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Du rififi dans le jeu de quilles - Part I

Sedna se baladait sur la plage, ne regardant que très vaguement le magnifique paysage qui l’entourait. De légères vagues de nuages venaient s’écraser sur l’île de Skypiea dont une partie s’était écroulée, il y a quelques années, abîmée par le remous incessant de la Mer Blanche Blanche. La falaise avait alors roulé dans les nuages et était devenue une plage. En été, c’était un endroit paradisiaque où les enfants apprenaient à nager, où des marchands ambulants vendaient des petits gâteaux à la citrouille et des boissons rafraîchissantes. Bref, un petit coin de paradis. Ce n’était pourtant pas lors de la saison estivale que la shandienne préférait cet endroit. Pour elle, la plus belle des saisons pour se promener sur les berges était l’hiver. Il faisait certes bien plus froid mais il n’y avait personne aux alentours pour la déranger, et les reflets du soleil sur la mer n’avaient pas cet impact brûlant et bouillonnant, qui était somme toute très peu agréable.

Un petit vent faisait bruisser les larges feuilles des arbres, dans les hauteurs. La lune affublait une lueur quelque peu fantomatique au décor mais la jeune fille n’avait pas peur. Elle était chez elle, pourquoi s’angoisser ? Cela faisait un moment que l'île était calme. La guerre était loin, et la guerilla à peine existante. Oui, c’était un endroit paisible et magnifique, alors pourquoi cela ne suffisait pas? Sedna secoua la tête et continua sa lente promenade, les bras croisés dans le dos. Cela faisait plusieurs nuits qu’elle avait du mal à dormir. Elle n’avait jamais eu ce problème auparavant, étant une très bonne dormeuse. Non, plutôt une très grosse dormeuse. Sans ses neuf heures de sommeil par nuit, elle devenait irritable – plus que d’habitude s’entend - désagréable, et il fallait rajouter à cela le fait qu’il était difficile de la réveiller.

Oui mais voilà, aujourd’hui comme hier et avant-hier elle n’arrivait pas à trouver le repos. Elle posait sa tête sur son moelleux oreiller de nuages, fermait les yeux, et n’arrivait pas à s’arrêter de penser. Une seule idée tournait en boucle dans son cerveau : la Mer Bleue. Seewish voulait absolument la découvrir et la visiter. Alors, depuis trois jours, elle ouvrait son placard, sortait une grande boite et lisait des carnets de bords. Au fil des années elle en avait accumulé des dizaines. Dedans il y avait toute sorte d’histoires extraordinaires. Certaines relataient des combats sanglants, d’autres des coups d’éclats et des actions de justice. Ce n’était cependant pas les récits préférés de notre Ange. Non, ce qu’elle aimait par-dessus tout c’était lorsque le capitaine racontait la vie quotidienne : la vie sur les bateaux, durant plusieurs jours avant de toucher terre, et la découverte de nouvelles îles. Elle avait bien entendu ses carnets fétiches, car certains auteurs étaient plus doués que d’autres, mais, de manière générale, ils étaient tous intéressants et riches en aventures.

Sedna mit la main dans sa poche et en sortit la grande plume magenta qu’elle avait trouvé sous son oreiller, quelques nuits auparavant. Elle la caressa machinalement, lissant les lames qui la constituaient. Elle voulait partir, évidemment, mais voilà il y avait un problème : elle ne pouvait pas se le permettre pour le moment. La shandienne n’était pas assez naïve pour croire qu’elle pourrait juste descendre comme ça sur la Mer Bleue et se balader tranquillement. Non, tout cela allait lui coûter de l’argent. Beaucoup d’argent même. Et elle n’avait pas les moyens. Son salaire de guide couvrait tout juste les dépenses pour son appartement et ses repas. Elle n’avait généralement pas de reliquats à la fin du mois. Même en se rationnant, elle ne pouvait juste pas se le permettre. Et ne le pourrait sans doute jamais.


Dernière édition par Sedna A. Seewish le Lun 7 Nov 2016 - 1:29, édité 3 fois
    La jeune fille lança un coup de pied rageur dans un nuage qui passait par là. Elle avait plusieurs options pour descendre : embarquer à bord d’un bateau qui descendait de Maselfush Island était sans doute la solution la plus sure pour elle, mais elle aurait besoin de cacher ses ailes, et cette perspective ne l’enchantait pas. Elle pourrait peut-être descendre dans sa propre embarcation? D’après ce qu’on disait, un pouplo-golfiere pouvait tout à fait supporter le voyage, pour peu qu’on ait un pyro dial. Et Sedna n’en avait pas. Et ça coûtait cher.
    La jeune fille suivit la longue berge en ruminant ses pensées, sans pour autant trouver une solution à ses problèmes. C'était comme si elle avait enclenché le mode « répéter ». Oui, elle n'arrêtait pas de tourner en rond, et ne cherchait pas à briser ce cercle. La plage avait beau être assez étendue, Sedna était là depuis trop longtemps pour avoir simplement foulé une fois les nuages. Non, elle commençait à tracer de petits sillons dans le sol, enchaînant les allers et les retours, inlassablement. Sa promenade illustrait à la perfection ses pérégrinations mentales.

    Un boucan du tonnerre retentit alors que la shandienne en était à son énième « aller ». Ses jambes arrêtèrent d’avancer, et son buste se tourna vers l'origine du bruit. Le knock up stream... Sedna avait oublié que c'était cette nuit qu'il avait lieu. Elle devait vraiment être fatiguée et préoccupée pour avoir pris note d’une date si importante, car c'était un des phénomènes qu'elle admirait le plus, sur la Mer des nuages. Des masses d'eau de la Mer Bleue s'élevaient dans les airs, créant une voie, puissante, impressionnante, et mortelle, bien sûr, mais magnifique : une mer éphémère et verticale, cela tenait presque de la magie. La liberté. Un frisson courut le long des nerfs de la jeune fille, imposant à son cerveau la distribution d'une dose d'adrénaline.

    Jamais elle n'avait pu voir à travers le trou laissé par le courant ascendant. Il paraissait que ça ne durait que quelques fractions de secondes, et que ça n’avait lieu que très rarement, quand le courant était particulièrement fort, mais pendant ce laps de temps on pouvait apercevoir la Mer Bleue... La shandienne courut rejoindre son waver, et l'enfourcha avant de foncer avec délice vers la Mer Blanche. Peut-être un bateau remonterait-il cette fois ci ? Et peut-être qu’il y aurait encore un carnet de bord et des indications… Elle descendit par la voie royale, saluant au passage les gardes en faction, puis tourna vers la zone de nuages où montait habituellement le knock up stream.

    Depuis des années, une faction de skypieens, membres de la PESTE, accueillaient les occupants des bateaux qui avaient survécu à l’ascension céleste. Le courant marin avait lieu de façon très régulière et un groupe armé avait le devoir de protéger l’ile d’éventuels intrus. Souvent, rien ne remontait des Mers du bas, et dans ce cas tout se passait bien même si Skypiea ne pouvait alors pas mettre la main sur des trésors de la Mer Bleue, mais d’autres fois… Selon la force des survivants, les batailles pouvaient être plus ou moins sanglantes, mais la plupart du temps les intrus étaient déboussolés et en aucun cas préparés aux batailles célestes, qui étaient bien différentes des combats de la Mer Bleue, d’après les racontars. Pas de dials pour se battre… Quelle drôle d’idée !

    Une fois les étrangers maitrisés, le reste de la PESTE n’avait plus qu’à venir récupérer les trésors et désosser le bateau. Le bois était rare et précieux sur Skypiea car il était bien entendu hors de question de couper les arbres millénaires. Les membres de l’organisation chargée d’inventorier et de ramener les merveilles venant de la Mer du bas ne se déplaçaient pas de nuit, la carcasse du bateau était laissée sous la surveillance d’une des personnes ayant assisté au knock up stream. Les occupants du bateau étaient enchainés et redescendaient par le premier bateau. Ce qui leur arrivait ensuite n’intéressait pas les habitants de l’ile.

    Sedna sauta de joie dans son waver en voyant se dessiner au loin une carcasse. Un bateau était remonté ! Elle allait pouvoir avoir un carnet de bord, avec un peu de chance ! Et il y aurait des trésors pour toute l’ile… Il y avait longtemps qu’une épave entière n’était pas remontée jusqu’ici. Elle dépassa une troupe de gars sanguinolents et hagards, menés par un membre de son organisation de chasseurs de trésors et atteint enfin le fameux bâtiment.
      Le bateau était plus petit que ce à quoi elle s’était attendue, en voyant le nombre de survivants. Peut-être cet équipage était-il plus robuste que ceux qui avaient été frappés par le knock up stream jusqu’ici ? Bah, de toute façon ils avaient été maitrisés et seraient de retour sous peu sur leur Mer. Qui deviendrait aussi bientôt le terrain de jeux de la shandienne. Le courant avait eu beau être tendre envers les navigateurs, il avait été carnassier à l’égard du bateau… Une large brèche fendait la coque, de la quille au bastingage, laissant apparaitre la structure interne du bâtiment. Sedna était franchement impressionnée. Comment autant de personnes avaient-elles pu survivre à un choc si violent ? Elle avisa leur pavillon et en pris note. Tête de mort sur fond noir. Pirates.

      La jeune femme s’approcha de la balafre et caressa brièvement les échardes qui en dépassaient. Tout ce bois serait recyclé et vendu, et comme cela faisait longtemps qu’aucun bateau n’était monte, tout débris serait prisé. Les skypiens rêvaient tous d’avoir au moins un meuble en bois chez eux. Les plus riches avaient l’ambition de n’avoir que des objets de ce matériau précieux dans leurs demeures. Un ange particulièrement aisé avait même commencé à couvrir ses murs de planches, afin de ne plus voir les nuages qui constituaient son chez-lui. Si Sedna adorait le bois tout autant que ses compatriotes, elle le préférait sous sa forme originelle et vivante : les arbres. Son petit appartement en pierres meublé de nuages lui convenait très bien. Vivre dans les habitations de ses ancêtres, dans l’antique cite de Shanda était bien suffisant pour elle.

      Sur Shanda, les chantiers allaient bon train et les ruines étaient très anciennes. N’ayant pas le droit de toucher à la Vearth, les constructeurs réparaient la ville à renfort de blocs d’Imperionimbus. Vu le prix du bois, il y avait eu des tentatives de braconnage dans les forêts de la Vearth mais elles avaient très vites été réprimées et la réaction de la population à ces exactions avait été violente. Les arbres étaient sacrés. Les patrouilles de la PESTE et les Bérets blancs faisaient désormais attention à l’état des végétaux lorsqu’ils patrouillaient.

      Sedna pénétra dans le bateau où régnait le chaos le plus total. Les vivres, les hamacs, des poutres défoncées et divers bibelots gisaient les uns par-dessus les autres, dans un gigantesque pèle mêle. Le bâtiment grinçait et craquait, protestant contre la dure épreuve qu’il avait subi et paraissant presque gémir et souffrir des multiples blessures qu’il avait essuyé. La shandienne s’arrêta prudemment, non loin de la brèche pour écouter ces bruits, jaugeant la solidité de l’infrastructure. Apres examen, il lui sembla que le bateau était en meilleur état que ce qu’il paraissait au premier abord. C’était le bordel, certes, mais plus de la moitié des poutres de la calle étaient encore debout. Le pont supérieur n’allait donc pas s’effondrer. En dehors du trou dans la coque, l’armature paraissait avoir tenu, bon grès mal grès, le choc.

      La jeune femme escalada une large pile de barriques contenant d’après l’inscription de la « poudre » et parvint à se hisser jusqu’à l’escalier qui menait à l’étage, et dont il ne subsistait qu’une petite moitié, le reste ayant été fracasse pour des boules rondes de métal. La shandienne rectifia. Des boulets. Elle avait déjà lu ce mot dans un de ses carnets. Elle parvint en haut des marches et fit coulisser la trappe avant de se glisser agilement sur le pont. Ce dernier, au contraire des cales, était vide. Evidemment, tout ce qui avait pu être dessus était tombe lors de l’ascension du knock up stream. Sedna se dirigea vers une porte à sa droite, vers le fond du pont. En général c’était là que se trouvaient les quartiers du capitaine, et donc le carnet de bord…

      La porte ne s’ouvrit pas facilement, la shandienne donna un violent coup d’épaule dedans et la sentit céder, elle l’ouvrit d’un coup de pied en massant son omoplate endolorie. Un grand réfectoire lui faisait face. Les bancs étaient tous renversés et les tables avaient valsé dans la pièce. Au fond, deux battants défoncés menaient à d’autres pièces. La jeune femme emprunta celle de droite et se retrouva dans un bureau. Enfin, ce qui avait été un bureau.

      Bingo… souffla Sedna.
        De la paperasse, il y en avait des tonnes dans cette pièce. C'était assez étrange, mais en fait en y regardant de plus près, la jeune femme comprenait pourquoi. Il y avait des cartes, qui bien sûr attirèrent l’œil de la skypiéenne, qui les mis de côté pour pouvoir les regarder plus tard. Il y avait aussi de multiples carnets de compte, ce qui montrait que le capitaine était consciencieux. Néanmoins, il y avait également des papiers plus intriguant, comme des croquis divers de plantes, et de femmes. Un visage revenait très souvent sur les esquisses. Peut être était-ce celui de l'épouse du marin ?

        Sedna eu beau retourner les étagères, les tiroirs, et de manière générale, le bureau, elle ne trouva aucun carnet de bord. C'était très étonnant pour un homme qui avait l'air d’être aussi cultivé... Il y avait en effet quelques livres sur les étagères, et quelques petites sculptures artistiques, bien qu'un peu dérangeantes aux vues des scènes sanglantes qui étaient représentées. Pas de quoi s'alarmer néanmoins, car il n'y avait ici rien qui eut pu heurter la demoiselle. La shandienne ne poussa pas plus en avant ses recherches. Il n'y avait ici pas de carnets de voyages ni de récits d'aventures. Elle retourna donc dans la salle à manger et emprunta la porte de gauche.

        La porte la mena aux cuisines, suite somme toute logique après la pièce dédiée à la prise des repas. Elle était très fournie, un bazar sans nom y régnait. Les multiples tiroirs s'étaient renversés et avaient répandus sur le sol une myriade de couteaux, ustensiles divers et autres objets métalliques, bien sûr, mais aussi des fragments de verre étalaient un peu partout. Nul doute que de nombreux verres s'étaient cassés en tombant. Avec seulement une fraction de tout ce qu'il y avait dans cette cuisine, Sedna aurait largement pu payer son passage vers les Mers Bleues... Mais tout cela ne lui appartenait pas... C'était terriblement frustrant, d'observer toute cette richesse et de ne pouvoir en posséder ne serait-ce qu'un morceau. La jeune femme effleura du bout du doigt une fourchette.

        Le métal était presque encore plus prisé que le bois. En effet, quand un bateau remontait, il y avait toujours du bois en plus grande quantité que du métal. Et l'acier n'existait pas ici haut, pas plus que l'argent ou l'or. Enfin, plus exactement, il y en avait, mais Maselfush contrôlait drastiquement ses accès. Il y en avait sur son île, mais le Dragon Céleste s'enrichissait et s'assurait l'amour de ses « loyaux » sujets en apportant quelques objets de temps en temps. C'était ainsi que la demoiselle avait obtenu un pistolet à dial, offert par ses parents lors de son entrée dans la PESTE. Il leur avait coûté un bras, mais Sedna y tenait plus qu'à la prunelle de ses yeux, c'était une arme fantastique.

        La jeune fille avisa au loin des sacs, elle s'en approcha et les ouvrit. Ils contenaient de grandes quantités de pommes de terre. C'était des contenants robustes, en toile de jute. La shandienne en vida un sur place et le secoua, puis enfourna un couteau dedans, puis un autre, et encore un... Elle entreprit alors de démonter le meuble à sa proximité et ajouta du bois à son butin. Compulsivement, en quelques minutes, le sac fut pleinement rempli. Puis un second sac s'ajouta au second, rempli tout aussi rapidement que le précédent, de bois et de métal.

        Après une vingtaine de minutes, Sedna avait le souffle court et commençait à transpirer. Elle s'arrêta un instant et observa son œuvre, quelque peu choquée. Elle venait, sans même y avoir réfléchi et sans même avoir pensé à cela, à voler les habitants de Skypiea et à tromper la PESTE. Elle n'était pas un malfrat... Elle n'avait encore jamais violé la loi... Bien que honteuse, la jeune fille voyait bien où elle avait voulu en venir. Bien sûr, ce trésor lui permettrait de partir pour la Mer Bleue mais elle n'avait jamais voulu descendre par ce biais là, pas en volant, pas en devenant une criminelle... La fin ne justifiait pas toujours les moyens.
          Sedna se retourna vivement, entendant des bruits de pas dans son dos. Elle se maudit de pas avoir son arc a porté de main –celui-ci gisait près du premier sac, la shandienne l’avait retiré pour ne pas s’encombrer, mais surtout pour ne pas l’abimer-. Son boomerang ferait l’affaire. Enfin… Peut-être… Sur la défensive, elle détailla la silhouette, qui franchit le pas de la porte de la cuisine.
          Un ricanement retentit dans l’ombre, glaçant. La jeune femme reconnut immédiatement cette voix et le galbe de l’individu ne lui était pas non plus inconnu. La skypieenne se releva doucement et resserra sa prise sur son boomerang grave de ponéglyphes avant de relever la tête et de fixer les yeux de la chéfesse.

          Bonsoir, Manguelita.

          Ha ha ! Des formules de politesses ? Dis-moi, tu ne trouvais pas le sommeil ? lança la rousse en dardant un œil mauvais sur Seewish.

          Non… Pas vraiment, répondit sobrement-elle sobrement.

          La brune haussa les épaules d’un air décontracté mais une grande pression l’envahissait. Elle connaissait Mangue depuis longtemps, et jamais les deux femmes ne s’étaient entendues, que ce soit dans leur enfance ou maintenant. La situation avait même eu tendance à empirer, étant donne que Sedna s’était progressivement rapprochée de la grand-mère de la chéfesse, et ce même après son bannissement par sa propre petit fille. Cette dernière était finalement assez semblable à notre shandienne. Elles étaient toutes les deux impulsives, colériques et indéniablement fières de leurs origines shandiennes.

          Néanmoins, Manguelita méprisait ouvertement Sedna. Elle raillait ses origines angéliques, et sa grand-mère. Elle adorait lui rappeler ses origines impures, et les clamer a qui voulait bien l’entendre. Mangue se sentait bien supérieure, avec ses origines pures et garanties, et son rôle de commandement au sein de la PESTE. Pour elle, Seewish était une vermine, incommodante de temps en temps, mais très amusante à martyriser. Il y avait bien une chose qui l’énervait particulièrement, c’était la relation qu’elle avait construit avec Grand-Mère Mangrove. Oui, elle l’avait bannie mais Mangue avait toujours aime la vieille, ses réalisations et son caractère farouche, dont elle avait en quelques sortes hérité. Et c’était la fausse shandienne qui profitait de ses traits d’humour et de ses attentions. C’était rabaissant.

          Sedna sentit l’énervement monter chez sa chéfesse. Elle avait envie de hurler devant le manque de respect évident de Manguelita à son encontre. Cette fille l’avait toujours ridiculisée et rabaissée. Elle se jouait d’elle avec délice. Si la jeune femme n’était pas particulièrement émotive, les affrontements avec la rousse s’achevaient toujours par sa défaite. Et c’était épuisant. Et frustrant. Lassant. Décourageant. Notre brune s’entrainait depuis longtemps, mais face à cette poissarde elle n’avait jamais fait le poids. La grande différence entre elles résidait dans le combat au corps à corps, que l’une maitrisait et que l’autre résumait au fait de mettre un coup de poing. Oh, bien sûr Sedna s’était entrainée aux duels depuis leur dernier affrontement – qui avait été, il fallait bien l’admettre, très court-.

          La shandienne vit le visage de Manguelita s’étirer d’un sourire de loup et frissonna. La dernière raclée que lui avait mise cette catin avait laissé en elle un souvenir particulièrement perçant.

          Dis-moi, Angeline, tu fais des provisions pour l’hiver ? lança la rousse d’un ton carnassier.
            La mention de son deuxième suffit à hérisser Sedna qui adopta instinctivement une posture défensive. Ses lèvres se retroussèrent, dévoilant des dents luisantes. Elle n’avait pas besoin de suivre le regard de Manguelita pour savoir que cette dernière parlait des trois sacs amasses derrière elle. Des sacs emplis de trésors. Il était vrai que la situation portait à confusion, et même la brune avait été déboussolée par son propre comportement. De nuit, sur un bateau qui venait tout juste d’émerger sur la Mer Blanche Blanche, une fille rassemblait une fortune. Oh, ce n’était en plus pas n’importe quelle fille mais une semi ange (enfin un quart, mais tout le monde murmurait semi dans son dos, alors pour ce que ça changeait…), membre à temps partiel de la PESTE uniquement parce qu’une bannie avait particulièrement insisté.

            Non, la jeune femme n’avait pas particulièrement bonne réputation. Elle le savait mais ne faisait rien pour l’améliorer. Elle restait elle-même, brute de pomme, dans toutes les circonstances. Elle s’emportait souvent, n’avait pas énormément d’amis et exécrerait les fêtes ou sa grand-mère ange cherchait toujours à la trainer. Sedna était plutôt sauvage. Sauf que cette fois, il n’y avait pas que les racontars et les on-dit qui jouaient contre elle, mais aussi les apparences, ou plutôt le cours des évènements. Depuis le temps que Mangue cherchait à la virer, elle avait sans doute trouve la faille…

            Si la skypieenne n’était pas fière de ce qu’elle avait éventuellement projeté de faire – à savoir, voler des trésors pour partir sur les Mers Bleues-, il était hors de question qu’elle montre le moindre remords face à cette fille. Jamais. La moindre de ses faiblesses serait utilisée par la Mangue pour la trainer plus bas que les nuages. Bluffer ou dire la vérité et essayer de s’échapper, les deux options semblaient valables. A première vue. Parce que filer à la Révo’, face à la chéfesse, c’était pas vraiment possible. Cette dernière possédait de très bonnes capacités à la course, qu’étaient loin d’égaler Seewish. Jamais elle n’aurait la possibilité de rejoindre son waver pour fuir à fond la caisse. Pas avec les sacs en tout cas. Et si elle partait sans les sacs, elle ne pourrait pas descendre sur les Mers Bleues.

            En réalité, à partir du moment où Manguelita l’avait appelé « Angeline », l’issue de la discussion avait été scellée. Personne n’avait le droit de la nommer ainsi depuis qu’elle l’avait décrété, vers l’âge de cinq ans.

            He bien… C’est ce qu’on peut effectivement conclure, non ? répondit Sedna après avoir longuement réfléchit et jauge son adversaire.

            C’est bien, au moins tu assumes, siffla la Mangue. Je t’assure que tu vas passer un sal quart d’heure. Je crois que je vais très bien dormir, après t’avoir refait le portrait. Oh, ne t’en fait pas, consciente ou pas on viendra te chercher demain matin, et ensuite tu auras le droit à ton procès. Crois-tu que tu seras emprisonnée ou bannie ? Tiens, remarque, j’ai bien envie de rendre un jugement public… Ca mettra plus de temps à organiser, mais ça en vaudra la peine, non ? Tu apportes la honte sur tes parents et sur la bannie qui t’as tellement soutenue ! J’adore les scenarios dramatiques. Crois-tu que Mangrove essayera de venir te délivrer ? On devra peut-être l’emprisonner elle aussi… Oh… Mais dis-moi, ne deviendrais-tu pas rouge, An-ge-li-ne ? S’amusa la rousse en détachant bien chaque syllabe.

            Sedna, en effet, avait changé quelque peu de couleurs. Le monologue et les réflexions de la chéfesse l’avait assailli et retourne l’estomac. Effectivement, ses actes n’affectaient pas qu’elle. Elle avait certes très peu d’amis ou même de connaissances, mais sa famille, elle, serait affectée. La shandienne n’avait pas le choix. Cette fois, il faudrait qu’elle batte son ennemi. La configuration de la pièce lui donnait plutôt l’avantage pour le moment, car Mangue ne pouvait pas l’atteindre directement, bloquée par le large plan de travail qui les séparait. Néanmoins, l’arc de la jeune femme ne lui serait pas d’un grand secours… Il fallait juste espérer que les leçons de combat qu’elle avait pris soient efficaces…
              La brune roula derrière un des sacs qu'elle avait préparé, et atteignit rapidement son arc, qu'elle prit en main. Piochant une flèche empennée de mauve dans son carquois. Elle retira rapidement le cache qui servait à protéger la pointe, recouverte d'un poison paralysant. Sedna doutait évidemment qu'elle ait un très grand effet sur Mangue, qui était d'une constitution très robuste. Elle encocha le trait puis sortit la tête du sac et visa son adversaire qui avait profité des secondes que la jeune femme avait prise pour s'armer afin de contourner l'îlot central de la cuisine. La rousse ricana alors que l'archère décochait la flèche qu'elle avait ajusté. Si cette dernière ne toucha pas la zone visée, c'est parce que Manguelita esquiva au dernier moment.

              Sedna pesta et laissa son arc à terre. L'espace était désormais trop restreint entre les deux combattantes pour que les tirs puissent être efficaces, et cette arme allait l'encombrer. C'était bien dommage, car c'était la compétence de combat la plus poussée de la guide de musée que Seewish était. La jeune femme lança son boomerang alors que la rousse franchissait les derniers mètres qui les séparaient puis sauta par dessus son sac afin que rien ne se trouve entre les deux adversaires. Mangue souriait toujours, tranquille et nonchalante. Elle balança un coup de poing sur le microbe qui lui faisait face. Ce dernier l'esquiva au dernier moment et traversa la pièce, replaçant le meuble central de la cuisine entre elles.

              Ha ha ha ! Explosa la cheffesse. Crois-tu pouvoir m'échapper en courant et en te cachant, comme une gamine?

              Le rire tonitruant explosa une nouvelle fois dans le navire échoué sur les nuages. Sedna frissonna. Elle avait été bien trop présomptueuse. Manguelita ne se battait même pas sérieusement, elle n'accélérait pas les choses et semblait se délecter de la situation. Un coup l'atteint au mollet alors qu'il n'y avait personne derrière elle. Elle tomba à terre et regarda l'objet qui l'avait touché. Son propre boomerang venait de revenir. Et l'avait frappé, elle. Seewish était misérable. Elle caressa les gravures de l'arme alors que des bruits de pas se rapprochaient vers la gauche, tranquilles.

              Bah alors, tu te fais mal toute seule petite? T'as même pas besoin de mon aide pour te mettre K.O. apparemment !


              La brune rampa à quatre pattes vers l'autre extrémité du comptoir. Sa jambe était toujours endolorie et tirait douloureusement. Elle s'adossa au meuble en soufflant lourdement. La peur, la douleur et ce sentiment de faiblesse la hantait. L'ombre de Mangue, portée par la lune qui rayonnait à l'extérieur, grandit petit à petit. Sedna remit se remit sur ses pieds et s'appuya au meuble pour se relever. Elle dégaina son pistolet à dial, qu'elle cacha derrière sa cuisse, prenant une pose contrainte et faible. La rousse la regarda d'un air narquois.

              Tu es pathétique. Je sais que tu n'es pas de taille, et tu le sais aussi. Ton arme ne te servira à rien me belle. Les anges ne se battent pas tu sais, tu es loin d'être une guerrière.

              Tu peux dire ce que tu veux, mais je suis une shandienne, cracha la jeune femme, qui même si elle ne se sentait pas à la hauteur, ne pouvait que se sentir rageuse face à sa vieille ennemie.

              La brune brandit ton pistolet et visa la rousse qui frappa d'un large coup de pied circulaire avant que Sedna ait pu appuyer sur la détente. L'arme vola et ricocha sur le sol en un bruit métallique. Une douleur vive éclata dans le poignet de Seewish qui grimaça sous le coup de la souffrance, elle releva la tête vers la cheffesse de la PESTE et eut juste le temps de voir son poing arriver. Cette fois-ci, ce fut comme si une bombe explosait. Sonnée, la jeune femme s'affala sur le comptoir, des étoiles pleins les yeux. Le coup l'avait touché en plein visage, et à travers sa souffrance elle se rendit compte qu'il y avait un problème. La guide avait déjà affronté cette fille, et avait déjà reçut de ses coups, mais elle n'avait jamais eu si peu mal en recevant une de ses beignes. C'était comme si...

              Sedna secoua la tête pour chasser les points noirs qui dansait devant ses yeux. Mangue semblait assez étonnée qu'elle ne soit pas plus sonnée que cela, et c'était logique. L'archère vit une minuscule égratignure à l'épaule de la cheffesse shandienne. Une égratignure qui avait été tracée par une flèche. Une flèche enrobée de poison paralysant. Qui ralentissait les mouvements de la rousse, ne fusse qu'un tout petit peu. A défaut d'une porte, une petit fenêtre apparut dans la brume. Un échappatoire, mince, mais bien présent...
                He bah, ça a du plus me fatiguer que je ne le croyais, de ne pas dormir cette nuit je veux dire. D’habitude quand je te fous une mandale tu bouges plus après haha ! Remarque, ça rend les choses plus intéressantes, je vais pouvoir t’en faire baver un peu plus. Et puis quand tu te réveilleras, et que t’auras déjà bien mal et des bleus partout, hé bah t’en auras le droit une deuxième couche. Et puis… Ouais, t’as capte le topo, je sais pas trop quand je m’arrêterai. De toute façon tu vas être emprisonnée et jugée, peu importe l’ordre puisque que tu es coupable, donc j’aurais tout le temps de te rendre visite. T’en dit quoi, Angeline ? Ça te semble un bon programme ?

                Les deux mains appuyées sur le comptoir, la tête de Sedna ne tournait quasiment plus. C’était un bon point. Au moins elle avait une chance d’esquiver, et qui sait, peut-être de s’enfuir avec cette esquive ? Oui Mangue était très rapide à la course mais ce n’était pas vraiment ce dont il était question ici. Pour sortir, il fallait escalader, sauter, se faufiler, et glisser entre de très nombreux obstacles. Et au-delà de ce parcours, il y avait un waver. Et personne ne pouvait rivaliser avec le waver de la guide de musée pour ce qui était de manœuvrer ce type d’engins. Donc… Si jamais la jeune femme atteignait sa coque de noix, c’était gagné. Bon, du coup ça c’était faisable. Il n’y avait plus qu’à gagner et à esquiver la rousse. Et tant qu’à faire, sans se prendre une dérouillée. Ouais, parce que bon, la rouille, le roux, le orange et tutti quanti, y’en avait ras le bol et la bolinette.

                L’archère se redressa, de toute la hauteur de son corps et de ses os – avec un peu de muscles dessus, quand même, ‘fallait pas abuser- et envoya un vieux glaviot sanglant tâter le bois du bateau. Elle se massa prudemment la mâchoire en gardant un œil sur la Mangue, qui de toute façon n’avait pas l’air bien pressée.

                Bah écoute non, ça m’arrange pas trop. Et puis tu sais, pour quelqu’un qui prétend rien n’avoir à foutre de moi, pire encore, me détester, je te trouve bien attentionnée. J’aurais la joie de tes visites régulières ? Mais dis-moi, c’est un honneur incommensurable ! Avoues, tu peux pas me quitter des yeux, je t’intéresse trop… Dis-moi, depuis quand t’es amoureuse ? J’aurais pu te rembarrer il y a longtemps et mettre fin à tes obsessions malsaines.

                La rousse devint rouge. L’ensemble créait un portrait peu plaisant, monochrome. Elle frappa si vite que Sedna n’eut pas le temps d’esquiver. Elle se servit au dernier moment de son bras droit comme d’un bouclier, mais le bouclier ne fut pas très efficace. La pression du coup écrasa l’avant-bras contre le nez de la jeune femme qui se mit à vomir des volutes de sang. Un craquement retentit dans le même temps. Une petite fracture, qui expliquait sans doute l’afflux rougeâtre à ses narines. C’était probablement une mauvaise idée d’avoir énervé son adversaire, mais la tentation avait été trop forte. Dommage…

                Un second coup explosa l’épaule de Sedna, une première fois, puis une seconde. Un craquement déplaisant se fit entendre, signe extérieur d’une souffrance interne. L’humérus venait de se détacher de l’omoplate, et les nerfs à vifs protestaient largement contre cette séparation brutale. Ce fut ensuite au tour de son ventre, et là, ce fut la débandade. La combattante recula de quelques pas et sentit une masse visqueuse remonter le long de son œsophage. Le contenu de son estomac se répandit sur le sol alors qu’un énième coup –de pied, cette fois- de la rousse la précipitait au sol. Sa tête heurta durement le plancher et la brune cligna des yeux pour ne pas perdre connaissance. Tétanisée par la douleur qui explosait, coup après coup, partout dans son corps, elle leva les yeux et vit le pied de son adversaire se précipiter vers son visage. Elle ferma les paupières alors que Manguelita effectuait un home run et l’envoyait très loin dans les limbes.