Quelques jours plus tôt :
-OUAISS ! OIII ! TUE-LE !
La foule est en extase. Les bras tendus vers le ciel en sont la métaphore. De toute part, les cris de joie et de rage fusent pour la gloire des combattants. Le sable rouge brille sous mes pieds nus. Mon corps, soutenu par de longues mèches, se balance au-dessus du sol. Une crinière blonde tombe mollement sur mon œil droit tandis qu’un sourire enfantin illumine mon minois. Autour de moi, dans un cercle que je constitue, plusieurs hommes et femmes armés se font face. Entre nous, loin du brouhaha ambiant, le jeu des regards cherche à estimer la force de chacun ainsi que le plus faible. Quelle sera la première proie ? Qui sera le maillon faible et cassera la chaîne ? Un sourire en coin apparaît chez l’un de mes opposants. Le premier coup de couteau vole et déchire le haut d’un autre. Premières perles de sang et voila la reprise des cris du public. Des animaux assoiffés par le carnage proche et le sang qui ne peuvent verser : des faibles.
En prise avec un balafré au crâne brillant, je me laisse porter de bonds en bonds par mes cheveux. Il se fatigue à me poursuivre et soulever des gerbes de poussière à chaque coup. Ses muscles, trop lents, ne peuvent rivaliser. J’entends mon surnom du moment, « Little Girl », scandé par la foule. Une troisième mèche blonde se dresse au zénith de mon crâne, se durcit et s’aiguise avant de s’abattre d’un seul coup. Le sol se fissure doucement tandis que le souffle continue sa route ne s’arrêtant qu’à la rencontre d’un participant. Au mauvais endroit, il titube avant de perdre l’usage d’un de ses bras inondant le sol de ses larmes rouge et nos tympans de ses couinements…
….
Seule, encore debout, les habits décousus et teintés par le sang des opposants, je reste statique. Devant les énormes grilles, j’attends qu’on m’ouvre le passage aux coulisses. Ni les cris de joie, les rires et autres suintements d’affection et d’admiration ne m’émeuvent. Un den-den haut-parleur crache les futures réjouissances, les croque-morts récupèrent leurs dû et la herse s’élève dans un vrombissement sourd, rituels immuables. Véritable labyrinthe, les couloirs s’emmêlent et se ressemblent. On entend les cris émanant du combat en cours. Proche de mon point d’arrivé, un homme passe à mes côtés, le regard froid, la veste en cuir roulé autour du bras. Il fredonne : « quand je rentre dans l’arène - j’suis comme un dieu qui s’amène… ».
Le Bureau des Paris. La salle est bondée, comme à son habitude, et l’argent circule à flux tendus. Assise sur le bord d’un tabouret, je sirote un lait fraise en compagnie de « I’m Outta Rhum » du célèbre Tahar Tahgel.
Pulu-Pulu… Pulu-Pulu
-OÏ ! Little Girl ! C’pour toi.
-Hummm ? ♪ Sourcil soulevé, j’observe le combiné. - Allôô ? ☼
-Agent Quinn ?
-Ah ! Ça fait longtemps que je n’ai pas entendu ça.
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Maintenant :
Le haut du corps penché au-dessus du garde bout, j’observe l’écume formée par le navire. Voila plusieurs jours que nous sommes partis et je me fais chier ferme. La galère y’a rien à foutre. Les joues gonflées par l’ennuie, je laisse les minutes s’étirer en heures. J’peux pas cuisiner, j’sais pas. Ni naviguer, j’sais pas. J’pourrais. Mais les tenues ne sont « pas adaptées ». Le livre, presque fini, trône quelque part dans la cabine.
La seule information en ma possession : Shabondy. La mission, quant à elle, reste un mystère grisé. Mon interlocuteur est un certain Etzmurt. Apparemment « As de la révolution », il n’est pas connu à mon actif. A ma décharge, cela fait longtemps, trop, que je suis coupé de tout. Ruminant ma haine contre Le Kidd et ma perte d’âge. Une fois cette mission finie, je me casse à sa recherche. Je veux retrouver mon vrai moi, enfin… celle après avoir mangé ce fruit caché dans le Boru Bodur. Perdue dans mes pensées, ressassant mon passé, je n’ai pas remarqué l’embarcation approchant de notre position. C’est un petit vaisseau, mobile et rapide, qui permet de faire la navette entre les différents navires. Un mousse aux tâches de rousseur apparentes s’approche de moi. S’essuyant les mains rigoureusement sur son pantalon, il me demande de bien vouloir le suivre avec une voix chevrotante. J’accepte sans rechigner et me laisse guider par le jeunot après avoir récupéré mes quelques affaires.
Sac à dos paillettes en place, je pose enfin le pied sur le navire de tête. Tandis que j’avance sur le ponton, une foule de marins révolutionnaires me dévisagent. L’œil mauvais, je leur rends leur accueille peu chaleureux tandis qu’une voix s’élève derrière moi : serait-ce Etzmurt ?