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Entre deux fronts

Le soleil se couche sur la ville de Manshon. Tout y est presque silencieux mais toujours des ombres furtives passent entre les différentes maisons et habitations. Un calme apparent règne. C’est juste une façade. Juste un moyen de masquer les tensions présentes au sein de l’île. Ici, le gouvernement mondial n’est pas chez lui, pas plus que les familles de mafiosos. Plus personne ne dirige vraiment.

À peine éclairée par les derniers rayons du soleil, une porte s’ouvre et laisse sortir un bonhomme tout à fait atypique, le genre grincheux et laid, pas bien haut, un mètre vingt à vue de nez. Il regarde à droite et à gauche, vérifiant que personne ne le voit et rejoint au plus vite une autre ouverture, à quelques pas de là. Il s’engouffre dans une autre baraque et la rue redevient vide, calme, très calme. Sans doute trop calme.

L’intérieur de la maison est lui aussi étrangement calme, assise sur un divan un peu rapiécé, une jeune femme brune semble songeuse, elle attend. Elle attend qu’on vienne lui apporter des nouvelles, bientôt elle pourra partir, quitter ce trou détestable où elle s’est enfermée il y a maintenant plus d’un an. Ce qui la retient ? La peur. La peur de se faire assassiner en posant un pied dans la rue, la peur que son plan qu’elle élabore depuis maintenant trois mois ne capote, la peur de cet enfer où elle s’est fourrée toute seule.

Le bonhomme qui vient d’entrer arrive à sa hauteur. La vue de ce dernier n’a pas l’air d’étonner la demoiselle. Elle se relève, quittant sa position avachie et demande les nouvelles. Le nain marmonne quelques mots dans sa barbe, ça n’a pas l’air de l’enchanter.

« Katrina ? Intervient une voix qui semble venir de l’étage.
-Oui ?
-Qui est-ce ?
-C’est K, ne t’en fais pas, vas te recoucher, les nouvelles sont bonnes. »

Un soupçon de mensonge quand on veut se laisser le temps de réfléchir, c’est toujours mieux que rien. Le nabot la regarde avec impatience, il veut sa réponse. Elle le sait. Mais quoi lui dire ? Tout doit être en place pour le surlendemain et il y a un caillou dans l’engrenage. Il va falloir aller vérifier ça par elle-même. Katrina se lève, murmure quelque chose à l’attention du nain barbu et file chercher une longue cape grise accrochée à une patère dans l’entrée. Si ce qu’elle compte faire ce soir échoue, c’en est fini de ses plans d’évasion.

***

À quelques encablures de là, dans un hôtel miteux, une clope à la bouche, allongé sur un matelas moisi, j’regarde le plafond avec un intérêt certain. J’sais pas du tout c’que j’fous ici. J’suis sans doute puni. Toutes mes missions on été dernièrement des échecs. Enfin, qu’ils disent. Depuis Inari, j’ai pas vraiment fait de grosses conneries. J’suis ici incognito, personne ne sait que l’lieutenant d’élite Alexandre Kosma est ici, pas même la haute autorité de la Marine qui gère l’île. Enfin, qui gère l’île… Qui évite que quelques familles pas très bien vues ne reprennent totalement le contrôle de ce foutoir.

Selon mes instructions, j’dois intercepter une certaine Katrina Demetov, le genre de gros bonnet de la mafia locale, qui chercherait à s’éclipser au vu et au su de tous fort prochainement. De la mission pour un cipher pol, pas du tout ma tasse de thé. Le problème, c’est que je sais pas du tout par où commencer, ni par où finir en fait. Personne n’a pu me dire à quoi ressemblait cette jeune femme et s’il s’était agi d’une beauté remarquable, ça m’aurait sans doute aidé à me concentrer. Bien entendu, l’objectif était de la mettre derrière les barreaux, mais une fois attrapée j’aurais sans doute un peu de temps avant de la remettre aux autorités.

Bon, c’est pas en restant affalé ici que j’vais avancer. J’me lève et j’vais regarder par la fenêtre. Personne. Depuis trois jours que j’suis arrivé ici, les rues sont pas bien animées. Chouette ville. On dirait un terrain de jeu de deux puissances ennemies, une sorte de guerre froide où personne n’attaque de peur de se faire dézinguer par l’autre. Ou pour d’autres raisons que j’comprends pas bien.

J’enfile mon pardessus et j’descends. Je jette un coup d’œil au maître d’hôtel, il pionce sur son comptoir. Sans doute pas moyen d’obtenir la moindre information de sa part. Le mieux serait de trouver des petits pubs obscurs, c’est généralement là-bas qu’on en apprend le plus. J’fais attention à pas réveiller le gonze et j’file à l’anglaise, en rasant les murs. Plus j’avance et plus la luminosité baisse. La nuit arrive vite, l’activité devrait pas tarder à se lancer. Les petites magouilles qui subsistent se font après le coucher du soleil, moins de chance de se faire pincer.

J’me planque dans un recoin sombre, me suffit d’attendre que quelqu’un de suffisamment louche passe et je pourrai le suivre. Ensuite, s’intégrer au genre d’endroit qu’il fréquente devrait pas être trop compliqué. J’ai la parlote facile, une chance. Pour ça qu’on me confie ce genre de coup.

***

Katrina se faufile dans les rues, faisant bien attention à n’être repérée par personne. Derrière son apparente assurance, elle retourne tout dans sa tête et se demande comment elle en est arrivée là. C’était une bêtise de venir ici, mais c’était surtout une connerie de ne pas en repartir quand elle en avait eu l’occasion. Désormais, elle était surveillée, elle le savait. Par la mafia d’un côté et par la Marine de l’autre. Coincée dans un étau, c’est pas joli.

Elle s’engouffre dans une nouvelle ruelle, fait demi-tour pour vérifier que personne ne la suit et finit  par franchir une porte un peu cachée dans l’obscurité des lieux. Un des seuls endroits sûrs qu’elle connaisse. Il faut qu’elle puisse appeler son contact. Elle avise la cave à vin dans laquelle elle se trouve, repère quelque chose au fond et s’en approche.

« Le mot de passe ? Lui lance une voix rauque alors qu’elle frappe plusieurs fois sur un des tonneaux de vin situés le plus loin de l’entrée.
-Princesse, souffle-t-elle dans un murmure. »

Le tonneau s’ouvre alors comme une petite porte et elle se penche pour rentrer à la suite du vigile qui garde l’entrée. Celui-ci la laisse passer et va refermer la porte. De l’autre côté du tonneau, une petite pièce souterraine où trois personnes en plus de l’homme à l’entrée sont présentes. L’endroit est assez exigu et ne possède pour tout mobilier qu’une petite table où trônent deux escargophones endormis.

« On a un problème. L’homme qui devait nous faire embarquer a été tué. K a eu l’information en traînant non loin des entrepôts.
-Et il est où en ce moment le minus ? Grogne une femme d’une trentaine d’années, usée par le confinement. J’en peux plus de moisir ici, faut vraiment faire quelque chose.
-Je sais bien, répond Katrina. Je suis autant prisonnière que vous. Mais la liaison avec l’extérieur est mauvaise et on ne peut avancer qu’à tâtons. K est reparti fouiner. Il doit essayer de contacter le nouveau contremaître du bateau en se faisant discret. Il se peut que le gars en question ait été engagé par des gens qui cherchent à nous nuire.
-À te nuire tu veux dire ? »

L’homme qui a dit ça se tient dans un coin de la pièce. Il a l’air moins abîmé que les deux autres. Il est là depuis moins longtemps. Il ne connaît pas encore bien les bonnes manières. Un regard haineux de la Demetov le remet à sa place.

« Si on ne se serre pas les coudes, on n’arrivera à rien, reprit Katrina sur un ton un peu plus sec. Vous savez très bien que sans moi, vous seriez certainement déjà pendus à une corde. J’aurais pu vous laisser quand j’en ai eu l’occasion mais je tenais à vous emmener avec moi. Quoi qu’il en soit le plan est maintenu, nous partons après demain. Plus nous tardons, plus nous diminuons nos chances. Les risques sont grands mais ça vaut la peine de tenter. Sinon on finira notre vie dans cette cave à boire des litres de vin pour oublier notre condition. »

Sur ces paroles, les trois autres la regardent, un soupçon de pitié brille dans l’œil de Katrina, mais elle se ressaisit rapidement et son regard redevient froid et distant. Tant qu’ils pensent qu’elle peut les abandonner au moindre écart, ils se tiendront tranquilles. Du moins tant qu’ils soupçonnent avoir la moindre chance de sortir de là sans mourir.

***

Déjà vingt bonnes minutes que j’attends dans mon coin que quelqu’un veuille bien pointer le bout de son museau, mais non, personne ne passe. Bizarre. J’me roule une clope. Je sais que c’est pas l’idéal pour une planque, mais faut que j’fume, ça me détendra. Une taffe, deux taffes, et ça va un peu mieux. J’laisse doucement ma tige s’éteindre au coin de ma bouche. Et c’est à ce moment là que j’repère un mouvement de l’autre côté de la rue. Une petite forme noire se faufile dans l’obscurité. J’attends quelques secondes avant de m’élancer dans la direction prise par le type. J’le rattrape rapidement, l’est pas bien véloce le bougre. Cela dit, j’ai tout juste le temps de voir le bâtiment dans lequel il est entré.

J’attends encore un peu et je m’approche de la porte, j’colle mon oreille dessus et j’entends quelques murmures sourds. Y a un peu de monde à l’intérieur. J’vais jouer au bluff. Je patiente encore plusieurs minutes et j’entre, avec un calme et une détermination qui vont bien.

C’est une petite taverne, tout ce qu’il pourrait y avoir de plus normal s’il n’y avait pas ce silence. Ils vivent dans la clandestinité. Rares sont les commerces autorisés à ouvrir au grand jour désormais par ici. Le gars derrière le bar lève un sourcil pour voir qui est entré, mais n’a pas l’air bien étonné de ne pas reconnaître ma tronche. Il doit voir passer du monde. Je m’avance jusqu’au comptoir et j’commande une bière. J’y plonge doucement mes lèvres, ça aurait pu être pire niveau goût. Puis j’vais poser mon cul à une table, en silence. À côté de moi, des gars jouent au poker dans un calme dérangeant. J’les regarde du coin de l’œil tout en sirotant ma bière à petites lampées.

« Tu veux te joindre ? Me demande un des gars dans un murmure.
-Pourquoi pas, fait longtemps que j’ai pas touché aux cartes.
-Fais gaffe à ton porte-monnaie dans ce cas, y en a plus d’un qu’a fini plumé, ricane un second.
-Je m’en fais pas trop à ce niveau-là, je m’arrêterai avant d’avoir plus un sou. »

La partie commence, rien de bien palpitant. J’sens que j’suis sur une piste qui va pas m’aider beaucoup, ça cause très peu, et essentiellement sur le jeu. J’remporte une mise pour cinq de perdues, j’fais gaffe aux sous que j’refile. Ces gars-là sont doués, ils doivent jouer souvent. Peut-être pas grand-chose d’autre à faire. J’recommande plusieurs pintes et la partie continue, longtemps, très longtemps, rien d’intéressant ne se passe a priori. Au bout d’un moment, convaincu que j’vais pas en apprendre davantage et ayant épuisé plus de la moitié l’argent que j’avais sur moi, j’me lève de table, salue mes adversaires qui m’adressent un sourire fatigué. Ils s’en foutent de m’avoir battu, l’argent doit plus trop leur servir en ce moment, si ce n’est pour se racheter des consos et continuer à faire semblant de jouer pour quelque chose.

Au moment où j’remet mon pardessus sur mes épaules, le petit nabot que j’avais tout d’abord suivi pour entrer ici reparaît de l’arrière boutique. Je l’avais presque oublié celui-là. Ça doit pas être facile pour un nain de vivre ici. J’lui adresse un sourire de sympathie et il me renvoie un regard noir, plein de haine et de reproche. Il a l’air de m’en vouloir personnellement d’être né petit.

« Hé K, t’oublies le message pour ta maîtresse.
-C’est pas ma maîtresse triple buse. »

Le nabot répond au nom de K. Et il est sous les ordres d’une femme ? Intéressant. Il prend le papier que lui tend le barman avant de filer vers la sortie. J’vais payer mes consommations et je lui emboîte le pas. Mon enquête avance.

Ceci dit, à peine sorti, j’ai perdu mon nain de vue, ça va pas être si facile que ça.


Dernière édition par Alexandre Kosma le Mar 6 Juin 2017 - 14:04, édité 1 fois
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Dans la petite cachette derrière l’entrepôt de vin, Gregory Dario rumine ses idées noires. Il regarde les trois autres personnes enfermées avec lui. Comment peuvent ils tenir ? Ils font confiance à une femme qui leur promet tout depuis plusieurs mois sans jamais avoir la moindre preuve de résultats. Pauvres types. Depuis la veille au soir, il n’a pas fermé l’œil, trop obnubilé par sa dernière idée fixe. Fuir, seul et vite. Leur mettre une bonne longueur d’avance à ces abrutis. La Demetov leur a dit hier que leur passeur les avait lâchés. Ce serait encore ça à chaque fois, et ils finiraient pour mourir dans ce petit trou paumé sans avoir revu la lumière du jour. Même pas un mois qu’il est là, et déjà ses vêtements moisissent. Il n’est pas bien beau à voir, ses cheveux blonds ont prit une teinte foncée à cause de la saleté et ses joues sont griffées d’une barbe éparse. Il a fini par s’habituer à sa propre odeur corporelle, mais l’exiguïté de l’endroit l’étouffe.

En face, la plus ancienne des locataires de la cache le dévisage d’un air sombre, ses cheveux noirs attachés en chignon sur le dessus du crâne. Elle non plus n’est pas belle à voir. On pourrait même se demander si elle l’a un jour été. Des cernes immenses entourent ses yeux fatigués et ses mains posées sur ses genoux sont noires de crasse. Elle est la seule qui pourrait contrecarrer ses plans, il le sait bien. Les deux autres, massifs comme pas possible, ont tous deux le cerveau d’une huître, jamais ils ne se douteraient de rien. Mais cette Angie Dickers a l’air d’avoir pas mal de neurones en réserve. Et depuis qu’il est arrivé, elle le surveille de son regard dur et froid.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Demande-t-il effrontément.
-J’aime pas ta façon de regarder. Tu nous caches quelque chose ?
-C’est l’impatience. On devrait recevoir des informations sous peu, si tenté qu’on en ait jamais.
-J’me demande vraiment pourquoi Katrina t’a ramené. Je l’ai senti tout de suite, t’es un fouillis à emmerdes. Même Melchior et Baldwin m’ont fait part de leurs doutes.
-C’est ça… Je cherche juste à me barrer de cette île vivant.
-C’est notre cas à tous. Seulement tu nous fais chier depuis que t’es là. Tu devrais avoir une attitude plus positive. Ou au moins garder tes doutes pour toi. L’attitude de pleurnichard, ça commence à me gonfler. Peu importe ce que dit Katrina, il se pourrait que t’atteigne jamais l’embarcation vivant si tu continues à chialer. »

Gregory ravale sa remarque. Il sent très bien qu’elle le ferait tuer sur le champ par un des deux gorilles si ça ne constituait pas un risque de se mettre en froid avec la Demetov. Et avec le temps qu’elle avait attendu pour peut-être sortir demain, elle ne s’y risquerait pas. Brrr. Un frisson remonte le long de la colonne du jeune homme. Comment s’était-il fourré dans ce merdier ? Pas vraiment le temps de ruminer le passé, il faut trouver un moyen d’agir sans se faire descendre dans les cinq minutes qui suivent.

Il regarde sur la gauche, la sortie est encombrée par Baldwin, qui surveille attentivement ce qui se passe dans la cave. Il y a rarement du passage. De l’autre côté, l’autre énorme spécimen, Melchior, dort profondément. Les deux armoires à glace se relaient les tours de garde. Angie n’en prend jamais et lui-même n’en a plus l’autorisation depuis qu’il a essayé de fuir, un peu plus d’une semaine plus tôt. Pour agir, il doit attendre la prochaine sieste de la femme et ne pas perdre de temps. Il sait ce qu’il a à faire.

***

J’suis crevé, mes yeux piquent, mais j’ai rien raté de ce qui s’est passé pendant la nuit. Pas grand-chose cela dit. Pas de trace du nabot. Comment j’ai pu le laisser filer ? Il m’aurait mené directement à mon objectif. Ça aurait été trop facile. J’rentre à l’hôtel, je doute qu’il se passe quelque chose pendant l’heure suivante. J’vais me regonfler un peu. Un p’tit café me fera pas de mal. Sur le chemin, je croise pas grand-monde, les gens rasent les murs et j’fais bien attention à me conduire comme eux. Je voudrais pas me faire repérer comme un bleu.

« Un café bien serré, que j’demande en arrivant. »

Le patron me regarde d’un air un peu apeuré. Merde. Faut que j’fasse gaffe à avoir l’air d’avoir un peu peur des lieux. Tout le monde se comporte comme ça, faut que j’adopte leur manière d’être. Marre de cette ville, déjà.

Le café qu’il m’apporte est dégueulasse, j’me retourne pour lui faire remarquer puis je me souviens de ce que je viens de me dire. Non, son café est très bon, je m’en contenterai. Alexandre Kosma, tu as une petite tête. J’ressors avec mon café, une clope à la main, et j’regarde la rue avec un certain désespoir. Comment chercher une aiguille dans une botte de foin ?

Attendre, scruter et encore attendre. J’ai pas vraiment d’autre choix. Le seul moyen que j’aie, c’est de finir par retomber sur le nain ce qui s’avère hautement improbable. Encore une mission qui risque très fortement d’échouer. Bravo lieutenant Kosma.

***

Katrina Demetov attend. K est reparti en promenade. Elle s’en veut un peu de lui imposer tous ces trajets, mais elle ne peut elle-même guère se déplacer sans attirer l’attention de ceux qui veillent sur elle. À savoir une bonne partie de la mafia et sans doutes quelques Marines qui auraient été affectés à sa surveillance. La seule chance qu’elle a, c’est que côté gouvernement, on ne connaît pas son visage. Et ceux-ci ne vont pas arrêter toutes les femmes qu’ils croisent sous prétexte qu’ils en recherchent une en particulier. Quoi qu’il en soit, les prochaines nouvelles que lui apporteraient le nain seraient décisives. Et il faudrait agir vite. Pas de précipitation.

À l’étage, elle sait que dort encore sa protégée. C’est pour elle qu’elle est restée sur l’île. Les quatre autres dans leur cave auront juste eu la chance de profiter de l’imminente escapade. La jeune femme prend alors une grande inspiration. Si tout se passe bien, d’ici vingt-quatre heures, tout son petit groupe aura pris la mer et pourra quitter ces terres qui leurs sont hostiles. Si tout se passe bien.

« Maman ? »

Katrina regarde l’enfant qui vient d’apparaître au bas de l’escalier. Un large sourire fend son visage et elle va prendre la petite fille dans ses bras. Elle tremble légèrement. Si seulement elle pouvait être déjà partie d’ici et construire sa vie loin des dangers de la ville.

« Je t’ai dit de m’appeler Katrina.
-Mais il n’y a personne maman.
-On ne sait jamais, les murs ont des oreilles.
-Les murs ça n’a pas d’oreilles, tu dis des bêtises. »

Soudain la porte s’ouvre et apparaît K sur le seuil. Il jette un regard mauvais à la scène qu’il aperçoit. Katrina repose l’enfant et lui souffle de remonter jouer dans sa chambre, qu’elle ira la voir ensuite. Puis se retourne vers le nain barbu. La grimace désagréable que fait celui-ci ne s’efface pas pour autant. Elle a l’habitude. Elle ne se souvient pas avoir vu sourire K une fois dans sa vie. Ou alors furtivement après que celui-ci ait réussi certains coups qui semblaient le rendre assez fier.

« C’est pas la joie. On peut tenter le coup, mais il va falloir se montrer extrêmement prudents.
-Il faut absolument partir demain à l’aube.
-C’est pas l’idée qui m’en manque. Mais ces cochons de trou du culs surveillent partout. Sans jamais qu’on sache où ils sont vraiment. Cette nuit j’ai même vu un type faire le pied de grue dans la rue pendant un bon bout de temps. J’sais pas pour qui bosse ce couillon androgyne mais va finir mort avant d’avoir pu dire le mot testament.
-Étrange. Tu ne l’avais jamais vu ?
-Non. De ce que j’ai compris en allant voir l’aubergiste chez lequel il loge, il vient d’arriver. À ton avis, qu’est-ce qu’il peut bien chercher ?
-Je sais pas, mais ce type pourrait bien servir de porte de sortie. Essaie d’en savoir plus. Je vais retourner au caveau et prévenir les autres de l’imminence du départ. »

Le nain acquiesça d’un signe de tête accompagné d’un grommellement sonore. Katrina le regarde s’éloigner et ressortir dans la rue. Il est usé et affaibli et n’a presque plus la force de râler. Décidément leur position est bien étrange. Après s’être perdue dans ses pensées pendant quelques secondes elle regarde l’escalier qui mène à l’étage. Elle va encore devoir laisser la petite seule pendant un moment. Une des toutes dernières fois l’espère-t-elle avant de gravir les marches une à une.

***

Je rêve ou le nain vient de repasser juste devant, il n’y a pas cinq secondes ? Assis dans ma chaise, au rez-de-chaussée de mon hôtel, je tourne la tête quelques secondes vers la pendule. Merde, j’me suis endormi. J’me lève avec précipitation et j’file jeter un coup d’œil dans la rue. Merde, merde, merde. Encore loupé. Qu’est-ce qu’il fichait là ? Ça fait tilt dans ma tête. J’attrape mon manteau sur le dossier et j’retourne le plus rapidement possible au bar clandestin de la veille, en essayant de ne pas m’faire remarquer.

Pas de trace du nimbus, j’entre quand même. Le patron me regarde et je crois qu’il m’adresse un bref sourire. Je crois. Difficile à dire si ce visage placide est capable de sourire. L’activité n’a pas bougé depuis la veille, on dirait que le bar est plongé dans une espèce de stase. J’me doute bien que c’est qu’un exemple concentré de ce qui se passe un peu partout en ville. Les gens continuent de vivre, mais dans le silence et sans doute la peur. Je jette un coup d’œil bref. Toujours pas de nain. Fais chier. J’vais essayer d’en savoir un peu plus. Je m’assois à la table du poker.

« Salut, j’viens retenter ma chance.
-Pas de soucis gars, on finit la donne et on t’fais rentrer.
-Deux jours que j’suis là, j’ai pas l’intention de repartir en ayant tout perdu.
-Qu’est-ce que t’es venu faire dans l’coin ? C’est pas très sûr par les temps qui courent.
-J’suis seulement de passage, je viens chercher des amis et on file.
-Ah ? T’as un moyen de transport fiable ? Avec la tension qu’y a en ville c’est pas facile de faire des allées et venues sur l’île. Les propriétaires de bateau sont plutôt selects en ce qui concerne leurs passagers. Pas étonnant, vu le nombre de fouilles de la Marine. S’ils trouvent qui que ce soit de suspect sur le navire, celui-ci est mis à l’arrêt le temps qu’ils vérifient que rien ne cloche.
-J’ai un contact fiable. »

Ils finissent par me faire rentrer dans le jeu. Peu à peu, tandis que la partie avance et que j’perds mon argent, la confiance s’installe. Bien. J’ai pas l’air suspect à leurs yeux. Mais j’apprends pas grand-chose, ceux-là ont perdu l’espoir de quitter l’île, et j’peux vraisemblablement pas leur promettre quoi que ce soit, ils le savent aussi bien que moi. J’perds mon temps, pas de trace de mon nain. Il a pas dû venir par ici. Ou alors ses affaires dans l’arrière boutique prennent du temps. Mais je commence à perdre espoir. Le pire, c’est que je ne sais toujours pas si le retrouver servira à quelque chose.

Plus d’une heure passe sans que rien n’arrive de nouveau. Sauf mon portefeuille qui se vide de plus en plus. Si je continue comme ça, toute ma paye du mois va y passer. J’suis pas mauvais au poker habituellement, mais la tension qui pèse sur mes épaules m’empêche de jouer correctement. Comme la veille, au bout d’un certain temps, je finis par me lever de la table, vais payer les quelques consommations que j’ai prises et fais un pas vers la sortie pour partir.

« Monsieur ? Me glisse le barman à l’oreille.
-Oui ?
-Y a un gars qui voudrait vous parler. »

J’acquiesce d’un signe de tête. Mon cœur s’emballe. Non, ça ne peut pas être aussi simple, si ?

***

C’est le barouf dans la petite cave. Katrina débarque dans une ambiance de panique. En un clin d’œil elle analyse l’endroit. Gregory n’est plus là, ne restent que les trois autres. Enfin… Baldwin est accroupi aux côtés de Melchior, secouant un peu son cadavre en espérant vainement que celui-ci se réveille. Angie la regarde avec des yeux qu’elle ne lui a jamais vu, un mélange de colère et d’angoisse qui ne lui correspond pas.

« Il…
-Que s’est-il passé ? Demande sèchement Katrina avec un calme étonnant.
-Je surveillais Gregory, il n’arrêtait pas de râler depuis quelques jours, il disait qu’il voulait partir. Et quand vous avez dit hier qu’il y avait un problème, je pense qu’il a décidé de passer à l’action.
-Comment a-t-il fait ?
-C’est… C’est ma faute. Je me suis assoupie. Je voyais bien dans son regard qu’il n’attendait que ça, continua-t-elle paniquée.
-ANGIE. Calmez-vous et racontez-moi ce qui s’est passé. Je me fous pas mal de savoir à qui est la faute, je veux les faits.
-Baldwin gardait l’entrée, Melchior était allongé là, en train de dormir. Gregory était là et je me suis endormie ici. Il a tué Melchior dans son sommeil sans faire de bruit, de son coin Baldwin ne pouvait sans doute pas le voir. Quand ce dernier est allé réveiller Melchior pour la relève, ce salaud n’a pas hésité et a foncé vers la sortie !
-D’accord. Donc on a un cadavre sur les bras, son meilleur ami à consoler et un abruti dans la nature. De mon côté j’ai renvoyé K fouiner, y a un gars louche en ville en ce moment. Et on n’a toujours pas de nouvelles de notre passeur. Qu’est-ce qu’on a de positif ?
-Je…
-C’était une question en l’air. Ce qu’il y a de positif c’est que nous sommes toujours vivants. Mais on risque de ne plus l’être longtemps si cet idiot se fait attraper sans mourir immédiatement. Il pourrait nous balancer pour sauver sa peau. Il va falloir accélérer la procédure et avancer un peu à l’aveugle. Vous restez ici, vous essayer de remettre sur pied notre gaillard pleurnichard. Si je ne suis pas revenue dans une heure, foncez au port et essayez de fuir par n’importe quel moyen. »

Sur ces paroles franches et brutales, Katrina franchit l’entrée de la cachette en sens inverse. Angie la suit d’un regard ébahi pendant quelques instants. Comment peut-elle être aussi calme et insensible ? Au bout d’un instant de silence uniquement perturbé par les sanglots du mastodonte, elle se reprend en main et décide de se fier à ce que vient de lui dire la Demetov. Elle regarde Baldwin. Mais comment faire s’arrêter de chialer un gars de ce gabarit-là sans risquer de se prendre une énorme mandale ?

Angie ferme les yeux un instant en prenant une longue respiration. Allez ma vieille, se dit elle, bientôt tout cela sera terminé, d’une manière ou d’une autre.
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L’arrière salle du petit bar clandestin est relativement grande et assez vide, seule une petite table et quelques sièges usés servent de mobilier. Il n’y a pas de décoration aux murs et ceux-ci sont sobrement teintés d’un gris sale, sans doute du blanc qui a mal vieilli. Assis sur une chaise trop grande pour lui, les deux jambes pendant mollement dans l’air, mon nain barbu de la veille me regarde d’un air grognon. Un air grognon qu’on dirait presque incrusté dans son visage tellement celui-ci lui va bien. J’avance doucement pour voir un peu mieux car la pièce n’est éclairée que par une petite lampe à huile qui répand sa faible lueur irisée.

« Asseyez vous. »

Son ton n’est ni aimable, ni autoritaire, juste une invitation à se joindre à lui. Il ne le fait pas par plaisir, mais par nécessité. J’regarde sa bobine et j’me demande vraiment si ce gars-là va m’aider dans mes recherches. C’est pas du tout le genre de gars que j’attendais en serviteur d’une mafieuse recherchée.

« On va s’parler clairement, commence-t-il, une pointe d’agressivité dans la voix. Ton baratin avec les gars à côté, ça marche pas avec moi tête de fion. T’es ici parce que je pourrais avoir besoin de toi mais pas d’entourloupe, j’en ai dérouillé des plus malins que toi, question cerveau, t’as le QI d’une morue avariée comparé au mien, alors tu m’dis la vérité ou j’me casse et j’te vends à des gars qu’auront aucun scrupule à te casser les pattes.
-Doucement, j’suis pas là pour te causer du tort. Tu veux quoi exactement ?
-J’ai entendu c’que tu leur disais tout à l’heure, que tu venais chercher des amis pour partir bientôt. J’te crois pas. J’suis au courant de tous les départs de l’île, et y en a qu’un seul de programmé en ce moment et j’suis persuadé que t’es pas dans l’coup.
-J’ai été appelé très récemment…
-Pas d’conneries j’ai dit. T’es bien là pour venir chercher des gens, mais ce sont pas tes amis, ça j’en suis certain. J’ai essayé de me renseigner sur toi et pas moyen d’avoir ne serait-ce que le début d’une piste, c’est louche. J’suis pas un bleu. Qui tu cherches ?
-…
-Je vois… On peut pas te faire confiance. J’vais devoir te laisser, si tu t’barres assez vite, tu pourrais peut-être sortir de l’île vivant, mais pas dit que t’aies les testicules assez grosses pour oser fuir.
-Attend.
-Ah, monsieur couille-molle pense qu’il aurait intérêt à parler ? »

J’dévisage un instant le nabot, désormais persuadé qu’il s’agit d’une piste fiable. Je peux pas le lâcher. Faut que j’arrête cette femme avant qu’elle aille faire des victimes ailleurs. Je le regarde encore un instant. Putain, j’sens bien que j’peux pas mentir. Alors faut cacher une partie de la vérité et aller dans son sens.

« Je suis à la recherche de Katrina Demetov.
-Dans quel but ?
-L’arrêter.
-Vous êtes dans quel camp ?
-Le mien.
-T’es un p’tit malin toi. Tu cherches encore à cacher des choses. J’vais t’avouer un truc, il se pourrait que je sache où se cache Katrina Demetov. Mais c’est pas vraiment mon intérêt que tu l’arrêtes.
-Je m’en doutais.
-Y se pourrait que tu sois plus malin que j’ai d’abord cru, tronche de pet.
-Vous pouvez arrêter les insultes, ça commence à être pénible.
-Même ma mère, la pauvre vieille avec ses ovaires moisies et sa calvitie précoce n’a jamais réussi à rendre mon langage poli et chatoyant, alors c’est pas une demi-couille dans ton genre qui va faire en sorte que ça s’arrange. C’est le seul truc qui me fasse plaisir dans la vie, insulter les bite de trolls dans ton genre.
-Bon, revenons à nos moutons, fais-je, voyant bien que je ne parviendrai pas à avoir le dessus.
-C’est vrai. Vois-tu, Katrina Demetov est une amie à moi. Et on cherche à quitter cet endroit le plus rapidement possible. Seulement, c’est pas de tout repos. Le passeur qui devait nous faire sortir demain nous a lâché hier. Tu pourrais peut-être le remplacer.
-Ça m’avancerais à quoi ?
-Oh, ben à beaucoup de choses je pense. T’aurais Katrina sous la main pour l’arrêter. Seulement tu ne le fera pas.
-On en revient à ma précédente question, ça m’avancerait à quoi ?
-Je peux te fournir un ersatz. Personne ne connaît la véritable identité de Katrina Demetov, excepté un groupe très restreint de personnes.
-Mon but est de capturer Katrina, pas de refiler à ceux qui m’ont demandé de le faire un ersatz.
-Écoute Furoncle - je peux t’appeler furoncle ? - t’es un gars bien, non ?
-C’est une drôle de question venant de quelqu’un dont la principale passion est l’usage de l’insulte.
-T’es donc un gars bien. Alors t’aurais tout intérêt à accepter ma proposition. Il se pourrait que t’aies de plus amples informations si tout se passe bien pour nous. Sinon, tu risques de crever un peu prématurément.
-Tu sembles bien sûr de toi.
-J’ai mes raisons.
-Bien, je veux bien tenter le coup, mais à la moindre entourloupe…
-Haha, dugland, essayer de retourner les menaces dans ton sens n’améliorera pas ta condition, mais soit, nous serons clean de notre côté. De toute façon, je ne te laisserai jamais arrêter Katrina, peu importe le camp dans lequel tu te trouves. Demain matin, six heures, tu recevras un message pour te donner un lieu de rendez-vous, ensuite ce sera à toi de nous faire monter à bord de ta soi-disant embarcation, on devrait être sept à monter à bord.
-D’accord… Je peux avoir votre nom ?
-Contente toi de K. Pour le moment. »

Le nain saute au bas de sa chaise et sans un signe d’au revoir passe dans l’autre pièce et se barre, me laissant seul. J’ai même pas le réflexe de le suivre. Quel con. J’comprends absolument pas ce qui m’arrive. Je viens de me faire engager par les criminels que j’dois arrêter pour les faire sortir en douce de la ville ? C’est complètement absurde. Si les membres du Cipher Pol qui ont organisé cette mission l’apprennent, je suis un homme mort.

J’sors à mon tour pour me retrouver seul, en pleine journée, dans les rues de la ville. J’dois faire attention. C’est sans doute ma seule opportunité de capturer cette femme, mais si ce que dit le nabot est vrai, si je la capture, je me fais buter. Brrr, ne pensons pas à ça. Pensons plutôt au nombre de victimes que cette femme a du faire depuis quelques années. On ne devient pas une mafieuse recherchée par le Cipher Pol sans avoir trempé dans d’horribles méfaits. J’suis un peu perdu. Bon, j’vais me laisser porter et voir ce qui advient.

Arrivé à l’hôtel, je file dans la chambre que j’ai louée, je rassemble mes affaires, ramasse un escargophone qu’on m’a confié et j’appelle mon responsable. Je lui explique brièvement ce dont j’ai besoin, sans être trop précis sur le pourquoi. Quand enfin, je suis bien sûr que tout ce que j’ai demandé sera bien à sa place le lendemain matin, je raccroche et jette un œil sur mon paquetage. Je regarde le revolver que j’embarque toujours avec moi sans jamais le charger. Une goutte de sueur tombe sur la crosse. Je farfouille un peu plus mon barda et je trouve quelques douilles pleines. Je les insère une à une dans le barillet.

***

Malgré le grand soleil qui accompagne ce milieu d’après-midi, il n’y a pas grand monde dans les rues de Manshon. Un peu plus qu’en soirée, cela dit. C’est ce qui permet à Gregory de ne pas trop se faire repérer. Il longe les murs en lançant des regards furtifs un peu partout. Il a peur, bien sûr. Il a essayé le port, mais tout est verrouillé, des Marines en faction gardent attentivement le port et personne ne peut passer sans autorisation. À moins de trouver un passeur habilité, il est fini s’il tente quoi que ce soit par là. Serré dans sa main droite, son petit coutelas est baigné dans le sang. Il n’a pas trouvé de quoi le nettoyer depuis l’assassinat de Melchior.

Le jeune homme blond se faufile doucement jusqu’à un petit local qu’il connaît bien et qui sert de la bière fraîche. Il lui faut réfléchir, se poser, et tout ira mieux ensuite. Plus il avance dans les rues, plus il se dit qu’il a été stupide de fuir la relative sécurité de la cave à vin. Mais non, il n’avait pas le choix. Il connaît Angie Dickers de réputation et il sait bien qu’elle n’aurait pas hésité une seconde à lui planté un couteau dans le dos par simple plaisir, dès qu’elle aurait été en sécurité. Il aurait pu la tuer elle, mais se retrouver ensuite face aux deux mastards aurait sans doute été bien plus dangereux. Il atteint enfin la porte du bar clandestin et y entre, vérifiant toujours que personne ne le suit.

Ce qu’il ne sait pas, c’est que cinq minutes plus tôt est parti du même bar un homme du nom d’Alexandre Kosma, un homme qui, s’il n’avait pas trahi son groupe, l’aurait aidé à s’évader de cette île. Mais ça, il ne le sait pas. Il commande une bière au patron qui lui fait remarquer que ça fait un moment qu’il ne l’a pas vu. Gregory lui répond par un grognement. Il sait que s’il répond, il va fondre en larmes de terreur. Plutôt que de céder à ce sentiment horrible qui lui étreint la poitrine, il avale sa bière en quelques lampées, respire un bon coup, puis regarde le patron dans les yeux.

« Il faut absolument que je quitte Manshon au plus vite, lui chuchote-t-il vivement.
-Y a un gars qu’était encore là y a quelques minutes qu’a parlé de s’enfuir de l’île avec quelques uns de ses amis, tu pourrais peut-être le retrouver.
-Il a dit comment il fallait le contacter ?
-Pas vraiment, mais je crois que K est au courant, ils ont discuté ensemble un petit moment derrière. »

Une goutte de sueur coule le long de la tempe droite de Gregory. Il redouble de malchance. Il suffirait qu’il soit arrivé quelques temps plus tôt et il rencontrait le bonhomme. Maintenant, la seule chance qui lui reste de le retrouver, c’est d’aller voir K. Seulement il a trahi K en trahissant Katrina et les autres. Il faut les suivre à la trace et leur griller la priorité.

***

Quand K franchit le seuil de la porte de chez la Demetov, celle-ci est déjà prête. Il lui jette un coup d’œil inquiet. Pourquoi cet empressement. Ils ne partent que le lendemain matin et il n’a même pas eu le temps de la prévenir des derniers changements. À côté d’elle, sa petite fille, la figure encore toute endormie, qu’elle vient sans doute de réveiller d’une bonne sieste. Le nain regarde sa comparse dans les yeux et y décèle la panique.

« Qu’est-ce qui se passe ?
-Gregory, il s’est barré, il a tué Melchior, Baldwin est dans un état lamentable et pleure comme un enfant de douze ans, lui chuchote-t-elle à l’oreille pour éviter que la gosse ne l’entende.
-Merde, répondit le nabot sur le même volume. Bon, tant pis pour sa gueule de fils de chien. Moi j’ai du neuf.
-Ah ? Une bonne nouvelle au moins ?
-Je sais pas, va falloir se montrer prudents. Et malins. Un gars qui peut nous faire sortir clandestinement. Le souci, c’est que c’est toi qu’il recherche.
-Impossible de passer avec lui, je vais me faire arrêter. De quel côté il est ? Gouvernement ou mafia ?
-Pas cherché à savoir, qu’est-ce que ça change ?
-Pas mal de choses en fait.
-Je trouve pas, de toute façon qu’il soit l’un ou l’autre, si ça foire, on meurt. Mais fais moi confiance, j’ai mon plan pour nous évacuer. Si le gars en question a vraiment les moyens de nous faire sortir, c’est soixante-dix pourcent de chances de réussite. »

Pendant quelques instants, Katrina pose son regard sur celui de son petit partenaire. Il soutient son regard. K a beau être grincheux et d’une humeur toujours massacrante, il a un bon fond. Elle lui fait confiance. Quelques mots de plus et ils s’accordent sur leur prochain objectif, rejoindre les deux survivants de la cave à vin et filer, se cacher jusqu’au matin. Avec Gregory dans la nature, qui sait qui il pourrait prévenir s’il se faisait prendre. Il connaissait l’emplacement de la cachette où il avait lui même séjourné dernièrement et le seul nom de Katrina aurait fait débarquer n’importe quel mafieux chez elle, ni l’un ni l’autre endroit n’étaient sûrs désormais.

Sa petite fille dans les bras, un sac sur l’épaule, mademoiselle Demetov traverse la rue comme si de rien n’était, elle sait qu’elle peut être surveillée, mais de son côté, K veille sur elle. Ses moyens sont à double tranchant, mais souvent efficaces. Il ne pourra la prévenir qu’après coup, mais au moins elle saura qu’elle est suivie ou non.
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J’attends avec impatience la venue de la petite équipe que je dois exfiltrer. Il est six heures moins dix et je n’ai pas dormi de la nuit, trop préoccupé par les préparatifs du départs et les emmerdes que je pourrais avoir si mon coup foire. Comme à mon habitude, je me grille une cigarette et j’écarquille les yeux pour distinguer ce qui se passe dans la rue. Pas un chat. J’attrape le thermos de café que j’me suis fait et qu’est posé par terre et j’en avale les dernières gouttes. Plus de café pour une journée qui s’annonce sacrément longue, c’est pas l’pied.

Les premières lueurs de l’aube s’annoncent et le mégot que j’viens de lancer par terre termine de se consumer. Et c’est à ce moment que j’aperçois un petit groupe hétéroclite s’avancer furtivement dans la rue. À l’avant du groupe une femme, derrière elle, une autre tenant un enfant par la main et une espèce de balèze qui pourrait assommer un ours à main nues. Leurs corps sont tendus, ils regardent un peu partout puis ils finissent par m’apercevoir.

« Katrina Demetov, se présente la femme en tête en me serrant la main.
-Enchanté, Alexandre Kosma. Le nain n’est pas là ?
-K ? Non, il devrait nous rejoindre sous peu, il surveillait nos arrières. »

J’fais un signe de tête pour les inviter à rentrer dans l’hôtel, mieux vaut ne pas rester à découvert. Mon plan d’évasion est sûr, mais il vaut mieux qu’ils ne le sachent pas. J’ai quelques hommes chargés d’éloigner les gêneurs en n’intervenant pas sur la suite. Eux-même ne savent pas ce qui se passe ce matin à l’aube, mais ils obéiront. Mon accréditation Cipher Pol leur a fait l’effet escompté. Si tout va bien, lorsque Manshon se réveillera, nous serons partis et je pourrais terminer ma mission. La partie facile était l’exfiltration, la suite, au vu de la discussion que j’ai eu hier avec le nain, semble plus compliquée.

Le petit groupe rentre dans l’hôtel et s’installe dans des fauteuils à l’entrée. Toujours debout, je surveille l’entrée tout en discutant à voix basse. Je veux en savoir le plus possible sur les personnes à qui j’ai affaire. Déjà, la présence de la petite fille m’inquiète. C’est toujours étonnant de voir des gens appartenant au milieu du crime qui ont des enfants en bas âge. Ces derniers ne devraient jamais être liés à ça. Vivre dans une ville comme Manshon quand on est encore presque un bambin…

« Et je me posais une question, le nabot m’a dit hier que vous étiez sept. Les deux autres arrivent avec lui ?
-Il y a eu quelques complications… Les deux autres n’arrivent pas, confia Katrina sans en dévoiler davantage.
-Morts ?
-L’un d’entre eux, oui.
-Paix à son âme.
-Vous ne le connaissiez pas.
-Et l’autre ?
-Parti. Peut-être mort lui aussi. Sans doute mort. Seul dans Manshon, comment aurait-il pu survivre aussi longtemps ? Depuis hier soir à se promener sans protection ? Pour moi, mort. Tant mieux. »

Je regarde la jeune femme droit dans les yeux. Elle a le regard dur quand elle parle de ce dernier gars. Son ton général dans les quelques brefs échanges que nous avons est froid. Visiblement, elle sent que je veux en savoir le plus possible et elle cherche à m’en dévoiler le moins sans pour autant éluder toutes les questions de peur sans doute que je revienne sur ma décision de les faire quitter l’île. Je pense à l’homme qui s’est enfui de leur côté. Pourquoi ? Est-il vraiment mort ? Ce que Katrina ne sait pas c’est qu’il a eu la protection de mes hommes sans le savoir. Ses chances de survies en ont très certainement été accrues.

***

Tout s’est bien déroulé, étrange. Très étrange. Le nain observe depuis le départ de Katrina les rues désertes de loin. Dans cinq minutes, les effets de sa potion devraient se dissiper et il pourra alors les rejoindre. Mais l’angoisse monte. Tout est trop calme. Katrina n’est elle pas sous surveillance quasi constante ? À plusieurs reprises ces trois derniers mois, ils ont tenté l’expérience pour savoir jusqu’à quel point ils peuvent se déplacer sans risque. Là, le petit groupe qui le précède dans leur tentative d’évasion aurait dû être suivi. Mais non, personne. Personne de visible en tout cas. Il en est quasiment sûr. Bien entendu, ses drogues expérimentales présentent de nombreuses failles, mais la fiabilité de celle-ci a été prouvée à plusieurs reprises. Le seul problème qui lui reste, c’est qu’il ne peux plus faire un pas sans manquer de se flanquer par terre, et ce, dès qu’il a avalé le contenu du flacon.

Peu à peu, les effets se dissipent et K retrouve l’usage de son corps. Il attrape le large sac qu’il a préparé et se met sur le départ. Un dernier coup d’œil à la maison qu’il s’apprête à quitter après y avoir vécu reclus, dans la peur de se faire tuer à chaque fois qu’il met un pied dehors. C’est en descendant l’escalier qu’il repère l’intrus. Il s’arrête brusquement mais l’homme s’avance vers lui et enfin il le reconnaît.

« Ah, ma p’tite tête de fion préférée, je désespérais de ne pas pouvoir te voir une dernière fois en vie.
-Joue au malin K. Plus personne n’est là pour te protéger, il n’y a que nous deux.
-Et alors ? Katrina est partie, quoi que tu fasses tu es fini. Tu n’as plus de protection.
-Elle n’aurait pas quitté l’île sans toi, lance Gregory d’un ton mal assuré.
-C’est faux, si je n’arrive pas dans un certain délai, ils partent sans moi, que veux-tu face de troll, on ne va pas risquer la réussite d’une opération pour une demi-personne…
-Alors on va les rejoindre dans le temps imparti.
-Certainement pas.
-Tu sais, si je n’arrives pas à quitter l’île, je meurs, alors je n’ai rien à perdre.
-Je sais bien, c’est mon cas aussi.
-Non, toi tu as beaucoup plus à perdre que moi. Par exemple, si je sors en criant que Katrina Demetov s’apprête à quitter l’île, je meurs, mais eux aussi. Alors que si tu me mènes sans faire d’histoires jusqu’à eux, je saurai tenir ma langue. »

Le nabot cligne rapidement des yeux, il n’a pas prévu ce coup-là. Décidément Gregory s’avère beaucoup moins stupide qu’il n’en a l’air. K regarde son adversaire, il n’a pas vraiment le choix. Il va falloir la jouer avec des bâtons dans les roues et être plus malin que lui. Pendant qu’il fait savoir à Gregory au bout de quelques secondes de fausse réflexion qu’il accepte de le mener jusqu’au reste du groupe, la nain commence à réfléchir à toute vitesse à la suite des événements.

***

« Katrina ?
-Oui ?
-Venez voir.
-Qu’y a-t-il ?
-Votre petit ami est accompagné, c’est normal ?
-Euh… Non. Qui est-ce ?
-À vous de me dire. »

Elle me rejoint à côté de la fenêtre et après un regard rapide, elle sort un juron. Je l’interroge du regard, mais elle ne répond pas, elle se contente de regarder les deux gars avancer vers nous. La colère et la haine se mélangent, je la vois qui serre les poings. Les trois autres sont toujours assis dans la pièce, le mastodonte regarde Katrina avec inquiétude et la jeune femme continue de s’occuper de la petite fille tout en jetant quelques regards inquiets dans notre direction. Je regarde de nouveau par la fenêtre, les deux arrivants se sont arrêtés à quelques mètres de la porte de l’hôtel. Je vois enfin le pistolet pointé sur la tempe du nabot.

« Katrina ! Appelle l’homme au pistolet.
-Allez-y, je vous accompagne, fais-je à la jeune femme. On va arranger ça.
-Non. J’y vais seule.
-Hors de question. Je ne peux pas vous laisser faire ça mam’zelle. »

Elle n’a pas l’air ravie. Mais elle n’a pas le choix. Alors qu’elle franchit la porte d’entrée de l’hôtel, je lui emboîte le pas. Le sourire que je vois sur la figure de l’homme qui tient le nimbus en joue s’efface en un éclair pour laisser place à un grand étonnement. Serait-ce ma présence qui l’inquiète ? Sans doute connaît-il le reste du groupe. Si je ne me trompe pas il s’agit du membre du groupe qui s’était enfui. Le temps que je me fasse cette réflexion, le nain et Katrina ont réagi. Cette dernière a foncé droit devant et le petit bonhomme a fait un roulé boulé sur le sol. J’ai à peine le temps de comprendre ce qui se passe que la jeune femme enchaîne les coups de poings sur la figure de l’homme. K ramasse l’arme qui est tombée à terre. Si ça continue comme ça, il n’aura pas besoin de s’en servir. Il faut que j’intervienne avant qu’elle ne le tabasse à mort.

« Katrina, arrêtez ! »

Mon intervention n’est pas très efficace. Et merde. Me reste une solution que j’aurais aimé ne pas utiliser. Je bondis. Et quelques secondes plus tard, c’est une fourrure jaune qui sépare le combat. J’émets un grognement suggestif et Katrina recule, se demandant ce qui arrive. Peu à peu, je reprends forme humaine et un éclair de compréhension apparaît sur le visage de la femme.

« Un fruit du démon ?
-Intéressant, n’est-ce pas ? Que j’réponds. Maintenant vous allez vous calmer et c’est moi qui me charge de celui-là.
-Vous ne comprenez pas…
-Alors on va rentrer, nous avons encore une quinzaine de minutes avant de pouvoir décamper d’ici, vous allez m’expliquer. »

J’embarque le gars dont le nez saigne un peu après les multiples coups qu’il vient de recevoir sur le visage. K traîne la patte à côté de moi alors que Katrina est déjà rentrée d’un pas décidé. Faudrait faire attention à ne pas trop faire de barouf dans la rue. Mes hommes sont sur le coup, mais ils ne peuvent pas tout gérer, loin de là. Vivement que l’on s’en aille, je commence à détester cordialement cette île.

« Bon, je crois que vous me devez quelques petites explications. »

J’entame la discussion de manière rude, j’ai pas l’intention de céder sur aucun niveau et j’crois qu’ils ont pas vraiment le choix. D’abord, j’assieds le jeune homme à moitié défiguré sur une chaise derrière moi. J’prends pas la peine de lui attacher les mains, il me semble dans un trop mauvais état pour faire quoi que ce soit. J’demande tout d’abord qui il est exactement. Contrairement à ce à quoi je m’attendais, ce n’est pas Katrina qui prend la parole mais le nain grincheux qui commence à répondre aussitôt que ma question est terminée.

« Il s’appelle Grégory Dario, c’est une petite frappe pas très maline qui s’est attirée les foudres de ses supérieurs y a quelques mois de ça. Si Katrina ne l’avait pas recueilli, il serait mort à l’heure qu’il est. Sauf que ce fils de chienne a décidé de nous fausser compagnie en tuant un des nôtres pour pouvoir s’éclipser.
-Pourquoi ne l’avez vous pas laissé partir s’il ne voulait plus de votre protection ?
-C’était le deal. Le risque de voir notre projet découvert aurait été trop grand. Imaginez que quelqu’un le trouve et lui demande s’il a des nouvelles de quelques gars qu’ils recherchent ? Il nous vendrait à coup sûr pour tenter de sauver sa peau.
-Je comprends. »

Je regarde l’horloge située au dessus de l’accueil de l’hôtel, résolument vide depuis que j’ai filé quelques billets au réceptionniste pour qu’il oublie de venir par ici quelques instants. Bon, nous allons pouvoir bouger en direction du port. J’leur dis de se préparer au départ puis j’interpelle le nain. J’ai quelques petites questions supplémentaires à lui poser. J’attrape le jeune Gregory et j’le monte sur mon dos. Puis je m’écarte un peu des autres avant de marmonner ma question au nain.

« Vous comptez vraiment m’empêcher d’arrêter Katrina ?
-Oui.
-Et comment vous comptez faire ? Une fois à bord du navire j’aurai tout le loisir de faire ce qui me plaît.
-Ne vous inquiétez pas, c’est vous qui allez la laisser partir. »

L’espèce de micro-sourire narquois qui se dessine furtivement sur le visage de K me dérange. Peut-être parce qu’il contraste totalement avec le visage résolument bougon et fermé auquel j’ai eu affaire depuis le début. Il faut que je surveille ce petit gars, il est pas net et j’ai l’impression qu’il va me la mettre à l’envers.
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J’regarde avec intérêt l’ensemble du petit groupe qui se dirige vers le port. J’ai le gusse amoché calé sur mon épaule. Je sens que celle-ci a presque doublé de volume, j’y fais pas attention. Si j’continue à le porter encore longtemps, ça va finir par se remarquer que j’ai les muscles qui gonflent. J’sais pas du tout quelle peut être leur réaction en voyant ça. Katrina est en tête, suivie de près par le géant garde du corps. La jeune femme et la petite fille suivent juste derrière et K et moi fermons la marche, en compagnie de Gregory.

« Toujours pas décidé à me dire comment vous allez vous y prendre ?
-J’suis pas sur que t’aies bien compris, couille de macaque, je t’expliquerai pas mon plan. Et pour deux bonnes raisons ; la première c’est que j’ai envie qu’il réussisse, la seconde, c’est que j’ai absolument pas confiance en toi.
-C’est drôle, malgré tout ce que tu m’dis, j’ai envie de te faire confiance. Alors que tu me caches beaucoup d’informations.
-Ça c’est parce que t’es con. Tu devrais être plus sur tes gardes, sinon tu vas finir plus vite que tu n’as commencé. Surtout ici.
-Tu sais gamin…
-C’est référence à ma taille que tu m’appelles gamin tronche de pet?
-Du tout, du tout, c’est un tic de langage…
-J’espère.

-Je disais donc, tu sais gamin… J’affronte la merde depuis plus de vingt ans. J’sais bien que t’as passé un an ou plus ici dans cette misère de pseudo guerre civile à la con, mais il n’empêche que j’en ai vu autant, voire plus que toi. Alors sache que j’me tiens d’ores et déjà sur mes gardes, même si j’fais mine du contraire.
-Tant mieux pour toi. Maintenant, on va se la fermer et se concentrer sur l’arrivée et l’embarcation.
-Tout à fait d’accord. »

Gregory remue doucement, il est sur le point de se réveiller. J’lui refile un p’tit coup dans la caboche histoire d’éviter tout problème. J’sens que c’était une bêtise de l’emmener, il va me causer des soucis. On avance toujours en douceur, mais plus ça va, plus on se rapproche du but. J’ai peur. J’ai tout de même vachement peur. J’sens que j’suis en train d’avancer au devant d’un gros tas d’emmerdes et j’ai prévu aucune d’entre elles. Ça va nous tomber dessus, je le sens. Si seulement je pouvais maîtriser un poil les réactions de mes p’tits protégés. Mais non. On m’avait rien dit et le groupe n’avait pas l’air d’avoir de véritable force décisionnaire. Au moindre pépin ce serait chacun pour sa gueule. Toujours pas la moindre embûche cela dit. Les gars font bien leur travail. Soit ça, soit on se dirige vers la plus grosse emmerde du monde. J’préfère pas y penser.

***

Reynold Van der Calicot, sur le pont d’un navire de la Marine camouflé en navire de transport de marchandise, frappe de son pied sol du bateau avec une régularité étrangement inhumaine. Son pardessus beige qui cache un corps mince et émacié surmonté d’une tête bien trop grosse pour l’ossature qui la supporte est anormalement droit. Il fixe sans montrer la moindre émotion le petit groupe qui arrive très doucement dans sa direction. Tout est sous contrôle. Cinq de ses agents surveillent les faits et gestes de chacun des membres du groupe depuis que Kosma les a récupérés. Déjà trois espions neutralisés. Ils ont intérêt à se dépêcher. D’ici dix minutes environ, la surveillance qu’il a mise en place sera découverte par l’un ou l’autre des camps en présence et toute l’opération se verra mise en très grand péril.

« Capitaine...Préparez vous à partir, siffle-t-il d’une voix grave et pleine de souffle. Je vais les accueillir et nous devrons mettre les voiles au plus vite. »

Un gros bonhomme aux sourcils épais se précipite alors pour donner des ordres. Peu à peu, dans un étrange silence, le navire s’active et les hommes vont à leurs occupations. On dirait que le son a été coupé tant les activités marines, d’ordinaires si bruyantes, se font dans le calme plat. Décidément, l’atmosphère est étrange.

L’index et le pouce droit de Reynolds viennent caresser mécaniquement la fine moustache qu’il possède tandis que la jeune femme en tête du groupe, qu’il suppose être Katrina Demetov, comme c’était convenu, pose un premier pied sur le pont du navire.

Tout le monde retient son souffle. Reynolds fixe la jeune femme qui s’est arrêtée net. Le reste du groupe la suit de près et est obligé de se stopper derrière elle alors qu’elle attend probablement un geste ou un mot d’un des hommes du capitaine. Ceux-ci, comme si de rien n’était, continuent de travailler apparemment sans les regarder. Seul Reynolds semble s’occuper de leur présence à bord. Et il avance dans leur direction d’un pas lent et posé.

« Katrina Demetov ?
-Oui, et vous êtes ?
-Ravi de faire votre connaissance. Nous allons vous trouver un petit coin tranquille pour vous et tout votre groupe. Il manque une personne, non ?
-C’est exact, et il ne viendra pas.
-Il est mort. Quel dommage. »

Sa voix mielleuse et totalement horripilante donne immédiatement une envie de vomir à la jeune femme en tête du groupe. Elle se détourne quelques secondes, faisant mine de regarder sa petite bande avant de se reconcentrer sur l’homme qui se tient face à elle. Elle ne le sent pas.

« Alexandre Kosma ?
-C’est moi, fait l’homme au pardessus un peu élimé et à la barbe naissante. Vous voulez que je vienne avec vous pendant qu’ils s’installent ?
-C’est… exactement ça. Et laissez cette chose que vous avez sur le dos avec eux.
-Bien. Il faudrait les surveiller dans ce cas.
-S’ils touchent un cheveu de cet homme, je me charge personnellement de leur cas, prévient Reynolds dont la voix est devenue sifflante et menaçante. Capitaine ! »

Le gros bonhomme parti quelques minutes plus tôt donner des ordres revient en seulement quelques secondes aux côtés de Van der Calicot. Son regard est un peu vide et il attend les ordres de celui qu’on comprend être son supérieur.

« Vous allez emmenez ce groupe dans leurs appartements. Je vais m’occuper d’en savoir un peu plus auprès du lieutenant Kosma. »

L’ensemble du groupe suit le gros capitaine qui a récupéré le corps inanimé de Gregory sur son dos pendant que le lieutenant Kosma et Reynolds les regardent partir. D’un signe, ce dernier invite son hôte à le suivre dans une petite cabine réservée d’ordinaire au capitaine du navire.

***

Gregory se réveille dans un petit entrepôt, il entrouvre les yeux pour voir que le nain, les deux femmes et le géant, situés à l’autre bout de la petite pièce le surveillent attentivement. La petite fille est assise dans un coin, en train de jouer avec un bâton probablement trouvé par terre. Cela ne lui dit rien de bon. Il sent toujours la lame qu’il a camouflée dans sa chaussure qui lui cisaille le pied. Ça fait mal mais au moins, il a quelque chose pour se défendre en cas de grabuge. Plus les événements s’enchaînent, plus il regrette tout ce qu’il a fait jusqu’ici. Le nain se tourne vers une des deux jeunes femmes pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. C’est fait, ils ont remarqué qu’il est réveillé. Il sent les regards lourds de reproches.

« Je…
-Tu fermes ta gueule ou c’est nous qui te la fermons, menace K, les dents serrées. »

Le nain n’a jamais été aimable, mais là, il sent l’animosité à son égard et il préfère ne pas moufter. Sans doute va-t-il mourir très prochainement. Il s’y est préparé depuis longtemps. Et il a survécu bien plus longtemps qu’il ne l’espérait à l’origine. Toutefois, il préférerait que ceux-ci meurent avec lui plutôt que d’être le seul idiot à passer l’arme à gauche. Leur passeur n’est pas avec eux. Il doit être en train de discuter avec le capitaine du navire ou une autre haute autorité. Le seul point positif dans tout ça, c’est que le mal de mer commence à le reprendre, et ça signifie plus ou moins que le navire a commencé à bouger.

***

« Bravo Lieutenant Kosma, vous avez réussi à nous ramener tout ce petit monde, ricane Reynolds.
-Je dois les escorter jusqu’à la plus proche prison de la Marine.
-Ce ne sera pas nécessaire, nous les prenons en charge.
-Ils doivent être jugés.
-Ils le seront. Katrina Demetov va mourir, les autres répondront de leurs crimes d’une manière ou d’une autre.
-Et la gamine ?
-Elle est fille de malfrat. On ne doit pas laisser cette engeance survivre.
-Je ne peux pas vous laisser faire ça.
-Vous n’avez aucune autorité ici lieutenant. »

J’dévisage avec une certaine perplexité l’agent du Cipher Pol qui nous a récupérés. Quelle horreur ce bonhomme. Je ne peux plus rien pour la Demetov et malgré tout ce que le nabot croit pouvoir faire, elle mourra. Mais il me faut sauver les autres de la barbarie de cette fausse justice. C’est inconcevable que je laisse une gamine se faire trucider pour rien. D’autant que rien ne prouve la culpabilité de la mère. Elle était là et aucune accusation contre elle ne me permet de l’inculper de quoi que ce soit. . Le jeune homme doit répondre d’au moins un meurtre, le gorille n’avait pas l’air de vouloir lâcher sa maîtresse, je ne vais pas pouvoir grand-chose pour eux. Le nabot semble croire que Katrina va en réchapper. S’il fait quoi que ce soit, lui-même va crever sans rien comprendre.

« Laissez-moi au moins parler à ces gens. Ma mission était de ramener Katrina Demetov, c’est fait. Certains de ses compagnons ne sont responsables d’aucun crime connu.
-Coupables tant qu’on n’a pas prouvé qu’ils sont innocents.
-Non, je ne peux pas vous laisser faire ça.
-Et que comptez vous faire ?
-Je jouis d’une certaine réputation auprès de quelques gradés de la Marine, il se pourrait que ça vous retombe dessus.
-Hou j’ai peur. Vous savez lieutenant, je n’existe pas. Et la mort accidentelle d’un lieutenant d’élite est chose commune.
-Oui. Mais on ne croira pas à un accident. »

J’sors doucement de ma poche le petit escargophone qui retranscrit notre conversation et mon interlocuteur me jette un regard noir. Puis un sourire s’étire sur son visage. J’attends. Silence. Il réfléchit mais son visage se refuse à montrer le moindre signe de faiblesse. Il finit par hocher doucement la tête.

« Très bien. Je vous laisse sauver deux personnes. Ça suffira ? Nous avons des quotas, vous comprenez. »

Je n’ai pas le loisir de protester. Il ne reviendra pas sur sa décision. Tant pis, je le regarde encore quelques instants puis je sors et je fonce vers l’entrepôt où on a déposé le petit groupe. J’réfléchis très vite. Je ne peux évidemment pas sauver Katrina. Le gamin imbécile ne mérite pas que je m’attarde sur sa condition au profit d’autres possibles innocents. Me reste la jeunes femme, sa petite fille, le gorille et le nain. Il faut que je parle au nain. Il faut que je sache le mot de la fin de son histoire.

J’glisse ma tête par l’entrebâillement de la porte, histoire de vérifier que c’est bien ici qu’attendent mes protégés. Enfin… Mes ex-protégés. Tous les regards se tournent dans ma direction et j’leur adresse le sourire le plus convaincant que j’peux faire. Rien à faire, je sens bien qu’ils remarquent mon embarras. Tant pis, pas le temps de tergiverser. J’pointe le nabot du doigt et je lui fais signe de venir.

Une fois à l’écart, je le fixe des yeux, j’suis persuadé qu’ici, personne ne peut nous entendre. Il me regarde, un sourcil en l’air attendant de savoir ce que je veux.

« La vérité.
-Tronche de pet, si j’te dis la vérité, tu m’croiras pas et tu vas tout faire foirer.
-J’ai pas vraiment le temps de discuter, j’ai une décision à prendre et c’est crucial que je sache le fin mot de ton histoire pour ne pas faire de mauvais choix.
-Une décision à prendre ? Laquelle ?
-…
-Ils veulent nous buter, c’est ça ?
-Oui, et ils commenceront par Katrina.
-Déjà, lieutenant Kosma, j’vous ai déjà dit que tout était prévu... »

J’sens dans ses yeux qu’il y met une certaine dose de bluff. Les parties de poker récentes ne m’ont finalement pas été inutiles. Va falloir que j’y mette du mien. On a tous les deux une paire dans les mains, reste à savoir laquelle est la plus forte et lequel flanchera le premier. D’autant que notre petit Reynolds a un carré d’as, c’est quasi certain.

« S’il faut sauver quelqu’un dans le groupe, c’est l’enfant. Et comme on sépare pas un enfant de sa mère, la mère doit partir avec lui. D’autant que ces deux-là n’ont jamais rien fait de mal, à personne.
-Tu peux me le jurer ?
-Ouais. Le Grégory, en plus d’avoir buté un gars y a moins de deux jours, il est connu dans la ville pour des exactions pas très nettes. Le gorille a brisé des os plus d’une fois et j’crois que t’as pas besoin de moi pour trouver quoi foutre sur le râble de la femme.
-Demetov ?
-Il faut sauver l’enfant et sa mère.
-Et toi ?
-Quoi et moi ?
-Tu parles des autres, mais toi, t’es un voyou, t’as des choses dont tu voudrais te faire pardonner ?
-Moi j’suis un nain, j’compte pas. »

Et il sourit. Un sourire que j’aime pas beaucoup venant d’un visage qui n’en fait jamais. Il n’a pas l’air de vouloir m’en dire plus. Ses paroles au sujet de Katrina me chiffonnent. Il n’a pas l’air contrarié que celle-ci aille au devant de la mort alors que quelques heures auparavant, il m’a dit droit dans les yeux qu’il était persuadé qu’elle survivrait. Bon, je s ais ce qu’il me reste à faire…

***

C’est au large d’Inu Town que Reynolds se décide à me laisser partir avec mes protégés. Il me file une barque et à mesure que nous avançons vers la terre, je regarde attentivement les personnes que j’viens de sauver d’une mort certaine.

« Bon, maintenant que vous êtes en sécurité, vous pouvez m’en dire un peu plus ? »

Je souris à l’attention de la jeune femme qui s’occupe de sa petite fille. Elle me regarde droit dans les yeux et je la sens prête à expliquer ce que le nain n’a pas voulu me dire. Elle est très jeune. À peine plus de la vingtaine et elle a du avoir la gamine très tôt. Elle jette un dernier regard sur le navire qui s’éloigne derrière nous. Un frisson parcourt son corps. Je sais à quoi elle pense. Elle pense à ceux qu’elle a cotoyé pendant plusieurs mois et qui vont au devant d’une mort certaine. Et probablement atroce. Elle se retourne de nouveau vers moi et commence son discours.

« Je suis arrivée sur Manshon il y a deux ans environ. J’étais alors accompagnée d’une troupe humanitaire et nous voulions venir en aide aux populations civiles de l’île. Tout ne s’est pas exactement passé comme prévu. La Marine a débarqué et nous avons été séparés. Une partie de la troupe a quitté l’île. Nous nous sommes retrouvés bloqués. Kalem, c’est le vrai prénom de K, était avec moi et nous avions réussi à infiltrer la mafia en nous faisant passer pour deux d’entre eux. J’avais pris pour pseudonyme Katrina Demetov.
-Attendez, Katrina c’était…
-Oui, c’est moi. Un nom d’emprunt. Un nom qui a acquit une certaine réputation au cours de ces deux dernières années. Réputation infondée je précise. Je n’ai fait que lancer des rumeurs. Kalem était mon acolyte et ami. Nous devions partir au plus vite, mais tout était bloqué. Et quand le calme est revenu, nous étions déjà surveillés. J’ai adopté cette petite fille environ un an après mon arrivée sur Manshon et nous l’avons cachée à tous.
-Mais attendez deux secondes… Si vous êtes la vraie Katrina, qui est l’autre ? »

Le nain, jusqu’à présent calé au fond de la barque émit un grognement. Il se redressa et vint se joindre à la conversation.

« Il fallait quelqu’un pour remplacer la vraie.
-Donc vous laissez une innocente se faire tuer à votre place ?
-Innocente, façon de parler, répondit le nabot. Cette grognasse était en train d’égorger un mouflet quand je l’ai repérée. Ensuite, on l’a baratinée pour qu’elle vienne avec nous, c’était notre porte de sortie au cas où on se faisait pincer, ce qui a été le cas.
-Et encore, sans moi, vous seriez morts tous les trois.
-Oui, et je vous remercie grandement, répondit la jeune femme. Que vous ayez réussi à nous tirer tous les trois de là.
-Je n’ai eu le droit de sauver que deux des otages.
-Ah ? Comment se fait-il que…
-Le nain.
-C’est Kalem mon prénom bouffeur de merde !
-Kalem n’est pas considéré comme un otage. En tout cas, il ne l’a plus été quand je suis revenu voir cet agent du Cipher Pol. J’avais décidé de vous sauver la mise à tous les trois et je n’avais le droit d’en emmener que deux. J’ai hésité à plaider le fait qu’avec un enfant et un nain, on avait une personne complète, mais je ne crois pas que ce serait passé.
-Alors ?
-Alors le sieur Kalem est officiellement considéré comme soldat de la Marine. Bien entendu, il va falloir rester crédible et vous devrez effectuer quelques missions à mes côtés si vous voulez éviter de finir égorgé par un Cipher Pol mécontent de s’être fait berner.
-COMMENT ? HORS DE QUESTION QUE JE PASSE MON TEMPS A GLANDER AVEC DES MOUETTES DE MERDES ? ORDURES DE PIAFS, MORDEZ MOI LE NOEUD !
-KALEM ! Surveille ton langage, ordonna la jeune femme d’un ton sec et autoritaire.
-Enfin… J’ai tout de même réussi à les bluffer. Mais t’as pas le choix mon p’tit père. Tu vas devoir t’engager pour quelques temps, histoire que tout ça se tasse. J’arrangerai les choses auprès de mes supérieurs.
-Nous approchons des côtes lieutenant Kosma.
-Ah oui, Inu !
-D’ailleurs Kalem, tu te souviens que c’est ici qu’on s’est rencontrés ?
-Ouais Elie, et j’suis persuadé que les gens se souviennent de moi. »

Avec stupéfaction, j’regarde les deux acolytes qui rigolent d’une blague qu’eux seuls peuvent comprendre. J’vais aller me reposer dans les sources thermales de l’île avant d’aller rendre mon rapport. Et bien entendu, je ne vais pas lâcher le nain. Il est trop précieux.
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