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Ce n'est pas mon premier rodéo !


L'effervescence du petit village côtier battait son plein. Depuis maintenant deux mois que tu séjournes sur l'île de Kage Berg, loin de l'agitation tumultueuse des flots de West Blue qui sont en proie aux conflits intestinaux, tu as toujours perçu l'endroit comme un lieu profondément ennuyeux. Les habitants y sont accueillants, agréables et bien trop mielleux pour que ça te mette en confiance. Ceux qui affichent un sourire constant sur leur visage sont souvent les plus traîtres. Tu parles en connaissance de cause, toi qui transpires la fourberie par tous les pores de ta peau. Même le gérant de l'auberge dans laquelle tu as pris une chambre semble toujours faussement heureux de te voir rentrer le soir, après que tu ai détroussé les bourses de quelques malheureux pour réussir à te payer la nuit suivante.

Depuis ton arrivée, tu passes tes journées à errer sans trop de buts. Tu es venu ici pour te mettre au vert, faire une pause dans cette vie à mille à l'heure que tu mènes depuis plus de quatre ans. Quatre ans que tu as été libéré du joug de l'esclavagisme. Quatre ans que tu te bats au quotidien pour survivre, en vendant tes services aux plus offrants pour gagner un peu d'argent, ou que tu en profites pour émousser tes lames sur quelques notables et voler quelques bijoux de bonne facture. De quoi te permettre d'amasser un petit pactole, mais loin d'être suffisant pour te permettre de vivre décemment. C'est une vie de misère que tu apprécies autant que tu redoutes. Ton ambition personnelle, à toi, c'est d'engranger assez de richesses pour t'éloigner de ce monde et vivre dans l'opulence. Il faut croire que tes petits larcins ne semblent pas être la meilleure des façons d'atteindre cet objectif.

Alors, quand tu as entendu parler de ce fameux concours de vache qui anime la ville quatre fois par an, et surtout de la récompense à la clef pour le gagnant – qui se chiffre en plusieurs milliers de berrys, selon les dires, même si ça te semble douteux vu le peu de moyens que semble avoir les habitants de l'île – tu t'es jeté sur l'occasion. Dérober un coffre rempli d'or, c'est largement dans tes cordes. Quand tu étais sous les ordres de Mr. Bondlour, ton maître, tu as eu plusieurs fois à t'infiltrer chez des notables pour leur voler quelques richesses ou contrats juteux. Là, cependant, la tâche risque d'être ardue. Il y a une certaine effervescence locale, et tu as entendu dire que la garnison de la Marine locale, la 460ème, sera également de la partie. Pour le moment, personne n'a rien à te reprocher et tes actes, certes répréhensibles, ont toujours été assez discrets pour que le Gouvernement Mondial n'émette pas d'avis de recherche à ton sujet. Ce qui t'évite, la plupart du temps, d'avoir à te cacher ou à dissimuler ton identité.

Mais, histoire de brouiller correctement les pistes, tu emploies toujours un pseudonyme. Héritage de ton enfance au Hell's Club, où les femmes de joie qui t'ont élevé usaient de ce stratagème pour éviter les ennuis avec les autorités. Mickaël Wayland, la plupart du temps. Sans trop savoir pourquoi d'ailleurs, puisque tu n'as aucune attache particulière avec ce patronyme. Quoiqu'il en soit, c'est comme ça que te connais le gérant de l'auberge dans laquelle tu séjournes, ou encore le tenancier du bar local, dans lequel tu va écumer les quelques pièces que tu as en poche.

Au milieu de la populace, cet amas de faibles gens selon ta conception du monde, tu déambules en détroussant, au hasard du bousculade fortuite, quelques bourses mal dissimulées. Tu fais bien attention à te fondre dans la masse, à n'éveiller aucun soupçon, même si ton apparence délétère dénote avec celle plus rustre des habitants du coin. Plein de bons sentiments et niaiseries malsaines, c'est une ambiance que tu détestes profondément et tu dois te contenir pour éviter de trancher la tête de tous ceux qui passent à ta portée tant leur sourire benêt t'irrite.

Tu marches à destination de la salle des expositions de la ville, dans laquelle va se tenir le concours. Il faut dire que c'est un événement de la plus haute importance dans le coin – d'ailleurs, c'est la seule animation que tu as eue l'occasion d'observer en deux mois, ce qui en dit long sur l'ennui qui doit éprendre les pauvres badauds. Le hangar sous lequel va se tenir le concours est grand, suffisamment pour accueillir le quelques millier de visiteurs attendus. L'accès est pour l'instant interdit, mais ça t'importe peu. Toi, tu es là pour faire du repérage sur les lieux. Identifier les issues de secours, les points de rassemblement, les meilleurs endroits pour se mettre à l'abri des regards. Le bâtiment est plutôt uniforme et, même si cela veut dire que la sécurité risque d'être sporadique, cela signifie aussi qu'il y a peu d'infrastructures à l'intérieur te permettant de pouvoir prendre la poudre d'escampette si ça tourne mal. Pas de conduits d'aération, aucune fenêtre assez grande pour laisser passer un homme, même de ta petite taille. Seulement quatre grandes entrées, avec des portes battantes, sur chacune des faces du hall d'exposition. Autant dire que, une fois à l'intérieur, ça risque d'être compliqué de réussir à se soustraire aux regards indiscrets.

Un peu déçu, tu regagnes la chambre que tu loues en centre-ville pour faire le point. Inutile de dire que la mission risque d'être plus complexe que prévue. Une fois que tu auras le butin entre tes mains, il va t'être difficile d'échapper aux soldats de la Marine ainsi qu'à une horde de villageois en colère armés de fourches – cliché sur patte, au demeurant. Tu passes une partie de la nuit à réfléchir à la marche à suivre, à de nouveaux plans et tu songes même à abandonner ton idée initiale. D'autant plus lorsque le matin, au détour d'un petit-déjeuner copieux pris dans la salle commune de la taverne, tu entends un villageois dire qu'il n'y a plus de places en vente pour la foire, et que les réservations sont désormais complètes. Ignorant ce détail d'une certaine capacité d'accueil pour un événement de ce genre, tu te dis alors que c'est fini, et que tu vas devoir attendre la prochaine édition et travailler ton plan plus en profondeur d'ici là. Même si l'idée de devoir rester trois mois de plus sur cette île te semble insurmontable.

« Mais, apparemment, les organisateurs acceptent encore les inscriptions pour ceux qui viennent faire concourir leur vache ! P't'être qu'ils ont pas assez de monde cette année ? »
« Après la crise de vers des étables de l'an dernier, ça m'étonne pas plus que ça ! »
« Ouai, c'est vrai. »

Bienheureux les deux malheureux qui t'offrent une porte de sortie. Même si, en l'occurrence, tu n'as définitivement aucune vache à présenter dans un tel concours. Tu n'avais d'ailleurs jamais vu de pareil bestiau avant ton arrivée sur Kage Berg. Toi qui n'as grandi qu'en ville, et sans aucune attache ou sympathie particulière pour les animaux. Mais ça t'a donné une idée.

Tu quittes donc la taverne, avec la ferme intention de tomber sur un participant et sa vache. Le concours est dans trois jours, et tu en mets deux avant de réussir à atteindre ton objectif. Il faut dire que, au milieu de tous ces paysans, il est difficile de faire le distinguo entre éleveurs de vache et autochtone.

    C'est en soirée, alors que tu écumes un dernier bar, un peu désespéré à l'idée de tomber sur un concourant et légèrement enivré par le rhum que tu as avalé, que tu rencontres un jeune garçon. Il doit être tout juste majeur, et porte l'attirail typique du garçon de ferme. À ses côtés, une vache. Selon tes maigres connaissances en matière de bétail, tu te fais la réflexion qu'elle semble particulièrement bien entretenue. Le jeune homme marche dans les rues quasi-désertes de la ville à cette heure tardive, son animal tenu par une corde à ses côtés. Ce qu'il fait dans la rue à cette heure-là ne te regarde pas. Pas plus que tu ne te pose de questions sur comment l'aborder ou le prendre en otage. Ce n'est pas dans tes habitudes de te triturer l'esprit pour de pareilles broutilles, alors tu attends. Et lorsqu'il emprunte une ruelle à l'écart de tout regard indiscret, tu l'accostes.

    Enfin, l'accoster est un bien grand mot à vrai dire, puisque c'est le froid de ton sabre dans son abdomen qui vient étouffer la conversation que vous auriez pu débuter. Il ne crie pas – tu as bien pris soin de frapper directement dans le cœur, afin d'éviter tout rugissement suspect. Il s'effondre, sans demander son reste. Ce qui n'est pas le cas de la vache à ses côtés qui, prenant peur, s'agite et se cabre légèrement – tout autant que peut se cabrer un mastodonte pareil. Tu reçois, par négligence pure, ses pattes arrières en plein ventre, et tu es projeté sur quelques mètres, légèrement hébété. Ça a de la force, cet animal !

    Par chance, la vache ne s'enfuit pas. Elle meugle, elle frémit, elle cherche à se débattre, mais elle ne s'enfuit pas. Alors tu l'attrapes par la corde que son maître gisant sur le sol vient de lâcher, et tu essaies de la calmer. Ton aura pas forcément apaisante ne t'aide pas, et l'animal continue à s'agiter un bon moment avant de réussir à revenir à lui. Te voilà maintenant l'heureux propriétaire d'une vache de concours.

    Tu te baisses, afin de détrousser les poches du malheureux que tu viens d'abattre froidement. Pas d'argent sur lui – ce que tu regrettes fortement – ni même quelconque papier d'identité. Tu vas donc devoir te débrouiller avec ce que tu as sous la main, à savoir un animal pas forcément content qu'un inconnu vienne de tuer son maître. Animal d'ailleurs que tu attaches à un poteau en bois trônant dans la rue le temps que tu te débarrasses du corps. Inutile de laisser traîner des traces inutiles, et qui pourrait venir mettre la panique dans les rangs si apaisés de Kage Berg. Un sac-poubelle choppé à la volée, une découpe sanglante, et un bon nettoyage plus tard, tu reviens vers la bête qui, étrangement, est restée bien à sa place. C'est une bonne chose, finalement, puisque ça t'évite d'avoir à courir après un animal affolé en pleine nuit, ce qui aurait pu légèrement éveiller l'attention.

    Tu viens de te trouver un pass d'entrée pour la foire trimestrielle, même si ledit pass se trouve être de devoir prendre soin d'une vache jusqu'au lendemain. Tu te souviens d'Alihya, cette prostituée avec laquelle tu as passé une partie de ton enfance. Elle, passionnée par les animaux, t'a enseigné pas mal de choses à leur sujet, même si ce n'étaient pas des plus passionnants. Déjà, pour commencer, calmer une bête passe par une certaine forme de quiétude interne. Le meurtre que tu viens de commettre a mis ton cœur aux aguets, comme d'habitude. Tu expires donc plusieurs fois, par quelques techniques de méditation apprises auprès de Amlesh, l'esclave avec lequel tu as séjourné chez Mr. Bondlour. Étrangement, cela semble fonctionner et l'animal accepte, non sans rechigner, que tu l'approches et que tu le touches. Une grande étape de franchie, même si tu n'es pas à l'abri de te prendre un nouveau coup de pattes arrières qui risque de t'envoyer dans le décor une nouvelle fois.

    Ça te prend plusieurs minutes pour que la vache accepte de te suivre. Les traces de sang ont disparu, mais l'odeur est sûrement toujours présente. Toi, tu apprécies ce doux fumet, mais ce n'est certainement pas le cas du bovin. Licol en main, tu te rends compte maintenant qu'il va te falloir réussir à appréhender les affres du métier de paysan et d'éleveur de vache, tout du moins jusqu'au lendemain. Pour un gars de la ville, ça risque de t'être particulièrement complexe. Tout ce que tu sais, c'est que tu vas devoir lui trouver de l'herbe et un peu d'eau pour la nuit, histoire qu'elle soit dans une forme relative pour le lendemain.

    L'eau, ça ne devrait pas poser trop de soucis. Un seau trouvé à la volée, un peu d'eau à la fontaine du coin, et ça fera largement l'affaire. Même si tu te doutes bien qu'un animal de cette taille, ça doit boire des litres et litres pour être sustenté. Mais pour l'herbe, il va falloir que tu t'aventures à l'extérieur de la ville, rejoindre les plaines, et en ramasser suffisamment. Et suffisamment, ça veut dire une quantité à la hauteur du bestiau. Autant dire que la nuit risque d'être plutôt courte.
      Après plusieurs minutes de marche durant lesquelles tu en profites pour imaginer la façon dont tu vas dépenser l'argent que tu va dérober aux paysans (certainement en bons repas et quelques verres de rhum bien chaud), tu atteins la frontière de la ville, là où les plaines s'étendent à l'horizon. Il y a plusieurs semaines, tu t'es lancé dans une expédition à travers celles-ci pour rejoindre une ville à quelques heures de marche de celle dans laquelle tu séjournes. Une traversée bien harassante, qui a failli venir à bout de ta santé mentale déjà fragile. Toi, tu n'aimes pas le vide. Et autant dire que les champs à perte de vue en sont composés en grande majorité. Surtout quand on s'éloigne des sentiers battus.

      Il est tard dans la nuit. D'ailleurs, selon ton horloge interne – qui n'est pas toujours la plus fiable, surtout avec un peu d'alcool dans le sang comme actuellement – il serait plus exact de dire qu'il est tôt dans la matinée. L'heure du crime est passée, et la lune commence déjà son lent déclin.

      Tu as atteins une distance assez raisonnable depuis la ville, et surtout un champ d'herbe fraîche. L'endroit idéal pour commencer ton petit moissonnage, que tu t'attèle à faire à l'aide d'un de tes sabres. Pas vraiment son utilité à la base, mais tu t'en contenteras. De toute façon, c'est une arme de faible manufacture, que tu as détroussée à un marchand ambulant il y a quelques mois, alors que tu écumais les îles de West Blue. Il commence salement à s'émousser, le fer contenu dans le sang dont tu l'abreuves ne suffisant pas à le satisfaire. Tu es conscient que tu ne vas pas devoir tarder à te trouver une nouvelle arme, de meilleure composition. Dans l'idéal une de ces fameuses lames d'exception, les meitou, pour qui tu as une fascination depuis que tu as appris leur existence. Toutes dotées d'une histoire et d'une fabrication hors du commun, ces sabres dégagent une aura spécifique, et surtout ne s'émoussent que rarement. Tu aimerais en posséder une – voir plusieurs – mais leur rareté en fait des armes très prisées. Il va donc te falloir engranger assez d'argents pour t'en acheter une légalement ou – et c'est l'option que tu risques de choisir – en dérober une quand tu l'auras sous les yeux.

      « Hey toi ! »

      Alors que tu te casses le dos, courbé vers le sol pour tailler l'herbe au mieux, tu entends cette voix au loin. Tu te relèves, en colère contre toi-même de t'être laissé ainsi surprendre. Dans ton dos, trois hommes, à quelques mètres, armés de fourches et l'air débonnaire. Des cinquantenaires aux visages bedonnants, et aux yeux rougeoyants. Sûrement des paysans du coin qui ont fini l'apéro un peu tard.

      « Qu'est-ce tu fou dans mon champ ? »
      « Un détrousseur de paille, sûrement ! »

      Sûrement un terme autochtone de l'île de Kage Berg. Quoiqu'il en soit, pris en flagrant délit – même si tu n'avais pas l'impression, pour une fois, d'être en dehors de la loi – ils s'approchent de toi avec un air menaçant.

      « Boudiou ! Vois-t'y pas qu'j'venais pour mettre en route les arroseurs, et que j'tombe sur un détrousseur ? Dégage de là, avant qu'j'appelle la Marine p'tit gars ! »

      Les trois n'ont pas l'air franchement prompts à la discussion. Heureusement pour eux, tu n'es pas un grand bavard non plus ! Ton arme déjà à la main, tu franchis d'un seul bond la distance qui vous sépare. Les trois sont en ligne, et tu commences par t'attaquer à celui le plus à gauche – le propriétaire du champ apparemment. Une coupe horizontale au niveau du ventre, tranchant la chair et la peau. L'homme s'affaisse, prit de soubresaut. Toi, sans laisser le temps aux deux autres hommes de reprendre leurs esprits, tu assènes un coup de fourreau en prenant ton arme à l'envers sous le menton du deuxième homme. Puis, sans même qu'il n'ai le temps de tomber en arrière, tu lui attrapes le col de sa salopette à carreaux, et tu lui enfonces ton sabre dégoulinant dans le ventre. Déjà deux à terre, et le troisième a tout juste le temps de prendre conscience de ce qui est en train de se passer. Et c'est sûrement ça qui va causer ta perte.

      Tu as tout juste le temps de te relever après la taillade que tu viens d'infliger au paysan, que le dernier vient te cueillir avec sa fourche. Tu réussis à esquiver minablement grâce à tes réflexes, mais l'une des piques de l'arme se plante dans ton flanc droit. Une blessure superficielle, mais qui fait tout de même jaillir du sang et tâche encore tes vêtements. La douleur du fer vient te saisir en pleine action, tu mets un moment genou à terre, et la main devant la bouche pour retenir un cri malvenu.

      « Ah, le connard ! »

      Tu tiens fermement ton sabre et tranche devant toi avec l'ardeur de la colère. Mais ton arme tranche uniquement l'air, et siffle dans un bruit qui résonne affreusement à tes oreilles. Tu relèves les yeux, et tu observes au loin le paysan qui t'a planté la fourche détaler à toute vitesse.

      « Et merde ! »

      Tu essaies de te relever mais la douleur de la blessure te maintient au sol. Tu l'as mal joué sur ce coup-là. Tu ne vas pouvoir le rattraper, ni même le retrouver. Tu t'assois un moment devant le corps des deux paysans que tu viens d'assassiner, pansant ta blessure en déchirant une partie de tes guenilles. La plaie est superficielle et ne mettra pas tes jours en danger, loin de là. Mais c'est suffisant pour que tu ai besoin d'un peu de temps pour reprendre ton souffle et tes esprits.

      Tu te donnes au passage une gifle. Tu as agi sous le coup de l'impulsivité, comme à ton habitude. Et cette fois-là, ça risque de jouer en ta dévafeur. Plus qu'à espérer que la Marine ne s'affole pas et ne décide pas d'annuler l'événement avant que tu n'aies pu dérober le prix que tu convoites. Tes jours sur cette île sont définitivement comptés.

        Concours de vache – Foire des expositions – Le lendemain

        « S'cusez-moi, mon bon m'sieur ! »

        Tu prends ton accent le plus cliché possible pour essayer de donner le change. Au milieu de cet immense hangar, tu n'es pas vraiment à ta place, mais tu essaies de te fondre dans la masse. Ta vache – que tu as doucement renommé Margueurite, par pur cliché encore une fois – est bien calme à tes côtés. Tu ne peux que saluer le travail de dressage qu'a dû effectuer le gars que tu as tué dans la ruelle la veille. Il a certainement passé beaucoup de temps à chérir et choyer son bétail pour présenter son meilleur élément lors du concours. Dommage pour lui qu'il n'ai pas pu aller au bout de sa démarche, mais il aurait peut-être dû se concentrer à éviter de marcher seul en pleine nuit plutôt que sur l'élevage intensif de bestiaux.

        « Boudiou, un bel accent de nos montagnes profondes ça ! »

        Le vieillard à qui tu t'adresses, béret de laine sur la tête et tenue de paysan sur le corps, semble se prendre à ton jeu. Il caresse le museau de son propre animal, parqué à l'intérieur d'un box en ferraille.

        « Z'avez bien raison, m'sieur ! J'viens de la belle vallée de... »

        Tu te rends compte que tu n'as aucune idée de la géographie profonde de l'île et que tu te lances sur un terrain glissant, qui risque de griller ta couverture factice. Tu te reprends, comme tu peux, en essayant de ne pas perdre la face.

        « 'Fin, voyez bien d'quoi j'parle ! »
        « Les p'tits gars de Fainfon, j'en vois peu dans c'genre de concours. Qu'est-ce qui vous a poussé à descendre de votre montagne, garçon ? »
        « J'ai passé des mois et des mois à choyer ma p'tite Margueurite ! J'voulais voir c'qu'elle valait face à d'autres bêbêtes. »

        Tu essaies de faire la conversation, sans trop d'épandre. Tu es encore aux aguets, après la fuite du paysan de la veille. Apparemment, les forces de l'ordre ne sont pas plus en alerte que ça, et tu as réussi à infiltrer le concours avec ta vache sans éveiller de soupçons. Grimé toi aussi d'une tenue de paysan pour te fondre dans la masse, tu donnes parfaitement le change. Mais tu as bien conscience que tu dois faire vite. Dès que les autorités apprendront ton crime et remonteront jusqu'à toi, tu vas sûrement passer un sale quart d'heure. Et hors de question de finir sous les verrous si tôt dans ta quête de richesse.

        Tu es donc vigilant à ce qui se passe autour de toi. L'endroit est grand, et tout est observé est difficile, surtout avec le monde qui borde les allées. Grossièrement, le hangar accueille cinq mille personnes environ. Au centre de celui-ci, un grand terrain en terre battue, bordé de grilles en métal. Et, contre chaque mur du hall, des boxes dans lesquels attendent les vaches des éleveurs. Les spectateurs, eux, attendent patiemment sur des gradins autour du terrain, ou encore aux abords directement en s'appuyant sur les grilles en fer. La ferveur est grande, et tout le monde semble enthousiaste à l'idée du concours. Vraiment le genre d'ambiance que tu exècres !

        Pris dans la discussion avec le vieillard, te prêtant au jeu, tu ne prêtes pas attention au speaker qui commence son discours. Enfin, tu n'y prêtes pas attention jusqu'à que tu entendes ton nom. Ou tout au moins l'identité que tu as empruntée pour participer.

        « Et c'est Jo' Sévaubé et sa vache Margueurite qui sont les premiers à ouvrir le bal ! »

        Merde, c'est ton tour ! T'es pas spécialement préparé. En même temps, tu te demandes même comment tu aurai pu l'être en condition optimale, puisque c'est littéralement un domaine que tu as découvert depuis quelques heures. Surtout que tu ne t'attendais pas à passer en premier. Tu n'as aucune idée de ce que tu dois faire, mais ça n'a pas franchement d'importance. Tu n'as pas pour objectif de gagner ce concours sans importance, mais simplement d'attendre que soit exposer la récompense pour la subtiliser et t'enfuir. Apparemment, selon les organisateurs, le gagnant brandira son lot lors de la remise des prix. Plus qu'à attendre donc.

        Tu tentes de convaincre Margueurite de te suivre, mais elle n'est pas franchement conciliante. Ce qui, pour le coup, est plutôt normal. Mais, avec un peu d'acharnement, elle finit par accepter de t'accompagner au centre du terrain en terre battue. Te voilà donc au centre de l'attention, les regards rivés sur toi. Les spectateurs applaudissent, clament leurs saouls. Toi, tu te sens ridicule mais tu dois entrer pleinement dans ton personnage pour ne pas te trahir.

        Alors, tu commences à faire quelques tours de piste. Ta vache n'est pas des plus coopératives, et tu dois lui lancer quelques discrets regards assassins pour qu'elle accepte de faire à ta guise. Vu les acclamations à la fin de ta prestation, tu ne t'en ai pas trop mal sorti. Un heureux hasard, puisque tu n'as aucune idée de la manière dont se déroule ce genre d'événement en temps normal.

        Les autres concurrents effectuent ensuite leur passage, pendant que toi, tu attends patiemment sur les abords du stade couvert. La foule est dense et enivrée, tu prends des coups de coude que tu aimerais trancher net. Le concours dure une heure environ, après le passage d'une quarantaine de participants et de leur bétail. Un moment de délibération plus tard, le speaker reprend la parole.

        « Merci à tous les participants pour cette nouvelle édition de notre compétition. Cette fois, nous avons eu l'occasion de voir défiler de bien belles bêtes ! Mais j'ne vais pas vous faire attendre plus longtemps et j'vais annoncer les vainqueurs du concours. »

        Le silence se fait dans la salle. Tu en profites pour observer les issues, sachant le moment propice approcher. Plusieurs soldats de la Marine bloquent l'accès à chacune d'entre elles, ce qui, comme tu l'avais prévu, risque de rendre difficile ta fuite.

        « À la troisième position de notre podium, on accueille Yanik Jajadot, et sa vache Breu-Thonne. Ils gagnent tous les deux un an de foin fourni par la coopérative des Echoloques. »

        Tu es concentré sur tes chances d'évasion. Il va falloir que tu la joues particulièrement discret.

        « À la deuxième place, c'est Elise Lucquet, et sa vache Sauvergne qui remportent un ré-emménagement complet de leurs locaux offert gracieusement par notre partenaire, Gamme Bleue. »

        Bien, la parité !

        « Et enfin, le grand gagnant de cette édition... »

        Tu te reprends tes esprits pour te concentrer. Ta cible va être désignée, et ça va être à toi de réussir à l'aborder et à lui dérober sa récompense avant qu'elle ne s'enfuie.

        « Jo' Sébauvé, et sa compagne Margueurite ! Pour leur prestation toute en sobriété et la beauté du poil de la bête ! Un tonnerre d'applaudissements pour ces deux concurrents qui participaient pour la première fois à notre concours ! »

        Tu mets quelques instants avant de prendre conscience que c'est toi qu'on vient de citer. Sous ta fausse identité, entendez bien. Un peu hébété, tu t'avances au milieu des autres participants, gagnant le centre du terrain en terre battue, pour monter sur la plus haute marche du podium. Tu as vraiment gagné ? Tu as l'impression qu'on te fait une blague. Ça en dit long sur le niveau des autres participants si ta petite démonstration toute basique a suffi à te permettre d'atteindre la première place. Étrangement, tu ressens une forme de fierté, que tu chasses bien vite. C'est un concours ridicule, mais ça facilite grandement les choses.

        Tu as réussi à atteindre le trésor de façon totalement légale, et tu ne vas alors avoir aucun mal à quitter l'endroit sans avoir à détrousser quelqu'un. Tu souris. Les personnes autour de toi doivent penser que tu es content d'avoir été élu, mais c'est simplement parce que tout s'est déroulé de la meilleure des façons finalement. Une jeune femme – plutôt mignonne au demeurant – vient te remettre un petit coffre finement décoré. Les acclamations de la foule viennent te galvaniser. Tu savoures ton petit moment de gloire, les yeux rivés sur ton trésor. Le coffre n'est pas très grand, mais tu imagines que la récompense est à la hauteur de tes attentes. Tu te perds un moment à rêver, mais une voix vient vite te ramener à la réalité.

        « C'est lui ! J'vous assure, c'est lui qui nous a attaqués cette nuit ! »

        Les soldats de la Marine se fraient une place à travers la foule et envahissent le stade. Une cinquantaine d'hommes en armes, un mec à tête de cheval qui dirigent le tout, et le paysan que tu as laissé s'enfuir la veille. La panique gagne la foire.

        « Et merde ! »

          Dès le premier regard que tu poses sur celui qui se présente comme étant un Lieutenant-colonel de la Marine, tu sais d'avance que tu ne vas pas supporter ce mec. Déjà par son apparence. Certes, tu affectionnes particulièrement l'excentricité vestimentaire, et tu t'habilles souvent de façon plutôt bariolée , mais lui est à un niveau supérieur. Il arbore une tête de cheval – une véritable tête oui, bien que tu imagines que cela est un costume – et une queue du même animal qui trône à l'arrière de son postérieur. Au premier coup d'œil, tu as cru qu'il avait mangé un de ces fameux fruits du démon des légendes. Mais ce n'est apparemment pas le cas, du moins cela semble être un simple déguisement.

          Du haut de ton piédestal – une simple marchette en bois – et au milieu de la foule de spectateurs qui commencent à s'agiter de cette intervention des forces de l'ordre, tu commences à paniquer. Ça va commencer à chauffer par là. Surtout que tu n'as pas tes armes sous la main, restées au vestiaire pour éviter de te faire remarquer outre mesure. Tu es donc sans défense, et fais face à un contingent de soldats qui t'ont en joue.

          L'homme-cheval, lui, s'avance. Celui qui t'accuse, au contraire, se terre au beau milieu des soldats. Ce petit con ! S'il ne t'avait pas infligé le coup de fourche pendant la nuit, tu aurais pu le faire taire définitivement. Et ça t'aurait évité cette situation franchement compliquée.

          « Au nom de la Marine et du Gouvernement Mondial, je vous arrête ! »

          Très protocolaire, très pédant. Parfaitement le genre de personne que tu détestes au plus haut point. Tu écartes les bras, dominant toujours la foule de la hauteur de ton podium de fortune, le coffre dans une main.

          « Et pourquoi donc vouloir m'arrêter ? J'ne suis qu'un pauvre paysan de ces vastes contrées ! »

          En parlant, tu affiches un sourire sournois sur tes lèvres, prouvant clairement ta culpabilité. Mais tu aimes te jouer des apparences, te jouer de ceux qui ne se méfient pas de toi. Ton petit manège semble faire son effet, puisque le Lieutenant-colonel en face de toi commence à serrer les poings. Poings d'ailleurs sur lesquels trônent deux gantelets de ferraille. Un combattant certainement.

          « Alors viens répondre de tes actes, et on tirera tout cela au clair ! »

          Tu vois bien que l'homme se retient d'agir. Un petit nerveux. Le type de personne que tu adores faire tourner en bourrique en temps normal, mais tu te sais clairement en position de faiblesse. Il suffit à l'homme-cheval de donner un ordre aux hommes derrière lui pour qu'une pluie de coups de feu viennent te couvrir comme un gruyère. Alors, tu sais que l'une des solutions qui s'offrent à toi, c'est de fuir. Tu essaies de faire un pas en arrière, pour descendre du podium. Dans la salle des expositions, c'est la cohue générale. Tout le monde cherche à s'enfuir, se marchant les uns sur les autres.

          « Toi, tu bouges pas ! Horseshoe ! »

          Sans même que tu ne puisses le voir venir, le Lieutenant-Colonel franchi la distance entre vous d'un bond, et t'assènes un coup-de-poing en plein abdomen. Tu serres du plus fort que tu peux le coffre entre tes mains, afin de ne le lâcher. Sous la violence du choc, tu es propulsé sur plusieurs mètres, et t'effondre sur une botte de foin qui traînait par heureux hasard là. Ouch ! Tu l'as senti passé celui-là ! D'autant plus que le Lieutenant-colonel t'a mis une sacrée droite en plein dans la blessure encore enflammée que t'as infligé le paysan la veille. Tu craches une gerbe de sang sur le sol. Enfin, sur la paille. Des passants t'enjambent, sans même prendre attention au fait qu'ils essaient justement de te fuir. Tu te remets debout tant bien que mal mais le Marine est déjà devant toi, ses hommes à l'arrière.

          « Tu vas rester là bien calmement et... »

          Tu tentes une nouvelle fuite rapide, mais il faut reconnaître que le soldat est sûrement bien plus fort et habile que toi. Pour te calmer, il te donne un nouveau coup avec sa main armée, en plein visage, et tu fais un nouveau vol plané jusqu'à la table des jurés, désormais vide. Celle-ci s'écroule sous le choc. Tes pensées sont floues, tu saignes abondamment.

          « Putain ! »

          Ce gars a une force de frappe hors-norme. Encore un coup comme ça et tu risques de...

          « Meuh ! »

          Tu lèves les yeux, toujours au sol. Marguerite a le museau au-dessus de toi, t'observant avec un air narquois. Enfin, aussi narquoise que puisse être une vache. Cela te donne une idée. L'unique moyen de fuir cette situation, par ailleurs. Alors tu te relèves, bien difficilement. Ton visage commence à se tuméfier, et tu as mal aux côtes. À ce rythme-là, et vu ta faible résistance physique, tu risques de t'évanouir dans peu de temps. Encore faut-il que tu aies fui tout ce bordel d'ici là !

          D'un bond agile, tu grimpes sur le dos de Marguerite. Elle ne doit pas avoir l'habitude, puisqu'elle commence à se cabrer. Mais tu n'as que faire de considérations futiles pour un animal, aussi agréable soit-il, et tu lui donnes un coup-de-poing sur le flanc.

          « T'es mon ticket de sortie, ma grosse ! Alors dépêche toi d'avancer ! »

          Le Lieutenant-colonel est presque à ton niveau. Marguerite se décide à agir, et commence sa folle embardée, sûrement sous l'effet de la peur et de l'agitation. Elle passe à côté du marine, qui lui donne un coup au niveau des antérieurs au passage. Ça doit faire mal, mais ça n'empêche pas la vache de continuer sa course. Toi, tu t'accroches comme tu peux à son cou, t'allongeant sur elle pour éviter les balles qui fusent. Certaines viennent toucher la vache, mais la douleur la rend encore plus folle. Sa course est erratique, elle percute plusieurs civils sur sa route. Mais, finalement, et malgré les efforts des forces de l'ordre, un bestiau d'une tonne a toujours le dessus sur un petit homme armé d'un sabre. Vous franchissez les portes arrières de la foire, provoquant un chaos ambulant supplémentaire dans les rues. Certains passants tentent de te saisir au vol lorsque tu passes près d'eux, mais tu t'accroches à l'encolure de Marguerite comme à ta propre vie.

          Toute la ville est mise en alerte. Marguerite s'écroule aux abords du port, la destination que tu comptais rejoindre. Ensanglanté mais n'ayant perdu aucunement tes capacités d'infiltration durement acquises pendant tes années d'esclave, tu parviens à monter à bord d'un navire marchand, te cachant dans les calles. Tu t'évanouis là, à l'abri des regards, ton coffre à tes côtés.

          Quatre morts – en comptant Marguerite, paix à son âme –, deux sabres de perdus, une foire gâchée et un Lieutenant-colonel en rogne. Étonnement, ce n'est pas ta pire journée depuis ton entrée dans la piraterie. Il faut reconnaître que ce n'est pas la meilleure non plus. Un sourire béat vient s'afficher sur ton visage.