Le lendemain nuit, on est tous sur le qui-vive. On a des indics qui surveillent les Seafarers, d’autres les Jackals. J’ai réussi à attraper Manny pour qu’il discute avec Erik, à l’occasion. Un p’tit service qui me rendrait vachement plus favorable à ses propositions, et pour lequel il sera bien entendu rémunéré au prorata de ce que j’vais moi-même sortir de tout ça.
Mirettes passe la tête par la porte et m’adresse un signe.
« C’est l’heure, tout l’monde. Ouvrez l’œil. »
On sort à la file et on enchaîne les rues jusqu’à une placette sur laquelle on s’pose. Il faut pas long pour qu’une autre troupe, considérablement plus nombreuse que la mienne, émerge sous nos yeux ébahis. En nous voyant, ils dégainent tous leurs armes, et j’me dis qu’il suffit que y’en ait un qui soit nerveux ou énervé pour que la nuit commence rudement mal. Et rudement tout court, aussi.
Mais ils se retiennent, alors j’sors une clope que j’allume tranquillement en avançant vers le chef.
« Bonsoir, Samuel.
- Angus ? Et tout ton équipage, on dirait. Je suis désolé, mais je suis un peu pressé, ce soir. »
Il a les traits tirés, un pli têtu à la bouche, et les yeux fixés sur le lointain. Y’a pas photo, Simon a mis son plan à exécution, ou en tout cas Samuel le croit.
« Ouais, j’sais. L’otage, le rendez-vous histoire de régler vos différends.
- Bon. Tu es là pour quoi ?
- Payer mes dettes. C’est dans mes habitudes, un prêté pour un rendu. »
Il a un sourire hésitant.
« Tu nous as bien sortis d’affaire l’autre jour, dans la ville haute. C’est notre tour de te filer un coup d’main.
- Vraiment ?
- Ouais. C’est pas qu’une question de piraterie, c’est aussi l’honneur, le respect, la probité…
- C’est bien. »
Y’a un p’tit silence, et juste avant qu’il recommence à marcher, j’reprends la parole.
« Mais sinon, c’est vraiment juste que ici que vous vous êtes embrouillés comme ça ? Ca paraît beaucoup pour pas grand-chose.
- On s’est croisé sur Reverse Mountain, de Blues différentes. La situation a rapidement dégénéré, ce qu’elle va faire ici aussi, si nous n’y allons pas tout de suite.
- Ouais, ouais. Qu’on en finisse. »
On se mêle à l’équipage de Samuel, vers l’arrière. Ils se méfient pas trop, font confiance au jugement de leur capitaine. J’sais que le point de rendez-vous est une grande place vers le centre-ville, mais que c’est assez mort la nuit. Pas de commerces qui favorisent en fait la présence des gens. Que des grandes barraques façon villas calmes. J’espère qu’on va pas trop les déranger, mais j’dois dire que c’est pas gagné…
Au moins, on s’choisit des endroits sympas pour la castagne, c’est bien un minimum.
A l’approche, tout le monde ralentit, et quatre groupes se forment, tous une quinzaine ou une vingtaine de pirates. Y’en a un, c’est le mien, et on est dans la trentaine. Deux parties vont par des ruelles pour faire le tour et éviter qu’on s’fasse prendre trop à revers. Ça paraît assez médiocre comme plan, d’y aller sans éclaireurs. Puis Samuel fait son entrée.
En face, au bout de la place, trois lumières s’allument soudain. A part ça, tout est calme, y’a pas un son à part les nôtres, et les quelques arbres qui parsèment les pelouses sont totalement immobiles. Les bâtiments bloquent aussi le bruit des groupes qui se sont séparés. Notre cinquantaine avance doucement, au rythme du cliquetis de nos pas et de nos armes.
J’regarde tout autour si on risque de se faire prendre dans un feu croisé, mais les façades sont toutes obscures, les volets fermés. Ça ne veut rien dire, ils peuvent parfaitement être tapis juste derrière. Je voulais pas trop de cette position, et maintenant que j’y suis, ça pue bien la merde. Les Jackals peuvent faire carton plein en se débarrassant de nos deux équipages, et ils ont la position de force. Mes Marines derrière ont l’air serein, cela dit.
Quand on arrive au milieu de la place, Simon sort enfin sur le balcon surplombé par les trois lumières. Il s’est fait beau, bijoux rutilants, barbe et cheveux soigneusement tressés et des foulards aux couleurs vives sur lui. L’image parfaite du sauvage pirate. Il écarte théâtralement les bras et nous adresse une révérence qui se teinte forcément d’ironie, dans notre position.
« Bienvenue, bienvenue ! Entame-t-il d’une voix forte.
- Où est Alain ? Demande Samuel.
- Allons, allons, il n’est pas nécessaire de se presser autant pour le moment. Nous sommes après tout enfin réunis dans ce cadre fort sympathique pour la première fois depuis bien longtemps.
- Ca ne m’intéresse pas de discuter avec toi, Simon.
- Ne t’inquiète pas, Seafarer, nous n’allons pas faire que discuter. »
A côté de moi, un type de l’équipage de Samuel écoute discrètement son escargophone. Ça doit être des informations des autres groupes, qui se sont séparés, j’suppose. Ils vont p’tet pas se faire avoir tant que ça, finalement…
« Tu veux Alain ? Je vais te le rendre, alors. »
Samuel plisse les yeux, méfiant. Simon entre dans la pièce qui se trouve derrière lui, et revient moins d’une minute plus tard. A la main, il tient une corde passée autour d’un genre de sac ? J’concentre mon regard alors qu’il fait un nœud à la balustrade du balcon et balance le paquet, pour qu’il pendouille à trois mètres du sol.
Sur un mouvement, j’me rends compte que c’est quelqu’un, et un hoquet s’échappe des lèvres d’O’Connell. Alain a été salement charchuté. Il a qu’un genre de culotte qui fait qu’on peut tout voir ou presque, et c’est pas réjouissant. Le rire du Jackal commence à s’élever, pendant qu’on note les jambes amputées, les bras pareil, avec les extrémités cautérisées pour éviter qu’il meurt d’hémorragie. Un œil est parti aussi, le nez a été coup pour ne laisser que deux fentes.
La bouche d’Alain s’ouvre sur un cri inarticulé, ses lèvres remuent mais sont incapables d’articuler le moindre mot, et un coup d’empathie confirme ce que j’craignais : le moignon brûlé de sa langue s’agite faiblement dans sa bouche. Le rire de Simon Norrois prend une teinte de plus en plus hystérique à mesure que les Seafarers assimilent l’ampleur de la situation, et l’visage de Samuel O’Connell se décompose visiblement.
J’pense pas être fragile mais j’ai un frisson.
« Je peux te rendre Alain quand tu veux. Par contre, il faut venir le chercher, parce qu’il ne peut pas partir lui-même. Et c’est un peu loin pour le lancer. Encore qu’avec une catapulte, peut-être ? Souhaites-tu que nous essayions ? »
Avec un cri d’angoisse et de douleur, Samuel dégaine son sabre et charge vers Simon, qui lance un commandement bref et inintelligible avant de sauter au sol de son deuxième étage. Il touche les pavés de la place avec un impact perceptible, épée en main, pour rencontrer son adversaire. Quelques volets s’ouvrent sur des gueules de fusils qui font feu tout de suite. Des barricades de fortune sont jetées en travers des rues qui partent de la place.
La première salve retentit et on s’jette au sol. Enfin, une partie tombe, j’suppose. On rampe rapidement, avec mes soldats, vers une extrémité de la place, en profitant du faible abri fourni par les quelques arbres. Ça va, Simon a pas l’air d’avoir prévu de nous trahir tout de suite, donc on peut s’éloigner facilement. Et son combat avec Samuel favorise pas l’appréciation de la situation.
En plus des tirs, des pirates font irruption. J’note avec intérêt qu’ils semblent faire partie des deux équipages. L’affrontement devient alors une mêlée dont personne sortira gagnant. Ou, en tout cas, pas eux. J’mets mes Marines en rang, fusil armé. Y’a une rangée un genou à terre, et l’autre debout arrière.
Les Jackals sont plus nombreux que les Seafarers. L’écart se fait rapidement sentir, avec les deux capitaines qui se neutralisent l’un l’autre. Les premiers débordent les seconds sur la gauche, et j’ordonne ma première volée. J’pense que mon p’tit jeu va pas rester discret très longtemps, maintenant, en tout cas pour Simon. Samuel, lui, doit être plutôt content et me considérer de bonne foi.
Couverts de sang et de blessure, un groupe de Black Jackals, identifiables à leurs foulards noirs, jaillit de la rue juste à ma droite. J’étais tellement concentré sur l’affrontement principal que j’ai perdu l’fil. Heureusement, Jadieu avait placé quelques hommes, et on les accueille comme il se doit. Ils gueulent, mais dans le brouhaha général, personne les entend, et j’ai une pensée pour les types qui doivent être en train d’essayer de dormir. M’est avis qu’ils ont la tête sous l’oreiller et espèrent que tout passera sans trop de souci.
Pendant que la section de Jadieu bosse un peu, j’continue de surveiller, mais cette fois avec mon empathie déployée, histoire d’être moins con. Ceux qui sont arrivés ont dû prendre en embuscade un des groupes de Simon, ceux qu’il avait envoyé sur les côtés. L’autre devrait pas tarder à faire irruption, sauf s’il est lui aussi occupé ailleurs…
Tout d’un coup, une onde de choc intangible, accompagnée d’un sentiment de peur et de folie, passe sur tout le monde. Mes hommes s’attrapent la tête, certains trébuchent, tombent au sol, et y’en a même un qui vomit sur les godasses de son voisin. Moi, ça va. Haki royal, à tous les coups, vu que les Jackals sont plutôt pris d’une furie sanguinaire encore plus intense.
Il en faut pas plus pour qu’une autre onde de choc nous traverse tous, toujours aussi intangible, elle chargée de grandeur et d’héroïsme. Putain, Samuel aussi balance son haki comme ça. Genre c’est la fête, on balance tous notre capacité super rare réservée aux élus de ce monde. En tout cas, ça explique les auras naturelles qui volaient autour d’eux et influençaient les gens qui les fréquentaient. Sûrement un effet passif, ou alors ils le laissent en permanence…
Les deux auras s’annulent l’une l’autre, à peu près en tout cas. Celui qu’a vomi, c’est Lune, mais il risque d’avoir un nouveau surnom qu’il va trouver vachement moins rigolo.
J’continue de surveiller le déroulement de la mêlée générale, et elle tourne de plus en plus à l’avantage des Jackals. J’pense qu’il va être temps d’aller nettement faire pencher la balance, et comme on n’a pas d’angle de tir sur eux, d’ici, va falloir se mettre aux travaux manuels. On s’met en ordre de charge, et on enfile la place au pas de course.
On adopte au passage une formation en coin, avec moi en pointe. Et on s’enfonce dans le flanc des pirates comme un couteau dans du beurre, en agitant nos armes et en gardant notre discipline. J’bloque un katana et j’plante un couteau dans l’œil de mon vis-à-vis, avant de déplacer le corps devant moi pour encaisser un coup de hache. J’le repousse ensuite et j’fracasse un genou d’un coup de talon, sur ma gauche, avant d’avancer encore.
Juste derrière moi, les Marines maintiennent l’ordre de bataille, et j’ralentis pour être sûr de pas me retrouver isolé. Quand j’commence à voir l’espace vide dans lequel Simon et Samuel ferraillent encore, j’repique vers la droite, pour rester au milieu du pack de gens. Tant qu’ils se neutralisent, ça m’permet d’éliminer le petit personnel.
A la faveur d’une légère pause, Simon remarque toutefois mon p’tit manège.
« Angus ! Sale traitre ! Davy Johns aura ton âme, et j’aurai tout ce qui vient avant ! Qu’il gueule. »
J’l’ignore. Samuel est de dos, mais nul doute qu’il sourit de son sourire chaleureux, amical, et confiant.
Des cris retentissent derrière moi, un peu différents. Mes soldats plient devant un assaut d’une rare violence, et j’distingue Carter qui mène la contre-attaque. Un trou se creuse rapidement dans notre formation, et j’sens qu’on va bientôt se faire séparer en deux. Devant moi, deux coups de mousquets sonnent, et j’me jette sur le côté juste à temps.
Juste à temps pour manger un coup de sabre dans la cuisse.
Un Tekkai discret empêche la plaie d’être plus qu’une égratignure, mais ça reste pas bien agréable. Avant que j’puisse reprendre mon équilibre, une autre lame fonce droit vers mon coup, mais prévenu par l’empathie, j’balance un Shigan Bacchi de l’index. Personne devrait savoir, ou p’tet qu’il sauront, mais j’compte bien qu’ils seront pas là pour en parler.T’façon, doit y avoir un milliard de techniques bizarres équivalentes.
Sorti de mon petit problème temporaire, j’peux retourner mon attention divisée vers le milieu de ma joyeuse troupe, pour voir que c’est maintenant Surin et Jadieu qui occupent le second de Simon, rapidement rejoints par Pilier. J’serre les dents et j’fais faire demi-tour aux gars encore avec moi. Si on se débarrasse de Carter, trop grand, trop pâle, trop calme, ça devrait foutre un coup au moral des Jackals.
Notre mouvement enveloppant met une bonne dizaine de minutes à revenir en arrière, mais ça se bat toujours, et c’est les miens qui donnent du terrain pour se donner de l’espace et respirer un peu. L’autre se bat comme un beau diable, et a laissé pas mal de traces autour de lui, des Marines peu chanceux qui l’ont croisé trop tôt ou ont voulu donner un coup de main.
M’sentant arriver, soit grâce au mouvement de recul de la foule autour de lui, soit avec un haki, ou juste un instinct affûté, il s’retourne juste à temps pour parer mon coup de couteau. Quelques passes d’arme plus tard, j’suis forcé d’admettre qu’il est plutôt carrément bon. Mais être bon suffit pas quand Jadieu arme un de ses fusils et lui tire une balle dans le dos.
Son rictus découvre ses quenottes, puis il se jette sur le côté, sur Lune, dans un dernier effort. Le Marine d’élite peut rien faire quand le coutelas transperce le bas de la cuisse et fracasse la rotule, à part tomber sur son agresseur, pointe du katana en avant. Carter rend son dernier souffle et Lune utilise ce qui lui en reste pour gueuler sa douleur. J’jette un regard autour de moi pour évaluer la situation.
Les Jackals ont un peu reculé et nous laissent un peu d’espace. Pareillement, les Seafarers, toujours au contact de leurs adversaires, se sont un peu éloignés. Résultat, on s’retrouve dans l’œil du cyclone, en quelques sortes, un peu au calme. Il m’reste une quinzaine de Marines en relativement bon état, quelques autres qui peuvent encore se battre un peu si c’est pas trop intense. Le reste est sur le carreau, définitivement ou pas.
On reprend notre souffle, et j’échange un regard avec Jadieu.
Il réarme ses deux fusils, vérifie son sabre. J’pointe de la tête les Seafarers. Il plisse les yeux, regarde tout autour de lui. Il acquiesce et commence à signaler qu’on va se remettre à bouger. A vue de nez, il doit rester une trentaine de chaque équipage, et tout le monde fatigue. Les ouvertures sont plus larges, les armes tombent davantage par inertie que par force, et toutes les bouches sont ouvertes pour aspirer autant d’oxygène que possible.
Heureusement, pas besoin d’avoir du souffle pour tirer. On s’met en rang, on arme nos mousquets, fusils et autres pétoires, et on tire. On touche un peu de tout, mais surtout du Seafarer. Faudrait pas qu’ils prennent trop le dessus et que j’me retrouve à devoir les gérer derrière. Dans le nuage de poudre qui s’élève, on recule gentiment de plusieurs mètres en rechargeant, un des grands classiques de tous les corps d’armée.
Eux, ils commencent à se retourner, à comprendre que quelque chose tourne pas rond. Les têtes pensantes dans leur troupe pensent qu’ils se font prendre à revers par des Jackals, mais y’a que nous. Et ces derniers profitent de l’aubaine pour, malgré les pertes, repartir à la charge sur leurs némésis. Au terme d’un grand coup horizontal, Simon éjecte Samuel à quelques mètres, et ils jettent tous les deux un coup d’œil dans ma direction.
La bouche d’O’Connell bée bêtement pendant deux bonnes secondes avant que la surprise soit remplacée par la colère sur son visage. Il va pour parler quand Simon le coupe d’un grand éclat de rire, tout aussi maniaque et fou que les précédents, et Samuel devient tout rouge.
« Alors c’était donc ça, Angus ? S’exclame Norrois. Le beurre et l’argent du beurre ? Tu penses pouvoir… »
La suite est perdue dans son caquètement et le tir de Jadieu, qui le cible, mais le capitaine esquive en inclinant simplement le buste.
Une nouvelle vague de haki des rois est émise, et à sa colère, on devine tout de suite que c’est celle de Samuel O’Connell. Les Jackals titubent, ploient, et mes gars aussi. Simon Norrois n’est pas en reste et sa propre aura, pesante, menaçante, hystérique, tombe en plus plutôt qu’en neutralisation, contrairement à la première fois.
Personne se sent très bien, et la pression sur mes tempes suffit à m’faire dire que si mes gars peinent à rester debout, c’est pas bien surprenant. Jadieu s’appuie sur son arme à feu, essuie la sueur qui lui goutte sur le front. Surin a les mains qui tremblent. Lune a des hauts-le-cœur, encore. Globalement, personne pète trop la forme.
Samuel et Simon se jettent un regard circonspect, et quelque chose a l’air de passer dans leurs yeux. Le Jackal me pointe du pouce, puis baisse celui-ci. Le Seafarer hoche lentement la tête en signe d’assentiment. Ils se mettent tous les deux à marcher dans ma direction, en gardant trois mètres entre eux. Merde. J’aurais joué mes cartes trop tôt ? Pourtant, le timing semblait pas mal…
J’suis tout seul devant la masse informe de mes soldats. La plupart tiennent plus debout et sont à quatre pattes, ou assis, à se tenir le crâne. La seule bonne nouvelle, c’est que les autres pirates sont aussi mal en point que mes gars. J’ai un rictus de défi sur les lèvres, et j’crache un glaviot devant les deux capitaines.
Ils arrivent par la gauche et la droite en même temps, et mes poignards bloquent leurs sabres. J’recule d’un pas par réflexe avant de me rappeler qu’il faut que j’couvre la Vingtième, qu’est pas vraiment en état tant que le haki royal pulse comme ça. J’pousse mon empathie à fond pour bloquer les attaques suivantes. Et j’guette une opportunité, que ce soit pour caler quelque chose, ou même un Rokushiki discret.
Mon Kami-E m’assouplit en tout cas suffisamment pour que, couplé à ma prescience, j’me fasse pas toucher plus que quelques estafilades superficielles. Ma jambe déjà blessée commence à me tirer, et le sang séché à la jambe de mon pantalon tire sur la plaie à chaque mouvement. J’peux toujours… J’force petit à petit la raideur, la douleur, histoire de voir si j’peux pas en attirer un à s’découvrir plus que de raison.
Une dizaine d’échanges plus tard, on est toujours dans la même impasse. Aucun des deux capitaines veut trop s’avancer, de peur de s’offrir à son binôme. Ils ont pas oublié leur querelle, c’est déjà ça.
Avec mon empathie, j’esquive l’estocade de Simon en faisant un pas vers la droite, ce qui m’colle presque à Samuel. Le Kami-E m’tord autour de son attaque, de manière presque surnaturelle mais pas tout à fait. Les gens normaux ont encore des os, après tout. Mon surin vole vers sa gorge, mais ses pupilles brillent d’une lueur étrange et il a déjà bougé la tête avant que mon attaque parte. Deuxième haki ?
J’lance mon second planteur vers son bide, mais là encore il n’est déjà plus là, c’qui semble confirmer mes soupçons. D’une pirouette, j’les remets tous les deux devant moi et j’cligne des yeux pour en chasser la sueur. Cette fois, j’feinte un assaut vers Samuel, dont il doit sentir le mensonge, avant de sauter sur Simon.
J’ai bien compté que ça arrangerait O’Connell de m’laisser attaquer son petit camarade. Avec mon haki, j’suis largement assez rapide pour écarter la garde de Norrois. Un de mes couteaux va droit pour l’artère fémorale, et se brise avec un son sourd. Puis c’est son poing qui descend droit vers ma gueule, recouvert d’un fluide noir. J’m’écarte d’une roulade au sol, prolongée de manière impromptue pour pas me faire embrocher par Samuel.
Haki de l’armement, semblerait. Chiasserie.
La situation commence à bien dauber, et j’me maintiens en position défensive en attendant de voir. Maintenant que j’sais quoi chercher, le haki de Samuel me crève les yeux, comme une lumière dans la nuit. Pour le contrer, j’décide qu’au dernier moment quoi faire. Pour l’empêcher de trop prévoir.
« Jadieu, Surin ! Putain, faites un truc, là ! »
Ils me répondent qu’un borborygme un peu flou.
Puis une dizaine d’hommes arrive sur la place par la gauche, presque juste derrière Norrois. Ils ont pas l’air clairement affilié, et pourtant, ils lèvent immédiatement leurs armes pour tirer sur les Jackals, encore aux prises avec les Seafarers. C’est là que j’me rappelle que deux groupes de l’équipage de Samuel étaient partis sur les côtés. Ils ont dû rencontrer du grabuge, s’en défaire avant de pouvoir venir.
Simon évalue rapidement la situation et m’adresse un clin d’œil. Enfin, j’crois… Avec une férocité renouvelée et qui change radicalement des dernières minutes, j’me jette sur Samuel O’Connell et j’m’acharne sur son sabre. Derrière une garde de plus en plus difficile à maintenir, il essaie de reculer, mais le Jackal est là, dans son angle mort.
Le haki de l’armement le recouvre des pieds à la tête, y compris son arme, et sa bouche est ouverte sur un hurlement muet. Levant l’épée haut au-dessus de lui, il l’abat des deux mains sur sa némésis. Jusqu’au bout, le Seafarer essaie de se jeter en dehors de la trajectoire, mais j’le bloque avec pugnacité et il se fait, finalement, trancher en deux du haut du crâne à l’entrejambe.
Un des deux hakis royal disparaît aussitôt et les Jackals reprennent suffisamment du poil de la bête pour offrir plus qu’une résistance symbolique aux Seafarers. Une partie de la pression disparaît aussi derrière moi, et mes Marines remuent enfin.
« Tu vois, Norrois, j’t’avais dit que j’te laisserai buter O’Connell.
- Tu es le prochain, Angus. Je n’ai pas oublié nos promesses, y compris celle que je t’ai faite un peu plus tôt. Tu imploreras Davy Jo…
- Ouais, ouais. On verra. »
Les assauts redoublent d’intensité entre nous. Simon Norrois équilibre la situation entre les deux équipages avec son haki royal, et son armement m’empêche de le blesser fatalement. Mais il est seul. Au lieu de faire obstruction en protégeant mes Marines, j’le repousse maintenant petit à petit, pied à pied. Maintenant, j’sais que j’suis plus rapide, plus technique, plus puissant. Et ce malgré qu’il ait été éduqué et formé au combat à l’épée, manifestement. Les bénéfices d’une éducation noble, sûrement.
Il le sait aussi. Avec un grognement d’effort, il me force à sauter en arrière de deux mètres et donne de la voix.
« Seafarers ! Ecoutez-moi ! Nos deux équipages ont été trahis par les Naufragés d’Angus ! Si vous m’aidez à les éliminer, je vous laisserai partir sains et saufs, j’en fais le serment ! »
Sa voix de stentor et son haki des rois font que tout le monde ne peut que l’écouter. La pression de ce dernier s’adoucit sensiblement, en tout cas pour les pirates de feu O’Connell, et les Jackals baissent temporairement leurs armes. Ça m’paraît impossible qu’ils le croient alors qu’il vient de tuer leur capitaine, bien en traitre. Puis j’me rends compte que personne l’a vu, à tous les coups.
A vue de pif, ils doivent bien rester une bonne quarantaine, à deux groupes. Jadieu calcule déjà les routes de retraite, j’sens, et il a bien raison.
« Hé, attendez… »
Le salut vient de quelque chose que j’avais presque oublié, dans tout ce chaos. Un boulet de canon tombe littéralement au milieu de la mêlée, puis un autre, et les hommes volent. La poussière soulevée permet pas d’y voir grand-chose, mais l’empathie, si. Et les balles qui sifflent ensuite continuent de faucher les pirates les uns après les autres, avec un rythme soutenu et irrésistible.
« Qui… ? Marmonne Simon Norrois.
« On les finit ! Que j’gueule pour mes soldats. »
Le feu est maintenant croisé et j’profite de l’aubaine pour m’farcir le Black Jackal. Quand j’brise ma troisième lame contre son armement, j’laisse tomber un de mes couteaux. J’garde que celui en main gauche, pour parer son sabre, et c’est sinon mon poing ou ma paume qui s’écrase sur sa face, son torse, ses articulations. Aidé du Tekkai Kempo, évidemment.
Au terme d’un échange virulent, j’choppe son poignet armé et j’le tords sans qu’il puisse se déplacer ou m’bloquer. L’arme tombe de son bras sans force et mon coude frappe sur le sien une fois, deux fois, trois fois. La dernière est la bonne et son haki de l’armement brise, tout comme l’os. Par contre, j’mange bien son coup de talon dans les abdominaux.
La lueur folle dans son regard est de plus en plus présente et, les lèvres retroussées, il me saute dessus avec sa main valide qui essaie de m’arracher un œil. J’l’écarte du tranchant de la main puis c’est son coude retourné qui s’écrase contre mon épaule. J’imagine même pas le mal que ça doit lui fa… J’suis interrompu quand il essaie de me mordre la gorge.
J’fais un salto arrière et mon pied droit cueille la pointe de son menton. Ejecté en l’air, il tombe comme une masse au sol, sonné et probablement K.O. J’attends pas de voir si c’est vrai : dès que j’ai repris mes appuis, j’lui saute dessus et j’enfonce mon poignard dans son orbite droite jusqu’au pommeau. Quand j’me relève, tous les Marines qui le peuvent se tournent vers moi.
Du côté des Jackals et Seafarers, il reste plus grand-monde, à part ceux qu’essaient de fuir. Ils se font tirer comme à la fête foraine. Enfin, nos assistants de dernière minute approchent, et à leur tête, j’reconnais Erik, maître du phare, et ambitieux petit fils de pute. Au bout de la place, le Seafarer torturé, Alain, gueule toujours, le visage couvert de larmes, à voir son équipage réduit à néant. Une balle le fait enfin taire.
« Un peu en retard, nan ?
- J’ai fait ce que j’ai pu. Ce n’est pas facile de trimballer des canons dans la ville, tu sais.
- Vrai que tu m’as bien rendu service, ce coup-ci.
- Et j’espère que tu respecteras davantage les termes de l’accord entre nous qu’avec eux.
- On partage les gains, évidemment. Je te laisse le bateau des Jackals, trop grand pour ce qui reste de nous.
- Et les cales ?
- Pour les cales, on partagera, j’ai pas fait gaffe à qui avait vendu quoi. Pas trop eu le temps.
- Très bien.
- Il reste des choses à boucler, cette nuit.
- Comme ?
- Prendre possession des bâtiments, éliminer les survivants, si on peut. Soigner les blessés, enterrer les morts.
- C’est vrai.
- Allez, la nuit sera courte. »
Mes sections sont déjà en train d’administrer les premiers soins, d’abord aux soldats les plus touchés. Certains passeront pas la nuit. J’grimace. On a subi trop de pertes. J’espère que ça foutra pas en l’air la suite du plan. Mais y’a encore du turbin. N’empêche, deux saloperies d’équipages pirates en moins, ça doit bien compter pour quelque chose, dans la grande marche des choses.
Au fond, j’suis pas mécontent.