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[Halloween 2019] Requiem in Piece

[Halloween 2019] Requiem in Piece Requie10

Après des dizaines de minutes de marche, vous apercevez finalement la lueur perçant la brume d'un phare. L'eau ne cesse de grignoter la roche glissante de l'île. Un eau glacée, chargée des intentions presque palpables de vouloir vous croquer et gober au fond de l'océan à chaque raclement de vague autour de vous. Car le niveau de la mer ne cesse de grimper et l'île de se réduire, entre la voracité des vagues et les farces du brouillard. Si le phare existe et est éclairé, c'est que vous y serez à l'abri. Sans nouvelles des vôtres, le temps manquant, c'est de toute façon votre seule alternative.

Parvenue tant bien que mal au pied du phare, une échelle de corde pend, du sommet à l'absence de porte. Ballotée par le vent, vous pouvez vous en saisir pour grimper et aller vers la lumière. A présent que vous vous hissez au sommet du bâtiment, le fouet de l'océan contre le mur ressemble aux jurons des dieux obscurs. Et là, assemblés autour du feu, un groupe assis en cercle converse sans trop vous prêter attention. Ils se racontent des histoires d'épouvante, l'un après l'autre. Toutes vantent un monstre, la disparition d'un équipage ou jurent d'une rumeur terrifiante qu'elle est un fait. Vous remarquez que les campeurs, disparates, pourvoient chaque conteur de bonbons ou d'un remplissage de verre de ce que vous devinez être une liqueur. Pris par la soif, la faim, ou la simple envie d'un contact qui vous a fait défaut depuis votre arrivée sur l'île qu'aucun log pose ne référençait, vous prenez place autour du fanal dont la chaleur se fait salutaire tandis que vos vêtements commencent enfin à égoutter plus d'eau qu'ils n'en boivent. A propos de boire, vous ne tardez guère à recevoir le verre de la parole et l'attention des autres naufragés. Vide pour l'heure, vous gagez qu'un breuvage réconfortant ravivera le feu intérieur si vous vous mettez à narrer. Dans les moments de silence, le rugissement de l'océan semble redoubler, comme pour vous ordonner de vanter les dangers de le parcourir.
    Cher journal,
    Chers auditeurs,

    Le vieux manoir sur la colline a toujours eu une drôle de réputation. Déjà lorsque j'étais enfant on racontait beaucoup d’histoires à propos de cette bâtisse à l’allure sinistre laissée à l'abandon. Des histoires de fantômes, de disparitions, de morts dans des circonstances horribles...
    Il faut dire que tout son aspect s'y prête: il s'agit d’un imposant bâtiment de pierre grise dominant le voisinage de toute sa masse, sans doute grandiose autrefois mais à présent usé par le temps et envahi par le lierre. Ses nombreuses fenêtres réparties sur les trois étages, condamnées pour la plupart par de vieilles planches de bois abîmées par les intempéries, sont autant d'yeux qui semblent vous observer d'un regard mort chaque fois que vous vous en approchez. Le manoir est entouré par un parc laissé à l'abandon où les mauvaises herbes se battent en duel avec des champs de ronces au milieu d’arbres dépareillés, et dont l’accès est interdit par une haute grille en fer rouillé garnie de pointes qui achève de donner à l'ensemble un air sinistre et hostile.

    C'était une idée de Jonny -sans h-, de venir passer la nuit ici. Je crois qu'il voulait impressionner la belle Jehnny -avec un h-, sa petite amie, ou bien simplement lui faire peur. Ou alors les deux, peu importe tant que ça mettait en valeur sa virilité. Il n'en a pourtant pas besoin: Jonny est déjà beau, blond, musclé, doté d’un charme fou et d’un regard... mmmmh !
    Jehnny, pas si folle que ça, a insisté pour que sa meilleure amie Lucy vienne avec elle. Lucy c'est un peu le cliché de la blonde à grosse poitrine un peu nunuche. Elle n'a pas mis longtemps à bavarder et elle en a parlé à leur ami Jordy qui se mêle de tout (je ne l'ai jamais trop aimé c'est un gros pénible qui se moque de toute le monde, mais les amis de mes amis... vous savez ce qu'on dit), et Jordy en a parlé à son frère Lenny. Comme Lenny c'est mon petit ami depuis deux semaines, me voilà aussi !

    Le soir venu, nous avons pénétré dans l'enceinte du parc grâce à un trou dans la clôture que les garçons avaient repéré dans la journée. On a tous pris ça à la rigolade au début: il faut dire que Jonny et Lenny sont forts pour nous rassurer tout en nous faisant rire ! Pourtant l'ambiance est devenue pesante lorsque nous sommes arrivés devant le manoir en lui-même. C'est vrai qu'il fallait être discrets pour ne pas se faire remarquer car nous n'avions pas le droit d'être là, mais je sentais bien qu'il y avait autre chose…
    L'une des fenêtres était brisée et les planches arrachées, et c'est par là que nous sommes entrés.

    "- Rentrez, rentrez, allez-y ! Tu t'en sors Jehnny ? Prends ma main si tu veux."
    "- Merci Jonny mon chéri !
    "- Iiiih, qu'est-ce que c'est ?!"
    "- Ha ha ha ! C'est le fantôôôôme du manoir !"
    "- Ne dis pas de bêtises Jordy ! T'es vraiment trop bête !"

    Je vois Jehnny qui se cramponne au bras de son copain, et j'en fais autant avec mon homme qui me rassure:

    "- T'inquiètes bébé, ce sont juste des toiles d'araignée."
    "- C'est dégoûtant !" Conclut Lucy qui n'en mène pas large !

    Une fois tous entrés, Jehnny craque une allumette et allume plusieurs lampes-tempête. L'intérieur du manoir est sombre, vraiment sombre, malgré la lumière chaude et rassurante de nos lampes. Jordy propose, avec un air gaillard, d'explorer un peu et c'est ce que nous faisons. J'aurais préféré qu'on se trouve tout de suite un coin et qu'on ne bouge pas trop, voire qu'on reste carrément dehors, mais je préfère ne pas me séparer des autres alors je les suis.

    Toutes les pièces que nous visitons se ressemblent un peu: de vieux murs sales aux papiers peints vieillots et délavés, des boiseries dont la peinture s'écaille, de hauts plafonds qui font que tous les bruits résonnent, des tapis effilochés, un peu mous et pleins de poussière, et un plancher d'un autre âge qui grince à chaque pas. Il y a aussi beaucoup de toiles d'araignées, ce qui ne plaît pas du tout à Lucy au point que celle-ci panique et se met à crier qu'elle veut sortir !! Il faut que Lenny la retienne par le bras, et lui explique que de toute façon le temps est menaçant et qu'il risque de bientôt pleuvoir pour qu'elle accepte de rester.
    Beaucoup de meubles sont encore là, pour la plupart recouverts de draps blancs dans un vain espoir de les protéger de l'usure ce qui leur donne un aspect un peu inquiétant de fantômes endormis. Jordy s'empare de l'un d'eux, s'en recouvre, et s'avance vers moi en s'exclamant d'une voix bête:

    "- Ouuuuh, je suis le fantôme de la vieille comtesse !"
    "- Arrête Jordy, t'es pas drôle" lui dis-je d'un air agacé.
    "- Ouuuuuh !"
    "- Quelqu'un sait pourquoi ce manoir est abandonné au fait ? La vraie raison, je veux dire ?"

    Oh non Jehnny, tu étais forcée de demander ça ? Si c'est une histoire glauque je n'ai vraiment pas envie de savoir ! Hélas Jonny saute sur l'occasion avec un sourire ravi:

    "- Ça s'est passé il y a au moins cent ans. Il y avait une comtesse qui vivait ici, une femme très belle, vraiment super bonne tu vois ? Tous les mecs la voulaient, et elle ne se privait pas ! La nuit elle faisait venir ses amants dans le manoir, et c'était la folie ! Et puis son mari le comte l'a découverte, et il était vénère ! On raconte que pour la punir il l'a fait emmurer vivante quelque part dans leur maison ! Elle a mis des jours à mourir et ses cris de désespoir s’entendaient jusqu’au village ! Depuis, même longtemps après sa mort, des gens entendent parfois des cris horribles qui viennent du manoir. Certains l'ont même vue il paraît, comme un fantôme, et ceux-là ont tous disparu mystérieusement..."

    ☾☾☾☾

    Dehors le temps s'est sérieusement gâté: la nuit est entièrement tombée, une couche de nuages noirs et menaçants a fini de recouvrir le ciel, et on distingue à peine le village au loin, en regardant à travers les fenêtres condamnées. Seule la lueur du phare, au loin sur la falaise, est là comme un encouragent, un signe que la civilisation existe encore et que le jour finira par se lever sur ce manoir sinistre.
    Le vent s'est levé lui aussi et souffle avec force sur le manoir, faisant grincer les murs et agitant les arbres dans le parc qui dansent comme de grands épouvantails sinistres. Il s'engouffre dans les brèches entre les ardoises et fait siffler les fenêtres. Je ne suis vraiment pas rassurée, et heureusement que les garçons sont avec nous pour nous protéger !

    "- La tempête est en train d’arriver. Je vais vite aller chercher un peu de bois dehors pour qu'on puisse allumer un feu."

    Je m'inquiète:

    "- Tu es sur Jordy ? C'est dangereux avec tout ce vent, tu devrais peut-être..."
    "- Hahaha, tu as peur ? Tu crois que le fantôme de la comtesse va m'emporter ? Hahaha !"
    "- Il a raison bébé, il nous faut du feu pour faire griller nos brochettes" ajoute Lenny de son air rassurant. "Les filles, vous voulez bien commencer à installer les affaires à l'étage ? Jonny et moi on va voir ce qu'il y a au grenier !"
    "- Je viens avec vous !" S'exclame Lucy !

    Je suis sure qu'elle fait ça parce qu'elle veut rester avec les garçons ! On sait très bien qu'elle a des vues sur Jonny ! Bah, tant qu'elle se s'approche pas de mon Lenny...
    Moi, je préfère ne rien dire plutôt que de me faire moquer de moi et je vais avec Jehnny pour monter les affaires à l'étage.

    Nous avons choisi de nous installer dans ce qui a l'air d'être une ancienne chambre, parce que c'est une pièce assez spacieuse mais pas trop (dans certaines autres on se sent vraiment mal à l'aise), avec un grand lit (je n'ai pas très envie de dormir sur un vieux matelas par terre !) et une cheminée. Maintenant que je suis toute seule avec mon amie je me sens nettement moins rassurée, et inconsciemment je me suis mise à parler à voix basse. Je ne sais pas si c'est à cause de la tempête, de toutes les boiseries qui craquent, de l'atmosphère chargée de souvenirs de cette maison ou simplement parce que j'ai peur, mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir l'impression que quelqu'un nous observe ! Je me retourne brusquement à plusieurs reprises, tend une lampe en direction du noir tout autour de nous... mais non, rien. La sensation est toujours là pourtant...

    Jehnny, elle, est beaucoup plus à l'aise que moi ! Elle fait vraiment la paire avec son copain Jonny ! Après avoir laissé les affaires en vrac devant la cheminée, elle s'est mise en tête de faire le tour des pièces voisines en faisant plein de bruit !

    "- Hé, viens voir, il y a même une salle de bain ici !"
    "- Tu penses qu'il faudrait demander aux garçons d'amener un deuxième lit ici ?"
    "- C'est génial, la baignoire fonctionne encore !"
    "- Jehnny, s'il te..."
    "- Ça tombe bien, j'ai vraiment besoin d'un bain. Je me sens toute sale à force d'être dans toutes ces pièces pleines de saleté. Super ! Comme ça je vais être propre quand les autres reviendront !"

    J'ai beau lui dire que ce n'est surement pas le bon moment ni le bon endroit, rien n'y fait ! La voilà qui ouvre des canalisations vieilles d'au moins cent ans et commence à faire couler de l'eau dans la baignoire. Je la laisse à ses ablutions et retourne dans la chambre.

    Me voilà toute seule... exactement ce que je ne voulais pas ! Je ne supporte pas cette obscurité tout autour qui me donne l'impression de chercher à se refermer sur moi dès que je détourne mon attention ! J'essaie bien de m'occuper en déballant nos quelques affaires (des couvertures et de quoi manger principalement), mais des craquements sinistres résonnent autour de moi, dans mon dos, et je sens clairement une présence dans la pénombre que je n'arrive pas à distinguer. Je suis vraiment mal à l'aise, très mal à l'aise, et je n'ai qu'une hâte c'est que les autres reviennent ! Mais je ne les entends même plus...
    Et si j'étais toute seule ? S'ils avaient tous disparu et que j'étais restée abandonnée dans ce manoir horrible ? Oh non ! Je ne veux pas ! Je ferais mieux de m'enfuir ! Mais... non, dehors ça me fait encore plus peur ! Le vent, les arbres, la tempête... Je n'ai qu'une hâte, c'est que le jour se lève !

    ☾☾☾☾

    Heureusement, après une éternité d'attente, j'entends les voix de Jonny, Lenny et Lucy. Je n'ai jamais été si soulagée de ma vie !

    "- Tu vas bien bébé ? Tu as l'air toute effrayée ?"
    "- Ça... va."
    "- Où est Jehnny ? Elle n'était pas avec toi ?"

    Ma peur se dissipe maintenant que les autres sont là. Je sens les choses redevenir un peu plus normales. Il me suffit de me glisser entre les bras rassurants de Lenny et même l'obscurité ne m'effraie plus tant que ça !

    "- Cette grosse maline est en train de prendre un bain."
    "- Elle en a au moins pour une heure alors !" S'exclame Jonny en riant aux éclats, imité par les deux autres !
    "- Hahaha !"
    "- Hihihi !"
    "- Haha !"

    Moi je maintiens que ce n'est pas le moment ni l'endroit pour faire ça, mais je ne dis rien, je ne veux pas passer pour la peureuse du groupe.

    "- Et Jordy ?", demande toute de même Jonny. "Il prend un bain aussi ? Haha !"
    "- Jordy ? Vous ne l'avez pas vu ? Non, il n'est pas remonté, je ne sais pas où il est."
    "- On pensait qu'il serait avec toi", ajoute Lenny d'un air un peu moins rassuré que son ami.
    "- Vous croyez qu'il s'est perdu en allant chercher du bois ? Le gros boulet, haha !"

    Je ne suis de nouveau plus très rassurée ! Jordy m'agace un peu, mais de l'imaginer tout seul dehors, avec la tempête qui s'est levée et la pluie qui commence à tomber... oh le pauvre... J'espère qu'il ne lui arrive rien de grave !
    Mon Lenny semble prendre ça un peu plus au sérieux que Jonny. Avec cette impression de force tranquille qu'il dégage et qui a toujours su me séduire, il déclare:

    "- Il ne doit pas être loin, je vais aller le chercher. Il n'arrive sûrement pas à retrouver la fenêtre par où on est rentrés, ou un truc comme ça !"

    Pas question que je laisse mon Lenny s'aventurer dans la tempête comme ça !

    "- Oh non Lenny ne pars pas, reste avec moi ! J’ai peur de rester ici !"

    Mon homme pose ses mains chaudes sur les épaules et me dit de sa voix rassurante:

    "- Ne t'en fais pas bébé, je reviens vite."

    ☾☾☾☾

    Je n'ose même plus compter les minutes. Cela fait une éternité qu'il est parti, et ni lui ni Jordy n’est revenu ! Même Jonny ne dit plus rien, il se contente de rester assis en tailleur, face à Lucy et moi, l'air pensif.
    Finalement, c'est Lucy qui brise le silence:

    "- Ça fait combien de temps à votre avis ? Je commence à être vraiment inquiète."
    "- Beaucoup trop longtemps !" S'exclame Jonny qui semble émerger de sa torpeur. "Je vais aller voir !"

    Cette fois, pas question que je reste sur la touche ! Tant pis si je casse le plan de Lucy qui voulait sûrement se retrouver seule avec Jonny, mais je viens avec eux !

    Ensemble nous descendons le vieil escalier en bois sombre. Le manoir est plus sinistre que jamais à présent que la tempête fait rage au-dessus de nous, que le vent siffle sur la colline et que la pluie balaye les murs. Mal éclairés par nos lampes, les meubles et les murs prennent des allures disproportionnées et je manque de crier de peur à chaque mouvement inhabituel !
    Nous arrivons finalement dans le petit salon par lequel nous sommes entrés tout à l'heure, où nous constatons que la fenêtre a été refermée et que les planches qui la barricadaient ont même été remises en place !

    "- Qu'est...ce qui s'est passé ? Ce n'est pas normal... Oh mon Dieu..."
    "- Mais non, ça veut dire qu'ils sont bien rentrés à l'intérieur. Ils doivent être en train de faire le tour du manoir, ou de faire les idiots dans un coin. Ouais, c'est surement ça ! Lenny, Jordy, vous êtes là ?"
    "- Jordy ?! Lenny ?!"

    Seuls nous répondent les craquements sinistres de la charpente et le mutisme pesant de l'obscurité qui se fait de plus en plus omniprésente.

    "- Il faut les chercher" décide Jonny. "Séparons-nous ! Faisons le tour du manoir, ils sont forcément quelque part !"
    "- Bonne idée ! Je m'occupe du premier étage, c'est là qu'il y a le moins de toiles d'araignées."
    "- Vous êtes sûrs qu'on doit... ? Bon, je prends le rez-de-chaussée alors."
    "- Dans ce cas je vais au deuxième étage. A tout à l'heure les filles. Le premier qui les trouve appelle les autres !"

    Et me revoilà seule dans le noir.
    Sauf que là, je suis vraiment inquiète. Je sais que quelque chose ne va pas. Je sens les larmes me monter aux yeux: Lenny... Lenny... que lui est-il arrivé ? Pourvu qu'il ne soit pas blessé, ou pire... !
    Tout mon corps est parcouru de frissons. Au bord de la panique, je crie:

    "- Lenny ? Lenny ?! Lenny, tu es là ?! Je t'en prie réponds-moi ! Même toi Jordy, si tu es la je veux bien que tu me répondes !"

    J'entre dans un énième salon. Il ressemble à tous les autres: plafond haut, papier peint moche, et quelques meubles recouverts d'un drap blanc. Et puis soudain... je me fige d'horreur ! Ce fauteuil... là... je reconnais très distinctement une forme humaine assise sous le drap !!!

    "- Hiiiiiiiiiiiiiiiiii !"

    Je suis tellement terrifiée que je manque de lâcher ma lampe ! Je n'arrive même plus à bouger !! Je... Je...

    Mais non, je me suis encore faite avoir ! Pfffff !

    "- Jordy, ce n'est vraiment pas drôle !! Tu me l'as déjà fait le coup du fantôme, et je t'ai déjà dit que c'était nul !"

    Autant soulagée que profondément agacée, je lui arrache son drap d'un coup sec.

    "- On était tous très inquiets tu sais ! On t'a cherché partout !"

    C'était bien Jordy sous le drap. Et pourtant je sens de nouveau la terreur et l'horreur m'envahir tandis qu'un frisson glacé parcourt mon dos... La figure de mon ami, d'habitude toujours rieuse et légèrement provocatrice, n'est plus qu'un masque violacé et grimaçant au regard vide dont la bouche tordue en un rictus de terreur et de douleur laisse échapper un filet de sang !
    Mon ami... est mort. C'est son cadavre... c'est son corps... il est mort... il a été tué... c'est horrible, c'est horrible, c'est…

    Je n'ai jamais couru aussi vite de ma vie ! Je monte l'escalier à toute allure, et avant d'avoir eu le temps de réaliser ce que je faisais me revoilà dans la pièce où nous avons laissé nos affaires.

    "- Lenny ?! Lucy, Jehnny, Jonny, vous êtes là ?!"

    Je reprends bruyamment mon souffle. J'ai terriblement mal à la poitrine ! J'ai envie de hurler, de fuir, de disparaître... je...

    "- C'est Jordy, il... il..."

    Les larmes me viennent aux yeux. Personne ne me répond.
    Je remarque que la porte de la salle de bain est ouverte. Enfin Jehnny a fini son bain ! Pourtant j'entends toujours l'eau couler ; c'est étonnant: elle n'aurait jamais laissé ouvert alors que les garçons sont là !

    Mon coeur tambourine dans ma poitrine alors que je pousse la porte. La pièce est très humide et en partie envahie par un nuage de vapeur. Au moins il y sent bon, une forte odeur de savon flotte dans l'air. La lampe de Jehnny est posée sur un meuble, à côté de ses vêtements. Mon amie, elle, est toujours dans la baignoire. Elle me fixe d'un regard vide... un long filet de sang se déverse d'un trou cramoisi béant en plein milieu de sa gorge... s'écoule entre ses seins... et se répand dans la baignoire, donnant à l'eau une horrible teinte écarlate...

    C'est un cauchemar... un horrible cauchemar...

    Je sors en hurlant de la pièce, et tombe nez à nez avec Lucy qui a été attirée par mes cris. Je suis tellement soulagée de retrouver enfin un visage amical ! Et toujours aussi horrifiée pourtant.

    "- Qu'est-ce qui t'arrive ? Je t'ai entendue crier et..."
    "- Ils sont morts ! Ils sont tous morts ! Jordy et Jehnny..."

    Elle veut me prendre par les épaules pour me rassurer mais je la repousse.

    "- Il ne faut pas rester là. Il y a quelqu'un... ou quelque chose..." j'entends un craquement plus fort que les autres dans le couloir. "Il y a quelque chose qui approche, j'en suis sûre, je le sens... ! On ne doit pas rester là, viens vite !!"

    Nous courons plus vite que jamais ! Nous dévalons l'escalier, nous précipitons dans le salon, et je défonce les planches qui barrent la fenêtre d'un violent coup de pied avant de s'engouffrer dehors !

    La pluie s'abat aussitôt sur moi et me trempe en un instant. Le spectacle dans le parc est encore pire que dans le manoir: la nuit est noire et opaque, le vent souffle avec une telle force qu'il fait trembler les arbres et manque de me faire tomber. Le sifflement de la pluie et du vent ressemble à des hurlements qui me terrifient !
    Un éclair déchire le ciel, chassant un instant l'obscurité pour tout colorer d'une lumière blanche et intense qui disparaît aussi vite qu'elle est venue. Pas assez vite, cependant, pour m'empêcher de distinguer très nettement un cadavre qui gît sur le sol dans une mare de sang, non loin de moi...

    Je cours de nouveau ! Ignorant la pluie, le vent et mes pieds que je ne sens plus à cause de l'humidité et du froid, je cours, je cours, je cours ! J'ignore même la pauvre Lucy qui me supplie de l'attendre !
    Je ne vais pas vers le village car c'est trop loin et trop dangereux: il faudrait traverser le pont et la rivière risque de déborder à tout moment à cause de la tempête. Sans parler de la brume qui s’est levée et qui cache le chemin ! Je fonce plutôt vers le phare qui est le seul point bien visible: c'est mon oncle le gardien, il me protègera. Il me rassurera. Il a même un fusil qui lui sert à dissuader les pirates ! Tout ira bien, tout ira bien...

    Après une course éperdue dans la nuit j'arrive finalement au pied du phare. Mon coeur bat à toute allure ! J'ai mal partout ! Mes doigts sont tellement engourdis par la peur et l'humidité que j'ai un mal fou à escalader l'échelle de corde qui mène jusqu'en haut ! Je n'en suis qu'à la moitié lorsqu’une chose me rejoint. Prise de panique je laisse échapper un cri et tente de monter plus vite ! J'essaie d'accélérer mais je ne fais que m'empêtrer davantage dans les cordes ! Non... non ! Au secours !
    Mais heureusement il ne s'agit que de Lucy qui m'a rejointe. Elle est aussi trempée et terrifiée que moi ! Ensemble, nous atteignons finalement le sommet du phare où mon oncle et ses amis, occupés à passer un bon moment auprès du feu, nous accueillent avec surprise.

    ☾☾☾☾

    "- Voilà... vous savez tout."

    Chacun autour du feu se tait et me regarde en silence. Je ne sais pas quoi dire d'autre. On nous a rassurées, séchées, donné des couvertures pour nous réchauffer. Ici tout semble différent et plus... normal. Comme si tout ce que je viens de vivre n'était qu'un mauvais rêve. Et pourtant...
    Tandis que Lucy se met à raconter à son tour ses mésaventures, je me recroqueville et enfouis ma tête entre mes jambes. Je veux oublier ce que j'ai vu ce soir, je veux juste tout oublier... je veux me réveiller demain dans mon lit, et que tout ça n’ait été qu’un mauvais rêve...


    ♦♦♦♦


    Cher journal,

    Un long silence suit le récit de Wendy. Quelques-uns des spectateurs lui donnent un ou deux bonbons, pour la consoler. Finalement je me décide à rompre le silence: je m'avance un peu plus près du feu de manière à ce que chacun puisse voir mon visage grâce aux lueurs des flammes, et je leur raconte...

    Tout commence avec un vieux manoir abandonné et un peu sinistre. Et avec une bande de jeunes gens, tous rieurs, optimistes et ambitieux, du genre à vouloir changer le monde tout en étant cool. Et beaux évidemment ! Surtout la jeune femme, là: la blonde bien habillée avec la peau pâle, celle qui sourit tout le temps et dont le visage respire l’intelligence. Quoi ? Ça se voit trop que je parle de moi tu crois ?
    Dans notre groupe il y a Jehnny, une autre blonde très apprêtée que l'on catégorise sans mal dès le premier regard comme étant superficielle et un peu cruche, mais qui quand on prend la peine de la connaître se révèle être une fille très sympa, ouverte aux autres, et surtout incroyablement généreuse. Nous avons sympathisé très peu de temps après mon arrivée sur l'île et elle me présente maintenant comme sa meilleure amie !
    Jehnny est accompagnée de Jonny le beau gosse, son chéri, dont le prénom est à l'image de son existence: une faute d'orthographe. Viennent ensuite Lenny et sa copine Wendy -celle qui vient de raconter son histoire, tu suis journal ?-, un couple plutôt sympa mais dont l'intellect cumulé ne dépasse pas le niveau de la mer par temps calme. Enfin il y a Jordy, un beau garçon au teint hâlé, musclé, bavard, aussi terriblement charmant que terriblement pénible avec sa manie de faire l'intéressant. Et puis il y a moi évidemment, Caramély... euh, Caramélie je veux dire, ou plutôt Lucy Robb comme je me fais appeler ici.

    J'ai toujours trouvé étrange cette manie qu'ont les gens d'aimer se faire peur. Tu aimes ça toi, journal ? Si je te te suspends au-dessus d'une bassine d'eau qui risque de tremper tes pages par exemple, tu vas aimer ? Moi, si je veux passer un bon moment je vais prendre un bain tiède, lire un livre, acheter une place au théâtre ou faire mes emplettes, mais je ne vais pas volontairement aller me mettre dans une situation ou je serais mal à l'aise, inquiète, voire en panique ! Parce que moi, ça, c'est ce que j'appelle de la torture !
    Bon, de toute façon je n'ai peur ni des vieilles maisons ni des fantômes. Je sais très bien qu'ils existent, mais "à priori" ils n'ont pas de raisons de me faire de mal ! Comment ? Et les créatures à huit pattes dont Wendy a parlé ? Je ne vois pas de quoi tu parles journal ! Nous sommes entre personnes respectables ici, nous n'allons pas parler de choses aussi répugnantes ! En plus je n'ai même pas crié à ce moment-là, ce n'est pas vrai du tout ! D'ailleurs même si je l'avais fait ça aurait été à cause de la surprise, pas de la peur. Et pour jouer le rôle de mon personnage.

    Bref ! Sans écouter les médisances de mon vilain journal, nous pénétrons tous les six dans le manoir. Je sens la tension de mes camarades monter d'un cran (du moins chez les plus imaginatifs, les autres étant plus occupés à glousser bêtement), et je dois reconnaître que la bâtisse possède une aura particulière à la fois austère et oppressante qui a de quoi impressionner.
    Jordy fait le pitre comme à son habitude, et Jonny commence à nous raconter la légende attachée à ce lieu mais je n'ai pas besoin de l'écouter, je la devine sans mal. On parle d'une comtesse, d'une femme, donc elle était forcément jeune et belle sinon personne ne se serait donné la peine de se souvenir d'elle. Ou alors la réputation de beauté lui est venue après pour enjoliver un peu mais ça revient au même. Je peux également te garantir qu'il s'agit d'une histoire d'amour qui se termine mal, surement d'un amour maudit. Et d’une mort un peu cruelle pour conclure le tout. Ensuite, très certainement, les villageois doivent aimer raconter pour se faire peur que son fantôme rôde toujours et s'attaque: aux jeunes filles/aux jeunes garçons/à tout ce qui excite l'imagination fertile de ceux qui racontent la légende. J'ai bon ?

    Ça c’est la légende, mais la véritable histoire de ce lieu je la devine également car je retrouve beaucoup trop de points communs entre cette maison et celle de mes parents pour ne pas me sentir nostalgique: un manoir construit à une époque de richesse, mais la fortune a fini par disparaître et il ne reste plus à la famille qu'une maison trop grande et trop chère à entretenir, un train de vie trop dispendieux à assurer, mais on le fait malgré tout par respect pour son rang, pour ses ancêtres et par ego. Il y a des signes qui ne trompent pas comme toutes ces choses que l'on répare plutôt que de les remplacer, ces pans entiers du manoir qui ont visiblement été vidés et gardés fermés pour ne plus avoir à les entretenir, et le mobilier très clairsemé, sans doute à cause de quelques reventes destinées à freiner un peu la ruine. Et puis finalement la lignée s'éteint, ou bien un héritier moins conservateur que les autres abandonne la maison et celle-ci reste à l'abandon.

    Le temps que nous fassions un rapide tour du propriétaire, la tempête s'est abattue sur l'île et le vent souffle avec force sur la vieille bâtisse. Au moins nous sommes en sécurité ici car aussi vieux et abandonnés qu'ils soient, les vieux murs en pierre du manoir sont bien plus solides que les petites maisons de bourgade dans lesquelles vivent les habitants du village ! Nous décidons malgré tout de nous activer un peu et de passer aux choses concrètes, à savoir établir un petit coin pour dormir et pour se raconter des histoires qui font peur tout en se serrant à deux sous une couverture et en faisant griller des bonbons et des brochettes (voir des brochettes de bonbons) au feu. Un programme comme je les aime !

    Jordy nous annonce qu'il va aller chercher du bois dehors, les deux autres garçons préfèrent continuer à visiter plutôt que d'aider, et il ne reste donc que les filles pour monter les affaires dans un coin à peu près confortable, le nettoyer -du moins l'espèrent-ils- et commencer à préparer toutes les choses que les filles savent si bien faire. Merci bien, mais sans moi ! Avec ce joli sourire et cet air de douce innocence qui savent si bien me faire pardonner tous mes caprices je m'exclame à l’intention du duo d’explorateurs:

    "- Je viens avec vous !"

    Les équipes étant faites, je suis les deux garçons en direction du grenier. Le plancher de bois sec craque à chacun de nos pas. Nous marchons dans un couloir où le papier peint tombe en lambeaux déchirés sur le sol, révélant des murs blancs couverts de taches brunes, où l'odeur de vieux et de renfermé est encore plus forte que dans le reste du bâtiment. Puis nous atteignons un escalier étroit... rempli de toiles de tu-sais-quoi !!!

    Ma réaction de crainte pourtant légitime fait sourire mes deux compagnons à qui j'annonce:

    "- Euh... finalement je vais aider les autres en bas. A tout à l'heure !"

    C'était calculé journal, c'était exactement ce que je voulais faire. Je n'avais pas du tout envie d'être avec Lenny et Jonny de toute manière, c'était juste un prétexte pour partir ! D'ailleurs c'est Jordy que je veux retrouver: après tout le pauvre est resté tout seul donc c'est normal, non ?

    Je redescends donc au rez-de-chaussée. J'ai réussi à retenir plutôt bien la disposition des pièces, et même sans lumière j'arrive à retrouver plutôt aisément le salon par lequel nous sommes entrés dans le bâtiment. La fenêtre est toujours ouverte, et le vent fait entrer un souffle froid et violent qui fait danser les draps recouvrant les meubles comme des fantômes exécutant un ballet sinistre. Je jette un coup d'oeil dehors mais on y voit pas grand-chose à part l'ombre des nuages gris sombre et le phare au loin qui éclaire la falaise de sa lueur jaune. Je m'installe donc sur l'un des fauteuils... enfin non: j'époussette copieusement l'un des fauteuils, je m'assois dessus, et j'attends.

    Après seulement quelques minutes j'entends le bruit de pas provenant de dehors. Jordy, de retour les bras chargés, commence par jeter sa brassée de bois mort à travers l'embrasure de la fenêtre. Il ne m'a pas remarquée et je me faufile discrètement contre le mur, près de l'ouverture.
    Tu sais comment on appelle ce genre de fenêtre journal ? Des fenêtres "guillotine", car leur système de fermeture repose un peu sur le même principe que la machine. On fait glisser la moitié inférieure de haut en bas, quand on veut l'ouvrir... ou bien la refermer violemment sur la nuque de quelqu'un !!! Jordy laisse échapper un hoquet de surprise lorsque la fenêtre le percute et s'effondre net, la nuque brisée par le choc. Je répète le mouvement une seconde fois par précaution, puis relève la fenêtre et tire le corps du jeune homme à l'intérieur. Mais c'est qu'il est lourd ! Et ce ne sont pas seulement des muscles, je suis certaine qu'il n'a pas une alimentation très saine ! Avait. Je tire d'un coup sec et tombe à la renverse avec le cadavre qui s'étale sur la pile de bois !

    Sans perdre de temps, je décide de cacher le corps avant que les autres ne nous trouvent. Ou pourrais-je bien le mettre... ? Oh, sous un des draps bien sûr ! Personne n'y verra rien, et même s'ils s'aperçoivent de quelque chose ils auront trop peur pour oser y regarder de trop près ! Je traîne donc mon ex-ami dans une pièce voisine et l'assieds sur le premier fauteuil venu, m'arrangeant pour qu'il ait une pose à peu près naturelle parce que... bah... j'ai toujours aimé les choses bien faites. Et puis j'aime jouer à la poupée, ça te va comme explication journal ?! Après ça je remets le drap par-dessus, le coince sous les pieds du fauteuil pour m'assurer qu'il ne tombe pas, puis contemple le rendu final avec la satisfaction du travail bien fait.

    Revenue dans le premier salon je me débarrasse du bois en le jetant par la fenêtre, puis referme cette dernière et y installe les planches destinées à la barricader histoire d'être sûre que tout le monde reste dans le manoir.

    ☾☾☾☾

    Mon affaire terminée je me hâte de retourner au premier étage, et y arrive exactement en même temps que Lenny et Jonny qui redescendent du grenier. Je me mêle à leur groupe comme si de rien était, avec un vague sourire timide destiné à envoyer un message du type "femelle effrayée cherche mâle protecteur", puis je les accompagne alors que nous rejoignons les autres dans la chambre. Nous retrouvons Wendy dans tous ses états, visiblement pas très heureuse d'être restée toute seule ! Jehnny, elle... est en train de prendre un bain ! Il y a clairement certains qui vivent leur séjour dans le manoir mieux que d'autres ! ...Non mais vraiment ! Une personne qui prend son bain toute seule dans un endroit comme celui-là c'est clairement une invitation ! Enfin je veux dire... tu m'as comprise journal évidemment. Ahem. C'est une phrase à ne pas sortir de son contexte. Cela dit mes intentions sont sans doute pire alors bon... A ton avis journal, c'est quoi le pire entre passer pour une perverse ou pour une meurtrière ?

    Je commence à m'installer contre le lit, enroulée dans une couverture, et ouvre un paquet d'"horror monster ghost chips" goût cacahuète tout en déballant un sachet de thé... avant de me souvenir que sans le bois ramené par Jordy on ne pourra pas le faire chauffer. D'ailleurs je ne suis pas la seule à me souvenir de Jordy puisque Jonny, toujours goguenard, demande à Wendy des nouvelles de son ami. Evidemment elle ne sait pas où il est passé, et je feins la perplexité comme les autres jusqu’à ce que Lenny décide d'aller à la rencontre de notre compagnon des fois qu'il ait eu un souci.

    Nous restons tous à attendre dans un silence un peu pesant. Wendy fixe le vide avec son regard de poisson mort, Jonny est visiblement en train de se demander s'il ne devrait pas saisir l'occasion pour essayer de regarder à travers la serrure de la salle de bains, et moi je suis en train de chercher un prétexte pour fausser compagnie à mes amis avant qu'ils ne soient de nouveau tous réunis.
    Comment journal ? Les tuer tous en même temps ? Tu n'y penses pas ! Et ma conscience professionnelle ?!! C'est pour ce genre de réflexions que je pense que même si tu sais tout de moi tu serais incapable de prendre ma place !

    Je me décide finalement à demander innocemment:

    "- Ça fait combien de temps à votre avis ? Je commence à être vraiment inquiète."

    Longtemps hein ? Oh oui ! Donc si un brave courageux voulait bien descendre tout seul pour aller voir ce qu’il en est tout en me laissant seule avec ma prochaine victime, ce serait une très bonne idée ! Hélas, cette casse-pieds de Wendy ne l'entend pas de cette oreille et décide que nous y irons tous ensemble !

    Sans surprise, nous ne retrouvons pas de Jordy au rez-de-chaussée. En revanche, je suis moi-même étonnée de ne pas croiser Lenny non plus. Pourtant la fenêtre est toujours barricadée ! Est-ce qu'il aurait eu des soupçons ? Ou alors il s'est vraiment perdu ? Wendy et Jonny appellent, crient, mais sans succès.

    "- Il faut les chercher", s'exclame Jonny en essayant de se donner un air courageux. "Séparons-nous ! Faisons le tour du manoir, ils sont forcément quelque part !"

    J'ai presque envie de lui sauter au cou ! Brave garçon, va ! Je savais que je pourrais compter sur tes bonnes idées ! Je m'empresse d'approuver son très mauvais plan et de remonter au premier étage tandis que le beau blond prend le second et que Wendy reste au rez-de-chaussée.

    Rien n'a changé là-haut. Nos affaires sont restées telles que nous les avons mises, et j'entends toujours le bruit des canalisations qui indiquent qu'au moins une personne dans cette maison n'en a toujours rien à faire de ce qui se passe autour d'elle. Evidemment Jehnny a fermé le verrou de la porte de la salle de bains, mais il en faut plus pour m'arrêter. Je tire de mes cheveux deux épingles aux bords en forme de crochet, et les insère patiemment dans le mécanisme. Ce n'est vraiment pas le moment pour que quelqu'un entre dans la pièce et me voie journal, parce que la je passerais vraiment pour une grosse perverse ! Ou pour une meurtrière, mais on n’avait pas conclu que la première option était pire. Non ?

    Je pousse tout doucement la porte. La salle de bains est pleine de vapeur, à peine éclairée par la lumière tremblotante d'une lampe-tempête, mais je devine la silhouette de Jehnny derrière le rideau qui entoure la baignoire. Je m'approche à pas de loup... elle ne se rend compte de rien, elle ne se retourne même pas. Je me place juste derrière elle, écarte le rideau d'un geste vif, la saisis au cou avec mon avant-bras pour la maintenir, et avant même qu'elle ait le temps de crier j'abats mon index qui lui perfore la trachée avec la force d'une balle de pistolet !

    Honnêtement, j'ai un peu de peine pour elle: c'est vrai qu'elle était plutôt sympa comme fille, et on a passé quelques bons moments ensemble. C'est le genre d'assassinat qui me pèse sur la conscience en général, et dont je me console en ingurgitant de grandes quantités de chocolat noir. Eh bah voilà, si un jour j'ai des bourrelets ce sera à cause des gens comme elle ! Et puis c'est de sa faute aussi si je dois la tuer, elle n'avait qu'à pas faire ce qu'elle a fait ! C'est carrément du suicide à ce niveau-là !

    ☾☾☾☾

    Mon forfait... non, ma juste exécution accomplie, je repars à l'aventure dans le manoir. Il me reste encore Wendy et Jonny à retrouver, et je n'ai pas la moindre idée d'où est passé Lenny. Je te promets journal, ce n'est même pas moi qui l'ai fait disparaître ! J'aurais bien aimé mais à quel moment veux-tu que j'aie fait ça ?!

    A présent je rejoins le deuxième étage. Cela m'oblige à faire d'énormes efforts sur moi-même, sûrement les plus gros de la soirée. Mon Dieu, j'espère que ce que je fais en vaudra la peine parce que je suis bonne pour jeter mes vêtements après ça, pas question que je porte des affaires qui ont touché des toiles produites par des tu-sais-quoi... beurk !!! Arrête de me faire penser à ça journal ! D'ailleurs, je suis forcée de te raconter cette partie-là ?

    Plutôt que de chercher au hasard Jonny à travers tout l'étage, je me contente de ne pas être discrète: je fais claquer mes chaussures, ouvre une fenêtre, et brise assez bruyamment les planches qui la condamnent. Le succès est au rendez-vous car bien vite j'entends:

    "- Lenny, c'est toi ?"

    Je réactive mon mode "jeune fille en détresse" et m'exclame:

    "- Jonny ! Oh Jonny, je suis contente que tu sois là ! Viens vite voir !"

    Le beau jeune homme accourt, je le prends par la main avec l'air éperdument soulagée et m'exclame de nouveau:

    "- Viens vite voir, par la fenêtre ! Il... ils..."

    Il s'exécute, passe la tête par la guillotine ouverte, puis les épaules... et en prenant mon élan, d'un bon coup de pied, je le frappe au derrière pour le faire tomber à travers l'encadrement !

    "- Aieuh ! Lucy t’abuses, ce n'est pas drôle comme face ! "

    Ah... zut, ce n'était pas assez fort. Je décide alors de l'attraper par les chevilles, et avant qu'il n'ait le temps de comprendre ce qui lui arrive je le fais basculer par la fenêtre !

    "- Hé ! Arrête ! Non... non... aaaaaaaaaAAAAAAAH !"

    Son cri de terreur se perd, noyé dans le vent, et Jonny-le-mal-orthographié s'écrase au pied du manoir.

    ☾☾☾☾

    Je redescends ensuite au premier étage où je retrouve Wendy, terrifiée. Elle tremble de tout son corps et me dévisage avec regard fou ! Je ne suis pas une personne cruelle, autant mettre fin à son calvaire. Je m'approche d'elle avec des mots rassurants, tend déjà mon index pour lui appliquer une perforation nette mais fatale, mais elle me repousse ! Je crois un moment qu'elle m'a percée à jour mais non: elle me crie de m'enfuir, que quelqu'un arrive, que nous sommes en danger ! Et effectivement j'entends bien quelqu'un qui s'approche dans le couloir !

    Tandis que mon amie s'enfuit je me mets en posture de combat et me colle contre le mur, près de la porte. Je retiens ma respiration et guette le bruit qui se rapproche. Il s'agit d'un homme, plutôt grand -enfin plus grand que moi ce qui n'engage pas à grand-chose-, légèrement essoufflé. Il n'est plus qu'à quelques pas... il entre dans la pièce, je me jette devant lui, et...

    "- Lucy ?"
    "- Lenny ?!"

    J'ai un moment de perplexité, puis je demande:

    "- Mais où étais-tu passé ? On t'a cherché partout !"
    "- Dans le parc bien sûr !" Me répond-il avec un certain étonnement. "Je vous avais dit que je partais chercher Jordy, non ? Comme je n'ai pas retrouvé notre fenêtre je suis simplement sorti par une porte de service qui n'était pas bien fermée."
    "- Ah... je vois."
    "- Jordy est revenu finalement ? Je ne l'ai trouvé nulle part. Je le retiens celui-là !"

    J'ai assez perdu de temps comme ça, et en plus j'ai une fuyarde à rattraper maintenant ! Ça m'apprendra à ménager mes effets, tiens. Prenant Lenny complètement au dépourvu, je lui enfonce avec force mon index dans la jugulaire en perforant peau, vaisseaux, muscles, et répandant une gerbe de sang sur le tapis.
    Désolée Lenny, j'aurais aimé faire quelque chose de plus élégant mais vraiment tu as embêté tout le monde à disparaître comme ça ! En plus, appeler ta copine "bébé" c'était carrément criminel.

    ☾☾☾☾

    Evidemment, le temps que je prenne des nouvelles de notre disparu Wendy est déjà loin. Je descends en vitesse au rez-de-chaussée, et remarque rapidement la fenêtre du salon qui est de nouveau ouverte. Je l'enjambe, atterris dans le jardin, et distingue au loin dans le parc la silhouette de la fuyarde qui court dans le noir. Et elle va vite !

    Je m'élance à ses trousses, gaspille un temps fou en essayant d’éviter les ronces, perd une chaussure dans un parterre de mauvaises herbes, met plein de boue sur mon collant -et c'est extrêmement désagréable de marcher avec ça !- mais enfin je réussis à couvrir la distance qui nous sépare. En plus je dois lutter contre une irrépressible envie de la poursuivre en marchant, ce qui n’est vraiment pas efficace !
    La pauvre fille fuit comme si elle avait le diable à ses trousses ! Ce qui est faux, en toute objectivité moi je suis la gentille. Sa course la mène jusqu'au phare qui se dresse sur le bord de la falaise, sans doute guidée par sa lumière rassurante. Pourtant ce bâtiment est vraiment le dernier endroit où je voudrais me retrouver par une nuit de tempête comme celle-ci, où les vagues lèchent la rive et menacent très sérieusement de tout engloutir, où la pluie tombe dru, et avec en plus une meurtrière qui rôde dans la nature ! Enfin je ne suis pas dans sa tête moi, hein, je ne vais pas décider à sa place.

    A sa suite, j'escalade l'échelle de corde. Il me faut un certain temps pour arriver en haut parce que des chaussures à talon et des collants maculés de boue ce n'est pas idéal, mais enfin je réussis. Là, j'ai la surprise non seulement que Wendy n'ait pas peur de moi, mais qu'elle soit en plus entourée de tout un groupe de personnes installées autour d'un feu avec quelques friandises, des boissons, et visiblement de quoi passer une agréable soirée dans une très bonne ambiance ! Je n'ai pas le temps de réfléchir à une entrée en scène un peu grandiose et terrifiante, ni de sortir une réplique bien sentie du genre "tu es au bout de ta course, tu ne m'échapperas plus" que déjà on me donne une couverture, un chocolat chaud, et que l'on m'invite à me réchauffer auprès du feu en m'assurant que "là... là... c'est fini, il ne faut plus avoir peur". Bon, si vous le dites.

    ☾☾☾☾

    Un silence de mort suit la fin de mon récit. Je sens tous les regards posés sur moi avec un mélange d'incompréhension, de peur, et un peu de colère aussi. Je préfère ne pas croiser celui de Wendy, même moi je sens que j'aurais un peu honte.

    "- Mais… pourquoi avoir fait ça ?"
    "- Parce que je suis folle bien sûr !"

    Oh ça va, on a bien le droit de plaisanter un peu ! Puisque personne n’a l’air de trouver ça amusant je reprends avec plus de sérieux:

    "- En vérité je n'ai pas été très honnête avec vous. Ça c'est le moins qu'on puisse dire... enfin non, là je ne parle pas de la manière dont je vous ai menti pendant plus d'un mois en me faisant passer pour votre amie, une fille récemment débarquée sur l'île avec sa famille, et en massacrant ces pauvres gens cette nuit. Non, j'ai menti en disant que l'histoire commençait dans le manoir."

    Je me lève, et laisse tomber ma couverture aussi bien physiquement que métaphoriquement.

    "- En vérité l'histoire commence il y a plusieurs mois, quand certains habitants de cette île ont décidé de soutenir un groupe nommé "Mouvement d'Espoir", une organisation anti-gouvernement mondial reconnue comme étant affiliée à la révolution. Malheureusement pour vous, "Mouvement d'Espoir" a été démantelé par le Cipher Pol et les noms de beaucoup de leurs complices et soutiens sur différentes îles ont fuité. Des noms comme ceux de Jonny Leporc, Jehnny Martin, Lenny et Jordy Durdetrunbébé, Wendy Darling et beaucoup d'autres noms qui concernent des personnes qui ne sont pas présentes ici alors je ne vais pas m'embêter à vous les citer."

    Nous avions les noms, l'île, mais pas les visages. Tout le travail a donc consisté à se mêler à la population, s'introduire dans leurs cercles d'amis, enquêter, et identifier toutes nos cibles sans éveiller l'attention. Dire que j'en ai été réduite à faire du charme à Jordy à un moment.... je me dégoûte moi-même !

    "- Je ne vous surprendrai pas en vous apprenant que le Gouvernement Mondial a ordonné votre élimination dans les meilleurs délais, ce qui grâce à moi et à mes actions de ce soir est plutôt en bonne voie."

    Une vague un peu plus forte que les autres vient s'abattre contre le phare, comme si la mer employait toute sa force et sa furie pour nous atteindre et nous emporter !
    Comme personne ne répond à mon sourire pourtant très professionnel et bienveillant, je poursuis:

    "- Il nous a été demandé d'agir dans la plus grande discrétion et sans laisser de traces afin de ne pas effrayer ni contrarier la population. D’où tous les efforts déployés ce soir pour vous réunir et vous éliminer dans le manoir. Et cela veut aussi dire, entre autres, de ne laisser aucun témoin."

    D'ailleurs ça n'a pas été un mince travail de suggérer à Jonny d'emmener sa copine passer la nuit dans le manoir et de m'arranger pour que seules les bonnes personnes soient invitées, de manière à ce qu'aucun innocent ne soit impliqué ! Par exemple, j'ai dû faire des pieds et des mains pour dissuader la petite amie de Jordy, qui a priori n'est coupable d'aucune action anti gouvernementale, de venir !

    "- Malheureusement, et j'en suis vraiment désolée, à cause de madame Darling ici présente qui est venue se réfugier avec vous et vous a tout raconté... vous êtes devenus des témoins gênants."

    Mon petit monologue n'a pas rencontré un auditoire très compréhensif: déjà plusieurs de mes auditeurs se lèvent et s'emparent de bûches en guise de gourdins qu'ils brandissent dans ma direction ; l'un d’eux se saisit même d'un tromblon ! Je ne peux pas le leur reprocher, et pourtant je trouve qu'ils mettent beaucoup de mauvaise volonté à me laisser faire mon travail !

    "- Si ça peut vous consoler, dites-vous que tous vos sacrifices participent à rendre le monde un petit peu meilleur."


    Dernière édition par Caramélie le Dim 03 Nov 2019, 05:04, édité 1 fois
    • https://www.onepiece-requiem.net/t21492-l-envers-du-journal#2313
    • https://www.onepiece-requiem.net/t21479-caramelie-la-critiqueuse
    Le mugissement des flots contre la roche escarpée de l’île n’a de cesse de me déconcentrer, et de me faire perdre pieds à plusieurs reprises. Manquant de glisser à chaque pas, tâchant de m’orienter dans le noir le plus complet, et l’épaisse couche de brume, la seule possibilité que j’entrevoie, au loin, c’est celle d’une puissante lumière, traversant la brume, tel un phare dans l’obscurité.

    J’ai perdu de vue Cynthia et Mizu depuis longtemps, ne sachant pas si ils ont tentés de rebrousser chemin malgré le mauvais temps, ou si ils suivent la même piste que moi. Mes prunelles brunes se posent partout, avec la vélocité de celles d’un lynx. Il ne faudrait pas tomber, ça serait dommage, quand même.

    Après une bonne dizaine de minutes à lutter contre les éléments, complètement recouvert de ma cape et mon capuchon, ma main droite vient se saisir de l’échelle de corde qui permets d’atteindre ce qui semblait être un phare, depuis le début. Celle-ci s’agite fortement, semblant être difficilement retenue en son sommet. Profitant d’un équilibre des plus précaires, alors que le bout de ma cape et mon capuchon humides s’écrasent contre mon visage, et contre mes jambes, je tâche d’escalader les cordages, relativement habitué depuis que je possède le File-Vent.
    Mes sabres, bien coincés dans leurs fourreaux, battent également à ma hanche, c’est pour vous dire le vent qu’il y a.

    Ma main gauche vient finalement s’écraser contre la pierre, au sommet, dans une claque sonore, alors que je finis par me hisser à mon tour. Hissez-haut mate-.. Ah non, oh-hisse, plutôt. Alors que je viens m’écraser contre le toit, un peu essoufflé de cette session d’escalade forcée, j’avise les différentes personnes présentes. Un blond, un brun, une rousse, une blonde, il y a du beau monde qui semble s’être également perdu dans le coin. Celles-ci sont réunies autour d’un feu, et c’est à se demander comment il ne s’est pas encore éteint, au vu de l’état des bûches qui l’alimentent.

    Je m’assois alors, en tailleur, tâchant d’étirer un léger sourire à l’assemblée. Leurs yeux se posent sur moi, ils me dévisagent, certains m’ont sans doute reconnus, quoique, mais c’est surtout leur teint livide, qui m’interpellent. On croirait qu’ils ont vu un fantôme, dis-donc.

    D’ailleurs, ils me mettent bien rapidement au goût de ce qu’il se passe. Si, à première vue, on aurait dit une réunion improvisée d’une organisation secrète intra ou extra-gouvernementale, ce n’est rien d’autre que des gens au moins aussi perdus que moi, qui tâchent de trouver un peu de réconfort dans la boisson, la nourriture, et les histoires d’épouvantes.

    Les histoires d’épouvantes, mh ? Il faut dire que ça n’a jamais été trop mon truc. J’aime bien pouvoir expliquer les choses, de manière censée, lucide, ou scientifique. Et le paranormal, justement, ça a l’affreuse tendance à ne pas s’expliquer.
    Enfin, il semblerait que mon tour de parole vienne assez vite, et alors que j’ouvre la bouche, un éclair s’abat plus loin, bien vite rejoins par le son du tonnerre, qui parvient jusqu’à nos oreilles.
    Après ce rebondissement notoire, qui a valu à plus d’un un frisson, je commence donc à conter.

    « Il était une fois… » Non, non ! C’est trop basique, comme début d’histoire. Pas question de faire dans le basique, cette fois-ci. Je m’éclaircis la voix de plus belle, et reprends alors.

    Si les Empereurs sont un symbole fort et public de la piraterie, par-delà le monde, et que tous en a au moins entendu parler une fois, toutefois, il existe certains équipages au moins aussi terrifiant, et dont peu de gens ont entendus parler. C’est d’un de ces équipages en particulier, dont je vais vous narrer la légende.
    Un équipage sans-nom, ou dont on ne préfère finalement pas savoir la dénomination. Certains même l’ont oublié, enterré au plus profond de leur mémoire.

    « Noir », voici le nom de cet équipage porteur de mort, et de désolation.

    Jusqu’à présent, un seul homme peut s’être vanté de l’avoir croisé, et d’en être revenu vivant. Mais, pas la peine de s’attarder sur son identité, et autant passer à la partie la plus intéressante, à savoir sa rencontre avec l’équipage Noir.

    C’est lors d’une nuit d’hiver, en plein cœur du Nouveau Monde, que l’impensable s’est produit. Son navire comportant une cinquantaine d’hommes filait à toute vitesse, fendant les vagues avec ardeur, détermination, afin de rejoindre la magnifique Dressrosa.

    L’air était frais, cette nuit-là, et tous les marins avaient dû enfiler d’épais manteaux, afin d’assurer leur rôle correctement. Le vent en poupe, rien ne laissait prévoir ce qui allait se passer.

    Après de longues minutes, une bonne partie de l’équipage avait pris un peu de repos. Tout en haut du mât principal, à la vigie, on veillait. On veillait à ne pas s’approcher d’un quelconque danger, à ne pas rencontrer un récif, ou une tempête inopinée. Et pourtant, hélas, et pourtant, l’œil de celui-ci se fit finalement attirer par une lueur verdâtre, à l’horizon. Ne prêtant que peu d’importance à celle-ci, l’homme décida de ne pas réveiller ses camarades, et il se retournait alors un instant, voir ce qu’il se passait à l’arrière du navire.

    « FFSSSSSH ! ». Un puissant coup de vent le rappela bien vite à l’ordre, et alors qu’il en revenait à l’avant, un navire ne se trouvait désormais plus qu’à quelques mètres du sien.

    Un navire, c’était vite dit, à vrai dire. Il y avait bien de quoi se demander comment celui-ci flottait. Aussi noir que la nuit, sûrement fait en base de bois d’ébène, celui-ci était troué à de nombreux endroits, la coque brisée par des impacts de boulets de canon. Les voiles, n’en parlons pas, des parodies de voile de navire. Celles-ci étaient aussi noires que la nuit, se confondant avec l’obscurité ambiante, pour le peu qu’il en restait, en tout cas. On aurait dit que des griffes ou des crocs en avaient arrachés une bonne partie.
    En fait, l’avant avait été complètement éventré, laissant penser à une sorte de gueule horrible, aux crocs acérés, et complètement éparses et dépareillées. Deux lampes à huiles dégageant une lumière verdâtre se trouvaient de chaque côté de cette gueule immonde, faisant finalement penser à la face d’un monstre marin.

    Tout autour du galion décrépit, l’eau arborait la même teinte que les lanternes. En s’y attardant de plus près, d’ailleurs, on pouvait presque voir un grand nombre d’ombres comme emportées vers la bête. Tortueuses, difformes, c’est comme si celles-ci étaient encore vivantes, et qu’elles se tordaient de douleur en appelant à l’aide.

    « VIREZ DE BORD ! VIREZ DE BORD ! TOUS A VOS POSTES ! »

    Hélas, c’était déjà trop tard. En regardant en contrebas, une marque rouge commençait doucement à recouvrir le pont du navire, dans son entièreté. Une vingtaine d’hommes encapuchonnés, cagoulés, avaient déjà pris d’assaut le bateau.
    Même de si haut, l’odeur devenait peu à peu insupportable. Une odeur infecte, titillait le nez du veilleur. Un mélange d’odeur de cadavre en étant de décomposition avancé, de poisson avarié, et d’autres choses plus indescriptibles. Le pauvre homme avait eu un haut le cœur, ses tripes cherchant à s’extraire de son corps suite à cette vision d’horreur.

    Alors qu’il reprend doucement contenance, sa main droite devant ses lèvres humides de sa salive, et son ventre gargouillant quelque peu. Celui-ci s’écrase lourdement contre une extrémité de la vigie, alors qu’en contrebas, de puissants bruits sourds se font entendre.
    Ca tape, ça cogne. Une fois, deux fois, trois fois, cinq, bientôt, le mât ne tarde pas à céder, entraînant avec lui le pirate, qui tâche de s’accrocher à ce qu’il peut, aussi haut que le mât lui permette. Ses doigts étreignent le bois avec force, ses ongles griffent celui-ci alors que des copeaux viennent se loger à l’interstice entre la peau, et la corne.

    Son cœur bat la chamade, il bat à tout rompre. Boudoum boudoum, boudoum boudoum, boudoum. Une goutte de sueur perle de son front, contre sa joue, lui valant un frisson alors que celle-ci se perds dans son manteau. Était-ce vraiment une goutte de sueur ? En fait, il vient de s’écraser lourdement contre les caisses disposées sur le pont du navire, et reprends doucement pieds. Sa vision est brouillée par le choc qu’il vient de subir, et par la brume qui a peu à peu pris possession du navire.

    Il se retourne, se retrouvant sur le ventre, inspirant et expirant bruyamment alors que les cris de ses camarades le terrorisent. Des cris de douleurs, des cris de terreurs, le genre de ceux qu’on pousse une dernière fois alors qu’on sait notre sort scellé. Tout son corps tremble, de peur, d’effroi, ses globes oculaires finissent par se refermer, et c’est tant mieux, il va sans doute pouvoir échapper à ce qu’il se passe, en se faisant passer pour mort.

    Partout, des bruits de pas se pressent, des cris, des bruits de corps qui tombent à l’eau, alors que doucement, la douce effluve de la mort revient prendre d’assaut son nez. Un nouveau haut le cœur, mais non, il n’est pas question de vomir. Il tâche de garder la bouche bien fermée, les sourcils froncés de dégoût, alors que des gouttes viennent s’écraser sur son visage, parfois une par une, parfois dans des jets plus conséquents. Un rôt étouffé le prend, mais il se retient, tâchant de ne pas imaginer une seule seconde ce qu’il se passe sur ce pont.

    Finalement, après de longues secondes, plus aucun bruit, plus rien, le silence. L’œil du marin s’ouvre doucement, pas encore bien sûr qu’il n’y ait plus personne. Il pousse un cri d’effroi, alors qu’en face de lui, la tête d’un de ses comparses le regarde, figé par la terreur, la bouche ouverte, les yeux encore larmoyants. Les traits tirés, et fatigués, ainsi qu’un teint maladif, jaunâtre, apportent la subtile touche qu’il faut, pour bien finir le portrait.

    S’en est trop, le survivant vomit toutes ses tripes, celles-ci se mélangeant bien vite à la fine couche de diverses teintes de rouges qui ont repeint une grande partie du pont. Il vient se hisser sur ses genoux, n’osant pas regarder ailleurs, que cette tête déjà horrible en soit. Tous ses vêtements suintent, et une bonne partie de son corps également est marqué par le sang de ce massacre, au moins autant que son âme, et que sa psyché.

    Soudainement, une chose visqueuse vient étreindre sa jambe droite, et rapidement, il se retrouve alors la tête en bas. Il referme aussitôt les yeux, ne cherchant même pas à voir que ce soit. Des bruits de pas, qui pataugent, sont audibles, et s’approche. Bientôt, une main vient glisser contre sa joue. Emprunte d’une certaine douceur, celle-ci est pourtant froide, gelée, même, telle l’étreinte de la mort dans les romans. Après quelques secondes, elle s’avère plutôt squelettique, à vrai dire. Des os ? Des os ? C’est impossible, les phalanges pianotent doucement contre le visage du pirate qui éclate en sanglots, se mordant la lèvre inférieure pour tâcher de se retenir.

    « Allons, allons… Tu vas survivre, ne t’en fais pas. »

    Une chose gluante, vient doucement se frotter contre sa joue, par la suite. Ce n’est pas un tentacule, comme ce qui lui tient la jambe, non, c’est une langue. Celle-ci vient déposer sa salive sur sa joue, sur son nez, et finalement sur ses lèvres. L’homme grimace de dégoût, pas vraiment à l’idée d’un tel traitement de faveur.
    Celle-ci finit par se retirer, alors, et il finit ensuite par s’écrouler contre le pont, dans un bruit sourd.

    Ses dernières forces, pour peu qu’il en restait, après que le stress en ait tant consumé, semblent lui avoir été volées. Il ouvre les yeux, doucement, observant son reflet dans ce miroir liquide, et avise avec terreur le visage d’un vieillard, tiré par la fatigue. Des cernes sous les yeux, aussi sombres que la nuit, alors que des tâches de vieillesse se trouvent ici et là.

    Ce soir d’hiver, le vigile aura tout perdu. Son navire, son équipage, ses amis, et la plus grande partie de sa vie, volée par l’équipage Noir.

    Bouh ! C'est l'évènement d'Halloween 2k19 !
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    Un vrai cowboy se trouve dans cette assise. D’ailleurs, lui-même se demande ce qu’il fiche ici. Chapeau en tête, clope en main, il écoute les histoires… C’est assez spécial comme délire de se raconter des choses qui font peur. Bon, c’est pas qu’il s’ennuie, mais il a d’autre chose à faire. Lorsqu’il se lève les autres pensent que c’est pour prendre la parole. Ils attendent une histoire, surtout celle qui mange du chocolat..

    -Euh.. Juste que je dois partir.
    -Allez, fait pas ton consommateur est participe aussi.


    Une phrase qui ne le met pas tellement à l’aise. Après tout ce n’est qu’une histoire.

    -Ok ok. Juste le temps de la réflexion… Oui, j’ai une qui va être marrante.
    -De peur si possible.
    -Euh ouais, de peur… Enfin, je vais essayer.


    On a tous vécu ce moment où, dans notre maison on entend un bruit. Pourtant, il n’y a aucune personne susceptible de créer ce bruit. On se lève pour vérifier ce qui est tomber, puis on se réinstalle sans vraiment faire attention. Cela arrive de temps en temps. Mais en de rares occasions, l’événement dure et dure. Un son qui se réitère. Mais pas qu’un claquement de porte alors que toutes sont fermées. Il y a également le fait d’entendre très nettement quelqu’un gratter.

    Pas de chat dans l’appartement ni aucun animal pouvant faire cela. Ça gratte de plus en plus fort. Lorsque c’étaient les premiers sons, on n’y prêtait pas forcément attention. Mais lorsque ça reste un moment, on ne peut garder notre sérénité. Deux options s’offrent à nous. La première est,  se barricader dans sa pièce en se mettant dans un coin pour avoir une vue d’ensemble. La deuxième est celle qui est souvent prise, se lever, prendre son courage et voir de ses propres yeux.

    Cela n’arrive que le soir quand on entend parfaitement tout. Le plancher qui grince sous nos pas semble de mèche. La lumière est probablement dans le coup avec la création d’ombres qui prennent tous un aspect sinistre. La peur nous joue des tours, on est pas loin de voir des monstres à chaque coin. Ce moment où, on sort de notre pièce pour arriver dans celle où le bruit se faisait entendre est crucial. Le cœur se met à battre et on ne sait pas du tout à quoi s’attendre.

    On allume le plus de lumière possible pour voir qu’il n’y a rien. Vraiment rien. Les deux côtés du mur d’où semblait provenir le bruit n’ont rien de spécial.  La réponse logique est, des bêtes dans le mur. Des insectes ou un rongeur...

    La porte se met à taper. On entend une voix qui hurle « sortez » . Les coups sont forts et rapprochés. Une bonne dizaine avant le silence total. Qui peut bien venir à cette heure ? Nos pas sont prudents comme s’il y avait un piège non loin. Un petit œil est jeté par la fenêtre au volé fermé. On ne voit pas grand-chose, mais suffisamment pour dire qu’il n’y a personne… Hum... En regardant mieux on aperçoit un corps au sol… Inerte…

    Hors de question de mettre un pied dehors. Il doit y avoir des règlements de comptes. Cet homme qui est venu taper à la porte a sans doute tenté de fuir. Puis pourquoi sortir ? Sa maison est verrouillée. Trop d’événements glauque à la suite.. Elles ont toute des réponses plus au moins logique, alors pourquoi cette sensation de froid. Comme si l’atmosphère à perdu quelques degrés en un instant.

    On retourne dans la pièce principale pour respirer un bon coup. La marine est appelée avec un escargophone. Une petite unité en patrouille va venir jeter un œil. Faut dire que cette maison est un peu éloigné des autres. En retrait, plus tranquille, avec des arbres qui l’entoure non loin d’une forêt.

    Les minutes passent et rien. On retourne à la fenêtre proche de la porte pour voir s’il n’y a pas du mouvement à l’extérieur. Toujours rien… AH ! Le corps inerte à disparu. Puis le vent qui claque des volets n’est pas normal. Des pas rapides pour se diriger vers une chambre où il y a des rideaux qui volent sous le vent. La fenêtre est ouverte ! C’est de là dont vient cette sensation de froid. On ferme rapidement les volets puis la fenêtre.

    Le pire c’est se dire, le corps inerte… Où est-il passé ? Il est sans doute entré par la fenêtre. Il n’était pas mort ! Après avoir verrouillé cette entrée possible, on se retourne pour voir le corps sur le lit. Celui-ci est toujours inerte . Juste au-dessus sur le mur on peut lire, « on est mieux à l’intérieur ». Une phrase écrite avec du sang...
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    "Où suis-je ?", se demandait-il. Le Marijoan se réveillait péniblement. Son naufrage fut violent, en atteste ses nombreuses blessures. Sa jambe lui faisait horriblement mal ; et il était pour ainsi dire perdu. Encore une fois.

    Le vent glissait difficilement sur sa peau. Ses vêtements, déchirés et trempés, pesaient lourds sur ses épaules. Face à lui, un phare presque immaculé se dressait face à la houle, sans broncher. En haut, une lumière rassurante semblait être la promesse de répit. Alors, rassemblant ses dernières forces, l'homme se redressa et boita jusqu'à une échelle de corde, apparemment maintes fois usée.

    Après une périlleuse ascension, il arriva tant bien que mal au sommet. Là, il vit avec stupeur un groupe de cinq personnes. Visiblement, ils se racontaient des histoires d'horreur. Quand le nouveau venu se montra, ils se montrèrent profondément accueillants et il put s'installer à leurs côtés. On lui proposa même une boisson.

    L'homme qui racontait son histoire était âgé d'une quarantaine d'année, et habillé comme un cowboy. Il y avait aussi une jeune femme blonde, dont la beauté avait attiré l'attention de Mountbatten, et un jeune samouraï. Les profils étaient très disparates ; et cette réunion paraissait complètement insensées. Des inconnus qui partageaient des récits d'épouvante, en haut d'un phare, un soir de tempête. La situation était si surréaliste qu'il pensa au départ qu'il s'agissait d'un cauchemar. Pourtant, il ne se réveillait toujours pas.

    Plus sérieusement, qu'est-ce qu'il foutait là ? Ses derniers souvenirs, ils étaient sur la terre ferme. Pourquoi avoir atterri là ? Cela n'avait pas de sens. Il se piqua la peau. Mais rien. C'était quoi cette merde ?! Circonspect, il inspecta les lieux, attendant avec impatience que son esprit daigne réagir. Et encore une fois, cela se solda par un échec.

    Toutefois, il fut envahi d'un sentiment étrange. Il aimait paradoxalement cet endroit ; ces gens, ces histoires. Il pouvait enfin se laisser aller, le temps d'une nuit. Il n'avait foutrement aucune idée du sens de tout ceci ; mais l'ambiance commençait à le gagner petit à petit.

    Finalement, ce fut son tour. Il regarda l'audience, et se résigna à conter l'histoire de l'enfant de Gran Karoo.

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    Gran Karoo, c'était une île, aux confins de Grand Line. Elle était peuplée d'une petite communauté, peut-être une centaine d'âmes. Ils croyaient fermement en une religion, disparue depuis. Leur village était primitif, mais ils étaient heureux ainsi. Ils n'avaient pratiquement aucun contact avec l'extérieur ; si bien que cela les avait rendus complètement autonomes.

    Là-bas, il y avait une jeune femme, nommée Blum. Elle avait un nourrisson, et vivait seule avec lui, dans une modeste chaumière. Même si elle-- n'avait pas de mari, elle arrivait à subvenir toute seule à ses besoins, en récoltant des baies dans une forêt proche, et en les échangeant contre les biens que produisaient les autres habitants du village.

    Alors vous allez me dire : mais qui était donc le père du bébé ? Bonne question ; à vrai dire, les rumeurs circulaient, sans qu'on puisse déterminer son identité précise. Parmi elles, les prêtres s'accordaient à dire que le père n'était pas humain. En effet, elle n'avait pas souvenir d'avoir eu une quelconque relation les neuf mois précédents son accouchement. De plus, son ventre s'était mis à grossir d'un coup, le dernier mois.

    Le sort semblait s'intéresser à Blum et à son enfant, sans qu'elle en sache la raison...

    Petit à petit, la peur grandissait au sein du village concernant le rejeton. Il se comportait étrangement : il pleurait rarement, et pouvait changer d'expression à tout va. On pouvait le voir s’esclaffer avec sa mère, puis, la seconde d'après, la fixer de ses petits yeux, le visage fermé. Elle-même avait bien conscience que son fils était bizarre ; mais elle ne voyait pas non plus ce que cela pouvait prouver, contrairement aux prêtres. Ceux-ci devinrent plus critiques à son sujet, et commencèrent à prier tous les soirs pour que les divinités protègent Gran Karoo du nourrisson.

    Mais les événements les plus étranges se produisirent à partir de son premier anniversaire.

    Ce jour-là, Blum était partie dans la forêt, à la recherche de baies, comme d'habitude. C'était une tâche difficile, qui demandait de plier son dos plusieurs fois par minutes, si bien qu'il lui fallait une bonne heure de repos une fois rentrée. Le ciel était obscur, fait rare à cette période de l'année. Au loin, le tonnerre éclata. Elle décida donc de revenir chez elle, pour retrouver sa tendre progéniture. Il valait mieux se mettre à l'abri, au cas où l'intempérie viendrait jusqu'à Gran Karoo.

    Sa maison était de petite taille, avec un unique étage, où se situaient les chambres. En bas, le nécessaire pour vivre, à savoir une cuisine et des latrines. Pour se détendre, elle se contentait de lire des romans d'aventure, qui avaient été apportés par des visiteurs il y a des décennies de cela. Bien qu'il n'y en avait que trois, elle les relisait sans cesse. Ça lui permettait de s'évader, de s'échapper de sa condition misérable. Les murs étaient sales, faits d'un mélange d'argile grise et de petites pierres. Le mobilier, vétuste, avait été fabriqué maladroitement par un homme du village.

    C'était un endroit relativement isolé du reste des habitations. Il faut dire que le centre du village était bruyant ; et sa passion pour la lecture l'avait emmené à s'en éloigner. Cette distance physique s'était aussi traduite par une distance relationnelle : elle était incroyablement seule. Il faut dire qu'elle était d'un naturel rêveur ; ce qui était mal vu par les maîtres du village, qui ne donnaient de la valeur qu'à la rigueur du travail bien fait et au sérieux professionnel. De plus, la venue au monde de son enfant l'avait encore plus isolé.

    Cette après-midi-là, elle revint donc vers sa chaumière, avec une maigre récolte. Mais qu'importe, elle se réjouissait déjà de revenir chez elle, pour retrouver son bébé et ses livres. Sa vie était simple - certains diront qu'elle était même pathétique -, mais elle l'aimait. Blum était de celles qui embrassaient la vie telle qu'elle venait.

    Alors, elle poussa la porte d'entrée et posa son panier dans sa cuisine. A l'intérieur, pas un bruit. Elle n'entendait que les éclairs qui tonnaient plus à l'est.

    Mais quelque chose avait changé.

    Fatiguée, elle monta à l'étage sans rien apercevoir. Elle avait hâte d'embrasser son fils, puis de replonger dans un nouveau chapitre. L'escalier grinçait horriblement ; le matériau était de mauvaise facture, et elle n'avait pas les moyens de le changer. A certains endroits, il y avait même des trous, dans lesquels on pouvait presque bloquer un pied.

    Elle se rendit compte que quelque chose clochait quand elle fut à l'étage. A sa droite, le berceau avait un aspect différent. Elle se souvint tout à coup que le voile blanc, qui permettait de recouvrir le lit de son chérubin, avait été relevé, étrangement. La panique monta en elle, et elle examina le reste de la pièce. Son lit était toujours là, sans que rien n'ait été bougé. Cependant, elle remarqua quelque chose sur la petite étagère où elle rangeait ses ouvrages adorés.

    Ils avaient changé de place. Et Dieu sait qu'elle connaissait par cœur leur ordre...

    Comme si quelqu'un était venu la remplacer le temps d'une journée...

    Elle se précipita sur son rejeton, pour s'assurer qu'il allait bien.

    Il était bien là. Pourtant, lui qui était d'habitude rieur quand elle revenait, la fixait de ses grands yeux globuleux. C'était hautement inquiétant. Si elle savait qu'il avait parfois des attitudes étranges, ce n'était jamais le cas quand elle revenait. C'était seulement avec les étrangers.

    Comme si...

    Non, elle ne voulait pas s'y résoudre.

    Elle s'approcha de lui pour le prendre dans ses bras, avec un sourire un peu forcé.

    La désillusion fut violente. Il refusa catégoriquement d'être pris par cette femme dont il ne semblait plus avoir la connaissance. Il émit des cris stridents, qui glacèrent Blum. Qu'est-ce qui se passait ce jour-là ? Elle s'affairait autour de lui, pour le rassurer, mais rien n'y faisait. Il rejeta même son jouet préféré, et se montra hostile à toute approche.

    Effrayée, elle fondit en larme. Comment son propre enfant pouvait-il la rejeter ? C'était un cauchemar... Elle voulait désespérément se réveiller...

    Elle n'eut pas cette chance.

    En moins d'une seconde, un objet contondante vint s'introduire dans son ventre. Elle hurla de douleur. Une main chaude vêtue d'un gant noir vint attraper son épaule gauche, et la lame se retira. Puis revint, et fit l'aller-retour plusieurs dizaines de fois. Son sang se déversa sur le sol, sur les murs, sur le berceau. Le bébé, lui, se mit à rigoler, alors que les yeux de Blum le dévisageait, horrifiée. Des éclaboussures du sang de sa mère s'imprégnèrent sur son visage, et vinrent à sa bouche. Il en goutta et, trouvant le goût agréable, se mit à aimer cette texture si particulière.

    Quelques instants après, Blum s'écroula sur le sol.

    Des gants de cuir prirent l'enfant, qui se montra encore plus joyeux.

    "- Te voilà... Manfred."

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    «- Une nuit plus sombre que la nuit..»

    Le grincement enroué s'échappait laborieusement du visage mortuaire. Une partie seulement se déformait sous le clapotement incertain des flammes. Le reste prisonnier de l'ombre ne révélait que la pâleur d'un regard vide. Perdu dans le lointain, à mille lieux de la tempête, à mille époques aussi..

    «- ... plus sombre que la fin fond du puits des enfers, voila où nous avions chuté. Aucun ciel pour nous évader, aucune brise pour nous rappeler à la vie. Rien que le poids de la pierre nous enserrant dans le caveau labyrinthique des entrailles de la Grande Rocheuse. Un moment que notre navire errait sans cap selon d'hasardeux courants sous-terrains. Des mois qui auraient aussi bien pu être des semaines de ce qu'on savait, tant le monde d'en bas peint de noir sur du noir manquait de repaires. A mesure que le temps s'écoulait la folie s'insinuait dans les esprits, telle une infection putride et contagieuse qui germait au plus profond des hommes pour les dévorer de l'intérieur. Y'avait un calfat aussi solide qu'une barrique qui s'était mis dans la guibole de compter le temps qui passe. Adossé contre le grand mât, on entendait la liturgie du vieux nous battre les oreilles en fond sonore. Des chuchotements fébriles il ne resta que des murmures, c'est après une dizaine de centaine de millier de secondes qu'on le retrouva mort. Prisonnier de son obsession il n'avait pas bougé du long, sans boire ni manger, sans dormir.. la folie l'avait tué. D'autres dans la même veine s'étaient déjà jetés par dessus bord. Une ambiance... Mais c'est pas là où je voulais en venir. Voyez vous, dans cette voie qu'aucun mortel n'avait foulé.. nous n'étions pas seul...»

    Laissant la tension monter, le Cavalier se servit une longue goulée de la liqueur de parole avant de reprendre son histoire d'un ton frissonnant. Saucissonnée prêt du feu, l'agente du Gouvernement commença à trembler.

    «- Elle est arrivée bien plus-tard.. le calfat sentait au-delà du faisandé quand on l'a entendue pour la première fois. Les réserves avaient été rationnées au-delà du possible sous ma garde, cependant les plaintes et tentatives de mutineries se faisaient alors rares. Elles avaient laissé place à une sourde morosité. Dans ce monde de silence qu'un raclement venu d'ailleurs ébranla ce qui restait de vivant.. Les mourants eux-même reprirent du poils pour trembler de tout ce qu'ils pouvaient. Un long et lent crissement... se répercutant en mille échos étouffés. La moelle se glaçait à l'écoute depuis le troufion. Faut comprendre qu'on avait rien entendu depuis des lustres, on était pris de court. Ceux qui se précipitèrent à la poupe eurent beau balayer autant que possible la menace, les restes de luminosité à notre disposition ne permirent pas de discerner la Bête. La Chose resta tapis dans l'obscurité à guetter notre approche... Pas un souffle ne s'entendait. Pas un cri. Seul le son irréel d'une griffe démesurée entaillant la roche nous parvint. Cette sensation d'un doigt crochu entrain de labourer l'intérieur de notre crâne ne peut s'oublier...  On était descendu trop profondément, beaucoup trop profondément...  

    Laswaga qu'on la nomma, terreur des profondeurs.. La rencontre du nouveau type nous la scella aux basques le reste du voyage. D'abord curieuse, on se contentait d'entendre sa présence stridente..  Des pauses espacées le crissement.. mais il réapparaissait sans cesse à notre suite. Toujours plus prêt... Nos journées n'étaient plus que partagées entre l'attente angoissante et ce raclement à soulever les tripes. On avait beau tirer dessus autant comme autant elle revenait invariablement nous tourmenter. La folie naissante avait elle-même gagné en folie. Un jour entrainé en une masse confuse, ce qui restait de valide lâcha les feux des neufs enfers sur le bâbord où on l'avait repérée. Toute la poudre qui restait y passa, artillerie comprise. Ils tirèrent, tirèrent pris de démence à travers le mur de poix qui nous enserrait. A peine qu'on se distinguait les uns des autres. Des blocs arrachés des parois nous pleuvaient dessus abondamment et nous trempaient en pilonnant la surface de l'eau, mais rien n'y fit. Ils ne s'arrêtèrent qu'une fois le dernier baril de poudre consommé. Et pour la première fois depuis longtemps, le silence refit place. Pas l'attente non.. le Silence. Jamais il n'avait autant manqué en ces terres oubliées... Alors que tout le monde pensait Laswaga redevenue poussière le lent crissement s'éleva de nouveau plus menaçant qu'auparavant. Cette saloperie respirait encore, énervée, et on n'avait plus le moindre plomb à lui envoyer. On se rendit compte plus tard que deux matelots avaient disparu. En représailles de l'attaque, elle était venue prendre sa pitance sur le pont...

    Dès lors on sentit sa présence plus proche que jamais. On l’apercevait chaque jour sans la voir, du coin de l’œil ou par une ombre difforme se mouvant avant qu'on la saisisse. Elle s'aventurait de plus en plus à bord. Depuis la cale on l'entendait griffer les épais panneaux de bois par dessous. On la disait écailleuse comme un serpent, dont découlait sa mouvance... J'en ai entendu dire que c'était une sirène qui s'était perdue. Mais que des conneries que cela, on avait bien foulé son monde. Pas de pattes non mais des doigts crochus en parsemant le corps. Et une griffe démesurée d'au moins six pieds de long qui lui partait du flanc. Voilà à quoi ressemblait la bestiole une fois les témoignages mis bout à bout... Un à un les hommes succombèrent comme vidés, le visage déformé jusque dans la mort. Les mâts s’enguirlandèrent petit à petit de nœuds coulants et de leurs sacs de viande qui avaient voulu accélérer le trépas. Et il ne resta qu'un homme à bord. Jusqu'à la fin elle m'accompagna au point où je m'habitua à sa présence, puis un beau jour le navire sortit de la Flaque comme il était entré. J'appris plus tard que la traversée s'était étalée sur une année. Si elle nous avait accompagné tout le long de la remonté jusqu'à la surface, elle n'en passa pas l'entrée. Hors des murs n'était pas sa place.

    Ma théorie est qu'elle ne voulait pas nos corps. Nos chaires et nos entrailles ne lui convenaient en rien. Personne ne dit lui avoir vu la moindre gueule d'ailleurs. Non si ça avait été le cas, elle nous aurait étripés le premier le jour. Ce que je dis, c'est que c'est pas nos corps qu'elle voulait mais nos âmes.. Le navire ramena les corps de l'ensemble de l'équipage à quelques uns prêt, mais les âmes elles sont restées sous terre avec Laswaga. Elle saura en prendre soin, comme elle saura s'occuper des prochaines à fouler ses terres..»
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    - Bon ben je me lance...

        La main tremblante, je tirai une dernière latte sur ma cigarette avant de la jeter dans le feu. Il faisait froid, il faisait nuit, le bruit des vagues se mêlait au bruissement des feuilles, soufflées par la brise de minuit, et les quelques histoires précédentes, à défaut de me mettre en situation, m'obligeaient à serrer les fesses et à zieuter tout détail pouvant paraître inhabituel... C'est à dire tout et n'importe quoi. Mais puisque j'ai ouvert ma grande gueule, eh bien il faut assumer.

    * * * * * * *


       "Cette histoire, vous la connaissez peut-être : c'est celle d'un jeune homme. Blond, mince, les yeux clairs, un brin espiègle, c'était un adulte en devenir qui, encore pur et innocent, rêvait de percer le secret de la Forêt des Plaintes dont on parlait dans son village... Le nom exact... Nous l'appellerons Bradley.
        Pas le village, le jeune homme.

        Cela faisait plusieurs mois maintenant que l'on ne parlait plus que de ça : des gens étaient entrés dans la forêt et n'en étaient jamais ressortis. Ceux qui étaient partis à leur recherche sont également portés disparus, sauf deux frères, les vieux Stan et Barn, qui ont eu trop peur pour s'enfoncer dans les bois avec leurs camarades. Il faut dire que les arbres y sont si massifs et le feuillage si dense que les rayons du soleil peinent à filtrer, obligeant les voyageurs à traverser dans le noir.
        D'après eux, ils avaient entendu des choses étranges. Ils s'étaient sentis observés. Mais aucun n'avait réussi à trouver quoi que ce soit... jusqu'à ce qu'ils entendent des pleurs dans l'obscurité. Parfois lointains, parfois tout proches... Mais ils avaient beau regarder, observer, épier la moindre étrangeté, rien à faire ! C'était comme s'ils gravitaient inexorablement autour de la source. Et c'est à ce moment que les deux hommes se seraient enfuis à toute jambe, alors qu'un bruit sourd se faisait entendre et qu'un frisson leur parcourait l'échine. Qui pouvaient leur en vouloir ? Ce genre d'expérience mettrait les nerfs à vif de n'importe qui, normalement constitué.
        Les familles des disparus ne l'entendaient pas de cette oreille. Aucune n'acceptait de rester sans réponse. Et depuis lors les disparitions étaient de plus en plus importantes... pourquoi cela avait-il commencé ? Comment ? Personne ne le savait. Mais au bout du compte, le maire avait décidé d'assumer seul les plaintes et la souffrance des familles en interdisant l'accès à la forêt.

        Il était difficile pour Bradley de voir ses voisins pleurer chaque jour. C'était le cas de la boulangère également, laquelle revêtait le noir depuis lors. La fille de l'apothicaire, son amie d'enfance Jyn, avait aussi perdu son frère dans cette affaire. Maintenant, elle avait les joues creusées, le teint pâle et elle ne prenait plus la peine de coiffer ses cheveux bruns. Le simple fait de la voir sourire d'un air faux suffisait à lui serrait le coeur.
        Le village était d'une telle tristesse... Cela ne pouvait plus durer. C'était ce qu'il pensait.

        Bradley en parla à Jyn et cela suffit à lui faire reprendre des couleurs. Elle n'était pas spécialement courageuse, mais elle aimait son frère, pour sûr. Elle écoutait avec un grand sérieux les intentions de son ami :

    - Nous partirons de nuit. Il ne faut pas que d'autres nous voient. Il suffirait que le maire soit au courant et nous serons consignés à résidence dans le meilleur des cas.
    - C'est certain... Mais nous n'irons pas seuls, répondit-elle.

        La jeune femme indiqua la maison d'Ian et Clea, ainsi que celle des rescapés Stan et Barn. Les premiers formaient un jeune couple de chasseurs. Ils étaient un peu plus âgés que Bradley, mais ils se connaissaient très bien. Ils avaient souvent fait la fête ensembles, sans parler des repas chez les parents de chacun. Ian était un solide gaillard, avec une barbe mal taillée qui, sans le faire paraître trop négligé, suffisait à le vieillir. Clea était une force de la nature : les cuisses fermes et les biceps correctement dessinés, elle n'avait rien à envier aux ouvriers masculins ! Et ses cheveux courts n'arrangeaient rien à son manque de féminité.
        Aussi le duo téméraire alla chercher chacun d'eux dans la journée qui suivit, à l'abri des oreilles indiscrètes. Après quelques mots seulement, les chasseurs acceptèrent. Pour les survivants apeurés, c'était une autre paire de manches :

    - Vous ne savez pas ce qu'on a vu ! dit Stan.
    - Vous n'y étiez pas... Vous ne voudriez pas y aller si vous saviez... renchérit Barn.
    - Mais vous n'avez rien vu ! s'exclama Bradley. C'est ce que vous avez annoncé aux gens du village ! Les bruits ont eu raison de votre courage.
    - Ne confonds pas courage et folie mon garçon ! Si les autres étaient là... Le boulanger, le fils de l'épicier, notre cousin... Ils auraient dit la même chose : il y avait quelque chose de pas net.
    - Un animal sans doute.
    - Parce que tout à coup les animaux se seraient mis à geindre comme des enfants et à faire disparaître les passants ? Depuis combien de temps crois-tu que nous vivons près de cette maudite forêt ? Personne n'a jamais rien connu de tel ici, tu peux me croire gamin.

        Stan et Barn serraient les poings, crispés sur leur chaise, face à la table de cuisine sur laquelle s'appuyaient Bradley et Jyn. Depuis cette histoire, ils vivaient tous les deux sous le même toit. Finalement c'est la fille aux cheveux bruns qui parvint à les convaincre, au bout de longues palabres :

    - Si vous souhaitez finir vos jours à regretter et à subir le regard haineux des habitants, soit. Nous, nous y allons. Avec ou sans vous.

    [...]

        Alors que le reste du village dormait, les six aventuriers se trouvaient à l'entrée de la Forêt des Plaintes. La lune brillait fort cette nuit-là, accentuant les ombres à l'orée des bois. La brise naissante rajoutait au côté sinistre... Mais Bradley n'était pas du genre superstitieux : il se ressaisit bien vite et demanda si tout le monde s'était équipé en conséquence. Lui-même avait opté pour une torche imbibée qu'il n'aurait plus qu'à allumer en grattant une allumette et un couteau de cuisine. Jyn avait fait de même, en plus de quelques bandages, dans le cas où les disparus seraient blessés, mais en vie. Les chasseurs avaient une machette pour l'un et un arc pour l'autre. Stan et Barn partageaient un mousquet, relique de leur grand-père du temps où il était soldat.
          Tous regardaient les feuilles des arbres bouger, remettant en question leur propre engagement. Seulement hésiter à cet instant précis, c'était comme faire un pas vers l'abandon. Il fallait que quelqu'un ouvre la marche pour que les autres joignent le mouvement. Ce fut Ian qui se décida le premier, davantage habitué à s'aventurer dans les bois que les autres. Depuis l'interdiction du maire, il ne pouvait plus chasser comme il l'entendait, et pister des hommes en pleine nuit faisait monter en lui une nouvelle forme d'excitation. Et tous le suivirent alors...

        A l'intérieur, il faisait terriblement sombre. Bradley et Jyn furent obligés d'allumer les torches d'emblée, alors que le jeune couple décida de la formation : une lumière à l'avant, la machette, les deux hommes et leur mousquet, l'arc et l'autre lumière derrière. C'était ainsi qu'ils s'enfonçaient dans la Forêt des Plaintes. La végétation atténuait le bruit de leurs pas. La fraîcheur de l'air rendait l'herbe et le feuillage humide. Chacun des secouristes savaient que la rivière abreuvant leur village pénétrait également dans ces bois : plus ils avançaient, plus il devenait difficile de voir... Un brouillard prenait forme et s'opacifiait.
        Une chouette hululait au loin. Quelques insectes rampaient et volaient ça et là. Les branchages devenaient d'étranges silhouettes auxquelles la brume donnait vie. Et les six membres du groupe s'enfonçaient encore et toujours plus loin, marchant de moins en moins vite, plus soucieux que jamais et incapables de discerner le vrai du faux...
        Un claquement soudain obligea tout le monde à se tourner vers la source :

    - Hé ! Tout va bien ! C'était qu'un moustique...

        La formation pesta contre Barn, lequel s'excusa avec une petite voix, lui-même inquiet de ce qui pourrait leur arriver dessus sans l'entendre.
        Ce fut à ce moment précis que ça commença, comme l'avaient prédit les deux frères. On se mit à les entendre. Tantôt fébriles, tantôt accrues. Parfois proches, parfois lointaines. Le temps entre chacune était irrégulier, mais tous le pensaient. Tous le savaient. Les sons qui leur provenaient de l'obscurité n'avaient rien de naturel... Il s'agissait des Plaintes.
        Bradley, empoignait plus fort sa torche, balayant le paysage déformé du regard. Même Ian, le plus confiant d'entre eux, serrait les dents en levant son arme devant lui. Plus que des plaintes, les sons émis ressemblaient presque à des pleurs. Peut-être que la peur leur jouait des tours ? Peut-être n'était-ce que le vent ? Dans tous les cas, les sanglots de la forêt avaient comme une voix d'enfant. Jyn fut la première à ouvrir la bouche :

    - Il faut vérifier ce qu'il en est.
    - Tu es folle ! s'exclama Stan. Tu les entends comme nous ! Ce n'est pas normal...
    - Et si un gosse s'était perdu ? demanda Ian. Imagine un peu que...
    - Personne ne me fera croire qu'un môme ait décidé de s'aventurer seul ici en pleine nuit ! répliqua Barn.
    - Pensez ce que vous voulez, mais il faut en avoir le coeur net. J'y vais.

        Et Jyn rompit la formation, très vite suivie par Clea. L'athlète s'était trouvée des instincts maternels insoupçonnés et souhaitait faire preuve de solidarité envers l'adolescente. Sans plus réfléchir, Bradley tendit sa torche à l'un des frères et les suivit. Il lança un dernier regard aux trois autres :

    - Continuez à chercher de votre côté. Nous nous retrouverons plus tard.
    - Compte sur nous, fit Ian, je laisserai des repères comme celui-ci pour que l'on se rejoigne plus facilement.

        Il donna un coup de machette sur un arbre, puis un autre, de façon à former une croix dans l'écorce. Tous acquiescèrent et les deux trios s'éloignèrent, jusqu'à ce que seules les lumières soient visibles à distance... Puis plus rien.
        Rien à part la nuit et ses lamentations.

        Cela faisait cinq minutes qu'ils s'étaient séparés, et Bradley joignait ses cris aux filles pour appeler l'enfant. Mais le rituel de ce dernier se répétait : des gémissements, des sanglots, venant d'ici ou d'ailleurs... En plus de ça, d'autres bruits se mêlaient aux leurs : ceux de craquements, comme si l'on marchait sur des branchages. Loin d'être agressifs, ils n'en restaient pas moins surprenants, au milieu de la brume. Qui, ou quoi rôdait ? Leurs appels avaient-ils attiré l'attention d'un prédateur nocturne ? Une meute de loups ? Ou alors un simple rongeur, effrayé par leur passage et par les rapaces silencieux dont les yeux ronds, énormes, brillaient dans le noir.
        Une autre chouette passa tout près de Jyn qui manqua de trébucher en sursautant. Clea lui tendit la main pour qu'elles avancent à deux. Ils continuèrent ainsi sans trop de difficulté durant les cinq minutes suivantes.

    *Pouf*

        Un bruit sourd tout près d'eux leur provoqua un hoquet de surprise alors que la chasseuse bandait déjà son arc, par réflexe. Une forme d'environ un mètre de long, large de presque cinquante centimètres, avait chuté au pied d'un arbre sur leur gauche. Bradley, le plus proche, fut le premier à distinguer ce qui ressemblait à une silhouette humaine. Il finit par s'approcher.
        Il reconnut un habit, fait de matières végétales, couvrant la quasi-intégralité de la chose, comme un poncho. Il reconnut des bras, des jambes et... Une tête ? Il n'en était pas vraiment sûr. Mais il y avait bel et bien des yeux, bien qu'ils n'aient aucun éclat. Il dressa la torche et vit son visage : celui d'un mannequin de bois et de résine, les traits grossièrement taillés afin d'avoir un semblant de relief. A la place des pupilles , il y avait deux morceaux de coquille de noix.
        Les trois jeunes gens observèrent la poupée géante d'un air circonspect, sans trop comprendre son utilité, ni comment elle était arrivé là. Le plus dérangeant restait la présence de griffes de silex à la place des doigts... Sans parler du sourire peint au jus de baies.

    - Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Jyn.
    - J'en sais trop rien, répondit Bradley, mais c'est sans doute tomber à cause du vent... Et regarde : la branche sur laquelle c'était a cédé.
    - Ouais... C'est pas rassurant n'empêche. Ça me fiche les jetons.
    - Quoi que ce soit, on devrait plutôt continuer à chercher l'enfant. Avec un peu de chance, on obtiendra même une piste pour les autres disparus, dit Clea.

        Les deux autres opinèrent du chef et se détournèrent de la poupée. Ils s'éloignèrent ainsi sans lui prêter plus d'attention, plus pressés d'en finir que jamais... Ce simple imprévu avait réussi à saper le reste de leur moral. La nuit, le brouillard, la forêt, les plaintes... Tout était prétexte à réduire leurs efforts à néant et à leur ficher la frousse de leur vie.
        En plus, il faisait vraiment froid.

    *CRAC*

        Bradley fit un pas de trop. Pensant d'abord à une branche, il dérapa et glissa le long d'un amas donnant sur une pente. Il dévala sur quelques mètres avant de se cogner le dos contre un chêne. La douleur lui coupa le souffle et étouffa même son cri.

    - Ca va ?! questionna Jyn sur un ton inquiet, au dessus.
    - Aouch... Ouais tout va bien... Je vais vous rej...
    - Quelqu'un...

        Une nouvelle voix l'interpella. Une voix qui ne lui était pas du tout familière, trop aiguë pour être celle d'un homme. Une voix d'enfant. S'ajoutait à cela des sanglots plus proches que les précédents. Plus concrets également. Différents des précédents en somme.

    - Tout va bien en bas ?

        Bradley se releva et s'approcha de la source des pleurs. Puisqu'ils ne bougeaient pas comme les précédents, il put rejoindre la source aisément. Entre deux arbres, après le mur opaque, au centre d'un bosquet : une fillette recroquevillée, les cheveux ternes, secs et couverts de brindilles, le corps fin, un long manteau boueux et déchiré sur le dos et les pieds nus.
        La fillette tourna lentement la tête vers lui. Les larmes sur ses joues étaient bien réelles. Elle semblait à la fois triste et terrorisée. La vue de Bradley n'arrangea rien à son état. Celui-ci se dépêcha de la rassurer avant qu'elle ne s'enfuit en hurlant :

    - Attends ! Je ne te veux aucun mal ! Je cherche des gens ici. Je m'appelle Bradley, et toi ? Tu t'es perdue ?

        Tremblante, la petite ne bougeait plus. Bradley, le plus rassurant possible, avança lentement dans sa direction, les épaules courbées, de plus en plus proche de la position accroupie. La jeune fille avait des yeux clairs, extrêmement expressifs.
        Elle ouvrit alors la bouche. Elle avait les lèvres sèches et gercées :

    - Tu... Tu cherches gens ?
    - Oui, c'est ça.

        Faisant fi de son défaut de prononciation, le jeune homme n'était plus qu'à un mètre d'elle lorsqu'elle se cabra de nouveau et prit ses jambes à son cou. Surpris, Bradley se lança à sa poursuite. La fille au manteau se déplaçait vite. Sa petite taille l'aidait à traverser des obstacles impossibles pour l'adolescent. Elle courait, se baissait, bondissait à quatre pattes entre les buissons sans craindre pour la paume de ses mains ou la plante de ses pieds. Son comportement rappelait les petits animaux craintifs... Elle devait se trouver là depuis très longtemps.
        Au bout d'un moment, et ce malgré ses appels pour qu'elle l'attende, il finit par perdre la petite. Presque à bout de souffle, il regarda autour de lui sans apercevoir quoi que ce soit qui puisse l'aider. Puis il y eut un nouveau craquement dans le décor, sur sa droite. Il ne lui en fallut pas plus. Cette petite course avait fait monter l'adrénaline en lui et il n'hésitait plus. A la peur faisait place un nouveau sentiment qu'il avait du mal à cerner lui-même...
        Sur le chêne devant lui, une croix gravée dans l'écorce. Il savait ce que cela signifiait. N'ayant plus de torche, il avança à tâtons, vif et attentif. Il finit par entendre un cri. Il se remit à courir : c'était Stan !

    *BANG*

       Un coup de feu venait d'être tiré. Il fonça de plus belle. D'autres craquements, de plus en plus nombreux, résonnaient autour de lui. Le jeune homme avait l'impression que la forêt s'agitait, et il eut la sensation que ce n'était pas bon signe...
       Enfin, Bradley arriva dans un nouveau bosquet. L'espace était parfaitement dégagé. Au centre : trois individus éclairés par une faible lueur vacillante. Le trio géré par Ian était là ! Tous avaient l'air paniqué. Ian n'avait plus sa machette et les deux frères se battaient pour la possession du mousquet, dont le canon fumait encore.

    - Tu l'as raté je te dis ! Il bougeait encore !
    - Je croyais que Ian l'avait frappé avec sa machette... Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! Laisse-moi le fusil !
    - Fais pas le con Stan ! Je dois recharger...
    - Hé ! Calmez-vous ! Qu'est-ce qui se passe ?!

        Tous les trois se tournèrent vers Bradley, d'abord effrayés. Puis ils furent rassurés en le reconnaissant. Les traits de leurs visages restaient cependant tirés et Barn lorgnaient les bois en zigzagant d'un endroit à l'autre, faisant bouger ses globes oculaires si vite qu'il en paraissait fou.
       Ian grimaçait. D'une main il se tenait le flanc, lequel était plus sombre que dans les souvenirs du jeune homme. De l'autre il indiqua un point dans l'obscurité. Comme pour répondre à ce signe, le silence se fit.
        Les quatre secouristes regardaient dans la direction indiquée, attendant que quelque chose se passe... Et quelque chose passa bel et bien : il y eut un mouvement dans l'ombre. Ça se déplaçait... Sur un côté. Puis sur un autre. Puis dans deux sens en même temps... Ensuite, une jambe - ou ce qui s'y apparentait - sortit du brouillard. Puis une autre. Puis une autre... Ce furent bientôt cinq entités inconnues, nappés d'un habit végétal, qui les observaient avec une attention toute particulière. Le silence était pesant. Personne n'osait respirer. Personne n'osait ouvrir la bouche, de peur de sonner le clairon. En plissant les yeux, Bradley reconnut les silhouettes leur faisant face : ils s'agissaient des poupées géantes, semblables à celle qu'ils avaient trouvée avec Jyn et Clea. Celle du milieu, cependant, était différente et, à raison, beaucoup plus stupéfiante : son crâne était fendu par la machette de Ian. Une autre, plus en retrait, avait un trou dans son poncho de feuilles.

    - Oh mon dieu, finit par murmurer Stan.

        La poupée à la machette leva un bras griffu et émit crissement étrange et profond. Alors les autres se mirent à foncer droit sur leurs proies, le visage figé dans une expression unique de sourire carnassier.
        Il n'en fallut pas plus pour que les vieux Stan et Barn se mettent à gueuler et à détaler. Ian eut une seconde d'hésitation et, repoussant un premier assaillant d'un coup de poing, fut submergé par les autres avant de crouler sous un amas de branches, d'écorce, de silex et de verdure... Bradley était pétrifié : il regardait ainsi son ami s'effondrer, le corps complètement recouvert, alors que le sang commençait à couler et à se répandre sur l'herbe. Alors qu'il lâchait son un hurlement d'agonie, les monstres de la forêt continuaient de s'en prendre à lui avec acharnement.
        Stan et Barn étaient plus loin : ils s'étaient retournés et, leurs jambes les ayant lâchés, ils s'affairaient à recharger leur arme, en tremblant et en marmonnant d'incessants "Oh mon dieu ! Oh mon dieu !". Le temps qu'ils soient enfin prêts, les créatures se redressaient, contemplant leur oeuvre, totalement synchronisées. Un nouveau coup de feu partit et l'une d'elles fut comme repoussée. Elle tituba mais ne tomba pas. Toutes tournèrent la tête vers les deux lâches qui, impuissants, n'arrivaient même plus à se lever. Ils virent fondre sur eux les griffes noires ensanglantées tout en s'époumonant à en perdre la voix. Le jeune homme, ne savait quoi faire. Il avait sorti son couteau de cuisine mais son esprit savait qu'il ne servait à rien en pareille situation. Il devait partir mais où ?

    - Tu suis moi !

       Bradley fit volte face. Le corps caché par des plantes hautes, la petite fille de tout à l'heure le regardait, affolée. Elle répéta ces mots :

    - Tu suis moi !

        Alors il la suivit. Cette fois, la gamine prit soin de ne pas le distancer. Ils coururent longtemps. Si longtemps que le jeune homme crut défaillir plusieurs fois. L'adrénaline qui l'avait animé il y a quelques minutes maintenant s'en était allée. Il avait chaud, puis froid, sa sueur dégoulinant le long de sa nuque. Sa tête tournait, ses membres tremblaient. Des gens étaient morts sous ses yeux. Des "choses" les avaient massacrés ! Il pensa alors à Jyn et Clea :

    - Les filles... Je dois les retrouver !
    - Tu viens ! Chez moi c'est abri !

       Elle voulait le convaincre avec la force du désespoir. Ses grands yeux clairs le fixaient avec la même peur que lorsqu'il l'avait trouvée plus tôt. Le sentiment de danger prenant le pas et craignant aussi pour la petite, il se résigna à la suivre.
        Ils arrivèrent alors face à un arbre énorme, sans doute l'un des plus grands, dominant la forêt. Un saule pleureur se dressait majestueusement devant eux. De minuscules flocons flottaient autour : les "larmes" du saule étaient transportées par la brise. Bradley oublia l'espace d'un instant ce qu'il faisait là avant de se ressaisir :

    - Cet endroit, c'est...
    - Eux viennent pas ici. Eux s'approchent pas. Chez moi.

        La jeune fille avança tranquillement vers le grand arbre. Hésitant, son invité la suivit. En chemin, il remarqua quelques monticules de terre. On avait creusé des trous ici. Sans doute la fille... Ça sentait fort. Bradley repoussa quelques tiges souples sur son passage et vit ce qui ressemblait à... Des os !
        Il lui fallut toute la force du monde pour se contenir de sursauter face à cette découverte. Il comprit alors en voyant la taille qu'il ne s'agissait que de restes de petits animaux. Cette gamine devait être là depuis plus longtemps qu'il ne le pensait...
        Au pied de l'arbre, une antre, passant entre d'immenses racines. Il se faufila à la suite de son hôte et découvrit un terrier spacieux, éclairé naturellement par la lueur de champignons fluorescents.
       Agenouillée, les mains crispées sur ses cuisses, la jeune fille baissait la tête sans trop savoir quoi dire. Finalement elle se décida et tendit une baie rouge à Bradley en disant :

    - Tu manges. C'est bon.
    - Merci... Depuis combien de temps tu es là ?
    - Moi sais pas. Longtemps...
    - Ça a dû être dur.
    - Moi aime pas seule. Longtemps sans jouer avec quelqu'un...
    - Je vois... Est-ce que tu as vu... D'autres personnes ? Ces choses ont-elles...

        Le garçon ne finit pas sa phrase. Il est fort probable que les parents de cette petite soit morts de la même manière que ses compagnons. Le regard toujours baissé, elle répondit cependant :

    - Oui. Plein d'autres. Mais pas tous...
    - Pas tous quoi ?
    - Morts. Pas tous.
    - Comment le sais-tu ?
    - Moi vu. D'autres qui pleurent.
    - Où ça ?!

        La jeune fille frémit. Son moment d'hésitation fit place à un geste, à la fois simple et grave : elle redressait la tête d'un air d'abord effrayé, puis très sérieux. Ses lèvres gercées, plus pincées qu'auparavant, s'ouvrirent alors mais :

    - Hé oh ! Il y a quelqu'un ? Brad ? Stan ? Barn ? Ian ?
    - Jyn... Jyn !

        Bradley sortit à toute allure du terrier et écarta les branches ondulantes du saule pleureur, révélant ainsi sa présence aux deux femmes qu'il avait laissées derrière. Celles-ci se jetèrent sur lui, heureuses de le voir sain et sauf.

    - Où est-ce que t'étais passé bon sang !
    - Je suis désolé Jyn... J'avais trouvé...
    - On a vu Jeoffrey, le coupa Clea.
    - Jeoffrey... Ton frère, Jyn ?!
    - Oui...
    - Où est-il ?

       La jeune femme eut une moue déchirante, les larmes aux yeux :

    - Il était trop faible, il... Il est mort dans mes bras. Il était recouvert de je ne sais quoi, ça le maintenait et... Il disait des choses bizarres sur un saule qui pleure, sur des poupées et... Et sur une fille dans les bois...
    - Une fille... C'est elle qui m'a sauvée, elle est...
    - Non !

        Tous se retournèrent vers le saule. D'un coup, plusieurs branches s'écartèrent, se soulevèrent, s'étirèrent de sorte à former un arc imposant, laissant le tronc nu ainsi que l'antre de la gamine. Celle-ci se tenait devant, les bras levés au dessus de sa tête, ses yeux clairs grands ouverts, fixant avec insistance les trois amis. Il n'y avait plus aucune peur sur son visage. A la place, son côté animal semblait reprendre le dessus et ses traits se tordaient en une expression de colère bestiale, toutes dents dehors.

    - Moi voulais jouer !
    - Petite... Qu'est-ce qu'il se passe ?
    - Tu devais rester. Moi seule ! Moi voulais jouer...
    - Ecoute... viens avec nous et tu ne seras plus seule. On pourra jouer à ce que tu veux !
    - Ce que moi veux ?
    - Oui ! Allez viens par là...

        Il y eut un temps d'arrêt pendant lequel personne ne sut comment réagir... Du moins en apparence. La petite cessa de grimacer, instantanément calme. Puis, lentement, elle se mit à sourire. De plus en plus. Jusqu'à ce que ses dents sortent à nouveau et que ses yeux s'arrondissent, comme ceux des fous. Ou ceux...

    - Moi veux jouer à la poupée.

        Le feuillage bougea autour des trois villageois. Alors que la fillette faisait des sortes de signe avec ses mains, semblables à des invitations, les mannequins écorcheurs jaillirent alors.
        Clea ne prit la peine de réfléchir : elle brandit son arc, sortit une flèche de son carquois, l'arma et... Rien. Elle resta figée là. L'incompréhension se lisait sur son visage :

    - Je... Je ne peux plus bouger !

        La gamine avait un bras tendu vers la chasseuse... Elle faisait ces choses ! Toutes ces choses ! Bradley comprit ce qu'il en était, et il était sans doute trop tard... Mais il ne le savait pas encore. Du moins, il n'y pensait pas. Seule la survie comptait maintenant.
        Il prit la main de Jyn et ils s'engouffrèrent à nouveau dans les bois. Derrière eux, Clea hurla à la mort alors que le fillette vociférait, hystérique.
        La forêt entière fut réveillée par le chahut qu'ils provoquèrent. La brume fut remuée, plusieurs oiseaux s'envolèrent, des animaux de toute taille fuirent entre les arbres. Le couple en fit de même, profitant du chaos pour rester à couvert. Les ordres et les menaces de la gamine étaient toujours présents derrière eux. Bradley avait l'impression de l'entendre en hauteur plusieurs fois, comme si elle se déplaçait de branches en branches.
        Les poupées les rattrapaient elles aussi. Elles se déplaçaient vite. Trop vite. L'une d'elle profita de la fatigue des deux fuyards pour taillader Jyn à la cuisse et Bradley à l'épaule. Le jeune homme sortit à nouveau son couteau et frappa dans le vide, obligeant la créature à s'écarter en plongeant dans le décor. Bradley ne la vit pas revenir... Il crut cependant l'avoir touchée pendant l'attaque.

       Jyn et lui en profitèrent pour se cacher dans un coin pour reprendre leur souffle. Elle en profita pour lui dire :

    - Ses choses, c'est... Du délire !
    - Je sais... elles ont eu les autres.
    - Oh non... Alors c'était vrai.
    - De quoi ?
    - Ce qu'a dit mon frère : lorsqu'on l'a trouvé, il avait quelque chose de fin et de dur enroulé dans la bouche, pour l'empêcher de parler. Les plaintes qu'on entendait venaient de lui et des autres.
    - Mais... pourquoi on ne les trouvait pas ?
    - C'est elle. C'est la fille... Elle les "déplace".
    - Putain... Dans quelle merde on s'est mis...
    - Trouvés.

        Le couple se redressa, effrayé : la jeune fille était là, à les regarder depuis son perchoir, quelques mètres au dessus d'eux, en train de leur sourire. La démence se lisait sur son visage. Elle fit de nouveaux gestes de la main et les poupées apparurent à leur tour. Jyn voulut fuir, mais la douleur à sa jambe l'empêcha d'agir... Elle regarda Bradley, lequel était encore sous le choc. Elle réfléchit un instant et finit par le pousser en lâchant :

    - Cours Bradley, cours !
    - Pas sans toi Jyn ! Fais pas ça ! On doit rentrer ensembles !
    - Oh mais je rentre Brad... Je vais rejoindre mon frère. Dépêche-toi.

    * * * * * * *

    - ... Et c'est tout ?

        Je sors une nouvelle cigarette du paquet dans ma poche. Je prends le temps de l'allumer d'un air serein. J'ai la jambe qui tremble un peu, mais je le cache tant bien que mal :

    - Non. Sachez qu'après cela Bradley parvient à rentrer au village, épuisé, éreinté, blessé... Mais bel et bien vivant. Le sacrifice de Jyn lui a permis de gagner suffisamment de temps pour rejoindre l'orée des bois. Il s'est écroulé sur l'herbe face au village, attendant que son coeur reprenne un rythme soutenable pour aller voir le maire.

       Je commence à fumer. Les yeux fermés, j'inspire profondément avant de relâcher les toxines par le nez, formant quelques fumerolles éphémères et insignifiantes :

    - Mais comprenez ceci : cette histoire, je ne l'ai pas entendue autour d'un feu. Et ce Bradley - peu importe son vrai nom - a bel et bien pu offrir le récit de sa triste aventure à quelqu'un... Personne au village n'a voulu écouter ses divagations. Il fut alors condamné à vivre sa vie seul, fou, avec comme dernier souvenir de tout ceci l'horrible sourire de la fillette et ses poupées, omniprésent à chaque fois qu'il regarde en direction de la Forêt des Plaintes, comme s'ils attendaient son retour pour jouer avec eux une dernière fois.


    Dernière édition par Arhye Frost le Jeu 31 Oct 2019, 11:37, édité 1 fois
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    La sorcière écoutait du fond de la pièce, patiente. Mais elle se décida finalement à s’avancer pour, à son tour, conter une légende de son cru.

    « Tahani n’avait pas envie de quitter son sa maison. Elle aimait la couleur bariolée de son mas, d’un rouge éclatant qui se mariait à la perfection avec les autres maisons de sa rue. Toutes ensemble, elles formaient un magnifique arc-en-ciel de briques et de tuiles. Depuis chacune d’elles émanait un parfum différent. Tantôt lavande, tantôt jasmin, eucalyptus ou même fleur d’oranger, toute une symphonie de fragrances qui lui chatouillait les narines à chaque fois qu’elle sortait jouer avec ses amis. Ses amis… Elle risquait de ne pas les revoir de sitôt, c’est ce qui l’attristait le plus. Jihl, qui lui avait appris fabriquer des chapeaux en tressant de la paille. Manjoo, qui était bien timide mais très fort à la balle. Même le petit Arun, bien trop jeune pour savoir marcher mais qu’elle adorait garder. Ses parents ne lui avaient pas laissé le choix de laisser son pays natal derrière elle, trop dangereux avaient-ils dit sans expliquer pourquoi. Pour une petite fille d’à peine douze ans, tout semblait bien trop compliqué, elle ne préférait pas y penser.

    Le voyage fut long, du moins elle l’avait ressenti comme tel. En raison des intempéries sur la route, elle avait été consignée dans sa cabine, avec interdiction d’en sortir. Sa mère lui avait laissé un calepin vierge, un stylo et un livre sans images en guise de distraction. Son père, lui, avait eu le réflexe de lui laisser un tuba de bois taillé et un châle en laine. Ils étaient tous les deux partis chercher à manger, la laissant pendant au moins une heure dans un ennui mortel. Le livre traitait de l’histoire de l’île vers laquelle ils se rendaient, Sirup, mais l’enfant s’en fichait. Elle dessina pendant une dizaine de minutes sur le carnet, alternant entre animaux grossiers, rosaces et figures abstraites. Le navire tanguait. Tahani finit par se rouler en boule dans le châle et s’affaler sur un des lits de la cabine avant de s’endormir. La pauvre fut réveillée quelques temps après par ses parents, lui intimant d’aller plutôt dormir dans son propre lit quelques pas à côté. Et quand elle leur demanda ce qu’ils avaient rapporté à grignoter, ces derniers ne purent que rétorquer qu’ils avaient oublié.

    Les parents de Tahani n’étaient pas mauvais, juste très occupés. Les parents de Tahani n’étaient pas insensibles, juste trop tracassés. Son père était grand, il avait les épaules carrés et un visage aquilin. Quand elle était petite, il jouait beaucoup avec elle mais plus elle grandissait moins il n’avait le temps. Quant à sa mère, c’était une petite femme toujours coiffée d’un chignon serré. Elle aimait le café noir, les oiseaux, et le bruit de la pluie. Ils étaient tous les deux peintres et sculpteurs ; ainsi ils travaillaient sur divers projets artistiques que Tahani ne comprenait pas. Des toiles composées de lignes et de taches, des statues qui ne ressemblaient à rien. Tahani n’arrivait pas à les trouver jolies, mais elle prétendait le contraire pour leur faire plaisir.

    En la voyant pour la première fois, Tahani n’aima pas sa nouvelle maison. C’était une bicoque rabougrie qui ne sentait rien, à la peinture terne et écaillée, avec des brins d’herbe jaunâtre émergeant d’entre certaines craquelures. Des hirondelles avaient fait leurs nids sous les tuiles de la façade, elles parvinrent à faire esquisser un mince sourire sur le visage de la petite. C’était la première fois qu’elle semblait un tant soit peu ravie depuis leur départ ; ses parents ne le remarquèrent pas. Les autres maisons de sa rue étaient plus grandes, plus jolies, mais il n’y avait pas l’air d’y avoir d’autres enfants. La pauvre n’avait vu que des personnes âgées accompagnées de domestiques, des adultes qui ne posèrent pas un œil sur elle, ou des mouettes qui ne faisaient que crier et voler. Au moins, sa maison donnait vue sur la mer, qu’elle pouvait admirer dès qu’elle sortait dehors. Sa chambre était petite, la moitié de celle qu’elle possédait avant. Mais, au moins, elle avait assez de place pour ranger ses jouets et son lit était suffisamment spacieux pour qu’elle puisse y dormir avec Capucine. Cette dernière était sa poupée préférée, une petite poupée de chiffon à la robe bleu azur, aux aux yeux vert et aux longues tresses blondes. Tahani jouait souvent avec elle quand elle se sentait seule, la serrait contre sa poitrine pour s’endormir, se confiait parfois aussi.

    - Tu crois qu’on reverra Jihl ? Et Manjoo ? Que y a d’autres enfants ici ? Demandait Tahani ; la poupée restait silencieuse.

    Il avait plu pendant la nuit. Le lendemain, Tahani fut réveillée par le soleil et les piaillements incessants des hirondelles sous sa fenêtre. Ses parents n’étaient pas là, elle ne les trouva nulle part. Une note avait été cependant déposée sur la table de la pièce à vivre. La petite pensait qu’il s’agissait d’un message qui lui était adressé, lui indiquant où ils se trouvaient, mais il ne s’agissait que d’une bête liste de courses sans grand intérêt. Elle commença par se découper une orange, la presser et boire le jus avec un morceau de brioche. Ensuite, elle se mit à errer dans la maison pendant une bonne partie de la matinée, peut être devait-elle se recoucher ? Non, Tahani n’avait pas sommeil de toute façon.

    - De la salade, du poisson, des nouilles… je voulais du tikka masala. Se plaigna-t-elle à Capucine. Maman avait promis.

    Lassée, Tahani décida de ne pas entamer son quatrième tour de la maison. Si ses parents avaient décidé qu’il était nécessaire de s’absenter, alors elle allait prendre la même décision. Aujourd’hui, elle allait explorer sa nouvelle île, et peut être se faire de nouveaux amis. Elle grimpa les marches quatre à quatre jusqu’à sa chambre pour enfiler une petite robe en lin aux motifs fleuris, deux petits souliers vernis, et prit soin de s’attacher les cheveux avec un ruban de soie lila. Elle enfin était prête. Tahani redescendit en trombe, ses parents n’étaient toujours pas revenus. La demoiselle n’avait même pas débarrassé son verre de jus et son assiette pleine de miettes. La liste de courses était tombée de la table, toute froissée. Elle attrapa Capucine, qu’elle avait laissée sur la table avant d’aller s’habiller, puis sortit de la maison en claquant la porte. Mais derrière…

    Il n’y avait aucun son dans la rue. Aucune herbe ne bruissait, les oiseaux qui criaient quelques minutes auparavant s’étaient tut, le vent ne soufflait pas, même la mer pourtant si proche n’était même pas audible. Le silence était total, à la fois lourd et perturbant. Tahani avait l’impression que le temps s’était arrêté. Pourtant, elle avait les yeux rivés sur quelque chose de bien plus inattendu. De l’autre côté de la rue, juste en face de sa maison, se dressait une étrange maisonnette aux murs et au toit de bois. Elle n’était pas plus grande que sa maison, possédait des fenêtres teintées de couleurs et une porte noire. Le toit voyait ses coins arrondis ; et un mince tube de fer en son centre laissait s’échapper un filet de fumée, laissant penser qu’une cheminée devait se trouver à l’intérieur. Tahani ne comprenait pas. Il n’était pas sensé se trouver quoi que ce soit en face de chez eux, de l’autre côté de la rue. La veille, il n’y avait rien, juste la vue sur la plage et l’océan. Au dessus de sa tête, elle ne vit même pas que les nuages ne bougeait plus. La jeune fille se sentait lourde mais n’arrivait pas à quitter des yeux ce bâtiment si bizarre. Elle cru entrapercevoir une forme mouvante derrière une fenêtre, toutefois son attention se reporta bien vite sur une enseigne qu’elle n’avait pas vu avant. En effet, au dessus de la porte, étaient peintes en lettres argentées :

    “La boutique des pensées”

    Tahani jeta un coup d’œil à sa droite, puis à sa gauche, elle était toujours seule dans l’allée. Elle s’avança vers la porte de la nouvelle maison et frappa doucement sans obtenir de réponse. Pourtant il y avait de la lumière à l’intérieur, elle pouvait voir plusieurs lanternes luire au travers des verres colorés. Bien trop curieuse, l’enfant décida d’entrer à l’intérieur pour en apprendre plus et poussa la porte. Une clochette tinta au dessus de sa tête, le genre de sonnette qu’on pouvait trouver dans beaucoup de commerces pour alerter de l’entrée d’un nouveau client. La porte se referma brutalement derrière elle alors qu’elle n’avait à peine posé qu’un pas à l’intérieur, la poussant dans le magasin. Tahani serra la main de Capucine et la prit dans ses bras avant de passer une mèche de ses boucles brunes derrière son oreille. L’intérieur de la boutique sentait très fortement l’encens, une odeur qui pouvait agresser le nez de n’importe qui. Plusieurs étagères étaient disposées un peu partout sur lesquelles reposaient plusieurs boîtes, des pots ou des coffrets. Parfois, Tahani remarquait une fiole, une coupe ou des breloques empilées qui ressemblaient plus à des bric-à-brac qu’autre chose. Au milieu de la pièce se trouvait un brasero allumé, c’était sa fumée qui diffusait ce parfum d’encens et réchauffait l’atmosphère. La jeune fille fut cependant coupée dans sa contemplation.

    - Bienvenue. Fit une voix.

    Devant Tahani se trouvait un homme très grand. Il était mince, très mince, voire squelettique. Il avait le teint blafard, comme un spectre, ou la lune. Il possédait un long nez aquilin ainsi qu’une mâchoire anguleuse. Ses yeux n’étaient que deux fentes dans lesquelles on pouvait distinguer ses pupilles noires qui paraissaient scruter n’importe quel mouvement. Ses cheveux, noirs également, luisaient sur sa tête. Ses oreilles étaient toutes aussi pointues que son nez, et son large sourire partait de l’une pour arriver jusqu’à l’autre. Sa bouche restait cependant fermée, comme si ses lèvres étaient collées. Ses bras étaient immenses également, de longs bras qui ressemblaient plus à deux branches au bout desquelles deux mains ne cessaient de bouger. Ses mains… on aurait dit deux araignées tant ses doigts étaient aussi rachitiques que le reste de son corps. Il était habillé d’un costume émeraude rayé d’or à queue-de-pie et chaussés de souliers pointus à talons. L’homme fixait Tahani en souriant, faisant onduler ses doigts comme s’il caressait l’air.

    - Où…? S’enquit Tahani, sans réussissant à articuler quoi que ce soit.

    - Bienvenue, reprit l’homme sans même donner l’impression d’ouvrir la bouche. Bienvenue dans ma boutique de pensées.

    Tahani n’avait pas rêvé, les lèvres du vendeur restaient scellées. Pourtant, elle était capable d’entendre sa voix. Cette dernière était aiguë mais aussi caverneuse, elle résonnait comme un écho dans une caverne, un timbre sépulcral et métallique que la demoiselle n’arrivait pas à appréhender. Elle se mit à resserrer son étreinte sur Capucine qu’elle tenait à présent contre son cœur.

    - C’est quoi une boutique de pensées ? Demanda-t-elle.

    En guise de réponse, le vendeur étendit son long bras gauche pour attraper un coffret en argent posé sur une étagère à côté de lui. Ses doigts parcouraient l’objet telles des serres sur une proie capturée. Il finit par l’ouvrir, et un magnifique papillon en sortit en voletant. Il avait des ailes faites de pétales de rose et chaque battement laissait tomber une fine poussière d’or. Toute émerveillée, Tahani fit quelques pas en avant pour pouvoir mieux l’admirer. En une fraction de seconde, le vendeur avait pris un petit pot de terre cuite qu’il ouvrit. Cette fois, ce fut une nuée de sphères lumineuses semblables à des lucioles qui s’élevèrent et s’adonnèrent à un petit ballet avec le papillon.

    - Ce beau papillon et ces lumières sont des pensées. Reprit l’homme. Des rêves plus précisément. Je les collecte, je les conserve, et j’en vends aussi !

    - A qui appartiennent-ils ?

    - Le premier est le rêve de fantaisie d’une jeune jouvencelle. Le second, un garçon qui admirait les étoiles. Ils me l’ont dit, ils me les ont donné. Oui, oui.

    - Tous les objets ici sont… des pensées ?

    - Tous. Des boîtes, aux pots, aux jarres, aux coffres, au brasero, du sol jusqu’au plafond, des fenêtres jusqu’aux planches. Oui, oui.

    - Et vous ?

    En entendant la question, le vendeur de pensées ne put se retenir de rire, son sourire demeurant toujours figé. Tahani n’insista pas pour avoir sa réponse, trop interloquée et anxieuse pour comprendre ce qu’il se passait. Si cet homme n’était pas une pensée comme le reste de sa boutique, qu’était-il ? Il bougeait de façon mécanique, effectuant des mouvements saccadés comme un automate de foire. Il ne cessait de fixer Tahani, sans la quitter de son champ de vision. Mais, curieusement, il passait aussi son regard perçant sur Capucine, comme s’il était plus intéressé par la poupée que par elle.

    - Quand je suis arrivée hier, il n’y avait aucun magasin en face de ma maison. Comment vous-êtes apparu ?

    - Qui te dit que ce n’est pas toi qui est apparue ?

    - Je ne comprends pas. Fit Tahani d’une voix fluette.

    - Ne t’inquiète pas, j’ai plein de jolies rêves et pensées à te montrer.

    Encore une fois, le vendeur ne laissa pas le temps à Tahani de répondre. Avec ses doigts filiformes, il attrapa d’autres objets. D’une jarre imposante, il fit sortir deux agnelet drapés d’ailes de plumes. Les deux petits vinrent trottiner autour de l’enfant avant de se frotter à ses jambes en bêlant doucement, puis se rouler en boule à ses pieds pour piquer un somme. Saisissant une amphore, l’homme fit jaillir plusieurs bulles dans lesquelles apparaissaient des images éthérées de paysages printaniers ou automnaux. Tahani écoutait sagement l’homme lui raconter les histoires des songes qu’il lui présentait. Bon nombre d’entre eux étaient les idées de poètes ou de romanciers qui, pour la plupart, n’avaient jamais réussi à publier leurs œuvres. Beaucoup d’autres, les plus oniriques et féeriques, venaient d’imaginations d’enfants ou bambins qui les avaient créé en rêvant ou s’amusant aux héros. Tandis que certaines venaient de vagabonds anonymes touchés par la grâce et l’inspiration en raison de leurs voyages. En quelques secondes, le magasin grouillait de pixies, d’animaux mythiques et de belles images, mais Tahani était toujours bien désorientée. Elle n’arrivait même plus à distinguer ce qui se trouvait autour d’elle tellement les apparitions tournaient et tournoyaient sans discontinuer, décrivant pirouettes et arabesques. Soudain, une fée vint voleter face à son nez ; Tahani remarqua qu’elle avait l’air affolée. Avant même qu’elle ne put demander quoi que ce soit, le vendeur balaya l’esprit ailé d’un revers de la main, la faisant disparaître et retourner dans sa boîte. La petite recula, mais le vendeur de pensées avait déjà fait apparaître une montre à gousset chantante.

    - Je… articula Tahani.

    Elle voulait partir mais ses jambes tremblaient. En plus, elle n’était même pas capable de voir où se trouvait la porte d’entrée par laquelle elle était passée. La panique se mit à la faire grelotter, lui faisant jeter des coups d’œil de toute part pour voir où se trouvait cette satanée porte, sans succès. Les senteurs d’encens et toutes les couleurs des pensées tourbillonnantes commençaient à lui causer mal au crâne. Elle se mit à regarder partout autour sans trouver ce qu’elle voulait, sans remarquer que le vendeur se tenait à présent derrière elle. Les apparitions adoptèrent des couleurs plus criarde ; du rouge, du orange, du pourpre. Les créatures volantes se mirent à accélérer leur ronde, tournant de plus en plus vite. Trop subjuguée par tout ce qui se passait, Tahani n’avait pas remarqué que les bras du vendeur étaient en train de l’enserrer. Doucement, il rapprochait ses mains. Toutefois, il n’essayait pas d’attraper l’enfant mais tentait de glisser ses doigts crochus vers Capucine. Tahani sentit le contact glacé du pouce du vendeur sur son avant-bras gauche, laissant échapper un cri de surprise.

    - Non ! Hurla-t-elle en sortant hors du tourbillon des songes, serrant sa poupée contre son cœur.

    Tout d’un coup, elle vit une porte. Tahani se rua vers elle sans même prendre le temps de réfléchir. Derrière elle, le vendeur tentait de la dissuader en lançant diverses suppliques et mugissant de sa voix résonnante. Il déploya ses immenses bras et se lança derrière elle pour la rattraper, lui intimant de revenir, que tout allait bien se passer. Il mentait. Tahani sentait que ses yeux étaient en train de pleurer ; elle arriva devant la porte en renversant au passage plusieurs pots qui se brisèrent en arrivant au sol, ralentissant l’avancée de l’homme à ses trousses. Des feux follets sortirent et virent danser près de ses yeux. Ses orbites semblaient vides, un néant absolu et glaçant qui ne reflétait rien. Tahani arriva à la porte et ne prit pas le temps de réfléchir, l’ouvrit et passa au travers avant de la refermer brutalement à clé. Malheureusement pour elle, ça n’était pas la porte qui donnait vers la sortie.

    - Pas là. Pas là ma petite… Fit le vendeur, de l’autre côté, en train de gratter le bois de la porte avec ses ongles. Reviens ici. J’ai plein de rêves, plein de douceurs. Oui, oui !

    Tahani restait muette, complètement pétrifiée au milieu des ténèbres. Derrière la porte, le vendeur avait cessé de frotter le bois. La demoiselle l’entendait murmurer ; il fit quelques pas pour s’éloigner et elle entendit alors un étrange crissement, comme une trappe qu’on venait d’ouvrir. Elle entendit un long gloussement, un nouveau crissement, et la trappe se referma pour faire place à un silence de mort. Désormais, Tahani était livrée à elle même. Elle pleurait encore, perdue au milieu de noir d’un espace qui lui était parfaitement inconnu. Une intense odeur nauséabonde vint lui agresser les narines, un mélange pourriture et de renfermé. Peut-être était-ce la senteur que le vendeur voulait masquer avec l’encens du brasero ? Que devait-elle faire ? Si elle retournait dans la boutique, le vendeur fondrait sur elle immédiatement pour l’attraper. La petite se résigna, il fallait qu’elle continue par le passage dans lequel elle étant entrée.

    Ses yeux commençaient à s’adapter peu à peu à la pénombre, mais Tahani ignorait toujours où elle se trouvait. Vraisemblablement, la jeune fille était dans un corridor que rien éclairait. Elle commença à avancer, gardant une main contre le mur pour se guider et l’autre bien fermée autour de sa poupée. Elle frissonnait comme jamais à l’idée de retomber sur ce vendeur sordide, il fallait qu’elle trouve un échappatoire. Elle voulut crier, mais la peur la tétanisait. Les murs, ils n’étaient pas en bois. Sous la paume de sa main, Tahani pouvait sentir une certaine chaleur ainsi qu’une certaine humidité. Il était visqueux, collant, si bien que Tahani avait l’impression de se trouver à l’intérieur d’une bouche. Le sol était mou, exhalant de vapeurs putrides et moisies. Les pas de la pauvre fillette s’enfonçaient dans ce dernier comme si c’était de la vase. Plus elle avançait, plus elle ressentait un souffle le long de sa nuque. Mais rien ne se trouvait dans son dos quand elle faisait volte-face. Au dessus de sa tête, elle entendit de nombreux grincements. Le vendeur, pensait-elle, devait se trouver au dessus de sa tête et marcher un étage au dessus. Elle se décida à presser le pas, se mettant presque à courir, sa marche néanmoins entravée par l’absence de lumière.

    Tahani se mit soudain à tressaillir, arrêtant net sa progression. Sa main touchait quelque chose de froid, de métallique, là où tout dans ce couloir était tiède et gluant. Passant sa paume sur l’objet, la petite reconnaissait ce qui paraissait être un bouton de porte ; pourtant elle ne sentait aucune surface de bois quand elle passait sa main à côté, toujours cette sorte de pellicule muqueuse. L'enfant ne prit pas le temps de réfléchir, elle tourna prestement la poignée et entra dans le passage. Derrière se trouvait une petite pièce, à peine plus grande qu’un cagibi. Elle était glaciale, Tahani se mit subitement à avoir la chair de poule, pressant Capucine contre elle comme si la poupée était capable de lui apporter une quelconque chaleur. La puanteur de la pièce était bien plus intense que dans le couloir. Et pour cause, les murs étaient rongés par la moisissure, tous couverts de taches et de pellicules mousseuses. Par endroits, de la vase suintait par diverses fissures et descendait tout doucement vers un sol qu’elle ne pouvait pas voir à cause d’une légère brume lui arrivant aux chevilles. Face à elle se trouvait une genre de couchette sur laquelle grouillait bon nombre de choses informes, des ombres rampantes qui bringuebalaient ; certaines ressemblaient à des punaises, d’autres à des scolopendres, causant plusieurs haut-le-cœur à Tahani. Au plafond pendait un lampion de papier bleu, déchiré, diffusant une lumière diaphane autour d’elle.

    - Une chambre… Chuchota-t-elle. Le vendeur dort ici ?

    En se retournant, Tahani voulu se mettre à hurler d’effroi mais alla jusqu’à plaquer ses mains contre sa bouche pour résister. Sur deux étagères s’alignaient plusieurs bocaux de formol dans lesquels baignaient tout un tas d’immondices. Dans un premier, elle voyait une main détachée à la peau nécrosée ; dans un second, une tête de poupon de porcelaine au regard figé. Baissant le regard, Tahani vit des yeux sortis de leurs orbites, puis un mantide aplati muni de pinces, enfin un crâne d’ovin couvert d’un liquide rouge huileux. Appeurée, elle recula de quelque pas et heurta une tablette de chevet sur laquelle était posée un autre bocal. Ce dernier bascula et se brisa au sol, libérant son contenu. À ses pieds se tortillait une énorme limace au corps translucide de la taille d’une main, un murmure émana alors du corps de l’invertébré :

    « Non…! Arrêtez…  sortir… retourner… noir… ! »

    La limace continua de murmurer ses complaintes sans discontinuer. Tahani croyait comprendre, mais elle devait en avoir le cœur net. Elle saisit un autre pot, celui qui contenait la tête en porcelaine, et l’ouvrit brusquement. À l’intérieur, le poupon se mit lui aussi à réagir :

    « Mourir… mourir… tuer… nausée… m… ! »

    À chaque mot, la tête gigotait dans son récipient. Tahani referma le couvercle et la reposa, la faisant taire par la même occasion. La petite comprenait que tous ces objets macabres étaient en réalité des pensées sombres, des idées noires, des traversées d’esprits sordides de ceux qui avaient sûrement dû tomber dans les griffes du vendeur. Elle avait froid, elle était seule, et avait en face d’elle les dernières pensées d’êtres terrifiés pris dans les filets d’une créature avide. Des pauvres mouches pris au piège dans la toile d’une araignée. Un bruit sourd la ramena à la réalité, le bouton de porte était en train d’être tourné. Promptement, Tahani se jeta sous la couchette, plus puante encore que le reste. Là dessous, elle ne voyait absolument rien à cause de la fumée embaumant le sol ; néanmoins la jeune fille était capable de sentir. Sur ses jambes nues, elle pouvait sentir la moiteur du plancher et plusieurs insectes grimper sur ses mollets. Son visage noyé de larmes, elle entendait que quelque chose venait de rentrer dans la chambre. Tahani était certaine que c’était le vendeur, elle entendait de petits gémissements aiguës qui résonnaient dans les quatre coins de la pièce.

    - Je sais. Je sais que tu es là, oui, oui ! Où es-tu ? Où es-tu ?!

    Elle l’entendait gratter sur tous les meubles de bois, bouger certains gros pots placés au sol. De rage, il brisa un pot en le lançant par terre, libérant une forme d’hybride desséché entre un marsupial et un poisson. Le cadavre se mit à remuer, agrippant et griffant le sol avec ses pattes et se flagellant avec sa queue. Comme toutes les autres pensées macabres, il se mit à émettre divers chuchotis. Tahani ne les entendait que peu à cause des bruits, mais elle avait réussi à discerner plusieurs supplications, une volonté de revoir le fond de la mer et le soleil percer à travers l’onde. D’un coup, le cauchemar s’arrêta ; le sang de Tahani se glaça quand elle constata que la bestiole avait le regard rivé sur elle.

    - Revoir… mer… ! Emmène… moi…

    - Que dis-tu ? De quoi rêves-tu ? s’écria le vendeur, toujours hors de vue de Tahani.

    - Mer… La… mer… ! Recommençait l’hybride en piaillant vers l’enfant, rampant vers elle comme asticot sorti de terre.

    Sous le lit, Tahani se tortillait pour reculer le plus loin possible  mais finit par toucher le mur du bout de ses pieds. Le macaque braillait encore et encore mais, d’un coup, fut brutalement écrasé par une des mains rachitiques du vendeur, disparaissant en ne devant plus qu’une flaque de poisse noire. La petite laissa échapper un petit cri et, en une fraction de seconde, le lit se souleva brutalement. Le vendeur de pensées jubilait tandis qu’elle gisait à ses pieds, tétanisée.

    - Mauvaise ca-chette ! J’ai gagné, oui, oui ! Fit-il en souriant toujours.

    Le vendeur tenait toujours la couchette en fixant Tahani. Une deuxième paire de bras filiformes émergea alors de son costume et il dirigea ses nouvelles paumes vers la fillette. Elle voulait fuir, mais où ? Repartir vers la porte était impossible, elle se ferait immédiatement attraper, et elle était bien trop faible pour espérer lui faire mal en le frappant. Se redressant, Tahani bascula sur le dos et rampait en arrière. Ses mains et ses jambes étaient trempées et salies à cause du limon dégoulinant partout. Le vendeur rapprochait ses mains ; il était à quelques centimètres de Capucine. La poupée, il voulait toujours la poupée… Rapide, Tahani se saisit d’une poignée de vase avant de la jeter dans le visage du vendeur. Ce dernier hurla, lui permettant de se relever promptement. Il lâcha la couchette, poussant un cri glacial. Le lit retomba brutalement sur le plancher qui se brisa sous l’impact. Suprise, Tahani bascula en arrière et tomba dans l’ouverture, où elle ne voyait que l’image du vendeur à quatre bras devenir de plus en plus petite.

    Sa chute avait duré environ une trentaine de secondes, mais Tahani n’eut même pas l’impression d’être en train de tomber. Elle ne sentit même pas qu’elle était arrivée quelque part, les ténèbres l’enveloppant de toute part. Elle sursauta quand un bocal vint se briser à quelques pas, libérant une nouvelle pensée sombre. C’était un cloporte de la taille d’un ballon qui se mit à diffuser une faible lueur, murmurant quelques bribes de paroles évoquant des peurs incessantes. Tahani ressentait à nouveau la même chaleur et la même viscosité que dans le couloir. Grâce à la lumière émise par le cloporte, elle pouvait constater que le sol autour d’elle ressemblait étonnamment à la chair d’une langue, tapisée de cloques et poches qui semblaient presque être des sacs d’œufs d’arachnide. Elle ressentait toujours ce souffle dans sa nuque, mais rien ni personne n’était là pour le souffler. Derrière elle, quelque chose émettait un étrange vrombissement. Attrapant le cloporte qui se roula immédiatement en boule, Tahani se dirigea vers la source du bruit. Elle tomba sur une immense masse dégoulinante, un viscère qui bougeait comme un cœur en train de battre. La pauvre se mit à trembler, le souffle dans son dos ne fut jamais plus fort qu’à ce moment précis. Mais elle était toujours seule. Quoi que fût l’endroit où elle se trouvait, c’était quelque chose d’infiniment plus vieux et terrible que le vendeur de pensées. C’était ancien, abyssal, et conscient de sa présence.

    Tahani s’enfuit à toute allure, emportant avec elle le cloporte pour faire office de lanterne. Même enfermé dans sa carapace, il ne cessait ses complaintes sur tout ce qui le terrorisait, sur ce qu’il n’avait jamais réussi à accomplir. La petite fille continua à courir jusqu’à buter sur une surface plane qui l’intrigua. Dirigeant sa lampe de fortune vers le sol, elle remarqua une sorte de trappe avec un loquet en acier rouillé. Sans prendre le temps de réfléchir, Tahani se pencha pour l’ouvrir. Mais, à l’instant où la demoiselle l’avait entrebaillé, elle bascula de l’avant comme si l’air lui même la poussait et elle retomba où tout avait commencé : dans la boutique. Elle se releva et, grâce à la lumière, put constater toute la crasse qui avait recouvert ses vêtements ainsi que sa peau, ou ses cheveux. Tous les songes que le vendeur avait fait apparaître plus tôt avaient disparu. Le brasero était toujours allumé, diffusant toujours des effluves d’encens.

    « Pas… enfermé… ! Tombe… ! Tombe… ! Tombe… !  »

    Tahani en avait assez de l’entendre. Elle accoura vers le brasero et jeta le cloporte à l’intérieur. Le cauchemar émit alors un terrible crissement, comme une craie contre un tableau. De l’autre côté de la pièce, un coffre en bois se mit à gigoter. En sortit subitement une tortue d’or incrustée de joyaux qui, après plusieurs spasmes et soubresauts, s’évapora dans les airs en se dissipant dans un ruban de fumée ocre. L’enfant comprit alors que les pensées sombres comme les rêves étaient liés, l’une ne pouvait exister sans l’autre. Sa réflexion fut malheureusement coupée par un énorme fracas derrière elle. La porte menant vers le couloir sauta de ses gonds et se brisa en milliers d’échardes de bois pour laisser place à une vision qui fit hurler Tahani. Le vendeur entra dans la pièce par l’ouverture, déployant tous ses bras et ses jambes, tel un phasme géant avançant sur le sol. Sa bouche était désormais ouverte et laissait apparaître d'innombrables aiguilles miroitantes d’entre lesquelles coulaient de longs filets de mousse et de bave. Il dardait Tahani de son regard infernal, mugissant ses sempiternels cris suraigus.

    - Toi… toi ! Oui, oui ! Je vais te les extraire !

    - Pourquoi faites-vous ça ? Osa lui crier Tahani.

    - Les rêves, les pensées, les désirs. Tout est à moi ! Lui cracha le vendeur. Il me les faut. Il me les faut, oui, oui ! Je dois les garder, je dois les empêcher de disparaître ! À moi, pour toujours.

    - Pourquoi ne pas les laisser ?

    - D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Ils ne vous servent à rien de toute façon. Oui, oui, vous ne savez les apprécier. Les bons, comme les mauvais.

    Tahani jurait qu’il était en train de trembler, mais le vendeur se remit à avancer dans sa direction. Elle ne pouvait pas lutter, elle ne pouvait pas courir vers la sortie pour le distancer. Prise en tenaille par cette situation épineuse, elle eut pour réflexe de repousser le brasero d’un coup de pied. Le récipient métallique bascula et heurta le sol, déversant toutes ses braises et ses flammes sur le parquet et les étagères proches. Le feu lorgnait sur les contenants qui commençaient à s’agiter, faisant fuser de partout les pensées touchées qui disparaissaient peu à peu comme la tortue et le cloporte l’avaient fait. Le vendeur se désintéressa complètement de Tahani, hurlant d’effroi à la vue de ce qui était en train de se produire. L’enfant saisit cette chance pour se ruer vers la porte d’entrée.

    - RESTEZ ! RESTEZ ! SANS VOUS JE NE SUIS RIEN !

    Les hurlements se perdirent dans le fracas et les flammes qui se propageaient à une vitesse inimaginable. Tahani ouvrit la porte et jeta un dernier regard derrière elle, ne voyant que du rouge et les immenses bras démoniaques du vendeur danser à travers le feu. Elle sortit dans la rue avant de claquer la porte, agrippant Capucine comme si sa vie en dépendait. La pauvre fit trois pas en arrière, tituba, puis tomba dans les vappes, complètement inanimée.

    Tahani se réveilla le soir, dans son lit, ses parents à son chevet ainsi qu’un médecin de quartier. Tous étaient inquiets de son état mais la belle ne prit même pas le temps de leur expliquer quoi que ce soit, elle se rua hors de sa chambre, dévala les escaliers poursuivie par ses parents pour ouvrir sa porte d’entrée. En face de chez elle, il n’y avait plus rien. Jamais plus Tahani ne revit la boutique, mais pas un jour ne s’est passé sans qu’elle ne s’en souvienne. Peut-être l’avait-elle rêvé, cette boutique des pensées ? »

    Rowena acheva son histoire, rictus aux lèvres, avant de disparaître dans le flot de la nuit. Où allait-elle ? Personne ne le savait.
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    Je m’installe près du feu de camp, moi Yama, le fer de lance de la marine, et après avoir entendu quelques récits un peu stressants, c’est à mon tour de prendre la parole.
    Laissez moi vous conter une histoire effrayante. Une histoire qui vous liquéfiera le sang et rigidifiera vos os. Une histoire qui vous empêchera de dormir, qui vous fera vous retourner compulsivement, persuadé qu’une ombre vous épie de loin. On raconte que ceux qui ont entendu cette histoire sont mort ou sont devenus fou, que le monde les a rejetés.  Ne m’en voulez pas pour ce qui va arriver, mais c’est le destin et le devoir qui m’oblige à vous porter ces mots. En parcourant les mers, j’ai découvert la vérité, le secret qui anime ce monde. Un secret qui dépasse le One Piece et l’ensemble des crimes que l’ensemble des pirates aient pu commettre. Un secret contre lequel, même moi, le plus cool des marins ne peut rien faire, contre lequel je suis impuissant… même moi je suis sans défense. Néanmoins, j’ai découvert la vérité, et tel un ermite qui a médité dans une caverne, je me dois de vous dire la vérité. Regardez autour de vous, que voyez-vous ? des visages familiers ou non, un feu, des murs de pierre humide, une mer sombre et agitée ? Tout cela, tout ce qui nous entoure… tout cela n’est qu’une illusion. Vous pensez que tout cela est réel mais c’est faux, ce monde n’est pas ce que vous croyez.
    Là vous pensez que je vous parle assis, mais si le destin le décide je pourrais être debout, affublé d’un nœud papillon et avec des charentaise. Je pourrais même changer d’aspect et de forme. Notre monde, aussi horrible soit-il, avec son gouvernement qui peut commander un génocide, et ses gens qui parcourent le monde pour répondre à la question qui les taraude, qui les emplit de mal être. Tout cela n’existe pas. La, en ce moment, en regardant à travers le globe opalescent de la lune, je le vois. Un homme assis dans une sorte de cabine en mouvement, entouré de gens. Ils parlent très fort, ce sont pour la plupart des ados qui partent s’amuser à se faire peur sur des machines complexes qui jouent sur la force cinétique pour leur remuer les boyaux. Le pire, c’est qu’ils payent pour ça et en redemande. Et donc, cet homme, nous fixe à travers un objet plat et étrange, ses doigts s’agitent et tissent le ciel. Nous ne sommes pas réels, nous ne sommes qu’une fiction. Nous vivons et mourrons dans ce que nous pensons être le vrai monde, mais ce n’est qu’un univers parmi d’autre, basé sur une histoire qui comprend aussi ses propres gens qui pensent être doté du libre arbitre. Mais c’est faux, nous ne sommes que quelques fragments d’imagination se répercutant les uns sur les autres sur une toile qui lie les créateurs de ce monde entre eux.
    À tout moment nous pourrions disparaitre, inanimé, vous avez déjà surement vécu ça, un ami qui du jour au lendemain disparait, comme s’il n’avait jamais été. L’univers qui d’un coup se transforme et perds tout sens. Vous avez sûrement déjà expérimenté cela, voir le temps se figer, et vous retrouvez à un autre endroit. À tout moment, nous risquons de disparaitre ou de voir un de nos comparse cesser d’exister. Ce matin j’étais en plein cœur du nouveau monde, et tel dans un cauchemar, je me retrouve avec vous. A présent, comme moi vous savez, nous sommes fictifs, jouets de l’imagination d’être qui nous dépassent, qui se déplacent dans un autre plan d’existence. Pour eux, nous ne sommes qu’un plan en deux dimensions, eux évoluent dans des centaines. Ah, la cabine, je la vois ralentir, l’homme regarde à droite et à gauche… je sens que je vais dispar…
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    _____Voulant moi aussi me lancer dans l'expérience, je prends une grande inspiration et je m'avance au milieu de tous. Je les salue, je leur souhaite timidement le bonsoir, j'ai le trac. Les regards sont rivés sur moi, les attentes sont grandes, le silence pesant. Mais j'ai soif, et la vue des bonbons que le dernier intervenant a récoltés me motive. Qu'est-ce que je pourrais bien leur raconter ? Des histoires d'horreur, j'en connais quelques-unes. Mes camarades m'en ont raconté des pléthores quand je voyageais en mer. Le problème c'est que... saurais-je bien les retranscrire ? Après les avoir entendues, j'ai passé les trois prochaines nuits à me cacher sous la couverture mais moi, faire peur aux gens ce n'est pas mon truc, je ne sais pas du tout si je vais y arriver... Bon, et puis tant pis ! Au pire je ferai un flop et personne ne me donnera de bonbons, qu'est-ce que je risque ? L'essentiel, c'est de participer. Je commence d'une voix sûre et calme, qui captive d'emblée leur attention. C'est comme une danse. Je varie au rythme des réactions de mon auditoire et bien vite, je m'oublie moi-même, je plonge dans mon histoire. Je ne m'arrête plus. La voici.

    _____« Le grand chasseur de trésors Adam Gontran regarda ses coéquipiers pour la dernière fois. Une équipe de quatre personnes, c’était le nombre idéal. Suffisamment peu pour pouvoir se déplacer en groupe sans trop éveiller l’attention et, surtout, pour garder une part non négligeable du gâteau à la fin des opérations. Mais quatre, c’était largement suffisant pour la plupart des situations. Deux qui font le guet, un qui fait diversion, un qui part devant en mission d’infiltration et, au cas où les choses tournent mal, on peut toujours en laisser tomber un.

    — Bon alors, tout est ok ?

    _____Fébrile, il passa en revu ses trois compagnons et jeta un dernier coup d’œil au plan avant de le replier dans sa poche. Lari, qui s’était vêtue d’une grande robe marron pour passer inaperçu, ressemblait comme deux gouttes d’eau aux servantes de ce sale forban de Maurepissier Legandor, dit « le Collectionneur », connu non pas pour son goût en pierres précieuses mais pour son insatiable appétit sexuel. Mais des pierres précieuses, il en avait, et c’était d’ailleurs l’argument principal qu’il utilisait pour attirer les filles dans ses bras, après quoi il utilisait d’autres moyens pour les y piéger. Des moyens avec lesquels Adam et son équipe ne voulaient absolument pas faire connaissance.

    _____Parmi ces pierres, il y avait la Dame Blanche, un immense diamant gros comme un poing que Maurepissier avait arraché à la tombe de la reine Nefertari lors de sa seule et unique expédition sur Grand Line. Le quatuor était venu pour s’en emparer.

    _____Le plan avait été minutieusement préparé, les informations rassemblées et les pions placés au bon endroit. Cela faisait des années qu’ils travaillaient sur ça. Ce n’était pas seulement une question d’argent, mais aussi une question d’honneur, parce que l’affront commis envers les descendants des créateurs du monde devait être réparé. Certes les Nefertari avaient renoncé à leur statut pour côtoyer les mortels, mais ça ne les rendait qu’encore plus majestueux aux yeux de leurs sujets.

    _____Des hochements de tête indiquèrent que tout était prêt et Adam lança le mouvement. Il faisait nuit, mais le Collectionneur n’était pas du genre à dormir, la nuit. Pas toute la nuit, tout du moins. D’immenses flambeaux éclairaient ostentatoirement son campement de fortune, comme pour dresser un hôtel en l’honneur de l’hubris qu’il allait satisfaire une fois de plus. Mais cette fois-ci, il allait regretter d’avoir transformé toutes ces femmes en objet, parce que les somnifères qu’elles avaient glissés dans son repas devaient le clouer solidement au lit, lui et tous ses officiers.
    Sans un bruit, les jeunes aventuriers se glissèrent entre les herbes et gravirent la colline. Ils arrivèrent face à la palissade qui marquait la frontière du territoire du ravisseur. D’un signe, Greutz indiqua silencieusement que la vigile était bien endormie, comme toutes les nuits, et le petit groupe s’échina le plus discrètement possible pour faire coulisser la porte, juste ce qu’il fallait pour pouvoir passer.

    — Personne, chuchota Lari en faisant de petits gestes.

    _____Les trois garçons se précipitèrent à sa suite et marchèrent à pas rapides à travers les déchets et les lieux de débauche. Le campement était une réunion aléatoire de pavillons et chapiteaux entourés d’abris de fortune. Il y avait le plus faste et le plus modeste, le sobre et l’invraisemblable. Certaines gammes de couleurs rappelaient le cirque et la fête foraine, d’autres évoquaient des abattoirs ou des cimetières, mais tout, absolument tout, était d’un calme vide et irréel.

    _____Bien que s’étant introduits en pleine nuit, Greutz, Lari, Adam et Jonas s’étaient attendu à rencontrer plus d’activités. Mais entre les gardes endormis, les gardes incompétents et les gardes corrompus, la résistance fut moins forte que prévue. En fait, ils ne rencontrèrent pas de résistance du tout, comme si la vie avait complètement déserté le campement. Pourtant, de la vie, il y en avait. À l’intérieur des tentes, derrière les voiles, des ombres se livraient à des activités inavouables dont les cris étouffés parvenaient régulièrement à l’oreille des intrus, brisant à chaque fois le silence d’un mélange de plaisir et de douleur, de ronflements et de ronronnements.

    _____Exacerbés, les voleurs avaient l’impression de marcher sur un fil. C’était comme s’ils allaient se faire prendre d’un instant à l’autre, comme si quelqu’un allait surgir pour les surprendre et leur demander qui ils étaient et ce qu’ils faisaient là. À vrai dire, ils s’y attendaient et s’étaient préparés à cette éventualité. Greutz, fort, grand et pas très fin, était vêtu d’un simple tissu de lin et d’un pantalon jaune. Il avait la mâchoire carrée et l’air franchement con. Il avait typiquement le physique et l’apparence des hommes de main du Collectionneur. Il avait pris la place d’un des leurs, qui était en ce moment bâillonné et ligoté dans une étable du village d’à côté. D’ici à ce qu’il réussisse à prévenir ses supérieurs, les quatre coéquipiers seraient partis depuis longtemps.

    _____La personne remplacée par Greutz était partie en mission de recrutement. Avec Lari à ses côtés, Greutz pouvait donc facilement justifier sa présence et celle des deux autres, voire expliquer pourquoi ils se dirigeaient vers la tente du chef. Ce qui était plus difficile à justifier, c’était l’heure de leur visite mais les sous-fifres du pilleur de tombes n’étaient pas du genre intelligent. L’équipe misait gros sur le fait qu’il n’y avait pas trente-six raisons pour lesquelles quelqu’un voudrait présenter une jolie femme à un homme riche et concupiscant… surtout en plein milieu de la nuit, surtout quand cet homme était connu pour ses performances nocturnes.

    _____En fait, c’était surtout le fait qu’il ne se passait rien qui les stressait le plus. Ça, c’était franchement inquiétant. Tout était trop calme, trop facile, trop comme prévu. Comme si tout leur était livré sur un plateau d’argent, mais que ce plateau cachait en fait un immense piège à loups.

    _____La demeure temporaire de leur cible était un grand chapiteau aux rayures blanches et vertes. Capable d’accueillir une cinquantaine de personnes, la construction semblait totalement endormie. D’ailleurs, les torches à proximité étaient toutes éteintes, ce qui plongeait le lieu dans une pénombre terrifiante qui semblait marquer son appartenance à un autre monde. Sans un bruit, Adam et Jonas se placèrent de part et d’autre de l’entrée pendant que Greutz s’éloignait pour aller surveiller les arrivées depuis l’arrière du bâtiment. Sans attendre, Lari pénétra le plus discrètement possible de l’autre côté du voile. Passé le petit zip de la fermeture éclair, ils n’entendirent absolument plus aucun bruit.

    _____Cela dura une éternité. Les flammes des torches dansaient au loin, le vent caressait leurs oreilles et les corbeaux lançaient parfois des cris qui se répétaient quatre fois, « crâ, crâ, crâ, crââa ». Jonas commençait à en avoir marre de rester immobile : il avait froid, il avait mal aux jambes, il était fatigué. Il était temps que ça se termine. En fait, il ne savait pas vraiment ce qu’il foutait là. C’était un stratège, pas un homme de terrain. Il n’était ni discret ni fort ni confiant en ses capacités d’improvisation. Il avait été indispensable à la préparation du plan, au repérage des lieux, à la corruption des bonnes personnes et à la collecte des informations mais maintenant qu’ils connaissaient le trajet qu’effectuait le Collectionneur ainsi que le lieu où il dressait son campement, il ne se sentait plus franchement utile.

    — Jonas, tu y vas.
    — Pardon ?

    _____Adam avait murmuré ça d’une voix à peine perceptible, sans prendre la peine de se tourner vers lui. Jonas resta immobile quelques instants, s’attendant à une explication, une confirmation, des détails. Mais rien ne vint. Avait-il rêvé ? Non, et les gestes impatients du chef d’équipe lui confirmait qu’il n’avait que trop tardé. À contrecœur, il s’accroupit puis souleva légèrement le voile qui séparait l’intérieur de l’extérieur. De l’autre côté, les ténèbres et l’inconnu. Il prit une grande inspiration et entra en rampant.

    _____Comme il s’y attendait, il n’y voyait pas grand-chose à l’intérieur. Les faibles lueurs qui filtraient à travers la toile ne suffisaient absolument pas à se repérer. Il progressa à tâtons, cherchant à identifier l’endroit où il se trouvait. En principe, l’entrée était un débarras où les nomades posaient leurs affaires en vrac. Cela leur permettait de rapidement plier bagage pour pouvoir repartir très vite. D’après ses informations, le Collectionneur dormait dans le compartiment d’en face, aux côtés de deux filles. C’était là que Lari devait se trouver. Mais pas une trace d’elle.

    _____Sa main rencontra une chaussure, un chapeau puis un manteau. Il fouilla les poches dans l’espoir d’y trouver quelque chose d’intéressant, comme un diamant par exemple, mais il ne trouva qu’une cigarette, un briquet et un mouchoir particulièrement dégueulasse. Sans trop se faire de nœuds au cerveau, il fit jaillir une flamme qu’il maintint pendant quelques secondes, juste ce qu’il lui fallait pour se repérer et trouver l’entrée de la chambre qu’il visait. Aucun signe de vie, aucun mouvement, aucun ronflement. Pas même une respiration.

    _____Pris d’un doute, il regarda derrière lui et vit l’imperceptible lueur qui lui parvenait depuis l’extérieur et qui lui disait de faire demi-tour. C’était un tout petit rayon de lumière qui se glissait du mieux qu’il pouvait entre les tissus qu’il avait mal refermés. Il sonda encore plus l’obscurité dans l’espoir de repérer un signe de vie de ses compagnons mais il ne vit rien, rien du tout. C’était comme s’ils n’avaient jamais existé, comme s’il les avait inventés. Pas un bruit, pas un mouvement, pas une respiration.

    _____Soudain saisi de peur pour une raison qu’il ignorait, il décida de finir les choses le plus vite possible. Briquet à la main, il entra dans les quartiers du Collectionneur et repéra rapidement une commode. Bien, s’il avait été à sa place, il n’aurait clairement pas mis ses bijoux dans la commode. C’était au mieux un accessoire de luxe qui ne faisait que souligner une fois de plus les goûts extravagants de cet homme trop riche pour savoir quoi faire de son argent. Outre la commode, il y avait un matelas, un tapis rouge et des femmes, mais il n’osa pas trop les éclairer de peur de les réveiller.

    _____Les corps étaient immobiles, l’un à même le sol, allongé les pieds vers Jonas et les autres enlacés sur le matelas. Nus. Jonas réfléchit deux secondes. En principe, il aurait dû croiser Lari à un moment donné. Où était-elle ? Suivant une intuition qui lui venait de nulle part, il se pencha sur le corps qui était à l’écart et remarqua qu’il couvert d’une robe marron tachée de sang. La robe de Lari.

    _____Jonas se retint de crier. Il resta figé quelques secondes, son esprit était partagé entre l’envie de savoir s’il s’agissait bien de Lari et celle de s’enfuir sans demander son reste. Et là, pour la première fois depuis qu’il était entré dans ce chapiteau, il entendit un mouvement. Un glissement. Un bras qui glisse sur une couverture et un mécanisme qui s’actionne.

    _____Il bloqua sa respiration et lâcha le briquet qui s’éteignit aussitôt. D’un réflexe, il s’aplatit contre le sol et se cogna contre le pied de la commode ; il rampa dans ce qui lui semblait être un bouquant infernal, contournant le corps sans vie de la femme, devant même s’appuyer sur lui parfois. Il avait réveillé tout le monde, c’était sûr et certain ! L’heure n’était plus aux tergiversions, il devait passer au plan B. D’une main, il sortit son arbalète de poing, se redressa, visa l’endroit où devait en toute logique se trouver la tête de Maurepissier et actionna la détente. Dans le même mouvement, il sortit un long poignard et sauta sur le matelas. La lame s’enfonça dans le corps d’une femme, sans vraiment rencontrer de résistance. Contrairement à ce à quoi il s’attendait, la femme ne cria pas. Elle ne réagit pas. Consterné, il ne prit pas le temps d’étudier la question plus longtemps et entreprit de nager entre les couvertures, dégagea son arme, rampa, frappa à l’aveugle mais ne rencontra que le matelas. Où étaient passés les autres ?

    _____Jonas éventra le matelas et commença à fouiller au hasard. En principe, le diamant se trouvait quelque part par là. Il devait se trouver là, il en était sûr. À ce moment, des ombres se dessinèrent devant lui, elles dansaient. Elles étaient fines et dressées, pointues comme les dents d’un requin. Une forte odeur de roussi lui parvint au nez ; il se retourna.

    _____Une ombre était dressée, fière, majestueuse, impérieuse. Elle semblait la fixer d’un air mécontent et désapprobateur. Pris de panique, Jonas bondit en arrière et brandit son poignard, comme pour conjurer le sort, mais elle ne bougeait pas, elles ne parlait pas. Le sol du chapiteau avait commencé à prendre feu, procurant un éclairage plus que précaire. Alors, il se rendit compte que le cadavre de la femme avait disparu.

    _____À l’extérieur, Adam et Greutz commençaient à s’impatienter. Toujours aucun signe ne parvenait à leurs oreilles. Greutz dévisagea le chasseur de trésors du regard, comme pour le supplier de faire quelque chose, mais Adam lui fit signe de se calmer. Et il eut bien raison parce que juste après, la tant attendue Lari ressortit enfin. D’un geste de la main, elle dévoila le diamant qu’elle avait récupéré dans le matelas pendant que Jonas se faisait étriper par le Collectionneur.

    _____Lorsqu’ils arrivèrent à l’extérieur du campement, les fumées et les cris provoqués par l’incendie commençaient tout doucement à réveiller les hommes qu’ils avaient cambriolés. Des cris et des ordres fusaient, des chevaux hennissaient. La chasse allait commencer.
    Lari porta la main à son ventre et eut une dernière pensée pour Jonas. Elle ne mentionna pas qu’elle venait justement de comprendre comment Maurepissier s’y prenait pour garder toutes ces femmes à ses côtés pour toujours. »
    • https://www.onepiece-requiem.net/t14992-les-civils-ont-du-mordant
    • https://www.onepiece-requiem.net/t14890-anatara"
    Sam se réveilla pour la énième fois. Toujours la même pièce, toujours la même vue. Une lucarne de deux mètres sur deux filtrée d'épais barreaux, dans un bois qu'il n'avait jamais pu identifier. Par-delà le même sol de roche qui recouvrait sa cellule, selon les lueurs d'une bougie qu'il ne pouvait qu'apercevoir, une cellule jumelle ne se distinguant de la sienne que parce qu'elle demeurait vide. Cette fois, c'était l'orage qui l'avait tiré d'un sommeil inéluctablement léger. Par habitude, il plaça les doigts glacés sur sa poitrine chaude et collante pour y sentir le rythme de ses battements. Forts, mais cagnard. A moins que ce fût son corps qui se resserrasse autour de ses organes ? Sam était innocent, et pourtant emprisonné. Et s'ils ne s'en était jamais plaint, vu que tous ceux qui partageaient les cellules étroites, moites et froides des lieux l'étaient tout autant que lui.

    Depuis combien de temps n'avait-il plus cherché à s'approcher de la grille ? Il ne lui aurait fallu que deux pas pour l'atteindre, néanmoins il préférait rester dans l'ombre totale, le dos collé à la paroi hivernale qui pompait sa chaleur à travers une chemise beige, au demeurant blanche durant ses années de service en tant que marchand pour le commerce maritime. Ni esclaves, ni contrebande. Jamais. Sam avait convoyé des mandarines, de Cocoyashi à qui payait le mieux. Il en aimait l'odeur et l'idée de voyager à bord d'un navire rempli de ce qui était à la fois une source de nourriture, un parfum et un médicament. Que sentait la mandarine, déjà ? Il pouvait la voir, se rappeler la rugosité de sa pelure, le sursaut qu'elle lui occasionnait quand elle jutait sans prévenir, le bruit des pépins qu'il crachait et même la sensation d'une peau à saveur légèrement acide qu'il pouvait déloger entre ses molaires de sa langue. Mais l'odeur, rien. Juste le souvenir que c'était agréable. Il aurait aimé, ne serait-ce qu'une fois, humer la mandarine à peau rompue sous ses narines. Le sens olfactif était, paraissait-il, le plus fiable, le plus durable des sens. Or, le néant.

    Si la mandarine ne lui revenait guère, c'était sûrement qu'ici jamais son odeur n'avait vaporisé le moindre spectre. Ici fleurissait un autre bouquet. Ca puait. Les jours de chance, la moisissure et l'urine. Les autres, la mort, la viande pourrie et l'intestin. Sam aussi sentait mauvais. Outre les bols de soupe à peine colorés qui lui étaient servis, son seul contact avec l'eau consistait à récolter la rosée sur les pierres de sa nouvelle maison. Il évacuait la saleté de son corps avec les tissus imbibés d'humidité qui servaient de serviette sous les gamelles frugales, mais même sa transpiration ne lui semblait plus évidente à identifier.

    Il se réveilla à nouveau. C'est donc qu'il s'était rendormi ? Nouvelle main sur le coeur. Tout allait bien, ça battait. Et le rythme prit une vive accélération lorsque Sam réalisa, en levant les yeux, qu'il était fixé par la chose qui l'avait emmurée ici. C'était une grande femme, probablement vieille, assurément hideuse. Tous ses traits semblaient boursouflés par des piqures de guêpes. Sa peau grasse était couverte d'un suie noire, si noire qu'elle se confondait avec les mèches visqueuses, collées çà et là sur sa peau jusqu'à ce qu'elle les chasse. Et parce que même ses prunelles étaient sombres, il fallait décrypter le blanc jauni de ses globes oculaires pour deviner ce qu'elle regardait. La question ne se posait pas, en l'occurrence, pas plus que ce qu'elle réclamait. Le geste de peur avait commuté en rituel mécanique. Sam se redressa, frotta ses mains sur ses pantalons et commença.

    Quinze marins sur le bahut du mort
    Hop là ho ! une bouteille de rhum
    A boire et l'diable avait réglé leur sort  
    Hop là ho ! une bouteille de rhum  

    Nous finirons par danser sans fin
    La corde au cou, au quai des pendus
    Toi, fier marchand, et toi, brave marin  
    Si près du gibet qu'j'en ai l'cou tordu

    Il chanta comme au premier jour, comme celui où elle avait ouvert la cage pour l'emmener et où, s'il n'avait chanté, s'il n'avait sa voix, la cellule d'en face serait son digne reflet. Sam avait une voix plutôt plaisante. Elle n'était ni belle, ni exceptionnelle, mais quelque chose plaisait à la créature. Sans trop savoir quoi exactement, le marchand s'était évertué à offrir scrupuleusement la même interprétation chaque fois qu'elle la lui réclamait. Chanter ou disparaître.

    Bien des fois il aurait aimé ne plus exister. Chaque jour ou presque, il se disait que bientôt, très bientôt, il ferait exprès de mal chanter, pour en finir. Pas refuser de chanter, elle pourrait le battre, le torturer. Chanter autrement, pour lui faire comprendre que l'instrument était cassé et lui faire mal à elle, avant la dernière danse.  Mais là, c'était un autre chant qui venait en contre-mesure. Celui de ceux qui n'avaient pas sa voix et ne pouvaient que crier. Cri de peur, puis de douleur. La femme difforme qui lui servait de geôlière avait un chien, un loup, ou une bête affamée affiliée qu'elle nourrissait de temps en temps avec des prisonniers. Jamais en une fois. A une époque, il avait du voisinage face à lui. Rosa, une navigatrice avec qui il avait voyagé depuis trois ans. Rosa n'était plus là. Le dernier souvenir qu'il avait d'elle, c'était sa main retournant ses ongles sur le mur tandis que l'horreur l'emportait pour nourrir son compagnon. Les cris avaient duré, mais comme ceux de tous les condamnés qui avaient suivi. A force, c'était l'image de cette main qui se distinguait des autres exécutions, d'autant qu'il avait retenu les emplacement de la roche désormais à peine marqués de ses ongles. La symphonie ne servait qu'à rappeler à Sam qu'il ne voulait pas l'apprendre, autant se cantonner à son répertoire. Une seule chanson, toujours chantée de la même manière.

    Cette fois encore, l'horreur face à lui sourit de ses dents noires et probablement cassées, en trépignant comme une guenon qui n'avait jamais appris à applaudir. Sam avait tenté de déloger les barreaux rivés dans la roche, sans pouvoir les bouger d'un millimètre. Tandis qu'elle les faisaient ployer au gré de ses gesticulations quand elle s'y agrippait. Monstre, infamie, erreur d'une nature qui l'a laissée sur cette île presque déserte où ne tiennent que quelques ruines d'une époque oubliée. Tout en elle révulsait Sam. Il fallait que la bête meure. Le désir du civil, plus que tout autre, était de la tuer.  Plus encore que respirer une mandarine, plus encore que revoir le ciel, plus encore qu'entendre le rire naïf d'une taverne où la bagarre demeurait le pinacle de l'événement. Ici, tout était tellement pire, enclavé dans un quotidien qui rendait la plupart des pensionnaires fous. La folie était un luxe auquel tous n'avaient hélas pas droit. Sam aurait tant voulu perdre la réalité, se mettre à aimer sa situation ou oublier qu'il en existe d'autre. En vain, la mémoire était plus insidieuse encore que l'abjection. Chanter, manger, décrasser, attendre. Se rappeler et souffrir, en jusqu'à ce que quelque chose arrive.

    Un bruit ! Un bruit étranger, d'un ancien monde. C'était une détonation qui ne venait pas du ciel. Au loin, si loin qu'il en percevait peut être le rêve d'un écho. Sam se demanda si la chose était là, mais l'absence de parfum âcre de fruits oubliés au fond d'une cale tendait à lui signifier que non. Il s'approcha de la grille et lia ses doigts autour des barreaux pour coller son regard au couloir à portée. Rien d'autre que celle boule de suie plantée d'une faible mèche. Toutefois, en y faisant plus attention, entre deux reflets de roche, il pensait percevoir le reflet métallique d'une lame de couteau à portée de son voisin de droite. Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient plus conversé, car Diago avait eu droit à la bénédiction de la confusion. Le marchand accepta de s'en accommoder.

    Diago ? Hey, Diago ! hurla-t-il en murmure, pour ne pas alerter les bêtes.
    - Sam ? Ha ha, je croyais rêver. Tu vas bien ?
    - Diago, tu vois le reflet au pied de ta cellule ?
    - Le reflet ? interrogea-t-il avant un bref silence. Oui ! C'est un couteau ? C'est un couteau je crois !
    - Oui, pouffa d'un soulagement échappé Sam, tu peux le prendre ?
    - Tu ne veux pas le faire ? Je crois que c'est trop loin.
    - Diago, je suis plus loin que toi ! Ecoute, approche-toi de la grille et attrape le couteau. Va doucement si tu veux, mais fais-le. Tu peux le faire ?
    - Je vais essayer. Oh par tous les dieux, un couteau ha ha ! J'y vais.

    De là, chaque seconde devint un heure. Plusieurs jours s'écoulèrent sans que Diago ne parvienne à attraper le couteau. Sam ne comprit pas. Diago était à portée et il entendait le léger grincement de ces maudits barreaux, mais son compagnon d'infortune ne chipait pas leur seule chance se s'en sortir.

    - Diago, qu'est-ce qu'il se passe ?
    - Je suis coincé entre les barres. Sam, je suis coincé.
    - Merde ! Bon, on verra ça après, prends d'abord le couteau. Si tu vois qu'il peut entamer le bois des barreaux, tu te libéreras. D'accord ?
    - Je n'arrive pas à atteindre le couteau, Sam. La sangle bloque.
    - Quelle sangle ? Tu parles de quoi ?
    - Ben ! La sangle !

    Sam colla son visage au filtre et trouva l'interstice qui lui offrit l'information qu'il cherchait. Entre les barreaux, il pouvait voir un chiffon sali, empoissé de sang séché depuis longtemps, pendouiller au rythme des tortillages de la jambe manquante de Diago. C'était le moignon le plus long qu'il lui restait. Sam avait oublié que Diago ne chantait pas.

    - Ce n'est rien, Diago. J'ai un autre plan pour sortir, laisse tomber.

    Sam retourna au fond de sa cellule. Il n'avait aucun plan. Le probable lendemain, le couteau n'était plus là, pas plus que Diago.  

    Une nouvelle détonation, plus proche cette fois. Et des voix. Sam se redressa, n'espérant plus espérer, mais il lui semblait que ça se rapprochait. Au moment de douter, le destin le moqua même en faisant tonner plusieurs coups de fusils à l'entrée de la grotte, suivis d'un enjoué "ben dis donc, elle avait une sale gueule celle-là". La luminosité dans la pièce prit des proportions célestes. Il pouvait tout voir, entendre des pas de plusieurs bottes contre ce rocher glacé et vit même la silhouette bedonnante d'un barbu aux moustaches en garde d'épée.

    Bordel, t'es quoi toi ? Un rat ?
    - Je...bredouilla Sam, qui fixait le teneur de lanterne à huile comme une farce à laquelle il ne pouvait croire.
    - Détends-toi, matelot, on a nettoyé la zone. Cette bague, là, c'est pas le seau de la Compagnie des Blues par hasard ? demanda-t-il en pointant la main du prisonnier.
    - Sam Depas, je...oui, je suis de la Compagnie. Je convoyais des mandarines.
    - Ah ouais, fit-il en levant les sourcils tandis qu'un autre marin, au menton en forme de prune, le rejoignait dans l'écran filtré.
    - Le petit gars a l'air bien  à l'Ouest, confia-t-il sans discrétion au nouvel arrivant, va demander au Boscot ce qu'on en fait et s'ils ont trouvé des caisses avec le cachet de Cocoyashi ou de la Compagnie des Blues. T'inquiètes, petit gars, simple précaution. T'as faim ?

    Sam ne mentit pas en répondant que non. Quand bien même son ventre aurait contesté, rien n'était plus essentiel que la présence d'humains qui parlent, lui parlent sans peur, sans confusion et portent des vêtements civilisés. Il demanda s'ils avaient trouvé quelqu'un d'autre plus pour réentendre la voix du barbu que pour recevoir l'information. De la vie, de la lumière, enfin !

    Il ne put contempler le ciel car la lumière lui brûlait les yeux avant même de sortir de la grotte. L'homme au menton de prune, Tolliver, l'avait guidé comme un chien d'aveugle au dehors. On lui enfila même des bottes pour ménager ses pieds noirs et, aux dires des membres d'équipage, salement amochés. Mais qu'importe, rien ne valait leurs échanges, la senteur de l'iode, des feuilles, de la terre meuble où ses semelles patinaient un peu. A quelques centaines de mètres, on lui promit un bateau, avec un retour à bon port et une sévère facture pour sa Compagnie s'il ne payait pas la traversée en aide sur le pont. La remarque fit Sourire Sam, qui affirma qu'il était un très bon Vigie. Le rire devint communicatif et la marche sans yeux pour y voir devint pourtant le meilleur cadeau jamais offert au marchand.

    - Cette folle, je ne sais pas qui elle était, mais je ne vous remercierai jamais assez de l'avoir tuée. Je suis contre le meurtre, mais aucun jugement ne pouvait s'occuper d'elle.
    - Ah tu m'étonnes, Sammy. Encore qu'il parait que sur certaines îles, ils ouvrent des tribunaux canins, pour errants comme domestiques. Filer un avocat à des clébards, non mais on va où là ?
    - Vous parlez du chien de l'entrée ? Croyez-moi, sa propriétaire était bien pire.
    - Sa propriétaire ? Mon gars, t'as pas vu de femme depuis bien longtemps pour appeler ça une femme.
    - Certes, rit de bon coeur Sam, mais quoique la vie ait fait à cette sauvageonne, j'ai de la peine pour elle.
    - Euh...si tu veux, mon gars. Mais ce n'est pas parce que ça a des cheveux longs que c'est une femme. T'as jamais remarqué le merdier sous le nez du machin ? Même notre doc n'a pas autant de barbe.
    - Une minute ! s'arrêta net Sam. Vous n'avez pas trouvé de femme ? Laide, avec des cheveux longs noirs, nue et difforme ?
    - Pas avant la prochaine taverne, ironisa Tolliver, avant de se faire saisir par la poigne raffermie de Sam pour lui couper le sourire.
    - Elle est toujours là ? Vous n'avez vraiment pas trouvé le monstre !?

    Il se sentit projeté au sol par derrière, puis insulté par la voix de l'homme aux moustaches en garde d'épée.

    - Ecoute, les traumatismes et les hallus, je peux comprendre, mais tu videras ton sac auprès du médecin de bord. C'est soit ça, soit on te laisse en plan. Déjà qu'on n'a pas trouvé grand chose sur cette carte au trésor bidon.

    Sam se tut et ravala sa terreur pour qu'ils se remettent tous en route et avec lui à leurs côtés, vite, très vite. Ses jambes tremblaient, son coeur battait à tout rompre contre ses doigts squelettiques. Un pas, un mètre en moins. Tout allait bien se passer. Tout de devait bien se passer.

    - Elle est où notre barque ?

    C'était trop tard. Ils jurèrent, puis élaborèrent l'idée que l'un d'eux l'avait planquée derrière des feuillages, mais rien. Par ailleurs, l'équipe supposée rester à quai aussi avait disparu. Sam se recroquevilla contre une souche froide et attendit. Une lourde vibrations semblable à une onde de choc éclata à son flanc, probablement deux ou trois mètres plus loin. Puis, des tirs, nourris, ponctués d'injonctions sur une chose qui bougeait vite. Comme le jour de sa capture, il y eut de moins en moins de tirs et de plus en plus de cris. Quand les pirates ne furent plus que deux, Tolliver appela le fuyard à la rescousse jusqu'à ce que de lourds bruits de percutions, puis de bris d'os le firent taire. Sam hocha doucement de la tête, devinant parfaitement, sans même avoir besoin de le voir, l'état du crâne en bouillie de prune suite aux coups de l'horreur. Les pas de la chose emboitèrent ceux du dernier pirate par grandes enjambées. Des cris, le silence. Sam aurait pu tenter la nage à l'aveuglette pour trouver le bateau, mais il doutait que quiconque vive encore à son bord. Il attendit donc une fin.

    Le temps passa dans une quiétude que même oiseaux et insectes ne perturbaient pas. Le dernier homme n'était pas apeuré, pas plus que déçu. L'espoir n'avait été qu'un souvenir à l'image déjà désaturée, une parenthèse cynique qu'il oublierait aussi sûrement qu'un rêve peu après le réveil. C'était dommage, rien d'autre. Il n'avait plus le pouvoir de se plaindre et même la mort ne semblait pas vouloir le chercher. Quand il eut trop froid, il se releva, chercha à tâtons le manteau de Tolliver qu'il enfila, puis s'éclaircit la voix.

    Quinze marins sur le bahut du mort
    Hop là ho ! une bouteille de rhum
    A boire et l'diable avait réglé leur sort  
    Hop là ho ! une bouteille de rhum  

    Le Malvoulant a pris le commandement
    Des marins, et vogue la galère
    Il tient ses hommes comme il tient le vent
    Tout l'monde a peur de l'Empereur des Mers.

    Derrière lui, il sent la chose gigoter, en liesse. C'était pour elle le meilleur cadeau qu'il puisse lui faire. En marchant à son exact opposé, Sam retrouva sa cellule. Sur le chemin du retour, il avait veillé à ne butter sur rien pour ne pas faire dérailler sa voix, cette voix qu'elle aimait tant. Pour combien de temps encore ?

    Gharr reprend une position de spectateur, accepte un dernier verre de conteur et fredonne, d'un ton mineur.


    Quinze marins sur le phare des morts
    Hop là ho ! une bouteille de rhum
    A boire et l'diable avait réglé leur sort  
    Hop là ho ! une bouteille de rhum
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