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Intérêts communs

«Encore un peu de crémasse, Trésor?»

Sortant de la lecture de son journal, Ohwo contempla un instant la liqueur diluée dans le résidu de glaçons agonisants. Son verre lui criait refill, mais il était trop timide pour accepter l’offre de sa coiffeuse. Pourtant, ils se connaissaient depuis belle lurette.

il se pencha afin que le casque séchoir cesse de lui bloquer la vue. Tendant son verre à deux mains, le danseur acquiesça presque d’une excuse. Shonde, sa coiffeuse, déposa trois glaçons dans son drink à l’aide de grandes pinces et versa une généreuse rasade de crémasse. Elle lui envoya un charmant clin d’œil et proposa des rafraîchissements à la chaise d’à côté.

Ohwo chercha rapidement la ligne à laquelle il était rendu avant de réaliser qu’il n’avait plus envie de relire cet article. C’était le même journal qu’il relisait depuis le début de sa teinture. Outre la petite rubrique sur les potins de Manshon et les trop brèves nouvelles internationales, le danseur avait rapidement fait son compte de la feuille de chou.

Il ne savait pas vraiment comment s’adresser aux clientes qui se trouvait autour de lui. Déjà passablement mal à l’aise d’être le seul homme dans le salon, toutes les femmes parlaient avec un slang qu’il peinait à comprendre. Il se contenta de regarder leurs longues jambes se croiser et se décroiser au fil des conversations animées.

Ses deux voisines, elles aussi sous le casque séchoir, se criait des informations sur leurs maris qui semblaient être infidèles, ou du moins qui le laissait paraitre. De temps en temps, l’une d’elle frappait Ohwo sur l’épaule pour qu’il attire l’attention de l’autre qui ne pouvait pas l’entendre.

«-Et toi, Petit lait? T’en penses quoi?
-Toi, Petit lait, t’en penses quoi, répéta Ohwo à sa voisine de droite un lui tapotant l'épaule.
-Non c’est à toi que je parle, cette fois-ci, Petit lait.»

Les vaisseaux sanguins de ses joues se laissèrent violement aller. Sentant la gêne l’envahir, Ohwo n’eut qu’un bredouillement innocent s’excusant de ne pas avoir écouté.

«-Ha. Je croyais que tu nous épiais depuis tantôt. T’es un bon petit gars.
-M-merci, répondit le bon petit gars.»

Un silence malaisant plana un moment.

«J’vais t’expliquer alors : Mon bae travaille comme collecteur pour les Tempiesta.  Il faisait sa journée comme d'habitude, mais son boss l'a envoyé voir un type qui recommence les affaires avec lui. Un genre de crapule qui change constamment de gang et qui s'en tire à chauqe fois. Et là, imagine toi qu'il s’est fait offrir de payer la taxe en huile de Vyper.
-Ah ouais? Y’en a qui on ça en ville? s'étonna Ohwo. Il ne durera pas longtemps si il s’affiche aussi stupidement devant les Tempis. »

Son interlocutrice approuva en pointa la fille à la droite d’Ohwo qui elle-même lâcha un «hum-hum» d’approbation. Voyant que des sisters parlaient au petit muet, les regards se levèrent des magazines modes pour épier la conversation. Le danseur, beaucoup plus habitué à l’anonymat des clubs sombres, se trouvait  beaucoup trop au centre de l’attention.

«-C’ça que j’lui ai dit, déclara la femme de droite en tendant la main à Ohwo, attendant de lui qu’il réponde à l’invitation de tappe.
-Encore là, rien ne prouve que c’est de la vrai beuh, » lança-t-il en effectuant maladroitement les moves de main qui satisfirent sa voisine.

Les autres clientes hochèrent la tête. Le danseur freluquet était définitivement en train d’alimenter son «street cred».

«-Comme t’as une certaine crédibilité là-dedans, ça ne te dirait pas d’aller mettre un peu de plomb dans sa petite tête?»

Ohwo sursauta. Il ne savait pas qu’on le reconnaissait en dehors de ses heures d’ouvertures habituelles. Le soir, seul dans la rue avec des bâtons luminescents aux poignets et d’énormes faux dreadlocks verts fluo, il comprenait qu’on le reconnaisse comme un commerçant de narcos, mais pas chez le coiffeur, la tête encore recouverte de papier d’aluminium.

Réfléchissant un certain temps, il se laissa tenter:

«Je peux essayer de le convaincre… C’est qui?
-Ah je savais que je pouvais compter sur toi, p’tit lait. Je te donne ses coordos dès que mon masque finit.»

Elle croisa les jambes et commença à papoter avec son autre voisine. Les regards redescendirent sur les magazines.

Après s’être obstiné pendant cinq minutes avec son mari sur le Den-Den Mushi du salon pour qu’il parle à l’expert en narcos, la cliente put enfin lui donner avec certitude un lieu de rencontre. Ohwo la remercia en payant la coiffeuse avec un volumineux sac en papier kraft de produits chimiques. C’était son principal mode de paiement et sa meilleure façon de s’assurer une certaine discrétion quant à la rousseur de sa repousse.

Suivant les indications écrites au dos d’une carte du salon, Ohwo faisait son plan dans sa tête. Il était convenu d’aider la dame et d’empêcher que son époux se fasse descendre pour jouer dans le dos des mafieux, mais il comptait bien recevoir quelque chose en échange de ce service. L’argent? Non. Des sbires de ce genre ont rarement l’intention de se séparer de leurs berrys sans se défendre bec et ongles. Des «tasters» de vyper? Minimalement. Essayer cette drogue pourrait être une belle expérience pour ses recherches. Pourtant, un bon trippe et une émaille éclatante étaient bien loin de son désir véritable : un lien avec Carcimonia. Plusieurs de ses consommateurs le considérait son stock encore inférieur aux assemblages des Omégas. Ça faisait un certain temps qu’Ohwo voulait rencontrer un de ces chimistes géniaux pour lui dérober tous ses secrets. Avec cette expertise, il pourrait facilement faire le paquet auprès d’une famille.
Le danseur se voyait déjà, couché sur une pile d’argent dans son club préféré en train d’apprécier le buzz le plus doux des narcotiques de Carcimonia.

Marchant à l’ombre des ruelles pour éviter le vibrant soleil de 17h, Ohwo rejoint rapidement le point de rendez-vous. Un petit type avec un trenchcoat beaucoup trop grand pour lui l’attendait dans les escaliers de la sortie d’urgence. Il sursauta en le voyant arriver, allant même jusqu’à porter sa main à son holster. La vue du raveur les mains en l’air, l’une tenant une bouteille de Crémasse, baissa son anxiété.

«C’est Mshaque qui t’envoie? »

Ohwo hocha timidement la tête. Rassuré, le sbire enleva son chapeau et le déposa sur les marches. Puis, laissant tomber un soupir d’exaspération, raconta la situation à son nouveau contact. Bane Split, le mari en question en question, était tombé sur ce qu’il croyait être une mine de vyper en allant récolter chez un des nouveaux gérant qui s'occupe des docks. Outre le trouble qu’était celui de revendre toute la drogue, Split estimait qu’il y avait de quoi amplement payer sa protection lorsqu'il déguerpirait de l'île. Il s’était lui-même assurer que le produit soi vrai.

Ohwo arqua le sourcil. Baissant son masque, il demanda au sbire de lui montrer ses dents. Jaunes, évidement.

«Avais-tu les dents noires avant d’essayer?
-N-na? T’insinues quoi, connard?

Ohwo tourna les talons et entreprit de sortir de la ruelle.

«Que c’est de la fausse, crétin. Fallait s’y attendre, faut avoir d’assez grosses couilles pour faire entrer le stock des Omega sur l’île, alors qu’il faut simplement être un idiot pour prétendre en avoir. »
-Et qu’est-ce que je fais ma taxe moi
?
-Pètes-y les jambes, proposa Ohwo en haussant les épaules. Je m’en fous. Si t’as pas de contacts sérieux avec Carci’, je me casse. Tu peux garder la bouteille

Bane jeta son chapeau sur le sol, maugréant contre cet idiot de marin. Il ne se ferait pas avoir une deuxième fois par ce charlatan. Après avoir pris une longue rasade de liqueur, il se tourna vers Ohwo et lança :

«-Merci. Tu m’as évité d’avoir l’air d’un crétin. Si tu veux un contact pour Carcimonia, j’ai entendu dire qu’au Prisé Barbot, un type en parle souvent. Un genre de grand zarbi brunot pas fiable. Peut-être qu’il pourrait t’y mener. »

Ohwo se contenta de lui répondre en levant le bras. Cette information l’excitait beaucoup plus qu’il ne le laissait paraître. Dès que le soir allait tomber, il allait s’éclater la face et aller au Prisé Barbot.