Tu ronques ? C'est pas que je me veuille insistant, mais tu devrais jeter un oeil. J'ai trouvé quelque chose. Au début, ce n'était qu'un point lumineux, tout au loin. En m'en approchant, j'ai vu que ça grossissait, malgré la distance colossale qui nous séparait encore. Et en éteignant les champis luminescents plantés sur la lune, j'ai découvert que nous n'étions pas les seuls à être aspirés par ce machin. Je te préviens, il a un peu d'avance sur le gigantisme.
- Spoiler:
Ouais, c'est grand. Et pas très joli. Je ferais bien une manoeuvre de contournement, mais les commandes de la planète sont bloquées. On fonce vers ce truc. Et à l'impact, ça sera à peu près comme une aiguille de sapin qui tombe au milieu d'une forêt. La bonne nouvelle, c'est que si le choc ne nous tue pas, je pourrai peut-être me synchroniser avec cette saloperie. J'imagine pas que ce soit en terre, mais pour peu que ça ne soit pas une entité en gaz, l'abordage est envisageable. Bon, ça serait l'assaut d'une calorie dans un bourrelet de géant. On ne va pas trop compter sur une victoire, hein, ne nous mentons pas. Mais tu vois le gros oeil ? C'est peut-être ça notre porte. Peut-être que ce truc ne bouge pas et est gentil. Moi je serais gentil, à sa place. Déjà, parce qu'être méchant, ça ne sert à rien quand t'es seul. Puis allez quoi, il n'a pas l'air d'une créature qui a besoin d'une épaule sur laquelle se poser ? J'ai une grande capacité d'écoute moi, puis je te fais de superbes bains de boue relaxante. Plus j'y réfléchis, plus je le sens bien ce truc.
Je suis ce que tu appelles la porte noire. Ton errance prend fin.
Ah, ben voilà qui est parlé. Je l'avais dit, que t'avais une bonne bouille. Je l'avais dit, hein ? Eh ouais, devin le....Une excroissance de mon corps rejoint la lune qui s'éclaire à nouveau. J'y lit un mot gravé dans la terre.
Mi-nos. Minos. Devin, le Minos. Il y a deux chemins. Celui où il n'y en a qu'un et celui où il y en a plusieurs. Si tu veux accéder au monde des multiples chemins, tu devras répondre à trois questions et m'offrir quelque chose. Trois questions ? Si c'est qui a remporté la Nouvelle Etoile, je dois dire que je suis plus trop actu là. Puis, la culture générale, ça n'a jamais vraiment été ma super came. Est-ce que j'ai une alternative ? Comme une épreuve sportive ou un truc du genre ? Non. Bon. C'est carré-carré chez vous, hein ? Allez alors, on tente les questions. Mais je veux du temps pour trouver la réponse hein! Pas de sablier ni rien. Cool Raoul. A l'aise Blaise. Flex Alex. Tranquille Emile. C'est bon, j'ai fini. Comment t'appelles-tu ? Huh ? Ha ha ! C'est ça la question une ? Ha ha, ouais ok, t'es vraiment trop sympa. Je me reprends. Et là, un doute. Un sale. Je lui ai dit que je m'appelle Minos, mais est-ce que c'est vraiment mon nom ? J'ai eu du mal à lire cette écriture, et si j'avais interverti des lettres ? Ou que c'était le nom d'une personne qui m'est chère et que j'ai oubliée ? Je ne me sens pas du genre à graver ce genre de truc, je suis quasi sûr que c'est mon nom qui est là. Mais si je me gourais ? Rha, il me fait douter ce con. Bon, est-ce que j'ai une autre idée, en même temps ? Au pire, si je ne me rappelle pas du tout mon vrai prénom, mais que je choisis d'être baptisé Minos, qu'est-ce qu'il va y faire l'autre ? J'hésite quand même. La réponse probable, c'est Minos. La vraie réponse, c'est que j'en sais rien.
Désormais, je m'appelle Minos. Quelle est ta quête ? Ah ouais, on ramasse les copies en fin d'interro et tu vois seulement si t'as merdé ou pas ? C'est pas super empathique ça, l'est pas très amitieux le gros machin pour le coup. Hmm, la réponse de ma venue ici. Ben, sortir. C'est plutôt simple comme questionnaire. A moins que la prochaine question soit un truc genre la vitesse de vol d'une mouette.
La vengeance. Envers celui qui m'a enfermé ici, mais aussi envers le reste. Je sais que j'ai de la colère en moi et que c'est une rage vengeresse. Envers qui, ce n'est plus clair. Mais c'est là, alors je m'en sers.
Be-curious s'infiltre dans ma matière pour me faire voir un truc, comme s'il glissait une peinture derrière mes paupières. Ça représente trois créatures. Deux petits parasites, l'un en chitine, l'autre en cuir, posés sur une troisième, toute en terre.
A quel xénotype appartiens-tu ? Huh ? Ah ben ça va, c'est pas trop complexe là non plus. Je suis le truc en terre moi. Les trucs à pattes, c'est pas trop mon genre.
Je suis...attends...Attends, attends, attends, pourquoi deux des trois créatures se ressemblent vachement et pourquoi le mien est justement le plus différent ? Et pourquoi une autre créature m'évoque quelque chose ? Pas le petit truc moche à tête brune, ça j'aurais honte d'être son père pour tout dire. Je cause du truc derrière, avec les guiboles taillées pour le saut. Ça me parle. Or, je n'ai que de la terre qui me compose là et rien d'autre. Aucun des organismes qui profite de moi ne ressemble à ce truc. Alors pourquoi j'ai cette impression de la connaître ? Ça n'a pas de sens de se rappeler un truc qu'on n'a jamais pu connaître.
T'es bloqué, Minos. C'est comme quand tu sais que t'as fait un rêve génial, mais qu'il t'es absolument impossible de poser des images dessus. Que des impressions. C'est ce que j'ai et ça persiste. Ne trouvant aucune réponse à fournir, je tente l'appel à un ami et l'avis du public.
Qu'est-ce qu'il va m'arriver si je me trompe sur celle-là ?
L'une de ces espèces est ton ancre. Je te rendrai à ce que tu penses être toi, même si tu te trompes. Mais tu ne réaliseras ton erreur qu'une fois dans ta dimension. Hmm, je suis en train de me dire que peut-être qu'il y a quatre xénotypes en fait et que je suis le vide autour des autres créatures. Il ne répond rien. C'était pas une question en même temps. Mais ça m'énerve. La terre me semble trop évidente, j'ai dû la devenir pour arriver ici. Donc, je suis la créature à plus de pattes ? Ou l'autre avec la tête qu brille ?
Le temps passe. Ma porte noire semble un peu plus grande encore, je continue de m'approcher. Expérience au labo! Je reproduis les deux bestioles avec ma terre, je teste. Je les anime comme j'imagine que ça bouge, puis les fais se combattre. Ça finit toujours de la même façon : j'ensevelis la plus de pattes qui vient de butter la moins de pattes. Ma mémoire ne me revient pas. Au contraire, il me semble que plus je réfléchis aux choses, plus j'en doute. La réponse ne se trouve pas ici. Pas dans ma tête, pas plus que mon corps. Je lève encore les yeux sur mon nom gravé et une bonne question ricoche dans ma pensée. Avec quoi j'ai fait ça ?
Je m'étends à nouveau pour rejoindre la lune et y sculpte les deux parasites que j'incarne. Tous deux tentent de reproduire la même gravure. Sans succès. L'un peine à creuser la terre tandis que l'autre creuse de profonds sillons sans grande finesse. Je les fais se déplacer, errer sur cette sphère où je n'ai plus souvenir de m'être rendu. C'est là que la solution m'apparait enfin. Dans la terre, une trace de pied. Un truc en longueur et sans griffes, bien plus proche du passage de tête lisse que gueule à crocs. Je vérifie, j'étudie minutieusement le site. Je suis déjà passé par ici en étant un xénotype à deux jambes. C'est un petit pas pour l'humanoïde que je devais être, mais un grand pas pour le monde que je suis devenu. Toujours dubitatif, je cherche d'autres traces. En vain. Je suis soit de la terre, soit une créature faible qui a créé ce sanctuaire, soit une créature forte qui...qui est devenue faible pour créer un sanctuaire ? Allons, ça n'a pas de sens. La logique se met en place. J'ai bien muté pour m'adapter. J'ai été deux pattes, puis quatre pattes, puis une planète. J'ai muté pour survivre, donc ma base doit être le plus inadapté des êtres. Eh merde, prends-toi ça dans la gueule. Sans quitter le site de la trace, je donne enfin ma réponse à la porte.
Je suis plus proche de l'espèce à tête brune et lisse. La lune, la planète, absolument tout se rassemble instantanément au coeur de l'oeil gigantesque que je sens se comprimer également autour de moi. Ma matière se confond avec toutes les autres et perd ses spécificités. Tout s'affaisse, éclate et je hurle en me découvrant dans une cuve, des lianes enfoncées dans la bouche. Ça m'étouffe! Je me redresse pour me heurter à un genre de toile souple et gluante. J'y mets un coup de poing pour sentir le froid s'installer sur le liquide qui me nappe là où la main a percé. La douleur et le dégout me donnent envie de vomir, tout comme ce bois qui m'aplatit la langue. Je déchire le voile et m'extrais de ce truc tiède et poisseux. Je ne peux toujours pas respirer, le tube de végétaux me bloque les voies. Je le saisis en toussant comme un vieux fumeur et l'arrache si vite qu'il me semble que mes poumons ressortent avec le tube. Mais non, c'est un genre de sève amère que je vomis en toussant, cambré et vite frigorifié par cet air agressif qui me ronge la chair. C'est pire encore quand l'atmosphère polaire me brûle le nez jusqu'à la gorge. J'ai l'impression de respirer le blizzard et ne peux pas m'arrêter. Ma tête dit qu'elle a besoin d'oxygène, mon estomac de continuer à dégueuler, même si mes abdos contractés virent aux crampes, même je n'ai plus rien à cracher que de la salive qui me bave lamentablement des lèvres à un avant-bras accoudé dans la flaque. L'acidité, les tremblements, la saturation, le cri. Tout en récupérant, je ressens les poils des mes bras et des mes cuisses se hérisser. Je suis bien un humain, ça me parait clair maintenant.
Je me tourne et me pose sur le dos quand je suis sûr de ne plus avoir de sève à expectorer. La cuve dans laquelle j'étais est un genre de grosse poche translucide dans une salle relativement basse et très ample, toute en racines sombres d'un arbre indéfini. D'ici, on dirait toujours les tentacules de l'autre fantasme à nerds. Je sens une pointe de ma barbe s'écouler sur mon torse. Bordel, j'ai de la barbe. Et pas une de uber-sexuelle hein, on est dans le clodos troisième dan. J'ai roupillé longtemps dans ce bain pudique. Je dis ça parce que je suis à poil, mais aussi parce que je suis seul. Tiens, ça me rappelle mon rêve. Y avait un machin avec une boule de feu, mais en terre. Et je sais que je balançais des théories dont j'ai aucune idée de si c'était con ou pas. Mais dans mon rêve, ça semblait hyper cohérent. C'est chiant ça, quand t'as aucune trace de tes rêves. Tiens, je suis musclé. Vachement même ! J'étais tout rachitique, malade comme un utérus de prostituée à la retraite. Le rêve est flou, mais je me rappelle ce que je fais ici. Sergueï s'inquiétait pour moi, la Légion flippait de me voir flotter de plus en plus dans mon armure. Alors, je me suis cassé. Un chef malade, ça le fait pas. Je préférais crever ou disparaître plutôt que ruiner le moral des troupes. Attends, y a un connard dont je dois m'occuper, qu'j'y pense.
Avec un gémissement viril de mec qui a mérité de grincer un peu, tant son corps se fait lourd à redresser, je fais mon bilan. Le corps va bien, même si j'ai la dalle. C'est pas une sousoupe de sève d'arbre qui te cale hein, déjà que je boirai jamais de jus d'aloe vera malgré l'effet de mode qui t'en colle tout autour du pouvoir d'achat. Faut que je me casse d'ici et que je me bouffe un cornu. Ou même un non-cornu, tiens, rien à foutre.
Kreeeaaaaaaaaaaarrrrrr !!! Hmm ? C'était tout proche ça. Je fais quelques pas dans cette pièce à peine éclairée par les quelques poches orange qui composent la balnéothérapie locale. Un autre client, et pas un de ceux qu'on aime voir mécontents. Un machin grand, autant que moi. Avec une carapace de chitine grise, trois paires de pattes griffues et une tronche à crocs occupés à couper la liane qui l'intubait elle aussi. Je suis sûr d'avoir déjà vu cette espèce quelque part.
Bienvenue dans le monde réel.