Elizaïa

Boyn. Amusant que ce coin ou même les iles peuvent vous manger semble être devenu le coin parfait pour les pirates solitaires qui veulent disparaitre longtemps. A moins qu'Elize ne soit une vieille copine de Sloth ?

Un regard sur la vive card qui s'agite sur la carte que j'ai sous les yeux me rassure. Non, la route que nous traçons ne mène pas au phare qui servirait de point de chute à la plus célèbre des corsaires, mais pointe droit vers le centre de la formation de monstruosités flottantes qui forment l'archipel.

Instinctivement j'aurais plutôt parié me retrouver à Drum, mais je suppose que c'est exactement à cause de ce genre de raisonnement que la sorcière de glace à plutôt décidé de se planquer sur une ile dont le climat tropical n'a clairement aucun lien avec une ile hivernale..

Et puis, tout bien considéré, quand on a un fruit qui fait du froid, c'est probablement nettement plus impressionnant et pratique dans un environnement torride et moite plutôt que déjà glacé. Ne serait ce que pour fabriquer des glaçons...

Une journée de navigation nous fait passer sous le vent de plusieurs iles carnivores, la mer est dépourvue de la moindre vague, et les vents porteurs d'odeurs sacrément alléchantes pour des marins ayant longtemps trainés en mer, ça sent l'eau pure comme du sirop, les fruits, la chasse facile... Je suis passé une fois ici il y a longtemps, a la recherche d'un pirate prometteur nommé Shoma. Disparu comme tant d'autres, mais je ne suis jamais allé jusqu’à poser un pied sur une de ces iles...

-Alors c'est laquelle.
-Probablement celle, vire de bord pour voir si la vive card se décale...

Le bruit des roues a aubes change de ton pendant que le cuirassé se met à pivoter et que nous commençons a tourner autour de l'ile qui nous fait face, cherchant à obtenir une triangulation un peu plus précise de la position de notre cible. Et suivant l'ile, la vive card tourne aussi..

-Alors ?
-Alors c'est bien celle la. Mettez en panne dans le coin, j'y vais tout seul.
-Parfait. Et si ça se referme avant que tu sois revenu on verra si ces trucs la aiment les boulets...

Délaissant les chaloupe je me contente de m'élancer par dessus bord, marchant sur un air que ma vitesse rend aussi dense et solide que le pont, et disparaissant immédiatement d'une série de Soru en direction de l'ile qu'a choisie Elize pour sa retraite.

-Pour une planque c'est plutôt coquet.
-C'est pas une planque !

Regard peu amène du gros coriace qui siège derrière la miss de glace, j'élude le duel de regard en haussant les épaules.

-Si c'est un repaire alors c'est plutôt sommaire.
-Va donc nous chercher un verre Ralph..
-Ouais Ralph, fais donc ça...

Pendant un instant Ralph nous la joue coq de concours, bandant ses muscles a faire craquer sa chemise et grinçant des dents d'un air mauvais, et puis bon gré mal gré, il s’exécute, quittant en grommelant l'auvent que l'équipage d'Elize a tendu sur le pont du navire pour se protéger de la chaleur et des insectes.

-J'ai entendu parler de toi. Red...
-Le contraire me peinerait beaucoup, j'ai tout fait pour ça.

Elize et les hommes qui la suivent encore ont trainés leur navire au sec en le hissant sur une des pointes de l'ile, ils ont installés entre la mer et la forêt toute une installation de palans complexe qui leur permet je suppose de le remettre à l'eau facilement quand les signes avant coureurs d'un refermement prochain de la plante carnivore se manifestent... En tout cas l'installation est réfléchie, durable, peut être une cache datant du seigneur d'ivoire ? En tout cas je comprends mieux pourquoi Teach court encore vainement après la demoiselle...

-Je sais pourquoi tu es la.
-Au vu de nos parcours respectif c'est une réponse facile. Nous avons le même ennemi.
-C'est ce que tu as dit à Mona Lisa ?
-En partie oui...

En face de moi, Elize a l'air aussi dure et tranchante que la glace qui colle à son nom. Malgré la chaleur étouffante du sous bois pas une goutte de transpiration qui coule de son chapeau. Elle pourrait aussi bien se trouver dans un frigo. Elle n'a pas non plus manifesté la moindre surprise quand ses hommes m'ont amené jusqu'a elle aprés que je leur ai annoncé que je venais discute...

-Je t'aurais bien contacté à l'époque, mais je n'avais pas réussi à te trouver. C'est aussi bien...
-Vu qu'elle est morte...
-Ouais, vu qu'elle est morte.
-Ce qui est étonnant c'est qu'on a dit la même chose de toi.
-Il faut croire que c'était un peu prématuré.
-Je ne suis pas vraiment étonné que Teach ne t'ai pas tué. Ce qui m'étonne nettement plus, c'est qu'il t'ait laissé partir.
-Je comprends mieux l'ambiance. Tu crois que c'est lui qui m'a amené la ?
-Je ne crois rien, mais je l'envisage oui... Cela dépend de ce que tu vas dire.
-Sur ce qui m'a amené ici ?
-Non, je sais ce qui t’amène ici. Ce que je veux savoir c'est comment tu es sorti de la bas.

Et c'est sur que la question se pose. Je me surprends parfois a regarder dans la direction de cette bataille que j'ai perdu et dont je n'ai toujours aucun souvenir, a me demander moi aussi si tout ça n'est pas un jeu de plus du Malvoulant. Est ce que je m'en suis vraiment tiré pour pouvoir retourner le combattre ? Ou est ce que c'est lui qui m'a relâché pour que je puisse revenir l'amuser en entrainant d'autres de ses ennemis ? Non... Quel que soit sa légende, le vieux monstre n'est qu'un homme... Et de ça je suis raisonnablement sur...

Alors je raconte ce dont je me souviens. Mon réveil dans profondeurs gelés de la fin de Toreshky, sorti de ma prison de glace par un môme en ciré à la recherche de celui qui pourrait venger ses amis défunts. Je lui parle des légions de cadavres congelés qui hantent les lieux et que les hommes de Teach profanent chaque jour. Je lui parle de ceux qui ont échappés aux jeux cruels qui se livrent la bas, et qui se planquent dans les profondeurs de la banquise en attendant patiemment le jour ou elle viendra enfin les chercher... Et évidemment elle n'en croit pas un mot. Pas plus que le reste de son équipage qui nous a rejoint pendant que je parlais...

Dur a entendre que des potes qu'on croyait mort ne le sont pas, et vous attendent depuis des années dans leur prison, persuadés que vous allez venir les chercher... Il y a de la colère dans l'air, de la rage, de la violence.

Alors je parle de ceux que j'ai rencontré la bas, de ce qu'ils m'ont confiés sur leur vie au service du Seigneur d'Ivoire, de ce qu'ils m'ont dit sur leurs camarades, leurs souvenirs, et autour de moi, ceux qui se pensaient les derniers survivants de ce qui fut le plus grand équipage du monde réalisent que je ne leur mens pas, que tous ceux qu'ils pensaient disparus ne le sont pas, que pour d'autre qu'eux Toreshky vit toujours, et que son combat n'est pas encore fini...

-Il parait qu'a l'Asile on peut retourner l’âme d'un homme comme on retourne un gant, et lui voler aussi bien son ame que ses souvenirs...
-Il parait. Et je n'ai pas d'autres preuves que ma parole. Mais regarde toi. regardez vous. Même si tout ça est un piège, est ce qu'il ne vaut pas mieux en finir une bonne fois pour toute sabre au clair que continuez à vivoter en petit dans la peur, la rancune, en regrettant d'avoir été ailleurs le jour du dernier assaut ?
-Il a raison capitaine.
-Je sais.

Et après ça tout est dit.