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Peur bleue

- A votre droite vous pouvez donc apercevoir la mer d'Ed War.

- Oooooooh.

- Et plus loin sur votre gauche, trois Thurst Up Stream jaillissant de l'eau.

- Aaaaaaah.

Le contrôleur qui fait aussi moniteur et animateur à bord du train présentant ainsi les différents événements maritimes. Le micro en main. Bondissant d'un côté à l'autre du wagon pour présenter tantôt des colonnes d'eau fuyant vers le ciel, tantôt des courants serpentaires. Ou encore d'autres hérésies à vous couper le souffle. Pour l'agente, la réaction ne se fait pas attendre. Près de cinq heures que le train a quitté Sekan et celle-ci peine à trouver la sérénité. Repliée en position foetale sous sa banquette, elle se répète en boucle :

- Je ne vais pas mourir. Je ne vais pas mourir. Je ne vais pas mourir. Je ne vais pas mourir.

- Excusez-moi, vous avez dit quelque chose ?

- La ferme, vous !

Pour le pauvre homme qui n'a rien demandé et se retrouve encapsulé dans un train avec ce genre de folle, le trajet doit décidément ne pas être si confortable. En oubliant le fait qu'ils sont en première classe, la cohabitation avec la cheffe d'équipe est tout bonnement impossible. Surtout lorsque celle-ci passe son temps à ventiler dans un sachet en papier. Pour mieux l'envoyer sur les roses lorsqu'il s'enquit de son état. Et pourtant, c'est pas faute d'avoir beaucoup essayé.

La première fois, il a essayé de se présenter. Un certain Byzantin Molgerac, originaire de Hand Island. Il s'est dit aventurier, s'est vanté de bon nombre de voyages et a évoqué ses nombreuses rencontres avec des hauts placés du Nouveau Monde. En croyant évidemment qu'Anna l'écoutait. Ce qui n'était pas le cas, car à ce moment-là elle commençait déjà à suffoquer.

Quand les premiers courants ascendants se sont élevés dans le paysage autour de la zone sûre du cercle d'or.

- Je... Hum... Je me rends au wagon restaurant. Si vous me cherchez-

- Drôle d'idée. Humpf. Bon sang. Humpf. Foutez moi la. Humpf. Paix, c'est tout ce que. Humpf. Je demande !

Femme violente et associable. Seulement quand l'envie lui prend et là on peut dire que pour le pauvre bougre, elle n'a pas spécialement envie qu'on lui parle. Un moyen d'avoir la paix pour décompresser. Peut-être se remettre à tergiverser sur sa quête. Mais il vaut mieux ne pas trop en demander, sa santé mentale déjà affaiblie.

Sans ajouter quoi que ce soit, l'homme au haut-de-forme s'esquive donc, disparaissant derrière la porte coulissante avec l'agilité d'une souris. Et l'air à la fois consterné et aigri. Aucun des problèmes de l'agente qui a mieux à faire. Se convaincre qu'elle ne va pas couler, là, maintenant, tout de suite. Que tout ira pour le mieux.

- Oh mon dieu regardez, un White Storm s'apprête juste à nous survoler !

- Ouhouhouhouhouuuuu.

- Keuf keuf keuf ! Keuf !


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Lun 12 Sep 2016 - 21:10, édité 1 fois
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- Pourquoi on s'arrête ? Nous sommes au beau milieu de l'océan ! Hé ! Hé !! Merde, il est parti.

Pour faire simple, il n'est jamais revenu. Peut-être que le bonhomme s'est trouvé une autre loge. Ah, non, c'est vrai. Il a dit qu'il partait visiter le wagon restaurant. Ou un truc du genre. Pour l'agente du CP9, pour une fois qu'elle a besoin d'avoir des réponses, qu'elle quémande la présence d'une personne pour calmer son anxiété, la voilà bien seule. Dans sa petite capsule, isolée, sans bruit. Et le moyen de transport mystérieusement à l'arrêt, ce qui n'est pas pour la rassurer évidemment.

La frousse est telle que la jeune femme peine à se remettre debout. A se glisser hors de sa cachette et faire front face à sa peur, à grands renforts de "je ne vais pas mourir" récités comme des prières. Elle y parvient, bien que tremblotante, rejoignant ultimement la porte coulissante pour à son tour s'immiscer furtivement dans le couloir central. Et découvrir que les autres loges sont vides.

- Putain... Où est-ce que...

- Ne vous approchez pas trop près du bord, messieurs-dames.

Une voix ! Dans ce silence perturbant. Elle semblait provenir de l'arrière de la voiture, à quelques pas. Derrière la porte, peut-être. Quand les pas de l'agente finissent néanmoins par la conduire jusqu'au seuil de la sortie, elle ne comprend toujours pas. Au moins, les gens sont là. La quinzaine de voyageurs. Debout sur une étrange plateforme entourée de rambardes en acier, à mi-hauteur, qui boucle le dernier wagon. Et elle croit se rappeler de quelque chose, d'un critère qui l'a quelques peu décontenancée lorsqu'elle a récupéré son ticket.

Première classe, wagon avec balcon.

Un balcon ? Ce n'est pas le genre de chose que possèdent les étages des maisons ou les appartements situés en hauteur ? Purement pour la vue, mais quelle vue peut-on avoir en mer ? Prenant son courage à deux mains, elle pousse finalement le battant pour rejoindre les autres. Sa curiosité, son envie de découvrir le fin mot de cette histoire ont le dessus sur sa phobie récente. Celle de tomber dans la flotte et de crever lamentablement. Alors elle s'avance, fend la foule et retrouve son compagnon de loge, lui-même accroché à la balustrade. En train de regarder l'étrange paysage qui se profile à quelques mètres du wagon. Que l'agente ne remarque pas directement.

Pourtant, c'est bien un bruit qu'elle reconnaît qui l'alerte. Avant même qu'elle ne pose la question et ne passe pour une idiote devant tout le comité. Elle dénote le bruit des chutes d'eaux, immenses. Un peu plus loin. Les eaux qui s'ouvrent en deux, une faille dans les fonds marins qui ne cesse de se remplir.

- Bon sang de mer-

- Vous appréciez ? On appelle ce phénomène des Vagues Falaises.

Demander à une paranoïaque si elle apprécie de voir les flots former un gigantesque trou sans fond juste à côté du train, à l'arrêt ? Mais... mais ils sont fous ?!

Non, définitivement pour la jeune femme, c'était une mauvaise idée. Et aussi vite que celle-ci a mis le pied sur le parapet, elle se débine pour fuir honteusement. Prendre ses jambes à son coup et récupérer sa cachette. Sous sa banquette.

Et désormais répéter sa phrase rituelle. Avec une légère modification fraichement apportée.

- Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir.
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Les jours ont passé. De l'eau a coulé. Sous les ponts seulement, hein. Car à terme, la jeune femme a développé une étrange phobie à bord du train. Et c'est lorsque les supplications de son camarade de chambrée sont devenues trop fortes qu'elle a enfin daigné prendre une douche. Pour se défaire de ses sueurs froides.

Pour cela, le train est largement assez équipé. Alors il n'a fallu que d'un aller simple sous le jet pour décrasser la bonne femme de ses sueurs froides. Et ses effluves par la même occasion. C'était il y a quelques jours déjà, juste après que la station d'Alaomin soit dépassée. Et pour le plus grand bien du voyageur partageant la chambrée, l'arrivée proche aux alentours d'Arcadia. Deux jours restants dont un passage par Hand Island. Rien qui ne puisse poser problème, après les récents troubles posés par la paranoïa de l'agente, qui y a laissé des plumes question hygiène. Enfin, maintenant toute propre, celle-ci ne peut se laisser aller à nouveau à de telles folies. Reprendre les choses en main. Ouvrir la fenêtre sans peur de passer par dessus bord. Elle est bien belle, la sbire du CP9.

- Vous m'avez presque retiré l'envie de voyager.

- De quoi vous plaignez-vous, monseigneur. Elle plisse les yeux avant de poursuivre, sur un ton davantage cynique. Je croyais que vous aviez traversé de nombreuses îles ? Était-ce dans un carrosse ou bien à bord d'un train comme celui-ci ?

Mais son regard n'accorde même pas une once d'importance au bourgeois en train de siffler entre ses dents. Constamment en train de farfouiller à l'extérieur, elle observe. Attend d'approcher les eaux sombres de la Nécropole. Mais perspicace, le haut-de-forme lui rappelle :

- La prochaine station, c'est Hand Island.

En guise de réponse, un raclement de gorge bruyant, pour lui rappeler de la mettre en veilleuse. Sûrement. La peur est communicative, il semblerait. Sauf que pour le gentleman, c'est plus dû à la folie palpable de la voyageuse, qui lui a visiblement fait les quatre-cent coups.

Finalement, comme le type a tout de même raison, elle reprend place. Fouille dans un tiroir sous la table dépliante, en espérant trouver quelque chose. Et en sort un étrange paquet. Un paquet de cartes.

- On joue ?

- Oh que no...

- Chouette. le coupe-t-elle tout en distribuant les cartes, après avoir fait table rase avec son bras.

Les affaires par terre, mélangées, ses beaux atours sales qui finiront malheureusement dans la première poubelle de la prochaine station, au profit de sa tenue actuelle. Plus sobre, plus discrète. Elle a déjà choisi le jeu, sans en avertir son compagnon. Qui s'interroge, mais s'arrête subitement en voyant comment ce-dernier est mélangé. Forcément...

- Un poker ?

- Dans le mille Émile.

L'homme affiche un regard perplexe. Mais plus que ça, une expression tordue sur son visage. Il fait la moue avant d'abdiquer, de se coucher avant même que le jeu ait commencé.

- Je ne sais pas jou-

- Menteur.

Elle dévoile une première carte. Ce qui lui confère d'emblée une paire. C'est bon signe. Le bourgeois comprend d'ailleurs ne pas avoir vraiment le choix. Il est piégé. Mais cela va un peu plus loin qu'une simple partie de cartes.

- Je me couche.

- Allons, vous savez faire mieux que ça.

Cinq jours de traversée. Si la jeune femme n'avait pas passé son temps à l'observer entre deux crises, elle ne l'aurait probablement pas découvert. Son petit secret. Alors inutile de nier. Elle tire une seconde carte. As, dommage.

- Vous faites ça depuis longtemps ?

- Hein ? Euh... Je...

- Vous avez de bons réflexes. Bien meilleurs que les miens. Je ne suis qu'une néophyte mais je sais reconnaître un joueur. Je croyais que vous étiez noble de naissance ?

Troisième carte. Huit à nouveau. Pour transformer sa paire en brelan et la faire sourire. Enfin, elle s'appuie beaucoup sur le paraître. Ça peut être du bluff. Mais le joueur en face sait. Sauf que cette fois-ci, il suit pour la première fois. C'est pas vraiment les règles, mais au moins il se prend au jeu. Peut-être un peu trop tard. La jeune femme se dévoile sans attendre.

- Brelan de huit.

Il semble mal à l'aise. Car elle l'a percé à jour. Car il est tout aussi bourgeois qu'elle est boulangère. Un joueur de carte qui écume les casinos. Bien pratique de prendre le train et de s'habiller comme un prince, mais ça n'aide pas seulement à camoufler ses origines. Au jeu des acteurs, Anna est bien meilleure. Quoi qu'une folle avec autant de discernement, c'est assez rare.

- Brelan de valets. termine-t-il, le regard penaud.

Pour la première fois en compagnie du gentilhomme, elle éclate de rire. Brusquement. Elle avait bien deviné. L'homme sait cacher son jeu et elle aurait bien été emmerdée s'il n'avait pas gagné. Enfin, les enjeux n'étaient pas énormes. C'était donc ce que l'on appelle un coup de poker.

- Comment avez-vous...

- Vous comptez. Vous comptez les cartes, vous comptez les vagues, vous comptez les wagons. Tout ce qui est comptable, vous comptez. Et j'ai l'oeil pour ces choses-là.

Effaré, il ne sait pas trop quoi dire. Puis comme le malaise semble soudain le vriller, il se lève brusquement en mimant une envie pressante d'aller aux toilettes. Le tricheur doué s'esquive ainsi, laissant ses jetons en plan. Son haut de forme. Et même ses valises.

Parti pour un petit moment, probablement. De quoi laisser l'agente cogiter seule. Enfin ! Car avec tout cela, elle a bien imaginé de nouveaux éléments qui pourraient expliquer le pourquoi du comment. Ce qui lui trottait dans la tête.

Pourquoi on l'a envoyée sur Arcadia, elle.
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Une fois de plus on la retrouve le nez dans ses bouquins, profitant de sa longue tranquillité. Loin d'être turbulente ni psychotique, elle peut enfin se concentrer, étaler ses pensées. Et conserver un air espiègle sur le visage, contente d'elle. Elle finit enfin par hocher la tête, en vérifiant les dernières actions du Gouvernement Mondial sur le Nouveau Monde. Et le problème peut se résoudre en trois questions.

Pourquoi le Cipher Pol ?

La Marine ne ferait décidément pas l'affaire ? Un Buster Call ne suffirait pas à éliminer la menace de but en blanc, raser l'île sans faire de chichis et mettre un terme à tout cela ? Non. Ça aurait été trop simple, mais aux yeux de tous, la bourgeoisie n'est qu'une part de la population civile de la nécropole. Et leurs actions se font en sous-main, supportées par un bon nombre d'investisseurs bien contents de récolter les fruits de l'esclavagisme illégal. Mais de ne rien dire en retour.

Non, personne n'a jamais pensé à les balancer ouvertement comme les criminels qu'ils sont et cela ne risque pas d'arriver. Pas tant que les agents du Cipher Pol sur les lieux continuent à disparaître ou bien être réexpédiés en petits morceaux à Marie-Joie. Pas tant que l'île bénéficie de son QG criminel à Alsbrough et de sa capitale quasiment inaccessible, plus commune au cimetière, au tombeau à ciel ouvert qu'à la véritable agglomération. Enfin, c'est ce qu'ils disent. Les Limiers rôdent et enlèvent. Des fois qu'un fouineur passerait par là, il subirait le même sort.

Cette fois-ci, Anna tente sa chance. Avec les nouvelles rumeurs de turnover dans le coin, la gare est dite déserte. Et les douanes hasardeuses. Et il faut l'efficacité et la sournoiserie des actions du Cipher Pol pour finalement réaliser une telle mission : détruire le gouvernement des bourgeois de l'intérieur. En utilisant une armée suspectée d'être déjà présente mais dissimulée, la révolution locale, pour balayer l'ennemi. Car un adversaire à balayer vaut bien mieux que deux.

Pourquoi elle ?

La question peut être ambigüe, mais finalement la jeune femme a su y trouver une réponse qui peut tenir la route. C'est en partie lié à ses pouvoirs, évidemment, puisque la diablesse n'est pas non plus une stratège reconnue ni même une grande manipulatrice. Mais aussi et surtout grâce à son apparence. La peau blanche, les cheveux immaculés, son étude du livre à propos d'Arcadia n'a pas tardé à la faire comprendre qu'en tant qu'albinos, elle rentrerait parfaitement dans le moule.

Car le pays a été ravagé par de nombreuses armes chimiques, qui ont réduit l'espérance de vie des habitants. Et ont développé tout un tas de malformations à la naissance, de handicaps et de problèmes congénitaux la faisant passer comme une individue normale. Malgré son apparence fantomatique.

Et enfin, pourquoi ?

Pourquoi donc Arcadia alors qu'il existe tant d'îles présentes sur le Nouveau Monde qui ont besoin d'une présence du Gouvernement Mondial ? Probablement car c'est mine de rien l'une des plus accessibles, grâce à sa station de Train des Mers. Ce qui peut en faire un relai pratique en termes de transport de troupes et de marchandises. Mais plus que cela, il s'agit d'autre chose.

L'exemple.

La propagande du Gouvernement Mondial, tout simplement. Un royaume dévasté où le gouvernement a été réduit à néant avant que des riches ne tirent les bénéfices de la misère locale. En réduisant en esclavage la veuve et l'orphelin. Un tableau idéal pour que la Marine vienne mettre de l'ordre, une fois le pot-aux-roses dévoilé. Une fois la révolution en place, qui fera bon profit au GM de sortir ses grands discours nationalistes. Une fois celle-ci repoussée et un gouvernement stable réinstallé. Les désirs des locaux assouvis comme un geste de charité spectaculaire.

Car il ne s'agit que cela, finalement. De publicité. La nécropole ayant épuisé toutes ses ressources depuis une centaine d'années et n'ayant pas véritablement une position stratégique sur sa voie. Il ne peut s'agir que de cela. Un coup d'éclat pour raffermir la position du Gouvernement Mondial en tant que défendeur des pauvres et des opprimés sur un océan où il ne fait pas le poids. Sur une île gigantesque qui possède un long historique et un certain prestige aujourd'hui disparu. L'occasion rêvée pour se traduire ainsi en sauveur. C'est aussi simple que cela.

Finalement, il s'agit davantage d'une simple mission de redresseur de torts, avec un simple fond politique plus qu'économique. Simplement redorer le blason du Gouvernement Mondial. Pour que quelqu'un profite de l'action derrière. Et que l'administrateur profite de cette personnalité. Voilà ce qu'il y gagne. En étant l'atout secret d'une mission ayant permis à terme de fragiliser l'île, pour que le G-11 débarque. Pas pour rien que l'agente possède un escargophone spécial lui permettant de joindre les renforts. Tout a été pensé et il a fallu longtemps pour qu'elle décortique la situation. Mais désormais elle y est arrivée. Et sa tête la fait beaucoup moins souffrir.

Quand la porte de la loge s'ouvre à nouveau. La nuit tombée et le compagnon de voyage désireux de rejoindre sa couche.

- Une revanche ?
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L'orage approche. Mouvementé, le ciel est sombre avec des reflets jaunes, lorsque la foudre vient zébrer les nuages noirs de vifs élans de lumière. Froide. Bleutée elle jaillit et photographie la scène dans un flash étourdissant et insaisissable. Anna n'aime pas ça. Tout autant qu'elle n'imaginait pas que le temps d'Arcadia soit aussi déréglé que la nécropole. Décidément ici, rien n'est à envier. Ni les paysages mornes qui se profilent, secs et sans végétation, sans arbres, ni les hautes falaises brunâtres ou bien encore le ciel démoniaque. L'île est là, comme pour rappeler qu'il existe encore des endroits sur Grand Line qui ne sont pas faits pour que l'Homme s'y trouve. Mais peu de ceux-ci sont aussi artificiels que Arcadia, qui a été façonnée de la main destructrice d'un créateur bien cruel. L'Homme lui-même.

- Nos chemins se séparent.

- Ce n'est pas trop tôt.

Elle dit ça, mais cette dernière journée aura finalement été plutôt conviviale entre les deux gusses. Toutefois, pas assez pour qualifier leurs relations d'amicales ni même joviales. Ils ne se reverront pas et c'est aussi bien pour l'une que pour l'autre. Ce n'est toutefois pas une raison pour souhaiter bonne chance à l'agente, qui va bientôt atterrir en enfer. Et pour ceux qui ont un destin aussi malchanceux, on ne peut qu'avoir de la compassion.

- C'est pas un monde pour la vie, là-bas. De ce que j'y ai entendu, on n'y trouve que la mort.

Remarque pertinente. Mais contrairement à ce que l'on pourrait s'attendre, la jeune femme sourit. Le balluchon sur l'épaule, elle s'engage en direction du couloir. Talonnée par son camarade de chambrée. Tandis que le train freine et arrive en gare. Et quand celle-ci se trouve derrière le premier sas permettant de quitter le moyen de locomotion, elle s'arrête. Fait volte-face. Et dit justement :

- C'est pour ça que je suis là.

C'est drôle, pourtant. Envoyer le Cipher Pol pour corriger la situation sur l'île. Rien ne dit que ça fonctionnera. Et avec son pouvoir, Annabella a plus tendance à détruire qu'à reconstruire. Pourtant c'est ce qu'il faudrait à Arcadia. Et si une bonne partie de l'édification d'un potentiel futur royaume peut voir le jour, ça ne sera pas de son ressort. Elle, elle n'est là que pour déconstruire. Raser les fondations. Et aider à ce qu'un jour, Arcadia refleurisse sur les cendres de ce qu'elle fut, sans continuer à s'embourber dans les ruines du passé. C'est beau.

Pour une fois, le CP9 s'en va récolter des âmes pour un objectif véritablement bienveillant. Dans sa finalité. Car pour y arriver, il va falloir que le sang coule.

- Je ne vous enverrai pas de cartes postale ! termine le joueur, une fois la jeune femme sur les quais, quand le wagon commence à s'éloigner.

Bien évidemment, ce trait d'humour est le bienvenu. Toute chose un minimum légère est remarquable tant l'endroit semble désolé. La gare en elle-même, où elle n'est finalement que la seule passagère. De ceux ayant descendu du train mais aussi ceux qui auraient dû y monter. Personne.

Sauf un type endormi, dans un uniforme militaire, loin de là. Sa chance.

Un grand bâtiment lui fait face, l'invitant à le pénétrer. Pourtant, ça serait le meilleur moyen de se faire avoir. La porte d'entrée. Alors elle regarde aux alentours et déniche une zone presque portuaire, en bordure de la station. Peuplée de conteneurs gigantesques, en fer. Originellement multicolores mais désormais tous uniformes, de couleur rouille. En s'approchant, elle dénote une chose.

Elle pensait être la seule âme un tantinet éveillée.

Elle se trompait lourdement.
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