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Jeux de guerre

Dans les épisodes précédents:

La petite corvette de la Marine était sévèrement chahutée par les éléments. Des déferlantes balayaient régulièrement le pont, la houle en furie ballottait le vaisseau et ses passagers en tout sens, les creux inattendus faisaient bondir le navire dans le vide et seule l’habilité de son pilote lui permettait de ne pas se faire écraser par les montagnes écumantes qui menaçaient d’engloutir corps et âme la pauvre coque de noix.

La majorité des Marines s’étaient calfeutrés dans l’entrepont, endurant vaille que vaille la furie des éléments. Rachel ressentait une petite pointe de culpabilité à ce sujet, ne manquant pas de se dire qu’elle aurait du se trouver à leur côté pour les rassurer comme elle l’aurait pu. Mais elle se tenait présentement dans la timonerie de la corvette, sa grande taille lui permettant de se stabiliser d’une main solidement plaquée au plafond. À ses côtés se tenait le Capitaine Dumond, tout tremblant, s’accrochant comme si sa vie en dépendait à une barre de soutien, près de la porte. Le pauvre homme regrettait amèrement de s’être laissé convaincre de se lancer dans une telle aventure : la mer en furie allait gober son navire d’une minute à l’autre et s’en serait fini d’eux, il en était persuadé.
Tel n’était cependant pas l’avis du pilote. Arborant fièrement son fameux casque à cornes sous sa casquette réglementaire de sergent-chef de la Marine, Jürgen Krieger menait gaillardement la coque de noix au travers des éléments déchaînés, le sourire aux lèvres en dépit de la concentration implacable dont il faisait preuve pour éviter les dangers de tous les instants. Le sergent Krieger était un homme de la mer, un vrai, et il était ici dans son élément : il était donc naturellement au comble du bonheur.

Une nouvelle fois, Rachel songea qu’elle avait eu bien de la chance de croiser la route du Nordique. Elle-même n’y entendait goutte à la navigation : en dépit de bien des efforts, ses connaissances se résumaient essentiellement – pour ne pas dire exclusivement – à distinguer bâbord de tribord sans se tromper. Raison pour laquelle la Marine avait décrété que la jeune femme n’irait nulle part sans un sergent-breveté sur ses talons pour prendre en charge tout ce qui toucherait au domaine maritime. L’institution ne pouvait laisser courir le risque de se ridiculiser en déployant un officier incapable de mener un navire à bon port ! C’est donc là qu’intervenait Jürgen : c’était un marin-né, il était déjà au grade voulu et, surtout, il officiait depuis ses débuts dans la Marine sous les ordres de la jeune femme. Les deux larrons se connaissaient bien et travaillaient efficacement ensemble. Rachel avait toute confiance en Krieger pour gérer la navigation et, réciproquement, lui-même lui vouait une confiance aveugle pour tout le reste. Ils formaient un bon duo.
Sans lui, la petite troupe de Rachel serait encore coincée sur l’île du Piton Blanc, le Capitaine Dumond s’étant senti incapable de naviguer dans le grain qui s’annonçait. Mais c’était aussi grâce à l’intervention de la jeune femme qui avait su convaincre le Capitaine de céder la barre au Nordique. Rachel pouvait se montrer très convaincante lorsqu’il le fallait.

« Terre en vue ! » Annonça joyeusement Jürgen.

Rachel fronça les sourcils et se concentra sur la ligne d’horizon, tentant d’y voir quoi que ce soit dans le chaos qui s’étendait à perte de vue devant eux. Les nuages étaient si gros qu’on se serait cru en pleine nuit et la pluie tombant à verse n’arrangeait en rien les choses. Mais finalement, elle parvint à distinguer une petite lueur au loin. Le phare d’Hexiguel, la base locale de la Marine. À mesure que la corvette s’en approchait, la lueur du phare semblait s’élever à l’horizon et de menus détails apparaissaient au gré des lumières locales et des flashs de foudre répétés.

Hexiguel ressemblait à une montagne. Un grand cône de basalte, dressé au beau milieu de nulle part. À son sommet, le phare tentait d’éclairer vaille que vaille la pénombre ambiante de la tempête (simple phénomène passager, courant en cette saison mais n’excédant rarement que quelques jours, avait assuré le capitaine Dumond lorsqu’il avait proposé de repousser le voyage). La base de la marine était troglodyte, creusée à même la roche. Ainsi, on pouvait distinguer sous le phare une multitude de postes de tir et d’observation. La roche extraite lors de la construction des installations avait servi à établir d’énormes digues autour de la base du cône. Cette organisation permettait de ceindre Hexiguel d’une étendue d’eau relativement plus calme les jours de tempêtes : en effet, les quais accueillant les navires de la Marine étaient situés dans des grottes creusés dans la montagne, il fallait donc un minimum de stabilité pour éviter que les embarcations ne finissent fracassées contre les flancs de la montagne.

Et c’était tout. Hexiguel n’était que ça : une grosse base de la Marine taillée dans un pic rocheux dépassant de l’océan. Pas d’île au sens propre, pas de ville à protéger, rien, juste une grosse base posée au beau milieu de nulle part. Très exactement au beau milieu, d’ailleurs. En effet, Hexiguel avait en charge la protection et le maintien de l’ordre dans les Confins. Une vaste zone d’eau, saupoudrée d’îles clairsemées habitées par de petites communautés éparses – dont la grosse majorité ne méritent même pas le nom de village – située dans l’un des coins de la grande carte de North Blue, près de la bordure, où il n’y a tellement rien d’intéressant à faire figurer que les artistes facétieux préféraient dessiner de gros monstres marins ou des roses des vents, faute de mieux.

Les Confins avaient longtemps causé un épineux problème à la Marine. D’un côté, la zone était si vaste qu’il aurait fallu installer plusieurs bases pour en assurer la sécurité avec rigueur. D’un autre côté, la zone était si vide et dépeuplée qu’il était difficilement justifiable de mobiliser autant d’effectifs pour garder essentiellement du rien. Sauf que la nature ayant horreur du vide, si la Marine ne déployait pas une présence régulière en ces lieux, pirates et révolutionnaires de tout poil se passeraient rapidement le mot pour essayer d’y faire des trucs discrètement en toute quiétude. Raison pour laquelle la Marine se devait de maintenir une présence : pour s’assurer que ce gros tas de rien le reste.
C’est là qu’entrait en jeu Hexiguel et l’opiniâtreté de la Marine. Bien qu’inhabité et inhabitable, le l’énorme pic de basalte présentait l’incommensurable avantage de se situer au centre des Confins. Au sein de la hiérarchie de la Marine, quelqu’un, quelque part, décida donc de transformer ce gros cailloux inutile en une base opérationnelle. Certes, les patrouilles devraient mettre les bouchées doubles pour couvrir l’intégralité de la zone, mais en terme de ratio effectifs mobilisés-efficacité, il était difficile de faire mieux.

Rachel ignorait combien de temps il avait fallu pour mener à bien ce travail de terrassement titanesque, mais c’était somme toute l’un des points forts de la Marine : sa capacité à assigner sans faillir des ressources pour accomplir des objectifs qui ne porterait leurs fruits que sur le long terme. La jeune femme songea que si le pic n’avait pas existé, la Marine n’aurait probablement pas hésité à  construire une île artificielle au cœur des Confins .

Guidée d’une main experte par le sergent Krieger, la corvette contourna l’extrémité de la digue qui s’enroulait autour du pic et s’engagea dans le chenal qui menait aux quais. Très rapidement, le navire passa d’un océan démonté à une simple mer agitée, au grand soulagement de tous les passagers. L’approche jusqu’au quai ne fut qu’une formalité pour le pilote.

Il était temps pour Rachel de rendosser son rôle de sous-lieutenante. La jeune femme jeta rapidement un coup d’œil à l’une des vitres de la Timonerie – avec le contraste de la pénombre extérieure, elles pouvaient presque faire office de miroir – pour vérifier que tout était en ordre. D’ordinaire, elle aurait froncé les sourcils en réservant un accueil mitigé à ce qu’elle aurait vu : une albinos aux cheveux en folie, trop grande et charpentée pour le commun des mortels, bien éloignée des canons de beauté usuels. Mais pas aujourd’hui : aujourd’hui, elle n’avait d’yeux que pour le manteau d’officier posé sur ses épaules.
Arborant les kanjis de la Justice (正義), ce manteau lui avait été offert par le colonel Hendricks et le commandant Song, la veille de son départ de la garnison du Piton Blanc pour récompenser son accession au grade de sous-lieutenant. À ce titre, il ne symbolisait pas seulement le credo de la Marine, ni même les convictions intimes de la jeune femme quant à la marche du monde et la charge qui lui incombait pour le sortir de l’ornière. Non. À ses yeux, il symbolisait surtout les espoirs que ses deux supérieurs avaient placé en elle.

C’était le colonel Hendricks qui l’avait repéré et avait patiemment pris le temps de la guider sur la voie des officiers. Ce qui n’avait pas été une mince affaire, puisque Rachel avait longtemps décidé qu’elle n’était tout simplement pas faite pour ça et avait obstinément regimbé tandis que le vétéran l’aiguillait sans cesse. Le colonel avait cru en elle envers et contre tout et il était persuadé que la jeune femme avait beaucoup à apporter à la Marine. Rachel avait la ferme attention de ne pas décevoir ses attentes.
Quant au commandant Song, c’est lui servait tout simplement de modèle à la jeune femme. Pendant tout le temps où elle avait été en poste au Piton Blanc, elle avait pu réaliser à quel point l’officier faisait preuve de compétence et d’attention envers ses hommes. Il s’inquiétait du moindre d’entre eux, du plus simple matelot au plus prometteur des officiers, il était là pour eux quand ils avaient besoin de lui et il prenait le temps d’aider chacun bien au-delà de ce que son poste pouvait exiger de lui. Elle-même avait ainsi plusieurs fois bénéficié de son soutien sans faille. Bien qu’il existât de nombreuses sortes d’officier, le commandant Song était à ce jour celui qui faisait preuve du plus d’humanité dans sa fonction et Rachel souhaitait ardemment lui ressembler.
Oui, ce manteau était la preuve que le colonel Hendricks et le commandant Song avaient tous deux reconnu son potentiel et lui faisait confiance pour qu’elle marche dans leur pas. Rachel était déterminée à ne pas trahir cette confiance.
Et cela commençait ici et maintenant, à sa nouvelle affectation sur Hexiguel.

Ragaillardie par son dernier coup d’œil, Rachel sortit d’un pas vif sur le pont de la corvette, le sergent Krieger sur les talons. Les matelots étaient déjà en train de dresser une passerelle pour permettre le débarquement de la troupe. L’imposante albinos fit signe à son subalterne de se poster sur le quai tandis qu’elle même se dirigeait vers l’écoutille de l’entrepont, qu’elle ouvrit à la volée pour annoncer à sa troupe qu’ils étaient arrivés à bon port et pouvait débarquer.

Les cents Marines sous ses ordres – un compagnie complète – s’extirpèrent des entrailles de la corvette dans un joyeux brouhaha. Si Rachel avait craint que la traversée mouvementée de la tempête ne les affecte, elle s’était visiblement inquiétée pour rien : tout le monde était d’attaque et impatient de montrer de quoi ils étaient capable. L’intégralité de la compagnie provenait elle aussi du Piton Blanc, un lieu si calme et paisible que c’en devenait déprimant. Chacun voyait donc en cette mutation à Hexiguel leur ticket pour la gloire : ils auraient enfin l’occasion de montrer ce qu’ils valaient ! Le moral était au beau fixe, comme le soulignaient les fanfaronnades fantaisistes qui éclataient ci et là.

Rachel compta soigneusement ses hommes au fur et à mesure qu’ils défilaient – il n’aurait plus manqué qu’elle en oublie un à bord ! – tout en s’attachant à accorder une attention particulière à chacun d’entre eux : un sourire, un regard complice ou parfois une remarque. En dépit de son accession au rang des officiers, la jeune femme mettait un point d’honneur à conserver un lien étroit avec ses hommes et à ne pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire sous prétexte de son grade.

Le dernier Marine à sortir n’était autre que son adjudant, Edwin Marlow. C’était un jeune homme doux et timide, bien à l’opposé de la caricature de sous-officier qui venait à l’esprit de la majorité des gens. D’allure chétive, impression renforcée par la grosse paire de lunettes qu’il arborait, Edwin ne tenait clairement pas la comparaison avec son vigoureux collègue Nordique. Mais tout le monde l’appréciait et le respectait au sein de la compagnie et le jeune homme n’avait jamais besoin d’élever la voix pour se faire obéir.

« Tout s’est bien passé pendant la traversée ? Lui demanda Rachel en l’aidant à grimper sur le pont.
_ Rien à signaler, mon lieutenant, affirma l’adjudant Marlow.
_ Ç’a du pas mal secouer quand on a traversé la tempête, objecta l’imposante albinos. Je me serai attendue à plus de casse au niveau de la troupe. Sérieusement, personne n’a été malade ?
_ Non, non : on a utilisé les hamacs, les cordages disponibles et quelques poulies de rechange pour bricoler un système d’amortisseur, lui assura Edwin avec un grand sourire satisfait. On a probablement été beaucoup moins secoué que vous autre, là-haut, mon lieutenant. Et puis, ç’a été très simple à mettre en place ! En fait, il s’agissait de… »

Comme d’habitude, Rachel ne put retenir un grand sourire tandis que le jeune homme s’enflammait pour lui décrire tout un tas de concepts physiques complexes. Dès lors qu’il était question de bricolage, l’adjudant discret et effacé disparaissait pour laisser place à un génie volubile et passionné. L’imposante albinos commençait franchement à penser qu’Edwin avait loupé sa vocation : il aurait eu tout à fait sa place dans la Brigade Scientifique, bien plus que dans la Marine régulière. La jeune femme le lui avait signalé avant leur départ du Piton Blanc, arguant qu’il aurait là-bas bien plus de matériel à disposition pour laisser libre cours à son imagination, mais l’adjudant s’était jusqu’ici contenté de botter en touche en murmurant qu’il y songerait.
Néanmoins, Rachel pensait de plus en plus qu’Edwin gâchait son talent à devenir un officier lambda. Il faudrait qu’elle prenne sérieusement le temps de lui en parler.

Après un crochet par la timonerie pour prendre congé comme il se le devait du capitaine Dumond, les deux compères franchirent la passerelle pour descendre à quai, où le reste de la compagnie les attendait. Jürgen avait pris les choses en main et dûment organisé le bataillon qui attendaient bien sagement en rang d’oignons sur plusieurs rangées, de part et d’autres de la passerelle.

L’arrivée de Rachel à terre coïncida avec celle d’une grappe de Marines menée par un adjudant, sortant des profondeurs de la forteresse. Le sergent Krieger beugla un ordre et, comme un seul homme, cent Marines pivotèrent d’un quart de tour pour faire face aux nouveaux arrivants et les saluer avec une synchronisation parfaite. À la tête que fit l’adjudant, la vision était tout à fait impressionnante. Et il y avait de quoi : les huiles locales avaient estimé que les renforts du Piton Blanc seraient retardés jusqu’à la fin de la tempête. Au lieu de quoi, non seulement la compagnie de Rachel avait bravé les éléments pour arriver comme prévu à leur affectation, mais en plus la traversée dantesque ne semblait pas avoir affecter le moins du monde les Marines, visiblement frais comme des gardons.

L’adjudant d’Hexiguel se planta à quelques mètres de Rachel, qu’il salua diligemment, avant de se présenter.

« Adjudant Lewis, à votre service, lieutenant. Le colonel Trevor vous attend dans son bureau. Si vous voulez bien me suivre.
_ Bien reçu, répondit l’imposante albinos. Et qu’en est-il de mes hommes ?
_ Mes subalternes les conduiront à leurs quartiers.
_ Très bien. Adjudant Marlow ? Appela Rachel. Je vous confie le commandement. Adjudant Lewis, après vous. »

Les deux gradés s’éloignèrent du reste de la troupe pour s’enfoncer dans les entrailles de la forteresse. En dépit de sa nature troglodyte, Hexiguel ressemblait beaucoup à une base standard. Rachel s’était attendue à des boyaux grossièrement taillés dans la roche, mais les ingénieurs de la Marine avaient fait les choses avec minutie. Le couloir était parfaitement rectangulaire, le sol, les murs et le plafond lisses et d’équerres les uns les autres. Des lampes étaient allumés de ci de là, mais en très petit nombre : d’ingénieux jeux de miroirs se chargeaient de propager et d’éclairer les lieux. La sous-lieutenante se sentait très impressionnée par les prouesses architecturales mises en œuvre.

L’adjudant Lewis guida Rachel à travers un dédale de couloirs et d’escaliers, au point que la jeune femme se demanda si elle serait capable de retrouver le chemin jusqu’à l’embarcadère toute seule. A priori, il semblait que le bureau du colonel Trevor se trouvait dans les hauteurs de la forteresse.

Après plusieurs minutes de marches, l’adjudant toqua finalement à une grande porte au beau milieu d’un couloir qui ne différait en rien de tous les autres aux yeux de Rachel. Un exclamation étouffée retentit et Lewis ouvrit la porte avant de s’effacer en faisant signe à la jeune femme d’entrer. L’imposante albinos ne se fit pas prier et pénétra dans le bureau avant d’exécuter un salut parfait en direction du colonel.

La pièce en elle-même ressemblait étrangement à une bibliothèque. Les murs latéraux ainsi que celui opposé à la porte étaient cachés par de grosses bibliothèques dont les rayons menaçaient de craquer sous les poids des divers livres, grimoires et cartes entassés dessus dans un foutoir saisissant. Ce cauchemar de bibliothécaire se poursuivait jusqu’à l’imposant bureau qui encombrait la majeure partie de la pièce, suffisamment grand pour servir de table à manger dans un restaurant familiale. Là encore, des feuilles en tout sens s’amoncelaient autour de piles de livres divers et variés, certains ouverts, d’autres fermés mais laissant échapper des dizaines de marque-pages. Et tout au bout de cette tanière trônait l’ours.

Bon, à seconde vue, le colonel Trevor n’était pas vraiment un ours. Mais il y avait comme un je-ne-sais-quoi d’assez similaire qui imposait aussitôt la comparaison à quiconque le voyait. L’homme était grand, très grand : Rachel lui concédait au moins une tête et demie, et c’était suffisamment rare pour la surprendre. Une carcasse corpulente, des mains comme des battoirs, des bras velus, un uniforme sans manche presque complètement caché par une immense barbe aux boucles châtains, des lèvres épaisses qui dessinait un sourire pleins de dents, un nez visiblement cassé à de multiples reprises, de gros yeux marrons flamboyants d’une lueur sauvage – ou bien n’était-ce que le reflet de la lampe ? – des sourcils broussailleux naturellement froncés, le tout complété par une épaisse chevelure tout aussi impressionnante que la barbe.
Rachel se serait presque attendue à ce que le colonel s’exprime par des grognements, mais ce fut bien d’une voix forte et claire qu’il accueillit la nouvelle venue.

« Repos, sous-lieutenante Syracuse. Dites-donc, vous saviez que vous n’étiez pas attendue avant deux-trois jours ?
_ Mais le document d’affectation disait que… Commença à se justifier la jeune femme.
_ Pohahaha ! S’esclaffa le colonel. Du calme, j’vous taquinais. Je suis bien content de voir que ce n’est pas une petite tempête de rien du tout qui vous arrête. C’est le genre de tempérament dont on a besoin, ici, à Hexiguel !
_ Ah.
_ Et comment va ce vieux briscard d’Hendricks ? Toujours pas décidé à abandonner sa colonie de vacance ? S’enquit Trevor.
_ Le colonel Hendricks se porte bien, mon colonel, répondit aimablement Rachel. Il compte rester en poste au Piton Blanc jusqu’à sa retraite.
_ Mwarf, du gâchis, oui… grommela le colonel. Bon. De ce que je vois, tu t’es… – Ouais, tu permets que j’te tutoies, hein ! – Donc tu t’es portée volontaire pour rejoindre la garnison. C’est vrai, ce mensonge ?
_ Heu… Hésita diplomatiquement Rachel.
_ Ouais, c’est le vieux renard qu’a choisi pour toi, pas vrai ? J’m’en doutais un peu, va.
_ Effectivement, mon colonel, avoua la jeune femme. Comment avez-vous su ?
_ POHAHAHA ! Explosa de rire Trevor.
_ Je ne vois pas ce que j’ai dit de si hilarant, mon colonel.
_ Pohahaha ! Haha ! Ooh… Désolé, c’tait trop drôle… Signala le colonel en écrasant une larme de rire. T’as vraiment aucune d’idée d’où est-ce que t’as mis les pieds, pas vrai ? Personne ne demande jamais à être affecté ici ! Personne. Qu’est-ce que tu connais de l’endroit, dis-moi ?
_ Hé bien, c’est une forteresse troglodyte bâtie au milieu des Confins… commença la jeune femme.
_ Exactement ! Tonna Trevor. Un gros caillou creux, planté au beau milieu de nulle part, avec pour tâche d’assurer des patrouilles distendues sur une zone bien trop large. Y’a aucun endroit pour aller se dégourdir les jambes, aucune ville digne de ce nom pour se changer les idées, et aucune gloire ni aucun honneur à retirer à protéger toute cette étendue majoritairement pleine de vide. Tout les Marines de North Blue évitent cet endroit parce que ça ressemble beaucoup à une mise au placard. La base ne compte que deux types de gars, ici : les couillons faisant l’objet d’une sanction disciplinaire et que la hiérarchie exile ici pour ne plus les avoir dans les pattes, et les poissards qu’ont rien demandé à personne mais qu’étaient justement disponibles quand il a fallu renflouer les effectifs de la base. Et toi, toi, tu débarques ici, comme une fleur, volontaire pour t’embarquer dans cette galère. J’peux savoir pourquoi ?
_ Parce que le colonel Hendricks pense que c’est un bon endroit pour moi, répondit Rachel sans la moindre hésitation.
_ Et tu lui fais confiance ?
_ Biens sûr, mon colonel.
_ Mon dieu, une idéaliste romantique… ça faisait longtemps… J’vois l’genre… Mais dis-moi, j’ai dit qu’il n’y avait que deux catégories de personnes ici : les couillons dont on se débarrasse et les poissards maudits par le destin. Tu te reconnais dans quelle catégorie ?
_ C’est plutôt évident, mon colonel, répondit Rachel avec un grand sourire. La même que la vôtre : ceux qui ont choisi d’être là.
_ …
_ Quoi ? C’est pas le cas ?
_ POHAHAHA !! S’esclaffa Trevor en tapant du poing sur la table. POHAHAHA ! Pohahaha ! Haha… Ok, t’as pas froid aux yeux, toi, reconnut le colonel. P’t-être bien que tu vas te plaire ici, en fin de compte… Très bien : sous-lieutenante Syracuse ?
_ Oui, mon colonel ?
_ Permettez-moi de vous souhaitez officiellement la bienvenue à Hexiguel ! Vous et votre compagnie serez intégrés à la section Alpha, sous les ordres de la commandante de Castelcume. Lewis va vous guider jusqu’au mess des Alpha. Voyez avec lui et la commandante pour les menus détails. Allez, et ne me décevez pas, hein !
_ Bien reçu, mon colonel. Vous pouvez compter sur moi ! Assura Rachel.
_ J’en ai bien l’impression, ouais. »

Rachel ressortit d’un bon pas et Lewis referma la porte derrière elle. Le colonel eût un reniflement amusé. Ce vieux renard d’Hendricks ne s’était pas trompé. La petite n’était pas encore très impressionnante, mais elle dégageait incontestablement de la volonté. C’était prometteur. Il voyait bien où son ancien mentor voulait en venir en catapultant la gamine directement du Piton Blanc à Hexiguel. Ce dont elle avait le plus besoin maintenant, c’était d’acquérir de l’expérience. Vite et de toute sorte. Et justement, ici, les occasions ne manqueraient pas.
Trevor fronça brusquement les sourcils puis se se carra plus profondément dans son siège tout en caressant son opulente barbe. C’est que la donzelle lui rappelait furieusement quelqu’un mais il ne voyait pas qui… Bizarre, bizarre…

De leur côté, Lewis et Rachel repartirent dans le dédale de couloir. La jeune femme faisait de son mieux pour essayer de se repérer, mais à ses yeux, tous les couloirs se ressemblaient dramatiquement les uns les autres. L’adjudant lui assura que les nouveaux venus s’y faisaient rapidement et qu’il lui faudrait moins d’une semaine pour apprendre à se repérer. Au grand soulagement de l’imposante albinos, il précisa tout de même qu’en attendant, on lui fournirait à elle et ses hommes des plans des lieux.

De ce que put en juger Rachel, le mess de la section Alpha était situé à mi-chemin de la montagne, quelques étages en-dessous du bureau du colonel mais encore de nombreux étages au-dessus des embarcadères.

Lewis s’arrêta de nouveau devant une porte des plus quelconques. Mais en faisant bien attention, Rachel aperçu un signe distinctif : sur une pierre à gauche du fronton était légèrement gravé un symbole représentant un petit écusson couronné arborant le symbole alpha, encadré d’une paire de couverts. Le mess des officiers de la section Alpha. La gravure était discrète et on pouvait aisément passer à côté sans l’apercevoir. Au-delà de quelques mètres, elle devenait parfaitement invisible, ce qui expliquait pourquoi tous les couloirs se ressemblaient à ses yeux.
L’adjudant toqua doucement à la porte puis fit signe à Rachel d’entrer.

La pièce était plus large que le bureau du colonel. Une grande table entourée de quelques sièges et d’un banc contre le mur occupaient la majeure partie de la pièce, présentement occupée par quatre officiers, une femme et trois hommes. Néanmoins, ce qui retint en premier lieu l’attention de Rachel fut la configuration du mess. Les sièges. Il étaient moins disposés autour de la table que face au mur opposé à la porte. Un instant, la jeune femme se demanda si le mess ne faisait pas office de salle de réunion : peut-être qu’un tableau noir amovible pouvait être glisser sur le mur du fond, ce qui expliquerait cette organisation… Mais non, d’abord, parce qu’il serait plus simple d’avoir un vrai tableau noir fixé tout le temps au mur, et ensuite, parce que les sièges auraient été beaucoup trop près dudit tableau. Il y avait sûrement autre chose.

« Commandante de Castelcume, salua l’adjudant Lewis. Voici la sous-lieutenante Syracuse. Elle et ses hommes sont dorénavant sous votre commandement. Le colonel Trevor vous prie de l’accueillir comme il se le doit.
_ Merci, adjudant Lewis, répondit l’intéressée. Vous pouvez nous la confier, je m’occupe de tout.
_ Entendu, commandant. Avec votre permission. »

Lewis salua brièvement et prit congé, laissant la sous-lieutenante en tête-à-tête avec ses nouveaux collègues. Devant elle se tenait la commandante. Un peu plus petite que Rachel, c’était une jeune femme tout en longueur, dont la peau d’albâtre et les longs cheveux d’un blond éclatant trahissaient les origines Nordiques. Son œil droit était recouvert d’un cache-œil en cuir tandis que son œil gauche, à la pupille dorée, semblait traverser sa nouvelle subalterne de part en part pour lire au travers d’elle. La commandante ne portait pas l’uniforme classique de la Marine. Oh, cela y ressemblait énormément, mais même Rachel pouvait voir que ces vêtements étaient taillés dans des étoffes autrement plus luxueuses et de qualités que la dotation standard de la Marine. Couplé au port altier et à sa démarche de danseuse, il ne faisait aucune que la commandante était issue de la haute aristocratie d’une quelconque île de North Blue. À première vue, elle avait tout de la princesse fragile et délicate, mais la poignée usée de son sabre et le feu qui couvait dans son orbite valide trahissait la guerrière accomplie qu’elle était véritablement.

« Bienvenue au sein de la section Alpha, sous-lieutenante Rachel Syracuse, déclara la commandante d’une voix harmonieuse. Je suis la commandante Bethsabée de Castelcume, responsable de cette section. Les autres officiers présents sont : le lieutenant Matthias Jaeger… »

D’un geste gracieux, elle désigna l’intéressé. Matthias était le seul présent à ne pas s’être levé pour accueillir la nouvelle venue et se tenait présentement avachie sur une chaise, les mains dans les poches. Si la commandante ressemblait à s’y méprendre à une princesse de contes de fées qui aurait rejoint la Marine, le lieutenant tenait plus du pochetron déguisé en officier, un lendemain de bal costumé. Sans être sale, son uniforme était visiblement défraîchie, la veste vaguement boutonnée et la chemise dépassait à moitié du pantalon. Sous une imposante tignasse rousse vaguement peignée, des yeux bouffis et injectés de sang, cernés par le manque de sommeil, dévisagèrent nonchalamment leur nouvelle collègue. Matthias leva finalement mollement la main pour saluer Rachel.

« ‘lut, lança le lieutenant Jaeger d’une voix pâteuse.
_ Enchantée, mon lieutenant, répondit aimablement Rachel.
_ Nan, c’est bon, pas de manière, appelle-moi juste Matthias, fit le lieutenant. Ou le Dragon.
_ Le dragon ? Répéta l’imposante albinos sans comprendre.
_ Le Dragon de North Blue, détailla la commandante de Castelcume. C’est son surnom.
_ C’est très impressionnant, nota Rachel en se demandant ce qu’il fallait bien faire pour mériter une tel surnom.
_ Te fais pas de film, sourit piteusement le lieutenant Jaeger en notant l’expression de sa collègue. C’st juste un genre de blague. Pour me taquiner.
_ Oh… »

Rachel n’était pas bien sûre de savoir quoi répondre. Ni comment réagir face à ce lieutenant pour le moins… atypique. C’était la première fois qu’elle rencontrait quelqu’un qui collait si peu aux standards de la Marine telle qu’elle se les imaginaient.

« Vient ensuite le vice-lieutenant Bartolomé Tolosa… » poursuivit Bethsabée.

L’intéressé se tenait debout près du mur mystérieux. À peine plus grand que Rachel, il était surtout deux voire trois fois plus gros. Tout chez lui semblait gonflé, enrobé et débordant de graisse. Mais lorsque Bartolomé décroisa ses bras pour la saluer, la jeune femme nota les muscles qui semblaient rouler sous le gras. Le vice-lieutenant Tolosa n’était pas seulement boursouflé, il cachait vraisemblablement autant de muscles que Rachel sous toute cette graisse. La jeune femme s’aperçut que toutes ces rondeurs lui avait même fait mésestimer la taille de Bartolomé. En fait, il était légèrement plus grand qu’elle ne l’avait cru au premier abord. C’était aussi un colosse, dans son genre. Le vice-lieutenant esquissa un sourire en retroussant ses lèvres épaisses, mais Rachel nota que ce n’était que par politesse : aucune joie ni aucune sympathie n’émanait réellement de ce sourire, pas plus que de ses deux petits yeux noirs qui lui jetait un regard… bon, peut-être pas un regard mauvais au sens propre, mais rien de bien amical non plus.

« Bienvenue, sous-lieutenant Syracuse, grommela Bartolomé.
_ Enchantée, mon lieutenant, répondit aimablement Rachel.
_ Ne craignez rien, intervint la commandante de Castelcume. Le vice-lieutenant est un peu effrayant au premier abord, mais c’est un brave Marine. Vous vous y ferez vite.
_ Ouais, c’st notre ronchon de service, se moqua Matthias. Il en faut toujours un par section, alors c’est lui. Mais on l’aime bien quand même.
_ Je ne suis pas ronchon, je fais simplement preuve de rigueur, rétorqua Bartolomé d’un ton glacial.
_ Non, non, je t’assure, avec moi, tu ronchonnes tout le temps.
_ Seulement parce que vous, vous n’en fichez pas une mon lieutenant, répliqua vertement le vice-lieutenant Tolosa.
_ Ouais, heureusement que je peux toujours compter sur toi pour rattraper le coup, vieux frère, approuva Matthias.
_ Je vous ai déjà dit d’arrêter de me tutoyer, mon lieutenant ! Et puis je ne suis pas votre frère !  »

Rachel se retint à grand peine de sourire. Cet échange la mettait tout de suite plus à l’aise. Bartolomé n’était peut-être pas si difficile à vivre, en fin de compte. C’est juste qu’il avait l’air très à cheval sur la discipline et devait en voir des vertes et des pas mûres avec un numéro comme le lieutenant Jaeger. C’était le genre d’homme qui attendrait qu’elle prouve sa valeur par ses actes avant toute chose. Tant mieux, elle pouvait s’accommoder de ce genre de façon de faire.

« Et pour terminer, reprit Bethsabée, voici le sous-lieutenant Mark Servern. »

Le dernier des officiers se tenait un peu en retrait par rapport à ses supérieurs. C’était un jeune homme athlétique, de taille moyenne,  aux cheveux bruns en bataille et aux grands yeux noisettes au regard acéré, qui dévisageait Rachel comme s’il jaugeait ses chances de victoire. À l’annonce de son nom par la commandante de Castelcume, il afficha un grand sourire à sa nouvelle collègue, franc et chaleureux, totalement dénué d’arrière-pensée. Il était clairement le genre d’individu en qui on pouvait lire comme dans un livre.

« Enchanté lieutenant, déclara joyeusement Mark. Je viens à peine d’être promu, j’espère avoir l’occasion d’apprendre à vos côté !
_ C’est aussi mon cas, lieutenant Severn, lui répondit Rachel en lui rendant son sourire. J’espère que nous pourrons apprendre ensemble.
_ En plus, Mark est un poissard, tout comme toi, révéla gaiement Matthias. Ça vous fait des tas de points de communs, vous allez forcément vous entendre.
_ Ah. »

Rachel ne savait pas trop comment réagir à cette dernière révélation. Elle impliquait que les trois autres étaient donc ici sur décision des instances disciplinaires. Donc, selon le colonel Trevor, qu’ils avaient tellement merdé d’une façon ou d’une autre que les autorités les avaient mis au placard. Si la jeune femme imaginait sans peine comment cela avait pu arriver avec un individu comme Matthias Jaeger, elle avait du mal à imaginer dans quelle circonstance le pointilleux Bartolomé Tolosa ou l’impressionnante Bethsabée de Castelcume avaient pu se retrouver ici. Et quelque chose lui disait que ce n’était probablement le genre de chose qu’on demandait aux gens.

Ignorant la gêne qui venait de s’installer – ou plus probablement pour changer de sujet, songea Rachel après coup – la commandante reprit la parole.

« Chaque section de combat d’Hexiguel se compose d’un effectif de cinq cents hommes, expliqua Bethsabée. Ceux-ci sont répartis en cinq compagnie sous la commandement direct d’un officier de la section. C’est en général amplement suffisant pour mener à bien les patrouilles standards. Lorsque des évènements impromptus surviennent, le colonel en confie la résolution à un ou plusieurs officiers d’une section selon la menace. Cela permet de mobilier rapidement et efficacement des contingents adaptés tout en conservant une grande souplesse et articulation dans la gestion de la garnison. Bien évidemment, lorsque plusieurs compagnies sont déployées simultanément, la chaîne hiérarchique s’applique et le commandement de la force globale est donné à l’officier le plus gradé.
_ Bien compris, mon commandant, opina Rachel.
_ Ce qui nous amène à la question suivante, enchaîna la noble. Avec combien de Marines êtes-vous arrivée et devons-nous prévoir de vous en procurer davantage ?
_ Ce ne sera pas nécessaire, expliqua l’imposante albinos. Je suis venue à la tête d’une compagnie de cent Matelots, tous issus de la garnison du Piton Blanc.
_ Très bien, approuva Bethsabée. Comment se répartissent vos effectifs ?
_ Trente-cinq fusiliers, cinquante spadassins et une fanfare de quinze matelots. » Annonça fièrement Rachel.

Il y eut un instant de silence, qui dura juste assez pour commencer à en devenir gênant, songea la jeune femme.

« Une… fanfare ? Répéta Bartolomé comme s’il avait mal entendu.
_ Oui, mon lieutenant, acquiesça Rachel.
_ Genre, des types qui jouent de la musique et tout et tout ? Voulut vérifier Matthias en se redressant sur son siège.
_ Hé bien, oui, on dispose de trois surdo, trois caisses claires, quatre cornemuses, trois binious et deux chocalho, détailla l’imposante albinos.
_ Sérieux ?? N’en revenait pas Severn.
_ Voilà qui est fort atypique, convint la commandante.
_ C’est n’importe quoi, balaya Bartolomé. Vous vous croyez dans une colonie de vacance ou quoi !?
_ Je ne vois pas le rapport, esquiva Rachel.
_ C’est-à-dire qu’on est sensé se battre contre les pirates, objecta Severn. Pas leur chanter des berceuses.
_ Roooh, c’te gâchis de personnel ! S’amusa Matthias. Preum’s pour partir en mission avec la nouvelle ! J’ai peut-être trouvé quelqu’un d’encore moins efficace que moi !
_ Et c’est pas peu dire, hélas. Hors de question, grogna Bartolomé. Cette fanfare va être dissoute sur le champ !
_ Pardon !? Et de quel droit ? Se braqua derechef Rachel.
_ Parce que la Marine, c’est du sérieux, on est pas une Kermesse ! Répliqua le gros Tolosa. Une fanfare n’a rien à faire dans la Marine !
_ Sauf votre respect, le règlement stipule tout à fait l’inverse, asséna Rachel. Personne ne dissoudra ma fanfare, j’y ai le droit ! »

Comme l’avait escompté Rachel, la réplique cloua net le bec du vice-lieutenant. Un type qui avait l’air aussi pointilleux sur les choses ne pouvaient aller ouvertement à l’encontre du règlement. Malheureusement, il n’était pas le seul dans la pièce dont elle devait vaincre les réticences.

« Je ne voudrais pas vous vexer, lieutenant, intervint le jeune Servern, mais ça va foutre en l’air l’organisation de la Base : chaque section doit pouvoir aligner cinq compagnies de Marines opérationnels. Dans votre cas, vous n’avez pas cent Marines mais seulement quatre-vingt-cinq…
_ Pas du tout, c’est une fanfare de batailla, rétorqua Rachel avec aplomb. Ils me suivront au combat sans faillir !
_ On ne met pas leur courage en doute, assura Matthias, mais plutôt leur efficacité. Tu sais, botter le cul des pirates, revenir vivant d’un affrontement, ce genre de chose, quoi…
_ Ma compagnie est habituée à œuvrer ensemble, affirma l’imposante albinos, ça ne posera aucun problème.
_ C’est ridicule, on est pas un cirque, revint à la charge le gros Tolosa. Votre fanfare n’est qu’un poids mort qui fera peser plus d’efforts sur les autres, c’est un non-sens tactique et stratégique !
_ Absolument pas, réfuta la jeune femme. Leur présence et leurs musiques soutiennent et encouragent le reste de la troupe.
_ Je n’ai jamais rien entendu de plus grotesque ! Asséna Bartolomé. J…
_ Cela suffit. »

Bethsabée n’avait pas élevé la voix, mais ce fut tout comme : son intervention coupa court aux récriminations des uns et des autres par sa seule tonalité d’autorité.

« Toute la question est de savoir si cette fanfare représente un poids ou un atout au sein de la compagnie de la sous-lieutenante Syracuse, résuma la commandante. Vérifions donc cela de visu. Lieutenant Tolosa, basculez la cloison, je vous prie. »

Sans un mot, le gros officier tendit un bras replet et tira sur une corde qui pendait près du mur. L’instant d’après, le mur suspect s’ébranla et la partie supérieure bascula derrière la partie inférieure dans un raclement rocailleux.

Le mess disposait maintenant d’une large fenêtre qui donnait sur… Rachel n’en était pas certaine du fait de la pénombre, mais la pièce derrière semblait immense, elle n’en distinguait guère les contours ! Ce qui était immanquable, par contre, c’était le cube. Un grand cube suspendu dans les airs, à hauteur de la fenêtre. Ses parois étaient faites de toiles blanches tendus et la plus proche faisait directement face à la fenêtre. Un écran.

Rachel s’approcha et jeta un coup d’œil. Oui, la pièce secrète était immense, mais surtout très profonde. Une trentaine de mètres en contrebas, la jeune femme parvenait à distinguer… oui, des gradins. Ceux-ci formaient une sorte de grand cercle autour d’un terrain. Plissant les yeux, Rachel se concentra pour essayer de capter le moindre détail. Un terrain. Un gros terrain carré. Une centaine de mètre, à vu d’œil. Un terrain parsemé de blocs : des cubes en bois d’environ trois mètres de côtés, espacés les uns les autres de trois mètres aussi. Des obstacles. Pour…

« C’est une arène, constata Rachel.
_ Exact, approuva Bethsabée. Étant dépourvue de terres, Hexiguel possède son propre terrain de manœuvre en intérieur. C’est ici que les officiers s’affrontent de façon codifiée à la tête de leur troupe.
_ Codifiée ? Releva l’imposante albinos.
_ En effet, le but de ces confrontations est d’estimer et faire progresser le niveau tactique et stratégique des officiers, expliqua la commandante. Laisser un officier décimer les rangs adverses par sa seule puissance brute ne rimerait à rien. L’affrontement se fait avec des cartouches de peintures, les officiers ne disposant que d’un pistolet doté de six cartouches. L’objectif est donc de vaincre la compagnie adverse par le truchement des hommes commandés plutôt que par ses prouesses personnelles.
_ D’accord, je vois l’idée, fit Rachel. Et donc, vous voulez que j’affronte quelqu’un dans cette arène avec ma compagnie et sa fanfare pour voir si elle m’handicape ou non ?
_ C’est presque cela, effectivement, hocha Bethsabée. Voyez-vous un inconvénient à participer à ce genre d’exercice le plus tôt possible ?
_ Du tout, affirma l’imposante albinos. Je commence quand ?
_ C’est ce que nous allons voir. »

La commandante agita une cloche et quelques instants plus tard, un vieux Marine grisonnant au visage buriné apparu sur le seuil du Mess.

« M’dame, salua brièvement le nouveau venu.
_ La sous-lieutenante Syracuse ci-présente vient tout juste de nous rejoindre, expliqua Bethsabée. Les Parieurs seraient-ils d’accord pour que je lui cède ma place pour le prochain tournoi d’Hexiguel ?
_ ‘faut voir. » Maugréa le vétéran.

L’homme s’éloigna dans un coin de la pièce tout en dégainant un escargophone avant de tenir un conciliabule à voix basse.

« Sérieux ? S’étonna Matthias.
_ Heu… Excusez-moi, mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de tournoi ? S’inquiéta Rachel qui n’avait pas du tout signé pour ça.
_ Tous les mois, les Parieurs sélectionnent seize individus parmi les officiers et les adjudants disponibles et les font s’affronter dans l’arène, expliqua Bethsabée. Je souhaite voir jusqu’où vous pouvez vous élever au sein de ce tournoi avec votre fanfare.
_ Et je vais devoir remporter le tournoi si je veux conserver ma fanfare ? Paniqua l’imposante albinos.
_ Pas si je suis malgré tout satisfaite du résultat.
_ J’avoue que cette histoire de remplacement m’arrangerait bien, signala le jeune Severn, parce que c’est moi qui devait affronter la commandante au premier tour. Pour une fois, je devrais pouvoir dépasser les huitièmes !
_ La commandante est si forte que ça ? Demanda Rachel.
_ Elle détient le titre de Reine de l’Arène depuis son arrivée, intervint le vice-lieutenant Tolosa. La commandante est imbattable.
_ Personne n’est imbattable, signala tranquillement Bethsabée.
_ Fais pas ta modeste, Beth, t’es la meilleure !
_ Et sinon, c’est qui les Parieurs ? Voulut savoir l’imposante albinos. Je croyais que les paris étaient interdits par le règlement ?
_ C’est plus compliqué que ça, balaya Matthias, mais sache deux choses : d’abord, les Parieurs sont une association d’Hexiguel totalement légale et, ensuite, ils reversent tous les bénéfices à des associations d’anciens combattants de North Blue, aux veuves et orphelins de la Marine, des trucs dans ce genre-là. Donc t’inquiètes pas, tu ne participes à rien de louche et en plus, c’est pour la bonne cause, alors n’hésite pas à te lâcher.
_ Oh. »

Rachel n’était pas bien sûr de que le fantasque lieutenant entendait par « se lâcher », mais cela importait peu. Sa fanfare était en jeu, alors la priorité, c’était de gagner, pas d’assurer le show ou je-ne-sais-quoi que les Parieurs pouvaient attendre.

Finalement, le vétéran raccrocha et se rapprocha des officiers.

« Les Parieurs sont d’accords, annonça laconiquement le vieil homme. Le match de demain opposera donc le sous-lieutenant Syracuse de la section Alpha au sous-lieutenant Servern de la section Alpha.
_ Demain ? Ah oui, quand même… Bigre. Non mais pas de soucis, mes hommes seront prêts ! »






Dernière édition par Rachel le Dim 6 Mar 2022 - 15:29, édité 2 fois
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« Vous savez, je peux encore aller m’excuser face contre terre devant la commandante et nous faire échapper à ça. »

Dans les vestiaires de l’équipe Rouge, les Marines les plus proche de Rachel s’interrompirent pour jeter un regard interloqué à leur cheffe qui ruminait sombrement dans son coin.

« M’enfin, de quoi vous parlez, mon lieutenant ? Demanda le Matelot Laurent.
_ De cette stupide histoire d’arène, précisa l’imposante albinos. On va se faire écharper devant tout le reste de la garnison, c’est ni plus ni moins que du bizutage ! Il n’y a aucune raison de s’infliger ça…
_ Vous pensez vraiment qu’on pourra garder la fanfare sans faire nos preuves ? S’interrogea le sergent Egon – et accessoirement le chef d’orchestre de ladite fanfare.
_ Y’aurait peut-être moyen de moyenner… éluda Rachel. Alors que là…
_ Mais faut pas dire ça, mon lieutenant, fit Laurent. Ça va bien se passer, vous allez voir. On est peut-être des Marines de la cambrousse mais on a fait nos classes comme tout le monde ! On est pas pire que les types d’ici ! »

L’affirmation du joyeux matelot provoqua maints hochements de tête satisfaits et exclamations enthousiastes dans ce petit coin du vestiaire. Rachel lui jeta un regard las, s’apprêtant à devoir lui expliquer patiemment pourquoi les types d’ici qui pratiquaient ce genre d’exercice plusieurs fois par mois depuis plusieurs mois avaient forcément l’avantage sur une bande de bleus qui feraient leur premier pas dans l’arène, lorsque son regard capta quelque chose d’étrange. Sur la chasuble rouge de Laurent. C’était… ça ressemblait…

« Laurent, qu’est-ce que c’est que ce truc sur votre chasuble ?
_ Ben c’est mon pin’s, mon lieutenant ! » Répondit tout fièrement l’intéressé.

Les pin’s. Les Parieurs.
Techniquement, le règlement de la Marine interdisait formellement les jeux d’argents. Les Parieurs d’Hexiguel avaient résolu la chose de la manière suivante : avant chaque match, ils vendaient des pin’s, de couleur rouge ou vert selon l’équipe qu’on souhaitait soutenir, avec un numéro de série gravé dessus. Puis, après le match, les Parieurs offraient de racheter chaque pin’s « au cours actuel », cours qui découlait directement du résultat dudit match : les pin’s de l’équipe vainqueur valaient nettement plus cher tandis que ceux de l’équipe perdante ne valaient pour ainsi dire plus rien. Ainsi, il ne s’agissait légalement plus de paris, et donc de jeux d’argent, mais d’une transaction commerciale au même titre que l’achat d’un outil, d’un véhicule ou d’un truc du genre. Et grâce aux numéros de série, les Parieurs tenaient des registres, empêchant quiconque d’essayer de conserver son pin’s jusqu’à la victoire d’une autre équipe de la même couleur pour le refiler en douce.

Aux yeux de Rachel, tout cela ressemblait furieusement à une grosse magouille pour maquiller ce qui restait fondamentalement des paris, mais le colonel Trévor semblait tolérer la manipulation. Par ailleurs, c’était pour la bonne cause : les Parieurs prélevaient une commission sur chaque transaction et la reversait à des associations caritatives de la Marine.
Mais n’empêche.

« Laurent, vous n’avez quand même pas parié sur le match de ce soir ? Tenta vainement de se voiler la face Rachel.
_ Pour sûr que j’ai parié ! Affirma le matelot.
_ Je ne crois pas que ce soit très éthique de parier sur le match dans lequel vous intervenez… expliqua gentiment l’imposante albinos.
_ Mais si ! Les Parieurs ont dit que tant qu’on pariait pas sur l’équipe adverse, ça passait, assura joyeusement Laurent. Même que ça prouve qu’on soutient à fond notre leader !
_ Ben voyons… On en reparlera après le match… En attendant, dépêchez-vous de me cacher ça : si le sergent Krieger vous voit avec, ça risque de barder pour votre matricule.
_ On m’appelle ? » Se signala la grosse voix du Nordique.

Rachel se retourna d’un bloc vers son sergent, une excuse en cours d’élaboration pour sauver la mise à son matelot, lorsque ses yeux tombèrent sur la chasuble du Nordique et des trois pin’s fièrement accrochés dessus.

« Je… Trois ? Sérieusement ? Voyons, Jürgen…
_ Hmm ? Oh, les pin’s ? Bien sûr ! S’enthousiasma le Nordique. Je suis votre sergent-chef breveté, tout de même. Je me dois de montrer un soutien total et sans faille en toute circonstance !
_ Ils ont fait sacrément mouche avec cet argument du soutien, hein… Dites, vous avez bien conscience que c’était qu’un attrape-gogo ? S’inquiéta Rachel. Ils vous ont baratiné dans le seul but de vous plumer !
_ …
_ Ok, tout le monde ! Appela la jeune femme à la cantonade. Combien d’entre vous ont acheté ces fichus pin’s !? »

Il y eût un moment de flottement dans le vestiaire, tandis que chacun dévisageait chacun… puis tout le monde sortit son pin’s et, ne voyant plus de raison de le cacher, l’agrafa sur le devant sa chasuble, au grand damne de l’imposante albinos.

« Il y a un problème, mon lieutenant ? S’enquit l’adjudant Marlow en s’approchant, pin’s bien visible.
_ Dommage, vous étiez mon dernier espoir, Edwin… Du tout. On va se faire humilier devant toute la garnison, on va se faire confisquer la fanfare et pour couronner le tout, les Parieurs vous ont plumé. Tout baigne.
_ Heu… Je vous sens un brin négative, mon lieutenant.
_ Si peu.
_ Ch’uis pas d’accord avec vous, déclara le sergent Krieger. Ce soir, vous allez rétamer l’ennemi devant toute la garnison, comme ça, on va la garder notre fanfare et en plus, on va s’en mettre plein les poches pour leur apprendre à se moquer des p’tits nouveaux !
_ Je serai curieuse de savoir d’où vous vient un tel optimisme, grommela sombrement Rachel.
_ Ben de vous, répondit tout naturellement le Nordique. Je crois que vous comprenez pas bien, mon lieutenant : on a pas pris ces pin’s parce que les Parieurs nous ont embobiné. On les a pris parce qu’on sait que sous votre direction, on va tout déchirer. Comme à la parade. »

Tout le vestiaire bruissa d’un puissant brouhaha tandis que le reste de la troupe acquiesçait, répétait ou soutenait la déclaration du sergent-chef de façon véhémente. Ce qui eût pour effet de clouer net le bec de Rachel. Et de lui réchauffer le cœur. Et d’éveiller au fond de son esprit cette impression persistante qu’elle ne méritait pas de commander des types aussi géniaux.

« J’apprécie le vote de confiance, assura l’imposante albinos, mais c’est vous qui ne comprenez pas bien où on met les pieds. Je n’ai jamais mené une troupe au combat. Pour la parade, on avait au moins pu répéter avant, mais là, on se lance à l’arrache et sans filet. Et en face de nous, on a des adversaires qui pratiquent ce petit jeu depuis longtemps. Ils sont sûrement bien entraînés et totalement rodés. Et leur chef doit bien avoir un million de tactiques en réserve pour me piéger.
_ Heu… Si je peux me permettre, mon lieutenant… Bafouilla Edwin.
_ Bien sûr, je vous écoute, adjudant Marlow, l’encouragea Rachel.
_ Je crois que vous vous trompez, signala respectueusement le jeune homme. Je veux dire, oui, les types d’en face pratiquent ça de façon régulière alors que vous n’y connaissez rien. Mais c’est justement ce qui va faire notre force : un groupe qui pratique régulièrement ensemble fini par développer des habitudes, des réflexes, des tactiques communes. Mais nous, nous sommes hors de tout cela. Ce qui veut dire qu’on débarque avec un style, une approche , une façon de faire et de réfléchir à laquelle ils ne sont pas habitués non plus. Ils seront aussi démunis que nous face à ce que nous ferons, voire même plus, parce que nous, on ne s’attend à rien donc tout nous paraîtra normal, contrairement à eux. Et à mon sens, c’est là que vous allez tirer votre épingle du jeu : pour la parade non plus, vous n’aviez ni connaissance ni expérience, ça ne vous a pas empêché de faire quelque chose de fantastique, bien au contraire. Alors, cessez de vous mettre martel en tête, suivez votre instinct, ayez confiance en vous et je vous parie que vous allez faire des étincelles.
_ Avoir confiance, avoir confiance, facile à dire… Ronchonna Rachel.
_ Et facile à faire, rétorqua Edwin avec un grand sourire. Vous voulez bien lever le poing devant vous, là, comme ça ? »

L’imposante albinos fronça les sourcils, ne voyant pas bien où voulait en venir son adjudant, mais obtempéra sans rechigner. Après tout, le discours d’Edwin l’avait calmer bien plus qu’elle ne l’admettrait jamais, alors s’il disposait aussi d'un tour de passe-passe pour lui redonner confiance, elle n’allait pas se faire prier pour en bénéficier.

« Là, parfait, merci, fit l’adjudant Marlow avant se retourner vers le reste de la troupe. Vous savez combien de personnes ont pu se relever après avoir pris ce poing dans la figure ? » Demanda le jeune homme à la cantonade.

Exclamations diverses et variées, allant du simple "nan", majoritaire, à quelques reparties plus spirituelles comme "zéro, ils sont tous morts !" lancées par les petits rigolos de service.

« Moi non plus et pourtant, j’ai une excellente mémoire, poursuivit le jeune homme en se retournant vers sa supérieur. Ayez confiance : cette fois encore, vous allez les écraser d’un seul coup d’un seul, mon lieutenant. »

Rachel laissa échapper un large sourire : Edwin venait de lui ressortir le laïus qu’elle-même lui avait servi la première fois qu’ils s’étaient rencontrés et qu’elle l’avait convaincu d’attaquer une poignée de pirates avec juste elle et Jürgen. Leurs premiers pas au Piton Blanc, à l’époque où elle n’était que caporale et s’en satisfaisait bien, n’imaginant pas un instant qu’elle finirait par devenir officier.

« Ce jour-là, je n’avais qu’à mettre mon poing dans la figure de tout ce qui passait pour gagner, murmura doucement l’imposante albinos. Les choses sont quelque peu différentes, maintenant.
_ Meuhnan, c’est tout pareil, mon lieutenant, intervint joyeusement le sergent Krieger. ‘faut juste vous dire que, maintenant, vous maniez un poing plus gros. Un gros poing doté de cent phalanges. Et ce gros poing, il vous obéira au doigt et à l’œil, ça je peux vous le garantir !
_ Tsss… Je ne vous mérite vraiment pas, les gars... »

C’est alors que l’intendant des Parieurs passa la tête dans les vestiaires pour signaler à l’équipe Rouge qu’elle faisait son entrée dans cinq minutes et qu’ils seraient bien avisés de rappliquer dare-dare dans l’antichambre de l’arène. Rachel inspira à fond et se releva d’un bond. Jürgen et Edwin échangèrent un regard approbateur : là, on y était. La jeune femme était maintenant dedans, plus de place pour le doute et l’auto-flagellation. Dorénavant, elle allait les mener de l’avant sans faillir.

Rachel prit la tête de sa troupe et pénétra dans l’antichambre. L’intendant des Parieurs lui tendit son arme : un pistolet à barillet, six coups. C’était la première fois qu’elle en maniait un : jusqu’ici, elle avait toujours manipulé de robuste mais rustique pétoire à un coup. Mais ça ne l’inquiétait pas trop : ça marchait tout pareil, sauf qu’on pouvait tirer plusieurs fois d’affilée, non ? La jeune femme dégagea tout de même le barillet : il était plein. Ce n’est pas comme si elle en avait douté, mais les vieilles manies des commandos avaient la vie dure. Seulement six cartouches de peinture, par contre, ce qui la chagrinait un peu. Mais ça, ça faisait partie du règlement : l’objectif n’était pas qu’un pistolero-leader abatte tout le peloton ennemi à lui tout seul, donc les munitions étaient limitées. Celles des fusils de la troupe n’étaient pas compatibles et le règlement interdisait de récupérer une autre arme sur le champ de bataille.
Le bouquin de règles que lui avait donné les Parieurs faisaient bien cent pages : une page avec une dizaine de règles génériques pour tout le monde et quatre-vingt-dix-neufs de plus pour lister des séries d’interdictions hautement explicites, visiblement ajoutées à la suite de jurisprudence diverses et variées résultant de stratégies très spécifiques tentées par de précédents concurrents…

Sa petite troupe finit par la rejoindre dans l’antichambre et se regroupa en cercle autour d’elle, attendant les ordres. Rachel avisa sa fanfare, instruments en main. Le règlement était clair : les Marines ne pouvaient entrer qu’en tenant un seul objet et il n’avait pas le droit de piquer quoi que ce soit à qui que ce soit une fois dans l’arène. En clair, la fanfare rentrerait désarmée et ne pourrait pas se battre.

« Les gars, c’est votre dernière chance de changer d’avis et troquer vos joujoux pour un fusil, se sentit obligée de leur signaler Rachel. Parce que là, vous allez juste tenir le rôle de cibles ambulantes.
_ Ahlàlà… Ce qu’on ferait pas par amour de la musique, plaisanta le sergent Egon avec un clin d’œil amusé.
_ Sachez que la compagnie se souviendra éternellement de votre vaillant sacrifice. » Lui répondit l’imposante albinos sur le même ton.

Plusieurs rires fusèrent. C’est bon signe, songea Rachel, tout le monde est détendu, ça va le faire.

« Ok, écoutez-moi bien, voilà comment on va procéder ! L’arène est découpée en neuf couloirs : on va former une ligne et avancer de concert comme pour une battue. ‘fin, juste pour ce qui est de la progression : soyez gentils de ne pas former effectivement une ligne en plein champ de tir de l’ennemi.
« Adjudant Marlow, vous prenez trois escouades et vous occuperez du flanc gauche, couloirs un, deux et trois.
_ Bien reçu, mon lieutenant, opina l’intéressé.
_ Sergent-chef Krieger, trois autres escouades et le flanc droit, couloirs sept, huit et neuf.
_ C’est comme si c’était fait, affirma gaillardement le Nordique.
_ Je mènerai le centre. Sergent Egon, scindez la fanfare en trois sous-unité de cinq, une pour chacun des couloirs quatre, cinq et six. Vous prendrez la tête du couloir six. Sergent Davenport, vous serez dans le couloir quatre, prêtez cinq hommes au sergent Egon en échange d’une partie de sa fanfare.
_ Pourquoi j’ai l’impression d’être perdant dans cette échange ? Fit mine de s’inquiéter Davenport.
_ Parce que t’es qu’une brute épaisse incapable d’apprécier l’art à sa juste valeur, le chambra Egon.
_ Je prendrais le couloir cinq. Sergent Graham, vous et votre escouade resterez deux blocs derrière moi, vous me servirez de réserve. Colmatez si jamais un trou se produit dans la ligne.
_ Compris, mon lieutenant.
_ Sergent Egon, dès qu’on entre, je veux que la fanfare se lance à plein régime.
_ Vous êtes sûre que c’est une bonne idée, mon lieutenant ? Intervint Edwin.
_ Ben, c’est pas comme si nos adversaires ne savaient pas déjà qu’on se trouve à l’autre bout du terrain, non plus, fit gentiment remarquer Rachel.
_ Mais le sous-lieutenant Severn va penser qu’… commença l’adjudant.
_ Tant mieux, le coupa l’imposante albinos avec aplomb.
_ … J’avais pas fini ma phrase, en fait.
_ S’il gamberge, il sera troublé et c’est tout bénéfice pour nous, expliqua Rachel. Il saura que c’est un piège et il agira en fonction. Ou alors, il saura que c’est un piège, mais se doutera que je sais qu’il sait que c’est un piège et que je m’attends donc à ce qu’il agisse en fonction. Sauf si je sais qu’il sait que je sais qu’il sait que c’est un piège et que je m’attende à ce qu’il agisse en fonction de tout ça. Mais il ne pourra alors pas exclure que, peut-être, je sais qu’il sait que je sais qu’il sait que je sais qu’il sait que c’est un piège… et ainsi de suite !
_ Mais c’est pas valable dans les deux sens ? S’inquiéta Jürgen. Non parce que moi, ch’uis déjà carrément tout troublé, là.
_ Non, nous on s’en fiche, rétorqua la jeune femme. On va juste se battre en musique parce que c’est peut-être la dernière fois qu’on va pouvoir profiter de notre fanfare. Mais ça, le sous-lieutenant Severn l’ignore et je doute qu’il l’envisage.
_ Aaah.
_ Et puis même s’il l’envisageait, hé bien, ça n’aurait donc aucune incidence sur l’affrontement, alors pourquoi s’en priver si ça ne risque rien ? »

Hochements têtes divers et variés, impressionnés et respectueux. Les gars de la troupe étaient en train de se dire que Rachel pensait instantanément à tout et que c’était bien pour ça que c’était elle qui commande. La jeune femme n’avait aucun mal à les décrypter : elle-même réagissait pareil à l’époque où elle faisait partie des commandos de la Marine d’XXXX. Mais la réalité était nettement plus prosaïque : Rachel avait tout simplement passé les trente-six dernières heures – c’est-à-dire depuis que la commandante de Castelcume l’avait balancée dans ce tournoi – à réfléchir à tout ce qu’elle pouvait pour essayer de grappiller la moindre chance de victoire.

« Nous n’y connaissons rien, donc notre stratégie sera des plus simples, reprit Rachel. On avance tout droit et on abat l’ennemi quand on le voit. Si vous entendez des tirs sur les côtés, vous rappliquez avec un bloc d’avance, afin de prendre l’ennemi par le flanc : l’arène forme un quadrillage, en agissant ainsi, l’ennemi n’aura nulle part où se mettre à couvert. Et souvenez-vous, c’est comme à la parade : en cas de doute, suivez les directives de votre chef et tout se passera bien. C’est l’avantage des pyramides hiérarchiques. C’est pigé ?
_ OUI, MON LIEUTENANT !! Hurla la foule en chœur.
_ Oh, une dernière chose. Laurent, vous pouvez tirer sur cette cloison ?
_ Sûr, mon lieutenant ! »

Le matelot enthousiaste ne se fit pas prier et tira avec son fusil, envoyant une grosse cartouche de peinture rouge s’écraser contre le mur du fond.

« Voilà, vous avez tous bien entendu ? C’est ce bruit-là qui vous signalera où se passe la bagarre. Je vous souhaite à tous bonne chance et faites honneur au Piton Blanc ! »

Tandis que la troupe hurlait son assentiment et son envie d’en découdre à plein poumon – histoire de se mettre en condition pour leur première bataille – la grande porte de l’antichambre s’ouvrit dans un grincement lugubre et Rachel mena ses hommes en pleine lumière, dans l’arène.

C’était… beaucoup moins impressionnant qu’elle ne l’aurait cru, songea la jeune femme. Tout d’abord, la lumière était tamisée. Vraisemblablement pour empêcher de voir au-delà d’une vingtaine de mètres, soit trois-quatre blocs. Probablement un point de règle ajouté pour contrer un tireur d’élite qui aurait mouché tout le monde à cent mètres. Ensuite, c’était aussi beaucoup moins bruyant que prévu. On n’aurait pas dit qu’une foule entière s’était entassée dans les gradins pour assister au spectacle. D’une façon ou d’une autre, les sons depuis l’extérieur de l’arène étaient absorbés et ne persistaient finalement qu’un pâle brouhaha, comme l’écho d’une fête lointaine.
Le sol de l’arène était recouvert de sable. Rachel n’avait aucune idée de l’épaisseur, mais cela lui donnait l’impression de marcher sur une plage. Les blocs de bois, des cubes de trois mètres d’arêtes, étaient posées à intervalle régulier. Eux, par contre, donnaient quelque chose de beaucoup plus impressionnant vu de près que vu depuis le mess des officiers. Plus imposants et plus étouffants, aussi. C’était dingue comme soudainement, trois mètres de large pouvait sembler si étriqué malgré tout.
Un claquement sourd retentit, haut dans le ciel. La jeune femme leva les yeux et vit le cube blanc. Où plutôt, le devina : seule sa face inférieure lui était visible. Y était projeté deux nombres, cent et cent, l’un rouge, l’autre vert. Le décompte des points. Celui des soldats encore en jeu dans chaque camp.
Rachel inspira à fond.

« Tout le monde ? Déploiement, ordonna l’imposante albinos. Sergent Egon ? Musique, je vous prie. »

Egon opta pour le thème d’une chanson de marche populaire. Subtil. Les différentes escouades de la compagnie se répartirent dans chacun des couloirs de l’arène. C’était parti.

Rachel fit progresser sa propre escouade en avançant à couverts de blocs en blocs. Quatre Marines à l’avant-gade, deux sur chaque côté : l’un en position de tir agenouillé, l’autre debout. Le règlement interdisait la position de tir couchée, probablement parce que de petits malins avaient du essayer de se camoufler parmi les « corps » des Marines abattus et que ça devait fiche le bordel niveau visibilité pour les arbitres et spectateurs. Si elle avait eu une escouade complète, elle aurait fait alterner ses hommes quatre par quatre pour ménager leur attention, mais avec une demi-escouade issue de la fanfare, elle n’avait pas vraiment le choix.

La progression se fit tout doucement, faisant lentement monter la pression. Rachel avait désigné les neufs couloirs par un chiffre, de 1 à sa gauche – le flanc mené par Edwin – à 9 sur sa droite – sous la responsabilité de Jürgen. L’arène formant un quadrillage, il ne lui restait plus que les lettres pour schématiser les différentes sections composant une ligne. Soit de A, juste après leur point de départ, jusqu’à J, au point de départ des troupes de Severn.
Donc, section C, jusque là, tout va bien.

Vint ensuite la D, puis la E. Toujours rien. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Ils avaient fait la moitié du trajet et rien.

Section F, l’angoisse commença tout doucement à se rappeler à son bon souvenir. Est-ce qu’ils fonçaient droit vers un piège ? Devait-elle revoir ses plans ou au contraire ne rien changer ? Pourquoi n’y avait-il personne ? Ils n’auraient quand même pas oser lui faire croire à un match avant de la laisser déambuler comme une idiote dans une arène vide à la recherche d’ennemis inexistants !?
Mieux valait que non, sinon qui que soit ce ils, ç’allait carrément chauffer pour leurs matricules, songea sombrement l’imposante albinos. Le bizutage était strictement interdit, point final !

À l’approche de la section G, des coups de feu – le claquement des fusils à peinture, en vrai – retentirent sur sa gauche. Marlow était au prise avec les troupes de Severn ! Rachel accueillit cette nouvelle avec un intense soulagement. C’était quand même beaucoup plus simple de se fritter quand on savait où était l’ennemi !

Tandis que la fanfare changeait de registre pour une rythmique au tempo plus intense, la jeune femme approcha de l’intersection G en demandant à ses hommes de lever le pied. Rapide coup d’œil : on ne voyait pas bien, mais au fond, Edwin et ses gars procédaient à un échange de tirs avec l’ennemi. Ils n’avait pas pu maintenir la ligne, donc ils étaient encore en section F. La tête de pont ennemi était donc en section H.
Ok, il fallait faire vite.

Rachel distribua rapidement ses ordres : son escouade de réserve allait renforcer immédiatement les effectifs d’Edwin pour compenser les probables pertes. Pendant ce temps, les escouades des couloirs 4 et 5 allaient se rabattre vers les couloirs 1-2-3 à partir de la section G, afin de maintenir la pression sur l’engagement, sous la direction du sergent Davenport. Elle-même mènerait les escouades des couloirs 6 et 7 jusqu’à la section H avant se rabattre en direction 1-2-3 pour prendre l’ennemi à revers. Enfin, les escouades des couloirs 8 et 9, sous la supervision du sergent-chef Kriger, fonceraient jusqu’en section I avant de remonter en direction 1-2-3. Avec un peu de chance, ces escouades auraient l’occasion de prendre l’ennemi à revers. Au pire, elles les empêcheraient de déborder la ligne de bataille de Rachel.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les deux escouades de Rachel en section  H durent s’arrêter au niveau 4, l’ennemi étant massé au niveau 2. En parallèle, le petit groupe de Jürgen en section I se retrouva aussi coincé au niveau 4, là encore, l’ennemi contrôlant fermement le niveau 2.

Rachel songea qu’elle avait l’avantage. Sa troupe venait de coincer celle de Severn et l’encerclait, l’attaquant de face sur la section F et de flanc sur le niveau 4. La compagnie de son homologue était donc coincée en H1-H2 et I1-I2. Leur position n’était pas tenable. Les hommes postés en H2, notamment, devait affronter un feu roulant venant de face et de flanc : ils ne pouvaient donc bénéficier d’aucun couverts de la part des cubes. Un rapide coup d’œil au plafond lui donna raison : le chiffre des verts commençait à dégringoler, plus rapidement que celui des rouges.
Mais ça ne pouvait pas être aussi simple, songea la jeune femme. Le sous-lieutenant Severn n’en était pas à sa première participation. Il n’allait pas se laisser manger tout cru sans opposer de résistance. Sa contre-attaque était imminente. Sous quelle forme ? Et comment la contrer ?

Une clameur retentit au fond, dans les rangs de l’ennemi. À sa gauche, le sergent Davenport lui fit frénétiquement signe. Pas de menace immédiate, l’ennemi devait faire le forcing en G1 pour déloger Edwin et effectuer une percée dans les rangs du Piton Blanc. En un instant, Rachel visualisa la scène : Edwin n’avait qu’une trentaine d’hommes pour tenir deux niveaux. Une attaque en masse de l’ennemi briserait sa ligne de bataille. Le lieutenant Severn parviendrait à se dégager de l’encerclement de Rachel. Ses troupes seraient alors en position de force pour faire le ménage dans la formation distendue du Piton Blanc. Deux options : jouer la prudence en sacrifiant la troupe d’Edwin pour rallier ses hommes et ceux de Jürgen et faire bloc contre la prochaine offensive de Severn. Ou tenter le tout pour le tout afin d’enrayer sa contre-attaque au plus vite.
Moins d’un quart de seconde après cette vision, le choix de Rachel était fait. D’abord, parce que l’inexpérience du Piton Blanc jouait en leur défaveur : ils se feraient bouffer s’ils tentaient de jouer une guerre d’usure contre la troupe de Severn. Ensuite, parce que la jeune femme renâclait viscéralement à l’idée de laisser tomber Edwin et ses hommes. Elle était leur chef, ils devaient pouvoir compter sur elle quoi qu’il advienne.

Restait à trouver la porte de sortie. Peut-être que… Oui. C’était risqué, mais c’était carrément jouable.

« Sergent Egon, reformez la fanfare et préparez-vous à charger !
_ Heu… J’ai bien entendu ? Tout de suite, mon lieutenant ! »

Les Marins du Piton Blanc chargèrent, fanfare en tête, Rachel et un dizaine d’hommes à la suite, remontant la section G en direction du niveau 1. En face, les hommes de Severn hésitèrent. Sur le coup de la surprise ? Parce qu’ils étaient déroutés par la fanfare ? Qu’ils rechignaient à tirer sur des Marines désarmés ? Rachel n’était sûre de rien et, en cet instant, s’en fichait pas mal : ce qui comptait, c’est qu’ils perdirent du temps à essayer de viser derrière la fanfare, temps que les hommes du Piton Blanc mirent ce temps à profit pour viser et abattre un maximum de cibles.

Passée la surprise, les hommes de Severn réagirent néanmoins avec professionnalisme, prenant très vite position pour assurer un déluge de feu sur ce nouvel assaillant. Mais ce faisant, ils venaient de briser l’élan de leur percée et les hommes d’Edwin revinrent leur mettre la pression. Inversement, les troupes de Severn positionnées en H2 profitèrent du répit provoqué par la charge de Rachel pour se réorganiser et…

Oooh, merde, ça va être le bordel, songea Rachel.

C’était comme voir des fissures apparaître et se propager le long d’une vitre juste avant qu’elle n’éclate en morceau. On voit le drame arriver, mais c’est justement parce qu’on le voit qu’il n’y a déjà plus rien à faire pour l’en empêcher. Fugace coup d’œil à l’écran céleste : en dépit de la fanfare, les Rouges avaient une petite avance sur les Verts. C’était toujours ça d…
La situation explosa.

Ce fut le bordel et ce fut même un sacré bordel. Les deux camps s’intriquèrent complètement l’un l’autre, tout ne fut plus qu’un chaos abominable, des coups qui partaient en tout sens, des alliés qui se touchaient accidentellement les uns les autres, des types qui couraient dans toutes les directions en hurlant, des sergents et des caporaux qui tentaient en vain de remettre de l’ordre et de la discipline aux milieux de pluie de balles, dans une pagaille aussi monstrueuse que cauchemardesque.
Oubliées, les projections tactiques, l’anticipation, les belles manœuvres. Tout ce qui comptait, c’était maintenant de rester en mouvement, d’abattre ce qu’on croisait de la couleur opposée et de croiser les doigts pour ne pas prendre une balle perdue ou être la cible d’un tireur inaperçu. Rachel ne savait pas trop à quoi s’attendre vis-à-vis de l’Arène, mais là, elle était à peu près certaine qu’ils avaient atteint le niveau zéro de la technicité.

Au bout d’une éternité, l’accalmie revint. Rachel était hors d’haleine : elle avait passée le plus clair de son temps a essayé de diriger les quelques Marines en rouge autour d’elle, à les tirer, pousser, bousculer pour leur éviter un tir qu’ils n’avaient pas perçus, à hurler très fort pour faire peur aux Marines en vert et à encourager encore plus bruyamment ses hommes à s’en casser la voix. Elle avait tout de même abattu trois types elle-même quand il n’y avait pas eu moyen de faire autrement pour sauver l’un de ses compagnons. Non qu’elle rechignait à tirer sur ses adversaires, mais elle n’avait que six munitions, la moindre d’entre elle était précieuse et il ne fallait pas les gaspiller inutilement. Elle-même n’était pas passée loin de l’élimination à quelques reprises, alors qu’elle avait pu sentir des cartouches la frôler ou s’écraser contre une cloison à quelques centimètres d’elle. Elle ne se faisait aucun illusion : si elle était encore en course, c’était uniquement par un caprice du destin et pas du tout parce qu’elle avait assuré.

L’imposante albinos regarda autour d’elle. Il lui restait deux Marines de la fanfare. Eliana, à la caisse claire, et Lucas, au chocalho. Autant dire, personne du point de vue des règles de l’Arène : sans fusil, ils étaient dans l’incapacité d’éliminer l’adversaire. Coup d’œil au plafond : le score était de trois pour les rouges contre un pour les verts. Donc il ne restaient qu’eux dans son camp et une dernière cible à abattre avec ses trois munitions. Bien, bien, bien…

« Qu’est-ce qu’on fait, mon lieutenant ? » Chuchota Eliana.

Rachel hésita. En vrai, elle n’avait plus aucun plan et pas la moindre idée géniale ne lui venait à l’esprit. Bon. Ben quitte à faire n’importe quoi, autant le faire avec cohérence, hein.

« Jouez un truc, décida l’imposante albinos. Avec un peu de chance, ça va l’attirer…
_ D’accord, on va encore les piéger ! » S’enthousiasma Lucas.

Du tout, songea Rachel. Il s’agissait surtout d’hâter la fin, quelle qu’elle soit. Inutile de perdre du temps à jouer au chat et à la souris dans une arène aussi grande. À ce stade, la jeune femme estimait qu’il n’y avait pas de gagnants : si ç’avait été une vraie bataille, les deux forces se seraient juste mutuellement annihilées. C’était pitoyable et tout ce qu’elle voulait, c’était mettre un terme à tout ça. Quelle importance qui emportait cette victoire à la Pyrrhus ?

Pendant que les musiciens marquaient un rythme mesuré derrière elle, la jeune femme avança dans une direction au hasard, prenant grand soin d’éviter de marcher sur les « dépouilles » des Marines. C’est qu’elle pesait son poids et n’avait pas envie de blesser quelqu’un pendant l’exercice. À l’approche du carrefour, une grappe complète tombée à terre au milieu du couloir l’obligea à longer la mur. Arrivée à l’angle
Canon de pistolet !

« Commando ! » Brailla instantanément Rachel en passant à l’action.

La jeune femme réagit en un clin d’œil : son bras gauche attrapa fermement l’avant-bras tenant le pistolet, le tirant d’un geste brusque, tandis qu’elle-même pivotait sur ses talons pour propulser son assaillant contre le mur, l’y coincer et lui tirer dessus à bout portant.
"Quelle importance qui emportait cette victoire à la Pyrrhus ?" Tu parles ! Hors de question de concéder la défaite alors que ses hommes avaient tout fait pour l’emporter !

Comme de juste, le dernier des Verts s’avéra être le sous-lieutenant Mark Severn. S’il avait lui-même reconnu ses faiblesses en tant qu’officier, il n’en restait pas moins un combattant de premier ordre et son talent et son sens du combat lui avait permis de se frayer un chemin indemne à travers le chaos qu’ils venaient de traverser. Bloqué contre le mur, son bras-pistolet coincé dans l’étau de Rachel, il était malgré tout parvenu à attraper de sa main gauche l’arme de la jeune femme, l’empêchant de pointer le canon vers lui. Ce qui trahissait des réflexes phénoménaux, étant donné que l’imposante albinos avait pourtant eu pour elle l’effet de surprise et la brusquerie du mouvement.

Les deux officiers se débattirent un moment, jusqu’à ce que Rachel entrevoit la solution. Profitant de sa plus grande taille, elle releva brusquement le coude pour faire basculer le canon de son arme vers la tête de Mark et pressa la détente avec un sourire victorieux.
Rien ne se passa.
Cette connerie de détente refusait de bouger d’un pouce et c’était pourtant pas faute d’appuyer dessus comme une dingue.

« Première fois que tu utilises un pistolet de ce genre ? Parvint à articuler Severn entre deux grognements d’efforts pour résister à la pression colossale de Rachel.
_ Qu’est-ce qui te fait dire ça ? Gronda la jeune femme sans se déconcentrer.
_ Parce que t’as pas l’air de savoir qu’il suffit de bloquer le barillet avec suffisamment de force pour empêcher la gâchette de bouger, révéla le sous-lieutenant.
_ Non mais c’est rien ! Tu vas voir… si j’appuie… suffisamment… fort… Grommela Rachel en s’escrimant tant et plus sur son arme.
_ Aucune chance, s’amusa Mark. C’est ton doigt contre toute ma main.
_ Peut pas… savoir… sans avoir… essayé ! S’entêta la jeune femme en espérant que la poignée de son arme n’allait pas bêtement se briser à la serrer aussi fortement.
_ Du coup, je suppose que tu dois aussi ignorer qu’on peut faire ça ? S’enquit Severn avec un sourire canaille.
_ Faire quwaaah merdemerdemerde !! »

Le sous-lieutenant avait légèrement décalé son pouce et dégagé la clenche qui maintenait le barillet en place, l’éjectant violemment sur le côté, et les munitions se dispersèrent dans l’air sous le choc. Il profita du trouble de Rachel pour ramener sa propre arme entre elle et lui, mais la jeune femme avait réagit au quart de tour : réalisant instantanément que son arme était devenue inutile, elle l’avait aussitôt lâchée plutôt que de s’encombrer avec, perdre du temps à tenter de récupérer une munition, le tout sans arrêter de maintenir son opposant sous contrôle. À la place, sa main droite ainsi libre avait donc vivement fondu sur le poignet de l’arme de Severn et l’avait brutalement basculé à la verticale avant qu’il n’ai appuyé sur la gâchette. Le tir frôla les visages des deux combattants., sans aucune conséquence qu’une petite frayeur pour l’un et l’autre.

« Lâche-moi, tu as perdu ! Gronda Mark sans cesser de se débattre.
_ Rien du tout, tu m’as pas encore éliminée ! Se défendit Rachel en pesant de tout son poids pour l’empêche de bouger.
_ T’as plus d’arme et je t’aurais plombé avant que tu puisses la récupérer et la réarmer ! Accepte ta défaite !
_ Donne-moi dix secondes et je te pique ton flingue et je t’élimines avec ! Répliqua la jeune femme en essayant de lui arracher son pistolet des mains.
_ Imbécile, c’est interdit par le règlement, t’as pas le droit de me piquer mon arme ! Lui rappela le sous-lieutenant.
_ Ah merde… » Réalisa l’imposante albinos en se mordant la lèvre alors qu’elle turbinait à plein régime pour trouver une autre solution.

"Un groupe qui pratique régulièrement ensemble fini par développer des habitudes. Mais nous, nous sommes hors de tout cela. Ce qui veut dire qu’on débarque avec une façon de réfléchir à laquelle ils ne sont pas habitués non plus."
Merci Edwin !

« Trouvé ! » Rugit triomphalement Rachel.

Détonation de l’arme à peinture. Regard éberlué de Mark, menton couvert d’un vert dégoulinant.

« Mais… Mais… Mais t’as pas le droit ! Tu peux pas faire ça ! S’insurgea le sous-lieutenant.
_ Je n’ai pas utilisé ton arme, je t’ai juste forcé à appuyer toi-même sur la gâchette après t’avoir fait te viser, répliqua la jeune femme en essayant de paraître sûre d’elle. Donc c’est autorisé par le règlement !
_ Tu déconnes !? Pas moyen que les arbitres laissent passer ça ! »

Les deux jeunes gens levèrent aussitôt un regard plein d’appréhension vers le compteur affiché au plafond. Et après une intense seconde d’angoisse, le décompte fut mis à jour : le score des Verts tomba à zéro.

« On a gagné… Réalisa Rachel. On a gagné. HÉ, LES GARS ! RELEVEZ-VOUS TOUS ! ON A GAGNÉ ! ON A GAGNÉ ! WOUUUAAAAAIIIIISSSS !!! »

Victoire à la Pyrrhus ou pas, carrément, que c’était important !

*
*     *

Dans le mess des officiers de l’escadron Alpha, le gros vice-lieutenant Bartolomé Tolosa ne put se retenir de décocher un coup de poing rageur contre le mur, ces yeux incendiant l’écran de retransmission comme s’il avait pu changer le résultat de la confrontation par sa seule hargne. Son autre main libre ne cessait de tripoter le pin’s vert qu’il avait acheté aux Parieurs.

« Severn ! Espèce d’imbécile ! C’était quoi ce combat de merde !? Tempêta Bartolomé
_ ‘faut admettre, ça n’a pas été un grand spectacle, convint le lieutenant Jaeger. Pas vrai, Beth ? »

Le lieutenant Matthias Jaeger était tranquillement affalé sur l’un des sièges, les bras croisés derrière la tête. Sur sa veste d’uniforme débraillée, on pouvait distinguer un pin’s vert et un autre rouge. Le lieutenant se faisait un devoir de toujours soutenir les officiers de sa section qui descendaient dans l’Arène, peu importe les circonstances.

De son côté, la commandante Bethsabée de Castelcume, impeccable dans son costume hors de prix, se tenait droite près de la fenêtre d’observation, regardant plutôt ce qui se passait dans l’arène plutôt que sur l’écran. La commandante ne pariait jamais, il était donc difficile de savoir qui elle avait soutenue.

« C’est n’importe quoi, continua à gronder le vice-lieutenant Tolosa tout en se dirigeant vers la porte. Le sous-lieutenant a oublié tout ce qu’on lui avait appris ! Perdre contre une débutante, non mais quelle honte ! Bon sang, il va m’entendre, ce petit imbécile !
_ Ouais, t’as raison, Bart, opina Matthias. Allons nous foutre de sa gueule, ça va être marrant !
_ Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit, mon lieutenant. Et veuillez cesser de m’appeler Bart !
_ Lieutenant Jaeger ? Déclara subitement la commandante. Auriez-vous un instant, je vous prie ? »

Matthias, déjà sur le pas de la porte, se retourna, surpris. Il était rare que la commandante souhaite débriefer un affrontement dans l’Arène. Il passa la tête dans le couloir, cria à Bartolomé qu’il le rattraperait, puis revint s’affaler dans un siège près de sa supérieure.

« Qu’avez-vous pensé de ce match ? L’interrogea la jeune noble.
_ La chance du débutant, clama le lieutenant Jaeger. Ayé, fini, j’peux y aller ?
_ Un peu de sérieux, la chance du débutant n’existe pas, contesta Bethsabée.
_ Bien sûr que si, Beth, protesta gentiment le jeune homme. C’est la marque de ceux qui comprennent intuitivement comment les choses fonctionnent. Puis les fois suivantes, ils réfléchissent, pensent savoir comment faire et se plantent lamentablement parce que leurs réflexions dont ils sont si fiers ne sont pas du tout à la hauteur de leur intuition…
_ Jaeger, voyons…
_ Quelque chose te tracasse ? Releva le lieutenant.
_ Quelle a été la clef de sa victoire, selon vous ?
_ Sa fanfare, asséna instantanément Jaeger. Ce qui est assez ironique, quand on y pense, vu que je suis certain qu’en vrai, elle s’est un peu foutue de notre gueule quand elle a dit que c’était une fanfare de combat. À mon avis, elle était juste vexée parce qu’on s’en est moqué. Si tu ne l’avais pas mise au défi, je ne pense même pas qu’elle aurait véritablement songé à la déployer au combat. Mais si elle ne l’avait pas fait aujourd’hui, elle aurait perdu.
_ …
_ Alors ? Mon intuition correspond-elle à l’analyse de la Reine ?
_ Correct, admit Bethsabée. Votre sens innée du combat ne cesse de me surprendre.
_ Bah, ça sert à rien si ce n’est pas conscient, balaya Matthias d’un haussement d’épaules. Bon, éclaire donc ma lanterne : qu’est-ce qu’il s’est passé ? Bart a raison : Mark a merdé dans les grandes largeurs. Alors dis-moi pourquoi. »

Bethsabée de Castelcume laissa planer le silence un instant, tandis qu’elle réagençait ses pensées à l’aune de l’affirmation de son subordonné. Jusqu’ici, elle n’avait pas été certaine de ses analyses, mais la remarque de Jaeger l’avait conforté. Pour quelqu’un d’aussi résolument analytique qu’elle, les intuitions du lieutenant la dépassait. Mais même si elle ne comprendrait jamais comment cela fonctionnait, elle avait appris à s’y fier sans hésitation.

« La Fanfare de Syracuse a fait pencher la balance en faveur de son camps a trois reprises, commença lentement la commandante. Premier point de bascule : un nouvel élément. Elle s’est mise en action dès leur entré dans l’Arène et constituait un élément inconnu pour le sous-lieutenant Severn. Cela l’a troublé : était-ce un piège ? Un piège dans un piège ? Ou bien n’était-ce rien ? Cet élément nouveau et inattendu l’a fait paniquer, il a régressé jusqu’à reprendre ses mauvaises habitudes de débutant.
_ Aaah, je vois, opina Jaeger. C’est pour ça qu’il a bêtement collé le mur comme ça avec sa troupe.
_ Correct, approuva la commandante. Les débutants pensent que cela leur permet de protéger un flanc et se sentent ainsi rassurés. Dans l’état d’angoisse où sous-lieutenant Severn se trouvait, cela l’a réconforté d’agir ainsi.
_ C’était stupide, balaya son interlocuteur. Il a perdu en mobilité et s’est juste fait voler l’initiative de l’affrontement. Résultat, Rachel l’a proprement encerclé. Les boules, c’est quand même elle la débutante, à la base.
_ Exact. Et ceci nous amène au second point de bascule, révéla Bethsabée. La fanfare contre-attaque. Le sous-lieutenant Severn a réalisé l’erreur qu’il avait commise et la mauvaise posture dans laquelle il se trouvait. Il a réagit correctement en tentant une percée pour s’en sortir, sur le point faible du dispositif du sous-lieutenant Syracuse.
_ C’est méchant pour l’adjudant qui menait ledit point faible, ça, Beth…
_ Le sous-lieutenant Syracuse a tenté une contre-attaque éclaire pour briser l’élan de la percée du sous-lieutenant Severn. Avec la fanfare à la pointe de cette contre-attaque.
_ Qu’est-ce qu’il s’est passé à ce moment-là, Beth ? Voulut savoir Jaeger. J’ai beau tourner et retourner la manœuvre dans tous les sens… pour moi, c’est du suicide pur et simple. Ça n’aurait jamais du fonctionner.
_ L’indécision, asséna la commandante de Castelcume. Cela vous semble suicidaire parce que vous avez déjà catégorisé la fanfare comme un élément négligeable et que vous l’auriez abattu sans vous poser davantage de questions. Les hommes du sous-lieutenant Severn ont hésité : les musiciens ne représentaient aucun danger, mais fournissait un couvert très opportun à leurs collègues armés derrière eux. Fallait-il abattre le couvert ? Ou concentrer prioritairement le feu sur les ennemis dangereux ? Une troupe qui hésite est le symptôme d’un encadrement défaillant. À ce stade de l’affrontement, le lieutenant Severn aurait déjà du avoir tranché ce dilemme et transmis ces ordres au travers de sa chaîne hiérarchique. Parce qu’il ne l’a pas fait, chacun de ses hommes s’est retrouvé à hésiter devant ce même dilemme. À l’inverse, les hommes du sous-lieutenant Syracuse n’ont eu aucune hésitation et ont parfaitement saisi ce temps mort de leurs adversaires pour les abattre.
_ Au combat, l’hésitation, c’est la mort, pontifia Jaeger. Mieux vaut une mauvaise décision que pas de décision du tout. Mais tu as dit que la Fanfare avait fait basculer le combat en trois occasions. Or après la contre-attaque de Rachel, c’est devenu le foutoir le plus complet…
_ Correct. Néanmoins, la troupe du sous-lieutenant Severn était plus expérimentée, son encadrement plus solide et, si l’on retire la fanfare, disposait d’un effectif sensiblement similaire à celui de la troupe du sous-lieutenant Syracuse. En théorie, c’était donc eux qui auraient du avoir l’avantage. Alors pourquoi n’ont-ils pas pu compenser ?
_ La pression imposée par les hommes de Rachel ? Hasarda le lieutenant après une brève hésitation.
_ Et il s’agit là du troisième point de bascule, acquiesça la commandante, le retour de la fanfare. Dans le chaos qui a dégénéré par la suite, le fait est que la fanfare était audible par tous, partout, tout le temps. Cela n’a pas fait que souder et galvaniser les soldats du sous-lieutenant Syracuse. Cela a aussi donné l’impression aux soldats du sous-lieutenant Severn que l’ennemi grouillait de partout. Ils se sont crus surclassés, en mauvaise posture et écrasés par un ennemi plus nombreux.
_ Le moral, réalisa Jaeger. Le sentiment de défaite est généralement auto-réalisateur.
_ Correct, approuva Bethsabée.
_ Mais en définitive, tout ça, ça reste de la chance, balaya le lieutenant. Un score de 3, c’est l’un des plus faibles jamais enregistré dans l’Arène. À ce niveau, on est plus sur des tendances entre corps d’armés, Beth, on dérive sur de l’évènement ponctuel. Une visée qui tremble, un pied qui glisse… et tout le résultat aurait pu être différent. »

La commandante hocha la tête. Mais elle avait toujours ce petit sourire que Matthias avait appris à reconnaître depuis le temps.

« Ok, qu’est-ce que j’ai loupé, commandante ?
_ Rachel Syracuse, énonça mystérieusement Bethsabée.
_ D’accord… essaya de deviner Jaeger. Elle est comme Mark : une fille du rang qui a gagné ses promotions jusqu’à intégrer le corps des officiers. À ce titre, elle n’a pas fait l’école d’officier, mais elle compense ce qui lui manque sur les plans tactiques et stratégiques par son expérience personnelle du combat… hmmm… Tu penses que, comme pour Mark, ce n’est pas un hasard si elle a traversé indemne le chaos jusqu’à la fin ?
_ Non, secoua la tête la commandante. Cela a pu jouer à la marge, mais ce n’est pas le point principal. Comme vous l'avez dit, le dénouement final s'est joué à peu de chose et pouvait basculer d'un côté comme de l'autre.
_ Alors quoi ?
_ Ainsi que nous l’avons dit, les débutants tendent à se coller à un bord de l’arène, pensant ainsi protéger l’un de leur flanc. Alors… pourquoi le sous-lieutenant Syracuse, qui n’a pourtant jamais participé à l’Arène ni même pu assister à un combat d’autres participants, a opté pour un déploiement en ligne et s’est aussitôt mise en tête d’encercler son adversaire ? »

La question flotta un instant dans la pièce. Les yeux de Jaeger s’écarquillèrent soudainement sous la compréhension. Rachel aurait du être totalement naïve de ce type d’affrontement. Elle n’avait pas fait l’école d’officier, ni jamais livré de bataille d’envergure entre corps d’armée. Elle ne disposait d’aucune point de référence auquel se raccrocher pour cet exercice. Alors…

« La chance du débutant, souffla le lieutenant.
_ À tout le moins, une solide intuition de bataille, approuva la commandante.
_ Trop tôt pour le dire, réfuta Jaeger. D’abord, il faut voir comment va se passer la prochaine bataille. Comme je te l’ai dit, Beth, ce qui compte, c’est que ses décisions raisonnées n’aillent pas à contre-courant de ses intuitions, sinon elle court au fiasco. Et ensuite… Même en admettant qu’elle ait de solides intuitions en la matière, ça ne sert à rien si cela n’en reste qu’à ce stade : de l’intuition. Il faut qu’elle en fasse un mécanisme conscient sur lequel elle pourra compter en toute circonstance.
_ Mais la probabilité n’est pas nulle, insista Bethsabée.
_ T’es pas impartial, Beth, tu veux juste un nouveau compagnon de jeu dans l’arène.
_ N’ai-je pas raison ? »

La commandante dévisageait intensément son subalterne. Ce dernier gigota un instant sur sa chaise. Il n’aimait pas ça. Tout ce qui s’apparentait de près ou de loin à une charge de boulot supplémentaire le rebutait au plus haut point. Nouveau regard à sa supérieure. Pfff… Impossible de dire non à un regard si débordant d’espoir et de joie, deux sentiments qui s’illustraient surtout d’ordinaire par leur absence chez la commandante.

« Bwaaaah, c’est bon, capitula Jaeger. Ok, je garderai un œil sur la nouvelle et j’essaierai de l’aider si je peux. Mais ne te fais pas de faux espoirs, hein, on est pas encore fixé !
_ Je vous remercie, Matthias, lui répondit chaleureusement Bethsabée avec une sincérité non feinte.
_ Pfff… Et comment ch’uis censé ronchonner après, quand tu me sors ça…
_ Bien, je vais descendre féliciter le sous-lieutenant Syracuse pour cette première victoire rudement gagnée. Pourriez-vous rejoindre le sous-lieutenant Severn, dédramatiser sa défaite et vous assurer que le vice-lieutenant Tolosa n’ait pas de mots trop durs à son endroit ? Une fois les choses en ordre, je compte sur vous pour les emmener féliciter la sous-lieutenant Syracuse. Une victoire à la première participation de l’Arène constitue un tour de force remarquable qui se doit d’être fêter comme il se le doit.
_ Ouais, ouais, c’est noté, fit Jaeger faisant mine d’écrire sur un calepin imaginaire. Rassurer Mark, calmer Bart puis rameuter tout le monde pour faire la méga-teuf avec Rachel. Relax, c’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, Beth. »

Le lieutenant se releva d’un bond et se dirigea vers la porte du mess après un vague signe de la main pour saluer sa supérieure. La commandante de Castelcume hocha la tête. Au sein de la forteresse, le lieutenant Jaeger avait la réputation, amplement méritée, d’être une grosse dilettante. Néanmoins, Bethsabée savait que tant qu’il s’agissait de papoter informellement avec les gens, on pouvait compter sur lui.

Son regard se reporta sur l’Arène en contrebas, où les soldats de Rachel étaient toujours présents, tout à la joie de leur improbable victoire. C’était toujours comme ça, les vainqueurs s’éternisaient plus que de raison sur les lieux de leur victoire, comme s’ils craignaient que celle-ci s’évapore s’ils s’en retournaient trop tôt. Ça ne faisait rien, la commandante attendrait patiemment qu’ils sortent.
Son œil valide traqua et trouva bien vite l’imposante sous-lieutenant albinos. Un sourire plein d’entrain vint jouer sur ses lèvres : elle plaçait maintenant beaucoup d'espoir dans le potentiel de sa nouvelle recrue…
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On toqua à la porte du vestiaire de l’équipe verte. L’un des sergents les plus proches alla ouvrir, prêt à pousser une gueulante bien sentie envers le malheureux retardataire.

« Dis-donc, c’t à c’t’heure-ci qu’on arriv… Oh, commandante ! Je… heu… vous avez besoin de quelque chose ? »

Bethsabée de Castelcume hocha lentement la tête.

« Je souhaiterais m’entretenir avec le commandant Belze, sergent.
_ Mais bien sûr ! Il est dans le vestiaire du chef. Heu… Vous voulez que je vous y conduise, commandante ?
_ Inutile de vous déranger, je connais les lieux, sergent.
_ Bien sûr ! Je ne voulais surtout pas… heu… hum… »

La commandante dépassa le sergent bafouillant pour se diriger vers la petite pièce privative du vestiaire. Elle était à disposition des officiers de l’Arène qui souhaitaient s’isoler un peu avant de se lancer dans la bataille.

Le silence se répandit dans tout le vestiaire à mesure que Bethsabée le traversait, les Marines s’écartant révérencieusement de son chemin. Son titre, la de Reine de l’Arène, n’était pas juste un calembour stupide des Parieurs. Tous les soldats d’Hexiguel vouaient une admiration respectueuse à l’invincible jeune femme. Chacun d’entre eux considérait qu’elle était quelqu’un de spécial, bien au-dessus du commun des mortels : ses yeux contemplaient un tout autre monde que celui qu’ils voyaient et elle évoluait dans des sphères qui leurs seraient à jamais inaccessibles.

Un récent audit du CP4 avait d’ailleurs établi que l’ascendant de la commandante de Castelcume sur la garnison était tel qu’il était probable que la totalité des Marines se rallie à elle si elle décidait de renverser le Colonel et d’exploiter Hexiguel pour son propre compte. Le rapport concluait qu’en cas de trahison, elle pouvait transformer la forteresse en l’une des plus solides place-forte de North Blue et prônait donc l’exfiltration discrète de la commandante, juste au cas où…
À la remise du rapport, le colonel Trevor s’était esclaffé de son grand rire habituel avant d’affirmer que l’affaire était close et que si le CP4 avait la mauvaise idée de la ramener un jour sur ce sujet, il leur ferait bouffer l’intégralité de leur épais dossier. Non seulement Bethsabée était dévouée corps et âme à la Marine mais elle avait ses principes nobiliaires bien trop chevillés au corps pour envisager ne serait-ce qu’une seule seconde une bassesse aussi déshonorante que la désertion.

C’était aussi la seconde raison pour laquelle personne n’envisagea même de lui bloquer le passage jusqu’au commandant Belze. Dans tout autre cas, un commandant souhaitant rencontrer le futur adversaire de l’un de ses subalternes dans l’Arène se serait attiré doutes et suspicions, laissant penser à une tentative d’intimidation ou, à tout le moins, de déstabilisation. Mais pas Bethsabée. Comme le disait les Parieurs : si la Droiture devait un jour s’incarner sur terre en chair et en os, on la confondrait sûrement avec la commandante de Castelcume.

La jeune femme arriva jusque devant la porte de la petite cellule privative et hésita un court instant à toquer. Aussi brève fut son hésitation, elle fut pourtant prise de vitesse par l’occupant des lieux qui l’invita à entrer.

La pièce était minuscule : un casier, un banc et, de façon assez saugrenue, un miroir à pied dans un coin. Le commandant Belze était assis par terre, en tailleur, les mains sur les genoux, la tête légèrement baissée, les yeux clos. Bethsabée referma la porte derrière elle et s’y adossa, bras croisés, attendant patiemment que l’occupant termine sa méditation.
Finalement, Belze expira lentement, rouvrit les yeux et se releva d’un seul mouvement félin sans même s’aider de ses mains. Il alla s’asseoir sur le banc et fit signe à la jeune femme de le rejoindre. Celle-ci déclina d’un geste de la tête, sans grande surprise pour le commandant.

D’ordinaire, Belze ne prêtait aucune foi aux conneries new age sur le langage corporel et tout le tremblement. Lorsque quelqu’un croisait les bras, hé bien, c’était juste parce que c’était plus confortable, parce que ça soulageait les coudes et les épaules du poids des bras, et pis c’est tout, y’avait pas à aller chercher plus loin. Ça n’avait rien à voir avec une quelconque forme de rejets de la discussion ou d’attitude défensive comme le prétendaient les mentalistes du dimanche qui péroraient sur le sujet. Mais même lui reconnaissait que Bethsabée donnait toujours l’impression de se tenir sur la défensive. Bras croisés ou non, d’ailleurs. Quant à déterminer si c’était de la timidité, un simple trait de caractère ou une conséquence de l’éducation stricte que la noble avait reçu, il n’aurait su le dire. Mais sur toute la garnison, seuls le Colonel Trevor et cet étrange énergumène de Lieutenant Jaeger pouvaient se targuer de pouvoir discuter avec la jeune femme de façon détendue.

« Je m’excuse d’avoir interrompue votre méditation, commandant, déclara Bethsabée.
_ Il n’y a pas de mal, commandante. Pouvoir se préparer avant une bataille n’est pas un luxe dont on dispose systématiquement. Et puis, lorsque j’ai entendu le brouhaha des petits gars s’éteindre, ça m’a intrigué. Alors, que me vaut la visite de la Reine ?
_ Le sous-lieutenant Syracuse.
_ Un sacré morceau, convint Belze. Je n’aurais jamais cru qu’elle puisse se hisser jusqu’à la finale après sa première prestation, mais il est vrai qu’elle a évolué à une vitesse hallucinante… »

Rachel Syracuse. La nouvelle coqueluche des Parieurs. Personne n’aurait misé ne serait-ce qu’un berry sur elle à l’issue de sa première victoire. 3 points, le score le plus misérable jamais enregistré depuis les débuts de l’Arène, au termes d’un rencontre qui avait tenu davantage de la foire d’empoigne que de l’affrontement tactique élaboré dont l’Arène était coutumière. Mais la jeune femme apprenait indéniablement vite.

Entre son premier match et son second, l’ensemble des huitièmes de finales avait eu lieu. Sept affrontements. Et autant de temps pour qu’elle rumine sa propre prestation. Belze n’était pas sûr de ce qui avait le plus pesé dans la balance mais, en tout cas, son second affrontement en quart de final n’avait rien eu à voir avec sa précédente prestation.
Elle avait été confrontée au vice-lieutenant Tolosa. Si son précédent adversaire, le sous-lieutenant Severn faisait clairement partie du bas du tableau, le vice-lieutenant, lui, se situait au milieu. Un peu au-dessus même. Le résultat avait pourtant été sans appel : cinquante-un points pour Rachel. L’emporter en perdant moins de la moitié de ses hommes était considéré comme une victoire majeure. Par ailleurs, la compagnie de Rachel avait fait montre d’une maîtrise tactique sans aucun rapport avec sa première prestation. À tel point que le gros lieutenant l’avait publiquement accusé de tricherie et qu’il avait fallu l’intervention directe de Bethsabée pour l’empêcher de faire davantage de scandale.

Ensuite, lors des demi-finales, Rachel avait été opposée au fantasque lieutenant Jaeger. Il était très difficile d’estimer le niveau de Jaeger, pour la simple et bonne raison qu’il se défaussait systématiquement du commandement sur l’un de ses adjudants. Or, face aux manquements répétés du lieutenant en termes d’encadrement, le Colonel lui imposait toujours la présence de deux adjudants. Et ceux-ci cyclaient énormément : à quasi-commander une compagnie entière, les promotions ne tardaient guère pour eux. Résultat, impossible de savoir sur quoi on allait tomber concernant Jaeger.
La seule constante du lieutenant était son escouade de choc. Lui-même, à la tête d’une petite troupe de dix hommes, opérait en totale indépendance du reste de sa compagnie. De toute façon, Belze estimait qu’un type comme Jaeger était bien incapable de suivre la moindre directive… Mais le commandant reconnaissait sans hésitation les aptitudes guerrière du lieutenant : lui et sa petite équipe assuraient bien souvent un gros trou dans l’effectif adverse et désorganisaient durablement la stratégie de l’ennemi. Le pire étant que le lieutenant n’y allait pas sérieusement : Belze faisait partie de la petite poignée d’individus d’Hexiguel à s’être rendu compte que Jaeger s’en tenait à des objectifs cachés précis, tels que de n’abattre que des blonds ou bien uniquement des caporaux ou alors ne toucher toutes ses cibles qu’au creux poplité. C’en était presque rageant : ce type était indubitablement bon mais ne semblait prêt à faire des efforts que s’il s’agissait de faire n’importe quoi !

Et pourtant… Soixante-douze points. Rachel l’avait emporté avec un score que seul le haut du tableau pouvait espérer obtenir face au lieutenant Jaeger. Impressionnant, surtout que c’était la première fois que la sous-lieutenante affrontait un adversaire aussi atypique. Ou pas. Avait-elle déterminé comment le vaincre simplement en regardant ses matchs précédents lors du tournoi ?

Et maintenant, c’était à son tour. Le commandant Belze était unanimement considéré comme le numéro deux de l’Arène. S’il ne commençait pas dans la même moitié de tableau que la Reine, il se frayait un chemin avec aisance jusqu’à la finale. Bien qu’il n’arrivât pas à la cheville de Bethsabée, l’officier était confiant dans ses capacités à triompher d’autrui dans l’Arène.
Jusqu’à aujourd’hui, tout du moins. Jusqu’à ce qu’un phénomène comme Rachel Syracuse se dresse sur son chemin. Après sa victoire contre Tolosa, il était encore certain de pouvoir la vaincre. Après sa victoire contre Jaeger, il pensait avoir une chance de la vaincre. Mais il ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait vraisemblablement poursuivi son évolution au même rythme. Et dans le pire des cas…

« Commandante, pensez-vous que je vais gagner ? Ne put s’empêcher de demander Belze.
_ D’après les Parieurs, soixante-trois pourcent des mises sont en votre faveur, signala l’intéressée.
_ Ça ne veut rien dire, balaya le commandant. La garnison me soutient simplement parce que je suis leur denier rempart : si j’échoue, cela signifiera qu’une simple bleue aura été capable de triompher des meilleurs de la garnison. »

Ce qui ne serait pas une première, songea brusquement l’officier. D’après les Parieurs, la commandante de Castelcume avait accompli le même prodige à son arrivée…

« Quoiqu’il en soit, vous n’avez pas répondu à ma question, insista le commandant.
_ Avez-vous compris quelle astuce emploie la sous-lieutenante Syracuse ?
_ Une ast… Comment ça ? Vous pensez comme le vice-lieutenant Tolosa ? Elle tricherait ?
_ Non, cette astuce est tout à fait légale, réfuta la noble. Néanmoins, si vous ne comprenez pas ce qu’elle fait, votre défaite est inévitable. »

Le commandant Belze se tint coi. Au fond de lui-même, il le redoutait depuis que Rachel avait emporté les demi-finales. Des esprits plus optimistes auraient argué que rien n’était joué, qu’il y avait toujours une chance… Mais l’officier avait une foi aveugle dans l’analyse de Bethsabée. Si elle pensait que sa défaite était inévitable, alors…

« Souhaitez-vous que je vous révèle la nature de son astuce ? Demanda doucement la commandante de Castelcume.
_ Pardon !? N’en revint pas l’officier.
_ Si vous compreniez… J’ignore lequel de vous deux l’emporterait alors, mais le match s’en trouverait immédiatement plus équilibré, affirma la noble.
_ Une porte de sortie honorable, hein… C’est extrêmement tentant, opina Belze. Mais… Je refuse !
_ Soit, acquiesça Bethsabée.
_ Désolé, c’est juste que… On a la chance de bénéficier de l’Arène, se sentit obligé de se justifier l’officier. Un endroit où nous pouvons aiguiser nos talents d’officiers sans aucun risque. À part peut-être pour l’égo… Je veux dire, il n’y a aucun enjeu ni aucun danger. Si c’était un véritable conflit, alors oui, je prendrais sans hésitation tout ce qui pourrait m’apporter le moindre avantage, mais là… Je veux… Je veux voir jusqu’où je peux aller par moi-même.
_ Ce comportement vous honore, commandant Belze, approuva la noble.
_ Merci. … Mais je vais quand même perdre, hein ?
_ Indubitablement.
_ Bah, vous serez peut-être surprise, s’amusa Belze. Après tout, maintenant que je sais qu’elle a un truc, je le devinerai peut-être tout seul.
_ Permettez-moi d’en douter, commandant, répondit Bethsabée en secouant doucement la tête.
_ J’essayais de me convaincre moi-même, commandante !
_ Il est futile de se bercer d’illusions.
_ Maieuuuh… Bon, puisque l’affaire est close, parlons de choses plus sérieuses, décida l’officier.
_ … ? Se tut Bethsabée tout en levant un sourcil interrogateur.
_ Pourquoi êtes-vous venue me révéler le secret du sous-lieutenant Syracuse ? Pointa Belze. Pardonnez-moi, mais ça ne vous ressemble pas de vous immiscer ainsi dans le jeu de l’Arène. Et je ne crois pas une seule seconde que ce soit pour protéger l’honneur de la garnison d’Hexiguel face à une bleusaille. Alors quoi ?
_ Cela vous ferait-il changer d’avis ? S’enquit la commandante.
_ Absolument pas.
_ Soit, opina la noble. La vérité est que je souhaite que la sous-lieutenante perde dans l’Arène.
_ Je… Sérieux ? Vous vous êtes fâchées toutes les deux, c’est ça ?
_ Ne soyez pas ridicule.
_ Bon. Je crois commencer à bien vous connaître, commandante, alors je doute que ce soit par vengeance, jalousie ou quelque chose dans ce goût-là, réfléchit Belze. Pour son bien ? Non, vous n’êtes jamais allée aussi loin pour vos autres subalternes… Mais ils ne sont pas aussi bons, n’est-ce-pas ? Elle l’a d’ailleurs prouvé en les battant tous… Vous pensez vraiment que ça l’aiderait de perdre dans l’Arène ? Parce que ça paraît super tordu, comme raisonnement, pour le coup.
_ Correct, approuva Bethsabée. Vous l’avez sans nul doute remarquer aussi : ses progrès dans l’Arène sont époustouflants. C’est donc le meilleur moment pour agir.
_ Non, non, je ne vois toujours pas.
_ La défaite constitue le ferment de nos prochaines victoires, expliqua la noble. Elles nous poussent à nous remettre en question et à dépasser nos acquis. C’est donc maintenant, alors qu’elle se situe en pleine phase de croissance, qu’il faut qu’elle perde. Si nous attendons que son talent parvienne à maturation, elle sera plus rigide dans sa façon de faire et de penser, aussi en tirera-t-elle bien moins profit.
_ Ok, maintenant je comprends, mais ça me paraît toujours super tordu. Désolé de contrarier vos plans, commandante. Mais si vous voulez qu’elle perde, il va falloir vous en charger vous-même.
_ Malheureusement, c’est impossible, commandant, je ne participe pas à ce tournoi, lui rappela Bethsabée.
_ Qui parlait de rigidité et de se remettre en question en cas d’échec ? S’amusa Belze.
_ Je vous demande pardon ?
_ Songez-y : à l’issu du tournoi, la garnison disposera de deux championnes. Je pense que les Parieurs vendraient père et mère pour pouvoir organiser une finale spéciale entre vous deux.
_ Mais les règles… commença à objecter la commandante.
_ Ah, après, si laisser passer cette occasion d’aider la sous-lieutenante à progresser vous convient…
_ … Vous croyez-vous subtil, commandant ?
_ Le fait que vous voyiez clair dans mon jeu ne signifie pas que j’ai tort.
_ Soit, vous avez raison, commandant. Je vais y songer, promit la noble. Néanmoins, puisqu’il ne reste plus que cinq minutes avant la rencontre, je vais prendre congé…
_ Sérieux, vous avez aussi une horloge dans la tête ?
_ … Je m’excuse de vous avoir dérangé inutilement. Bonne chance pour votre bataille, commandant, le salua Bethsabée.
_ Un instant, commandante de Castelcume, la retint Belze alors qu’elle avait la main sur la poignée de la porte. Je… Avec quel score pensez-vous que je vais perdre ?
_ Tenez-vous vraiment à le savoir, commandant ? S’enquit la noble.
_ … hésita l’officier. Non. Effectivement, non. J’ai la ferme intention de faire de mon mieux. Et je vais faire mentir votre pronostic ! Assura Belze avec conviction.
_ Bon état d’esprit, commandant, acquiesça la noble. Je vous souhaite bon courage. »

*
*     *

Lorsque Bethsabée entra dans le mess des officiers de la section Alpha, ses trois autres subalternes étaient déjà présents : le lieutenant Matthias Jaeger était vautré comme à son habitude dans le siège central, juste en face du cube de diffusion, le vice-lieutenant Bartolomé Tolosa se tenait debout à droite, près de la fenêtre – la commandante avait compris qu’avec son embonpoint, Bartolomé trouvait les sièges trop peu confortables et préférait donc toujours rester debout – tandis que le sous-lieutenant Mark Severn était assis à un siège d’écart de Jaeger – il avait du envisager de laisser la meilleure place à la commandante et la seconde au lieutenant mais Jaeger ne s’était pas fait prier pour piquer la première.

La commandante de Castelcume adressa un bref salut à ses hommes et vint prendre position debout, à gauche de la fenêtre, faisant le pendant de Tolosa.

« T’es vexée parce que je t’ai pris la meilleure place, Beth ? S’enquit Jaeger.
_ Incorrect, lieutenant, le rassura Bethsabée. Simplement, je souhaite observer l’Arène par moi-même. La diffusion par escaméra n’est pas satisfaisante lorsqu’il s’agit de la sous-lieutenante Syracuse. »

L’Arène était quadrillée d’escaméra pour la diffusion des images sur le cube, mais c’était les Parieurs qui décidaient en temps réel quoi montrer. Comme de juste, ils préféraient diffuser au plus près de l’action, mais, de l’avis de la commandante, ce manque de recul ne permettait pas de saisir correctement les subtilités des placements et la façon dont les tactiques étaient mises en place par les participants. Les Mess avaient la chance de surplomber l’Arène, aussi rien ne valait un coup d’œil direct sur ce qu’il se passait en contrebas.

Les deux équipes commençaient à entrer sur le terrain. Le commandant Belze avait décidé d’adopter une formation triangulaire, pointant vers le centre. En vétéran de l’Arène, il savait pertinemment la valeur stratégique que revêtait le contrôle du cœur du quadrillage. En face, la sous-lieutenante Syracuse scindait sa compagnie en trois entités séparées. Deux d’entre elles commencèrent à progresser prudemment par les flancs tandis que la dernière s’avançait prestement droit vers le centre.

« Alors, ton pronostic, Beth ? Voulut savoir Jaeger.
_ Le commandant Belze n’a toujours pas compris l’astuce employée par la sous-lieutenante Syracuse. Sa défaite est donc inévitable.
_ Tant mieux, j’ai parié sur Rachel !
_ Elle a un truc ? Releva le gros Bartolomé. Je le savais, c’était pas clair ! Qu’est-ce que c’est ? Elle a hacké les  escaméras ? Elle a un complice hors de l’Arène qui lui décrit ce qu’il voit sur le cube ?
_ Allons, vice-lieutenant Tolosa, le morigéna Bethsabée. Ces deux manœuvres sont explicitement proscrites par le règlement de l’Arène. Pensez-vous réellement que je laisserais passer de tels manquements si je m’en apercevais ?
_ En même temps, vous passez bien l’éponge à tous les manquements du lieutenant concernant le règlement de la Marine…
_ Heu… Tu veux bien me laisser en dehors de tout ça, Bart ?
_ Alors c’est quoi, le truc de Rachel, commandante ? Voulut savoir Severn.
_ Avez-vous donc oublié l’existence de sa fanfare ?
_ Ouais, ouais, elle m’a écrasé alors que quinze de ses hommes sont complètement inutiles, je sais… soupira Mark. C’est pas sympa de remuer le couteau dans la plaie, commandante…
_ Êtes-vous donc à ce point aveugle ? S’exclama la noble. Ou sourd, en l’occurrence. Ses hommes ne sont absolument pas inutiles, c’est tout le contraire : ils forment la clef de voûte de son dispositif dans l’Arène !
_ Sérieux ? S’exclamèrent les trois sous-officiers.
_ Prêtez donc attention aux motifs musicaux, leur conseilla Bethsabée. Regardez la formation centrale de la sous-lieutenante Syracuse. Elle va bien bientôt arrivée au contact avec la pointe du triangle du commandant Belze. Lorsque ce sera le cas, vous entendrez une sorte de… rythmique… comme cela : tam-tam-tam-tam tatatam tatatam tatatam taratat-tarata-taratatam.
_ Haha ! Tu chantonnes comme une casserole mais c’est trop mignon quand t’essayes, Beth !
_ Jaeger, un peu de sérieux, je vous prie. Chut, écoutez ! »

En contrebas, la formation centrale de Rachel, menée par Edwin, accrocha la pointe du triangle menée par le commandant Belze en personne. Il y eût quelques échanges de tir, sans grand impact de part et d’autre : à peine Edwin eût-il aperçu le bout du nez de l’ennemi qu’il avait déjà intimé l’ordre de battre en retraite précipitamment.
Mais maintenant que Bethsabée leur avait pointé à quoi faire attention, les autres officiers du Mess captèrent effectivement le signal sonore.

« La fanfare de Rachel a l’habitude d’adopter des rythmiques plus trépidantes quand les tirs commencent, objecta Bartolomé. Pour coller à l’ambiance. Ce n’est pas juste un motif de transition ?
_ Incorrect, soyez plus attentif, le contra Bethsabée. Souvenez-vous : lors de son premier affrontement, la sous-lieutenante avait divisé sa fanfare en trois groupes sur trois couloirs proches. À ce moment-là, elle les conservait relativement groupés et les membres de la fanfare s’accordaient les uns aux autres pour jouer. Or, ce n’est plus le cas maintenant.
_ Maintenant que vous le dites, c’est vrai qu’elle opère toujours en trois groupes et que sa fanfare est systématiquement éclatée entre eux, remarqua Severn.
_ Correct, opina la commandante. Et les différents éléments de la fanfare ne sont plus synchronisés. S’il s’agissait seulement d’ambiance, toute la fanfare basculerait sur ce registre. Mais là, seuls ceux qui sont en situation de combat le font. Les autres restent en mode calme.
_ Tu penses qu’elle utilise sa fanfare pour synchroniser et coordonner ses trois forces ? Demanda Jaeger.
_ J’en suis certaine, affirma Bethsabée. Après son affrontement contre le sous-lieutenant Severn, la composition même de la fanfare a changé. Ils ont troqué les instruments les moins bruyants contre d’autres. Regardez, il n’y a plus les espèces de boites à ferrailles et ils ont rajouté ces grosses trompettes colorées.
_ Des chocalho et des vuvuzela, commandante.
_ Contre le vice-lieutenant Tolosa, le code n’en était encore qu’au balbutiement, poursuivit la noble. Mais j’ai la certitude que les signaux se complexifient d’affrontements en affrontements.
_ Oooh… Un langage de bataille, hein… » S’amusa Jaeger.

En contrebas, la troupe d’Edwin reculait aussi vite qu’elle le pouvait, dans la débandade la plus complète, le commandant Belze piquant des deux sans hésiter pour les rattraper. Tout du moins, c’est ce qu’on pouvait penser à partir des images retransmises sur le cube.
En réalité, le commandant Belze était en train d’effondrer sa formation, qui commençait à former une ligne étirée plutôt qu’un triangle. Tandis que les deux autres groupes de Rachel se rabattaient progressivement sur leurs flancs, se préparant sous peu à les prendre en tir croisé. La troupe de Belze s’enfonçait droit dans un piège, ç’allait être un massacre.

« Commandante, intervint Tolosa, je ne comprends pas bien ce que ça change. Nous aussi, on communique avec nos unités – même si on le fait de façon plus orthodoxe – alors quel avantage ça lui donne réellement de… faire tout ça.
_  Tout, asséna Jaeger. L’Arène est habituellement considérée comme un affrontement symétrique car tout le monde s’y bat exactement dans les mêmes conditions. Mais avec sa fanfare, Rachel en fait un affrontement asymétrique : elle n’est plus soumise aux mêmes contraintes que nous. Tu m’étonnes qu’elle écrase tout sur son passage…
_ Heu… Vous pourriez avoir pitié du pauvre débutant que je suis qui n’y comprend rien ? Hasarda Severn.
_ L’Arène n’est pas un affrontement physique mais tactique, expliqua patiemment Bethsabée. Elle a été conçue pour minorer les prouesses individuelles et mettre l’accent sur la maîtrise de la chaîne de commandement, la force de la discipline et, surtout, les capacités d’anticipations. Songez-y : lorsqu’une estafette de votre flanc vous fait un rapport de situation, ce dernier date d’au moins quinze secondes. Le temps qu’elle retourne transmettre vos ordres, au moins quinze secondes supplémentaires se seront égrenées. Ainsi, entre le moment où votre flanc estime avoir besoin de consignes supplémentaires et le moment où elle les reçoit, un minimum de trente secondes s’écouleront. Une éternité sur un champ de bataille. Vos subalternes doivent donc anticiper sur le moment où ils auront besoin d’ordres supplémentaires et vos propres décisions doivent tenir compte de ce décalage.
_ Oh. Hum… Tout soudainement, je réalise pourquoi je suis si mauvais, dans l’Arène…
_ Par le truchement de sa fanfare, la sous-lieutenante Syracuse s’est libérée de cette contrainte, poursuivit la commandante. Le son se propage bien plus vite qu’une estafette. Cela lui permet de coordonner sa troupe quasiment en temps réel, sans décalage. Une idée extrêmement ingénieuse… »

Bethsabée lorgna de son œil valide sur le lieutenant Jaeger.

« Hé, me regarde pas comme ça, se défendit l’intéressé, j’lui ai jamais soufflé ça, moi ! J’avais même pas pigé ce qui se passait jusqu’à ce que tu l’exposes, Beth ! Moi, j’lui ai juste parlé, comme tu me l’as demandé, rien de plus.
_ Vous n’auriez donc rien à voir avec ce développement ? S’enquit la commandante d’un ton inquisiteur.
_ Nop, affirma Jaeger. Je l’ai juste convaincue d’avoir davantage confiance dans ses idées et de ne pas les rejeter d’office juste parce que ça ne ressemble pas à ce que font les autres officiers. Ou ce qu’elle croit que sont censés faire de vrais officiers. Son imaginaire met la barre vachement haut, mine de rien…
_ Ce n’est pas plutôt vous qui partez plutôt de très bas ?
_ Hé bien, félicitation lieutenant, approuva Bethsabée. Vos conseils ont visiblement portés leurs fruits. »

En contrebas, la troupe de Belze se faisait littéralement décimée, prise entre deux feux par les groupes de combat menés par Rachel et Jürgen. De son côté, Edwin avait brutalement fait volte-face et monté une solide position défensive, prenant par surprise le commandant Belze. Ce dernier se trouvait sous pression, hésitant à tenter le passage en force contre la troupe d’Edwin ou battre en retraite pour tirer ses hommes du tir croisé de Rachel et Jürgen. Il passait clairement un très mauvais quart d’heure.

« Admettons, revint à la charge Tolosa. Mais cela n’explique pas comment elle fait pour coordonner aussi efficacement ses troupes. Je veux dire, ok, elle transmet ses ordres à la vitesse de l’éclair, mais genre là, comment elle savait pour le commandant Belze.
_ Vous n’écoutez pas, le rabroua Bethsabée. Comme l’a deviné le lieutenant Jaeger, elle est en train de développer un véritable langage de bataille. Ce que chacun de ses trois groupes sait est immédiatement retransmis dans l’espace sonore. Dans l’Arène, nous sommes limités par ce que nous voyons, nous avons un point de vue subjectif de la situation. Mais ce n’est plus le cas de la sous-lieutenante. C’est comme si elle adoptait un point de vue objectif : elle discerne précisément où se situe ses hommes. Certes, il y a des zones d’ombres dans sa cartographie : elle ne sait pas exactement où se situe l’ennemi. Mais dès que celui-ci est aperçu par ses hommes, elle est immédiatement mise au courant. Comme le disait le lieutenant Jaeger, nous ne jouons pas du tout au même jeu.
_ C’est une solution développée spécifiquement pour l’Arène, pointa Jaeger. Tu crois qu’elle pourrait s’en servir aussi à l’extérieur ?
_ Je l’ignore, admit la commandante. Mais si c’est le cas, je serais curieuse de voir ce que cela pourrait donner.
_ Non, non, non, réfuta Tolosa, je ne marche pas. Admettons pour le langage de bataille. Mais comment a-t-elle su quelle formation utiliserait le commandant Belze !?
_ Je pense qu’elle ne savait pas précisément qu’il adopterait une approche en triangle, fit Severn. Mais elle savait qu’il serait au centre : y’a que les débutants qui se collent aux bords, vous me l’avez assez souvent répété, or le commandant Belze est considéré comme le numéro deux. Dans tous ses matchs, sa stratégie d’ouverture est là même : prendre le contrôle du centre de l’Arène.
_ Correct, appuya Bethsabée. Le commandant Belze est très prévisible sur ce point. La nature de sa formation est secondaire : le sous-lieutenant Syracuse savait qu’il serait là et a bâti un piège sur mesure. »

En contrebas, Belze avait rejeté les deux options les plus probables – enfoncer le bloc d’Edwin ou tenter de contenir le feu roulant de Rachel et Jürgen – pour une troisième manœuvre désespérée : rompre le combat avec Edwin en remontant vers un bord, dans l’espoir de pouvoir prendre à revers l’un des groupes de Rachel. La tentative tourna court, le groupe concerné – celui de Jürgen – se mettant rapidement en branle pour lui concocter un petit comité d’accueil tandis que le groupe de Rachel terminait de nettoyer proprement la zone. Quelques secondes plus tard, tout était fini.
Victoire à quatre-vingt-onze points.

Dans le mess des officiers, trois paires d’yeux se coulèrent vers Bethsabée pour scruter sa réaction.
Personne ne l’emportait jamais en moins de dix pertes.
Personne.

Exceptée la Reine de l’Arène pour qui ce résultat était tout à fait habituel.

*
*     *

La troupe de Rachel se dirigeait joyeusement vers la sortie de l’Arène, tout à la joie de leur sacre de champion. Ils l’avaient fait ! Ils avaient remporté le tournoi ! En dépit d’un départ catastrophique, les Marines du Piton Blanc étaient parvenus à revenir dans la partie et avaient dominé la compétition jusqu’au bout. La liesse était de mise et Rachel n’était pas en reste.

Elle s’était beaucoup cassée la tête à essayer de comprendre comment ce sortir de cette foutue situation. C’est que le sort de sa précieuse fanfare dépendait directement de sa prestation, tout de même ! Puis elle avait eu le déclic en discutant avec le lieutenant Jaeger – Un type sympa, même s’il ne collait pas du tout à ce qu’elle attendait d’un officier de la Marine. Ç’avait soudainement paru comme une évidence. La fanfare ! Tout le monde s’était foutu de sa gueule parce qu’elle s’y accrochait bec et ongles, mais personne – pas même elle – n’avait envisagé une seule seconde qu’elle puisse tenir réellement un rôle dans l’Arène.
Suivant les conseils du Lieutenant, plutôt que de rejeter l’idée parce qu’elle était parfaitement ridicule, Rachel l’avait au contraire creusée. Le point crucial était qu’on entendait parfaitement la fanfare depuis partout dans l’Arène. Elle pouvait donc servir de sonde reconnaissance. Puis elle s’était souvenu que dans plusieurs morceaux, les musiciens se répondaient. Se répondaient. C’est là qu’elle avait décidé de s’en servir comme de sémaphores auditifs : avec ça, elle pouvait transmettre et recevoir des informations, même au cœur de la bataille. Bon, vu la taille de la fanfare, elle était limitée à trois éléments, mais pour œuvrer dans l’Arène, c’était largement suffisant.
Dès la première tentative contre Tolosa, elle avait tout de suite sentie qu’elle tenait quelque chose. C’était tellement plus simple pour tout gérer ! Depuis, elle et ses musiciens s’étaient mis en tête de complexifier le code pour émettre chaque fois un peu plus d’info. C’était simple, c’était fonctionnel, c’était génial !

La grande double porte menant à l’antichambre de l’Arène, vers les vestiaires, s’ouvrit et Rachel stoppa net. Devant elle se tenait le reste des officiers de la section Alpha, la commandante en tête, un Parieur à ses côtés.

« Félicitation pour votre victoire, sous-lieutenante Syracuse, lui sourit chaleureusement Bethsabée. Vous avez été très impressionnante.
_ Oh. Heu… Merci commandante ! Du coup, je peux la garder, ma fanfare ? Tint à vérifier l’imposante albinos.
_ Bien entendu : votre prestation a été tout à fait remarquable, je n’ai rien à y redire, assura la noble.
_ Hé, les gars ! C’est officiel ! On garde la fanfare !! »

Divers acclamations et cris de joie accueillirent la nouvelle. Les Marines du Piton Blanc avaient travaillé dur pour en arriver là et ne boudaient pas leur plaisir.
Néanmoins, quelque chose clochait, songea Rachel. Pas avec ses gars, plutôt avec la commandante. D’abord, son sourire. Elle ne souriait pas du tout comme ça, d’habitude. Non, là, on aurait dit qu’elle se régalait de quelque chose par anticipation. Et puis sa posture. Elle attendait quelque chose. Elle attendait quelque chose d’elle.

« Heu… Vous voulez me demander quelque chose, commandante ? Si c’est pour des cours de musiques, il faut voir avec le sergent Egon.
_ J’aurais souhaité savoir si vous étiez satisfaite de votre sacre, lui demanda Bethsabée.
_ Mon sacre ? Oooh, vous voulez dire que je deviens la Reine de l’Arène, maintenant que j’ai remporté le tournoi ?
_ Correct, affirma la commandante.
_ Mmmmh… réfléchit un instant Rachel. Non. Non, ça ne me plaît pas.
_ Plaît-il ?
_ C’est débile, on ne peut pas me désigner Reine alors que je ne me suis même pas mesurée à la tenante du titre ! Décida l’imposante albinos.
_ Bon état d’esprit, sous-lieutenante, approuva Bethsabée. J’ai pris la liberté de consulter les Parieurs : ils sont d’accord pour organiser une super-finale entre les deux Reines dans les plus brefs délais, si tel est votre bon plaisir.
_ Oh. »

Rachel hésita. C’est que la réputation de la véritable Reine de l’Arène la précédait. C’était un gros morceau, sans aucune mesure avec les autres candidats qu’elle avait affronté jusqu’ici. Et ses gars étaient tellement contents d’être devenus champions. Surtout après tous les efforts qu’ils avaient fournis. Pouvait-elle vraiment les forcer à remettre tout cela en jeu ? Avait-elle le droit de risquer de perdre leur titre si chèrement acquis ?
La commandante se retourna, cherchant des yeux ses subalternes pour leur demander conseil. Edwin était bien plus loin en arrière. Il n’avait rien entendu de ce qui se passait, mais vit clairement que sa cheffe se posait des questions. Trop loin pour répondre quoi que ce soit, l’adjudant se contenta de lever le poing devant lui. Le message était clair : ayez confiance !
Jürgen se tenait près d’elle, leur regard se croisèrent.

« Quoi que vous décidiez, lieutenant, on sera tous avec vous ! » Lui assura son sergent-chef breveté.

Le sourire de Rachel revint en même temps que ses doutes se dissipèrent. Elle avait quand même vraiment de la chance d’être suivis par des types aussi géniaux, songea-t-elle.

« J’accepte ! Je veux mériter mon titre de Reine ! Je veux voir ce qu’on vaut face à la meilleure des meilleurs ! Commandante Bethsabée de Castelcume, ma compagnie et moi vous défions dans l’Arène ! »
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Si on leur avait demandé leur avis, Rachel et Bethsabée en auraient décousu immédiatement dans l’Arène. Mais l’organisation était entre les mains des Parieurs et ceux-ci préférèrent faire monter la sauce quelques jours afin que les paris flambent comme jamais. La super-finale entre les deux Reines était d’ores et déjà présentée comme « l’affrontement du siècle ».

Pour une base isolée comme Hexiguel, l’Arène constituait la seule source de divertissement digne de ce nom. De ce fait, il fut en réalité plus compliqué que prévu de trouver une date propice pour la finale, les Marines qui n’auraient pas pu y assister grognant très très méchamment à l’énoncé de cette hypothèse. Finalement, le Colonel Trevor intervint lui-même, remaniant le planning des patrouilles de fond en comble afin qu’exceptionnellement, pour une fois dans l’année, l’ensemble de la garnison soit présente en même temps dans la forteresse.

Dans le mess des officiers de la section Alpha, le lieutenant Matthias Jaeger, le vice-lieutenant Bartolomé Tolosa et le sous-lieutenant Mark Severn étaient sur des charbons ardents, aussi impatients que tout le reste de la garnison d’assister à ce choc des titans. Comme à son habitude, Jaeger arborait un pin’s de chaque couleur, Tolosa portait fièrement le rouge de la commandante de Castelcume, tandis que Severn, dans un grand élan d’optimisme, avait opté pour le vert de la sous-lieutenante Syracuse. Les pronostics allaient bon train entre les trois officiers et si les deux cadets supportaient mordicus leur champion respectif, même Bartolomé reconnaissait que ç’allait être un combat des plus intéressants.

Les trois officiers tout à leur discussion sursautèrent donc de concert quand la porte du mess s’ouvrit à la volée : Rachel et Bethsabée étant dans l’Arène, ils n’attendaient plus personne. Et surtout pas la venue du Colonel Trevor en personne !
L’imposant colonel baissa la tête en grommelant pour éviter de cogner au linteau, tandis que Severn se levait précipitamment pour le saluer avec Tolosa – Jaeger, à son habitude, resta vautré sur sa chaise et se contenta d’un vague signe de la main pour accueillir son supérieur.

« Repos, les enfants, repos, grommela Trevor que ces simagrées n’avaient jamais intéressé.
_ Ben alors, qu’est-ce qui nous vaut ta visite, chef ? Demanda impudemment le lieutenant. T’as plus la retransmission directe dans ton bureau ?
_ Pohahaha ! Tu veux rire ? Un match comme ça, ça doit se voir de visu, pas à travers un écran ! Affirma Trevor.
_ Vous avez un siège réservé dans les tribunes, lui rappela Tolosa.
_ Les Mess surplombent l’Arène de plus haut, signala le colonel. Et celui de l’Alpha est le seul des trois à être placé sur la ligne latérale plutôt que derrière l’une ou l’autre des zones de déploiement des équipes. C’est donc le meilleur endroit pour assister au match !
_ C’est rare de vous voir aussi passionné par une rencontre, mon colonel, signala Severn.
_ Ah, mais c’est parce qu’aujourd’hui, on a deux participantes très spéciales, assura l’officier supérieur.
_ La commandante, je comprends bien, affirma Tolosa, mais qu’est-ce la sous-lieutenante a de spécial ?
_ Pohahaha ! Elle cachait bien son jeu, celle-là, affirma Trevor, mais elle me rappelait vraiment quelqu’un, alors j’ai mené ma petite enquête.
_ Et ?
_ Hé bien figurez-vous que Rachel… n’est autre que la petite fille du Coriace ! Côté maternel, c’st pour ça que j’avais pas tilté avec Syracuse. »

Un grand silence accueillit la déclaration de Trevor, à sa plus grande satisfaction. Il aimait bien ménager ses effets. Sa satisfaction ne dura que jusqu’à ce qu’il se rende compte que le silence durait un petit peu trop longtemps : ses subalternes n’étaient pas du tout stupéfiés, ils n’avaient juste pas la moindre idée de ce dont il pouvait bien parler.

« Mais enfin ! Le Capitaine Coriace ! Tenta Trevor. Le fameux officier de la marine du Royaume d’XXXX !? Il a  mené des flottes inter-armés avec la Marine sur North Blue et la Route de Tous les Périls ! Le QG lui a même décerné le grade de commodore honoraire de la Marine pour ses hauts-faits ! »

Trois paires de grands yeux vides le dévisagèrent, ne sachant trop si c’était du lard ou du cochon.

« M’enfin, c’est un héros de North Blue, un vrai ! Je suis même fier et honoré d’avoir pu faire mes premières armes sous son commandement !
_ Houlà, mais ça remonte à une éternité alors ! S’exclama Jaeger. On est des Marines, nous, pas des Archéologues, hein…
_ Mais pas du tout ! Le Coriace s’est forgé une solide réputation dès la campagne de Zeroshi, c’était quoi… y’a à peine cinquante ans !
_ … Y’a cinquante ans, mes parents n’étaient même pas encore nés, cru bon de signaler Severn.
_ Que… Mais… Hein, sérieux ? Hrumpf ! Bandes de… de… de jeunes ! »

Le colonel bouda trente secondes, jusqu’à ce que Jaeger décide de remettre la discussion sur les rails.

« Célébrité ou pas, on s’en fiche : c’est Rachel qui est dans l’Arène, pas son grand-père.
_ Et l’hérédité ? Kesst’en fait, de l’hérédité, bonhomme ?
_ Tout ce qui compte maintenant, c’est de savoir si elle a ce qu’il faut pour battre la commandante, poursuivit le lieutenant.
_ Bien dit ! Alors un pronostic, le Dragon ? Demanda Trevor.
_ Hé, on avait convenu de laisser tomber les surnoms, le Nounours !
_ Bien essayé, mais le mien, c’est l’Ours tout court.
_ Difficile à dire, soupira Jaeger. À première vue, c’est Beth qui paraît avoir l’avantage : d’abord, elle a pu étudier l’évolution de Rachel sur quatre match alors que Rachel ne l’a encore jamais vu en action. Ensuite, l’expérience : Rachel n’en est qu’à sa cinquième participation alors que Beth  cumule plus d’une centaine de bataille dans l’Arène. Néanmoins, de son côté, Rachel dispose aussi de quelques atouts dans sa main. Pour commencer, y’a sa fameuse astuce…
_ Sa crypto-fanfare ?
_ Tu le savais déjà ? Pas drôle…
_ Bah ! Le vieux singe, les grimaces, tout ça…
_ Ouais, sa fanfare. Beth a peut-être compris de quoi il retournait, mais elle n’a quand même pas de moyen de l’en empêcher. Par ailleurs, en tant qu’officier, Rachel est toujours en phase de croissance exponentielle, alors se baser sur ses précédentes prestations, c’est un coup à la sous-estimer gravement et se faire méchamment retourner. Bref, c’est du cinquante-cinquante…
_ Et donc ? Insista Trevor tout sourire. Pronostic ?
_ Beth, trancha Jaeger. Question d’expérience… »

Le cube de retransmission s’alluma soudainement et commença à afficher des images des différents groupes qui entraient dans l’Arène. Les Marines de la commandante de Castelcume, en rouge, et ceux de la sous-lieutenante Syracuse, en vert. Comme de juste, les Parieurs affichèrent en gros plan les deux officiers, visiblement bien déterminées à en découdre.

« Ah, regardez-les, mes deux petites chéries ! S’enthousiasma Trevor. Ça, ça va être du spectacle !
_ C’est super sexiste comme remarque, ça, mon colonel, signala Tolosa d’un ton désapprobateur.
_ Hein ? Mais que… je… Mais non, mais vous ne comprenez pas ! Regardez-là bien, votre commandante : le sourire sauvage, le regard volontaire, littéralement flamboyante de détermination… Vous l’avez déjà vu dans cet état, vous autres ?
_ Moi oui, mais pas les deux autres, du coup, opina Jaeger. Y’a deux ans, à sa première participation dans l’Arène, des seizièmes jusqu’à la finale. Pis à sa première défense de titre pendant presque la moitié du tournoi. Et après ben… après elle a compris qu’elle n’avait vraiment pas besoin d’y aller à fond pour nous rouler dessus, en fait.
_ Exact, elle est sérieuse comme jamais et elle va se donner à fond, se régala le Colonel. Pareil pour Rachel ! Croyez-moi, les enfants, y’a pas de plus beau spectacle pour un officier que de voir ses subalternes bien décidés à se surpasser.
_ Et ça, c’était carrément paternaliste, mon colonel.
_ Tu voudrais pas juste regarder le match et te taire un peu, gamin ? Chut ! Regardez, ça commence ! »

Dans l’Arène, la confrontation débuta. Rachel scinda sa compagnie en trois groupes de combat séparés et les fit progresser sur les axes deux, cinq et huit. De son côté, la commandante de Castelcume éclata sa force en une dizaine de groupes de combats qui se mirent à former une ligne en travers de l’Arène.

Les premiers coups de feu prirent tout le monde par surprise, les Parieurs les premiers : le cube ne diffusait pas du tout là où se passait l’action. Un changement d’angle pointa la section centrale de Rachel – menée par l’adjudant Marlow – dont les premiers rangs venaient de tomber à terre, marqués par la peinture rouge des hommes de Bethsabée. Les Marines de Rachel se repliaient prestement tout en pointant frénétiquement les escaméras.

« Mais qu’est-ce qui se passe ? S’étonna Severn. Et pourquoi on ne nous montre pas d’où viennent les tirs ? Y’a que moi qui trouve ça compliqué à suivre, du coup ?
_ Venez voir ça, les enfants ! » S’exclama joyeusement Trevor en faisant signes aux officiers de s’approcher.

Les officiers subalternes ne se firent pas prier et quittèrent les sièges pour regarder par la vitre et constater ce qu’il se passait en contrebas. Le colonel avait raison, ils ne furent pas déçus : les escaméras des Parieurs ne pouvaient pas montrer d’où provenaient les tirs pour une simple et bonne raison. Ils étaient fixés sur le sommet des arêtes des cubes de l'Arène.
Et Bethsabée avait déployé des hommes sur leur face supérieure.

« C’est autorisé par le règlement, ça ? S’étonna Tolosa.
_ Ben maintenant que tu le dis, ‘me semble pas que c’est explicitement interdit, remarqua Jaeger.
_ Pohahaha ! S’esclaffa Trevor. Tous les participants de l’Arène la visualise comme un genre de quadrillage mais c’est un tort !
_ C’est dingue, fit Severn, je n’avais jamais vu la commandante faire ce genre de chose…
_ C’est la preuve qu’elle attend beaucoup de Rachel, affirma le colonel. Leçon numéro une : une bataille, ça se livre en trois dimension ! »

En contrebas, la réaction rapide et prudente de l’adjudant Marlow avait permis de limiter les pertes à une dizaine de Marines. La contre-attaque se mit rapidement en place, Rachel ordonnant à ses hommes de se faire la courte-échelle pour pouvoir tirer sur les francs-tireurs de la commandante.
De l’avis du colonel, l’idée était loin d’être mauvaise : dans cette configuration, seule la tête et le fusil du tireur dépassait du cube en hauteur, le rendant terriblement difficile à toucher. A contrario, les fusiliers de Bethsabée positionnés sur les cubes ne disposaient d’aucun couvert et le règlement de l’Arène leur interdisait la position de tir couchée : ils faisaient des cibles faciles. La commandante l’avait néanmoins prévu et à peine les tirs verts commencèrent-ils à fuser que ses francs-tireurs redescendaient sur le plancher des vaches.

Ça n’avait été qu’une entrée en matière, mais elle mettait déjà Rachel en difficulté : sa fanfare l’amputait déjà de quinze hommes, les pertes infligées mettaient donc sa force offensive à soixante-quinze pourcent de celle de la commandante. Les choses se corsaient.

Tandis que la sous-lieutenante reculait tout en regroupant ses trois forces, Bethsabée fit progresser ses hommes en quatre colonnes. Elle ignorait encore que Rachel avait rassemblé ses Marines et elle tablait visiblement sur le fait que l’albinos se remettrait à progresser en trois colonnes, ce qui lui aurait permis de les prendre en étau.
L’avant-garde de deux colonnes centrales de la commandante établit le contact avec l’arrière-garde compacte de Rachel. Bref échange de tirs tandis que la force de la sous-lieutenante continuaient à battre en retraite. Les deux colonnes de Bethsabée convergèrent pour continuer à harceler la troupe.

« Vous ne trouvez pas qu’il y a quelque chose de bizarre avec les hommes de Rachel ? S’interrogea subitement Jaeger.
_ Ils sont un peu mous, non ? S’inquiéta Severn. Ils avaient plus la niaque, avant !
_ Maintenant que tu le dis, ils me paraissent surtout un peu trop clairsemés, opina Tolosa. Ça ne colle pas au nombre de pertes. »

Rapide coup d’œil. Depuis le point de vue privilégié du Mess, les quatre hommes purent vérifier que Rachel ne tentait pas une redite de la tactique aérienne de la commandante. Alors où était passé l’effectif manquant ?

« Les vestes, grommela Trevor en scrutant le cube de diffusion.
_ Mmmh ?
_ Les Marines de Rachel sont en chemise sous leur chasuble. Ils n’ont plus leur veste d’uniforme, expliqua le colonel.
_ Heu… Le règlement n’impose pas le port complet de l’uniforme, mon colonel, se remémora Severn. Sinon, le lieutenant serait disqualifié à chaque match.
_ Roooh, ça va, on va pas chipoter pour des chiffons, non plus… Le truc, c’est que je suis sûr qu’ils les avaient en entrant dans l’Arène, objecta Jaeger.
_ Heu… Okay. Ch’uis le seul à me sentir perdu, là ? » S’inquiéta Severn.

C’est alors que la section centrale de la commandante s’avançait s’engouffrait dans un énième couloir sur les talons de l’arrière-garde de la sous-lieutenante que la lumière se fit : des marines en chasubles vertes surgirent brusquement du sol et firent feu à bout portant sur leurs ennemis en rouge, déclenchant le signal d’une violente contre-attaque de la part de Rachel. La confusion et le chaos régnèrent un moment, mais Bethsabée parvint à extraire ses hommes de là, les séparant en deux pour rejoindre ses colonnes latérales. Rachel en profita pour investir durablement le centre de l’Arène.

« Pfffiuuuu, siffla d’admiration Jaeger.
_ Pohahaha ! C’est qu’elle vient de lui rendre la monnaie de sa pièce, la petite ! S’esclaffa Trevor, ravi.
_ Mais qu’est-ce qui s’est passé ? N’en revenait pas Tolosa.
_ Le sable de l’Arène, expliqua le lieutenant. Pendant que son arrière-garde gagnait du temps, Rachel a fait s’allonger des hommes au sol, les a recouvert des vestes de ses Marines puis les a camouflé sous le sable. Les gars de Beth, tout à leur poursuite de l’arrière-garde, n’ont pas fait gaffe et se sont jetés dans la gueule du loup.
_ C’est autorisé par le règlement, ça ? Fit Severn.
_ La position de tir couchée est explicitement interdite, pointa Trevor, tout comme le fait d’essayer de se faire passer pour « mort ». Mais là, il s’agissait de camouflage et ils se sont dûment redressés avant de tirer, donc aucune entorse au règlement.
_ Putain, c’est carrément dingue…
_ Cette petite manœuvre lui a permis de revenir dans la course, concéda Tolosa. Six pertes supplémentaire pour la sous-lieutenante contre vingt-deux pour la commandante. Si on retranche la fanfare, ça fait un rapport de force d’environ soixante-dix contre quatre-vingt…
_ Et encore, si Beth n’avait pas réagit aussi promptement et efficacement, Rachel aurait purement et simplement annihilé la moitié de l’effectif adverse, pointa Jaeger. Genre si ç’avait été l’un d’entre nous… »

Les quatre hommes observèrent, fascinés, le spectacle qui se jouait en contrebas. Exploitant au mieux la coordination que lui permettaient ses fanfares, Rachel avait opté pour une formation… typhonesque, songea Jaeger. Il n’y avait pas vraiment d’autre mot. Les Marines de la Lieutenante formaient un genre de disque qui tourbillonnant constamment sur lui-même tout en se déplaçant dans le cadre fixé par l’Arène. Ouais, un genre de ballon qui ricochait contre les parois d’une caisse… Mais pas au hasard : Rachel se démenait pour essayer de coincer et écraser des morceaux de la formation de Bethsabée. C’est aussi pour cela qu’elle maintenait une formation dynamique et constamment en mouvement : pour éviter de faire une cible facile à appréhender pour le reste de la troupe de la commandante.

Néanmoins, si la formation de Rachel pouvait s’assimiler à une tempête tourbillonnante, celle de Bethsabée tenait carrément de la volute de fumée. Alors que la sous-lieutenante tenait fermement le centre, les hommes de la commandante s’étaient dispersés le long des bords. Et restaient absolument insaisissable pour la formation de Rachel. Peu importe à quel point les Rouges se regroupaient, lorsque les Verts tentaient de les écraser, les Rouges parvenaient à se disperser sur les côtés. Bethsabée montrait là toute l’étendue de sa maîtrise tactique. Tout le monde considérait que le contrôle du centre donnait un ascendant insurmontable à qui le possédait et que se confiner près des bords étaient une erreur de débutant. La commandante prouvait avec brio qu’il n’en était rien.

De son côté, le colonel Trevor était aux anges. Sous l’impulsion des deux tacticiennes, l’Arène était en train de dévoiler sa forme ultime, celle qu’il avait toujours tenté de faire aboutir. Un affrontement ordinaire dans l’Arène pouvait se comparer à un joute d’escrime de haut niveau entre deux experts du fleuret. Quelques appels du pied, une feinte ou deux, un assaut, éventuellement une parade-contre-attaque et c’était plié. C’était élégant mais c’était surtout rapide et à sens unique. Sans beaucoup de retournements possibles.
Mais là, le spectacle donné par Bethsabée et Rachel était assimilable à celui de deux experts en arts martiaux essayant mutuellement de se trancher la gorge : un ballet complexe et énergique où chacun virevoltait autour de l’autre en repoussant toujours plus loin les limites de l’équilibre et de la gravité, feintant, frappant, bloquant et esquivant des coups de sonde tandis que chacun tentait de provoquer l’ouverture propice à l’entaille fatale.
Pour preuve, le faible nombre de coups tirés et les rares pertes décomptées de part et d’autre. Les deux camps étaient dans une optique de manœuvre, une guerre de mouvement où chacun essayait de coincer l’autre pour porter une estocade significative.

« Heu… Mon Colonel ? Hasarda Severn. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.
_ Quoi donc ?
_ Rachel utilise sa fanfare pour coordonner sa troupe, rappela le sous-lieutenant. Mais la commandante fait comment, elle ? J’veux dire : sa formation est éclatée au quatre coins de l’Arène et pourtant ça n’a absolument pas l’air de la gêner… Comment fait-elle ? Voulut savoir le sous-lieutenant.
_ Oh, c’est très simple : elle ne fait rien, assura Trevor.
_ Hein ? Mais pourtant…
_ La commandante a choisi la Marine régulière car servir le peuple est la fierté et l’apanage de la noblesse, selon elle, révéla le colonel. Mais sachez que sa famille l’a formée et préparée pour pouvoir officier tant dans la Régulière que dans l’Élite. Bethsabée a donc mis un point d’honneur à ce que sa troupe soit parfaitement rompue aux tactiques de guérillas et que ses sous-officiers soient entraînés à s’adapter et agir en fonction de la situation.
_ Sérieux ?
_ Hé oui, opina Trevor. Rachel coordonne sa troupe par elle-même, ce qui est déjà très impressionnant en soi, mais Bethsabée s’est contentée de quelques directives transmises le long de sa chaîne de commandement et chaque escouade suit le plan en s’adaptant au mieux à la situation et aux actions tant des alliés que des ennemis. Ça ne s’improvise pas en quinze jours, certes, mais c’est clairement un cran au-dessus de la crypto-fanfare, si vous voulez mon avis.
_ Mais quelle genre de directive a-t-elle bien pu donner, mon colonel ? Grogna Tolosa. Parce que là, à part courir dans tout les sens et rompre le contact dès que possible, je ne vois pas bien le plan.
_ Allons, tu n’as pas confiance dans ta commandante, homme de peu de foi ? S’amusa le colonel.
_ Vous pouvez simplement le dire si vous ne le savez pas non plus, mon colonel.
_ Bethsabée travaille au corps la formation de Rachel pour essayer d’isoler son point faible, expliqua Trevor. Tenez, regardez, ça commence à porter ses fruits ! »

Alors qu’une énième tentative des Verts pour écraser une volute Rouge se soldait par un échec, deux vrilles de la formation de Bethsabée parvinrent à enfoncer un coin dans le disque distendu formé par la troupe de Rachel. Forçant leur avantage, les Rouges commencèrent à isoler l’une des trois entités Vertes.

« Oooh, c’est vrai, se rappela Jaeger. Lors du premier match de Rachel, Beth a dit que l’adjudant Marlow constituait le point faible du dispositif de Rachel !
_ Naaaan, contesta Trevor. Un point faible dépend de la situation. Ici, l’adjudant n’est pas le point faible de Rachel, bien au contraire. »

La troupe de l’adjudant rompit le combat, laissant les deux vrilles Rouges réaliser leur jonction et se retira plus en arrière dans l’Arène. Plusieurs escouades de Bethsabée s’approchèrent au contact mais refluèrent bien vite tandis que l’adjudant assurait une solide position défensive.

« L’adjudant Marlow est quelqu’un de prudent et de précautionneux, expliqua le colonel. S’il se retrouve séparé du gros de la troupe, il est évident qu’il se ménagera un peu d’amplitude pour pouvoir fortifier sa position et attendre que supérieure vienne le tirer de là. »

Comme de juste, Rachel lança une contre-attaque à la jonction des deux vrilles, qui battirent prestement en retraite devant l’assaut. Ayant éventré le dispositif d’encerclement, la sous-lieutenant mena implacablement sa troupe en direction de celle de Marlow, guidée par les informations transmises par la fanfare.

« Ici, l’adjudant ne tient pas le rôle de point faible, mais plutôt celui d’appât : le véritable objectif de Bethsabée, c’est… »

Deux groupes de Rouges s’abattirent simultanément sur les arrières de la formation de Rachel, isolant la troupe du sergent Krieger de la formation principale. Celui-ci rompit le contact comme le lui avait dit sa cheffe et recula pour récupérer plus de marge de manœuvre. Mais le Nordique n’était pas du même bois que son collègue bricoleur : plutôt que d’attendre solidement qu’on vienne le chercher, il commença à essayer de manœuvrer pour rejoindre Rachel par ses propres moyens.

« Le sergent-chef est trop impétueux, expliqua Trevor. Dans cette situation, c’est donc lui qui a le plus de risque de prendre des décisions désastreuses.
_ Mais qu’est-ce qui va empêcher Rachel de voler à son secours comme elle l’a fait pour son adjudant ? S’enquit Severn.
_ Hééé… bien j’en ai aucune idée, avoua le colonel. C’est bien pour ça que c’est excitant à regarder ! »

Sur le cube, les Parieurs retransmirent un zoom d’une escaméra centrée sur la commandante. Ses hommes la dépassaient pour rejoindre la nasse formée autour de la troupe de Jürgen Krieger. Bethsabée regardait dans la direction opposée, là où se trouvaient Rachel et le reste de ses hommes.
Finalement, la noble farfouilla dans les plis de sa coûteuse veste d’uniforme et en dégaina un fume-cigarette. Un craquement d’allumette plus tard et elle inspirait sa dose de nicotine d’un air songeur.

« C’est autorisé par le règlement, ça ? S’inquiéta vivement Severn.
_ L’utilisation de petits accessoires est autorisée, confirma Jaeger.
_ Par contre, fumer à l’intérieur de la base est formellement interdit par le règlement intérieur ! » Signala Tolosa.

Les trois sous-officiers coulèrent un regard prudent vers le colonel qui avait signé ledit règlement intérieur. Celui-ci venait de pâlir, incapable de détacher ses yeux exorbités du cube de transmission.

« Heu… Je vous jure, d’habitude, elle fume dehors, je sais pas ce qui lui prend, mon colonel… » tenta de la défendre Severn.

C’est alors qu’à l’écran, Bethsabée tira une flasque d’alcool de sa veste et en avala une large lampée.

« Arrrgh ! Mais kess’tu fiches, Beth !? S’alarma Jaeger. Y’a le patron qui regarde !!
_ Je vous promet, mon colonel, la commandante ne boit jamais pendant le service ! S’affola Severn.
_ Heu… Mon colonel ? S’inquiéta Tolosa. Tout va bien ? »

La mine défaite, Trevor leur jeta un regard catastrophé. Lui savait ce qui allait arriver. Mais la commandante ne lui laissa pas le temps de l’expliquer. Plaçant le bout incandescent de sa cigarette devant elle, elle se mit à souffler.
Une impressionnante gerbe de feu jaillit depuis la cigarette, embrasant tout sur son passage. Les blocs de bois, bien entendu, mais même le sol de l’Arène : des flammes de plusieurs mètres de haut s’élevèrent, bloquant le couloir. La commandante de Castelcume réitéra l’exploit quelques coups et, bien vite, l’Arène fut séparée en deux par un rideau de flammes, Rachel et le gros de sa troupe d’un côté, le sergent Krieger seul face à tout l’effectif de la commandante de l’autre.

« Et ça, c’est autorisé par le règlement !? Fulmina Rachel en direction d’Edwin lorsqu’elle découvrit l’obstacle.
_ Ben… Hésita piteusement l’adjudant.
_ Bon sang ! ‘faut absolument qu’on trouve un moyen de passer et vite ! Si on ne se dépêche pas, Krieger va faire n’importe quoi. Flûte, pourquoi on a pas pensé à un code alerte-incendie avec la fanfare ??
_ Allons, mon lieutenant, ne soyez pas si catastrophique : le sergent Krieger est plus dégourdi qu’il n’en a l’air, faites-lui confiance.
_ Krieger, bataille ? Lui rappela l’imposante albinos. Bataille, Krieger…

*
*     *

« Aaaah… ~tchaa ! Éternua Jürgen, un peu plus loin dans l’Arène.
_ À vos souhaits, sergent-chef, fit le sergent Davenport.
_ Merci. Mmmmh… Sûrement l’ennemi qui médit de moi ! Bon, ça me gonfle de tourner en rond, décida Krieger. Sergent, faites passer le mot, on va y aller !
_ Hein ? "Y’aller" ? Comment "y’aller" ? Pis aller où ça, d’abord ??
_  À mon signal, on gueule comme des bourrins pour leur filer les chocottes et on charge sabre au clair ! Expliqua Jürgen.
_ Sauf qu’on a que des fusils, mon sergent, lui rappela Davenport.
_ Oh. Ah ben zut alors. Bon, très bien, alors à mon signal, on gueule comme des bourrins et on les marave à coups de crosses ! Bwahaha, ils vont pas comprendre ce qui va leur tomber dessus, les pauvres diables !
_ On n’a pas non plus le droit d’assommer nos adversaires, mon sergent.
_ Dites-donc, je ne vous trouve pas très coopératif, sergent ! »

*
*     *

« Oui, non, bon, d’accord, acquiesça Edwin. On ferait mieux de les rejoindre au plus vite. Mais comment on va s’y prendre, mon lieutenant ?
_ Attendez, je réfléchis… »

Rachel jeta un coup d’œil tout autour d’elle pour s’imprégner de la situation. L’Arène, le sable qui recouvrait le sol, ses hommes tout autour qui attendaient, les cubes qui ponctuaient le paysage, les flammes qui s’élevaient jusqu’au ciel…
Une idée stupide lui traversa l’esprit, qu’elle rejeta aussitôt… avant de se forcer à aller la récupérer et de prendre le temps de l’étudier. Le Lieutenant Jaeger le lui avait bien dit : elle ne devait pas s’autocensurer sous prétexte qu’une idée lui paraissait débile, ridicule ou complètement loufoque. Si cette idée lui était venue, c’est qu’il y avait peut-être quelque chose à creuser, à tort ou à raison. Or on ne pouvait trancher ce dernier point qu’en prenant le temps d’étudier sérieusement chaque proposition. Et donc…

« Ok, j’ai une idée pour passer au travers ! S’exclama Rachel. Tout le monde, suivez-moi !
_ Heu… Vous comptez faire quoi, mon lieutenant ? S’inquiéta Edwin. C’est qu’elles ont l’air rudement chaudes, ces flammes, hein…
_ Je vais passer au travers, pardi ! »

Rachel inspira profondément, darda un regard mauvais sur l’obstacle, puis entrechoqua ses poings d’un air déterminé avant de…

« COMMANDO !! »

… de charger tête baissée à travers l’un des blocs couvert de flammes. Edwin ferma les yeux pour ne pas assister à l’impact. Il y eût un grand bruit de fracas. Rapidement suivit des cris d’encouragements des Marines qui se jetaient à la suite de leur cheffe. L’adjudant rouvrit les yeux : Rachel était effectivement passée au travers de la structure de bois, la réduisant à l’état de petits copeaux qui avaient volé en tout sens, ouvrant ainsi une brèche dans l’infranchissable mur de flammes.
Devant cette prouesse physique qu’il aurait bien été incapable d’imiter, sa vie en aurait-elle dépendue, Edwin songea une nouvelle fois que sa supérieure devait sûrement avoir du sang de géant dans les veines. Obligé.

Les Marines en Vert s’engouffrèrent dans la brèche et se jetèrent sur les arrières médusées de leurs adversaires en rouge. Il y eut un instant de flottement alors que la panique montait dans les rangs des Rouges malmenés, mais Bethsabée intervint elle-même, rassérénant ses hommes par sa simple présence.
Pour autant, la commandante elle-même devait bien avouer que la situation se présentait très mal. La pression exercée par les Verts étaient trop forte et ses hommes allaient se retrouver pris entre le marteau de Rachel et l’enclume de Krieger. Il allait lui falloir utiliser des solutions radicales pour se sortir de la panade.

« Escouade trois et cinq, en appui-feu ! Ordonna la noble. Escouade six, avec moi ! Chargez ! »

Prenant totalement au dépourvu les Verts, Bethsabée et ses hommes foncèrent au corps-à-corps.
Au corps-à-corps.
Dans l’Arène !

Les hommes de Rachel réagirent avec un temps de retard et ne purent déclencher qu’un unique salve de riposte avant le choc, qui ne mit que la moitié de l’escouade six de la commandante au tapis. Conformément à ses prévisions. Elle et ses hommes s’abattirent sur leurs adversaires, se servant de leurs fusils comme de bâtons. Par réflexe, les  Verts firent de même pour intercepter l’attaque et les Marines de deux camps se retrouvèrent coincé au contact, fusil contre fusil, incapable de faire grand-chose puisque seul un tir de cartouche de peinture pouvait éliminer un participant.

Néanmoins, le blocage fonctionnait à merveille, le reste des Verts s’entassait derrière la ligne de front, les Marines des rangs arrières hésitant à tirer, de peur de toucher leurs alliés. Et tandis que Rachel tentait de se frayer un chemin vers l’avant qui bouchonnait, elle eut un flash lorsqu’elle aperçu les deux autres escouades de la commandante se mettre en position.

« Retraite tout le monde !! »

Trop tard : les escouades de Bethsabée firent feu, sans se soucier des leurs, commandante en tête, qui se trouvaient dans la ligne de mire. Rachel se jeta à terre, crochant le col d’Edwin au passage pour le mettre à l’abri alors que le pauvre adjudant en était encore à se demander ce qu’il se passait. Les projectiles de peinture rouge criblèrent la masse compacte des Marines en Vert, éliminant un paquet de ceux-ci.

« Nom de nom ! Jura Rachel après avoir réussi à se mettre elle et Edwin en sécurité derrière un cube de bois. Les fous furieux, ils ont tiré dans le tas !
_ On a méchamment morflé, là, signala Edwin qui avait eut tout le loisir de considérer les pertes pendant que sa cheffe l’avait tiré en sécurité.
_ Bon, il nous faut un plan, décréta l’imposante albinos en considérant la dizaine de Marines terrés de son côté du cube. On va…
_ Attention ! »

Une nouvelle escouade de Rouge venait d’apparaître sur leur flanc, armes en joue. Ni une, ni deux, Rachel appliqua la première idée qui lui passa par la tête et se jeta en travers de la ligne de tir des assaillants au moment où ceux-ci faisaient feu.
Entre son imposante carcasse et le manteau de la Justice qui flottait dans son dos, Rachel obstrua tout le champ des tireurs : tous les projectiles de peinture la percutèrent sans qu’un seul ne puisse passer au travers et toucher ses hommes.

La sous-lieutenante s’écrasa lourdement au sol, mais ses Marines avaient réagi au quart de tour et abattirent les Rouges avant qu’ils ne puissent réajuster leurs tirs ou se mettre à couvert.

« Oh merde ! S’inquiéta Edwin. Ça va, mon lieutenant ?
_ Ben non, ch’uis morte, Marlow.
_ Mais… Mais alors c’est à moi de diriger la suite ? Réalisa l’adjudant en commençant à paniquer. Qu’est-ce que je dois faire, mon lieutenant ?
_ Les morts ne peuvent pas vous répondre.
_ Ben oui, mais je…
_ Tatata, je suis morte, vous dis-je ! Allez courage, vous allez gérer comme un chef !
_ Heu… hum… bon, ben, si vous le dites… Ok, les gars, je prends le commandement ! Suivez moi, j’ai un plan ! ’fin, j’ai une idée, en tout cas. »

Rachel roula discrètement sur le dos pour mieux voir la face inférieure du cube, là où s’affichaient les scores. Quarante-deux pour les Verts contre trente-huit pour les Rouges. Edwin et Jürgen avaient donc un léger avantage, minus la fanfare. Combien en restait-il d’ailleurs ? Par ailleurs, les deux compagnies avaient perdus leur chef respectif, ça devait donc égaliser les chances, non ?

Il lui fallu attendre encore dix minutes avant d’avoir la réponse : non. Victoire à vingt-deux points pour les Rouges.
Défaite…
Rachel soupira. Finalement, la Reine de l’Arène était vraiment un très gros morceau.
Il allait lui falloir un meilleur plan la prochaine fois !
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Bethsabée de Castelcume se tenait sur l’un des postes de tir creusés à flanc de la forteresse. Le regard perdu à l’horizon, contemplant sans la voir la mer démontée, trempée par la pluie battante, elle tenait négligemment son fume-cigarette détrempée à la main. Soudain, la commandante s’ébroua, revenant à la réalité.

« Est-ce vous, Syracuse ? » Appela la noble.

Pas de réponse. La jeune femme eût un pâle sourire.

« Je sais que vous êtes là. Inutile de faire demi-tour. Approchez, voulez-vous. »

Toute penaude, Rachel poussa doucement la porte et rejoignit sa supérieure jusqu’à la margelle qui bordait le poste de tir. Elle avait pensé à apporter un gros parapluie et le tint au-dessus d’elles-deux.

« Désolée, mon commandant, je ne voulais pas vous déranger, s’excusa l’imposante albinos.
_ Vous ne me dérangez pas, répondit Bethsabée.
_ Comment avez-vous su que c’était moi ? Ne put s’empêcher de demander Rachel.
_ Élémentaire. Vous avez une présence très singulière. Presque fuyante. Vous n’essayez pas de vous imposer. Il n’y a personne d’autres comme vous sur cette base. Facile à percevoir.
_ Heu… Ok. Et comment on perçoit une présence, mon commandant ?
_ Avec l’expérience.
_ D'accoooord, je ne sais pas quelle réponse j’attendais mais c’était clairement pas celle-là.
_ Et vous, Syracuse ? Comment avez-vous su que j’étais ici ?
_ Je vous cherchais, alors le sergent Krieger me l’a indiqué, expliqua l’imposante albinos. Vos hommes lui avaient dit que vous aimez bien venir ici après un match dans l’Arène.
_ Je vois. »

Bethsabée opina doucement de la tête. Elle aurait du s’en douter : ce sergent-chef aux doubles chapeaux semblait avoir le don de s’entendre avec tout le monde, il n’était donc pas étonnant que ses hommes se soient oubliés devant lui et aient malencontreusement révélé sa cachette préférée.

De son côté, Rachel hasarda un rapide coup d’œil vers sa supérieure. Celle-ci lui semblait… éteinte. Son unique œil valide semblait morne, ne brûlant plus de cette flamme qui l’avait tant impressionnée à son arrivée, son port d’ordinaire si altier avait laissé place à une posture plus abattue, les épaules tombantes. Même sa façon de parler, songea la jeune femme. La commandante semblait faire la conversation en mode automatique, parlant de façon mécanique. Et sa tête encore dégoulinante du déluge n’arrangeait rien, donnant l’impression d’un visage baigné de larmes.

« Heu… Vous allez bien, mon commandant ? »

Bethsabée tourna imperceptiblement la tête, juste assez pour pouvoir dévisager Rachel comme si elle s’apercevait pour la première fois de la présence de sa subalterne. La grisaille de son regard se dispersa tandis que la petite flammèche volontaire s’y rallumait. L’imposante albinos réprima à grand-peine un mouvement de recul alors que la noble donnait subitement l’impression de… d’enfler intérieurement ? Et un éclair, la jeune femme à l’air mélancolique venait de se métamorphoser en un officier de la Marine plus solide que le roc.

« Oh, pardonnez-moi, Syracuse. Je ne voulais pas vous inquiéter inutilement, j’étais simplement en train de songer au passé. Vous vouliez donc me voir ?
_ Wow, comment vous faites ça ? Heu… Oui, c’est à propos de notre affrontement dans l’Arène. Je… hum… c’est-à-dire que… Bafouilla l’albinos.
_ Vous souhaiteriez que nous débriefions cela ensemble ? Devina Bethsabée. Je n’y vois pas d’inconvénient. Je vous en prie, posez-moi vos questions.
_ D’accord, merci mon commandant, s’exécuta chaleureusement Rachel. Alors pour commencer… Heu… Vous m’appelez Syracuse ? D’habitude, c’est plutôt grade plus nom.
_ Cela n’a rien à voir avec l’Arène.
_ Non mais c’est parce que je viens juste de tilter là, à l’instant…
_ Je vous présente mes excuses, je ne voulais pas vous manquez de respect, commença la noble.
_ Non, non, non, pas de soucis, s’empressa de la rassurer l’albinos. C’est juste que c’est biz… inhabituel, venant de vous. Sans vouloir vous manquez de respect, hein, mon commandant.
_ Je suppose que je vous dois bien une explication, approuva Bethsabée. Avez-vous déjà entendu de ces histoires à propos d’experts en sabre de haut niveau qui s’affrontent ? On dit d’eux qu’ils sont capable de tout savoir de leur adversaire simplement en échangeant quelques passes d’armes.
_ C’est-à-dire que j’ai jamais été très portée sur le maniement du sabre, en fait…
_ Cette légende contient un fond de vérité, poursuivit la commandante. Des combattants de haut niveau vous diront qu’il n’y a pas de meilleur moyen de connaître quelqu’un que de se battre contre lui. Car sa façon d’agir et de réagir, d’appréhender l’affrontement, de percevoir et de saisir ou non les opportunités, tout cela dresse un tableau précis de sa psyché, de ce qu’il est réellement.
_ Oh. Vous faites la même chose dans l’Arène ? Devina Rachel.
_ Correct. Bien qu’il faille pour cela que l’affrontement ait un minimum d’intensité, révéla la noble. Mais aujourd’hui, j’ai pu voir ce que vous êtes. Qui vous êtes. Et vous êtes quelqu’un de bien, Syracuse.
_ Heu… Merci ? C’est gentil, mais en vrai, j’essaye juste de faire de mon mieux, vous savez…
_ Et le monde serait un endroit bien plus paisible si chacun s’efforçait d’en faire autant. Toujours est-il que j’ai l’impression de bien vous connaître et que je ressens une certain familiarité à votre égard, conclut Bethsabée. Mais je comprendrais si cela devait vous gêner.
_ Non, non, du tout, vous dis-je, insista l’albinos. J’étais juste surprise, c’est tout.
_ Bien entendu, vous êtes tout à fait en droit de me rendre la pareille.
_ Hein ? Mais je heu… Je ne voudrais pas vous manquer de respect, mon commandant.
_ Je ne le percevrai pas comme tel, lui assura la noble.
_ Ben oui, mais…
_ …, lui fit les gros yeux – ou plutôt le gros œil, en l’occurrence – la noble.
_ Haaa, mais non, mais je… heu… hum. C’est-à-dire que vous êtes ma supérieure et… le règlement, et tout… » Argumenta piteusement la sous-lieutenante d’une petite voix gênée.

La commandante éclata d’un rire cristallin. Un rire joyeux, d’amusement pur, sans aucune arrière-pensée. Un spectacle inattendu mais des plus rassurants après l’accès de profonde mélancolie de la commandante, songea Rachel.

« Vous savez vous montrer vraiment bornée lorsque vous le voulez, Syracuse, s’amusa Bethsabée. Très bien, alors je n’insisterai pas plus. Mais vous devez me promettre de laisser tomber le protocole dès lors que vous m’aurez rejointe à mon grade.
_ D’accord, c’est promis, jura Rachel.
_ Alors voilà une bonne chose de faite. Soit, passons maintenant à vos questions concernant notre prestation dans l’Arène.
_ Alors, c’est un peu gênant mais… ça concerne la dernière manœuvre que vous avez mise en place… balbutia l’imposante albinos.
_ Je vous écoute.
_ Vous avez fait ouvrir le feu sur vos hommes, expliqua Rachel.
_ Correct.
_ Je… heu… je sais bien que l’Arène n’est qu’une simulation qui n’a rien à voir avec la vraie vie, hein ! Mais je me demandais, si… hé bien… Vous n’auriez pas vraiment fait ça dans un combat, n’est-ce pas ? Demanda l’imposante albinos d’une voix pleine d’espoir.
_ Incorrect, la doucha sans prendre de gants la commandante d’une voix froide.
_ Mais… Heu… Je… Est-ce que c’est ce que la Marine attend de ses officiers ? Voulut savoir Rachel. Je veux dire… Je ne crois pas que je pourrais et… ‘fin… On est d’accord, c’est quand même pas bien, non ? »

Une ombre passa dans le regard de Bethsabée. L’albinos se maudit en songeant qu’elle venait encore de mettre les pieds dans le plat avec sa subtilité légendaire. Cela dit, elle avait vraiment besoin de savoir. Cette pensée la torturait depuis la fin du match. Elle s’était tout de suite doutée que la commandante n’emploierait pas dans l’Arène une stratégie qu’elle n’était pas prête à mettre en œuvre dans la vraie vie. Et cette certitude torturait Rachel : Bethsabée était unanimement reconnue comme la meilleure commandante de la garnison. Était-il donc nécessaire d’être aussi radicale pour parvenir à un tel niveau ? Cette idée angoissait littéralement la jeune femme. Devait-elle vraiment suivre cette voie ?

Finalement, un pâle sourire revint joué sur les lèvres de la noble.

« Rassurez-vous, Syracuse, la Marine n’exige rien de la sorte de la part de ses officiers, expliqua Bethsabée. La seule juge en la matière vous concernant, c’est vous et vous seule.
_ Ah ben tant mieux, fut rassurée Rachel. Je ne me voyais vraiment pas faire un truc comme ça ! Sans vouloir vous manquer de respect, mon commandant !
_ Il n’y a pas de mal. Je m’en doute, acquiesça la noble. Je pensais la même chose que vous autrefois.
_ … Non mais ça, ça m’inquiète à mort, ce que vous venez de dire !
_ Certains disent que je suis un génie, reprit Bethsabée. D’autres que je dispose d’un don. Tous s’accordent à dire que je vis dans une dimension différente de la leur, qui leur est inaccessible. Que je vois des choses qu’ils ignorent… Et ils ont raison. Ma perception du monde est devenue dramatiquement différente du commun des Marines. Vous-même, Syracuse, vous avez déjà mis un pied dans cette dimension.
_ La stratégie ? Devina l’intéressée.
_ Correct, acquiesça la commandante. Là où les autres voient un simple cube de bois, nous percevons la clef de voûte d'une solide position défensive potentielle. Tandis que chacun voit un spectacle serré dans l'Arène, nous décryptons l’issue d’une dynamique de combat. Nous théorisons, nous faisons abstractions, nous voyons des choses sans existences… avec le risque de perdre de vue l’existant. L’identité, la nature des subalternes, finit alors par s’estomper jusqu’à ne plus constituer qu’une ressource, au même titre qu’un stock d’armes ou de munitions. En sacrifier une petite partie pour assurer la victoire devient alors un coût comme un autre, dépouillé des enjeux éthiques qu’on devrait garder associés à toute considération de la vie humaine. Méfiez-vous de cette façon de voir les choses, Syracuse.
_ Wow, c’est quand même vachement sombre comme vision… Aucun risque, décréta Rachel. Je connais bien mes hommes alors plutôt mourir que de les sacrifier comme ça !
_ Je le sais bien, je vous ai vu vous sacrifier pour eux, dans l’Arène, fit Bethsabée. Mais comme je vous l’ai dit, je pensais comme vous, autrefois. Et puis… bref, éluda la commandante. Mais songez-y, Syracuse : vous reconnaissez vous-même que votre attachement à vos hommes vient du fait que vous les connaissez. C’est possible car vous dirigez une compagnie de cent Marines. Qu’en sera-t-il lorsque vous en commanderez trois cents ? Cinq cents ? Ou bien mille cinq cents comme le colonel ?
_ Heu… Ben merde, j’y avais jamais songé. »

La remarque troubla l’albinos. Ses modèles étaient le commandant Song et le Colonel Hendricks, qui étaient tous deux très attentifs à leurs subordonnés. Mais le Piton Blanc n’était qu’une toute petite garnison paisible, à taille humaine. Rien à voir avec une base comme Hexiguel, plantée dans un environnement nettement plus turbulent et qui nécessitait que la Marine soit la machine de guerre efficace que la population attendait qu’elle soit.

« Rassurez-vous, Syracuse, je vous dis juste que c’est une possibilité, pas une fatalité, essaya de l’apaiser la commandante.
_ Mouais…
_ Néanmoins, tôt ou tard – et j’espère que ce sera le plus tard possible pour votre propre bien – vous serez mise au pied du mur, forcée de faire un choix pour obtenir la victoire. Écoutez-moi attentivement, Syracuse : vous êtes quelqu’un de profondément humain, alors lorsque ce jour arrivera, accrochez-vous de toutes vos forces à cette humanité. Avant de franchir cette ligne, pesez le pour et le contre et demandez-vous si la victoire vaut vraiment que vous y sacrifiiez cette part de vous-même.
_ Parce qu’une fois franchie, il n’y a pas de retour arrière ?
_ Parce qu’une fois franchie, vous n’aurez plus aucune hésitation à recommencer si nécessaire. »

Rachel hocha la tête, se jurant de ne jamais oublier le conseil de Bethsabée. La noble sembla déceler un changement chez sa subalterne et opina du chef, visiblement satisfaite de sa décision.

« Il y a encore quelque chose que je ne m’explique pas, revint à la charge l’albinos. Sur un plan purement stratégique, ok, tirer dans le tas vous a apporté plein de bénéfices. Mais pourquoi vous être jetée dans la mêlée aussi, quitte à vous faire éliminer ? Si vous étiez restée en retrait, vous auriez pu continuer à mener vos hommes jusqu’à la victoire.
_ Et vous-même ? Pour quelle raison vous êtes vous jetée en travers du champ de tir pour protéger vos hommes ? Lui rétorqua malicieusement la noble.
_ Heu… Ben dit comme ça, je crois que la stupidité n’est pas à exclure, en fait…
_ Vous voulez le bien de vos hommes. Ils le savent, d’ailleurs, et c’est pour cela qu’ils vous suivent fidèlement. Il en va de même pour moi : je n’exige rien de mes hommes que je ne soit prête à exiger de moi-même, c’est là la raison pour laquelle ils me suivent sans hésitation. Si la situation devait devenir à ce point désespéré qu’il me faille les sacrifier en connaissance de cause pour l’emporter, alors il est de mon devoir de partager leur sort.
_ Mais c’est pas un peu stup… contre-intuitif ? Releva Rachel en fronçant les sourcils. Je veux dire : vos chances de victoire sont infiniment supérieures si vous guidez vos hommes par vous-même que si vous vous sacrifiez en même temps qu’eux, non ?
_ J’ai confiance dans ma chaîne de commandement, balaya Bethsabée. Mes subalternes peuvent arracher la victoire même en mon absence. Et puis l’effet martyr les galvaniserait, ils en seraient même encore meilleurs. Vous avez d’ailleurs pu le constater par vous-même.
_ Ben c’était justement le point suivant que je voulais aborder avec vous, enchérit l’imposante albinos. On s’est faite toutes les deux éliminées, mais à cet instant, mes hommes étaient encore plus nombreux que les vôtres. Pourtant, ils se sont fait complètement roulé dessus. Qu’est-ce qui s’est passé ? Ok, je comptais pas non plus sur une victoire automatique, mais là, ils ont carrément eu aucune chance de l’emporter, hein…
_ C’est parce que vous êtes un dragon, Syracuse.
_ Un dragon ? Heu… y’a que moi qui vous trouve parfois dure à suivre, mon commandant ?
_ Un dragon, confirma Bethsabée. Vous et votre compagnie formez un adversaire redoutable, capable de vaincre de nombreux ennemis. Mais lorsqu’on vous tranche la tête, tout est fini.
_ Heu… d’accord… Mais c’est pas un peu ce qui arrive à tout le monde quand on lui tranche la tête ?
_ Mais si vous êtes un dragon, a contrario je suis une hydre, poursuivit la noble. Même après que vous m’ayez tranché la tête, ma compagnie a pu continuer œuvrer car d’autres têtes ont tout simplement pris le relais.
_ Les sous-officiers, réalisa Rachel.
_ Correct, approuva la commandante. Vous avez fait des progrès époustouflants pendant ce tournoi, mais on ne peut pas en dire autant de votre adjudant et de votre sergent-chef. Vous avez pris l’habitude de tout centraliser et, de ce fait, ils se reposent trop sur vous. Lorsque vous disparaissez de l’équation, ils sont perdus et ne peuvent faire face efficacement.
_ Quelle gourde, j’ai carrément pas pensé à eux, soupira l’imposante albinos. Tu parles d’un officier en solde, bon sang…
_ Ne vous mettez pas martel en tête, la morigéna gentiment la noble. Avant de pouvoir leur apprendre quoi que ce soit, il vous fallait d’abord évoluer. Maintenant que c’est chose faite, vous allez pouvoir prendre le temps de vous pencher sur les aptitudes de vos sous-officiers. Chaque chose en son temps. À titre d’exemple, le sous-lieutenant Severn est encore loin de ce stade, vous devez bien vous en être rendue compte.
_ Bon, d’accord. Mais du coup… »

Rachel n’eût pas le temps de finir sa phrase que la porte d’accès à l’aire de tir s’ouvrit à la volée dans un boucan du diable, laissant passer un ours agitant ses grosses papattes velus et qu… Ah non, correction, ce n’était pas du tout un ours, il s’agissait seulement du colonel Trevor qui venait joyeusement leur rendre visite.

« Aaaah ! Elles sont là, mes deux petites championnes ! S’exclama jovialement l’officier supérieur.
_ Mon colonel, salua derechef Bethsabée, aussitôt imitée par Rachel.
_ Je tenais à vous adresser toutes mes félicitations pour ce splendide spectacle ! Affirma Trevor. C’était époustouflant. Génialissime. Aha, je ne regrette pas les soucis qu’on a eu pour organiser tout ça, ça valait clairement le coup.
_ Syracuse et moi-même avons fait de notre mieux, je suis ravie de savoir que cela vous a satisfait, déclara la noble.
_ Oh ? "Syracuse", hein ? Releva le colonel. Alors vous êtes devenue copine, c'est bien ça ? Alors rien que pour ça, ça valait carrément le coup d'organiser cette super-finale, pas vrai Miss j’me-mélange-avec-personne ?
_ Je ne vois absolument pas de qui vous voulez parler, mon colonel.
_ Bref, comme les Parieurs l’avaient dit, c’était bel et bien le combat du siècle, se félicita le gradé.
_ Et attendez de voir la revanche, signala Rachel. J’ai pensé à deux-trois trucs, la prochaine fois, ça va barder !
_ Ouiiiiiii, alors justement, je venais aussi vous voir pour ça, signala Trevor. Déjà, pour info, on a enfin pu éteindre l’incendie que vous avez provoqué.
_ Hé, j'y suis pour rien, moi, mon colonel !
_ Ah oui ? Et qui a propulsé des brandons de feu dans tous les sens en pulvérisant l'un des cubes ?
_ Oh. Heu... Oups ?
_ Bref, malheureusement, le feu s’est propagé dans une partie des gradins, au moins vingt pourcent des tribunes sont foutues. Et je ne vous parle même pas de l’état de l’Arène elle-même, hein…
_ Pas de soucis, j’attendrai le temps qu’il faut, affirma l’imposante albinos.
_ Non, mais du coup j’ai décidé que toutes les deux ne pourriez plus participer ensemble au tournoi, révéla le colonel. Vous alternerez d’un mois sur l’autre, maintenant.
_ Quoi !? S’exclama Rachel. Mais j’avais des tas d’idées pour ré-affronter la commandante. Marlow a même des pistes pour bricoler des grenades de peintures à partir des cartouches !
_ Oui et c’est très exactement pour ça que j’ai pris cette décision, expliqua Trevor. L’Arène, voire peut-être même la base, ne survivrait pas à une course à l’armement entre vous deux, alors en accord avec les Parieurs, on a jugé plus prudent de s’en tenir là. Désolé, hein… Surtout que si la base flambe, c’est pour mon matricule que ça va chauffer vu que ch’uis le chef, j’vous signale…
_ Ooooh, déception… se lamenta l’imposante albinos, maintenant définitivement coincée au rang de Dauphine de l’Arène.
_ Bah, il est temps d’oublier l’Arène, Rachel, répliqua le colonel Trevor. Tu y as acquises toute l’expérience que tu pouvais. Et maintenant que tu as trouvé tes marques à la forteresse ainsi qu’à la tête de ta compagnie, je vais pouvoir t’envoyer en missions. Tu verras, tu vas t’y aguerrir bien plus rapidement qu’au travers de ces affrontements factices.
_ Oui mais je voulais pouvoir devenir la Reine de l’Arène, moi ! »
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