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Sergueï J. Eastwint [+18] [Achevé]

"Dure journée, Eastwint ?"

Le tatoué ne prit pas la peine de lever la tête et se contenta d'une réponse glaciale.

"Ne me parle pas, il faut que je dorme."

Après la montée pénible d'un escalier en colimaçon de bois miteux, le sniper retrouvait sa minuscule chambre et posa bruyamment son énorme sac sur la parcelle de plancher encore libre avant de s'allonger sur un lit délavé et de se passer les deux mains sur les yeux. Il avait lui-même choisi de passer un moment ici dans ces conditions, ce pourquoi il s'interdisait de se plaindre.
Vingt-six jours, précisément, qu'il était de nouveau Clood J. Eastwint, le tueur à gages étranger de Hat Island connu pour avoir le meilleur taux de réussites de tirs. Une réputation qu'il avait montée de toutes pièces avec l'aide de deux de ses coordinateurs et qu'il n'avait pas eu besoin de démentir, appliquant ses contrats avec la plus grande furtivité possible. La paie était maigre, l'auberge dans laquelle il se trouvait était l'une des plus mal-famées de l'île et son entraînement pour résister à la chaleur ne présentait que de minuscules résultats.
Mais il s'en voulait d'avoir une faiblesse aussi évidente et tenait à y remédier, au moins en partie. Ce pourquoi il s'était engagé à effectuer un contrat par jour, en plus de ses exercices quotidiens de musculation - qui, contrairement aux exercices anaérobiques, représentaient une difficulté entièrement nouvelle pour lui. L'exercice était également de maintenir une couverture sur le moyen-terme, ce qui lui posait déjà moins de problèmes. Pour une fois dans sa vie, son corps le bloquait plus que son esprit. Les raisons de son séjour sur l'île désertique étaient légitimes et favorables à son développement en tant qu'agent, aussi il devait tenir aussi longtemps qu'il le fallait.


D'un geste las, il jeta son chapeau brun dans le micro-placard ouvert à sa gauche, puis retira ses bottes en cuir et son pantalon brun à franges avant de fermer les rideaux placés devant la petite fenêtre à sa droite. Le sommeil ne tarda pas à opérer.


-------------------


"C'est pas vrai ! On a toujours les pires clients putain !"

Ce cri de la part du vieux gaillard qui tenait le gîte n'était pas malvenu puisque le mercenaire venait de se rendormir après son réveil, ce qu'il s'était engagé à ne pas faire. Il se demandait cependant pourquoi il se faisait subitement insulter, alors que tout semblait en ordre jusqu'ici - hormis évidemment l'état désastreux de l'endroit dans lequel il logeait. S'était-il déjà trahi ? Pour en avoir le cœur net, il se rendit au comptoir de l'entrée sans prendre la peine de se vêtir et s'adressa au propriétaire, qui le tira directement par le bras de sorte à ce que leurs deux visages se rapprochent. Le vieillard chuchotait mais sa voix était tout de même teinte d'agressivité.

"Toi ! Tu es vraiment allé chercher des noises aux Manslouches ? T'es malade ?"

Le tatoué remarqua la feuille de papier que tenait le gaillard dans la main gauche et répliqua malgré son réveil frais qui lui rendait difficile l'intégration des informations.

"C'était il y a déjà un moment. Pourquoi ?"

Le propriétaire le laissa à peine finir et retourna la feuille pour presque la coller au visage du tueur à gages.

" 'Clood J. Eastwint, je sais où tu es. Rends-toi seul sur mon camp ou l'auberge sera prise d'assaut dés demain. Signé, Sergueï Recat'. Il a même mis une putain de trace de sang sur la lettre ! Tu te fous de ma gueule ?"

Le tatoué déglutit, acquiesça et répondit en se libérant doucement de l'emprise du vieux croulant.

"Il va falloir que j'y aille. Gardez mon argent, j'ai juste besoin de passer un dernier appel."

Continuant à froncer les sourcils, le tenant de l'auberge le lâcha et s'essuya les mains sur son comptoir.

"Fais ce que tu veux tant que tu niques pas mon business, abruti ! Sinon Recat sera pas le seul que t'auras à dos !"

Sans répondre, le mercenaire se hâta vers la chambre, se vêtit et sortit son Camo Den Den de son sac. Le gastéropode, comme à son habitude, s'adapta instantanément à la tenue de son propriétaire et se retrouva doté du même chapeau brun que lui, en plus des dreadlocks à bouts roses et des tatouages qu'il affublait déjà. Il composa la fréquence dite "d'urgence" et laissa le combiné sonner, ce qui ne dura pas longtemps.

~ Secrétariat nord de la mairie d'Exact Town j'écoute ? ~

Le coordinateur semblait sérieusement impliqué cette fois, ce qui en un sens rassurait l'agent. Il formula le plus bas possible sa requête.

"Clood J. Eastwint. Les Manslouches m'ont retrouvé et en ont après moi. Vous pourriez me sortir le dossier de la mission TU4-C3-001 ?"

Le responsable du Cipher Pol souffla un coup, ce qui fit froncer les sourcils au tatoué.

~ J'avais justement tous vos dossiers devant moi et j'attendais que vous m'appeliez ! Si vous saviez, j'avais tellement peur de rester planté devant ce bureau toute la journée pour rien ! Je vérifie ça tout de suite. ~

Le sniper fit une moue d'incompréhension avant de reprendre, décidé à rattraper l'erreur qu'il avait faite en laissant l'un des nomades témoins s'enfuir..

"Allez à la page des problématiques et vérifiez le second, celui qui suit Bruno "Gorilla" Recat. Le pôle a-t-il trouvé des informations ?"

Le coordinateur répondit plus rapidement que prévu.

~ Le portrait-robot que vous nous avez fourni correspond à celui d'Ivan Recat, dit "Le Poète", un autre lieutenant Manslouche. Il est le seul à avoir pu s'en sortir consciemment après votre altercation avec la tribu. C'est une sorte de devin, mais les trois autres Lieutenants le tiendraient à l'écart des décisions. Il serait complètement fou, ni plus ni moins. ~

Uzi se demandait d'où le pôle tenait autant d'informations, mais ça ne regardait pas un agent de son rang et le temps pressait.

"Bien. Leur meneur me menace et réclame ma venue sur le camp le plus tôt possible. Quelles instructions avez-vous reçues si cela venait à arriver ?"

Le bureaucrate rétorqua quasiment sur le tas.

~ Deux options. Soit vous les éliminez jusqu'au dernier, après quoi nous ferons appel au service de nettoyage... Soit vous tentez une approche d'alliance. Le seul témoin restant n'est pas en mesure de prouver votre mauvaise foi, donc ce n'est pas infaisable. ~

Le tatoué à la peau brûlante soupira.

"Je ne suis pas en mesure de les affronter seul de toute façon. Si ?"

Le responsable du Cipher Pol semblait mettre le doigt sur une page.

~ Et... non, effectivement, nous nous exposons grandement au risque de vous perdre. La seconde option est inévitable, donc. ~

Uzi hocha de la tête seul dans sa chambre.

"Entendu. Gatcha."


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"Donc c'est bien toi 'Eastwint' hein ? Que je me fasse pas encore avoir, je commence à en avoir assez qu'on mette le nez dans ce qui me regarde."

Les yeux fermés et la tête vers le bas, le tueur aux dreadlocks était à la merci d'une foule de Manslouches, dont deux tenaient son corps affaibli par chacun un bras. Celui qui s'adressait à lui n'était autre que Sergueï "The Kid" Recat, ça ne faisait aucun doute. Le tatoué leva les yeux et put observer l'allure relativement intimidante du chef de la confrérie. Sa petite taille était compensée par sa musculature monstrueusement sèche bien qu'également très épaisse et par une grande cicatrice au niveau de son œil gauche qui lui donnait une aura d'homme que rien ne pouvait réellement toucher. Un cœur raisonnable semblait cependant battre sous son survêtement noir et gris à rayures blanches. Le simple fait de le regarder forçait presque le respect.

"Je suis l'homme que tu cherches, Recat. Comme tu le vois, je suis venu sans personne. Que veux-tu ?"

Un signe rapide de la part du Kid suffit pour que le mercenaire se reprenne un coup de poing dans le dos, le couchant immédiatement sur le sable brûlant. Il plissa les yeux en tentant de contrôler la douleur que ces micro-pierres chauffées au soleil lui infligeaient au torse. La douleur fut heureusement de courte durée puisque les deux nomades le relevèrent directement pour que le dialogue puisse se poursuivre.

"Tu sais, on peut discuter poliment, comme des grands. Calme-toi un peu, veux-tu ? C'est encore toi qui est en position de faiblesse, ici."

Eastwint ignorait quelle partie de sa phrase avait été prise pour un écart de courtoisie, mais n'était pas surpris pour autant. Les valeurs morales dans ce genre de communautés dépassaient souvent l'entendement de ceux qui n'y avaient pas grandi. Par tolérance, il partit du principe qu'il était l'ignorant de l'histoire. Il en profita également pour observer ce qui semblait être les quatre sièges des Lieutenants, répartis en arc de cercle dans une disposition esthétiquement intéressante, étonnamment.

Sur celui à l'extrême gauche était assis Ivan, le supposé devin qu'il avait laissé fuir lors de sa première mission sur l'île. Avec un comportement presque volatile, celui-ci regardait brusquement tous les angles qui l'entouraient en gardant le regard fixe. Les bandages sur son torse, lui aussi nu, et sur ses bras, eux aussi tatoués, montraient qu'il lui arrivait régulièrement de se blesser dans ses folies et son crâne fortement dégarni témoignait déjà des signes d'un âge très avancé, bien que sa barbe broussailleuse semblait persister à rester dans les teintes noires.
Sur celui juste à gauche de Sergueï se trouvait une jeune femme qui était incontestablement moins âgée que le tueur à gages, mais que les cernes, plusieurs addictions supposées et un maquillage des plus curieux vieillissait considérablement. Vêtue d'un simple bout de tissu en guise de haut et affublée des mêmes tatouages tribaux qu'Ivan, celle-ci envoyait plusieurs regards tendancieux au tatoué, qui préféra alors rapidement continuer son exploration oculaire.
Le troisième siège, plus avancé que les autres et entouré de deux tonneaux qui semblaient être entretenus pour être constamment en feu, était celui de Sergueï. Enfin, le siège de droite était vacant, laissant au mercenaire le loisir d'en déduire que Gorilla n'était pas présent aujourd'hui. Le meneur avança son buste vers un Eastwint affaibli et reprit finalement la parole.

"Il y a maintenant trois cent vingt-sept jours, j'envoie Bruno et Ivan récupérer des chaînes de vélo pour fabriquer des onagres artisanaux. Je sais pas si tu vois ce que c'est, fin bref. Comme ils s'absentent trop longtemps, j'envoie Natasha en reconnaissance et elle m'apprend que quelqu'un a buté tout le monde sauf Bruno. Après Ivan revient au camp et me parle de ces trous du cul du Willy Gang Gang Squad, d'un gars aux cheveux verts et d'un tireur d'élite au chapeau marron tatoué de la tête aux pieds. Je sais pas si le dernier te dit quelque chose."

Le chef rit doucement et, voyant que personne autour de lui ne comprenait son bon mot, acheva ses explications.

"C'était de l'ironie parce que c'est toi, je sais pas si tu l'as. Je disais que même si Ivan dit beaucoup de merde et qu'il fait une fixette fantasmagorique sur je sais pas quel type du Cipher Pol en permanence, j'ai l'impression qu'il s'est pas trompé pour le coup. Tu étais vraiment avec le Willy Gang G... putain, rien que prononcer leur nom ça m'énerve. Tu étais vraiment avec eux quand Bruno et les autres ont mordu la poussière, pas vrai ?"

Le tatoué acquiesça tout seul et s'empressa de répondre de la manière la plus claire possible, notant cependant cette curieuse "fixette" du Poète dans un coin de sa tête dans le but de revenir dessus par la suite.

"Si je voulais avoir plus de chances de m'en sortir, je pourrais mentir. Mais je préfère jouer la carte de l'honnêteté. J'avais été engagé pour exécuter publiquement le Willy Gang Gang Squad, et après avoir mis la main sur eux, il me fallait les amener d'un point A à un point B. Mais Gorilla était fou de rage contre eux, et le laisser les écraser signifiait dire adieu à mon cachet."

Sergueï, semblant fortement perplexe, haussa le ton.

"Et donc toi, au lieu de lui expliquer la situation, tu troues tous ses hommes et tu l'envoies dans les vapes ? T'as eu du cul qu'Ivan s'en sorte à temps, cinglé va ! Je sais même pas comment t'as pu tenir tête à Bruno avec ce corps de brindille, tu sors d'où exactement ?"

Le mercenaire soupira et se racla la gorge.

"C'est justement parce que ce n'est pas moi qui ai fait face à ton homme. Cet imbécile de Squad est devenu hors de contrôle et lui a foncé dessus sans qu'on puisse l'arrêter. Les deux autres ont tiré dans le tas dans un mouvement de panique. Je suis désolé que tu l'aies retrouvé dans cet état, crois-moi. Si ça peut te rassurer, les trois sont morts à l'heure qu'il est. Pas enterrés par contre, on a opté pour la crémation sur la place publique. Plus rapide et mieux adapté."

Eastwint s'étonnait lui-même de parvenir à autant donner vie à cette histoire. Aucune incohérence apparente pour le moment, ainsi ne restait-il plus qu'à laisser le Kid croire à cette version. Version qui ne s'éloignait que peu de la réalité, ce qui la rendait plus crédible. Alors que le tatoué se décrispait lentement et évacuait doucement les quelques signes de pression qu'il avait risqué de laisser se manifester, le meneur finit par hocher calmement de la tête.

"Ce Willy Gang mes couilles n'aura pas chômé pour nous faire suer jusqu'au bout. D'abord ils harcèlent Natasha, ensuite ils s'en prennent à Bruno... Juste que je suis déçu qu'on aie pas pu s'occuper d'eux nous-même, mais bon, si c'est une histoire de thunes je peux comprendre. J'en brûlais d'envie, quand même."

Le mercenaire, bien que faiblissant sous la chaleur, acquiesça et tenta une introspection pour rassurer le Manslouche.

"Je n'ai pas de rancœur envers beaucoup de monde. Presque tout est une histoire d'argent pour moi. Disons que défendre mes intérêts est déjà le travail de toutes mes journées, donc je n'irais pas perdre mon temps à attaquer les intérêts des autres. Pas gratuitement, en tout cas."

Le nomade en chef acquiesça discrètement et, sentant qu'une question - et accessoirement l'atmosphère du désert - brûlait les lèvres de son invité, le laissa reprendre la parole.

"Ton camarade... Ivan, c'est ça ? Il a parlé d'un type du Cipher Pol ?"

Sergueï fit un mouvement brusque et las du bras comme s'il devait revenir sur un sujet qui le fatiguait déjà, mais consentit cependant à répondre.

"Laisse tomber, fait pas attention à ce que dit Ivan. Je l'aime autant que n'importe quel membre de ma famille, mais la plupart des choses qu'il dit sont complètement improbables. Pas de contexte, rien. Seulement des groupes de mots, des phrases si on a de la chance. Trouver un sens, c'est déjà plus dur. Le Cipher Pol c'est quoi, c'est bien les guignols qui jouent aux agents secrets pour le Gouvernement non ?"

Ledit Ivan, comprenait qu'il était le sujet de la conversation, s'agita brusquement et pointa l'homme à la peau brûlante du doigt.

"Lui, il connaît Cipher Pol ! IL CONNAÎT !"

Sergueï soupira et haussa les épaules, comme un grand frère qui avait trop l'habitude d'entendre son cadet répéter les mêmes bêtises. Assez décontenancé, Uzi se hâta de démentir subtilement les propos du médium.

"À vrai dire, ces taupes du Gouvernement peuvent être à peu près n'importe où aujourd'hui. Plusieurs d'entre eux ont déjà tenté de m'empêcher de faire mon travail. Ton homme ne dit pas forcément faux à chaque fois, sois prudent."

Le Kid se leva dans un mouvement énergique mais contrôlé, saisit la bouteille de vodka pure qui était posée à même le sable à côté de son siège et donna au tueur aux dreadlocks son verdict.

"Tes idées me plaisent pas mal, Eastwint. T'as peut-être merdé au point de ne pas pouvoir stopper un abruti du Wily Ga... un abruti pareil, mais tu es honnête et tu assumes ton rapport au fric. Ça, c'est assez rare parmi les types qui ne viennent pas de chez nous."

Le meneur poursuivit avec un signe différent du premier. Les deux Manslouches qui tenaient Clood lui administrèrent alors une claque sur l'arrière du crâne, qu'il sentit passer, avant de le remettre sur pied.

"Mais ne me donne pas d'ordres par contre, j'aime pas ça. Je sais encore ce que je fais. Allez bouge, je vais te montrer le camp."

Le mercenaire acquiesça calmement, se passant la main sur le visage puis sur l'arrière du crâne, et suivit Sergueï dans sa marche tranquille. La mission commençait manifestement par un succès.


Dernière édition par Tim Uzi le Ven 4 Déc 2020 - 0:39, édité 1 fois
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La vie chez les Manslouches était moins primitive qu'un voyageur pouvait l'imaginer au premier abord. Ils disposaient de réserves privées d'eau chaude, qu'ils étaient probablement allés se fournir eux-mêmes, de moyens efficaces de faire du feu et de plusieurs dials effectuant des fonctions différentes. La nourriture ne manquait pas tant que ça, bien qu'étant principalement composée de viande de gibiers trouvables dans le désert, plus rarement de bétail directement volé des habitants d'Exact Town. Certains aspects de ce mode de vie n'étaient pas étrangers à Uzi, n'étant pas sans lui rappeler son enfance à Alegria - il s'empressa cependant de penser à autre chose par crainte de sortir de sa couverture. Sergueï, de son côté, continuait à expliquer passionnément les moindres fonctionnements de son territoire à celui qui était sans doute l'un des rares invités qu'il avait pu accueillir jusqu'alors. Son regard dur ne bougeait pas d'un millimètre, coincé derrière une cicatrice virile, mais ses mots montraient clairement son enthousiasme.

"Je sais ce que tu vas me dire. Pourquoi on est aussi peu ici ? Disons que le Camp Central rassemble... les plus importants. Les médecins, les combattants les plus tenaces, quelques cuisiniers, et les Lieutenants bien sûr. Sans compter ceux qui sont au pieu, on est cinquante-deux. Ce n'est pas nous qui chassons, par exemple, mais ceux des trois camps annexes : eux sont habités par plus ou moins trois-cents personnes chacun."

Le tatoué, suivant le meneur dans sa visite improvisée, hocha la tête, semblant comprendre ce phénomène. Ayant constaté depuis son arrivée que le Manslouche en chef aimait beaucoup parler à la première personne, il prit soin de caser un maximum de "toi" dans sa phrase.

"C'est important pour toi de garder tes blessés proches de toi, n'est-ce pas ?"

Le chef s'arrêta un moment. Le mercenaire craignait à présent d'avoir commis une erreur. Finalement, le Kid reprit solennellement mais sincèrement son discours.

"Si une attaque survient sur le camp, ce seront les plus fragiles, tu t'en doutes. Donc moi, mes Lieutenants et mes meilleurs combattants on se doit d'être au plus près d'eux, oui. Et puis on découle tous de la même lignée, tous les Manslouches sont mes cousins plus ou moins éloignés, en vérité. C'est important pour moi de briser la distance que j'ai avec eux, c'est une tribu mais aussi une grande famille."

Eastwint fit une moue d'admiration en évitant avec un très léger Kami-E deux nomades pressés qui portaient un chaudron brûlant. Il avait remarqué que le Camp Central, contrairement à ses attentes, était d'une parité presque parfaite. Les femmes et les hommes se répartissaient les mêmes tâches et touchaient tous à tous les secteurs. Encore une fois, ce fonctionnement que le tueur à gages n'avait presque vu nulle part ailleurs forçait l'admiration. Suivis par Ivan et la quatrième lieutenante, les deux hommes se dirigèrent dans une tente géante aux allures de serre, et se retrouvèrent face à une foule de Manslouches faibles voire inconscients pris en charge par des médecins d'un calme olympien. Après avoir parcouru plusieurs files de corps, ils se retrouvèrent au centre de l'hôpital aux murs de peau dressée et s'approchèrent du corps qui occupait le plus grand lit. Le tireur d'élite écarquilla les yeux en s’apercevant que ledit corps ne lui était pas étranger. Il regarda subitement Sergueï pour s'assurer qu'il ne rêvait pas, ce que le petit borgne lui confirma d'un hochement de tête soucieux.

"Tu connais déjà Bruno, que tu n'as pas rencontré dans les meilleures conditions, j'imagine."

Les yeux du tatoué faisait des allers-retours entre le Kid et le colosse, montrant son incompréhension.

"Mais, je pensais qu'il n'était pas mort ?"

Cette expression sincère convainquit le Manslouche en chef que Clood n'en savait pas plus que lui. La réponse fut assez expéditive.

"Oh, il n'est pas mort. Par contre il ne s'est pas réveillé du coma depuis votre dernière rencontre."

Le mercenaire soupira un grand coup pour exprimer silencieusement ses condoléances, par ailleurs surpris que Squad aie pu causer une telle chose. Après un moment de silence accompagné d'une certaine pression pour le tueur aux dreadlocks, c'est le Poète qui brisa le silence en désignant Eastwint de l'index.

"Cipher Pol connaît lui ! LUI !"

Sergueï se retourna vers le devin supposé et souffla du nez avant de rétorquer brièvement.

"On avait compris les sept cent soixante-quatorze premières fois, Ivan. Respecte un peu le repos de Bruno, tu veux ?"

La Lieutenante profita de ce moment de calme pour se glisser discrètement derrière le tatoué et lui passer doucement la main sur la cuisse gauche. Celui-ci, connaissant la puissance théorique des Lieutenants, décida de ne pas se défendre - aussi un simple coup d’œil du Kid suffit à dissuader la jeune femme de continuer. Alors que le chef buvait cul-sec sa bouteille de vodka à peine entamée, le mercenaire prit une initiative qui lui paraissait être le meilleur compromis dans la situation présente. Il mit son doigt devant sa bouche puis pointa une parcelle d'air vide.

"J'ai peut-être une proposition pour toi. Quelque chose qui pourrait te dépanner en attendant que Gorilla se porte mieux."

Le Manslouche en chef s'interrompit dans sa beuverie.

"Parlons-en autour d'un gueuleton, si tu veux bien. Je sais pas si mon estomac va tenir après cette journée."


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Le tatoué fronça les sourcils devant le grand bol qui s'était présenté devant lui. Le plat lui avait tout l'air de contenir des poils de mammifère trempés dans un potage de sang. Alors que Sergueï et les deux Lieutenants, assis à même un tapis de peau en face de lui, se régalaient bruyamment, un coup d’œil vers l'extérieur de l'une des tentes des cuisines permit effectivement au mercenaire d'apercevoir des Manslouches raser la fourrure de camélidés avant de les suriner et de récupérer leur hémoglobine.

"Les réserves de viande que j'ai vues tout à l'heure, vous ne vous en servez pas pour manger ?"

Le petit borgne acquiesça tout en continuant à manger avec énergie.

"D'habitude si. Mais là je te reçois, j'allais pas te faire bouffer un truc aussi bas de gamme. Ce menu est plus adapté aux occasions spéciales."

Il respira lentement puis goûta le plat qui, bien qu'ayant un goût inhabituel, n'était pas foncièrement désagréable en bouche.

"Tu voulais me proposer quoi ?"

L'homme à la peau brûlante se hâta de rattraper les Lieutenants en mangeant plus rapidement et s'interrompit en levant sa main ouverte vers Sergueï.

"Je m'occupe de la sécurité de ton territoire. Tous ceux que tu as besoin que j'élimine, je les élimine. Je demande simplement à être nourri et logé ici même. Si une attaque survient sur l'un de tes camps et que je suis ailleurs, un simple coup d'escargophone et je viens t'aider à repousser la menace. Si tu manques de nourriture, de ressources, je m'en occupe. Tout ça jusqu'à ce que Gorilla reprenne ses esprits."

Le meneur, qui avait déjà fini son plat, fronça les sourcils et afficha une expression dubitative.

"Tu réalises que Bruno est mon frère ? Même si tu y mets toute ton âme tu feras pas un bon remplaçant pour lui, tu t'en rends compte ?"

Comprenant qu'il y avait méprise, le tueur à gages fit un signe négatif de la tête.

"Je ne remplace personne. Je rends des comptes parce que je n'ai pas pu empêcher le Willy Gang Gang Squad de toucher à tes hommes. Vois ça comme un service."

Le mercenaire se prit une nouvelle torgnole à l'arrière de la tête. Le temps qui se rafraîchissait avec la nuit tombante lui permit de considérablement moins souffrir que la fois précédente.

"Ne me donne pas d'ordres, je t'ai dit. Tu penses qu'on est pas capables de s'occuper de nos ennemis nous-même ?"

Eastwint digéra la claque et acquiesça calmement.

"Vous êtes suffisamment forts, c'est certain. Mais les habitants ici vous connaissent, donc ils savent à qui s'en prendre. Si je me charge d'eux, vous êtes assurés de ne pas avoir de représailles. Mes services sont réputés pour être efficaces et relativement discrets."

Le meneur se tourna vers la jeune Lieutenante qui approuva d'un hochement de tête délicat et d'un sourire narquois l'alliance avec le tatoué. Comme Ivan était occupé à faire un dessin, le Kid acheva les négociations par la question cruciale.

"Et si on fait ça, je te dois combien ? Je connais rien à ces histoires de contrats."

Le tireur d'élite se replaça le chapeau sur le crâne.

"Partons sur le minimum. Huit berries par tête. Quinze si la cible est vraiment haut placée, mais ça c'est variable."

Sergueï, qui s'attendait manifestement à une valeur supérieure, haussa les épaules et finit sa vodka d'une gorgée géante avant d'ouvrir les bras en guise de confirmation.

"Bon, tu commences demain. Je sais où tu vas dormir, suis-moi."

Alors que la jeune femme et le médium se hâtaient de finir leur plat pour accompagner les deux hommes, le chef s'arrêta devant une tente assez grande et regarda le tatoué en la désignant d'un coup de tête.

"On y garde les affaires des étrangers qui nous servent à rien, au cas où ça nous servirait plus tard. Ton gros sac et tes deux flingues sont là-dedans, d'ailleurs. Y a aussi un lit, et il est pour toi. Couvre-toi complètement, la nuit est froide ici."

Un Manslouche sortit de la tente et protesta doucement, mais le petit borgne le délogea rapidement en lui intimant d'aller dormir ailleurs. Après avoir souhaité bonne nuit aux trois Lieutenants, Eastwint les vit s'éloigner et s'installa du plus confortablement qu'il le pouvait. Une investigation dans les affaires de visiteurs qui se trouvaient à côté de lui pouvait s'avérer intéressante.
Mais pas tout de suite. Suivant le conseil du Kid et bien qu'il n'en avait pas réellement besoin, il ferma entièrement le sac de couchage. Le sommeil ne tarda pas à opérer.


Dernière édition par Tim Uzi le Ven 4 Déc 2020 - 0:32, édité 3 fois
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Trouver le sommeil, vu l'épuisement qu'avait accumulé le mercenaire, avait été plutôt aisé. Le garder, cependant, s'était avéré bien plus compromis. En dépit de bruits étranges autour de la tente que le tatoué ne pouvait pas - et ne voulait pas - identifier, l'air glacial nocturne du désert de Hat Island dépassait quasiment toutes les températures basses qu'il avait connu. S'il était très initialement résistant au froid, celui-ci semblait être très résistant à sa résistance. Après un énième réveil, il tenta de se réchauffer comme il le pouvait en se serrant le plus possible contre la paroi de son sac de couchage fermé.

Lorsqu'il trouva enfin la position idéale pour se rendormir paisiblement et, cette fois-ci, pour de bon, un bruit bien plus proche que les autres le fit se raidir. Quelqu'un venait d'entrer dans la tente. Il se remit sur le dos en feignant un mouvement de sommeil et œuvra pour que son œil gauche se retrouve en face du trou créé par le défaut de fabrication de la fermeture du duvet. Cette étape fut un succès. Succès de courte durée cependant, puisque la main armée de l'intrus cagoulé descendait déjà à vitesse folle vers ledit œil. Il s'empressa d'utiliser un Kami-E sur la partie supérieure gauche de son corps, ce qui lui permit d'éviter le coup de poignard et de rester intact - mais ce qui ne plut pas à son agresseur, qui réitéra l'action deux fois. Voyant qu'il ne parvenait pas à viser correctement avec une arme blanche, l'imposteur s'enragea et jeta le couteau sur le tapis de la tente avant de se résoudre à poursuivre l'agression à la main.
Cette fois, c'est un Tekkai qui sauva la mise au tueur à gages en stoppant net le premier coup de poing. En réponse, l'intrus éloigna sa main et la secoua en grimaçant, montrant à l'homme à la peau brûlante que sa technique avait suffi à contrer efficacement le coup. L'agresseur abandonna et quitta la tente en ramassant le poignard au passage, continuant à exprimer par des gestes las sa douleur au poing. Lorsqu'il s'éloigna, Eastwint reconnut une silhouette qui se prêtait bien mieux à une femme qu'à un homme. Il reprenait encore son souffle et intégrait encore les informations quand la fatigue eut à nouveau raison de lui. Le sommeil ne tard pas à opérer.


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Le tireur d'élite se réveilla en douceur, ayant mieux dormi que prévu. Le bruit ambiant lui assurait cette fois-ci que la vie active sur le camp avait commencé. L'altercation qu'il avait eu il y a quelques heures avec une supposée parfaite inconnue lui revint rapidement, aussi décida-t-il de prendre une minute pour y réfléchir. Si Sergueï était derrière tout ça ou pas, la question ne se posait pas : c'était évident que le meneur avait tenté de le trahir malgré leur récent accord. S'il avait craint de perdre la vie, le tatoué se ressaisit rapidement en partant du postulat qu'il s'était relâché trop vite et qu'il était donc le fautif.

Il se passa la main sur le visage, s'habilla et enfila son chapeau. Il se leva ensuite du plus dynamiquement qu'il le pouvait et constata que le changement de température entre le jour et la nuit avait un effet assez douloureux sur son organisme. Encore une fois, il n'en sortit que le bénéfique pour sa tâche et en conclut simplement que les conditions lui étaient idéales pour passer un cap. Devenir moins mauvais, en somme.
D'un pas assuré, il sortit de la tente et resta quelques secondes ébloui par le Soleil, avant se rendre directement devant les sièges des Lieutenants ou seul Sergueï, cette fois, trônait. Buvant une nouvelle bouteille de vodka pure de bon matin, son mouvement se coupa lorsqu'il vit le mercenaire s'avancer vers lui et demander quelle était sa mission du jour. Le petit borgne se racla la gorge.

"Euh, doucement. Comment s'est passé la nuit ? Tu es mon premier invité, je tiens d'abord à ce que tu te sentes chez toi."

Il existait manifestement dans ce monde de bien meilleurs menteurs, mais il avait le mérite d'essayer. Clood joua la carte de l'ignorance, parfois nécessaire pour écarter les conflits.

"Pas facile au début, mais on s'adapte vite. J'ai fini par passer une excellente nuit."

Le tueur aux dreadlocks avait fini sa phrase, mais réalisa qu'il en manquait la partie essentielle de politesse. Il la compléta en retard.

"Et toi, tout va bien ?"

Le Manslouche en chef déglutit, et grommela en changeant de sujet aussi vite qu'il le put.

"Tu parles, j'ai passé la nuit entière au chevet de Bruno. Ce salaud n'a pas l'intention de reprendre conscience, apparemment. Je prie tous les jours pour qu'il ne bascule pas dans l'autre monde, je sais pas si tu vois ce que je veux dire."

Le tatoué fronça les sourcils et hasarda une interrogation à voix haute.

"Tu pries tous les jours ?"

Le Kid se reprit rapidement et rectifia ses dires.

"Non non, je n'ai pas de religion. Ici les gens croient en ce qu'ils veulent, je m'en fous. Même ces abrutis de Drognars ne me dérangeraient pas, tant qu'ils aident à la chasse, aux soins et à la bouffe, tu sais... Et au vol aussi, ça on peut pas encore se permettre d'arrêter malheureusement."

Eastwint acquiesça silencieusement. Le meneur en tira une conclusion qu'il semblait découvrir lui-même, n'ayant visiblement pas souvent l'occasion de réfléchir sur lui en dépit de ce qu'il tentait de laisser transparaître.

"En fait, tant que nos intérêts sont remplis, je crois que j'accepterais n'importe qui. Même travailler avec ces pleutres du Gouvernement, ce serait un maigre sacrifice. Je sais pas si tu me suis. Je m'égare, tu vas me dire ?"

Une multitude d'idées apparurent dans l'esprit appliqué du tatoué, qui n'allait pas le moins du monde dire au meneur qu'il s'égarait. Il acquiesça pour montrer qu'il avait l'intention de passer au concret le plus vite possible. Sergueï se leva et ouvrit un tiroir qui était intelligemment incrusté à l'arrière-même de son siège. Autour de lui, les deux tonneaux brûlaient encore et toujours. Lorsqu'il trouva ce qu'il cherchait, le chef se réinstalla sur son trône et montra à son nouvel allié une liasse d'avis de recherche dont le premier représentait manifestement la cible du mercenaire.

"Steve O'Chadley. Celui-là est un activiste important des Frères Vachers, un mouvement régionaliste d'Exact Town qui prône le retour d'une 'Hat Island originelle'. Ce qui implique que les indigènes et nous on dégage, évidemment. C'est pas dans mes projets de rendre toute la confrérie plus sans domicile fixe qu'elle ne l'est déjà, surtout pas en ce moment. Huit berries et tu t'en charges, c'est bien ça ?"

Le tueur hocha la tête, saisit la feuille et marcha en direction de sa tente pour récupérer son sac et ses deux colts à calibre trois millimètres.

"Huit suffiront pour l'instant, oui."

Le Kid n'appréciait pas la tournure de cette phrase, mais se retint de demander à ses hommes d'administrer la traditionnelle claque à l'arrière du crâne de son nouveau contractuel. Restait à savoir s'il le faisait par respect ou par culpabilité.
Ses propos suivants mirent rapidement la lumière sur la deuxième option.

"Au fait, Eastwint. Je suis obligé de te le dire, on a tenté de te buter cette nuit. Pour de vrai, voir si tu survivais ou pas. Et hm, félicitations, tu as réussi le test."

Un micro-sourire gêné remplaçait à présent l'expression neutre du petit borgne. Tout en marchant calmement vers la ville, dos au meneur, le tatoué lui fit simplement un signe lui signifiant qu'il n'y avait aucun souci. Il traversa le Camp Central, observant autour de lui les nomades si impliqués dans leurs tâches respectives. Une fois suffisamment éloigné d'un si petit regroupement que représentait une cinquantaine de Manslouches, il sortit sa gourde d'eau, prit une gorgée et décolla en combo Soru-Geppou pour atteindre plus rapidement Exact Town.


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L'homme à la peau brûlante n'était pas habitué à consommer de l'alcool, mais parmi tous les secrets derrière l'endurance bestiale de ses nouveaux collègues Manslouches, il ne doutait pas que la vodka était un moteur puissant pour leur énergie à toute épreuve. Preuve en était qu'un simple aller en usant de techniques du Rokushiki plus une marche d'à peine un quart d'heure avaient suffi à vider sa réserve d'eau. Reprenant son haleine aussi rapidement qu'il le pouvait, il usa de la méthode simple, rangea l'avis de recherche dans une poche de son sac et interrogea deux passants à la forte carrure qui se dirigeaient vers le sens inverse.

"Pardon, vous êtes du coin, j'imagine ?"

Les deux compères confirmèrent, non sans fierté.

"Je suis nouveau dans la ville et je cherche le rassemblement des Frères Vachers. Vous savez où c'est, je suppose ?"

Le moins grand des deux comparses prit la parole d'une voix puissante et non sans une pointe d'agressivité.

"Quoi, tu soutiens ces imbéciles ? Ils représentent pas du tout nos valeurs. Ils font que les détourner pour en faire un message de haine et de rejet des peuples étrangers. Ça nous ressemble pas."

Le plus costaud appuya les propos de son ami.

"Et puis vu qu'on est quasiment l'île de North Blue qui comporte le plus d'habitants d'horizons différents... C'est stupide. Jusqu'où on va pousser la répulsion dans ce cas-là ? Jusqu'à ce qu'il y ait plus que deux péquenots sur l'île ? Le shérif et cette grande gueule d'O'Chadley ?"

Le tueur à gages nota que sa cible du jour était relativement connue dans la ville et regretta instantanément de ne pas avoir négocié ses quinze berries. Il reprit la parole d'un air qui se voulait calme.

"J'essaie juste de faire mon travail, j'en ai vraiment besoin. Où est-ce que le meeting se déroule, s'il vous plaît ?"

Les deux énergumènes se regardèrent. Le premier haussa des épaules, et le second se hâta de répondre.

"Difficile de le louper, ils ont investi dans la grande place devant la banque Cashy N' Dreams. Ces fumiers se donnent de la visibilité, en plus. Tu fais quel taf toi, t'es journaliste ou quelque chose ?"

Plongé dans la carte de Hat Island qu'il venait de ressortir, Eastwint n'avait pas le moins du monde écouté la question. Il se contenta de pointer sa destination, plus proche qu'il l'espérait, et de s'y rendre d'un pas pressé.

Il entra au bout de la place et s'aperçut qu'elle était en littérale liesse. Un rapide coup d’œil lui permit d'apercevoir son homme prononcer un discours enflammé devant plusieurs partisans - blonds ou roux aux yeux bleus pour la plupart - qui, le poing levé, buvaient ses paroles. Le tireur d'élite, lui, rêvait de boire autre chose, ce pourquoi il avait l'intention d'honorer son contrat le plus rapidement possible. Après une dizaine de minutes à brailler des absurdités anti-immigration sur l'île, le militant donna enfin son micro à un autre détraqué et quitta la scène en bois installée sur la place pour l'occasion. Il se désaltéra, ce qui irrita quelque peu le mercenaire, et se posa sur un recoin créé par la structure de la scène.
Clood s'avança vers lui, mimant comme il le pouvait la timidité, et tenta une interjection.

"...Monsieur ?"

Surpris qu'on vienne à sa rencontre après une allocution aussi intensive, de derrière la scène qui plus est, O'Chadley leva rapidement la tête. Il soupira ensuite.

"Tu veux un autographe, buddy ? Donne-moi ta photo, je vais te le faire."

Le mercenaire décala sa tête et aperçut la brute qui était chargée de la sécurité du régionaliste assis à même le sable, en pleine sieste matinale. Il s'avança ensuite très lentement vers l'orateur en développant très rapidement son alibi.

"Non, monsieur. Ma femme a été tuée par ces barbares de Drognars il y a trois ans. Depuis, je suis présent à tous vos discours. Je voulais juste que vous sachiez que..."

Eastwint sortit alors subitement son colt gauche, s'aidant d'un léger Soru, et prit sa cible dans ses bras. Il la serra du bras droit tandis que le gauche plaçait la gâchette derrière le creux entre la colonne vertébrale et l'omoplate de l'activiste. Alors qu'O'Chadley tombait dans le panneau, le garde du corps se réveilla et se leva, mais fut stoppé net par un signe de la main du Frère Vacher. Le tatoué se retourna le plus vite possible, emportant la cible dans son demi-tour, pour que le colosse ne voie pas son revolver pointé sur son poulain.

"On a tous souffert de ça, my friend. On n'est pas obligés d'en arriver là."

Le régionaliste rit nerveusement après avoir subtilement invité l'homme à la peau brûlante à le lâcher. Ce que le tireur d'élite ne fit pas, occupé à approcher sa bouche de l'oreille du militant.

"On est obligés d'en arriver là, O'Chadley. Tu as trop parlé."

L'activiste écarquilla les yeux et retint sa respiration.

"Qu..."

Alors que sa cible faisait signe au mastodonte de venir le protéger, le tueur aux dreadlocks prononça sa dernière missive qui, il l'espérait, l'aiderait à s'habituer à sa nouvelle situation.

"Sergueï Recat te salue."

Le coup de feu partit et perfora le Frère Vacher vers le bas du cœur. Le tueur à gages récupéra la balle d'un Shigan précis à la fois du pouce et de l'index, et la rangea dans la poche de son pantalon à franges. Alors que le chargé de sécurité accourait pour sauver ce qu'il pouvait de la situation, Clood déroba la bouteille d'eau du mourant et fuit d'un Soru aussi rapidement qu'il était arrivé en centre-ville. Cette fois, les réserves d'eau ne manquaient pas à l'appel et s'il n'avait pas spécialement envie de boire au même endroit que ce dégénéré, les besoins de son corps le rappelèrent vite à être rationnel.


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Le retour au Camp Central fut plus simple que l'aller mais non sans fatigue pour le tatoué, qui manquait encore cruellement d'entraînement de résistance à la chaleur. Il avait pris soin de s'arrêter pour acheter de la viande et des végétaux comestibles au marché hebdomadaire d'Exact Town, aussi une cargaison non-négligeable avait rendu son trajet plus pénible. Après sa traversée rituelle du camp et de tous les corps de métier qui y exerçaient tranquillement, il se retrouva de nouveau face aux quatre sièges, réceptionnant cette fois les trois Lieutenants en activité. Ivan était recroquevillé et sculptait avec de l'argile une main aux doigts désarticulés plutôt réaliste, tandis que la Lieutenante se caressait le poing droit en observant leur nouvel allié avec une mine joueuse faussement boudeuse.

Le nomade en chef, quant à lui, semblait interloqué qu'Eastwint soit revenu si vite du centre-ville. Il hasarda la question essentielle.

"O'Chadley est décédé, là ?"

Le tatoué hocha la tête et demanda par plusieurs gestes s'il pouvait être servi en vodka, ce que deux Manslouches s'empressèrent de faire en lui passant une bouteille fraîchement ouverte.

"Plus mort que Gol D. Roger lui-même. Il avait une certaine renommée dans la ville, par contre, donc ça compte pour quinze berries."

Le petit borgne, qui cherchait déjà la monnaie dans son coffre, l'arrêta net.

"Je peux te donner que huit de toute façon. C'est que le début."

Le mercenaire récupéra les huit pièces et les rangea immédiatement dans la plus petite poche de son sac, avant d'acquiescer en silence.

"Bon, ça ira."


Dernière édition par Tim Uzi le Ven 4 Déc 2020 - 0:24, édité 3 fois
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"Sergueï Recat te salue."

Le recul du colt vrombit dans la bouche du blondinet pleurnichard, le laissant tomber inerte sur le sol d'une parcelle de l'immense désert de Hat Island. Regardant sa victime du jour gésir dans une mer de grains de sable, le tatoué se questionna brièvement sur la phrase qu'il avait prise l'habitude de prononcer à chaque contrat. Si l'agent Uzi la trouvait stéréotypique et plate au possible, le mercenaire Clood J. Eastwint se devait de l'apprécier, telle était la contrainte de maintenir une couverture. L'homme à la peau brûlante sortit une bouteille de vodka de son sac et en avala une gorgée - pas encore entièrement habitué au goût de la liqueur traditionnelle des nomades, il grimaça en sentant l'arrière-goût de la boisson au fond de son palais. La chaleur de l'île, en revanche, devenait plus tenable au fur et à mesure qu'il supportait ce breuvage des Enfers. Le tueur à gages constata un instant qu'il avait désormais presque plus tué pour Sergueï que pour n'importe qui d'autre dans sa vie, puis se ressaisit rapidement.

Il récupéra la balle de l'arme du crime à même le corps du pauvre employé et, la bouteille fermée à la main, décolla en Geppou-Soru jusqu'au camp où il vivait depuis maintenant quelque temps.


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Le sniper aux dreadlocks réapparut à plusieurs mètres des premiers Manslouches en vue, prenant soin d'atterrir suffisamment violemment pour disperser le sable sous forme de minuscule tempête autour de lui pour que son apparition dans le décor ne paraisse pas trop brute. Il faiblissait déjà, mais se ressaisit du mieux qu'il le pouvait, aidé par la vodka dans son sang. Le fait d'avoir tiré dans la bouche d'un administratif ne signifiait pas une fin de journée pour lui, bien au contraire.
Après une traversée quotidienne du Camp Central, pas désagréable pour le tatoué qui voyait en des hommes et femmes si concentrés sur leurs tâches une forme de beauté, il se retrouva devant le siège de son nouvel employeur, manifestement occupé à faire un point avec l'un des membres du Camp Central.

"Donc les munitions de balistes en suc de cactus sont pas loin de doubler, si j'ai bien compris. Si si, c'est pas mal, mais c'est pas notre priorité. Comment avancent les frondes en lianes, vous avez trouvé un moyen de lancer les pyro-dials sans les cramer ? Mollo sur les tests quand même, les réserves sont pas infinies."

Le meneur se tourna vers son allié tatoué et fit signe au Manslouche de s'éloigner. Clood en profita pour entamer les éternelles négociations.

"Ça vaut bien quinze berries cette fois. Rien à signaler de ton côté ? Sûr que tu ne manques de rien ?"

Le petit borgne se racla la gorge et fit une moue rapide en guise de réflexion.

"Tout est bon chez nous. J'ai pas quinze à te donner, par contre."

L'homme à la peau brûlante reprit une gorgée de liqueur piquant la gorge.

"Un secrétaire de mairie, quand même. Quatorze si tu préfères."

Sergueï soupira, se retourna pour accéder à son tiroir et posa d'un geste las treize pièces dans la paume du demandeur.

"Celui-ci n'influait pas sur les décisions réfractaires à notre présence sur l'île. C'était juste un avertissement pour le shérif et sa clique."

Le chef Manslouche dévisagea le mercenaire, puis approcha son visage de lui comme pour lui faire une confidence.

"Je sais pas vraiment quoi te dire. Depuis que tu es parmi nous, notre territoire n'a pas arrêté de s'étendre. Pas seulement grâce à l'élimination pure et simple de l'opposition, aussi grâce à un soutien assez inattendu de la part de certains de ces abrutis du centre."

En guise d'illustration, le meneur indiqua d'un signe de tête rapide la présence de deux nouveaux venus sur le camp. Clood posa son regard sur les recrues et reconnut instantanément les deux hommes qui l'avaient aidé à trouver son chemin pour assassiner O'Chadley. Il fronça les sourcils, trahissant son étonnement de voir ces deux individus dans son nouveau chez lui. Le plus petit désigna le tueur à gages d'un air accusateur.

"Eh, que fait ce journaliste raciste demeuré chez vous ?"

Le tatoué dévia de nouveau son regard vers Sergueï, craignant grandement les représailles que pouvaient avoir cette simple phrase sur sa vie. Bien heureusement, il n'en fut rien.

"Je sais pas si j'ai une quelconque idée de ce qu'il raconte. Rien à foutre, aussi. On passe à ton entraînement, Eastwint ?"

Le mercenaire masqua du mieux possible son soulagement et acquiesça avant de hasarder une prise de nouvelles teintée de politesse plus que d'espérance.

"Et Gorilla ?"

Le chef des nomades fit un signe de tête négatif et soupira avant de marcher d'un pas décidé vers l'extérieur du camp.

"Toujours pas. Viens, j'ai une idée pour la séance d'aujourd'hui."


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Les deux hommes étaient torse et pieds nus sur le sable, vêtus chacun d'un simple short noir dont la hanche gauche était affublée de rayures blanches. Dépossédé de toute arme externe, le tueur à gages suivait le plus fidèlement possible les mouvements de poing effectués par le borgne. Après une quarantaine de coups dans le vide, le chef des nomades prit une pause en se posant les mains sur les genoux, rapidement imité par son élève. Ce moment de répit conduit Sergueï à faire un récapitulatif de ce qu'il avait observé pendant les vingt minutes qui venaient de s'écouler.

"Bon, apparemment tu as gagné en force et en équilibre au niveau de l'uppercut dérivé et du coup frontal opposé en projection, c'est un bon point."

Le meneur s'accroupit et dessina sur le sable de son doigt ferme. La silhouette représentée était Eastwint, à en croire le chapeau grossièrement tracé et les traits qui pendaient depuis la tête faisant sans doute écho à ses dreadlocks : il allait sans dire que le talent d'Ivan en dessin n'était pas de famille.
Sur le schéma, le chef Manslouche avait résumé le profil combatif du tueur à gages. Ses points forts étaient ses appuis chevilles, ses cuisses, son dos et ses poignets. Ses points faibles étaient sa poitrine, ses abdominaux et ses fessiers. Recat avait également créé une troisième catégorie : les biceps et les épaules du bonhomme en bâton étaient entourés plusieurs fois, montrant au tatoué qu'il s'agissait là de ses plus grosses lacunes.

"La température trop haute de ta peau influe sur celle de ton sang... et de tes muscles, qui ont plus de mal à sortir de la décontraction. Pour compenser, j'ai remarqué que tu avais développé une vitesse de réflexe et une souplesse assez impressionnante."

Luttant contre les brûlures que lui infligeait le sable aux pieds, Uzi réalisa à ces mots que son corps lâchait peu à peu à cause de la chaleur, ce pourquoi il avait plus de mal à contenir son accessibilité au Rokushiki qui prenait alors le relais. Il garda cette remarque en tête pour éviter le plus possible de trahir ses techniques d'agent lors de la poursuite de la séance.

"Beaucoup négligent les jambes. Toi, c'est pas ton cas, mais ça signifie pas que la négligence des bras est une meilleure solution. Je sais pas qui t'a prodigué cet entraînement, mais ça saute aux yeux qu'il t'a appris à frapper rapidement et à privilégier les solutions de repli, ce qui t'a conforté dans le contournement de ton problème. Depuis qu'on s'entraîne, je t'apprends à frapper bien, quitte à avoir un mouvement qui prend plus de temps, et je pense qu'on doit continuer là-dedans. Parce que là, ton problème, tu l'affrontes. Et il faiblit si tu l'affrontes, pas si tu le contournes."

Le sniper se gratta derrière l'oreille et, le souffle quasiment repris, souleva l'autre problématique cruciale.

"Ça explique beaucoup de choses, mais pas le penchant inverse de mon organisme. Que ma vigueur se revitalise dans des environnements froids ne fait toujours pas sens."

Le petit borgne acquiesça et reprit.

"Pour le coup je sais pas si c'est ça, mais je pense les températures basses incitent justement ton corps à se dépenser de manière plus rapide, pour qu'il puisse maintenir sa chaleur habituelle sans avoir à forcer ou à chercher à être efficace à tout prix. C'est tout bénef pour toi vu que ça colle avec ta manière de bouger en situation de combat.
Avec la chaleur, cette maintenance, cet équilibre fonctionne un temps mais finit par accélérer ton épuisement, puisque tu trouves des alternatives à ton manque général de contraction au lieu de l'entraîner directement. Pour cette raison que je vais t'inviter à faire les mouvements le plus lentement possible. T'en dis quoi ?"


Comme à chaque entraînement, le cerveau du tatoué intégrait beaucoup d'informations, mais celui-ci s'efforçait de tout retenir pour son propre développement physique. Il répondit rapidement pendant que le meneur sortait déjà sa bouteille miniature de vodka.

"Ça me semble cohérent, oui."

Sergueï, contrairement à son habitude, ne consomma pas directement la bouteille et se contenta de tendre le bras pour la montrer à son allié.

"Ça fait un moment que t'as décidé de commencer à en boire, pourtant personne t'y obligeait. Est-ce que tu sais pourquoi nous, les Manslouches, on consomme autant de ce machin ?"

Le tueur aux dreadlocks haussa les épaules.

"Physiologiquement ça doit permettre de libérer pendant un temps plus d'hormones qui favorisent l'énergie et la bonne volonté, non ? Sans parler de tout l'impact que ça a sur la psychologie, la confiance en soi, ça lève certaines barrières qu'on s'instaure nous-même inconsciemment et..."

Clood interrompit son analyse en s'apercevant que le chef la réfutait d'un signe de tête. Ce dernier reprit son récit.

"Enfin je te dis non, mais en fait si. Ça, ce serait l'alcool que tu peux acheter au marché de n'importe quel péquenot, sur East Blue ou autre. Nous, on boit une vodka spéciale. Elle a rien de magique ou de mystique ou je sais pas quoi, mais elle accompagne le peuple Manslouche depuis la nuit des temps. Nos ancêtres l'utilisaient pas vraiment comme remontant mais plus comme un vrai breuvage d'assaut. Leur énergie, leur tension musculaire, leurs connexions neuronales, tous ces phénomènes propices au combat s'en voyaient grimpés en flèche. Bon, faut dire aussi qu'ils en consommaient encore des quantités astronomiques par rapport à nous. Je te parle d'une période de scorbut et de peste, donc forcément le survivant moyen avait déjà un métabolisme en béton."

Il marqua une pause, puis reprit.

"J'ai jamais su quels étaient les ingrédients qui donnaient ces propriétés à notre vodka. Nos parents ont emporté le secret dans leurs tombes. Y a bien Ivan qui sait, mais t'as compris que c'était pas à lui qu'il fallait faire appel si on voulait mieux comprendre un truc.
Le plus intéressant c'est que les effets de la boisson sur le corps sont pas loin d'être permanents, et qu'ils ne nécessitent pas d'être entretenus. Si demain j'arrête de boire de ce machin, je garde quasiment la même puissance que si je continue. Je répète, c'est pas un enchantement stupide ou quoi que ce soit, juste des additifs dont personne ici ne connaît la nature. Bon, je te cache pas que ce bonus marche mieux dans le sang d'un Manslouche que dans le tien. Mais vu ton progrès, on dirait que ça porte aussi ses fruits sur toi."


Sergueï se mit à rire à l'idée que son nouveau partenaire de business, qui observait désormais le contenu de sa propre bouteille avec un regard médusé, aie mis si vite un pied dans sa famille.

"Cette merde est tellement ancrée dans notre culture qu'en consommer pourrait presque commencer à faire de toi l'un des nôtres. Comme si tu buvais du pur sang de Manslouche."

Trop de questions s'entassaient dans l'esprit d'Eastwint, qui reconnut en ce moment l'instant parfait pour entamer une discussion sur plusieurs choses avec son employeur. Plusieurs choses, y compris les sujets qu'il était temps pour lui d'introduire pour le bien de sa mission. Il invita le chef à s'asseoir à même le sable.


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"Ah ah, sérieusement ? J'imagine que découvrir les effets de l'alcool si tard ça fait pas bon ménage. T'as vraiment rétamé ces trois racistes ? Et réveillé une technique contre eux sans le faire exprès ?"

Le tatoué alluma brièvement ses Yeux du Diable roses en guise de confirmation.

"Tout est vrai. C'était sur Alba, après, c'est clairement un autre monde. Plus paisible en apparence, mais rempli de traditions fades et d'écervelés qui les défendraient au péril de leur vie. Je ne passais pas une bonne semaine, alors j'ai voulu tester plusieurs mélanges. Un peu trop brusquement apparemment."

La discussion ne déplaisait pas au mercenaire, qui pouvait ainsi reprendre tranquillement l'énergie dépensée lors de la séance tout en apprenant à connaître un peu mieux le meneur des nomades. Supportant les brûlures infligées par le sable, il glissa dans la discussion une phrase exprimant sincèrement sa gratitude, ce qui ne lui arrivait que très rarement.

"Merci d'avoir accepté de me prodiguer cet entraînement, Recat. Je ne pensais pas que de tels résultats arriveraient aussi tôt."

Le Manslouche lâcha un rictus nerveux.

"Je suis comme tous mes cousins, je combats sous cette chaleur infernale depuis la nuit des temps. C'est pas vraiment un effort énorme pour moi, je peux me permettre de te donner deux-trois astuces."

Après un silence de quelques minutes, Clood relança le dialogue.

"Depuis combien de temps vous êtes installés dans le désert ?"

Alors que la nuit tombait doucement, le borgne en profita pour faire part à son interlocuteur de ce qui semblait plus être une réflexion à voix haute qu'autre chose.

"Six mille trois cent quatre-vingt-sept jours que j'ai fait bouger la confrérie ici, aujourd'hui. Soit six mille trois cent quarante-neuf jours avant ta venue. Après quoi nos camps annexes ont soudainement pris beaucoup pris en superficie. On a amassé pas mal d'or des mines, même si c'est pas ça qui va nous ramener de la viande, entre nous. C'est surtout que l'influence politique d'Exact Town était déjà instable et montre clairement ses faiblesses. Et on dirait qu'une poignée de natifs d'ici répriment le système au point de sympathiser avec nous. C'est dingue quand même. On descend peut-être d'une lignée qui avait une autorité, une puissance et une aura incroyable, et on est pas si mal organisés que ça, mais à l'heure actuelle on reste quand même des gars et des femmes qui dorment dans des tentes. Que des habitants d'ici de pure souche préfèrent se joindre à nous plutôt qu'obéir à un shérif qui a quatre bâtiments différents pour travailler, des costumes fringants pour chaque jour de la semaine et des soins de luxe pour sa moustache... J'ai du mal à y croire. Surtout que c'était pas du tout le cas à ce point avant que tu débarques."

Le tueur à gages haussa les épaules.

"Je ne fais qu'appliquer tes directives. Les cibles, c'est toi qui les choisis. L'avantage de notre contrat, c'est qu'à travers moi tu atteins tes ennemis bien plus facilement, c'est tout. Mais c'est vrai que tu vises surtout Exact Town depuis qu'on travaille ensemble. Le reste de l'île ne t'intéresse pas ?"

Le petit borgne fit une moue traduisant son indifférence.

"Bof. Les Drognars c'est des chiffes molles, ils s'amusent pas à faire la course aux terres. D'ailleurs on a une zone qui empiète sur la leur et apparemment la cohabitation se fait sans encombres pour le moment, hormis deux-trois tentatives de nous cramer la gueule. Y a juste un rapport avec une histoire de robot blagueur qu'il faut que je règle, j'ai pas bien compris. Et si tu fais allusion à la morveuse qui tient l'entreprise avec les esclaves, pareil, pas de conflit majeur."

Le sniper se gratta le front avant de hasarder la question qui fâchait.

"Je privilégie toujours tes appels quand je suis sur Exact Town, mais mon escargophone est presque débordé en ce moment. Le Gouvernement Mondial me tanne. Ils m'ont retrouvé et me proposent de travailler pour eux."

Sergueï déglutit la vodka qu'il buvait d'un coup sec alors que le regard qu'il avait posé sur le tueur à gages devenait de plus en plus noir.

"Tu réalises que si tu te barres avant la fin de notre accord, tu deviendras un ennemi pour nous, Eastwint ? T'es supposé rester ici jusqu'à ce que Bruno soit en état de reprendre son rôle de Lieutenant. Et crois-moi, c'est pas encore gagné."

Clood fit un signe négatif de la tête, confirmant qu'il n'avait pas l'intention de trahir leur contrat.

"Non, je ne compte pas leur répondre pour le moment. Déjà parce qu'abandonner une promesse ne fait pas partie de mes principes, mais surtout parce que c'est plus pratique pour moi d'être votre allié à l'heure actuelle. Ils ont beau être les meilleurs payeurs à qui j'ai eu affaire jusque-là, c'est toute une culture dont je tire les bienfaits avec vous."

Le tatoué but à son tour allégrement dans sa propre bouteille dont il ne comptait pas se débarrasser pour le moment, bien qu'il en connaissait maintenant les propriétés plus que suspicieuses. Il avala et reprit en posant subtilement l'ultimatum de la discussion.

"En revanche, dés que ton frère sera sur pied, accepter leur offre sera probablement une nécessité pour moi. Et je ne te cache pas que ça m'ennuie de briser notre partenariat pour si peu. Vous me devez des choses et je vous en dois au moins autant."

Le Kid fronça les sourcils et se mit à poser son regard sur le vide, adoptant une expression faciale de méditation intense.

"Donc... tu nous proposes de nous affilier au Gouvernement ?"

L'homme à la peau brûlante acquiesça.

"C'est une proposition."

Le meneur était tiraillé entre la garantie que le quart-d'heure de gloire de la tribu prendrait fin s'il brisait l'alliance avec le tatoué et sa fierté de Manslouche doublée de sa peur d'être jugé par sa grande famille suite à une décision trop hâtive.
Il se contenta de laisser s'échapper un "hm" sec avant de prendre le sniper par le bras pour l'aider à se relever, et se dirigea vers le Camp en vue de regagner son siège. Il était clair que sa décision n'était pas prise.


Dernière édition par Tim Uzi le Ven 4 Déc 2020 - 0:16, édité 1 fois
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Tout est une question d'habitude.

À même titre que la chaleur diurne du désert qui, bien que ne le laissant jamais de marbre, était pour le tatoué beaucoup plus supportable qu'il y a quelques mois, la fraîcheur nocturne de son environnement de vie actuel avait également laissé à son corps le temps de s'y accoutumer. Il fallait dire que sa première nuit sur le camp avait été chaotique, aussi bien à cause du paramètre thermique que de la tentative de meurtre dont il avait été victime et dont il se rappelait encore jusqu'au moindre détail.
Comme si cette pensée avait été entendue et l'avait appelée à voix haute, il n'en fallut pas plus à l'agresseuse supposée en question pour entrer de nouveau dans la tente du chasseur de primes. Avec exactement les mêmes mouvements que pendant la première nuit. La démarche captée par les sens d'Eastwint était, cela ne faisait aucun doute, précisément la même. Par prudence plus que par chance, celui-ci avait déjà prévu l'éventualité que Recat cherche de nouveau à envoyer quelqu'un l'assassiner. Il allait sans dire que sa proposition d'alliance avec le Gouvernement, ayant sans doute refroidi drastiquement le meneur, était à l'origine d'un tel ordre. Aussi, ne pouvant plus être pris par surprise, il s'était équipé en conséquence et avait pris soin de ranger l'un de ses trois millimètres directement dans son caleçon. Presque entièrement aux aguets, une partie de ses pensées allaient cependant à une once de regrets quant aux moments passés avec ce peuple si riche. Tout ça allait malheureusement s'arrêter dés qu'il aurait dégainé et pressé la gâchette, avant de s'enfuir laissant l'assassine gésir près de son lit en peau. Tout comme tout ça aurait pris fin de manière prématurée s'il s'était laissé tuer la première fois.
Alors qu'il glissait discrètement, s'apprêtant à dégainer au moindre signe de menace, son œil droit hors du simple sac de couchage dont il était couvert, c'est ledit sac de couchage qui s'envola de lui-même.

La quatrième Lieutenante venait de le découvrir de toute protection thermique et était désormais à califourchon sur lui. Deux détails l'avaient pris au dépourvu. Premièrement, elle le tenait déjà : d'un mouvement rapide qu'il n'était quasiment pas parvenu à percevoir, elle avait tranquillement installé un couteau aiguisé sous sa gorge.
Deuxièmement, elle avait tronqué son jogging habituel par une simple culotte et son haut était tiré de sorte à laisser apparaître ses seins nus. S'il fallait comparer avec leur précédente altercation, ses intentions semblaient légèrement différentes dans le cas présent. Le sniper tenta de réagir avec sang-froid et avala un coup sa salive.

"Toi, c'est Natasha."

En guise de réponse, la jeune femme, qui malgré ses cernes apparents s'était apparemment maquillée plus proprement que d'habitude, approcha ses lèvres de l'oreille du tatoué tout en continuant de le menacer de sa lame.

"Laisse-toi faire."

Plutôt penaud et comprenant qu'il en était dans tous les cas fini de lui si elle en décidait ainsi, il posa simplement sa main sur l'arme qu'il avait glissée sous son sous-vêtement et s'exprima d'un ton gêné.

"Tu ne veux pas que je me débarrasse de ça, au moins ?"

La Manslouche hocha horizontalement la tête et, n'éloignant pas son arme de la gorge de son présumé otage, se contenta de baisser lentement son caleçon et de le poser à même le sable froid à leur droite, éloignant ainsi le colt de la portée du tueur aux dreadlocks, du moins dans la position dans laquelle il se trouvait actuellement. Elle se mit à sourire d'un air doux mais malicieux.

"Problème, solution."

La Lieutenante, faisant preuve d'une délicatesse plus que surprenante – du moins si l'on omettait la présence du couteau qui immobilisait toujours le tatoué au niveau de la gorge -, porta tendrement ses lèvres à celles du mercenaire à la peau d'encre. Tout en le caressant partout où elle le pouvait, elle colla progressivement son corps à celui de l'homme qui était à sa merci, jusqu'à exercer sur celui-ci une pression complète. Alors que les deux tueurs entraient en symbiose, le simple ordre naturel et biologique des choses fit le reste.

Pas que les rapports érotiques étaient un monde entièrement nouveau pour l'agent. Celui-ci, essentiellement dans le cadre de couvertures et de missions diverses et variées, avait déjà été amené à coucher avec plusieurs femmes pour le bien des instructions commanditées par son pôle. Mais il n'en était pas moins vrai que sa vie passée ne l'avait absolument pas habitué à ce genre de rapports au départ. Son profil n'avait jamais véritablement fait partie de celui qui attirait les femmes, disons, normales, et le fait qu'il avait passé la majeure partie de sa vie à ne pas boire une goutte d'alcool fermait entièrement les maigres possibilités qu'il avait de jouir des plaisirs charnels. D'ailleurs, lui-même n'était pas spécialement intéressé par ceux-ci, et ne ressentait aucun manque particulier vis-à-vis de cette pratique apparemment humaine dont l'expérience lui faisait défaut.
La découverte assez tardive de cet exercice, dans le cadre de l'une de ses premières missions au sein du CP5, n'avait pas non plus représenté une révélation de taille à ses yeux. Hormis le plaisir évident que ce moment avait offert à son corps, son esprit focalisé sur son objectif l'avait trop détaché de la situation pour qu'il y fût réellement impliqué. Ces instants supposés être intimes avaient, assez tristement, toujours été subis comme étant de banales contraintes de travail pour le tatoué. Ce n'était, par ailleurs, même pas la première fois qu'il avait une relation sexuelle sous la menace d'une arme.
Mais si cette fois paraissait différente des autres, c'était aussi et surtout qu'il ne s'attendait pas à une telle chose de la part de Natasha. Lui qui, du peu qu'il pensait avoir réussi à cerner de sa personnalité, la voyait comme un simple animal muet qui ne suivait que ses envies et ses pulsions, il n'avait pas imaginé qu'elle pouvait faire preuve d'une telle sensualité, d'une telle délicatesse. Et encore moins qu'il serait témoin de cette face cachée de la Lieutenante d'aussi près, bien qu'il avait déjà facilement pressenti qu'elle semblait voir en lui l'objet de ses désirs.

Le tatoué revint à la réalité alors que le moment fatidique se rapprochait. Non seulement de son côté, mais également de celui de la jeune femme qui semblait s'être placé la main sur l'entrejambe pendant son absence d'esprit pour se stimuler davantage. Contrairement aux fois précédentes, le plaisir qu'il ressentait était bien réel et intégral. Dans un élan d'oubli, il se risqua à se redresser doucement, bravant la pression de la lame sous sa gorge, pour que la Manslouche s'adapte en conséquence. En guise d'approbation, celle-ci éloigna son arme dans le même mouvement, la gardant cependant proche de la gorge du chasseur de primes. Leur position semblait alors idéale pour atteindre le point culminant du rapport.
S'il lui fallait prendre ce risque, c'était également pour le bien de son infiltration, après tout. Et il était de toute manière contraint d'en terminer, ne souhaitant pas avoir la gorge tranchée pour le moment. Il n'avait rien à se reprocher à l'heure actuelle. Alors qu'il bénéficiait progressivement d'un curieux gain de confiance, le climax eut lieu pour les deux partenaires.


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"Donc tu parles ?"

Assez embarrassé par ce qu'il venait de se passer entre eux deux, Eastwint tenta de désamorcer l'ambiance pesante par un début de dialogue. Le fait de ne plus avoir une lame sous la gorge l'aidait déjà à être un peu plus à l'aise. Installée à côté de lui et à présent réfugiée sous le même duvet, elle acquiesça de la tête et soupira.

"Mais eux, je leur ai déjà tout dit. Ils sont un peu fatigants. Y a qu'à voir comment ils traitent Yvan. Ça saute aux yeux qu'il peut tout prévoir, mais eux font pas l'effort de le prendre au sérieux. Moi je dis plus rien."

Le mercenaire fronça les sourcils, se rappelant que le Lunatique avait effectivement deviné son appartenance au Cipher Pol dés le premier coup d'œil. Encore une fois, il fit en sorte de démentir cette prédiction aussi subtilement qu'il le pouvait.

"Il a quand même quelques problèmes de temporalité, je rejoins Sergueï là-dessus."

La Lieutenante haussa des épaules et souffla du nez.

"Évidemment, imbécile. C'est pas une prédiction s'il la fait pas à l'avance. Mais on serait beaucoup plus efficaces si on intégrait ce qu'il dit dans nos stratégies... Sergueï veut rien entendre, donc j'ai fini par me taire. Toi, c'est différent. Et puis, on utilise peut-être pas les atouts que nous donne Yvan, mais on a les tiens. C'est vrai que tu nous aides pas mal depuis que tu vis avec nous."

Le tueur à gages hocha calmement de la tête.

"Donc ce n'était pas une tentative de meurtre commanditée par Sergueï après l'offre que je lui ai faite ?"

Il n'avait, après tout, rien à cacher à la Lieutenante, avec laquelle le meneur partageait certainement déjà ses réflexions sur ses éventuelles tactiques et ses éventuelles alliances. Celle-ci fit de nouveau un signe négatif de la tête.

"La première fois, on a bien essayé de te planter, par contre. Enfin... lui voulait que je le fasse. Mais disons que j'ai pas pu. J'aurais pu te finir en même pas une minute ce soir-là, mais si j'ai abandonné aussi vite, c'est parce que j'en avais pas envie. Tu m'intéressais trop."

Elle se retourna pour poser son visage contre son corps et se mit à caresser son torse.

"Tu sais, ça fait très longtemps que je vis avec mes cousins. Et avec mes frères. C'est pas évident de s'épanouir dans un environnement pareil. C'est loin d'être la vie de rêve. Normalement, un homme qui fait pas partie de la famille est pas supposé rester avec nous comme ça."

Le tatoué tenta la question qui fâchait.

"Vous ne faites pas... ?"

La Manslouche rit en comprenant quel était son sous-entendu, et répondit d'une voix douce.

"Bien sûr que non. T'as cru que j'allais coucher avec mes cousins ? Ça va pas ou quoi ?"

L'homme à la peau brûlante soupira en réalisant qu'il venait encore une fois de sous-estimer le peuple nomade et, sentant qu'elle n'avait pas fini son discours, se contenta de garder le silence.

"Et puis, j'aurais bien eu d'autres occasions si j'avais voulu. Mais je suis pas forcément habituée à être entreprenante, comme ça. C'est surtout que j'ai eu envie de toi, parce que t'es fort. Pas autant que moi, bien sûr. Ni que Bruno, et encore moins que Sergueï. Mais j'ai un peu observé quand tu t'entraînais avec lui, et des étrangers aussi forts, j'en avais jamais vu."

Le mercenaire fronça les sourcils et serra les dents, puis tourna légèrement la tête vers elle.

"Attends, tu me regardais quand je m'entraînais ? Et les missions que je fais à l'extérieur, tu..."

Elle souffla du nez et démentit sa crainte d'un mouvement de tête.

"Non. Sergueï ne me laisse plus sortir du camp central depuis un moment maintenant. Il dit que j'ai trop martyrisé les habitants de la capitale. Mais même, tu es fort. Ça se voit."

Pas loin d'être incapable de recevoir un compliment, le tatoué se contenta de hocher discrètement de la tête, puis de se racler la gorge.

"Je... Tu réalises que... Enfin, on ne s'est pas protégés, ni rien... Je ne veux pas que tu aies des soucis ou..."

Elle lui posa délicatement son doigt sur la bouche.

"C'est rien. C'est moi qui avait le couteau après tout, je me tiens comme responsable."

La Lieutenante rit tendrement alors que lui, ne trouvant pas très drôle une phrase qui le mentionnait dans une situation où il était soumis par une arme, se contenta d'une moue qui traduisait une opinion se rapprochant du "pas faux".

Après un silence d'une ou deux minutes qui n'était pas foncièrement désagréable, une interrogation vint à l'esprit de l'homme à la peau d'encre.

"Dis-moi, vous comptez tout en jours ? Quand je parle avec Sergueï ou même avec les travailleurs du Camp Central, on dirait qu'ils répertorient tout en nombre de jours."

Elle acquiesça calmement.

"Oui. C'est vrai que les autres peuples ont tendance à regrouper les jours, en semaines, en mois, en années. Nous on préfère se repérer simplement sur quand le soleil se lève, et quand il se couche."

Elle avait prononcé cette dernière phrase en mimant la trajectoire de l'astre avec ses doigts. Alors que l'atmosphère dehors était devenue plus vivante et le sable bien plus chaud, les deux tueurs furent forcés de constater que la journée venait de commencer sur le camp. Elle le regarda d'humeur joueuse et lui embrassa la joue une dernière fois avant de lui tapoter le dos pour lui indiquer qu'il lui fallait se lever et aller voir Sergueï pour son contrat du jour. Il s'exécuta, la laissant dans la tente de peur que qui que ce soit la voie en sortir et lui assure à nouveau de risquer une mort douloureuse. Il n'osait imaginer ce qui se produirait si Sergueï apprenait trop tôt ou trop mal ce qui s'était passé entre son nouveau collaborateur et sa sœur cadette.
Il se passa violemment et à deux reprises la main sur le visage, et réalisa à ce moment-même qu'il n'avait presque pas dormi de la nuit. La journée allait être rude. Il se dirigea mécaniquement vers le "trône" du borgne et leva les yeux vers lui pour les instructions du jour. Le balafré remarqua sa présence et hocha solennellement la tête.

"Salut Eastwint, tout va bien pour toi ? J'espère que tu t'es bien reposé parce qu'on attaque du très lourd. Il reste plus grand monde, hormis les très proches du shérif. Tiens."

Il lui montra un nouvel avis de recherche. Le tatoué pencha la tête pour reconnaître de quel portrait il s'agissait, et écarquilla les yeux en réalisant qui était représenté sur le papier que Recat venait de lui tendre. Le mercenaire n'avait pas réalisé qu'ils étaient allés aussi vite. Il leva la tête vers son employeur pour s'assurer qu'ils parlaient bien de la même personne.

"Commissaire Alexander Bendalah, un proche incontesté de la famille du shérif. C'est bien celui auquel tu penses. Disons qu'on avait pas de soucis avec lui, jusqu'à ce qu'on apprenne qu'il planifiait ni plus ni moins de faire une descente organisée dans les trois camps annexes pour fumer tous mes cousins. Et toute notre main-d'œuvre, accessoirement."

Le tueur eux dreadlocks soupira, réalisant à quel point il s'attaquait à un gros poisson et à quel point son manque de sommeil pouvait lui porter préjudice. Il interrogea le petit chef Manslouche du regard pour avoir plus de détails.

"Il a convaincu les autres en appuyant sur nos vols à répétition dans les étalages et dans les fermes. Le truc et tu es bien placé pour le savoir, c'est que ça fait maintenant quelques temps qu'on vole plus rien. Et ce grâce à ton aide. Donc il cherche probablement juste à nous exterminer, de manière gratuite."

Le sniper se secoua la tête et saisit de sa main droite la bouteille de vodka que le borgne lui tendait, avant de répliquer par la phrase de vérification habituelle.

"Entendu. Gorilla ?"

Sergueï fit un signe de main exprimant la négation.

"On a cru, à un moment. Mais non, toujours pas. Au fait, tu as vu Natasha ?"

Recat n'eut pas le temps d'avoir sa réponse que le tatoué s'était déjà équipé et fonçait à présent hors du camp, en vue de se débarrasser du gros morceau qui l'attendait le plus vite possible. Le meneur soupira, déjà habitué à ne pas toujours être écouté.

HRP:


Dernière édition par Tim Uzi le Ven 4 Déc 2020 - 0:04, édité 1 fois
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"Je ne suis pas serein par rapport à tout ça, Sergueï. Vraiment pas."

En effet, depuis presque deux semaines, Eastwint doutait. Après plusieurs nuits passées avec ou sans la compagnie de Natasha, il en venait à douter sérieusement de plusieurs choses. Son contrat sur le commissaire Bendalah il y a plusieurs jours de cela lui avait déjà quasiment coûté la vie, le tatoué s'en étant sorti in extremis grâce à un soulèvement de plusieurs civils venus le soutenir de manière complètement improvisée. Mais au-delà de la blessure que cette victoire amère avait laissé sur sa fierté, le chasseur de primes était très dubitatif quant à l'absence de mouvement du côté du shérif de Hat Island et de ses sympathisants.
Tout allait trop bien pour eux, et il s'en était rendu compte après avoir été remercié par Natasha plusieurs fois. Trop peu de réponse se laissait entendre en face, et ils ne pouvaient pourtant pas ne pas s'être aperçus du nombre ridicule et réduit jour après jour d'alliés restants de leur côté. Même le plus stupide des hommes n'est pas aveugle. Et un ancien Amiral avait par ailleurs montré à l'Histoire que même un homme aveugle n'était pas aveugle à ce point. Il allait sans dire, pour le sniper, qu'une contre-attaque était en préparation de l'autre côté. Ce pourquoi il s'était permis de convoquer Yvan, Natasha et Sergueï lui-même en réunion d'urgence.

"Je sais que ça ne fonctionne pas comme ça. Je suis l'exécutant, et je ne suis pas supposé m'occuper des stratégies."

Le petit borgne but une moitié de bouteille de vodka cul-sec et répliqua aussitôt.

"C'est vrai, t'es pas supposé. Alors pourquoi tu vas quand même fouiner dans la partie qui te concerne pas ?"

Le mercenaire soupira, et hocha lentement la tête par réflexe.

"Je pense que ça nous concerne tous, justement. Aussi bien toi, tes Lieutenants, ceux du Camp Central et des camps annexes que moi-même. C'est pour ça que j'ai demandé à voir tous les Lieutenants maintenant. Sauf Gorilla, puisse-t-il se rétablir convenablement."

Il leva la tête vers le meneur pour le regarder dans les yeux, essayant inconsciemment de capter l'attention de Natasha, qu'il savait désormais parfaitement apte à raisonner, dans le même temps.

"Mets-toi à leur place. Les vies s'éteignent les unes après les autres de leur côté. Tu crois vraiment qu'ils n'ont encore rien remarqué à l'heure où je te parle ?"

Sergueï haussa les épaules, ne semblant pas éprouver l'ombre d'une inquiétude.

"Pourquoi pas ? Ce sont des imbéciles."

Le tatoué plaça ses deux mains de manière parallèle pour espérer clarifier son propos.

"Tous les humains ont un instinct de survie. Et tous ceux qui ont une certaine puissance, ou une certaine autorité, ont le sens du confort et la crainte de perdre le statut qu'ils ont. Que ce soient des imbéciles ou pas. Et crois-moi Sergueï, si c'étaient de vrais imbéciles, ils auraient foncé tête baissée à la première occasion et auraient fini la tête sur une pique. Là, ça fait bien trop longtemps qu'ils ne réagissent pas. Ils vont forcément nous la mettre à l'envers à un moment où à un autre."

Le chef Manslouche ouvrit les bras vers le ciel et regarda autour de lui.

"Et qu'est-ce qu'ils vont faire ? Nos camps ont déjà quasiment gagné un quart du territoire de l'île, et une bonne partie des habitants de la capitale nous expriment déjà leur soutien. Pas vrai les gars ?"

Il avait formulé cette interrogation en se tournant vers les deux gaillards qui avaient guidé le tatoué pour son premier contrat, désormais accompagnés d'une dizaine d'autres mastards d'Exact Town de toutes formes et de toutes tailles. Apparemment faisant désormais partie intégrante du Camp Central, ceux-là répondirent en montrant le tueur aux dreadlocks du doigt.

"Ouais ouais. Mais vous l'avez pas viré lui ? C'est un connard de raciste on vous dit !"

Le balafré soupira et se mit la main devant la bouche, s'adressant de nouveau au chasseur de primes.

"Faudra vraiment que tu m'expliques ça d'ailleurs. Bref, tu te doutes bien que je sais parfaitement qu'ils vont essayer de nous avoir, Eastwint. Ils ont beau être faibles, ils ont le sens du challenge et vont pas laisser leur influence et leur pouvoir faiblir comme ça, sans rien tenter pour les récupérer. Mais c'est surtout que je vois pas bien ce qu'on a à craindre d'eux à l'heure actuelle. On a des ressources, l'or commence doucement mais sûrement à rentrer, sans parler des bateaux recyclés d'On vous jure c'est p... j'aime pas ce nom, sans parler des bateaux recyclés dans lesquels on a commencé à investir. On parle beaucoup plus aux civils, on leur apporte une vision nouvelle et on fait pourtant que mettre en évidence des lacunes que leur gouvernement avait déjà depuis un moment. En combat pur et simple, je prends facilement le meilleur d'entre eux, même Natasha. Même toi. D'ailleurs on t'a toi aussi, c'est pas rien. Et surtout, on a rempli nos réserves d'arbalètes artisanales à petits cailloux, je sais pas si tu me suis."

Il se tourna vers sa sœur avec un regard légèrement complice pour obtenir confirmation, mais son haussement d'un sourcil lui fit comprendre à quel point la dernière phrase était décevante par rapport au reste de son discours. Le tireur d'élite se retint de lui dire qu'il était trop sûr de lui, et préféra appuyer sur l'autre faiblesse de son raisonnement. C'est un souci que l'agent avait déjà beaucoup moins, puisque ses supérieurs et coordinateurs lui enseignaient justement comment ne s'attacher à rien ni personne dans la mesure du possible et ne considérer comme importants que les éléments qui permettraient d'attendre le but de la mission. Mais Sergueï dirigeait ici une grande famille, ce qui soulevait encore d'autres problèmes. Le sniper tenta de lui expliquer le plus clairement possible.

"Les Manslouches sont tous tes cousins. Ce sont tous des Recat. L'ennemi le sait probablement, et même si c'est votre plus grande force, ils peuvent retourner ça contre vous. Si j'essaie de penser comme eux, c'est ce que j'aurais fait. C'est toujours efficace de mettre en danger ce à quoi l'adversaire tient."

Comme illuminé d'un coup, Yvan montra l'homme à la peau encrée du doigt et écarquilla les yeux.

"Lui vrai, eux menacer cousins ! LUI VRAI, EUX MENACER COUSINS !"

Le meneur ne prit même pas la peine de regarder son aïeul et se contenta de lever sèchement son bras vers son visage pour le faire taire.

"Ta gueule Yvan, on essaie de discuter."

Le leader des nomades s'adressa de nouveau au chasseur de primes.

"Commence pas à l'écouter lui, je te préviens. Une fois, il m'a baragouiné un truc sur des dinosaures qui lui mangeaient ses cheveux, je sais pas quoi. Laisse tomber."

Comme outré par ce qu'il se passait, le sniper soupira et regarda la quatrième Lieutenante dans les yeux, espérant obtenir du soutien de sa part. Celle-ci lui répondit d'une mine résignée, mimant une fermeture éclair devant sa bouche. Il se tourna une dernière fois vers son employeur.

"Je t'en prie Sergueï, essaie d'entendre raison. C'est votre sécurité à tous mais aussi la mienne qui est en jeu."

Le chef avança légèrement son visage vers son interlocuteur, visiblement vexé d'être pris de haut.

"Justement, j'entends raison. Et la raison me dit que cette réunion est finie et que j'ai soif, je sais pas si tu vois ce que je veux dire."

Le petit borgne fit signe au tatoué de déguerpir, avalant déjà goulûment sa fin de bouteille d'alcool pur. Le tireur d'élite se leva, mais tenta une dernière question.

"Entendu. Et concernant ma proposition ?"

Le meneur montra des signes clairs d'avalement de travers avant de s'éclaircir la gorge et de reprendre la parole.

"Toujours rien. Et tant que je serais pas revenu vers toi de moi-même, c'est que j'aurais pas de réponse. Allez, pas besoin d'aller chercher la viande pour cette fois, repose-toi aujourd'hui. Peut-être que ça te rendra moins anxieux."

Déçu de ne pas avoir réussi à convaincre le chef Manslouche, le tatoué fit volte-face et marcha vers sa tente. Il lui fallait tout de même prévoir ce qu'il pouvait prévoir avant qu'il ne soit trop tard. La prise d'otages lui paraissait évidente à entreprendre du point de vue de l'ennemi, mais il ne pouvait agir sans avoir reçu de consignes de la part de Sergueï, aussi devait-il garder ces réflexions à l'état de pensées théoriques. Voilà qui était frustrant. Il devait de toute manière contacter son coordinateur d'ici six heures, ce qui lui permettrait d'en parler directement avec son véritable employeur.
Bien qu'il avait été invité à se dispenser de cette tâche, le mercenaire tenait tout de même à aller acheter de la viande au marché, aussi s'éloigna-t-il du camp et, comme à son habitude, décolla en Geppou-Soru une fois certain qu'aucun témoin n'était présent.



-------------------



L'agent se tenait à l'extérieur du second camp annexe, déjà suffisamment éloigné de celui-ci pour ne pas éveiller de quelconques soupçons. Les six immenses morceaux de bœuf qu'il avait ramenés du marché d'Exact Town et gardés auprès de lui depuis son atterrissage étaient posés sur le sable froid, protégés par une sorte de film en papier. Il faisait déjà nuit depuis une heure ou deux, et Uzi parlait à son Camo Den Den, affublé du même chapeau que lui, de la voix la plus basse qu'il pouvait sortir de ses entrailles. La mission avait beau s'étaler sur la durée, le coordinateur n'avait pas changé ni fonctionné en roulements, ce qui rendait la communication plus pratique encore, d'autant que celui-ci était particulièrement méticuleux.

~ Bonne idée que d'avoir mis en place un planning pareil, agent Uzi. Les heures et les jours lors desquels nous sommes amenés à nous contacter ne sont pas réguliers et semblent complètement imprévisibles. Le Cipher Pol devrait faire ça bien plus souvent. ~

Le tatoué fit un grand mouvement de bras.

"Ce n'est vraiment rien. Je tiens moi aussi au bon déroulement de nos objectifs."

~ Que vous soyez resté vivant aussi longtemps au sein des Manslouches témoigne déjà de votre capacité à mener la mission à bien. Pour peu que rien ne se mette en travers de notre but actuel, vous pourriez ressortir de cette île avec un nouveau peuple allié presque imminent pour le Gouvernement. Ravi que ma proposition d'alliance ait porté ses fruits. Après avoir retourné le problème de fond en comble, c'était la seule solution viable à mes yeux. ~

Le sniper acquiesça et répliqua calmement, tentant de poser les limites de tout ce qui pouvait s'apparenter à des bonnes nouvelles sur la situation présente.

"La communauté Manslouche se porte bien. Une grande partie des richesses de l'île commence déjà à s'orienter vers eux. Et leur voix politique grandit considérablement, comme si les habitants avaient depuis longtemps besoin de cette opposition au shérif actuel. L'unité s'est créée de force, il faut croire. Pour peu qu'il s'y mettent sérieusement et intelligemment, les Manslouches pourraient très bien reprendre le contrôle de Hat Island. Je dis ça tout en mesurant chacune de mes paroles. J'imagine presque cette île mieux fonctionner sous leur étendard que sous son gouvernement actuel. D'autant que je suis tombé sur un élément très intéressant dans leurs objets trouvés. Mais là n'est pas la question, on a deux problèmes."

Le responsable du Cipher Pol semblait boire les paroles de l'agent, ce qui était un bon point et lui prouvait que sa propre conviction était perceptible dans ses paroles.

~ Je vous écoute. ~

L'homme à la peau brûlante fit plusieurs mouvements avec sa main droite comme pour illustrer dans le vide les idées qu'il était en train d'organiser dans sa tête.

"C'est vrai que ce peuple serait très précieux pour le Gouvernement s'il en venait à devenir notre allié, mais... Recat ne semble toujours pas séduit par cette idée. Comme vous le savez, je lui ai parlé de cette offre en expliquant que le Gouvernement avait contacté Eastwint pour qu'il travaille pour eux. Et Recat n'est pas un ignorant, loin de là. Il sait qu'il risque gros s'il laisse tomber Eastwint et craint de perdre ce qu'il est parvenu à construire avec lui, mais il sait également qu'il risque gros en s'alliant publiquement au Gouvernement et craint de perdre la confiance et l'estime de son peuple, de sa famille, au final."

Le coordinateur semblait davantage réfléchir à haute voix que tenter de communiquer avec le missionnaire.

~ Très étrange. Vous lui avez exposé en détail les bénéfices estimés pour son peuple par mois, sans compter la sécurité haut de gamme qu'on leur offre ? ~

Uzi fit un signe de tête négatif dans le vide, avant de se reprendre et de répondre.

"Eastwint est supposé avoir décliné au premier abord la proposition des offrants. Il serait trop suspect de sa part de connaître en détail quelles sont les modalités du contrat. De plus, c'est le genre de choses que Recat n'aurait pas cherché à vouloir entendre."

Le responsable des services secrets soupira.

~ Laissons-lui le temps. Il reviendra sans doute vous donner une réponse positive lorsqu'il comprendra que c'est la meilleure solution pour tout le monde. Et la seconde problématique à laquelle vous faisiez référence ? ~

L'agent armurier prit cette fois un ton dur et froid.

"Les Manslouches vont se faire prendre en embargo. Il va y avoir prise d'otages et les stratégies les plus vicieuses que les forces du shérif pourront mettre en place, j'en suis convaincu. J'ignore si je pourrais y remédier à temps, d'autant plus que Recat croit fort en la souveraineté de ses propres forces et refuse de m'en donner l'ordre. Vous savez mieux que moi que mes instructions pour cette mission m'interdisent formellement d'aller à son encontre."

Le coordinateur laissa s'échapper un "oh" d'étonnement et proposa immédiatement une alternative.

~ Je peux vous envoyer directement une garde rapprochée sous couverture. Le risque concernant la découverte de votre identité est un peu plus grand mais il semble que l'enjeu s'y prête. Je ne l'ai pas fait car il semblait que le besoin ne s'en faisait pas ressentir jusqu'ici, mais c'est toujours possible. ~

L'agent réfuta la proposition d'un mouvement de tête, avant de verbaliser son refus.

"Il ne s'agit pas de moi mais d'eux. Et je n'arriverais pas à justifier la venue impromptue d'une garde rapprochée, pas devant lui, qu'elle soit sous couverture ou pas. La situation est gérable pour le moment, je vous remercie mais je dois décliner. Vous saurez s'il y a du nouveau dés notre prochain appel dans tous l..."

Le tatoué se crispa. Il avait bien entendu une série de pas précipités dans le sable, qui se dirigeaient vers lui et s'étaient arrêtés nets. D'une variante la plus discrète possible du Kami-E, il fit pivoter sa tête sous un angle puis sous un autre pour finalement réaliser qu'il ne s'agissait que d'Ivan, qui venait d'accourir auprès de son nouvel ami en portant plusieurs bols en bois remplis d'eau. Son regard fixe se rapprochant de celui du pigeon, ou du moins de l'oiseau curieux, se balada brusquement vers toutes les facettes de son champ de vision avant de s'arrêter net sur le visage du tireur d'élite, réalisant sans doute que l'allié de son peuple était en pleine conversation escargophonique.

~ Secrétariat nord de la mairie d'Exact Town, vous êtes toujours avec nous ? ~

L'agent à la peau brûlante se détendit et porta le combiné à sa bouche de nouveau.

"Rien à signaler, ce n'est que le médium. La fille le croit, mais elle ne parle jamais. Du moins pas en la présence de Sergueï. Tout est sous contrôle."

~ Gatcha. ~

Le tatoué n'eut pas de mal à se rendre compte que la communication avait déjà été coupée à l'autre bout du fil, sans doute par simple précaution. Il regarda le Poète dans les yeux, et rangea son Camo dans son sac. L'aîné semblait parfaitement comprendre la situation, malgré son manque évident de capacités à la verbaliser en phrases claires et complètes.

"Téléphone Cipher Pol ?"

Le sniper soupira et acquiesça calmement, comme un père qui écoutait les délires fantasmés de son enfant, tandis que l'enfant en question posait déjà avec un enthousiasme des plus étonnants la quinzaine de petits bols d'eau qu'il semblait avoir préparés avec soin sur le sable frais.

"Oui oui, si tu veux."

L'illuminé renversa brutalement le contenu de cinq de ses bols sur le sable et commença à pétrir celui-ci afin de lui donner forme. Par réflexe, Eastwint retira ses pieds de l'endroit où l'eau s'était échappée, se décalant de quelques centimètres en tirant le short noir aux trois petites rayures blanches auquel il s'était maintenant accoutumé. Ivan semblait concentré dans sa tâche de mise en forme des minéraux, mais semblait insister pour que le tatoué admire son œuvre.

"Regarde là moi je fais !"

Le tueur à gages s'accroupit pour observer le résultat du travail acharné et passionné du vieux bambin, qui n'allait sans doute pas tarder à arriver vu l'efficacité qu'on lui connaissait dans la création de diverses choses.
Deux masses se distinguaient de la sculpture de sable, comme deux hommes qui semblaient se battre. Tous deux avaient des cheveux longs qui leur arrivaient au moins jusqu'au bas des omoplates. L'un était torse-nu et portait un simple pantalon large et de simples chaussures, l'autre au contraire semblait couvert de partout, et portait un bandeau étrange sur le front. Cinq autres bols d'eau partirent délicatement sur les deux formes, qui furent un peu plus détériorées après ce choc hydraulique. Le tatoué se dit d'abord que ce n'était pas judicieux de détruire partiellement sa propre œuvre en progression, avant de réaliser que le Poète savait parfaitement ce qu'il faisait. Concernant nos deux hommes, leurs coupes de cheveux s'affinèrent au fur et à mesure et devinrent des dreadlocks claires et nettes.

Uzi fronça les sourcils et avala sa salive, alors que les deux coiffures lui évoquaient dangereusement son village natal. L'homme qui était représenté debout portait des lunettes noires à grosse monture et son visage était illuminé par un grand sourire, appuyé par deux petits piercings à la lèvre inférieure – Ivan était décidément monstrueusement doué pour les détails, sachant que ce genre de touches était quasiment inatteignable lorsqu'on utilisait un matériau tel que le sable. Son corps était recouvert de tatouages différents de ceux que le sniper avait lui-même et sa morphologie laissait entendre qu'il s'agissait d'un homme noir. Celui qui était représenté à terre avait une barbe massive bien que taillée qui se précisait, et ses dreadlocks foncées à la racine devenaient claires plus tôt que celles du sniper ; il avait cependant des traits faciaux similaires et un eyeliner venait appuyer ses cernes déjà conséquents en dessous de ses yeux.

Il s'agissait de son père. Pas d'Eastwint, cela allait de soi, puisqu'il était bien connu qu'Eastwint n'avait pas de famille. Non, il s'agissait de Roberson Uzielgin, père de Timmerson Uzielgin, qui gisait sur le sol. Il était mourant.
La sculpture d'Ivan représentait la mort du père d'Uzi, manifestement tué par cet homme. Le tatoué, les yeux écarquillés, cessa de fixer la scène d'une précision frappante sculptée dans du sable et regarda de nouveau l'illuminé, attendant le maximum d'explications qu'il pouvait obtenir. Le Poète, en guise de réponse, le montra à nouveau du doigt, puis mima une montre sur son poignet gauche.

"Toi papa danger, pas maintenant ! Bientôt ! BIENTÔT !"

Stupéfait, l'agent ne put observer plus longtemps la statue de micro-pierres refroidies par la nuit désertique que le médium avait déjà violemment versé le contenu des cinq bols restants sur les deux silhouettes, détruisant volontairement d'un coup sec son propre travail. Ivan se redressa d'une manière improbable et complètement déséquilibrée, prenant le bras de l'homme à la peau d'encre pour l'inviter à faire de même. Il lui montra son sac et les six portions encore intactes de viande.

"Maintenant toi dort et Natasha !"

Tentant tant bien que mal de stopper l'invasion de son esprit par cette image, le tatoué s'exécuta et récupéra ses grosses cargaisons avant de décoller pour rejoindre le Camp Central. Cette vision traumatisante n'allait pas le quitter tout de suite et, bien heureusement, il comptait au moins sept jours avant que l'ennemi ne parvienne à s'organiser pour menacer les camps. Il n'allait probablement pas être en état de protéger quoi que ce soit avant ces sept jours, abasourdi par les informations qu'il était parvenu à saisir de cet instant passé avec l'aïeul.

Une fois suffisamment loin des regards mais suffisamment près du camp, il reprit son trajet à la marche et se hâta de déposer les six morceaux de bœuf dans la réserve avant de foncer droit vers sa tente, encore une centaine de questions dans l'esprit. Il savait que la Lieutenante l'y attendait mais, comme Eastwint avait à priori grandi comme un orphelin, il lui était impossible de lui confier ce qui venait de se dérouler, même en infime partie. Lorsqu'il atteint le seuil de la tente et vit la mine faussement boudeuse mais sincèrement interrogative de Natasha, qui l'y attendait probablement depuis plusieurs heures, il haussa des épaules et chuchota.

"Ils ont dit que j'avais volé la viande, alors que je l'ai achetée. Ils n'ont pas voulu lâcher l'affaire, ça a été long de se dépêtrer de tout ça."

Il s'installa auprès d'elle, pour le coup incapable de réfléchir à l'attaque des forces du shérif. Trop de questionnements du côté de l'agent prenaient ce soir le pas sur les questionnements du mercenaire. Tant de travail des méninges le fit cependant s'endormir sans difficulté. Le sommeil ne tarda pas à opérer.


Dernière édition par Tim Uzi le Ven 4 Déc 2020 - 1:09, édité 2 fois
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Le vent était particulièrement violent en cette longue journée. Le chasseur de primes était certes habitué, depuis le temps où il vivait avec les nomades, à un temps pareil comme il commençait à s'accoutumer au contraste presque lunatique entre la chaleur infernale du jour et le froid glacial de la nuit ici même.
Mais le vent ici n'était pas seulement d'ordre météorologique : il venait également de se prendre un ouragan magistral de la part de l'infime partie de visage qui se laissait apparaître de l'autre côté de la forteresse. L'unité sur cette île n'était définitivement pas encore chose entièrement acquise, malgré ses efforts d'élimination du gouvernement en place à la capitale actuelle et, plus récemment, de diplomatie. Ici, ce qui semblait être le gardien de l'entrée du village non-violent de Fortifio était manifestement en train de refuser le dialogue.

"On y réfléchira."

Le mercenaire, dont les quelques mois passés à discuter tactique avec Recat avait rendu un peu plus enclin à la discussion, pencha la tête et soupira, gardant son expression neutre.

"C'est une manière polie de dire que vous n'êtes pas intéressés ?"

Les yeux qui le fixaient derrière l'interstice créé dans la pierre effectuèrent un roulement avant de revenir à leur place. L'autre reprit d'une voix blasée.

"C'est une manière polie de dire qu'on y réfléchira. Nous, on est juste des travailleurs qui veulent être laissés en paix. Pas des avides de baston comme vous tous. Donc on y réfléchira. J'ai été plus clair, j'espère."

Le tatoué souffla un bon coup avant de laisser son interlocuteur fermer de lui-même la pierre coulissante qui lui servait de sécurité. Il regarda son propre corps : avait-il tant l'air que ça d'un amoureux de la bagarre, désormais ? Il était vrai que l'entraînement de Sergueï, dont l'efficacité n'était plus à prouver, lui avait garanti un développement visible de la masse musculaire, mais son ossature le trahissait et il lui semblait pourtant qu'il avait encore la silhouette du grand dégingandé qu'il avait toujours été. Tout en s'éloignant doucement de la carapace de pierre que ces civils appelaient "village", il jeta son bras vers l'arrière et sortit son Camo, toujours affublé du même bon vieux chapeau brun, de l'une des poches de son immense sac. Le meneur Manslouche ne se fit pas prier pour décrocher.

~ C'est toi, Eastwint ? Qu'est-ce que ça dit du côté de Fortifio, alors ? ~

Le chasseur de primes soupira.

"Pas gagné d'avance. Ils vous... nous voient comme des bêtes sauvages qui ne pensent qu'au conflit, à même titre que les cowboys d'Exact Town. C'est clair qu'ils n'ont jamais vu le fonctionnement des camps."

L'homme à la peau d'encre nota son usage inconscient bien qu'appuyé du "nous", se questionnant dans le même temps quant à son détachement réel par rapport à sa couverture. Deux jours s'étaient écoulés seulement depuis qu'il avait appris que son père serait prochainement victime d'une tentative d'assassinat. Car oui, Ivan était un véritable médium et, tout comme Natasha bien avant lui, il avait eu l'occasion de s'en rendre compte. Ce qui signifiait qu'il ne pouvait pas non plus se tromper sur ce genre de choses.
Pourtant, l'agent se demandait sincèrement ce qui pouvait bien mener son père à se retrouver dans une telle situation. Les derniers souvenirs qu'il avait de lui, avant de quitter l'armurerie à vingt-et-un ans, était plutôt ceux d'un homme couard et prostré, vieux bien avant d'en avoir l'âge, qui n'avait jamais eu le courage de suivre de vraies ambitions et qui n'avait manifestement aucune motivation pour ne serait ce qu'essayer de rattraper le temps perdu. Ce qu'il avait pu lire du journal de son propre père, depuis avant même sa naissance jusqu'à sa fugue en passant par le départ de sa mère, qui avait laissé le marchand seul avec un enfant aux émotions amoindries, confirmait ces intuitions. Roberson Uzielgin était, cela allait sans dire, un peureux. Comment diable pouvait-il se retrouver confronté à cet homme, manifestement Alegrian lui aussi, et apparemment beaucoup plus puissant que lui, qui n'était pas réputé pour sa capacité à mettre en application ses connaissances théoriques sur les armes ? Le père de l'agent allait-il véritablement prendre un risque, chose qu'il n'avait jamais faite jusqu'alors ? Et surtout, pourquoi s'en prendre à un simple commerçant tel que lui ? Quel péril pouvait bien représenter quelqu'un d'aussi insignifiant ? L'entièreté de cette scène, pourtant dépeinte avec clarté et précision par le Poète, dépassait complètement le tatoué.
Heureusement, celui-ci fut rappelé à l'ordre par son mentor et allié du moment. S'était-il véritablement attaché aux Manslouches à ce point, alors même que sa véritable identité croulait sous de telles informations ? Il ne savait décidément plus où se mettre. Il laissa la voix du petit borgne le ramener à la réalité.

~ Ah, je le savais, bon sang... J'aurais du envoyer Soeren à ta place. Ne le prends pas mal mais apparemment les négociations c'est pas ton fort. ~

Le sniper reprit le plus vite possible sa fonction, se rapprochant désormais presque plus du consigliere que du simple tueur à gages, et se racla la gorge avant de rétorquer.

"Soeren est trop impulsive, Sergueï. Après un échec ou deux, elle aurait fini par tout brûler. "

Le mercenaire jeta un œil à la forteresse et, au fur et à mesure qu'il s'en éloignait, se demandait si même ses propres balles pouvaient ne serait ce qu'égratigner une telle chose. Il sortit une bouteille de vodka, en but un quart d'un coup et reprit des nouvelles de l'autre bout du fil.

"Et vous, avec CE ? "

Serguei poussa un "hm" de réflexion avant de prendre une demi-douzaine de gorgées de son élixir et de se gratter la nuque d'un air faussement modeste.

~ Écoute, ça avance pas trop mal en vérité. On a réussi à avoir un micro-entretien avec la petite. Ils veulent pas stopper la production de cette "Bière Hat", ce que je comprends vu que c'est leur fond de commerce, mais on envisage de commencer à commercialiser notre vodka chez eux. Enfin notre vodka, une version allégée, je sais pas si tu vois ce que je veux dire, on va pas laisser n'importe qui boire la recette originelle. On dirait qu'ils sont en mesure de séparer les additifs de l'alcool, et ils pourraient même nous aider à enfin savoir ce qu'il y a là-dedans. ~

Le tireur d'élite répondit par une moue silencieuse d'admiration.

~ Elle nous a aussi expliqué deux-trois trucs à propos des Drognars. C'en est une après tout. Apparemment cette histoire de robot blagueur, c'est vrai, et c'est même lui qui leur sert de chef. Elle m'a aussi parlé d'un message divin qui leur aurait ordonné de venir vivre ici, mais honnêtement j'y crois moyen. Elle y croit pas non plus d'ailleurs. Moi qui finissait par me demander si on avait pas l'air ridicules d'être débarqués ici juste parce que l'île était en vue. Ils ont visiblement pas plus d'excuses que nous. ~

Le chasseur ferma es yeux en se rendant compte qu'il allait avoir quelque chose à dire au chef avant son départ. Sa méditation rapide fut interrompue par ce qui s'apparentait à un mouvement de panique du côté du Camp central. Le borgne recevait manifestement de très mauvaises nouvelles de la part de l'un de ses cousins.

~ Alvör, tu te fous de ma gueule ? Le premier camp annexe ? Bordel, Eastwint, tu m'entends ? Ça m'apprendra à pas t'écouter, reviens dés que tu peux ! Non, maintenant ! ~

Le tueur à gages rouvrit presque instantanément les yeux et se raidit. Déjà ? Les sept jours de préparation qu'il avait estimés du côté opposé étaient encore loin devant.
La situation pouvait difficilement s'empirer, pensait-il, mais une seconde mauvaise surprise le retint de décoller à toute vitesse pour aider les nomades. Son regard, orienté vers n'importe quel angle, n'était pas en train de le trahir : il était bien encerclé par une formation lointaine de carabines, toutes braquées sur lui. Alors qu'il réalisait qu'il n'avait pas le temps de comprendre ce qu'il se passait, un mécanisme de défense au sein de son corps activa hâtivement son deuxième niveau des Yeux du diable – le même niveau qui, plongeant quelques âmes faiblardes dans une sorte d'état de peur nauséeuse, l'avait aidé à accomplir trois ou quatre contrats qui s'étaient avérés plus compliqués que prévu. Ici, il semblait malheureusement qu'il n'avait touché aucune des cibles, bien trop éloignées pour être affectées par la technique, et enchaîner rapidement plusieurs Kami-E ne suffit pas à le dispenser de recevoir une balle anesthésiante en pleine épaule gauche. Maudissant son manque de vigilance, il s'assoupit et tomba inerte sur le sable.

~ Eastwint ! ~


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"Abruti, va ! C'est pas maintenant qu'il faut faire le mort, je sais pas si tu me suis ! C'est le pire moment ! Eastwint !"

Alors que le dénommé Alvör lui faisait comprendre qu'il était inutile d'insister, le balafré raccrocha furieusement le combiné et se mit la main sur le visage, mimique qu'il semblait avoir inconsciemment hérité du sniper, avant de frapper d'un coup sec le baril enflammé qui trônait à sa gauche. Remarquant le petit attroupement de guerriers d'élite du Camp central qui venait de se former devant lui, il se hâta de se reprendre le contrôle de lui-même et enchaîna les instructions.

"Ils tiennent presque la moitié du premier camp annexe. Si on reste pas sagement ici, ils vont les buter un par un, et ils sont bien mieux armés que nous on dirait. Ils essaient de faire de même avec les deux autres camps."

L'un des combattants leva la main et, sans réellement attendre d'être interrogé, prit la parole.

"Et on va vraiment rester ici ?"

Sergueï ouvrit une nouvelle bouteille de vodka spéciale Manslouche et lui fit immédiatement comprendre qu'il n'en avait pas l'intention.

"Non, Gustav. Tu vas aller défendre le troisième camp avec Piotri et Moskovine. Je vais m'occuper personnellement du deuxième. Soeren, Ushka, surveillez simplement Ivan, qu'il ne sorte pas d'ici et ne trouve pas une autre idée de génie pour se blesser lui-même."

Comme attiré par la prononciation de son nom, l'aïeul sortit de la réserve alimentaire, tenant un morceau de veau sur lequel il avait dépeint une scène de prise d'otages d'un réalisme impressionnant. Le chef, pas étonné outre-mesure de voir que son aîné avait dessiné sur de la viande, reprit ses directives.

"Ils sont mieux armés, on est plus nombreux. Concernant les captifs, il y a bien quelqu'un capable d'y remédier avant que ces merdeux puissent y faire quoi que ce soit."

Il décala légèrement sa tête, cherchant son arme secrète du regard.

"Natasha !"

Apparemment prise au dépourvu mais alertée par le ton reconnaissable de son frère, la cadette sortit timidement de la tente des objets trouvés, qui était supposée servir de dortoir à Eastwint. Le meneur fronça les sourcils.

"D'accord, je sais pas ce que tu fous là mais on a pas le temps. C'est toi qui va libérer les otages sur le premier camp. Sois prudente."

La tueuse sortit l'un de ses poignards et en caressa la lame de sa langue, semblant traduire l'excitation que lui prodiguait l'idée de retourner combattre après tant de temps où s'approcher des étrangers lui avait été formellement interdit. Le petit borgne entama goulûment sa bouteille d'alcool fort et, alors qu'il était connu qu'il ne partageait jamais sa boisson, en laissa délibérément la fin à sa sœur. Elle n'attendit pas avant de saisir la bouteille et fonça dans la direction du camp où les forces du shérif menaçaient ses cousins, finissant et jetant la vodka sur le chemin. Le dénommé Gustav se permit de questionner l'état de Bruno, envisageant de le renvoyer au combat s'il était de nouveau parmi eux. Sergueï baissa la tête d'un ton grave.

"T'étais pas avec nous ? Peu après le départ d'Eastwint pour Fortifio, le médecin nous a tous convoqués. Bruno est condamné. Il ne s'en sortira pas."

L'ensemble des guerriers présents autour de lui se prit d'un calme funèbre. Mais le meneur, qui avait d'autres priorités, rompit ce silence lui-même.

"Si Eastwint revenait là de suite, ce serait déjà bien plus facile pour nous. Mais tant qu'il se manifeste pas, on n'a pas d'autre choix que de faire sans. Continuez à le contacter jusqu'à ce qu'il décroche. Alvör, j'imagine que tu veux toujours pas retourner combattre ?"

Le nomade qui lui avait servi de messager, pourtant d'une taille et d'une musculature plus colossale, d'une aura plus intimidante encore que la majorité des guerriers du Camp central, fit un signe précipité de la tête pour traduire sa frayeur. Le meneur soupira.

"Ça m'aurait étonné"


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La Marine. Alors qu'une frustration puissante le rongeait, Uzi écoutait son escargophone sonner à répétition à travers son sac, malheureusement posé sur un rebord qui se trouvait à l'extérieur de la geôle miteuse dans laquelle il s'était réveillé. Capturé par la Marine. Des soldats qui étaient supposés être de son propre camp.
Que représentait exactement le travail de ses supérieurs et coordinateurs du Cipher Pol si ce n'était, justement, d'éviter précisément ce genre de situations ? La communication entre les différentes instances du Gouvernement était-elle devenue caduque à ce point ? Obnubilé par l'influence du shérif et de ses autorités qu'il avait considérées comme absolues, comment l'agent avait-il d'ailleurs pu omettre complètement la présence de la Marine sur cette île ? Il allait sans dire que lui et ses supérieurs avaient brillamment coopéré pour qu'il se retrouve lui-même dans un tel bourbier. Il grommela, surprenant manifestement dans sa lecture le sergent à l'air benêt et innocent qui surveillait la cellule où il était retenu.

La vue du livre dans lequel était plongé l'officier ramena l'homme à la peau d'encre à la pensée qu'il avait avant son anesthésie forcée. Lors de ses instants de repos sur le camp – du moins lorsque Natasha ne le sollicitait pas pour l'aider à satisfaire ses désirs -, il en avait eu, lui aussi, de la lecture. Et pas des moindres. La fouille des objets trouvés qu'il s'était promis de faire, en dehors de quelques babioles précieuses qu'il laissait au meneur le soin de redécouvrir et de revendre, lui avait aussi et surtout révélé l'existence d'un mémoire sur l'île de Hat Island. Ou du moins d'un début de mémoire, rédigé par un étudiant Manshonais qui s'était rendu sur le terrain et qui n'avait, lui, probablement pas eu la chance d'être épargné par les nomades. Le pauvre n'hésitait pas à assumer, dans le journal que le tatoué avait eu l'occasion d'analyser de fond en comble, son admiration pour le lieutenant Edwin Morneplume – l'officier qui avait officiellement annexé l'île désertique au Gouvernement - qu'il voyait comme le héros de sa nation.
Le jeune auteur du journal était définitivement déterminé à ne pas faillir à son devoir. Il avait récupéré absolument toutes les ressources, tous les documents, toutes les escargographies qu'il pouvait se procurer à Manshon, au point où la lecture du mémoire donnait l'impression de lire le lieutenant lui-même. C'est malheureusement en cherchant à récupérer les informations à la source que le garçon y avait probablement laissé la vie, pensait le tatoué. Il avait omis, avec le temps, à quel point le fait qu'il n'aie pas été tué dés sa première visite du camp relevait du coup de chance. Voire du miracle. Il frissonna rien qu'en y pensant, et revint à sa réflexion sur les origines de l'île.

En dehors de quelques détails ici et là sur les Drognars comme sur les habitants de pure souche, il s'agissait ici de l'explosion accidentelle de Bull Town. Celle qui était à l'origine des gisements d'or qui avaient envoyés l'agent ici en premier lieu, et qui avaient, comme par hasard, réveillé l'attention du Gouvernement concernant Hat Island. Celle qui, apparemment, avait révélé bien plus que de simples gisements : des écrits auraient été retrouvés quelques mètres sous terre à l'endroit-même où était construite la mairie de l'ancienne capitale. Et – puisque les travaux du jeune Manshonais étaient classés selon les différentes communautés habitant l'île - malgré un chapitre sur les Manslouches assez plat et empli de plusieurs choses que le sniper avait déjà eu l'occasion d'apprendre auprès des premiers concernés, les pages deux-cent quarante huit à deux-cent cinquante deux proposaient un début d'analyse des écrits ainsi qu'une escargographie qui aurait été prise par une équipe de la Marine peu après l'investigation de Morneplume.

Les écrits étaient différents de ceux que l'on pouvait trouver sur les Ponéglyphes, ou de n'importe quelle autre langue ancienne. À quelques choix de stylisme près, les caractères étaient parfaitement semblables à ceux des rares écriteaux que l'on pouvait trouver sur le camp. Même si l'organisation que Sergueï avait mise en place privilégiait la tradition orale, le tueur à gages avait suffisamment vécu avec les nomades pour reconnaître leur alphabet lorsqu'il le voyait : les vestiges qui avaient été découverts sous l'ancienne mairie de Bull Town étaient Manslouches.
Tout faisait parfaitement sens depuis qu'il avait fait concorder cette source avec le peu que le balafré lui avait raconté de l'excursion de leur ancien équipage Lorsque tous ceux de la génération d'Ivan avaient péri d'une maladie incurable – excepté Ivan lui-même : son métabolisme était, paraissait-il, à absolument toute épreuve, ce qui expliquait comment il pouvait se blesser aussi gravement et aussi régulièrement sans flancher –, un Sergueï encore très jeune - d'où le surnom du "Kid" -, aidé par son grand frère, sa petite sœur et son aïeul, aurait pris les rênes de la famille et les commandes du navire dans l'objectif d'installer les survivants en endroit sûr. Guidé par un pose spécial qu'il avait trouvé parmi les affaires les plus précieuses de son père, ancien capitaine du navire. Le mercenaire avait compris, en faisant ce lien, que ladite boussole menait très probablement volontairement à Hat Island, et ce pour la simple raison que le père de Sergueï ainsi que les anciens Recat en étaient originaires. Même si ce n'était plus une découverte et qu'il s'efforçait de ne pas ébruiter ces révélations depuis maintenant trois semaines, y repenser fit qu'il ne put s'empêcher de ressentir une petite dose d'adrénaline.

Il lui fallait sortir d'ici rapidement.


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"ORA ORA ORA ORA ORA ORA !"

Apparaissant de partout et de nulle part, la jeune Manslouche s'appliquait à corriger à sa manière les officiers de police armés qui encerclaient les otages du premier camp annexe. Ses frappes en rafale manquaient parfois de toucher certains de ses propres camarades, mais s'arrêtaient heureusement juste à temps lors qu'elle se rendait compte, après une fraction de secondes, de sa mauvaise visée. Paniquées, les forces du shérif tentaient de tirer dans le tas en espérant la toucher, sans y parvenir. Ou disons plutôt qu'ils y parvenaient, mais que dans la mesure où elle avait une famille entière à sauver, ça ne l'arrêtait pas. Ligotés et bâillonnés, ses camarades l'observaient leur porter secours dans un mélange d'admiration, de gratitude et de peur extrême. Comme dans un état d'esprit inébranlable, la cadette distribuait des coups à n'en plus finir : il allait sans dire que malgré les quelques petits virements que sa personnalité pouvaient prendre lorsqu'elle était seule avec l'homme à la peau d'encre, elle était toujours la Natasha qu'ils connaissaient.
Lorsqu'il ne resta plus qu'un officier encore debout pour faire pression sur les captifs, et que certains d'entre commencèrent à réussir à délier les cordes qui leur retenaient les bras, la guerrière prit soin de prendre une pause pour décrocher le combiné de son escargophone et de répondre à son frère, laissant à ses quelques cousins libérés le soin de donner une leçon au pauvre policier. La voix s'agitait à l'autre bout du fil, plus par énergie que par réelle inquiétude.

~ Bon, plus que trois de mon côté. Une fois que j'en aurais fini avec eux, j'irais voir comment Gustav et les autres s'en sortent. Et toi, tout va bien ? ~

La tueuse se contenta d'une non-réponse calme, se tenant le bras alors qu'elle faiblissait doucement sous les blessures par balle qu'elle s'était laissée recevoir. Un coup d'œil rapide vers l'un des recoins du centre du camp lui permit de voir déjà une nouvelle flopée d'officiers de police se diriger vers l'ancienne ronde des gardiens d'otages - un autre coup d'œil rapide vers ses alliés, dont deux s'étaient certainement pris des balles perdues et étaient en état critique, lui fit comprendre qu'elle n'avait pas pu protéger tout le monde. Elle soupira et laissa son frère reprendre.

~ C'est toujours un plaisir de discuter avec toi, Natasha, je sais pas si tu vois ce que je veux dire. J'y retourne. ~

De son côté, Sergueï semblait être dans une posture curieuse entre la forme totale et l'épuisement complet, s'éloignant volontairement du centre du camp alors qu'il s'apprêtait déjà à foncer aider Gustav. Son endurance n'avait rien à envier aux plus puissants sumos de Wano, et l'état second dans lequel il était plongé avait réveillé son instinct animal et faisait de l'abandon la notion la plus étrangère qui pouvait être à ses yeux. Il ne s'était pas plongé dans une telle colère depuis un moment, ce qui n'était pas sans lui rappeler ses années de crise d'adolescence où sa haine était, il n'y avait pas d'autre mots, incontrôlable. Porter une famille entière sur ses épaules à cet âge ne l'avait certes pas aidé, d'autant qu'il n'était pas grand.
Sa petite taille n'était cependant absolument pas un frein pour propulser ses avants-bras monstrueusement secs dans l'abdomen des autorités de la nouvelle capitale, bien au contraire, et les deux ennemis restants étaient trop occupés à tenter d'esquiver de toute part pour ne pas se prendre d'uppercut qui leur serait fatal – et à observer avec effroi le premier adjoint au shérif céder humblement au pouvoir du coup parfaitement placé – pour ne serait ce qu'envisager de tirer. Ils continuaient pourtant à braquer leurs revolvers, malgré le fait qu'ils faisaient bien plus figuration qu'autre chose, sur le balafré. L'un d'entre eux se risqua à prendre la parole pour tenter de raisonner le leader Manslouche.

"Sergueï Recat, nous t'arrêtons au nom du shérif d'Exact Town pour orchestration de vols à l'étalage, de violences répétées sur des civils et d'un complot visant à éliminer plusieurs acteurs importants du gouvernement local ! Cesse cette violence et rends-toi calmement, ta peine pourra être rediscutée..."

L'assistant ne put finir sa phrase que son deuxième et dernier collègue se retrouva lui aussi l'arrière-train dans le sable, la conscience et l'os du nez en moins. Il était peine perdue, dans ces conditions, de raisonner le borgne, qui prit immédiatement la parole face au faux pacifiste qui lui faisait face.

"Question simple. Vous parlez de m'arrêter pour violences sur des civils. Mais vous, qui vous arrête pour violence sur mon peuple ?"

Il courut vers le freluquet qui, dans un mouvement brusque, eut le temps de tirer mais pas de viser correctement, et saisit son visage entier dans sa seule et unique main droite.

"Réponse simple. C'est moi."

À ces mots, le meneur des nomades plongea le visage de l'adjoint dans la dune qui se trouvait à leurs pieds et le traîna à toute vitesse entre les grains de sable tout le long de son trajet vers le troisième camp, tentant d'atteindre celui-ci le plus tôt possible.
Ce qu'il parvint à faire, laissant le pauvre assistant gésir avec une toute nouvelle chirurgie faciale gratuite dont il n'allait malheureusement pas pouvoir profiter. Lorsqu'il leva la tête, sa première vision fut Gustav, Piotri et Moskovine à quatre pattes au loin, peinant manifestement à se relever face à l'opposition. Il se racla la gorge.

"Allez les gars, du nerf, enfin..."

Il fonça de plus belle vers les trois nomades en difficulté, sortant dans le même temps son escargophone pour prendre des nouvelles de son aïeul.

"Ivan, c'est bon pour toi ? Tu t'es pas fait mal ?"

Le médium barbu répondit par une série de cris.

~ Son frère lui c'était ! SON FRÈRE LUI C'ÉTAIT ! LUI VIVANT ! ~

Continuant de courir, le chef des nomades se passa la main sur le visage, comme le faisait Eastwint et ferma les yeux dans une forme de résignation.

"Je sais pas pourquoi je demande..."

Le Poète, lui, était resté près des sièges des Lieutenants, regardant fixement un angle et paraissant craindre l'arrivée imminente d'un ennemi sur le Camp central. Alors que son comportement incitait Soeren et Uska, désignées pour le protéger, à être constamment sur leurs gardes, la menace fit son apparition.
Un homme rond et fort au costume bleu foncé aux boutons dorés, peau légèrement mate, moustache broussailleuse et sourire narquois aux lèvres. Le doute et la stupeur sur le visage des deux guerrières nomades montraient qu'elles ne s'attendaient pas à le revoir si tôt... ou le revoir tout court.

"Tu nous attendais, le vieux cadavre ? Tant mieux, les présentations seront plus rapides."


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"J'ai beaucoup de choses à gérer dehors. Il y a quelqu'un que tu veux voir mort ? On peut s'arranger."

Tentant de négocier comme il le pouvait avec le sergent à l'air innocent, le tatoué observait dans le même temps les issues de la petite cabine en métal rouillé dans laquelle il était coincé. Une ouverture en grillage avait été laissée ouverte à sa droite, derrière le maton improvisé, tandis qu'une porte sur le mur en face de lui semblait donner sur une autre petite pièce, dans laquelle tous les autres membres de la Marine l'ayant capturé semblaient se trouver.
Il ne pouvait pas blesser qui que ce soit, ni abîmer la geôle qui le retenait prisonnier, car en dehors de toute couverture, cela signifiait pour l'agent se tirer une balle dans le pied et mettre de l'huile sur le feu quant aux tensions déjà présentes entre Marine et Cipher Pol. Mais laisser le camp subir une attaque sans agir n'était non seulement pas correct en tant qu'Eastwint, mais ne l'était pas non plus en tant qu'Uzi, sa mission étant de rallier ce peuple à la cause du Gouvernement. Il devait absolument revenir sur le Camp central et intervenir pour mettre fin au guet-apens avant qu'un seul Manslouche de plus ne subisse des dégâts.
En réponse à sa proposition, le matelot benêt détourna le regard.

"À vrai dire oui, y a bien ce collègue sur la base de North Blue qui était méchant avec moi. Quand je prenais mon café le matin et qu'il passait dans le couloir, il mettait toujours une tape dedans pour que je me retrouve tâché de partout. Je trouvais ça pas très sympa de m'humilier com..."

Il fut interrompu par une claque magistrale administrée par un autre sergent venu prendre le relais. Claque qui n'était pas sans rappeler au tireur d'élite celles qu'il se prenait lui-même à ses touts débuts auprès de Recat.

"Il te fait marcher, débilos. Ce gars est un chasseur de primes de mèche avec les Manslouches, t'as pas oublié ? Il est habitué à mentir, à voler et à commettre un tas de crimes à leurs côtés comme l'immondice manipulateur et sournois qu'il est."

Le tatoué fronça les sourcils en observant le bas-gradé s'éloigner timidement, son livre en main, et recalibra son regard sur celui du "geôlier" plus sévère qu'il se coltinait désormais.

"Donc toi, il n'y a vraiment personne à qui tu souhaites la mort ?"

Le sergent eut un rictus fier et répliqua.

"Si, toi."

Le tatoué ferma les yeux et soupira. S'il fallait en arriver à là, il allait le faire. Il positionna son doigt face à sa propre gorge et leva son menton, tendant son cou face au sort qui l'attendait. Ou du moins était-ce le bluff qu'il était en train de tenter, étant habitué et familier à tout ce qui touchait à sa propre mort de toute façon.

"C'est vrai. Je mérite de mourir. Autant se dépêcher."

Une perle de sueur commença à se former sur le front du matelot méfiant. Sa voix se mit à légèrement bégayer comme pour confirmer l'inquiétude dont il commençait à faire preuve.

"E-Eh, tu comptes faire quoi ? C-Ce n'est qu'un doigt ! C'est galère administrativement parlant pour nous lorsque les suspects essaient de se suicider en garde à vue ! G-Genre une cinquantaine de documents, une horreur je te promets ! "

En réponse, l'homme à la peau brûlante lança un Shigan sur sa propre trachée, qu'il décala volontairement de plusieurs centimètres pour laisser son index s'écraser sur le mur métallique qui se trouvait derrière lui, et le fracasser d'une fissure petite bien que profonde et uniforme. Il fut soulagé de voir qu'il avait assez bien visé pour ne pas se blesser trop gravement, même si un petit filet de sang coulait de l'éraflure qu'il venait de se faire. Maintenant entièrement embarrassé, le sergent s'empressa de sortir les clés qui se trouvaient dans sa poche.

"A-Arrête ! Bon, tu peux sortir de là. Je veux pas passer la RTT que j'ai posée à signer des machins juste parce que tu t'es tué... Mais dis pas aux autres que je t'ai ouvert, s-sinon ils vont se moquer de moi ! "

Le mercenaire ne se fit pas prier et, dés la petite bribe de grille ouverte, passa à travers l'interstice en Kami-E avant de récupérer son sac et ses deux colts et de décoller en Soru-Geppou depuis l'ouverture de la minuscule pièce perdue dans le désert dans laquelle il s'était réveillé. L'heure n'était plus à se demander s'il lui fallait montrer ou non ses techniques de Rokushiki : le temps pressait.
Alors qu'il fonçait à toute allure vers le Camp central, une bonne dizaine de minutes le conduirent enfin à destination. Baissant le regard, il reconnut un Ivan terrifié entouré de ses deux gardes du corps improvisées et aux prises avec un homme qu'Eastwint ne reconnaissait que trop bien, entouré par une douzaine de vassaux déguisés en policiers et en cowboys. Un atterrissage sans douceur le fit apparaître entre le médium et celui qui l'intimidait, le rassurant au moins sur le fait que le lunatique était le seul des Lieutenants à l'avoir vu utiliser l'un des Six styles. Il leva la tête, laissant les dreadlocks léviter en suivant le mouvement, vers celui qui était désormais en face de lui, tenue bleu foncé et boutons or.

"Commissaire Alexander Bendalah. Une explication ?"

Alors qu'Ushka dite "la Découpeuse" se retournait pour ordonner d'évacuer l'ensemble du Camp central à la dizaine de gaillards d'Exact Town qui avaient sympathisé avec les nomades, Soeren se tenait dans une position qui lui permettait à la fois de couvrir les arrières du mercenaire et celles du médium qui, apparemment terrifié par la situation, montrait du doigt le commissaire mort-vivant. Ce dernier esquissa de plus belle un rictus malicieux.

"Surpris, avorton ? J'suis bien vivant, en chair et en os ! Enfin, surtout en chair, hé hé !"

Le brigadier frappa brusquement son embonpoint, donnant à Ushka le signal non-officiel qu'elle pouvait sortir ses deux machettes et lancer la contre-attaque. Ce qu'elle fit sans plus tarder, prenant à parti deux des douze flingueurs venus assister le policier en chef dans un combat en tête-à-tête. Les mastards blonds à chapeau de la nouvelle capitale, bien qu'ils ne savaient pas ce qu'il se passait, s'exécutèrent précipitèrent les résidents du Camp central vers un endroit plus sûr. Tentant de ne pas se laisser intimider, le mercenaire pointa dans la direction du dépositaire de l'autorité publique le colt qu'il tenait dans sa main droite.

"Ce contrat a été rude à mener à bien, mais tu es bien décédé d'une balle dans la gorge et d'une autre dans la tête ce jour-là. Explique-toi, je ne me répèterais pas."

Nouveau rire nerveux du côté du gros policier, qui, semblant se délecter de la situation, s'empressa de répondre aux interrogations du sniper.

"Comment dire... J'suis un fainéant. Un vrai fainéant, à tel point que j'envoie des fois Isaac, mon frère jumeau, faire la ronde à ma place. C'est lui que t'as assassiné ce jour-là. Pas moi, Dieu merci ! Un vrai fainéant, j'te dis ! Qui aurait cru que c'est c'qui me sauverait la vie ?"

Alors qu'il semblait pris d'un fou rire incontrôlable, le tireur d'élite fronça les sourcils et se racla la gorge, légèrement désemparé par ce qui se produisait devant lui.

"Ton propre frère a trépassé il y a encore peu, Bendalah. Comment peux-tu rire ?"

Sans quitter le sourire narquois qui semblait plus masquer un véritable ressentiment d'amertume qu'autre chose, le brigadier baissa légèrement la tête et prit la parole d'une voix plus agressive.

"T'as pas compris ? Je me dis simplement que tu vas pas tarder à subir le même sort."

Le commissaire commença à lentement s'avancer vers lui, suivi par ses larbins. Le mercenaire avala sa salive, encore désemparé de voir marcher et parler un homme à qui il pensait avoir ôté lui-même la vie.

"T'es un sacré phénomène, Clood J. Eastwint. L'homme qui rate le moins de tirs de tout North Blue, qu'on dit. Tu pensais qu'on voyait pas ton petit jeu ? Après la disparition d'O'Chadley, on avait déjà tout compris."

Le policier au ventre rond continuait à avancer, avec le même air menaçant dans le regard et le même rictus malicieux.

"Tu pensais qu'on était venus pour les Manslouches ? Qu'on avait pris des otages pour le plaisir ? Perdu, p'tit gars. Je savais que ces abrutis allaient pas faire long feu face à des bestiaux comme Sergueï et Natasha Recat. On est pas venus pour eux. On est venus pour toi."

Alors qu'il tentait de repérer ce qui se tramait dans le dos de Bendalah, une silhouette timide et penaude se montra derrière le commissaire agacé. Il s'agissait du vieillard du gîte. Le sniper posa ses yeux sur lui, comprit très rapidement et effectua un mouvement latéral de la tête, sans le lâcher du regard.

"Vous. Vous leur avez confirmé que j'étais ici. Je vous avais pourtant gardé de l'argent de côté."

Le brigadier, semblant s'impatienter lorsque l'attention n'était pas centrée sur lui, reprit la parole et dégaina son revolver à son tour.

"Tiens, regarde c'que j'te gardais de côté moi !"

Le dépositaire de l'autorité publique, continuant à s'avancer de plus en plus vite, envoya une ribambelle de balles à l'encontre du tueur aux dreadlocks, que celui-ci s'empressa d'esquiver d'une série de Kami-E les plus précis possibles. Il réitéra, pendant que l'homme à la peau d'encre tirait lui aussi sur sa cible. Semblant prêts à tout pour se sacrifier, les officiers de police se jetaient un par un devant le commissaire pour essuyer les tirs à sa place et probablement mourir dignement, à leurs yeux du moins. L'un béni par le Rokushiki qu'il ne pouvait plus se permettre de cacher et l'autre protégé par ses fervents serviteurs, aucun des deux adversaires ne parvenait à faire mouche. L'idée d'utiliser ses sous-fifres pour mourir d'une blessure par balle à sa place faisait grimacer Eastwint, mais son attention fut captivée de nouveau lorsqu'il réalisa que Bendalah n'avait plus de sbires derrière lesquels se cacher. Alors qu'Ushka finissait de dépecer colériquement ses deux victimes, c'est le moment que choisit Soeren dite "la Pyromane" pour passer à l'action.
Et pour sortir ses deux frondes armées de Pyro-dials modifiés. Ceux-ci fonctionnaient, le tatoué ne le savait que trop bien, par contact fixe, c'est-à-dire qu'il leur fallait entrer en contact avec une surface plus ou moins plane pour être activés et provoquer une explosion pyrotechnique sans précédent. Le mercenaire tenta de tendre son bras gauche derrière son dos et d'ouvrir sa main vers l'arrière pour avertir la guerrière nomade que l'idée qu'elle s'apprêtait à mettre en application était très mauvaise.

Trop tard. Le coquillage était parti droit dans la direction du policier moustachu, qui s'empressa d'utiliser son embonpoint pour le faire rebondir et repartir dans la direction opposée plus vite qu'il n'était arrivé. Alors qu'Ivan, dans un élan de folie, se rapprochait dangereusement de la trajectoire inversée du dial, le mercenaire baissa ses deux armes et s'interposa en urgence, contraint d'activer son Tekkai et d'encaisser la détonation sur son pectoral gauche.
Bien entendu, cette sensation était des plus douloureuses pour l'agent sous couverture qui, avec ou sans Tekkai, avait eu la chance de ne jamais connaître la sensation de subir une explosion à même sa propre peau. Il tourna lentement la tête vers la combattante nomade.

"Soeren ?"

Comme inquiétée par cette interrogation, elle avança sa tête.

"Oui ?"

Le tueur à gages expira un grand coup.

"On est d'accord que tu ne fais plus jamais ça ?"

La Pyromane souffla, rangea ses armes et croisa les bras en fronçant les sourcils. Eastwint laissa tomber ses deux armes à feu, affaibli par la chaleur extrême bien que courte qu'il s'était prise en pleine poitrine, non loin de l'organe vital qui battait en lui, et qui était encore et resterait, malgré tout, sa faiblesse. Il luttait désormais pour ne pas s'agenouiller devant le commissaire vicieux, ce qu'il refusait de faire. Ledit commissaire s'avança vers lui avec un grand sourire, cette fois traduisant une satisfaction sincère, et colla son revolver sur la tempe du chasseur de primes sans que celui-ci n'ait l'occasion de réagir. Comme le tir pouvait partir à tout moment, il était certainement inutile d'envisager une fuite en Soru.
Uzi ferma les yeux, résigné, alors qu'il entendait de drôles de bruits de pas écrasant le sable qui paraissaient se rapprocher depuis la tente-infirmerie, et qu'un Sergueï presque sans égratignure et une Natasha portant ses deux blessés sur chaque épaule revenaient sur le Camp central et s'apprêtaient à assister à la scène. C'était la fin du sniper au meilleur taux de réussite de tirs de la deuxième mer.

Une fin qu'un Bruno Recat manifestement remis sur pied et plus énervé que jamais n'accepta pas, fonçant à toute allure vers le brigadier pour lui administrer son violent coup de boule signature et l'entraînant dans son élan avant de le laisser retomber à terre et lui permettre de subir son choc en silence. Le tireur d'élite fronça les sourcils et rouvrit immédiatement les yeux, s'assurant que ce qu'il comprenait de la situation présente était bien réel. Il toisa droit dans les yeux celui qui s'était retrouvé dans le coma par sa faute il y a de nombreux mois, et qui venait visiblement de prendre sa revanche sur Squad.

"Gorilla ?"

En guise de réponse, le colosse cracha violemment à terre et s'agita d'une voix puissante et traduisant son mécontentement de ne pas comprendre ce qu'il s'était produit pendant son lourd sommeil.

"Toi ! Qu'est-ce que tu fous là ? Il se passe quoi ? Pourquoi le camp est vide ?"

L'agacement du titan Manslouche atteignait des sommets, aussi le petit borgne, après s'être assuré d'avoir achevé Bendalah, tenta de raisonner son grand frère avant qu'il ne commette une erreur.

"Bruno, attends ! Non !"

Sans succès. Un coup de genou en plein estomac de la part de la brute nomade assura à Eastwint une place momentanée parmi les anges.


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"T'es vraiment impressionnant, Eastwint ! J'arrive pas à croire que tu te sois remis aussi vite de la frappe de Bruno. N'importe qui y serait passé !"

Le tatoué, dont la brûlure sur la poitrine cicatrisait et dont le ventre laissait encore apparaître un léger hématome, leva les sourcils et tenta un bon mot sarcastique.

"Fais attention, peut-être que tu parles à mon frère jumeau."

Le balafré éclata de rire et, de deux grosses tapes sur le torse, faillit faire recracher au tatoué les poils de camélidés mijotés au sang que les nomades s'étaient empressés de préparer pour célébrer le départ du chasseur de primes. Les sièges des quatre Lieutenants Manslouches avaient été réaménagés pour laisser place à cinq sièges, celui du meneur ayant été décalé vers la droite pour accueillir une nouvelle place aux côtés de celle de Natasha. Lesdits Lieutenants étaient tous les quatre installés en face du tueur à la peau brûlante, sur l'éternel tapis de peau qu'ils sortaient pour les occasions spéciales, et se goinfraient goulûment de ce plat qu'ils semblaient apprécier plus que tout et qu'ils attendaient manifestement comme une fête de fin d'année. Eastwint, lui, n'avait pas encore consommé tout ce que le bol en face de lui contenait, ce qu'il se hâta de faire pour rattraper l'avancée des quatre nomades. Il se dépêcha ensuite de poser une question délicate, espérant s'en débarrasser le plus vite possible.

"Vous en savez plus sur l'état de Gorilla ?"

Le petit borgne souffla et lui répondit sans sembler émettre une once de tabou par rapport à ce sujet.

"Tu parles. Cet imbécile de Shapka avait mélangé deux dossiers. Tu vois, c'est pour ça que je préfère quand on fonctionne à l'oral, y a pas ce genre d'embrouilles. Et puis c'est pas que c'est un mauvais médecin notre Shapka, mais honnêtement il serait temps qu'il prenne sa retraite."

Le mercenaire acquiesça calmement et, après quelques secondes de flottement nécessaires pour avaler le plat plus que particulier qui lui était offert, enchaîna.

"Et concernant les hommes du shérif, tu es confiant ? Il en reste beaucoup ?"

Sergueï se passa la main sur le visage et répondit d'un signe de tête négatif.

"Seulement deux au final. Le shérif lui-même et un autre adjoint, un gars d'Alba surnommé Billy the Kilt. Ils représentent pas vraiment un danger là de suite, alors on les laisse tranquille pour l'instant."

Après avoir fini son festin, le sniper enfila les anses de son immense sac à dos, qu'il avait posé derrière lui. Il regarda le meneur et le mit en garde.

"Prends garde à lui, je vois qui c'est. Je ne suis pas le seul à avoir une réputation, ici. On raconte que là où ses balles tombent, l'herbe ne repousse pas."

Le petit chef finit lui aussi son festin et haussa les épaules.

"Y a pas d'herbe sur Hat Island."

Eastwint prit un instant pour fixer le vide, puis reprit ses esprits et hocha de la tête en regardant le meneur Manslouche dans les yeux.

"Il va falloir que j'y aille."

Le meneur se réveilla lui aussi, et se hâta de préparer deux petits verres de vodka, une quantité bien plus petite que ce que les deux alliés avaient pris l'habitude de consommer ces derniers mois. Il ferma les yeux en récitant le court discours qu'un chef Manslouche était supposé faire dans ces conditions, mais qu'il n'avait encore jamais eu l'occasion de prononcer lui-même.

"Eastwint, Clood de ton prénom. De par le pacte du sang, coutume symbolique de la famille Recat, moi, Sergueï de mon prénom, cinquième chef du peuple Manslouche, te fais l'un des nôtres. Tu peux désormais clamer ton appartenance à la famille Recat, et disposer de tous les droits dont nous disposons, car notre sang est en toi et le tien en nous. Sois et reste fort, car notre honneur entre désormais au sein de chacune de tes actions."

Le chef des nomades se munit ensuite d'un petit canif dont la lame était décorée de caractères singuliers et en tendit un autre au tatoué. Chacun des deux hommes s'entailla le pouce et laissa une goutte de son propre sang tomber dans le breuvage, avant de tendre chacun son verre à l'autre et de boire intégralement celui qui lui était proposé, accompagné par la main de l'autre dans son mouvement. Le balafré posa son verre.

Maintenant désaltéré et officiellement membre de la grande famille des Manslouches, le chasseur de primes se leva doucement et laissa un instant de flottement avant de poser la question cruciale.

"Je te remercie. Il faut que je te relance sur ma proposition, Sergueï."

Le chef Manslouche hocha la tête et prit une nouvelle bouteille de vodka, qu'il s'empressa d'ouvrir avant de répondre à la question qu'il esquivait depuis maintenant trop longtemps.

"J'ai pesé le pour et le contre. Au-delà du fait qu'aucun offrant ne soit vraiment aussi généreux, je réfléchis à la sécurité de la communauté. Que l'on soit habitués et entraînés à user de la violence, c'est un fait. Mais ça ne veut pas dire qu'on aime ça, je sais que tu vois ce que je veux dire. Donc de toutes les idées que j'ai déjà eues, c'est peut-être celle que j'aime le moins. Mais c'est oui."

Les trois autres Lieutenants, qui avaient sans doute été prévenus de cette décision en amont, ne réagirent pas outre-mesure. L'agent, lui, se contenta d'un discret soupir de soulagement et tendit sa main au leader des nomades, qui la serra après une pointe d'hésitation.

"Je les appelle dés que j'ai un moment de calme pour leur transmettre ton accord."

Gorilla se leva et s'éclaircit la gorge et prit la parole d'un ton qui se voulait solennel.

"Bon. J'aime pas faire ça, mais... J'm'excuse, Eastwint. J't'en veux encore beaucoup pour la dernière fois, avec le Willy Gang Gang Squad et tout, mais on dirait qu'tu t'es vraiment bien rattrapé. Tu nous as aidés plus que beaucoup de gens ici, même si j'étais pas là pour voir ça. Y a qu'à regarder un peu les quatre camps pour voir qu'on vit mieux qu'avant, t'as fait un bon boulot. Donc, euh... bah merci."

Tandis que Sergueï grimaçait en entendant le nom de ceux qui avaient causé tant de problèmes à sa famille, le tatoué se contenta d'acquiescer.

"J'ai fait ce qui me semblait juste et équitable pour tous. Et je peux aussi vous remercier pour tous les apports, aussi bien culturels que physiques, dont mon séjour chez vous m'a permis de profiter. Merci, Gorilla."

La Lieutenante se leva à son tour, regardant l'homme à la peau brûlante de manière joueuse comme si elle défiait sa décision de s'en aller. Il la regarda calmement.

"Au revoir, Natasha."

Là où elle aurait pu lui exprimer ses adieux, la tueuse, mieux maquillée que jamais, se contenta d'un clin d'œil complice. C'est ensuite vers le lunatique que le regard du mercenaire se dirigea. Il lui fit un simple signe de tête.

"Ivan."

Le Poète leva le nez du récipient qui contenait sa nourriture, apparemment interrompu dans sa recherche de restes.

"Dessins sur corps va rentrer maison ?"

Le mercenaire nota que l'aïeul lui avait trouvé un surnom. Il ferma doucement les yeux avant de faire volte-face et de marcher sans s'arrêter. Derrière lui, il entendit le leader nomade faire une dernière plaisanterie.

"Et te fais pas un sang d'encre, hein !"

Il rit puérilement à sa propre blague, regardant autour de lui et constatant amèrement que personne ne semblait sensible à son humour.

"Vous savez, par rapport aux... Non ?"

La dernière pensée d'Uzi vint à son père. Si ce que le Poète prédisait était réel, peut-être n'était-ce qu'une réalité parmi d'autres ? Peut-être lui appartenait-il de changer cette réalité, et de protéger la seule famille qu'il avait – et qu'il avait déjà abandonnée une fois.
Si une mission lui était proposée sur Rokade, il lui fallait absolument la prendre. Pour l'instant, il ne lui servait à rien de trop y penser : la mission que son coordinateur lui avait confiée il y a quelques mois se soldait manifestement par un succès.


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Un mois sans Eastwint, maintenant. Le Camp Central comptait désormais plus d'une vingtaine de résidents originaires d'Exact Town, contre un septième environ de la population dans les trois camps annexes. Des sbires du Cipher Pol 5 surveillaient désormais les frontières de chacun des quatre camps, ayant troqué leur costume et chapeau noir par un couvre-chef et un ensemble plus léger en daim brun qui était bien mieux adaptés au climat comme au stylisme de l'île.

Affalé dans le siège entouré des deux barils enflammés, qui était à présent le quatrième sur cinq, Sergueï Recat tenta une énième fois, déjà dans une forme de résignation, de renouer le dialogue avec sa sœur qui, dans un état moins insalubre qu'avant sa rencontre avec le mercenaire, paraissait commencer à prendre soin d'elle-même.

"Ça va aller toi, tu te sens bien ici ?"

Elle resta silencieuse quelques secondes, avant de le regarder dans les yeux et de faire ce qu'il ne l'aurait jamais soupçonnée de pouvoir faire. Elle lui répondit.

"Ça va, oui."

Stupéfait, le chef Manslouche se redressa d'un coup, manquait de renverser une partie de la vodka qu'il tenait dans les mains mais protégeant tout de même sa liqueur sacrée. La Lieutenante reprit la parole en se passant doucement la main sur le ventre.

"Sergueï est en bonne santé."

Le meneur n'en revenait toujours pas, portant le goulot à sa bouche mais incapable de boire.

"Mais j... Je me porte pas trop mal oui, mais..."

Elle souffla du nez et sourit tendrement, regardant le petit borgne en mimant faussement le visage d'un décérébré, puis se reprit et désigna son ventre des yeux en continuant de le caresser. Le meneur se leva, renversant cette fois son élixir magique sur le sable.

"Q... Qui ?"

La cadette désigna calmement le siège vide qui trônait au centre des quatre autres. Le leader des nomades se prit la tête entre les deux mains.

"Oh l'enc..."

Comme écoutant son ange intérieur, c'est de lui-même que Sergueï s'obligea à décompresser. Il ramassa son alcool fort, essuya les quelques grains de sable sur le goulot et finit le contenu de la bouteille avant d'entendre raison à voix haute.

"Non. Il fait partie de la famille, de toute façon. C'est... Et tu l'as appelé Sergueï ?"

Un bruit sourd de grands pas sur le sable annonça l'arrivée de Bruno, un livre ouvert dans les mains, qui n'avait pas encore appris la nouvelle. Voyant l'étonnement sur le visage de son petit frère, il ne se laissa pas distraire et lui tendit l'ouvrage.

"Eastwint avait laissé ça sur son lit, ouvert comme ça, à cette page. Il tenait à ce que tu voies ça, apparemment."

Le balafré fronça les sourcils, frustré de ne pas avoir découvert ça plus tôt, et observa la double-page qui lui était mise en évidence. À la vue des escargographies qui prenaient la majorité du papier disponible et après lecture rapide des paratextes fournis qui en complétaient les informations, il ferma violemment le journal et prit la parole d'un ton sec et déterminé.

"Prenez sept ou huit Cipher Pols avec vous. On va rendre une visite au shérif."
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