Le soleil se couche sur la ville de Manshon. Tout y est presque silencieux mais toujours des ombres furtives passent entre les différentes maisons et habitations. Un calme apparent règne. C’est juste une façade. Juste un moyen de masquer les tensions présentes au sein de l’île. Ici, le gouvernement mondial n’est pas chez lui, pas plus que les familles de mafiosos. Plus personne ne dirige vraiment.
À peine éclairée par les derniers rayons du soleil, une porte s’ouvre et laisse sortir un bonhomme tout à fait atypique, le genre grincheux et laid, pas bien haut, un mètre vingt à vue de nez. Il regarde à droite et à gauche, vérifiant que personne ne le voit et rejoint au plus vite une autre ouverture, à quelques pas de là. Il s’engouffre dans une autre baraque et la rue redevient vide, calme, très calme. Sans doute trop calme.
L’intérieur de la maison est lui aussi étrangement calme, assise sur un divan un peu rapiécé, une jeune femme brune semble songeuse, elle attend. Elle attend qu’on vienne lui apporter des nouvelles, bientôt elle pourra partir, quitter ce trou détestable où elle s’est enfermée il y a maintenant plus d’un an. Ce qui la retient ? La peur. La peur de se faire assassiner en posant un pied dans la rue, la peur que son plan qu’elle élabore depuis maintenant trois mois ne capote, la peur de cet enfer où elle s’est fourrée toute seule.
Le bonhomme qui vient d’entrer arrive à sa hauteur. La vue de ce dernier n’a pas l’air d’étonner la demoiselle. Elle se relève, quittant sa position avachie et demande les nouvelles. Le nain marmonne quelques mots dans sa barbe, ça n’a pas l’air de l’enchanter.
« Katrina ? Intervient une voix qui semble venir de l’étage.
-Oui ?
-Qui est-ce ?
-C’est K, ne t’en fais pas, vas te recoucher, les nouvelles sont bonnes. »
Un soupçon de mensonge quand on veut se laisser le temps de réfléchir, c’est toujours mieux que rien. Le nabot la regarde avec impatience, il veut sa réponse. Elle le sait. Mais quoi lui dire ? Tout doit être en place pour le surlendemain et il y a un caillou dans l’engrenage. Il va falloir aller vérifier ça par elle-même. Katrina se lève, murmure quelque chose à l’attention du nain barbu et file chercher une longue cape grise accrochée à une patère dans l’entrée. Si ce qu’elle compte faire ce soir échoue, c’en est fini de ses plans d’évasion.
***
À quelques encablures de là, dans un hôtel miteux, une clope à la bouche, allongé sur un matelas moisi, j’regarde le plafond avec un intérêt certain. J’sais pas du tout c’que j’fous ici. J’suis sans doute puni. Toutes mes missions on été dernièrement des échecs. Enfin, qu’ils disent. Depuis Inari, j’ai pas vraiment fait de grosses conneries. J’suis ici incognito, personne ne sait que l’lieutenant d’élite Alexandre Kosma est ici, pas même la haute autorité de la Marine qui gère l’île. Enfin, qui gère l’île… Qui évite que quelques familles pas très bien vues ne reprennent totalement le contrôle de ce foutoir.
Selon mes instructions, j’dois intercepter une certaine Katrina Demetov, le genre de gros bonnet de la mafia locale, qui chercherait à s’éclipser au vu et au su de tous fort prochainement. De la mission pour un cipher pol, pas du tout ma tasse de thé. Le problème, c’est que je sais pas du tout par où commencer, ni par où finir en fait. Personne n’a pu me dire à quoi ressemblait cette jeune femme et s’il s’était agi d’une beauté remarquable, ça m’aurait sans doute aidé à me concentrer. Bien entendu, l’objectif était de la mettre derrière les barreaux, mais une fois attrapée j’aurais sans doute un peu de temps avant de la remettre aux autorités.
Bon, c’est pas en restant affalé ici que j’vais avancer. J’me lève et j’vais regarder par la fenêtre. Personne. Depuis trois jours que j’suis arrivé ici, les rues sont pas bien animées. Chouette ville. On dirait un terrain de jeu de deux puissances ennemies, une sorte de guerre froide où personne n’attaque de peur de se faire dézinguer par l’autre. Ou pour d’autres raisons que j’comprends pas bien.
J’enfile mon pardessus et j’descends. Je jette un coup d’œil au maître d’hôtel, il pionce sur son comptoir. Sans doute pas moyen d’obtenir la moindre information de sa part. Le mieux serait de trouver des petits pubs obscurs, c’est généralement là-bas qu’on en apprend le plus. J’fais attention à pas réveiller le gonze et j’file à l’anglaise, en rasant les murs. Plus j’avance et plus la luminosité baisse. La nuit arrive vite, l’activité devrait pas tarder à se lancer. Les petites magouilles qui subsistent se font après le coucher du soleil, moins de chance de se faire pincer.
J’me planque dans un recoin sombre, me suffit d’attendre que quelqu’un de suffisamment louche passe et je pourrai le suivre. Ensuite, s’intégrer au genre d’endroit qu’il fréquente devrait pas être trop compliqué. J’ai la parlote facile, une chance. Pour ça qu’on me confie ce genre de coup.
***
Katrina se faufile dans les rues, faisant bien attention à n’être repérée par personne. Derrière son apparente assurance, elle retourne tout dans sa tête et se demande comment elle en est arrivée là. C’était une bêtise de venir ici, mais c’était surtout une connerie de ne pas en repartir quand elle en avait eu l’occasion. Désormais, elle était surveillée, elle le savait. Par la mafia d’un côté et par la Marine de l’autre. Coincée dans un étau, c’est pas joli.
Elle s’engouffre dans une nouvelle ruelle, fait demi-tour pour vérifier que personne ne la suit et finit par franchir une porte un peu cachée dans l’obscurité des lieux. Un des seuls endroits sûrs qu’elle connaisse. Il faut qu’elle puisse appeler son contact. Elle avise la cave à vin dans laquelle elle se trouve, repère quelque chose au fond et s’en approche.
« Le mot de passe ? Lui lance une voix rauque alors qu’elle frappe plusieurs fois sur un des tonneaux de vin situés le plus loin de l’entrée.
-Princesse, souffle-t-elle dans un murmure. »
Le tonneau s’ouvre alors comme une petite porte et elle se penche pour rentrer à la suite du vigile qui garde l’entrée. Celui-ci la laisse passer et va refermer la porte. De l’autre côté du tonneau, une petite pièce souterraine où trois personnes en plus de l’homme à l’entrée sont présentes. L’endroit est assez exigu et ne possède pour tout mobilier qu’une petite table où trônent deux escargophones endormis.
« On a un problème. L’homme qui devait nous faire embarquer a été tué. K a eu l’information en traînant non loin des entrepôts.
-Et il est où en ce moment le minus ? Grogne une femme d’une trentaine d’années, usée par le confinement. J’en peux plus de moisir ici, faut vraiment faire quelque chose.
-Je sais bien, répond Katrina. Je suis autant prisonnière que vous. Mais la liaison avec l’extérieur est mauvaise et on ne peut avancer qu’à tâtons. K est reparti fouiner. Il doit essayer de contacter le nouveau contremaître du bateau en se faisant discret. Il se peut que le gars en question ait été engagé par des gens qui cherchent à nous nuire.
-À te nuire tu veux dire ? »
L’homme qui a dit ça se tient dans un coin de la pièce. Il a l’air moins abîmé que les deux autres. Il est là depuis moins longtemps. Il ne connaît pas encore bien les bonnes manières. Un regard haineux de la Demetov le remet à sa place.
« Si on ne se serre pas les coudes, on n’arrivera à rien, reprit Katrina sur un ton un peu plus sec. Vous savez très bien que sans moi, vous seriez certainement déjà pendus à une corde. J’aurais pu vous laisser quand j’en ai eu l’occasion mais je tenais à vous emmener avec moi. Quoi qu’il en soit le plan est maintenu, nous partons après demain. Plus nous tardons, plus nous diminuons nos chances. Les risques sont grands mais ça vaut la peine de tenter. Sinon on finira notre vie dans cette cave à boire des litres de vin pour oublier notre condition. »
Sur ces paroles, les trois autres la regardent, un soupçon de pitié brille dans l’œil de Katrina, mais elle se ressaisit rapidement et son regard redevient froid et distant. Tant qu’ils pensent qu’elle peut les abandonner au moindre écart, ils se tiendront tranquilles. Du moins tant qu’ils soupçonnent avoir la moindre chance de sortir de là sans mourir.
***
Déjà vingt bonnes minutes que j’attends dans mon coin que quelqu’un veuille bien pointer le bout de son museau, mais non, personne ne passe. Bizarre. J’me roule une clope. Je sais que c’est pas l’idéal pour une planque, mais faut que j’fume, ça me détendra. Une taffe, deux taffes, et ça va un peu mieux. J’laisse doucement ma tige s’éteindre au coin de ma bouche. Et c’est à ce moment là que j’repère un mouvement de l’autre côté de la rue. Une petite forme noire se faufile dans l’obscurité. J’attends quelques secondes avant de m’élancer dans la direction prise par le type. J’le rattrape rapidement, l’est pas bien véloce le bougre. Cela dit, j’ai tout juste le temps de voir le bâtiment dans lequel il est entré.
J’attends encore un peu et je m’approche de la porte, j’colle mon oreille dessus et j’entends quelques murmures sourds. Y a un peu de monde à l’intérieur. J’vais jouer au bluff. Je patiente encore plusieurs minutes et j’entre, avec un calme et une détermination qui vont bien.
C’est une petite taverne, tout ce qu’il pourrait y avoir de plus normal s’il n’y avait pas ce silence. Ils vivent dans la clandestinité. Rares sont les commerces autorisés à ouvrir au grand jour désormais par ici. Le gars derrière le bar lève un sourcil pour voir qui est entré, mais n’a pas l’air bien étonné de ne pas reconnaître ma tronche. Il doit voir passer du monde. Je m’avance jusqu’au comptoir et j’commande une bière. J’y plonge doucement mes lèvres, ça aurait pu être pire niveau goût. Puis j’vais poser mon cul à une table, en silence. À côté de moi, des gars jouent au poker dans un calme dérangeant. J’les regarde du coin de l’œil tout en sirotant ma bière à petites lampées.
« Tu veux te joindre ? Me demande un des gars dans un murmure.
-Pourquoi pas, fait longtemps que j’ai pas touché aux cartes.
-Fais gaffe à ton porte-monnaie dans ce cas, y en a plus d’un qu’a fini plumé, ricane un second.
-Je m’en fais pas trop à ce niveau-là, je m’arrêterai avant d’avoir plus un sou. »
La partie commence, rien de bien palpitant. J’sens que j’suis sur une piste qui va pas m’aider beaucoup, ça cause très peu, et essentiellement sur le jeu. J’remporte une mise pour cinq de perdues, j’fais gaffe aux sous que j’refile. Ces gars-là sont doués, ils doivent jouer souvent. Peut-être pas grand-chose d’autre à faire. J’recommande plusieurs pintes et la partie continue, longtemps, très longtemps, rien d’intéressant ne se passe a priori. Au bout d’un moment, convaincu que j’vais pas en apprendre davantage et ayant épuisé plus de la moitié l’argent que j’avais sur moi, j’me lève de table, salue mes adversaires qui m’adressent un sourire fatigué. Ils s’en foutent de m’avoir battu, l’argent doit plus trop leur servir en ce moment, si ce n’est pour se racheter des consos et continuer à faire semblant de jouer pour quelque chose.
Au moment où j’remet mon pardessus sur mes épaules, le petit nabot que j’avais tout d’abord suivi pour entrer ici reparaît de l’arrière boutique. Je l’avais presque oublié celui-là. Ça doit pas être facile pour un nain de vivre ici. J’lui adresse un sourire de sympathie et il me renvoie un regard noir, plein de haine et de reproche. Il a l’air de m’en vouloir personnellement d’être né petit.
« Hé K, t’oublies le message pour ta maîtresse.
-C’est pas ma maîtresse triple buse. »
Le nabot répond au nom de K. Et il est sous les ordres d’une femme ? Intéressant. Il prend le papier que lui tend le barman avant de filer vers la sortie. J’vais payer mes consommations et je lui emboîte le pas. Mon enquête avance.
Ceci dit, à peine sorti, j’ai perdu mon nain de vue, ça va pas être si facile que ça.
À peine éclairée par les derniers rayons du soleil, une porte s’ouvre et laisse sortir un bonhomme tout à fait atypique, le genre grincheux et laid, pas bien haut, un mètre vingt à vue de nez. Il regarde à droite et à gauche, vérifiant que personne ne le voit et rejoint au plus vite une autre ouverture, à quelques pas de là. Il s’engouffre dans une autre baraque et la rue redevient vide, calme, très calme. Sans doute trop calme.
L’intérieur de la maison est lui aussi étrangement calme, assise sur un divan un peu rapiécé, une jeune femme brune semble songeuse, elle attend. Elle attend qu’on vienne lui apporter des nouvelles, bientôt elle pourra partir, quitter ce trou détestable où elle s’est enfermée il y a maintenant plus d’un an. Ce qui la retient ? La peur. La peur de se faire assassiner en posant un pied dans la rue, la peur que son plan qu’elle élabore depuis maintenant trois mois ne capote, la peur de cet enfer où elle s’est fourrée toute seule.
Le bonhomme qui vient d’entrer arrive à sa hauteur. La vue de ce dernier n’a pas l’air d’étonner la demoiselle. Elle se relève, quittant sa position avachie et demande les nouvelles. Le nain marmonne quelques mots dans sa barbe, ça n’a pas l’air de l’enchanter.
« Katrina ? Intervient une voix qui semble venir de l’étage.
-Oui ?
-Qui est-ce ?
-C’est K, ne t’en fais pas, vas te recoucher, les nouvelles sont bonnes. »
Un soupçon de mensonge quand on veut se laisser le temps de réfléchir, c’est toujours mieux que rien. Le nabot la regarde avec impatience, il veut sa réponse. Elle le sait. Mais quoi lui dire ? Tout doit être en place pour le surlendemain et il y a un caillou dans l’engrenage. Il va falloir aller vérifier ça par elle-même. Katrina se lève, murmure quelque chose à l’attention du nain barbu et file chercher une longue cape grise accrochée à une patère dans l’entrée. Si ce qu’elle compte faire ce soir échoue, c’en est fini de ses plans d’évasion.
***
À quelques encablures de là, dans un hôtel miteux, une clope à la bouche, allongé sur un matelas moisi, j’regarde le plafond avec un intérêt certain. J’sais pas du tout c’que j’fous ici. J’suis sans doute puni. Toutes mes missions on été dernièrement des échecs. Enfin, qu’ils disent. Depuis Inari, j’ai pas vraiment fait de grosses conneries. J’suis ici incognito, personne ne sait que l’lieutenant d’élite Alexandre Kosma est ici, pas même la haute autorité de la Marine qui gère l’île. Enfin, qui gère l’île… Qui évite que quelques familles pas très bien vues ne reprennent totalement le contrôle de ce foutoir.
Selon mes instructions, j’dois intercepter une certaine Katrina Demetov, le genre de gros bonnet de la mafia locale, qui chercherait à s’éclipser au vu et au su de tous fort prochainement. De la mission pour un cipher pol, pas du tout ma tasse de thé. Le problème, c’est que je sais pas du tout par où commencer, ni par où finir en fait. Personne n’a pu me dire à quoi ressemblait cette jeune femme et s’il s’était agi d’une beauté remarquable, ça m’aurait sans doute aidé à me concentrer. Bien entendu, l’objectif était de la mettre derrière les barreaux, mais une fois attrapée j’aurais sans doute un peu de temps avant de la remettre aux autorités.
Bon, c’est pas en restant affalé ici que j’vais avancer. J’me lève et j’vais regarder par la fenêtre. Personne. Depuis trois jours que j’suis arrivé ici, les rues sont pas bien animées. Chouette ville. On dirait un terrain de jeu de deux puissances ennemies, une sorte de guerre froide où personne n’attaque de peur de se faire dézinguer par l’autre. Ou pour d’autres raisons que j’comprends pas bien.
J’enfile mon pardessus et j’descends. Je jette un coup d’œil au maître d’hôtel, il pionce sur son comptoir. Sans doute pas moyen d’obtenir la moindre information de sa part. Le mieux serait de trouver des petits pubs obscurs, c’est généralement là-bas qu’on en apprend le plus. J’fais attention à pas réveiller le gonze et j’file à l’anglaise, en rasant les murs. Plus j’avance et plus la luminosité baisse. La nuit arrive vite, l’activité devrait pas tarder à se lancer. Les petites magouilles qui subsistent se font après le coucher du soleil, moins de chance de se faire pincer.
J’me planque dans un recoin sombre, me suffit d’attendre que quelqu’un de suffisamment louche passe et je pourrai le suivre. Ensuite, s’intégrer au genre d’endroit qu’il fréquente devrait pas être trop compliqué. J’ai la parlote facile, une chance. Pour ça qu’on me confie ce genre de coup.
***
Katrina se faufile dans les rues, faisant bien attention à n’être repérée par personne. Derrière son apparente assurance, elle retourne tout dans sa tête et se demande comment elle en est arrivée là. C’était une bêtise de venir ici, mais c’était surtout une connerie de ne pas en repartir quand elle en avait eu l’occasion. Désormais, elle était surveillée, elle le savait. Par la mafia d’un côté et par la Marine de l’autre. Coincée dans un étau, c’est pas joli.
Elle s’engouffre dans une nouvelle ruelle, fait demi-tour pour vérifier que personne ne la suit et finit par franchir une porte un peu cachée dans l’obscurité des lieux. Un des seuls endroits sûrs qu’elle connaisse. Il faut qu’elle puisse appeler son contact. Elle avise la cave à vin dans laquelle elle se trouve, repère quelque chose au fond et s’en approche.
« Le mot de passe ? Lui lance une voix rauque alors qu’elle frappe plusieurs fois sur un des tonneaux de vin situés le plus loin de l’entrée.
-Princesse, souffle-t-elle dans un murmure. »
Le tonneau s’ouvre alors comme une petite porte et elle se penche pour rentrer à la suite du vigile qui garde l’entrée. Celui-ci la laisse passer et va refermer la porte. De l’autre côté du tonneau, une petite pièce souterraine où trois personnes en plus de l’homme à l’entrée sont présentes. L’endroit est assez exigu et ne possède pour tout mobilier qu’une petite table où trônent deux escargophones endormis.
« On a un problème. L’homme qui devait nous faire embarquer a été tué. K a eu l’information en traînant non loin des entrepôts.
-Et il est où en ce moment le minus ? Grogne une femme d’une trentaine d’années, usée par le confinement. J’en peux plus de moisir ici, faut vraiment faire quelque chose.
-Je sais bien, répond Katrina. Je suis autant prisonnière que vous. Mais la liaison avec l’extérieur est mauvaise et on ne peut avancer qu’à tâtons. K est reparti fouiner. Il doit essayer de contacter le nouveau contremaître du bateau en se faisant discret. Il se peut que le gars en question ait été engagé par des gens qui cherchent à nous nuire.
-À te nuire tu veux dire ? »
L’homme qui a dit ça se tient dans un coin de la pièce. Il a l’air moins abîmé que les deux autres. Il est là depuis moins longtemps. Il ne connaît pas encore bien les bonnes manières. Un regard haineux de la Demetov le remet à sa place.
« Si on ne se serre pas les coudes, on n’arrivera à rien, reprit Katrina sur un ton un peu plus sec. Vous savez très bien que sans moi, vous seriez certainement déjà pendus à une corde. J’aurais pu vous laisser quand j’en ai eu l’occasion mais je tenais à vous emmener avec moi. Quoi qu’il en soit le plan est maintenu, nous partons après demain. Plus nous tardons, plus nous diminuons nos chances. Les risques sont grands mais ça vaut la peine de tenter. Sinon on finira notre vie dans cette cave à boire des litres de vin pour oublier notre condition. »
Sur ces paroles, les trois autres la regardent, un soupçon de pitié brille dans l’œil de Katrina, mais elle se ressaisit rapidement et son regard redevient froid et distant. Tant qu’ils pensent qu’elle peut les abandonner au moindre écart, ils se tiendront tranquilles. Du moins tant qu’ils soupçonnent avoir la moindre chance de sortir de là sans mourir.
***
Déjà vingt bonnes minutes que j’attends dans mon coin que quelqu’un veuille bien pointer le bout de son museau, mais non, personne ne passe. Bizarre. J’me roule une clope. Je sais que c’est pas l’idéal pour une planque, mais faut que j’fume, ça me détendra. Une taffe, deux taffes, et ça va un peu mieux. J’laisse doucement ma tige s’éteindre au coin de ma bouche. Et c’est à ce moment là que j’repère un mouvement de l’autre côté de la rue. Une petite forme noire se faufile dans l’obscurité. J’attends quelques secondes avant de m’élancer dans la direction prise par le type. J’le rattrape rapidement, l’est pas bien véloce le bougre. Cela dit, j’ai tout juste le temps de voir le bâtiment dans lequel il est entré.
J’attends encore un peu et je m’approche de la porte, j’colle mon oreille dessus et j’entends quelques murmures sourds. Y a un peu de monde à l’intérieur. J’vais jouer au bluff. Je patiente encore plusieurs minutes et j’entre, avec un calme et une détermination qui vont bien.
C’est une petite taverne, tout ce qu’il pourrait y avoir de plus normal s’il n’y avait pas ce silence. Ils vivent dans la clandestinité. Rares sont les commerces autorisés à ouvrir au grand jour désormais par ici. Le gars derrière le bar lève un sourcil pour voir qui est entré, mais n’a pas l’air bien étonné de ne pas reconnaître ma tronche. Il doit voir passer du monde. Je m’avance jusqu’au comptoir et j’commande une bière. J’y plonge doucement mes lèvres, ça aurait pu être pire niveau goût. Puis j’vais poser mon cul à une table, en silence. À côté de moi, des gars jouent au poker dans un calme dérangeant. J’les regarde du coin de l’œil tout en sirotant ma bière à petites lampées.
« Tu veux te joindre ? Me demande un des gars dans un murmure.
-Pourquoi pas, fait longtemps que j’ai pas touché aux cartes.
-Fais gaffe à ton porte-monnaie dans ce cas, y en a plus d’un qu’a fini plumé, ricane un second.
-Je m’en fais pas trop à ce niveau-là, je m’arrêterai avant d’avoir plus un sou. »
La partie commence, rien de bien palpitant. J’sens que j’suis sur une piste qui va pas m’aider beaucoup, ça cause très peu, et essentiellement sur le jeu. J’remporte une mise pour cinq de perdues, j’fais gaffe aux sous que j’refile. Ces gars-là sont doués, ils doivent jouer souvent. Peut-être pas grand-chose d’autre à faire. J’recommande plusieurs pintes et la partie continue, longtemps, très longtemps, rien d’intéressant ne se passe a priori. Au bout d’un moment, convaincu que j’vais pas en apprendre davantage et ayant épuisé plus de la moitié l’argent que j’avais sur moi, j’me lève de table, salue mes adversaires qui m’adressent un sourire fatigué. Ils s’en foutent de m’avoir battu, l’argent doit plus trop leur servir en ce moment, si ce n’est pour se racheter des consos et continuer à faire semblant de jouer pour quelque chose.
Au moment où j’remet mon pardessus sur mes épaules, le petit nabot que j’avais tout d’abord suivi pour entrer ici reparaît de l’arrière boutique. Je l’avais presque oublié celui-là. Ça doit pas être facile pour un nain de vivre ici. J’lui adresse un sourire de sympathie et il me renvoie un regard noir, plein de haine et de reproche. Il a l’air de m’en vouloir personnellement d’être né petit.
« Hé K, t’oublies le message pour ta maîtresse.
-C’est pas ma maîtresse triple buse. »
Le nabot répond au nom de K. Et il est sous les ordres d’une femme ? Intéressant. Il prend le papier que lui tend le barman avant de filer vers la sortie. J’vais payer mes consommations et je lui emboîte le pas. Mon enquête avance.
Ceci dit, à peine sorti, j’ai perdu mon nain de vue, ça va pas être si facile que ça.
Dernière édition par Alexandre Kosma le Mar 6 Juin 2017 - 14:04, édité 1 fois