Une vague de cauchemar les avait engloutis. Tout juste le temps d’entendre Myosotis et les enfants crier que Raphaël avait été avalé à son tour par une tempête d’insectes noirs. La panique, la surprise, l’impuissance, la terreur. Frappé de toute part, il avait perdu conscience.
Toujours teintés par l’expérience traumatisante de son emprisonnement à Jotunheim, ses rêves avaient pris une couleur encore plus sombre lorsque le dragon de glace s’était soudainement effondré en un torrent de blattes, une avalanche de nuisibles. Il s’était débattu pour rester à la surface, avait crié, après Nova, après Jack, après Izya, après toutes les personnes qu’il avait perdues, mais le monstre noir était plus fort. Alors qu’il allait se noyer, les poumons grouillant de cafards, le chant salvateur d’un coq céleste le rappela à la réalité.
"Encore… "
En sueur, le vert s’était réveillé pour se rendre compte que ses vieux spectres le hantaient toujours. Remis de la bataille de Jotunheim, hébergé et soigné sur Armada, il avait fini par reprendre la route pour retrouver ses compagnons perdus. Aidé par une ange du nom de Yuna, bouclier céleste protectrice de l’île, il était arrivé sur Weatheria et s’était retrouvé malgré lui mêlé à une affaire impliquant la grande ouverture de la Cloud’Academia : la première école de sciences climatiques. Lui et Myosotis De Ville, une vielle connaissance, avaient échappé de peu à la capitaine des Rascals Babies, Lance Yanaka -tristement connue pour les enlèvements qu’elle perpétrait- mais pas indemnes. Son pouvoir, hérité de la malédiction d’un fruit du démon, avait fait retrouver à leur corps l’apparence de leur onzième année. Ils avaient été transformés en enfants.
Désireux de retrouver leur véritable apparence et déterminés à arrêter les projets de la Supernova, ils s’étaient inscrits à la Cloud’Academia et avaient enquêtés. Et étrangement, que ce soit lié à son rajeunissement ou à l’importance de cette nouvelle aventure, Raphaël avait peu à peu retrouvé sa sérénité. Les mauvais rêves étaient partis, l’angoisse et la culpabilité l’avaient abandonné. Jusqu’à ce que Joelores Ombrage arrivât… et que le duo fût rattrapé par sa curiosité.
"Tu te réveilles enfin… J’ai bien cru que tu allais continuer de gémir jusqu’à midi… Rien de cassé au moins ? " s’inquièta une voix, peu assurée, dans un autre coin de la salle.
Le vert reconnut Sandy, elle aussi rajeunie par le Modo Modo no Mi, avec qui ils avaient fini par s’allier au cours de leur enquête. Bien qu’il ne la connût que peu, il l’avait déjà rencontré et elle les avait suffisamment aidés pour qu’ils lui accordent un minimum de confiance
Il essaya de se relever pour lui répondre, mais sentit aussitôt que sa tête, plus lourde que d’ordinaire, était en train de le ramener vers le sol. Il se rattrapa à temps, faillit tourner de l’œil sous le coup de la secousse et prit un peu de temps pour que sa vision soit moins trouble. S’appuyant à un bureau, il réussit à se hisser et à remonter lentement sur ses jambes. Ses mains étaient menottées et, d’elles, il sentait s’échapper toute son énergie et sa volonté.
"Les menottes sont en granit marin, vas-y doucement. " lui expliqua Sandy sans qu’il n’en ait vraiment besoin, les propriétés du minerai étaient notoires chez les maudits des mers "Je ne savais même pas qu’ils en taillaient pour les gamins. Cette mégère est rudement bien équipée par la marine… que sa division soit en toc ou non, on lui donne les moyens. Faudra qu’on m’explique comment ils répartissent l’argent du contribuable ces oiseaux de malheur… "
Commençant à s’habituer à la lourdeur de son petit corps, Raphaël prit le temps d’inspecter les lieux. Les napperons roses, les plumes parfaitement alignées et l’écœurante odeur de jasmin qui en émanait ne laissait que peu de doute : à la parfaite image de sa salle de classe, ils avaient été enfermés dans le bureau du professeur Ombrage.
Se rendant compte qu’on lui avait enlevé ses gants, il remarqua la longue estafilade qui courrait le long de son bras. Son bandage de fortune était gorgé de sang séché, souvenir de sa dernière échauffourée avec le personnel de l’établissement.
"Le Professeur Héross a drogué le directeur, il s’est associé à Joelores… On a bien essayé de l’arrêter, mais…
-Et merde, cette école, non cette île, est un ramassis de bras-cassés… Alizée s’est déjà fait mettre sur la touche… Mélina ?
-Je ne sais pas, elle l’a retenu pour que je puisse vous prévenir, mais c’était déjà trop tard. J’espère qu’elle a réussi à s’enfuir, si elle pouvait mettre au courant les boucliers de la situation dans cette école, on arriverait vite à les virer, elle et les Rascals… " analysa-t-il songeur avant de souvenir que quelques heures plus tôt, il évoquait déjà ce sujet avec la maîtresse des nouvelles technologies "Les essais de Weather Ball ! C’est aujourd’hui ! Pendant la retenue que nous avait collé Alizée au premiers cours, toute l’école sera là-bas ! Mais surtout tous les boucliers… Elles ont réussi à prendre possession de l’école, maintenant c’est l’île qu’elles veulent ! Ils sont en danger et ils ne le savent même pas…
-Et les enfants… Elles veulent se servir des enfants qu’elles ont hypnotisés pour mieux les piéger. "
Le vert se tourna vers un autre coin de salle où il trouva l’ambassadeur modèle réduit qui se laissait aller à de sombres pensées. Enchaîné également, il avait perdu de son éclat, mais plus que tout c’était de ne pas avoir été capable de protéger les membres de l’Ordre qui l’affligeait. Il était devenu leader de la résistance malgré lui, avait inspiré des enfants à se rebeller et à sauver leur école, l’échec n’en était que plus amer qu’ils les avaient mis inutilement en danger.
"Pralimélie, Greg, Claire ?...
-Greg n’a jamais été Greg… " balaya-t-il la question, laissant à comprendre à Raphaël qu’une taupe s’était révélé dans les rangs de la résistance. Le complément allait de soi, Pralimélie et Claire étaient tombées dans les griffes de Joelores et avaient certainement fini comme Léo et Félix, deux de leurs camarades enlevés et qui étaient réapparus après un lavage de cerveau.
Levé pour de bon, Raphaël commença à inspecter le bureau. Une épaisse porte de chêne les séparait de la salle de classe de Joelores et, si ce n’était des bibliothèques bien fournies en mièvrerie et en bibelots, il n’avait rien à disposition qui puisse les aider à s’échapper. Myosotis lui indiqua avoir déjà fait le tour, on les avait fouillé et dépouillé de toutes leurs armes.
Se rappelant le gantelet climatique qu’il avait réussi à subtiliser dans le cabinet de curiosité de Merlin, Raphaël fit du mieux qu’il put pour tâtonner dans sa robe malgré ses entraves et dut se rendre à l’évidence qu’on l’avait également subtilisé.
"Et les clés, qui les a ?
-Joelores. Tu sais le pendentif qu’elle porte autour du cou… C’est un trousseau dont elle ne se sépare jamais. Et si j’estime bien l’heure qu’il est –merci les cours d’astronomie- elle doit déjà être en route pour le terrain de Weather Ball. Plus personne ne doit être dans l’école d’ailleurs… Les pirates, comme les hypnotisés, comme les autres… On est Samedi.
-Sauf que sans nos pouvoirs on n’arrivera jamais à sortir d’ici et que sans ces clés on ne récupérera pas nos pouvoirs. C’est peine perdue… Comment est-ce qu’on a pu se faire surprendre aussi facilement…
-Hep ! Hep ! " s’agita Raphaël en claquant des doigts pour que Myosotis relève le menton "Pas de rechute, on ne se laisse pas abattre ! Elle n’a pas encore gagné. " lui-même, encore secoué, avait du mal à croire à ce qu’il disait, mais il ne pouvait pas perdre la motivation de son camarade, il devait improviser quelque chose "Ce ne sont pas nos pouvoirs qui déterminent nos limites Myo… Ce sont nos idées. "
L’excitation le gagna d’un coup. Il venait de trouver quelque chose dans le fond de sa poche, et le sortant, son visage s’était illuminé. D’un geste sec il déchira l’emballage de ce qui ressemblait être un bonbon en forme de demi-lune, s’empara de son contenu et chercha à triturer ses menottes. La souplesse des poignets lui manquant, il se précipita sur Sandy, la bousculant presque dans son emportement.
"Eh du calme ! Qu’est-ce qui te prend tout d’un coup ?! "
L’aventurier saisit la serrure des menottes et y inséra l’étrange confiserie, du mieux qu’il pouvait, sous le regard intrigué de ses camarades, puis une deuxième et enfin une dernière qui laissa légèrement dépasser avant de demander à la maudite de s’appuyer et de se tenir au bureau.
"Des dragées de cyclon-crochues ? Qu’est-ce que tu veux faire avec ? Te laver les dents ? Te sécher les mains ? Je ne vois pas l’idée… " commença à s’inquiéter la brune qui avait reconnu la célèbre dragée faite à base de Windknot qui, lorsqu’on lui soumettait une certaine pression –en la croquant ou en l’écrasant entre ses mains par exemple- libérait un cyclone miniature de force équivalente qui permettait bien des usages.
-… C’est que tu ne penses pas assez grand. "
La vigueur retrouvée, Raphaël se hissa sur le bureau en piétinant sans délicatesse le coussin à pompons de la grande intendante.
"Qu’est-ce que tu…
-Raphaël, tu ne vas quand même pas…
-Myo, c’est le moment de bien l’agripper ! "
Armant son pied alors que le noiraud, saisissant à peine son idée, se jetait sur Sandy, Raphaël emporta tout le poids de son corps dans une violente frappe du talon, droit dans la dragée qui dépassait. Elle éclata et du même coup une détonation mis le bureau sens dessus-dessous. Le vert fut projeté en arrière, perdant l’équilibre il s’écrasa violemment contre le sol. Les poignets de Sandy manquèrent de se tordre et Myosotis en eut le souffle coupé. Les papiers et les breloques volèrent, le bois s’était brisé.
"PUTAIN DE GROS CONNARD DE MERDE, MAIS T’ES COMPLETEMENT CINTRE MA PAROLE ! SI CE SONT PAS LES CAFARDS QUI TE BOUFFENT, C’EST MOI QUI VAIS TE DEGOMMER !
-Je… Je ne m’attendais pas à ça ! Bordel ! " souffla Raphaël alors qu’il évitait le scarabée encadré que Sandy lui jetait à la gueule. Elle tenta de lui sauter dessus encore à quelques reprises , obligeant le vert à battre en retraite derrière le noiraud, puis finit par se calmer et avouer :
"Moi ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est à ce que ça marche… "
Entre dépit et réjouissances, se frottant les poignets, la brune venait de se libérer des menottes en Granit Marin. Elles étaient intactes, de la structure à la serrure, mais l’effet de surpression rotative provoqué par la dragée de Cyclon-Crochue avait suffi à la crocheter.
Elle était libre.
"Plus jamais tu me fais un coup pareil…
-Ca ne va pas être trop compliqué… Je n’en ai plus. " se justifia aussitôt Raphaël embêté qu’aucun autre miracle ne soit resté caché dans ses fonds de poches, mais tout de même fier de son initiative.
-…
-…
-Quoi ?
-Et tu ne pouvais pas les utiliser pour quelque chose de plus utile ?! Du genre la serrure de la porte derrière laquelle on est enfermé et qui nous empêche d’aller arrêter cette affreuse, pestilente, répugnante OMBRAGE par exemple ! "
Oups.
"Je… vous marquez un point. " réalisa-t-il, penaud, et l’esprit visiblement plus embrouillé par le Granit Marin qu’il ne l’aurait pensé. Il s’était laissé emporter par son excitation sans chercher à savoir laquelle des 4 serrures étaient prioritaire. Toutefois, d’un coup d’œil à la pièce en désordre, les napperons déchirés et les bibelots en résine brisés lui donnant des faux airs de déchetterie, il sut qu’il ne s’était pas trop trompé "Mais je crois qu’on a de quoi s’en sortir maintenant, non ?
"Oh oui, maintenant je suis dans mon élément. " s’était aussitôt imposé Sandy, faisant craquer ses jointures.
Dernière édition par Raphaël Andersen le Mar 7 Fév 2023 - 11:05, édité 3 fois