres tiroirs et il finit par remplir à ras bord son carton, mais le tout est là. Il contemple à nouveau son bureau : cette fois, c’est la dernière. Se tournant vers la fenêtre, il admire une nouvelle fois la vue sur Navarone, sa chère base. Il en a une petite larme à l’œil. C’est une larme pour toutes les autres, car devant ses subordonnées, ceux qui composaient sa famille d’adoption depuis tant d’années, il devra rester digne. Les séparations sont plus douloureuses quand elles se font dans les larmes. Une larme et un sourire en même temps. Ce n’est pas la fin, c’est le début d’une nouvelle aventure.
-Enfin, monsieur, ça ne passera pas ! Laissez-moi faire. Ce n’est pas grave s’il faut demander de l’aide d’une ou deux personnes en plus.
La secrétaire boute Otto du devant de la table afin de ranger correctement les babioles qui ornaient encore récemment le bureau de l’ex Vice-Amiral Anderman. Ce n’est pas encore officiel, mais tout le monde est au courant. Les pontes de Marie-Joie auront tout le loisir de rendre tout cela officiel au cours d’un protocole bien comme il faut, le tout alimenté par des petits fours tout droit sortis des cuisines hautes de gamme de l’Amirauté. Pataud, Otto laisse faire sa bientôt ex-secrétaire tandis qu’elle range avec une précision quasi militaire, optimisant la moindre place dans le carton. Les mains expertes l’ont bien vite rempli et alors qu’elle vient tout juste de le fermer, elle en prépare un autre. Pour patienter, le vieil homme réitère un nouveau tour de ce qui a été son bureau pendant plusieurs décennies, se remémorant quelques anecdotes croustillantes, malgré la peinture refaite à neuf depuis qu’un certain pirate avait tenté de lui imposer ses convictions en matière de supériorité de l’un sur l’autre.
La penderie dans laquelle s’étaient enfermés Pludto et Milly. Cette chaise où Oko était passé au travers après un repas un peu trop copieux. Cette tache de café après que Kenpachi est renversé sa tasse au moment ou Otto évoquait un souvenir particulièrement gênant de l’ex-amiral. Otto sourit tout du long, perdu dans ses pensées. Il ne prend même pas conscience que sa secrétaire demande à ce que plusieurs marines entrent afin de transporter les derniers cartons. Ils seront amenés au Cuirassé mouillant au dock numéro 1 de la base. Le Céldèborde. La nouvelle demeure d’Otto Anderman. Alors que ce dernier examine un coin abimé d’une commode ; un lieutenant fraichement promu avait fait n’importe quoi avec son sabre ; sa secrétaire se met doucement à toussoter, sortant Otto de sa rêverie. Clignant des yeux trois fois, il contemple la petite brune qui le dévisage avec tristesse du haut de ses quarante ans. Mathilda a été la secrétaire personnelle d’Otto ces quinze dernières années et c’est une relation particulière qui s’est créée au fil des années entre les deux individus. C’est probablement celle qui a eu la chance de fréquenter le plus le vieil officier. Et c’est à propos de toute la gentille connivence qu’ils vécurent aux cours dès ces années qu’ils pensent, leur regard dans l’autre. Finalement, Mathilda coupe court à cet échange muet.
-Il ne vous reste plus que le dernier, monsieur. Les tiroirs de gauche n’ont pas été rangés. Ils sont…
-Personnels. En effet.
Elle connait ses habitudes. Otto lâche un sourire reconnaissant envers sa secrétaire qui a tant fait pour lui. La tristesse voile légèrement son regard, mais le reste de son visage reste impassible.
-Je vous remercie pour toutes ces années, monsieur. Ce fut un honneur de vous servir.
-Ce fut un plaisir de vous avoir à mes côtés. Le sous-amiral Larss vous a-t-il informé s’il comptait vous garder à ce poste ?
-Pas pour l’instant, mais le nouveau commandant ne souhaite pas perturber les choses pour l’instant.
-Je lui en toucherais un mot, si je le croise.
-Monsieur, vous ne devriez pas.
-De quoi ?
-C’est du favoritisme.
Les yeux d’Otto se mettent à luire d’une lueur pleine de malice.
-Mais enfin, Mathilda. Je ne peux tout de même pas lui permettre de passer à côté du meilleur café de toute la base.
-Monsieur, vous me flattez.
-Mais c’est bien le cas. Connaissant Larss, il m’en voudrait pendant une décennie si je ne lui dis pas cela.
-Je vous remercie, monsieur.
Instant de silence entre eux. Chacun se souvient de quelques mots qui ont rythmé leur vie. Ces réunions interminables, cette paperasse insurmontable, ces procédures à n’en plus finir. Sourires entendus. Puis Mathilda incline la tête en direction du bureau d’Otto d’un air soucieux.
-Vous vous en sortirez ? Vous voulez que j’appelle quelqu’un pour prendre le dernier paquet ?
-Non non. Ça ira. Je vous remercie. Je finirais tout moi-même.
-Bien. Je vais devoir vous laisser. Il y a une réunion du personnel administratif dans dix minutes.
-Faites, faites. Vous serez là pour mon départ ?
Elle a presque l’air choqué.
-Je ne connais personne qui manquerait ça, sauf ceux de service, voyons.
-Naturellement.
Autre moment de silence, puis Mathilda fait mine de s’en aller. Dérogeant à ses principes, mais se doutant qu’il allait beaucoup déroger aujourd’hui, Otto se permet une familiarité.
-Merci encore, Mathilda. Mes vœux vous accompagnent.
-Merci Otto. A vous aussi.
La secrétaire ferme la porte derrière elle après avoir échangé un dernier regard humide avec Otto. Il reste un petit instant là, debout, à contempler la porte qu’il a souvent contemplée ainsi par le passé, puis il revient à son bureau, s’asseyant pour la dernière fois dans son confortable siège. De là, il a une vie parfaite sur son bureau désormais totalement vide à l’exception de quelques éléments de mobiliers dont son successeur n’avait pas encore décidé quoi faire. Otto passe un doigt sur le bureau devant lui, se l’imaginant avec un tas de paperasses dessus. C’était son lot quotidien, ce n’est pas bien dur. Le vieil officier se permet un petit rire avant de récupérer le dernier carton et d’ouvrir ses derniers tiroirs.
Celui dédié à sa famille. Des photos, des lettres. Otto en lit une ou deux, la mine grave, avant de les ranger précieusement dans plusieurs chemises de tissus. Un autre dévoile quelques vieux souvenirs prenant un peu la poussière. Des babioles riches en anecdotes dont personne pourrait soupçonner l’existence, si ce n’est les quelques individus avec qui il a pu partager lesdites anecdotes. Ils les rangent toutes dans son carton, s’attardant là aussi sur un ou deux objets, souriant suite aux fugaces souvenirs qu’ils évoquent. Il continue comme ça avec deux autres tiroirs et il finit par remplir à ras bord son carton, mais le tout est là. Il contemple à nouveau son bureau : cette fois, c’est la dernière. Se tournant vers la fenêtre, il admire une nouvelle fois la vue sur Navarone, sa chère base. Il en a une petite larme à l’œil. C’est une larme pour toutes les autres, car devant ses subordonnées, ceux qui composaient sa famille d’adoption depuis tant d’années, il devra rester digne. Les séparations sont plus douloureuses quand elles se font dans les larmes. Une larme et un sourire en même temps. Ce n’est pas la fin, c’est le début d’une nouvelle aventure.