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Un point de détail

Elle est belle la lune, non ? Postez-vous n'importe où sur la planète, levez les yeux et vous la verrez, toujours pareille. Elle est une amante parfaite, de celles dont le visage ne change jamais. Tout homme confronté à un ciel aux idées claires peut la mirer et l'admirer sous sa plus simple majesté. Ses joues passent d'étoiles en étoiles et aucun nuage ne la dissimule aux mortels. Elle est la déesse de la nuit et la mère de tous ceux qui prennent une fois le temps de la regarder. Mais l'ensorceleuse ne joue pas de ses charmes sur le Capitaine Hadoc, pas ce soir. Trop pressé, trop peu de temps devant lui pour le distiller dans la contemplation des rondeurs de l'astre. Gharr court, le visage bien ancré aux basses choses du monde terrestre. Où court-il ? D'ici à là-bas, le point que je désigne étant le bureau du Quartier-Maître du navire. Commandant faute de mieux, Intendant faute de pire. A Dix-huit heures moins quatre, quelques doigts d'une main avant la fin du quart de l'équipage, il retire ses sandales, les pose devant le bureau du Commandant et frappe trois fois à la porte. Le "entrez" arrive rapidement, le Capitaine investit l'antre de la bête. Il est là, petit être vissé sur sa chaise de fonction. Ses deux mugs fétiches tatoués de son imprononçable nom d'un coin à l'autre des deux fesses de terre cuite. Le Quartier-Maître Trovahechnik salue Hadoc de la façon la plus officielle qui soit, comme s'il l'enseignait aux recrues.

Repos, Commandant.

Gharr avait joint son membre d'équipage dans le solennel, impossible de faire autrement en compagnie de cet être si formaté dans les usages du règlement que tout automate semblerait doté d'un meilleur sens critique. Le Capitaine ne prend pas appui sur le bureau, il ne touche rien et fait attention à ses gestes. Lou l'a connu plus détendu, malgré ses efforts. L'heure semble grave, une chose importante a conduit Hadoc devant lui.

Quartier-Maître Trovahechnik, je vais vous demander de bien vouloir prendre une plume, l'encrer et inscrire sur une page blanche.

Lou s'exécute presque aussi vite que les directives s'enchaînent. Il commence à écrire.

En date du *date d'aujourd'hui*, le Quartier-Maître, le Commandant Lou Trovahechnik veillera à ne quitter le travail qu'une fois son entretien terminé avec le Capitaine Gharr Hadoc. Et vous signez.

Une minute avant dix-huit heures, Gharr joint rapidement sa signature à celle du Commandant et souffle un grand coup.

Bon, ça va mieux, hein ? J'en étais où moi ? Ah oui, il faut que je vous parle d'un petit truc....pas gravissime en soi mais quand même notable. Il paraît que vous avez décommandé environ 300 livres de viande parce que la masse corporelle de nos hommes réunis et de nous-mêmes n'avait pas besoin d'un tel superflu énergétique. Vous...vous voulez m'expliquez ?

Gharr est souriant et faussement amusé, il est davantage curieux qu'énervé contre Trovahechnik à qui il laisse une chance de s'expliquer. L'allure décontractée n'est pas pour le mettre à l'aise, avec Lou, c'est en étant détendu qu'on fait monter la tension.
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L'heure de la relève arrive. Je ne l'attend pas forcément, je préfère la chaleur de ma cabine aux affres infects du pont du bateau. Mais si les horaires existent, c'est qu'ils ont une raison d'être, et qui suis-je pour outrepasser ces raisons?

J'abats un tampon volontaire et impartiale sur le dossier en traitement, un F3.8, formulaire qui concerne les déplacements maritimes défensifs et préventifs et leurs obligations de mission. Les F3, en général, sont assez simples à remplir; les cases sont grandes, ils ne font pas mal aux yeux. .. Hmmm ... Oui 42... voilà. Normalement, je devrais avoir fini cette besogne exactement à la fin de mon quart. Ce genre d'accointances inattendues me remplissent de satisfaction: il est aussi insupportable à mes yeux de quitter le service en laissant de la besogne que de devoir se tourner les pouce en attendant une ultime minute avant l'heure. Et l'heure, c'est l'heure.

Quelques coups à ma porte me font néanmoins quitter cette allégresse.

Entrez. Dis-je.

C'est le Capitaine. Il semble affairé. Je le salue. Dix heures moins quatre.

Il veut que je prenne une note. Je m'exécute.

En date du *date d'aujourd'hui*, le Quartier-Maître, le Commandant Lou Trovahechnik veillera à ne quitter le travail qu'une fois son entretien terminé avec le Capitaine Gharr Hadoc. Et vous signez.

Je signe. Je tamponne deux fois; d'abord pour ratifier, ensuite pour officialiser. Un dernier tampon pour le F3, que j'ai fini de remplir avec l'autre main. Ça, c'est fait. Dix heure sonne. Hadoc je suis à vous.

...Il paraît que vous avez décommandé environ 300 livres de viande parce que la masse corporelle de nos hommes réunis et de nous-mêmes n'avait pas besoin d'un tel superflu énergétique. Vous...vous voulez m'expliquez ?


Ha! Vous avez remarqué !? Heureux que vous demandiez Capitaine. Et bien voyez-vous, comme l'indique le code de rationnement édicté il y a de ça près de treize ans, sept mois et douze jours, si mes souvenirs sont bons, le prorata de consommation sur les navires des organisations gouvernementales, dont la Marine fait bien évidemment partie mais vous le saviez n'est-ce pas, est fermement réglementé, et ce grâce à un calcul que j'ai moi-même établi, sur base d'observations et statistiques que m'ont fournies les autorités. La commande de denrée qui avait été passée dépassait largement ce quota, une simple erreur j'imagine, je l'ai donc corrigée pour qu'elle respecte le décret. Décret qui offre d'ailleurs une marge de manœuvre de 2,6 %, nous savons tous que l'indice de masse corporel d'un homme est soumis à de légères variations dans le temps, et vous aurez noté, j'en suis certain, que je l'ai comptée dans ma correction. Le Passeur est donc, pour une fois, aux normes.

Une belle explication que la mienne. Voilà qui devrait suffire à Hadoc. Et pourtant. Je ne sais comment traduite son expression facial. Il a blanchi, lui d'habitude presque flegmatique, et me regarde... étrangement. Je ressens un mélange d'émotions très fantaisistes chez lui, et je doute. Moi qui espérait que cet homme d'une raison acceptable comprendrait l'importance de la Règle, peut-être n'en est-il rien.

...

Le bout de ses doigts semble pris de spasmes... Je continue de le fixer.

...

Ses mâchoires se resserrent. Comme sous l'effet de la colère.

...

J'imagine que le Capitaine tenait à avoir plus de vivres...

C'est le règlement Capitaine. Je ne peux rien contre lui. On doit s'y tenir, vous le savez mieux que quiconque.

...

Un éclair dans sa pupille m'alerte. Je risque de passer par dessus bord si je m'en tiens à cela.

Hum... Par contre... il y a toujours des petits caractères...
Hmm, voyons... Prenez, par exemple, le code de conduite par rapport aux espèces animales, chapitre 4, alinéa 33.

"Si la faune marine se doit d'être préservée, des cas d'extrêmes urgences telles que la légitime défense ou le risque de famine d'un équipage prévalent au code et peuvent exceptionnellement autoriser la chasse de rois des mers."

... Vous savez nagez j'imagine?

    Cruelle tâche que celle de Capitaine. Cruelle vie que celle qui se partage avec le Commandant. Pourtant, personne d'autre n'est plus indiqué à le supporter, l'écouter, le supporter, le suivre, le supporter que Gharr. Hadoc partage avec le bureaucrate un certain amour du travail accompli, de l'assiduité sous sa forme la plus absolue. Les êtres fanatiques aux contours nettement découpés font partie d'une caste rare dans un univers où la liberté signifie l'oisiveté, où tout les chemins mènent au hasard et un avenir incertain. Ils obéissent au code et en cela ils sont pareils.

    Vous voulez que je chasse des rois des mers ? Commandant, vous vous rendez compte qu'on parle de machins qui font au moins cinquante fois la taille du navire, on est d'accord ? Comment suis-je supposé pêcher ce genre de bestiole sachant qu'on ne possède aucun canon ?

    Hadoc soupire. Il a conscience que même si c'est Lou qui écrit le règlement, il n'en n'est pas responsable. Que Le Passeur ne soit pas en mesure de chasser de tels monstres marins n'est pas une donnée tangible dans l'esprit du petit homme. Il convient de trouver une alternative, quelque chose qui confonde les deux points de vues. Le Capitaine se dirige vers l'étagère jouxtant le bureau et sort deux épais volumes. Il regarde rapidement l'index long de plusieurs pages du premier en consultant une aide de recherche nettement plus instantanée.

    Commandant Trovahechnik, j'ai souvenance d'avoir lu un méchoui de règles sur les hôtes et opérations de sauvetages, c'est dans quel volume ça ?

    Lou signale qu'il s'agit du second ouvrage extirpé de la bibliothèque. S'ajoutent à la question de précieuses précisions sur la fourchette à laquelle se référencer pour tomber sur les chapitres mentionnés. Gharr regarde, lit en diagonale et braque un index triomphant sur les lignes manuscrites du Quartier-maître.

    Ah ha! Article 700 et des poussières....791 A si vous voulez tout savoir: tout équipage parcourant les routes maritimes officielles est susceptible de croiser, en cours de voyage, d'autres bâtiments. Il veillera donc à se comporter en bon père de famille et à posséder les drapeaux et signalétique adéquats à toute forme de communication reconnue par le conseil de bla bla bla...

    En clair, ça dit qu'on est susceptibles de croiser du monde en cours de route. Imaginez, si cette capacité fait partie de votre pack de compétences, qu'on tombe sur des naufragés. Ne me dites pas que ça n'arrive jamais! On a des cas recensés dans le mondial datant de....dans le mondial. Bref, imaginez qu'on doive remorquer tout un petit monde en détresse perdu au milieu de nulle part. Avouez que vos 2,6% peuvent nettement sauter selon l'état des mecs, ça serait dommage de ne pas pouvoir saucer nos plats parce qu'on n'a pas tout prévu, non ?


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    Il pose le tome. Visiblement il est content de lui. Sa tentative vaut bien ça. Elle fait montre de discernement. Cependant, s'il est vrai que nous sommes dans l'obligation de sauver les imprudents, il en faudra plus pour me faire avaler qu'on en trouve à chaque quoi de vagues. Et quand bien même. Dans le cas où nous ne croiserions personne, que faire de toute la nourriture en surplus. La jeter? Horreur! Cela irait contre tout les articles sur le non-gaspillage.

    Je vois où veux en venir mon Capitaine. Inquiet pour les estomacs. Motivation première de Gharr dans cette histoire. Il met les marins à rude épreuve, en terme de discipline, et il culpabilise. Il espère donc se racheter en leur servant plus à manger que de raison. Pourtant, 40g de viande et 30 g de pommes de terre, c'est plus qu'il n'en faut pour rassasier un homme.

    Je tente une dernière bravade, histoire de sauver le Passeur de l'anarchie.

    Certes Capitaine, certes. C'est écrit. Mais dès lors qu'on prend votre raisonnement, soyons cohérent. Si surplus de nourriture pour d'éventuels naufragés, marins à la manque ou que sais-je, alors surplus de couvertures, il ne faudrait pas qu'ils aient froid. Surplus d'eau potable, il ne faudrait pas qu'ils aient soif. Imaginez dès lors qu'ils puissent avoir à leur bord des animaux, ça voudrait dire qu'il nous faut aussi des denrées pour chien, pour chat, pour chevaux, pour chèèèèvre, perroquet ou tamagoshi. Après quoi prenons aussi des compresses, s'ils ont une femme enceinte à bord, et des sardines pour nourrir leurs hommes poissons. Ensuite pourquoi ne pas tout simplement adapter le Passeur en vaisseau de sauvetage grand luxe, avec garderie, bibliothèque, salle de musculation et tout le toutim!


    J'ai parlé vite. Cette histoire m'énerve. Les règles sont les règles. Pourquoi les discuter, encore et toujours. Pour être sûr que mon propos ai été compris, je conclue:

    Vous noterez la pointe d'ironie, avec tout le respect que je vous dois Capitaine Hadoc.


    Alors que le capitaine ouvre la bouche, surement pour chicaner et probablement pour me rappeler l'article 3 de la charte de la Marine, à savoir : "Le capitaine est le seul maître à bord de son navire. Sa parole est loi, son verbe est foi", que résonne la cloche de la vigie. Le long bras de Gharr se tend vers la porte. Il l'ouvre. Nous parviennent les cris de la vigie.

    Bateau en vue! Bateau en vue!

    A la demande de Gharr pour de plus amples informations, la vigie répond:

    Bateau marchand! Semble avoir une grave avarie à la coque! Je vois sur le pont les passagers qui nous font signe. Quel monde! Il y a des enfants, des hommes, des femmes, dont l'une est enceinte ! Deux hommes poissons aussi! Et attendez! Le pont inférieur est une vrai ménagerie! Il y a des chiens, des chats, des chevaux, des chèèèèvres, des perroquets et même des tamagoshis!


    ...

    Et nous n'avons pas de vivre supplémentaire.
    ...

    L'existence est une péripatéticienne borgne.
      C'est un Commandant, difficile de l'enjoindre à marquer un silence à effet immédiat et continu sans heurter tout le respect dû à sa fonction. L'envie est pourtant bien présente. Hadoc écoute la machine humanoïde enfoncer le peu de fantaisie qu'elle avait dans un absurde sarcastique. Ce n'était pourtant pas compliqué de trouver une bonne raison à un odieux surplus de nourriture, d'offrir à l'équipage le plaisir bourgeois de ne pas avoir besoin d'écraser ses pommes-de-terre pour masquer le fond de leur assiette. Seulement voilà, Trovahechnik trouvait nettement préférable de chasser un roi des mers sitôt la famine tamponnée par ses soins plutôt que d'avoir l'excès d'imagination prétendant que les naufrages existent en mer et que parfois, certains sont encore vivants au moment où un navire arrivais sur les lieux du drame. Le Capitaine songera à mettre sous les yeux du petit être des faits, des coupures de Mondial attestant que le sauvetage maritime n'est pas qu'une légende et que les pirates aiment presque autant que les monstres marins découper les coques des navires marchands. Lou aura même droit à de fausses données, des statistiques de faussaires mais où le faussaire étant un Amiral de la Marine complice, toute trace de supercherie demeure indétectable. Ca ne sera pas la première pirouette visant à duper le bureaucrate, ni certainement la dernière.

      Pour l'heure, il appartient de déloger Trovahechnik du siège qu'il a installé dans Le Passeur. Hadoc s'apprête à suivre son mouvement, puis à le contrer. Couvertures, compresses, nourriture pour animaux, aucun problème. Le petit être allait tenir une scrupuleuse liste de tout ce qu'il estimait nécessaire à l'anticipation des besoins de n'importe quel type de navigateur en détresse. Il allait en passer du temps à étudier la densité de faune adoptée selon les régions, la démographie des homme-singes et leur équilibre nutritionnel, sans parler des us et coutumes relatifs au bon accueil selon leur culture. Le Commandant voulait du détail, il allait avoir l'odre d'en fournir, d'y passer son temps pendant que les gens normaux forniquent ou jouent aux dés. Ce n'était peut-être pas une punition pour Lou, mais cette perspective suffisait à détendre les mâchoires d'Hadoc et à lui donner l'envie de poursuivre le match.

      Bateau en vue! Bateau en vue!


      Voilà qui interrompt le Capitaine, mais l'intonation de la nouvelle porte aux oreilles le pathos d'une information dramatique.

      Capitaine Hadoc:Rapport, sous-m...sous-lieutenant.
      Sous-Lieutenant:C'est terrible Capitaine, un navire est en train de fondre dans les eaux glacées.
      CH: Capitaine Hadoc, je n'ai pas un nom à rallonge comme certains gradés à bord que je sache, vous pouvez vous risquer à le prononcer sans que la température interne des gens en détresse chute d'un degré entre le début et la fin de mon titre.
      SL: Euh...pardon Capitaine Hadoc.
      CH: Voilà! Alors, pour les naufragés, ils en sont où ? Rapport Sous-lieutenant...hum...j'ai oublié votre nom.
      SL: Nieschoniekov.
      CH: Voilà, donc il y a des gens qui coulent, alors on abrège. Quel navire ? Quel problème ? Quel effectif à sauver ?
      SL: Bateau marchand! Semble avoir une grave avarie à la coque! Je vois sur le pont les passagers qui nous font signe. Quel monde! Il y a des enfants, des hommes, des femmes, dont l'une est enceinte ! Deux hommes poissons aussi! Et attendez! Le pont inférieur est une vrai ménagerie! Il y a des chiens, des chats, des chevaux, des chèèèèvres, des perroquets et même des tamagoshis!
      CH: *Se retourne vers le Commandant, comme s'il était responsable du naufrage, puis reprend la parole*. Ben oui, c'est terrible ça. M'enfin, on n'est pas une navire de sauvetage non plus.
      SL: Mais....Capitaine ?
      CH: Non mais c'est un peu facile ça aussi! Alors quoi, après on va devoir installer une garderie, une piscine puis des cours de tennis pour éviter que tout se beau monde s'ennuie. Pas charrier non plus. En plus vous dites qu'ils nous font signe ? On est supposés être plutôt furtifs nous, comment ils nous ont repéré ?
      SL: Nous avons répondu à leur appel de détresse Capitaine.
      CH: Ah...
      SL: Fallait pas peut-être ?
      CH: Si....si si, ce n'est pas le souci ça. Puis de toute façon maitnenant que c'est fait, c'est fait alors voilà ce que vous allez faire: vous allez lancer la procédure habituelle: couvertures thermiques et tout le bordel et ensuite vous les conduisez à la cantine où on leur servira à bouffer. 20 à 30 grammes de viande et patates confondues, histoire qu'ils récupère du poil de la bête, et vous leur dites que le Capitaine Hadoc va venir les voir.
      SL: Très bien, mais vous ne pouvez pas venir tout de suite.
      CH: Ben non, non non. Si je quitte la pièce, l'entretien avec le Commandant est terminé et il rend le poste. Je pourrais lui faire ratifier un papelard prolongeant son temps de travail, mais ça a déjà été fait et le temps d'annuler le précédent de manière officielle, il n'y aura plus grand monde à sauver. Ca va, vous vous souviendrez de tout ?
      SL: Oui Capitaine Hadoc.
      CH: Génial, cassez-vous! Enfin, rompez quoi...

      Le subordonné s'exécute. Les Ghost Dogs ont le geste sûr et la coordination constamment contrôlée. Les naufragés s'entassent bien vite à bord dans un bruit de fond qui témoigne du nombre de nouvelles bouches à nourrir. Gharr hausse les sourcils devant le Commandant, tapotent des doigts sur l'un de ses meubles et lui dit, d'un ton un peu enjoué par la situation.

      Alors, cher Commandant, vous avez ciré vos palmes ? Parce qu'on part à la pêche au monstre marin là, conformément au chapitre 4, alinéas 20 et des poussières de votre règlement.
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      L'oreille tendue, Leanne attend patiemment son heure... Car même si le débat dans la cabine du commandant Trovatruc ne s'avère pas très passionnant (la jeune demoiselle étant tenue par d'autres problèmes autrement plus importants que ceux de la répartition de vivres au sein de l'équipage), chaque détail reste bon à prendre. Déterminée à saisir le moindre murmure ou sous-entendu entre les deux marins, la jeune femme tient donc son rôle lors des cinq premières minutes et se rapproche encore plus de l’entrebâillement de la porte : mais bien que les paroles semblent d'avantage audibles, leur sens reste désespérément banal...

      Rien d'étonnant donc à ce qu'après un longue joute pénale entre les deux hommes au sujet du règlement de la marine, Leanne ne prenne plus la peine de véritablement écouter ; surtout lorsque ledit débat semble abusivement ponctué d'arguments presque pas autoritaires, décrets lambda et alinéas à l'appui. A l'évidence, la jeune envoyée du Cipher Pol comprend que l'heure des révélations n'est pas venue, et que ses deux supérieurs se sont bel et bien lancés dans un débat d'intérêt mineur. A moins que la discussion ne soit codée... Ou pas (nous parlons bien là de membres de la marine, soyons sérieux cinq minutes, voulez-vous).

      Les minutes s'écoulent lentement et après une attente interminable, la jeune demoiselle n'écoute même plus. Tuée par l'ennui, cette dernière semble même sur le point de partir ; mais à cet instant précis, une arrivée imprévue retient son geste... Un jeune commis, manifestement pas très frais (bien qu'encore aux aguets) accourt en effet vers la cabine du commandant et ouvre la porte sans perdre de temps avec les usages ; ce que lui reproche fortement son capitaine, bien qu'il ne semble pas non plus très attentif envers les conventions. Voilà un point exploitable du point de vue de la police des marines (le poste officiel de Leanne, venue en réalité pour enquêter sur d'autres sujets, bien plus obscurs que ceux concernant le capitaine Hadoc) ; un capitaine à peine soucieux du comportement de ses subordonnés est en effet une véritable aubaine pour qui veut se faire passer pour un commandant inspecteur de la marine.

      Mais tandis que Leanne réfléchit à un prétexte pour intervenir et entrer dans la salle de manière officielle, le jeune mousse du Passeur apporte la solution sur un plateau d'argent : des naufragés semblent avoir été repérés et c'est apparemment un joyeux bordel... Ne sachant que faire, le capitaine demande à son collègue de se préparer à la chasse au poiscaille ; il n'en faut pas plus motiver Leanne, qui saute sur l'occasion de voir son supérieur au combat... De telles informations se révèlant souvent très précieuses pour les bases de données du CP9 ; et pourquoi pas, pour celles de la jeune femme. D'un pas assuré, l'espionne franchit donc le pas de la porte et s'adresse directement au capitaine d'un ton ferme.

      - Capitaine Hadoc... Loin de moi l'idée de vous espionner, mais j'ai cru entendre qu'il y aurait du cétacé au menu de ce soir... Si vous me le permettez, j'aimerais pouvoir assister à la pêche. Un capitaine tel que vous n'y verra aucune objection, j'en suis sûre...


      Sans attendre de réponse, la jeune femme s'approche de la chaise la plus proche d'elle et prend place d'un air amusé.

      - ... A moins que vous ne refusiez les revendications des contrôleurs de la marine, cela va sans dire. Et tant que nous y sommes ; pendant que les hommes se préparent au sauvetage des naufragés, profitez-en donc pour relire le code de la marine et écouter les conseils avisés de ce cher... Commandant (Leanne désigna son collègue Trovahechnik sans parvenir à ressortir complètement son nom).

      Consciente d'avoir été d'un irrespect total, la jeune femme se dandine sur sa chaine d'un air détendu... Sur un regard de défi, la prétendue inspectrice attend une réponse de la part d'Hadoc, afin de trouver une faille dans son profil et pouvoir en avertir l'état major ; car Leanne n'ignore pas que se faire passer pour une inspectrice asociale et acariâtre est le meilleur moyen pour enquêter tranquillement en solitaire.
        Bâteau en vue ! Bâteau en vue !

        Hmm ? C'est quoi ce raffût là-haut ? On peut plus dormir peinard ou bien ? Et puis, l'est quelle heure d'abord ?

        Lentement, je me redresse et m'adosse à la paroi contre laquelle j'étais jusque là avachi. Le coup d'oeil lancé depuis un interstice creusé par mes soins – faut bien se faire un peu de lumière – dans la coque me permet d'apercevoir l'horizon. Il fait jour, passé quatorze heures du mat'. Il serait même tard si l'on se fie à la position du soleil, perché trop à l'Ouest dans le ciel. Soit, acceptable. Il est temps de se lever. Mais en douceur, s'agirait pas de brusquer la mécanique. D'abord, s'étirer de tout son long.


        Wouuuaah....c'est fait.

        Puis s'en griller une. Clope, briquet, étincelle. Avec la gestuelle d'un automate habitué à la tâche. Mission accomplie. ...'ff ça fait du bien.

        Maintenant, se lever. Exercice périlleux lorsque vous sortez d'une trop longue sieste qui vous a fait louper les deux-tiers de la journée. Sans compter les restes de gnôle de la partie de poker trop animée d'hier soir avec les matelots de votre quart qui commencent à flotter dans un ventre trop vide.

        Allez, on se hisse. Une jambe, puis une autre.


        Woaaooh.

        Perte d'équilibre. Un bras vient soutenir les deux guiboles mal assurées dans leur effort. Ce coup-ci, on est bon. À ceci près que ça cavalcade sec sous le capot. Ou alors c'est l'agitation à la surface que j'ai du mal à apprécier. Qu'est ce qu'ils peuvent bien foutre, c'est pas encore un problème majeur. D'abord, bouffer.

        Mon coutelas s'enfonce entre deux planches, une simple pression suffit à faire sortir l'une d'elles de sa position. Ma main plonge dessous et cherche une prise à l'aveuglette. Hop, trouvé. Ah non, ça c'est pour étancher la soif. Seconde tentative. Bingo. Je hisse un sac de toile fin hors de la planque; il ne me faut qu'une poignée de secondes pour déballer son contenu. Quelques rares pommes – les fruits sont un luxe sur un navire – des restes de charcutaille, fromage et pain en quantité modeste.


        Erf, c'est maigre. Va falloir refaire le plein en cuisine bientôt.

        Je jette mon dévolu sur un quignon de pain un peu trop dur et sur un morceau de fromage un peu trop mou. Pas grave, on fait avec ce qu'on a. Je referme ma cave secrète soigneusement et me relève finalement, paré à affronter le monde. Lunettes de soleil vissées à la gueule, une main avec la bouffe, l'autre avec la clope, en avant. Direction le pont. Une marche, puis une autre, puis une autre...

        He bah, y'a de l'ambiance ici. Ça court à droite, ça se presse à gauche. C'est des manœuvres d'accostage ça. On est déjà arrivé ? Si oui, l'île se cache bien.


        Hey, Thomson, c'est quoi l'affaire ?

        Thomson répond. Ça s'agite pour secourir des gens. Ça parle surtout trop vite pour que je comprenne tout. Du calme, jme lève tout juste moi. Jlui demanderais bien de répéter mais l'a pas le temps de s'attarder, il doit aider les ptis camarades. Moi aussi, en théorie. Encore que j'en sois pas totalement sûr. Les gens, on les amène à la cale et après uniquement, c'est moi qui m'occupe d'eux. Pas avant.

        Pour le moment, le grand Manitou des lieux a pas encore montré sa frimousse, mais ça ne saurait tarder. Il va nous gérer ça en moins de deux, alors pas la peine de fournir d'effort superflu. Tranquillement adossé au gréement du mât de misaine, je suis de loin l'activité en face. Des gens qui bougent, des gens qui appellent à l'aide.


        'sont dans d'beaux dr...Héé, fais gaffe un peu, tu vois bien que j'suis là.

        Foutu équipage. Y'en a dans le lot, des bourreaux de travail. Ils s'agitent dans tous les sens, vous bousculent et trouvent en plus le moyen de vous engueuler que vous êtes au milieu du chemin. Heureusement je suis là pour rétablir l'équilibre.

        Tiens, vla le capitaine, il sort du bureau de la demi-portion. Y'a un troisième larron même. Une troisième. Bien roulée avec ça. Bwaf, ça attendra. Pour le moment, rien ne presse. J'ai de quoi bouffer, de quoi fumer, et une place de premier choix pour apprécier à sa juste valeur ce qui va suivre. Alors autant admirer le show.
          Un malheur n'arrive jamais seul. L'attitude bornée du Commandant, le naufrage et enfin une fourmi de l'IGSM, l'Inspection Générale des Services de la Marine. La relativement jeune femme avait débarqué (ou embarqué, selon le point de vue) comme un cheveux dans la soupe, une mouche dans le lait, un os dans le potage. Drôle de stratégie que de provoquer un Capitaine dès la première entrevue, la contrôleuse heurte intentionnellement le professionnalisme montré et démontré du gérant de la boutique, de quoi marquer immédiatement une mésentente cordiale entre eux.

          Soit, puisqu'il fallait la supporter, qu'elle monte à bord. Cela dit, la relation conservait des contraintes synallagmatiques. Elle était là pour le contrôler, mais c'était lui le Capitaine.

          A la représentante de l'IGSM, je souhaite la bienvenue et adresse toutes mes excuses pour les conditions de votre intégration. On m'avait prévenu de votre montée à bord fin de cet après-midi seulement; au moins cet instant d'infortune nous permet de devancer un peu le planning de notre rencontre.

          A l'illustre membre de nos glorieuses forces marines, je dis que vous vous êtes trompé d'établissement. Ce n'est pas une auberge de jeunesse, mais un bâtiment militaire ici et vous êtes tenue, s'il n'est pas question de vie ou de mort, de frapper à la porte avant de pénétrer dans ce bureau. Pour ma part, je ne suis pas votre groom ni votre oncle bienveillant, je suis le Capitaine Hadoc et vous demeurez ma subalterne. A la prochaine menace voilée ou tentative d'intimidation de votre part, vous aurez tout le loisir d'inspecter le creux des planches de notre salle d'armes après je vous aie chargée de la nettoyer de font en comble pour insubordination envers votre supérieur hiérarchique.

          Et maintenant, vous allez ressortir, frapper trois fois et attendre que je vous donne l'autorisation d'entrer. Puisque vous semblez affectionner la lecture, vous pourrez en profiter pour relire celle concernant les règles de conduite, ça vous fera ça de compétence en plus pour vos prochaines visites.


          La Capitaine, aussi calme et sec qu'un vieux bois prêt à réveiller le feu, referme la porte et s'adresse au Commandant, à voix plus tamisée afin d'éviter qu'une paire d'oreilles aussi indiscrètes qu'elles le sont ne se nourrissent du nectar des propos tenus.

          Commandant Trovahechnik, je pensais que vous seriez le dernier contrôleur envoyé sur le Passeur, mais il semblerait qu'on entame une collection cette année. Soit, elle ne pourra nous reprocher que notre caractère aussi salé que nos peaux de navigateurs.

          Je compte sur vous pour contrôler la contrôleuse, trouver une faille dans sa procédure et rendre caduque tout rapport diffamatoire à notre égard. Votre nez nettement plus prononcé que le mien a dû sentir la fouille-merde, quelque chose me dit que quand elle ne voit aucun problème, elle en invente. Nous devons notre efficacité à la liberté que nos supérieurs nous donnent pour obtenir des résultats, veillez à ce que ça reste ainsi. Je compte sur vous pour étouffer l'affaire Howell. (ils sont parmi nous)

          Entrez!


          Gharr attend le salut du nouveau membre de l'équipage et le rend avant de sortir du bureau. Les Marines s'affairent à faire monter les rescapés et à les réchauffer, tout le monde s'applique dans son travail. Tout le monde, sauf le Caporal Achilia, étonnement sorti de son antre pour profiter des derniers rayons de soleil. L'animation doit lui plaire, peut-être a-t-il déjà repéré parmi les hôtes qui mettra ses bijoux de famille en jeu pour un dernier petit jet de dés.

          Caporal Achilia, au rapport.

          Le Capitaine parle d'un ton solennel et presque théâtral, il filtre via ce qu'il ne dit pas l'idée que Rik doit s'appliquer à son plus conforme salut.

          Caporal, je vous présente le Commandant Howell de l'IGSM. Nous nous apprêtons à chasser le monstre marin dans l'urgence afin de pallier à la faim qui guette le navire. Trouvez-lui une tenue de plongée et aidez les hommes à préparer de quoi répondre aux besoins des rescapés je vous prie. Nous avons une lourde soirée devant nous.

          Le discours d'Hadoc a surtout l'utilité de prévenir le geôlier que Lou n'était plus le seul oeil à embrumer, il y avait désormais un judas à bord et celui-ci ne pouvait se faire alléger le rapport en passant par le Capitaine. Durant la petite plongée, Rik et Lou devraient s'atteler à trouver un double-fond dans les placards à squelettes. Le Passeur se devait de conserver sa réputation de navire modèle abritant des gens irréprochables. Lui plus que quiconque la méritait de toute façon.

          HRP: Je le précise quand même Leanne, les Ghosts Dogs sont des gens qui filent droit. C'est juste que comme partout, il y a des trucs passablement borderline et Hadoc ne veut pas que le moindre reproche entâche sa bonne réputation.
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          Un problème en rappelle un autre.

          Nous accueillons des romanichelles marins à bord et les nuisibles rappliquent. Le premier, le plus nuisible de tous, c'est bien entendu ce brigand d'Achilia, cette petite fantaisie de Gharr Hadoc. Préposé aux geôles. Il devrait les garder de l'intérieur.

          Le second, c'est notre invité surprise. Commandant de L'IGSM dit-elle. Et mon tampon, c'est du carton pâte? J'ai suivi toutes les promotions de marines du coin de l’œil, je connais tout les noms de nos effectifs, des amiraux jusqu'aux mousses, mais elle, jamais entendu parler. Si Lou Trovahechnik n'a pas entendu parler de quelque chose au sein de la Marine, c'est que ça n'existe pas. Et les gens qui n'existent pas sont soit morts, soit appartiennent au gouvernement... Catégorie CP plus que probable.

          Lorsqu'elle a embarqué pourtant, j'étais heureux. La fillette, malgré son affligeante façon d'être, semblait être le cadeau nécessaire pour nous débarrasser d'Achilia.

          Mais je n'ai pas eu longtemps à attendre pour déchanter. Elle poursuit un but tout autre. Un but qui ne nous concerne pas, pire encore, qui ne servira pas notre grande institution. Parole de Trovahechnik. Et Gharr me demande de la surveiller. Soit, c'est dans mes cordes. En fin de compte, après les différentes missions passés ensemble, Hadoc est ce qui ressemble le plus à un collègue. C'est rare, les vrais collègues. Certes, il est dédaigneux du sacro-saint code sur bien des aspects, mais il travaille pour la bonne chapelle, c'est indubitable. Et puis, c'est toujours agréable de surveiller les gens. C'est peut-être ce que je préfère dans ce travail. En dehors des formulaires.

          Alors que Gharr met les points sur le I, j'en profite pour glisser quelques mots sur nos nouveaux arrivants.

          Capitaine Hadoc, non pas que l'idée de vous voir barboter au milieu de monstres marins me déplaise, mais ces gens que nous... sauvons, pourquoi ne pas les nourrir avec leurs propres bestiaux. Nous n'avons pas point de ménagerie, et j'en vois déjà plusieurs qui font leurs déjections sur le notre beau pont.

          De multiples pairs d'yeux se braquent sur moi. Ai-je encore été trop clairvoyant?

          Ou au moins nous pourrions nous en servir pour la pêche... Je doute que les monstres marins soient appatés par des vers.

            - ... Et maintenant, vous allez ressortir, frapper trois fois et attendre que je vous donne l'autorisation d'entrer. Puisque vous semblez affectionner la lecture, vous pourrez en profiter pour relire celle concernant les règles de conduite, ça vous fera ça de compétence en plus pour vos prochaines visites.

            Un sourire en coin, Leanne sourit ; bien que ce capitaine soit très téméraire - trop téméraire -, il a le sens des réparties et ne se laisse pas marcher dessus si facilement... Dans de telles conditions, un travail de couverture à l'IGSM devient plus que cohérent ; et excitant, cela va de soi. Poussée par son égo, la jeune femme répond donc du tac au tac.

            - Capitaine Hadoc, je crois utile de vous préciser que ces remarques - d'un bien fondé indiscutable, soit dit en passant - sont également applicables dans votre cas... Même si votre grade impose le respect auprès de la plupart des marins, je vous prierais de ne pas me considérer comme faisant partie de "la plupart des marins" ; je suis une officière, qui plus est de l'IGSM. Je suis sous la juridiction de personnes très influentes, entièrement dévouées à la loi et à la justice... Et il me semble utile de vous rappeler que moi non plus, je ne suis pas là pour tenir un stand de crêpes : je suis ici pour inspecter votre équipage et relever tout écart de comportement... Je vous prierai donc, vous aussi, de faire preuve de plus de transparence me concernant.

            Les formalités semblent désormais posées. Satisfaite de sa réponse, Leanne dévisage le commandant, assis au coin de la pièce... Sans une once de joie, ce dernier se contente toutefois de lui renvoyer un regard tout aussi impassible, et paraît même vexé. Encore un imprévu, la jeune femme ayant jugé que ce maniaque des règlements approuverai totalement son discours. Même pas quelques applaudissements, un coup de tampon dans le vide pour calmer sa joie ? Même pas un petit trépignement pour accréditer la jeune femme ? Soit. Désormais prévenue, Leanne réalise qu'elle n'est pas en territoire vaincu ; et que ces officiers semblent bien peu malléables... Mieux vaut donc - pour l'instant - courber l'échine devant l'équipage. Jouer le rôle de l'asociale est une chose ; s'attirer la méfiance et le rejet de tous en est une autre.

            - Mais ça ne fait rien : je comptais moi-même me préparer pour la pêche, donc m'exclure de cette pièce devient inutile. Revenons-en donc à nos monstres marins tant que je suis encore là... Capitaine, je vous attends sur le pont dans les plus brefs délais : nous avons des innocents à nourrir, ne l'oubliez pas. Commandant... Lou (décidément, quel nom compliqué), ravi de vous avoir rencontré mon vieux. Attention, votre tampon de ratification sèche.


            Sur ces mots, la jeune femme se lève et ferme derrière elle la lourde porte en bois ; mais même une fois isolée du gratin de l'équipage, Leanne sent les regards peser sur la porte... A l'évidence, l'espionne est loin de faire l'unanimité ; ce qui sert sa couverture, mais défavorise ses véritables investigations. Marchant d'un pas vif, l'envoyée du gouvernement ne prend même pas la peine de rester plus longtemps près de la cabine du commandant, certaine de ne plus rien pouvoir entendre... Mieux vaut pour l'instant se préparer avant de rejoindre le capitaine sur le pont, ce qui est chose faite après quelques minutes.

            A bâbord, Leanne voit le capitaine en plein briefing avec ses subalternes : de toute évidence, la discussion dans la cabine du commandant n'a pas été longue, et les deux officiers du passeur se sont rapidement compris... Ce qui ne sent pas bon pour la jeune espionne. Sereine, Leanne avance toutefois vers son "supérieur" et attend le départ dans le plus grand mutisme ; jusqu'à ce qu'Hadoc n'interpelle un de ses Caporals, baillant manifestement aux corneilles... Clope au bec, air nonchalant, allure débraillée, odeur de tabac ; bref, le croquant standard dans toute sa magnificence, le regard malicieux en plus. Aucun doute, Leanne a devant un flambeur de la pire espèce ; celle qu'il faut mater avant qu'elle ne dégénère... Alors ni une ni deux, la jeune femme oublie toute convenance et décide de toucher deux mot à ce marin fainéant : et cela tombe bien, le capitaine vient juste de démarrer les présentations.

            - Caporal, je vous présente le Commandant Howell de l'IGSM. Nous nous apprêtons à chasser le monstre marin dans l'urgence afin de pallier à la faim qui guette le navire. Trouvez-lui une tenue de plongée et aidez les hommes à préparer de quoi répondre aux besoins des rescapés je vous prie. Nous avons une lourde soirée devant nous.

            Il n'en faut pas plus pour lancer Leanne, bien déterminée à ne laisser aucun répit au jeune marmiton.

            - Merci à vous Capitaine, pour ces aimables recommandations. Caporal, je vous saurais gré de me donner une tenue qui ne soit pas imprégnée de votre fumée ; si tant est qu'une seule de vos tenues soit en état d'utilisation... Ce qui, vu votre laxisme manifeste, me semble très peu probable. Monsieur - Achilia, c'est cela ? -, je vous prierais donc d'éteindre de votre cigarette, de m'enlever au plus vite ce sourire narquois de votre visage et de ranger votre chemise à l'intérieur de votre pantalon. Une fois que vous serez moins débraillé, nous pourrons discuter à nouveau parler de cette pêche ; je vous remercie par avance.

            La jeune femme jubile mais se retourne vers Hadoc d'un air stoïque.

            - Capitaine, j'ose espérer qu'il n'y aura pas de prochaine fois concernant cet officier. Je le laisse sous votre juridiction, mais sachez toutefois qu'un tel comportement ne joue pas en votre faveur ; les sanctions peuvent tomber facilement, même si je compte parmi les inspectrices conciliantes. Si je puis me permettre, à quel poste est délégué le caporal Achilia ?

            Non loin de là, le commandant Trovatruc semble promettre un avenir funeste pour la ménagerie des naufragés ; quel homme farfelu.
              C'coup-ci, pas de doutes, la sieste est loin derrière moi. Le Capitaine réclame de moi l'attention et le professionnalisme que je lui dois. Pas de problème, refiler des serviettes et des mies de pain aux canards trempés, c'est dans mes cordes. Et puis, il a pris le soin de m'introduire au joli réveil qui l'accompagne alors un peu que j'vais m'exécuter. D'ailleurs, le dit joli réveil me dévisage. Commandant hein ? J'lui ai déjà tapé dans l'œil ? Ma foi j'ai rien contre, une femme officier, ça peut assouvir certains fantasmes. Sauf que.

              Celle-là a aussi son caractère. Elle crache chaque mot enduit de fiel en double dose manière de bien mettre les points sur les "i" d'entrée. Pas sympa ça. Il faut jamais s'en prendre à un mec à son réveil, on sait jamais comment il va réagir. Mais moi, je réagis pas. Enfin si, je tire une bonne taffe, inhale le tabac que je jetterai pour rien au monde quoi qu'on en dise et relâche un petit nuage de fumée dans la foulée. Pas plus ostensiblement que ça. Pas pour rappeler à la punaise qu'elle devrait apprendre à rester à sa place. Juste peinard, paisible.

              Peut-être qu'ça lui est égal à elle aussi finalement, et dans ce cas tout le monde s'en cogne et c'est parfait. Ou peut-être plus probablement que pour le second round, elle veut se faire les crocs sur le boss. Jamais rassasiée cette gamine, parole. Tellement elle a faim, elle continue de me charger par supérieur hiérarchique interposé pour dissiper toute éventualité de malentendu. Le procédé est quand même assez hypocrite en lui-même. Dans tout autre cas de figure, je m'en foutrais probablement royalement, ptetre même que j'apprécierai, mais là j'suis concerné et pas qu'un brin. Alors je réponds. Tranquillement. En gardant le même flegme, en ôtant même mes lunettes de soleil. La gestuelle, ça sert aussi un max à véhiculer son état d'esprit il parait.


              Il est geôlier le Caporal Achilia, Commandant. Et il est débraillé. Et il fume avec ça. Et en plus de ça, il n'est pas un monstre de rigueur et d'intégrité, parait-il. Guère reluisant comme ensemble, encore que ce ne soit là que la partie émergée de l'iceberg. Suffisant à repousser les petites Duchesses trop précieuses. Vous concernant, il faudra vous y faire Commandant, à moins que mon Commandant et mon Capitaine en personne y trouvent tous deux quelque chose à redire.

              Faut pas venir titiller le Rik ma grande, t'es prévenue.

              Mais le Caporal Achilia sait honnorer l'uniforme qu'il ne porte pas quand les circonstances l'y obligent. Il fait son boulot quand il le doit. Sans ça, le brave Commandant Trovahechnik l'aurait donné à manger aux monstres marins depuis belle lurette. Si le bon sens dont je vous pense dôtée est réel, vous saurez en convenir je n'en doute pas.

              Un petit compliment glissé l'air de rien, ça fait toujours bon effet. Et sans attendre de réaction, on se retourne vers la foule de mes collègues clairsemée de sourires francs, loin d'être dissimulés assurément. L'équipage adhère.

              Okay, Garnett, tu files en réserve me monter de quoi sécher les civils que nous allons accueillir. Et te mouche pas dans mes draps. Jackson, prend deux hommes et occupez vous de fournir des plats chauds aux braves gens. N'en profite pas pour bouffer à l'œil plus que tu ne le fais déjà. Deux autres avec moi, on va aménager la cale pour en faire un gîte accueillant.

              Et de conclure d'un presque vibrant et assurément improbable :

              Allez les gars, z'avez entendu le Capitaine, on s'active les écoutilles.

              Plutôt classe pour un petit discours improvisé. Mon premier. Je serais un peu plus soucieux de mon image, je serais rudement content de moi. Mais plutôt que d'épousseter mon égo et avant de fermer la séance, une dernière mesure de précaution.

              Votre tenue vous sera apportée dans les cinq minutes Commandant. À vos mensurations et sans la clope.

              Avec ça, si la minette trouve encore le moyen de me souffler dans les bronches, j'en bouffe mon paquet de cartes.

              Je plonge à nouveau dans mon repère, précédé par les deux volontaires qui m'accompagnent. Fin de l'averse, retour du beau temps. Dans deux heures, peut-être trois, j'en aurais fini avec ma séance hebdomadaire de vie de Marine exemplaire. Et une chose de sûre, jme payerai une tournée générale d'entorses au règlement pour fêter ça.
                Ça se met en place. Péniblement. D'un coté, la pêche, que je laisse volontier aux gros bras de l'équipage. De l'autre nos naufragés que je me charge d'enregistrer.

                La plupart sont demeurés. Incapable d'aligner deux phrases correctement, de répondre à une question, pourtant clairement posée. Jusqu'au nom et prénom, ils tiennent le coup. Mais dès que l'on aborde les noms des parents, grand-parents, nombre d'enfants, île de naissance, longitude et latitude de celle-ci, indice de masse corporel, groupe sanguin et lymphatique, métiers, années d'exercices, numéro d'exercice pour les artisans, motivation du voyage, date d'embarquement, accréditation de la ménagerie, permis de bêtes, vaccins, fiche médicale et autres broutilles, ça bafouille!

                Et impossible de savoir ce qui est arrivé à leur bateau. Autant la stupidité et le laissez-aller ambiant, je suis habitué. Le nombre de gens incapables de remplir un formulaire correctement dépasse l'entendement humain, croyez-moi. Mais ne pouvoir collecter aucune information clair sur le naufrage, ça, ça me laisse une vilaine impression. Certains parlent avaries, d'autres d'un heurt dans la coque. J'ai pourtant demandé aux Hommes poissons, qui soutiennent qu'ils ne savent rien. Ils auraient pourtant facilement pu aller repérer une fissure dans la coque ou que sais-je. Il savent nager, non? C'était leur seul talent il me semble.

                Non loin, Achilia s'active. C'est étonnant... Il doit avoir quelque chose à cacher. Mais ne crachons pas sur le temps lorsqu'il est beau. Au moins il travaille, ça lui fait les pieds. La ménagerie est rassemblée sur le pont inférieur, les naufragés sont installés.

                ...

                Et toujours ce fichu doute sur le naufrage. Je me connais assez que pour savoir que je suis infaillible. Il y a anguille sous roche, j'en suis sur. Il faut en informer le Capitaine. Il est sur le pont supérieur, roulant des épaules. A coté de lui, la Judas. Je le salue, puis m'approche pour lui souffler.

                Capitaine Hadoc. Les civils sont bien installés, ainsi que leur... amis bestiaux. Je recommande néanmoins la plus grande prudence. Quelque chose cloche avec ce naufrage. Rien ne colle. Je demande donc l'autorisation d'envoyer un troupe d'éclaireur sur leur barque. Nos matelots doivent faire preuve de vigilance et garder leur arme à portée de main.
                  - Headlander, allez aider Garnett à sécher les civils ! Et n'en profitez pas pour peloter les femmes, je vous ai à l’œil ! Jackson, la bouffe, elle arrive ?! Dites aux cuistots que s'ils ne se bougent pas les miches, je m'occuperai personnellement de leurs cas ! Brown et Henry, filez un coup de main au Caporal Ach'. Il va avoir besoin de vous pour faire de ce clapier une chambre de luxe !
                  Cushion, amenez la guimbarde avec sa famille dans ma cabine. Une femme enceinte a besoin de plus de confort que ne pourra jamais en offrir la cale !
                  Harper, Jokster, Led, March et Andrew, avec moi. Nous allons prendre nos ordres du capitaine.


                  La gorge aride, le magistrat s'envoie une lampée de whisky dans le tuyau. Donner des ordres, ça vous assoiffe un homme.

                  - Est-ce que quelqu'un en sait plus long sur ce naufrage ? Non ? Led, partez recueillir des informations auprès de ceux qui pourront vous répondre. Exécution. C'est pas croyable d'avoir une telle tuile dans ce coin-ci. Ça fait trente ans que je traîne dans le coin et j'aurais juré qu'il était impossible d'avoir le moindre pépin, par ici...
                  Tiens, voilà le Rik. C'est qui, la greluche qui lui traîne dans les pattes ? Bien roulée, encore. Il n'est pas en permission, le salaud, pourtant... Pardon, les loustics, je passe. Caporal, je vous ai envoyé deux hommes pour vous aider à aménager votre trou. Ne me remerciez pas, c'est tout naturel. Le capitaine est là ? Chez Trovahechnik m'a dit Nieschoniekov. Non, je n'éternue pas. Ce sont ces noms qui m'arrachent la glotte...
                  Enfin, mon médicament va m'aider à faire passer tout ça.


                  Dégoupillant sa flasque, Judge engloutit plusieurs goulées du liquide d'or. Il s'essuie la barbe et continue sa route dans un râle étouffé. Arrivé à la porte derrière laquelle se trouve deux de ses supérieurs, il frappe trois coups brefs et entre.

                  - Excusez-moi, mais je croyais avoir entendu "entrez", capitaine Hadoc. Vous savez ce que devient mon ouïe, avec l'âge. C'est comme ma vue, tout pareil. Bref. J'ai entendu parler d'une chasse au poisson, chef. Je me propose d'y participer. J'dois vous avouer que j'ai besoin de me déhourdir la carcasse et que l'occasion est bonne. Puis, je n'étais pas mauvais, dans ma jeunesse. J'vous ai raconté, la fois où nous avons mis en fuite cette tortue géante qui... Mais j'vous emmerde, sûrement.
                  Bref, voici le topo, chef. Un de nos hommes est tombé à la mer à cause d'un cheval. C'est Frindale, vous le connaissez, il avait failli s'étouffer avec une pomme de terre la semaine passée. Rarement vu un empoté pareil. Un des enfants a bu la tasse mais sa vie n'est pas en danger. Nous l'avons emmené à l'infirmerie pour éviter toute complication. Les couvertures sont en train d'être distribuées et le sergent Thryrem s'occupe de tout ce monde. Nous avons un problème avec les chèvres, par contre. Premièrement, je déteste ces bestioles. Secondement, un bouc a voulu boulotter ma barbe, je l'ai fait pendre. Troisièmement... Euh, y a pas de troisièmement, capitaine.


                  Se frottant le menton, Judge remuait légèrement et rapidement les lèvres, récapitulant les faits. Il lui semblait qu'il oubliait quelque chose.

                  - Ah oui. Capitaine, nous pourrions peut-être libérer les six ou sept matelots que j'ai mis au fer depuis hier soir. Je crois qu'ils ont compris la leçon et qu'ils fermeront correctement leur chemise, à l'avenir. Laissez-y peut-être Bonscott, il y retournera bien assez vite à mon avis. Ce garçon aurait dû faire de la musique plutôt que d'entrer dans la marine. Il a un vrai talent, v'savez. Si vous écoutiez ce qu'il peut faire avec le matelot Young... Un gars brillant, mais indiscipliné et assez vulgaire.
                  Mais j'vois que j'vous emmerde, hein. Ce que j'veux dire c'est que moi et mes hommes, nous sommes prêts pour vous servir, monsieur ! Vous pouvez compter sur nous ! 'aaaarde à vous !


                  Le juge gonflait tellement la poitrine qu'il était sur le point d'exploser. Ses pieds ne touchaient presque plus terre et sa chemise était tendue comme une baudruche. Les boutons, sous la pression, tremblaient tandis que la figure passait du rouge pivoine au pourpre sombre. Il bloquait sa respiration en attendant que son capitaine prenne la parole.
                  Il aimait bien faire du zèle, de temps à autre. Ça ne faisait de mal à personne et ça amusait les p'tits gars.
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                  La nouvelle présente de nombreux défauts, certains déjà énoncés par le Capitaine. Cela fait quelques minutes seulement qu'elle a pris fonction à bord et déjà elle manque d'un respect flagrant vis-à-vis des moins gradés. Une telle attitude est déshonorante pour Hadoc qui, principe oblige, indiquera, sitôt le Caporal parti, le profil à adopter pour ne pas gêner l'équipage dans l'exercice de ses fonctions. Rik est fidèle à lui-même, libre. Il ne lui parle pas comme à une supérieure, mais elle ne s'est pas adressée à lui comme à un Marine. Si la manière de répondre du Caporal ne convient pas à celle qui a semé les graines de la discorde, alors le rapport de l'incorruptible Commandant Trovahechnik porterait envers l'indésirable le discrédit le plus authentique sur ses méthodes de travail.

                  Quand Rik part faire son travail, Gharr souligne la remarque de Lou d'un hochement de tête et invite le Lieutenant (pas sûr qu'on féminise les grades) dans son bureau. Il ferme la porte derrière eux et prend la parole sans pénétrer davantage dans la pièce.

                  Vous m'avez insulté et à présent vous insultez un de mes plus efficaces officiers ? Vous êtes là pour contrôler notre travail, alors faites-le sans pousser mes hommes à l'insubordination. Deux erreurs. A la troisième, je vous renvoie de mon navire avec un rapport détaillé sur la façon dont vous vous amusez à abuser de votre pouvoir.

                  C'est la dernière fois que je vous préviens.


                  On frappe et entre, Hadoc se retire de la porte pour découvrir le faciès familier mais ô combien difficile à encaisser lors de la première entrevue. Judge, mi-cowboy, mi-Marine et re mi-cowboy derrière, salue, parle, dénonce l'incompétence des autres et sa façon de l'être en présence d'indisciplinés quadrupèdes. Le Capitaine aimerait sermonner le Sous-Lieutenant, lui ordonner de libérer les matelots prisonniers sous peine de prendre leur place, mais Elle est parmi eux et il convient d'adapter une attitude sereine.

                  Repos, Sous-lieutenant.

                  Je vous présente le Lieutenant Howell, de l'IGSM. Lieutenant Howell, voici le Sous-lieutenant Bean, mais tous ici faisons l'effort de taire ce nom qui lui déplaît à plus d'une raison. Sous-lieutenant, prenez votre équipement de plongée et des cordes solides, nous allons tâcher de découvrir la cause du naufrage avant que le navire ne soit complètement englouti. Il nous faudra également trouver un monstre marin pour nourrir tout ce monde, mais peut-être les deux objectifs sont-ils liés.

                  Donnez le bouc pendu en cuisine et remboursez son propriétaire avec vos propres deniers. Je ne me rappelle pas avoir autorisé une pendaison à bord du Passeur. Chargez le Caporal Achilia de libérer les prisonniers Marine, nous avons besoin d'espace pour les rescapés. Ce sera tout.


                  Sentant le temps lui faire défaut, Hadoc ouvre une armoire de sa cabine et en extrait un masque à respiration artificielle ainsi que des lunettes de plongée et des poignards qu'il fixe à chacune de ses jambes. Sitôt équipé, il remonte sur le pont avec Leanne dont les effets ont été livrés. Le temps qu'elle se change dans le vestiaire commun des dames, Hadoc se débarrasse de son manteau et de ses gettas. L'une des cordes de Judge est nouée par le vieil homme à sa taille. Le talent du Sous-lieutenant sera très utile pour déplacer en catastrophe les corps sécurisés, ou les ramener à lui.

                  Sous-lieutenant, je vous suggère de ne plonger qu'en cas d'extrême nécessité. En nous laissant vos cordes pour rappel et un harpon, je pense que vous pouvez nous servir de couverture depuis la surface. Mais je ne voudrais pas vous empêcher de nous accompagner si vous tenez vraiment à prendre un bain.

                  Le Capitaine sourit au vieil homme bougon et monte sur la rambarde, prêt à sauter.

                  Howell devrait bientôt sortir des vestiaires, nouez-la bien surtout. Qu'elle me rejoigne en-bas, il ne reste plus beaucoup de temps pour comprendre la raison de ce naufrage et je ne tiens pas à ce que le Passeur coure le moindre danger.

                  Et il plonge.
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                  Décidément, ça s'agite furieusement sur le Passeur ; plus que de raison selon Leanne, qui commence à être agacée par les remontrances de son "supérieur" hiérarchique et par les présentations du personnel, aussi inutiles qu'ennuyeuses. De ça, un p'tit matelot dont personne n'a rien à battre qui vient de lui même s'introduire à Leanne... Encore un mecton plein d'innocence qui espère séduire l'envoyée du CP9. De là, présentation d'un officiel du navire, qui n'a de classieux que le titre de sous-lieutenant ; et introduit par le capitaine lui-même, c'est dire l'état critique de la boutique.

                  - Je vous présente le Lieutenant Howell, de l'IGSM. Lieutenant Howell, voici le Sous-lieutenant Bean, mais tous ici faisons l'effort de taire ce nom qui lui déplaît à plus d'une raison.

                  Enchantée vieille branche. "Contente de voir que ta bedaine va bien, et tout l'tintouin. J'aurais volontiers fait de toi mon quatre heures si tu n'avais pas déjà pris le tiens. Et on enlève son chapeau en entrant dans une pièce, sous-lieutenant." Les répliques fusent dans la tête à Leanne ; mais rien ne sort, le but étant de ne pas décéder de la main de Gharr deux heures seulement après embarquement... Aussi Leanne ignore-t-elle superbement son subalterne pour prendre la suite du capitaine et se changer.

                  •••••
                  Lorsqu'elle parvient au vestiaire commun des dames, un moussaillon arrive en courant pour livrer le matériel de plongée à Leanne : encore ce fichu mousse, qui est manifestement tombé en pâmoison devant la blonde. La poisse, quelque chose de violent ; mais devant un jeunot fraîchement sorti de l'école militaire, mieux vaut savoir se tenir selon les usages qui s'impose... 'S'agirait de pas ruiner tous les rêves du gosse dès le début.


                  - Pile à l'heure, merci matelot. Mais attendez... Ce n'est pas la première vois que l'on se croise ; quel est votre nom, je vous prie ?

                  - Mad'moiselle, j'm'appelle Kilesczalsinski, Mad'moiselle. Mais tout l'monde sur'l'rafiot m'surnomme Kile. Mad'moiselle.

                  Ciel, encore un marin illettré ; et probablement déjà attaqué par le rhum et le tabac de ce cher Achilia. Miséricorde... Les hommes purs et normaux sont-ils bannis des équipages de la marine ? D'un air monocorde, Leanne envoie paitre cette jeune brebis égarée sans même y prêter attention. C'est pas sympa, mais c'est voulu ; voilà le sort que réserve la jeune femme à ceux qui trafiquent - de près comme de loin - avec Rik.

                  - Repos, moussaillon. A compter d'aujourd'hui, je vous appellerai 218. J'espère que cela vous plait ; je trouve ça plus pratique, on s'y retrouve beaucoup mieux qu'avec un nom aussi... Original que le votre. Et maintenant que vous m'avez amené mes affaires - ce dont je vous remercie -, je vous prierais de bien vouloir aller vous laver. Je ne saurais accuser Mister Bean d'avoir flatulé près de moi tout à l'heure, je suppute donc que votre uniforme crasseux y est pour quelque chose dans ce marasme olfactif. De plus, vous êtes ci-présent devant le vestiaire des dames - qui, comme son nom l'indique est réservé à la gent féminine. Donc... A moins que votre surcharge pondérale évidente ne laisse croire que vous ayez une poitrine, je vous recommande vivement de reprendre votre quart et de me laisser me changer. Rompez.

                  D'un air résigné, Leanne voit son courtisan en culottes courtes repartir vers le pont en silence ; et manifestement, le matelot ne semble pas avoir tout compris à ce qu'on lui a demandé. Encore ce satané Rik. Ni une ni deux, la jeune femme verrouille la porte de la cabine et enfile sa combinaison de plongée ; qui ne comporte aucun trou, conformément à ce qui est d'ordinaire de rigueur sur un navire marin digne de ce nom. Achilia aurait-il tenu sa promesse ? Impossible, il s'agit là d'un coup monté par l'équipage pour graisser la patte de l'IGSM... Oui, ce doit être une ruse ; à moins que le caporal, contre toute attente, fasse bien son travail... Non, définitivement non ; soyons sérieux, ce junkie négligé ne peut décemment pas excercer un poste à responsabilité sans provoquer de cataclysme. Quoique.

                  Excédée par le comportement contradictoire de son subalterne, la femme médecin s'équipe avec hargne de son masque de respiration, de ses lunettes de plongée et de ses poignards de secours ; reprenant finalement son veston posé sur le banc de bois, la jeune femme complète sa panoplie sous-marine au moyen d'une épaisse paire de gants bleus. Totalement adaptés à la mer, les gants ont le mérite de n'avoir pas coûté trop cher, puisque dérobés à une conquête plongeur-maître nageur. Pas de quoi de frimer, mais le tout garde les mains aux chauds ; ce qui, en soi, reste l'intérêt principal. Une fois préparée, la jeune demoiselle sort du vestiaire et se rend au pont pour participer à la pêche tant attendue. Au loin, le sous-lieutenant du Far West ne se dé-Bean pas et prodigue ordres aux matelots ; tout en écoutant méga super attentivement son cher capitaine adoré, cela va sans dire. Décidément, ce gradé tient tout le Passeur en estime.

                  Alors même qu'Hadoc saute, Leanne parvient à hauteur de l'homme aux cordes ; le chef semble avoir pris une légère avance, mais Bean ne s'en accommode pas et équipe la demoiselle en cordages en prenant le temps nécessaire. L'opération est longue, et le sous-lieutenant prend un malin plaisir à serrer les attaches au maximum ; ce qui, pour Leanne, n'est pas sans provoquer quelques interrogations quant aux penchants sexuels du vieux crouton. Une fois parée, Leanne rajuste une dernière fois l’attirail : le tout est correctement installé, et Hadoc n'est pas remonté ; signe que rien ne cloche et que la pêche se déroule sans encombres. Aussi la jeune infiltrée du passeur plonge-t-elle sans grande appréhension, adressant au passage une rapide salutation à l'équipage qu'elle délaisse aux mains de Rik. Sort ô combien funeste.

                  •••••

                  L'eau est un peu fraîche, mais la combinaison joue bien son rôle ; comme quoi, Achilia sait parfois se montrer efficace. Merde alors, le bouc émissaire du passeur semblait tout trouvé... Qu'à cela ne tienne, 218 peut très bien endosser cette responsabilité. Retournant à ses moutons, Leanne effectue un rapide contrôle du cordage : deux coups de corde donnés vers la surface, deux en retour... Les bouts sont correctement sanglés et la descente progresse à bonne allure. Soucieuse de trouver son capitaine, Leanne fait un tour sur elle-même, et l'aperçoit finalement à une dizaine de mètres plus bas. Manifestement, ce dernier semble avoir trouvé quelque chose pour la pêche ; mais en se rapprochant, la jeune femme comprend bien vite qu'il ne s'agit en rien d'un roi des mers.


                  - Non... Allez au diable, chiens du gouvernement !

                  Un homme poisson. Et visiblement pas des plus calmes, puisqu'il semble s'être violemment acharné sur le bateau des naufragés. A l'évidence, Gharr fait donc face au responsable du désastre ; mais aux yeux de Leanne, quelque chose cloche... A en croire son regard, l'homme poisson semble profondément choqué, déboussolé ; mais pas dément au point d'avoir coulé ce navire sans raison. Il y a anguille sous roche. Notant la forme caractéristique du crâne de l'homme poisson, Leanne penche pour un hybride de la race des requins marteau ; et la jeune demoiselle se flatte d'avoir le flair pour ce genre de choses. Ce dont elle est moins fière, c'est d'être tombé sur un gus pareil ; surtout lorsque la dite créature semble montée sur ressort et qu'elle n'est qu'à quelques brassées du petit groupe.

                  Arrivant à hauteur de Gharr, Leanne interroge son capitaine d'un signe de tête qui se veut plus expressif que jamais. A ses côtés, le samouraï répond d'un signe de tête tout aussi explicite ; à l'évidence, le dirigeant du passeur ne sait pas non plus qui est cet intrus mais s'interroge sur son cas... Joignant le pouce et l'index, Hadoc indique donc que tout va bien, mais que capturer cet homme poisson un peu trop suspect est désormais une priorité. Z'ont pas l'air comme ça, mais les GD's sous l'eau, ils maitrisent niveau transfert d'infos ; et c'est ça la classe. Seule ombre au tableau, le dit transfert d'infos semble avoir bouleversé l'hybride, qui cède sous la pression.


                  - Bande de monstres... Laissez-moi tranquille !

                  D'un coup sec, mister poiscaille exulte et fonce droit sur Gahrr et Leanne ; assaut désespéré, offensive réfléchie ? Pour le petit groupe du passeur, le constat demeure le même : l'homme poisson doit être mis hors d'état de nuire, et si possible capturé. 'Faut bien remplir les geôles de Rik d'autres choses que de sous fifres imbibés d'alcools ayant séché leur quart... Et puis par la même occasion, si la lumière peut être faite sur le fin fond de l'histoire c'pas plus mal.

                  La main au fourreau, le capitaine des Ghost Dogs lance un rapide regard vers Leanne, qui répond d'un hochement de tête : la créature approche, pas de place pour les faibles.
                    Sitôt dans mon antre, je me suis rendu au débarras juxtaposé aux geôles. Là sont rangés avec un soin tout relatif pas mal d'accessoires, outils, uniformes et habits en tout genre utiles de temps à autre à l'équipage. Dont les tenues de plongée. J'en ai fait amener une par l'un de mes hommes à la miss. Je n'ai pas pris la peine de vérifier si le vêtement était dans un particulièrement bon état, mais logiquement il doit l'être, je m'en sers pas comme dépôt à mégot. Un jeune mousse m'a suggéré l'idée de lui refiler une tunique bien usée, manière de lui faire comprendre comment ça se passe à bord du Passeur. Mais j'ai bien vite éliminé cette option.

                    -Et j'vais t'expliquer pourquoi, mon pti gars : d'une part, la victoire obtenue serait bien minime, si tant est que ça en soit une. Mais surtout, ça supposerait de gaspiller son temps en travail quoi qu'on en dise, et ça je m'y refuserai toujours, pour sûr.

                    J'avais un dernier argument de poids sous la manche pour finir de convaincre le bleu qui m'écoute religieusement, mais j'estime à sa manière de boire littéralement mes paroles qu'il ne sera pas nécessaire de le lui sortir.

                    -Allez, file apporter ça à cette chère Commandant, Kile. Et traine pas en route.

                    Du bon boulot rondement mené. Avec ça, tout ce fâcheux tapage devrait se tasser bien vite. Car en dépit de l'animosité particulière de la charmante créature à mon encontre, difficile de la prendre au sérieux. Elle est nouvelle et cherche vraisemblablement à faire son trou. Quand elle comprendra que ça sert à rien de me tirer dans les pattes, elle s'en lassera et tout rentrera dans l'ordre. Pour l'heure, son arrivée fait du remous, le mieux est de ne pas changer ses habitudes d'un yota.

                    C'était ça, mon dernier argument. On verra plus tard si la donne doit être redistribuée, même s'il en faudrait pas mal pour me faire déroger à mes principes.

                    -Euh... Caporal ?

                    -Hmm ?

                    -Vous aviez l'air absent, un instant.

                    -Oh, fais pas gaffe, trois fois rien. Tu voulais quoi, Bonscott ?

                    -Avec Young, on a dégoté quelques matelas qui servaient à personne dans la remise. Pas du grand luxe mais, c'est mieux que rien.

                    -Okay, parfait. Disposez les dans la cale principale, on va entreposer les cargaisons que transporte Le Passeur ici.

                    -Ici ?

                    -Ouais, ici. Y'a pas assez de place pour héberger tous ces gens dans les cellules, et on va quand même pas faire pioncer nos invités à côté des stocks de bouffe. Oh, et quand tu remonteras sur le pont, tu diras à Garnett de recenser le nombre de nouveaux passagers que l'on accueille à bord. Ensuite, réquisitionnez aussi autant de hamacs que de sinistrés. J'veux qu'ils aient tous de quoi dormir à l'aise.

                    -Vous voulez faire du Passeur un hôtel de luxe ou bien ?

                    -J'veux surtout qu'on aille pas dire que j'ai mal fait mon boulot. Ce serait trop bête en ce moment.

                    -Ok, compris.

                    Bonscott s'éclipse. Sitôt seul, je m'assure que ma planque personnelle de bouffe est hermétiquement close et qu'aucun passager ne découvrira ainsi le pot aux roses pendant le bout de trajet que ces civils feront avec nous. Ça aussi, ce serait fâcheux par les temps qui courent. J'ai à peine le temps de replacer solidement la planche que des bruits de pas précipités m'annoncent l'arrivée imminente d'un matelot.

                    -Hé caporal, vrai qu'on doit filer nos hamacs aux gens là ?

                    -Ouaip' Thomson, vrai de vrai.

                    -Mais où on va dormir, nous ?

                    Ah, ce Thomson. Il ne fait surtout ne pas le troubler dans sa routine ou son confort, celui-là, sans quoi c'est la panique sous son casque. Un bon gros lézard bien enrobé. Un type comme je les aime. Mais là, je peux pas me ranger de son avis.

                    -Navré, c'est les ordres du Capitaine.

                    Rejeter la faute sur les supérieurs, excuse passe-partout qui fonctionne toujours quand il s'agit de couper court aux protestations. La mine renfrognée, le matelot bougonne quelques mots. Puis la plainte s'estompe. On ne tire pas sur le messager, normal.

                    Déjà, le duo des inséparables feignasses, j'ai cité Bonscott et Young, reviennent, les bras chargés de cageots.


                    -Cale principale aménagée. 47 naufragés à accueillir. Tout l'équipage ou presque va devoir faire du bois son lit et du ciel sa couverture.

                    Pas moi, j'ai rangé ma couche dans ma planque avec le reste pour dormir à mon aise cette nuit. Mais ce n'est pas indispensable d'informer les gars de ce détail.

                    -Parfait. Posez ça au fond.

                    Ce sauvetage, c'est la providence qui me l'envoie, au final. Non content de bien faire mon boulot, j'réussirai peut-être à faire main-basse sur de quoi me faire un repas digne de ce nom. Accompagné de Thomson, Bonscott et Young, je transfère la majeure partie des cargaisons dans les geôles. Une chance qu'elles communiquent avec la grand' cale, j'aurais été obligé de faire tout ce petit manège sous les yeux de ce brave Trovahechnik sinon. M'est avis qu'il n'y aurait pas trop goûté.

                    Au terme d'une petite demi-heure d'effort tout de même, nous avons fini. L'heure est venue de remonter sur le pont. Déjà, les naufragés ont fini d'engloutir le repas qui leur a été proposé, comme suggéré par mes soins précédemment. Ils sont guidés vers leurs nouveaux "appartements" par quelques gradés qui se font bien voir.

                    Mais pas de Capitaine en vue pour le moment. Ni plus de nouvelle. Peut-être déjà remontés et dans les bureaux des officiers, à moins qu'un monstre marin n'ait fait d'eux son encas perso. Ce serait dommage quand même. En plus, s'il y a bien un truc que j'ai en horreur, c'est bien de se permettent de bouffer à l'œil comme ça.


                    -J'aurais bien un pti creux, moi...
                      Les bulles d'airs qui escortaient le corps récemment immergé de Hadoc l'abandonnent aux fonds, préférant la légèreté de la surface. Le froid se rompt les crocs sur la combinaison de plongée, mais le visage exposé témoigne de la présence de cet ennemi dans lequel le Marine évolue. Le navire, quasi immergé, ressemble à présent à un iceberg de bois et de toile las de s'accrocher au-delà du Styx. Gharr approche, vigilant. La coque porte encore le nom de l'Arielle IV. Trois soeurs l'attendent déjà dans les abysses. Arielle est grosse, pansue. La quille ressemble à une ceinture résignée à boucler des bourrelets de bois résiné; l'ensemble fait penser à une énorme tête dont seul le chapeau paraissait en surface.

                      Une cavité artificielle ressemblant à un nombril de coque en cloque laisse filer de petits objets. Il y a de l'activité là-bas. Gharr se dirige vers le trou. Des sons semblant provenir de partout s'infiltrent dans ses oreilles. L'eau répand les ondes de façon trompeuse, de quoi rappeler au Capitaine qu'il n'est maître de rien dans un océan qui n'appartient à personne, sinon au plus fort. Il passe prudemment la tête par le hublot sans vitre. Un individu de race blanche métissé poisson arrache les tiroirs d'un secrétaire, les vide, s'énerve et les jette par la lucarne qu'il a visiblement façonnée lui-même. De dos, c'est la taille disproportionnée de sa nageoire dorsale qui frappe, mais en se retournant, c'est la forme typique des requins marteaux qui prend le pas sur le descriptif particulier de l'être. Leanne rejoint le Capitaine. Au moins l'incapacité de parler sous l'eau la rendra plus silencieuse. Les renforts arrivés, Hadoc quitte le bord l'entrée pour entrer dans le champ de vision de l'homme-bête. Son attitude calme contraste visiblement avec la nervosité de fouilleur qui l'insulte immédiatement, pour peu que l'on considère qu'être un chien soit déshonorable. Une attitude menaçante risquerait de faire basculer les quintaux d'adrénaline à l'état de fureur. La raison de sa présence est aussi obscure que l'avenir d'Arielle IV, mais personne ne dicte ses règles là où la Marine se rend.

                      Le Lieutenant aussi entre. Le Marteau se redresse et observe, en rogne d'être interrompu dans son forfait. Le temps n'était pas à employer pour le superflu, il restait peu de temps au navire et le suspect devait être appréhendé puis interrogé dans un lieu où il serait simple de formuler ses questions. Quelques ordres transmis à Howell ne plurent pas, sitôt une nouvelle palabre de panique lancée, il la suit en fondant sur les Marines peu préparés à contenir ce genre de menace. Instinctif, Gharr sort les poignards de ses chevilles et pare le coups de tête du monstre emballé. Mauvaise surprise, l'os cartilagineux qui relie les deux yeux de l'homme-poisson est tranchant, il possède en guise de bélier une véritable lame et assez de puissance pour contrer la force de Gharr qui, sans appuis, se laisse emporter par la charge de la bête. Une fraction de secondes, il se demande si Leanne aussi a été touchée. La vitesse du requin est trop grande et la pression de l'eau contre son dos trop lourde, impossible de contenir la charge. La fuite par le bas exposerait la corde à être tranchée par la tête du monstre, la seule possibilité est de se cramponner au colosse blanc pour passer au-dessus de son couperet. Comment y parvenir quand les bras sont repliés au niveau du torse pour bloquer des poignards la lame mobile qui l'entraînent ? S'il y a un Juge là-haut, pourvu qu'il pense à le sortir de cette mauvaise passe.
                      • https://www.onepiece-requiem.net/t1985-le-set-samourai
                      • https://www.onepiece-requiem.net/t1888-le-capitaine-hadoc-a-emherge
                      - Bordel de Dieu ! aboya Judge. Les gars, j'vais avoir besoin d'aide ! Henry, Brown : à la corde de l'Howell ! J'vais avoir besoin d'aide aussi pour l'Hadoc ! Il y a du grabuge en bas. Deux hommes pour chaque matelot, deux avec moi pour le patron ! C'est ça, deux degrés à tribord pour le numéro six ! Jackson, venez ici, vite, maintenant !

                      Pourtant, jusqu'ici, tout s'était bien passé. Ils avaient progressé rapidement et proprement jusqu'à l'épave. Judge sentait aux frémissements des cordes que quelque chose n'allait pas. Les matelots avaient été secoués, mais ce n'était rien à côté de ce qu'avait subi Hadoc. Comme une charge de taureau dans la poire. Il fallait réagir ou on se retrouverait avec de la bouillie d'Hadoc au repas du soir.

                      - Bien, je vais tenter quelque chose. Quand j'vous dirai, vous tir'rez de toutes vos forces, compris ?

                      Judge campa sur ses deux jambes et prit position. Il fallait déployer des trésors de technique pour faire bouger une corde sur cette distance et sous l'eau. Même pour Judge qui était un virtuose, ce serait pas du tout cuit. Le vieil homme sortit de sa poche une bouteille de son tord-boyaux préféré et s'envoya une rasade. Il fit quelques mouvements de bras pour impressionner la bleusaille puis fit onduler la corde dont le mouvement alla se perdre sous l'eau.

                      - Maintenant ! Allez, tirez !!! Plus fort que ça !

                      Il sentit toute la tension dans la corde. Il devait y a voir du problème, là-dessous. Le magistrat n'aimait pas l'eau. Déjà pure et bouteille, c'était infâme, mais salée et laissée libre, c'était carrément dangereux. On y trouvait en plus de belles saloperies qui se trouvaient à deux ou trois niveaux au-dessus de l'homme dans la chaîne alimentaire.
                      Judge regarda le harpon à la proue du navire. Il fallait espérer que les hommes reviennent plus près de la surface, qu'on puisse leur venir en aide. Il y avait peut-être un filet qui avait échappé aux restrictions budgétaires du Trovahechnik.
                      Les mains sur les cordes, le magistrat suivait les grandes lignes de ce qui se passait, à genou sur le pont, sa flasque en main. Il était concentré et tous autour de lui sentaient une légère tension dans l'air. Tous attendaient d'en savoir plus sur la situation.

                      - Ils risquent de pas sortir de ce pétrin. Tenez-vous prêts au pire, les p'tits gars...
                      • http://inspirationdesurvie.net/blog
                      Une première secousse le soulève légèrement. Hadoc se prépare, Judge a entendu son appel télépathique et oeuvre à le tirer de la mauvaise passe. Le couperet du requin est toujours contenu par les lames croisées du samouraï, il faut passer par-dessus en se coordonnant à l'élan qu'apportera l'alcoolique préposé au fil d'Ariane. Une situation à vous rendre dubitatif sur vos chances de survie, mais la confiance du Capitaine envers son équipe est totale, il sait que Roy fera ce qu'il faut sans même avoir besoin de l'espérer. L'impulsion arrive, Gharr pousse des bras en luttant contre la pression et se penche vivement vers l'avant. Le dégagement s'opère, mais ce n'est pas le seul objectif du Marine.

                      Na nageoire dorsale de l'homme-poisson est démesurée, ce qui doit en partie expliquer la vitesse de l’individu très rapide même pour les êtres de son espèce. En passant à côté, l'occasion de la trancher est idéale et la puissance apportée par la course du monstre rendra encore plus puissant le coup de sabre ralenti de Gharr.

                      La lame croise l'aileron, la percute, ne la tranche pas. Un choc qui faillit briser le poignet du Marine lui apporte une donnée supplémentaire sur l'adversaire. Son aileron aussi est comme un os coupant comparable à des sabres terrestres. Etrange créature. Le recul fait faire un cumulet arrière à Gharr qui doit vite se stabiliser. L'ennemi fait demi tour dans un grand arc de cercle, pour ne perdre aucune vitesse. Le retour de la locomotive sera encore plus violent. Le peu de temps est investi à la préparation des mouvements. Un homme peut nager vite en ligne droite, mais les déplacements en dehors du prolongement de son corps sont quasi nuls. C'est là que la rope action intervient et qu'il devient possible de se mouvoir plus librement sous l'eau. Les quelques instants d'accalmie servent donc à donner des instructions sommaires au Sous-Lieutenant. U=Monter, D=Descendre, R=Droite,V= violemment, M=Laisser du mou etc. Donner plus d'informations sur la situation aurait été un confort supplémentaire, mais le marteau est déjà prêt à valider le billet retour de son unique passager.

                      Hadoc recroqueville ses jambes, rentre la tête et courbe le dos. Compacté en boule, ses lames son posées contre ses avant-bras. Le requin le foudroie, les deux wakizashis résistent. Il ressemble maintenant à une balle de cuir qu'un joueur de foot conduit directement vers les buts. Le point que veut marquer actuellement l'hybride, c'est dans le navire immergé.

                      Tu ne vas pas t'échapper cette fois.


                      Le requin plaque ses deux grosses mains palmées sur les épaules de Gharr. Impossible de se dégager cette fois. Ce n'est pas l'intention du Marine. Hadoc déplie les genoux, assuré par la prise de son adversaire, et pose ses pieds nus de l'autre côté du couperet, derrière les yeux. Le T de la tête laisse un espace suffisant pour s'y caler, l'humain serre les jambes croisées de toutes ses forces pour assurer son équilibre et faire mal au monstre qui constate qu'il n'est pas le seul à posséder beaucoup de force. Hadoc pousse sur la nuque et se détache du couperet, ses lames sont à nouveau utilisables. Il ne perd pas une seconde et les plante dans les paumes palmées qui sont forcées de lâcher le haut de son corps. Libre, il roule des épaules et plante violemment les yeux aux extrémités du guidon. Un cri assourdissant filer à travers l'eau tandis que le Marine termine son enchainement en se penchant vers l'arrière pour forcer un retournement au requin. Le dos de ce dernier frappe et perce sans mal la coque d'Arielle. L'eau rougie témoigne de la sévérité des blessures reçues par l'agresseur. Il n'y a rien de pire qu'un prédateur blessé. L'instinct dicte au marine de rembobiner le fil d'Ariane en vitesse pour évacuer la zone.

                      Problème, Leanne est aussi dans le navire. Sa corde indique qu'elle est entrée par l'endroit où, un peu plus tôt, la bête fouillait et renversait tout ce qu'elle trouvait. Le combat n'est pas fini, il faut la retrouver et l'emmener avec. En entrant dans la pièce retournée, la corde de la contrôleuse trace son itinéraire vers le couloir. Pourquoi fouiller le navire au lieu de fuir ou combattre , qu'est-ce qui a attiré son attention ? Hadoc sent le monstre se débattre de rage dans les vibrations de bois, mais il est encore loin. Il inspecte la pièce et laisse parler l'enquêteur. Peu de temps suffit à mettre la main sur des rapports et comptes rendus, tous parlant d'expériences faites sur des matricules. Le sceau du Gouvernement Mondial tamponne chaque fin de rapport. Voilà qui explique la présence des nombreuses espèces et le silence que rencontrait le Commandant lors de ses questions aux naufragées. Des scientifiques et des cobayes, la créature aveugle a sûrement tenté de s évader en trouvant le moyen de couler le navire. Elle était supérieure dans l'eau, mais ne pouvait pas fuir, il lui fallait quelque chose. Quelque chose que Howell recherche peut-être aussi actuellement. Drôle d'attitude pour une Lieutenante, venait-elle de ce navire ? Possible.

                      La corde de la contrôleuse s'agite, tire d'un coup sec, puis reprend son calme. Le requin l'a trouvée. Sans perdre plus de temps, Hadoc quitte le navire et suis le fil de l'extérieur. Quand il n'est plus sûr de toujours l'avoir en visuel, il tranche une lucarne dans la coque et vérifie qu'il est dans la bonne direction. De petits coups signalent à Judge qu'il peut le monter ou le descendre. Un nouvel orifice donnant sur les cuisine offre au Capitaine le spectacle d'une bête furieuse détruisant tout autour pour pulvériser la Lieutenante présente. Elle est armée d'un équipement de fortune, Un crochet à viande et un couteau à poisson. Un question traverse l'esprit du Capitaine: qui souhaite véritablement la mort de l'autre ? Si le Marteau est une victime, alors Howell est une potentielle coupable. Et si son objectif était en réalité de tuer le seul témoin des expériences menées ici ? Qu'importe, elle ne doit pas rester à portée des crocs du cobaye. Les Ghost Dogs tireront cette histoire au clair une fois rassemblés, il faut à présent désamorcer le conflit sans risquer de tuer l'un des deux. Le Capitaine veillera à se méfier des gestes des deux partis, personne n'a sa confiance ici et il sait que dans l'océan, personne ne vous entendra crier.

                      Il atteint les cuisines, wakizashis en main. Mr T frappe au hasard, la perte de la vue et l'odeur de son sang lui permet à peine de percevoir ce qui bouge. Il s'est emmêlé dans la corde de Leanne qui elle a dû la couper pour l'empêcher de remonter jusqu'à elle. Elle est prudente, attendant visiblement le bon moment pour tenter une porte de sortie. Hadoc communique lentement par signes à Howell. Il lui dit qu'il va lui laisser une opportunité de se décoincer de la pièce et qu'il ne faut pas tuer la créature. Il s'entaille alors le pouce et laisse le sang se mêler à l'eau. Le Marteau marteau le repère et le charge frénétiquement. VDM
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                      - Bordel de Dieu, mais qu'est-ce qu'ils foutent là-dessous ? C'est pas... 1 ! 4-7-2... c'est pas possible de faire autant de grabuge... 3 ! 2-5-4. J'ai passé l'âge de faire des cabrioles, moi. Il va m'entendre, ce cap'taine de... 1 ! 5-8-9 et 2 ! 3-3-5. Et qu'on m'amène une autre bouteille, la mienne est vide ! Quand je pense que j'aurais pu finir ma vie derrière mon comptoir, entre deux affaires pépères. En plus, mes os qui... 5 ! 1-2-2... qui me font souffrir. Il va y avoir du grabuge, c'est moi qui vous le dit, mes p'tits gars. Équipe 1 ! 6-5-8. Voilà. Attention, équipe 1, 4-2-6, voilà, en douceur et... voilà. Bon, de quoi j'causais, moi ? Ah oui, de la baston. Ben j'peux vous jurer que dans pas longtemps, va y avoir de la casse. Et pas de la petite claque entre amis, hein. Attention les mains, équipe 1 ! Je donne du mou ! Ouais, j'le sens bien, là et juste ici. Ça grince un peu que je fais ça. 'tention, les gars, j'ai besoin de vous : 1 ! 5-7-3 et 2 ! un bon 7-6-8. La pimbêche est pas dans le même secteur que le vieux briscard. Ça pue du cul, j'vous l'dis ! 4 ! 2-1-3. Merde, ce whisky, il arrive ou il arrive pas ?! Ah, tout de même. Bon, ça s'calme un peu, le gars. Tout le monde sauf les équipes 1 et 2, vous pouvez vous reposer un peu. Jadder et Myrton, relayez Dean et Flibaste à la 1. Vous pouvez éponger le sang sur vos mains, essuyer la sueur et souffler un coup. Mais restez au taquet. Je sens que c'est pas fini, tout ça.

                      Judge, les mains calleuses et calées écoutait le détail des mouvements grâce aux vibrations des cordes. La situation était pas bien joyeuse. Il ne savait pas ce qui se passait en bas, mais ils avaient rencontré une saloperie de merde. Et intelligente, à sentir les mouvements que devaient faire le capitaine pour s'en débarrasser. C'était pas une murène qui vous faisait faire des acrobaties pareilles, pour sûr.
                      Le capitaine était sorti de l'épave : les mouvements étaient plus réguliers. Par contre, la Lieutenant y était encore, elle. Et elle s'attardait, cette conne. Y a une saloperie qui se balade entre les parois d'un édifice sur le point de s'effondrer et mademoiselle fait ses courses. Ah, les femmes...

                      - Tout le monde en place ! Un homme de l'équipe 5 et un de l'équipe 7 à la 2 ! Un de l'équipe 6 à la 1 ! Préparez-vous, messieurs, ça va chier ! On laisse tomber le code d'action, on n'a plus le temps de faire mumuse ! La 1, vous descendez doucement le cap'taine ! Plus doucement encore ! Voilà. La 2, on va trimbaler la lieut' de droite à gauche, pour éviter la chose qu'elle a en face d'elle. Attention... allez-y ! Ouais. Attention... encore ! Parfait. Merde ! elle a coupé sa corde...

                      Se penchant sur les cordes des autres gars qui étaient descendus, Judge demande plus d'information sur la situation. Il s'agit d'un homme-poisson. Les hommes ont perdu le contact visuel avec les deux gradés. Judge leur donne l'ordre de se répartir tout autour de l'épave, avec le moins d'angles morts possibles. Howell n'est plus reliée. Si elle sort sans qu'on puisse la hisser, elle risque de se perdre à jamais dans le fond de l'océan. En attendant, il faut s'occuper d'Hadoc. Ce crétin et bien capable de vouloir jouer les héros pour sauver les miches de la p'tite imbécile. Si ça ne tenait qu'à lui, on la laisserait là. Après tout, c'est sa faute si elle se retrouve dans cette situation. Elle n'avait qu'à pas quitter le groupe.
                      Mais ça ne tient pas qu'à lui. Il faut la sauver. Hadoc n'aime pas avoir de morts sur la conscience. Et Judge n'aime pas avoir Hadoc sur le dos quand celui-ci a des morts sur la conscience.

                      - Tiens, les gars, j'ai une idée ! Il nous reste encore des bombes sous-marines ? Trois aveuglantes et une fumigène ? C'est peu mais ça suffira. Amenez-les-moi et attachez-les proprement à la corde du cap'taine. J'me charge de lui faire parvenir le colis. Voilà, bien ça. Équipe 1, une secousse de 5. Voilà. Il doit être mieux placé, maintenant, ce vieux renard. Merde. Ça doit pas lui faire du bien, ça. On le tire par-dessus, comme tout à l'heure. Voilà. Attendez l'ordre.

                      Pendant quelques secondes, il n'y a plus que le bruit des vagues contre la coque et le murmure des naufragés plus loin sur le bateau. Puis, un frémissement le long de la corde de Gharr. Il demande qu'on le soutienne vers l'avant, sûrement pour contenir la charge de son adversaire.

                      - En avant toute ! Il faut qu'il tienne bon ! Voilà, messieurs. Le colis est à mi-chemin, il faut tenir. Maintenant un peu d'acrobatie. Quand je vous dirai "Allez". Allez ! Encore... Allez ! C'est ça, et... Allez ! Une dernière... Allez ! Je donnerais cher pour voir ce vieil ours se prendre pour une nageuse de compétition. Le colis est bientôt arrivé. Esquive. Vite ! En haut ! Voilà. Merde, le colis est coincé à quelques mètres du capitaine. Et le plus près est le numéro 5.

                      Judge se jette sur la corde du matelot n°5 et lui explique la situation. Il faut prévenir le capitaine par un hublot qu'il a de l'aide matérielle coincée le long de sa corde. Le Gharr Hadoc est balèze, mais on ne bat que très difficilement un homme-poisson à main nue sous l'eau. Et là, on n'a pas le temps, c'est bientôt l'heure de la soupe.
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