- La forteresse d'Hexiguel:
- Hexiguel ressemblait à une montagne. Un grand cône de basalte, dressé au beau milieu de nulle part. La base de la marine était troglodyte, creusée à même la roche. Ainsi, on pouvait distinguer sous le phare une multitude de postes de tir et d’observation. La roche extraite lors de la construction des installations avait servi à établir d’énormes digues autour de la base du cône. Cette organisation permettait de ceindre Hexiguel d’une étendue d’eau relativement plus calme les jours de tempêtes : en effet, les quais accueillant les navires de la Marine étaient situés dans des grottes creusés dans la montagne, il fallait donc un minimum de stabilité pour éviter que les embarcations ne finissent fracassées contre les flancs de la montagne.
Et c’était tout. Hexiguel n’était que ça : une grosse base de la Marine taillée dans un pic rocheux dépassant de l’océan. Pas d’île au sens propre, pas de ville à protéger, rien, juste une grosse base posée au beau milieu de nulle part. Très exactement au beau milieu, d’ailleurs. En effet, Hexiguel avait en charge la protection et le maintien de l’ordre dans les Confins. Une vaste zone d’eau, saupoudrée d’îles clairsemées habitées par de petites communautés éparses – dont la grosse majorité ne méritent même pas le nom de village – située dans l’un des coins de la grande carte de North Blue, près de la bordure, où il n’y a tellement rien d’intéressant à faire figurer que les artistes facétieux préféraient dessiner de gros monstres marins ou des roses des vents, faute de mieux.
Les Confins avaient longtemps causé un épineux problème à la Marine. D’un côté, la zone était si vaste qu’il aurait fallu installer plusieurs bases pour en assurer la sécurité avec rigueur. D’un autre côté, la zone était si vide et dépeuplée qu’il était difficilement justifiable de mobiliser autant d’effectifs pour garder essentiellement du rien. Sauf que la nature ayant horreur du vide, si la Marine ne déployait pas une présence régulière en ces lieux, pirates et révolutionnaires de tout poil se passeraient rapidement le mot pour essayer d’y faire des trucs discrètement en toute quiétude. Raison pour laquelle la Marine se devait de maintenir une présence : pour s’assurer que ce gros tas de rien le reste.
C’est là qu’entrait en jeu Hexiguel et l’opiniâtreté de la Marine. Bien qu’inhabité et inhabitable, le l’énorme pic de basalte présentait l’incommensurable avantage de se situer au centre des Confins. Au sein de la hiérarchie de la Marine, quelqu’un, quelque part, décida donc de transformer ce gros cailloux inutile en une base opérationnelle. Certes, les patrouilles devraient mettre les bouchées doubles pour couvrir l’intégralité de la zone, mais en terme de ratio effectifs mobilisés-efficacité, il était difficile de faire mieux.
- Dans les épisodes précédents:
- « Permettez-moi de vous souhaitez officiellement la bienvenue à Hexiguel ! Annonça le colonel Trevor. Vous et votre compagnie serez intégrés à la section Alpha, sous les ordres de la commandante de Castelcume. »[...]
« Bienvenue au sein de la section Alpha, sous-lieutenante Rachel Syracuse, déclara l'officier. Je suis la commandante Bethsabée de Castelcume, responsable de cette section. Les autres officiers présents sont : le lieutenant Matthias Jaeger, le vice-lieutenant Bartolomé Tolosa et le sous-lieutenant Mark Severn. »[...]
« C’est une arène, constata Rachel.
_ Exact, approuva Bethsabée. Étant dépourvue de terres, Hexiguel possède son propre terrain de manœuvre en intérieur. C’est ici que les officiers s’affrontent de façon codifiée à la tête de leur troupe. »[...]
« Je veux voir ce qu’on vaut face à la meilleure des meilleurs ! S'exclama Rachel. Commandante Bethsabée de Castelcume, ma compagnie et moi vous défions dans l’Arène ! »[...]
« Comme les Parieurs l’avaient dit, c’était bel et bien le combat du siècle, se félicita le colonel Trevor.
_ Et attendez de voir la revanche, signala Rachel.
_ Non, mais du coup j’ai décidé que toutes les deux ne pourriez plus participer ensemble au tournoi, révéla le colonel.
_ Ooooh, déception… se lamenta l’imposante albinos, maintenant définitivement coincée au rang de Dauphine de l’Arène.
_ Bah, il est temps d’oublier l’Arène, Rachel, répliqua le colonel Trevor. Tu y as acquises toute l’expérience que tu pouvais. Et maintenant que tu as trouvé tes marques à la forteresse ainsi qu’à la tête de ta compagnie, je vais pouvoir t’envoyer en missions. Tu verras, tu vas t’y aguerrir bien plus rapidement qu’au travers de ces affrontements factices.
Fente ! Parade, riposte. Blocage… Pas de retrait. Charge ! Pivot, contre-attaque !
Dans l’une des salles d’armes de la forteresse troglodyte, les deux sous-lieutenants de la section Alpha, Rachel Syracuse et Mark Severn, se livraient à un duel d’entraînement des plus acharnés. Mark se battait avec un bâton censé être une lance, le bout peinturluré de rouge symbolisant la pointe, tandis que Rachel se dépatouillait avec une réplique de sabre d’abordage en bois. L’imposante albinos rendait cinquante centimètres de plus au lancier, ce qui lui permettait de compenser partiellement le manque d’allonge du sabre sur la lance. Techniquement, elle avait ses chances. Une manière polie de dire que le match n’était pas résolument à sens unique, vu qu’elle en chiait quand même nettement plus que son homologue…
Cela faisait bien deux bonnes minutes que le duel avait commencé et Rachel était déjà en nage. Elle était trop contrainte à la défensive et cela l’épuisait plus vite que son adversaire. Elle n’arrivait à tenir tête à Mark qu’en sacrifiant constamment sa position et le jeune lieutenant ne cessait de la faire reculer encore et encore et encore. Elle avait bien dû faire déjà deux fois le tour de la salle sous ses assauts. La jeune femme sentit la moutarde commencer à lui monter au nez. Pas question de continuer à se faire gentiment bouffer sans rien faire. Il était temps d’envisager des solutions moins orthodoxes si elle voulait l’emporter.
Nouvelle fente de son adversaire. Rachel attrapa son arme à deux mains et frappa la "pointe" de la lance de toutes ses forces. Celle-ci se décala d’à peine dix centimètres. Mark avait une force peu commune : essayer de dévier son arme équivalait à tenter de repousser un mur. L’intervalle fut néanmoins suffisant pour que Rachel esquive l’attaque et parvienne à changer sa prise de main sur son sabre par la même occasion. Fini la prise classique : l’imposante albinos tenait maintenant l’arme à l’envers, pouce sur le pommeau, garde sous le poignet et lame courant jusqu’au coude dans le prolongement du bras.
Mark lança une nouvelle série de piques qui furent prestement contrés par de rapides mouvements de bras de l’imposante albinos. Mieux, beaucoup mieux, songea la jeune femme. Cette prise la rapprochait nettement plus de son style de combat naturel : la tatane à main nues. Elle pouvait maintenant pleinement s’appuyer sur ses réflexes issus de sa longue expérience du combat. Peut-être même que… Oui, ça se tentait même carrément, en fait !
Le lancier chargea, lançant une nouvelle estocade tout en puissance. Rachel para d’un geste du bras et la hampe de l’arme racla sur la lame du sabre. Dans le même temps, l’imposante albinos avait bondi sous l’axe d’attaque et planta un solide crochet du gauche dans la poitrine de Mark.
Ou peu s’en fallut, puisque le jeune homme eût le réflexe de bondir prestement sur le côté pour éviter l’attaque, nullement décontenancé par les différents développements de la situation : ancien homme de rang comme Rachel, le sous-lieutenant Severn possédait lui aussi une solide expérience des duels couplé à un sens du combat particulièrement affûté.
« Hééééé ! Ça vaut pas, se plaignit joyeusement Mark. Si tu commences à boxer, c’est plus de l’escrime !
_ La faute à qui ? Rétorqua gentiment Rachel dans un sourire. Ce n’est pas moi qui ait apporté une lance sur le terrain.
_ Boah, ça reste une arme, c’est civilisé. Alors que les poings, ça fait surtout bataille de chiffonniers, hein…
_ Bouge pas, j’m’en vais t’en donner, moi, du chiffonnier. »
Rachel chargea. Mark plaça consciencieusement sa pique en plein sur sa trajectoire pour qu’elle s’y empale d’elle-même. L’imposante albinos plaqua sa lame contre la hampe tout en tournoyant sur elle-même, se servant de la lance comme d’un rail pour suivre à l’aveugle son chemin. Exploitant la force centrifuge au mieux, elle lança un puissance coup de coude retourné dans la tête du Lieutenant. Surpris par la manœuvre, ce dernier parvint à se baisser in extremis pour éviter l’impact, roula sur le côté et tenta de balayer les jambes de son adversaire. Rachel déporta tout son poids sur sa jambe d’appui et encaissa le choc sans même vaciller, tout en armant un puissant coup de poing au niveau de l’épaule. La fraction de seconde plus tard, elle abattant un tonitruant crochet sur la position de Mark, qui se jeta désespérément en arrière pour l’éviter.
Une série d’applaudissements retentit de la part des quelques spectateurs présents dans la salle d’arme : après deux minutes à enchaîner retraites et reculades sans interruption, Rachel venait enfin de mettre un terme à l’implacable pression de son adversaire et même à le contraindre à reculer !
« Joli, commenta le lieutenant Severn. En comparaison, c’est vrai que l’épée et toi, ça fait deux !
_ Je t’avais pourtant bien dit que le sabre, c’était pas mon truc.
_ Ben j’ai cru que c’était juste de la fausse modestie. Genre comme pour l’Arène… On sait jamais avec toi.
_ Maieuh…
_ Bon, hé bien, puisque tu es maintenant bien à l’aise, on va pouvoir passer aux choses sérieuses ! S’enthousiasma Mark.
_ Les choses sérieuses ? Appréhenda Rachel. Quelles choses sérieuses ?
_ Les techniques spéciales, évidemment ! S’exclama joyeusement le lancier.
_ Ah oui. Les techniques spéciales… Grimaça l’imposante albinos. Les fameuses techniques spéciales…
_ Attends… T’as rien en stock ?
_ … Nop.
_ Mwohohoho, ricana Mark. C’est dommage si tu ne vas pas pouvoir suivre. Mais c’est tant mieux : tu m’as peut-être battu dans l’Arène, mais le roi des duels, ce sera moi ! »
Le lieutenant Severn se campa solidement sur ses pieds, jambes légèrement fléchies. Ça ne disait rien qui vaille à Rachel, qui se mit en garde, les yeux rivés sur les épaules de son adversaire pour ne pas perdre le moment où il allait passer à l’action. Les yeux de Mark s’étrécirent légèrement…
« L’Art de la lance : la Grande Mousson !! »
Un véritable mur d’estocs fondit sur l’imposante albinos. Un mélange flou de rouge et de marron. Une succession de frappes horizontales à grandes vitesses, mélangeant coups de pointe et coups de pommeau de la lance. Rachel recula d’un demi-pas pour se placer de profil – et offrir ainsi une cible moins large – et tenta de parer vaille que vaille la déferlante qui s’abattait sur elle.
Mark était doué, mélangeant de simples piques légères avec de violentes estocades, multipliant les feintes, alternant des coups létaux et des frappes plus bénignes. Il fallut à la jeune femme toute sa capacité de concentration et de sang-froid pour tenir le choc, se concentrant uniquement sur les coups létaux rouges au détriment de tout le reste. Et ça en faisait un paquet. Et, bénin ou pas, pommeau ou non, ça faisait mal. Rapidement des esquilles de bois se mirent à pleuvoir dru dans le sillage de sa propre lame. Bloquer les frappes létales, c’était bien gentil pour la théorie, mais dans la pratique, son sabre était en train de se faire pulvériser morceau par morceau. Rachel songea avec stupéfaction qu’avec une vraie lance, il n’était pas impossible que Mark soit en fait capable de perforer tout simplement l’acier– ainsi même que son bras ! – pour lui planter sa pointe dans la tête, la gorge ou le cœur.
L’imposante albinos serra les dents sous le déluge de coups et, oui ! On y était ! La pression implacable de la technique du lancier impliquait qu’il devait maintenir un élan et donc constamment avancer. Et il était maintenant à portée de frappe de la jeune femme. Sa ténacité avait payé : à cette distance et dans cette configuration, impossible de le louper ! Rachel arma son poing gauche, qu’elle avait gardé en réserve depuis le début de l’assaut, et frappa brutalement dans la tourmente.
Sauf qu’elle ne faucha que du vide.
Severn avait disparu !
Son regard balaya la scène en une fraction de seconde. Les spectateurs ! Ils regardaient le plafond !
Rachel leva les yeux au ciel, juste à temps pour apercevoir Mark prendre appui sur le plafond et…
« L’Art de la lance : le Coup de Tonnerre !! »
… se jeter sur elle afin de l’embrocher d’un seul coup sauvage d’une violence titanesque.
La jeune femme ne chercha pas à fuir : avec cet angle et cette allonge, le lancier n’aurait eu aucun mal à adapter sa frappe pour la coincer. Au lieu de ça, elle attendit l’ultime moment et évita d’un cheveu la pointe par l’entremise d’un vif demi-pas circulaire.
Le bâton percuta violemment le sol, disloquant les tatamis d’entraînement et pulvérisant purement et simplement celui qui eut le funeste honneur de subir l’impact de plein fouet. Au bruit sonore qui retentit, il n’était pas impossible que Mark eût même endommager le sol de pierre de la forteresse troglodyte. Mais Rachel ne perçut rien de tout ça. Toute sa concentration, toute son attention était pleinement focalisée sur son adversaire, à moins de dix centimètres d’elle.
Une occasion inespérée.
Sa proie venait de creuser sa propre tombe d’elle-même.
Mark cilla en croisant le regard triomphant de sa partenaire. À une distance aussi courte, il ne pouvait pas faire grand-chose. Mais elle non plus, pas vrai ? C’est donc avec une certaine sidération qu’il perçut l’épaule droite de Rachel qui s’affaissait légèrement, annonciateur d’un coup de poing. Ridicule : avec à peine dix centimètres d’amplitude, qu’est-ce qu’elle pouvait bien rassembler comme puissance ?
Heureusement, ses réflexes de survie forgés dans maints affrontements serrés réagirent sans attendre que son esprit déconnecté ne réalise pleinement l’ampleur de la menace. Oui, un simple coup de poing n’avait aucune latitude pour porter un coup sérieux sur dix centimètres. À moins de ruser. À moins d’exploiter au maximum tout son potentiel corporel.
En un instant, Rachel pivota sur elle-même, un mouvement de rotation complet qui partait du bout de ses doigts de pieds jusqu’au hanche, remontant le long du dos pour atteindre les épaules. Alors que son poing amorçait son mouvement, son corps se recroquevilla, se tassa sur lui-même à la manière d’un ressort, avant de pousser fortement sur le sol et de se détendre d’un seul coup, produisant une puissance explosive incroyable.
Alors que son cerveau de Mark en était encore à tenter d’intégrer ce qu’il se passait, ses bras réagirent à la vitesse de l’éclair, interposant la hampe de sa lance en travers du poing de l’albinos. En une fraction de seconde l’arme se retrouva plaquée contre son propriétaire, mais cette fraction fut suffisante pour que ses bras se raidissent et que sa garde se fige d’un seul bloc. Malheureusement, ses jambes n’avaient pas eu le temps de suivre le mouvement et ne purent absorber le choc. Elles furent arrachées du sol sous la violence du coup et le lieutenant Severn se retrouva projeté plusieurs mètres en arrière, ne devant qu’au mur de la salle d’armes de ne pas voler bien plus loin.
Encore groggy par l’impact, son esprit tentant vainement de démêler l’impossible contre-attaque qu’il venait de subir, Mark aurait bien eu besoin de deux bonnes secondes pour rassembler sa concentration et revenir dans le combat.
Rachel ne lui en laissa même pas une.
« COMMANDO !! »
Braillant son inévitable cri de guerre, autant pour se donner le courage de bouger malgré la douleur que dans l’espoir d’effrayer et tétaniser son adversaire, l’imposante albinos venait de bondir sur le lieutenant Severn, les mains jointes au-dessus de sa tête pour lui asséner un coup aussi puissant que dévastateur.
Avec l’énergie du désespoir, le lancier tenta de faire face vaille que vaille. Il releva les bras devant lui, afin de se servir de toute la longueur de sa lance comme d’un bouclier. Ou presque : l’idée n’était pas de tenir bêtement son arme et d’encaisser l’intégralité du choc. Trop dangereux dans cette situation. Son axe de défense était donc penché de quarante-cinq degrés sur le côté. Absorber et dévier la frappe. Les attaques amples ont pour elles leur effet dévastateur, mais elles laissent aussi de larges ouvertures propices aux contre-attaques. En canalisant l’attaque plutôt qu’en la bloquant, Severn se ménageait une parfaite opportunité de riposte. Et c’est tout ce dont avait besoin un lancier de sa trempe pour reprendre la main sur l’affrontement !
Les énormes battoirs de l’albinos déferlèrent. Le lancier para l’attaque, forçant des bras pour dévier l’axe de la frappe et commença en même temps à mouliner pour planter un vicieux coup d’estoc dans les tripes de son adversaire.
Tout du moins était-ce ce qu’il aurait voulut faire. À la place, il y eût surtout un choc titanesque suivit d’un craquement sinistre.
L’énorme maillet de chair constituée des deux mains jointes de Rachel s’était arrêté à quelques centimètres du visage de Mark, après avoir littéralement pulvérisé la hampe de l’arme du lancier sans même être ralenti le moins du monde.
« … Égalité ? Proposa l’imposante albinos après un court instant de silence.
_ T’es sérieuse, là ? S’étonna le lieutenant Severn, incrédule.
_ Ben tu manies une lance d’acier, d’ordinaire, non ? Fit remarquer Rachel tout en se redressant. Je ne crois pas être capable de pulvériser le métal de cette façon. Le tordre, éventuellement, j’dis pas, mais… Bref, une victoire dans ces conditions, ça n’a pas vraiment de sens non plus.
_ Avec une vraie lance, la question ne se poserait même pas, je t’aurais massacré avec ma technique de la Grande Mousson, soupira Mark en jetant un regard dépité aux deux tronçons qu’il avait en main. Ta façon de parer à ce moment-là était franchement pitoyable, si tu veux mon avis.
_ C’est bien ce que je pensais mais je ne suis pas gentille au point de reconnaître volontairement une défaite, fit remarquer l’imposante albinos d’un sourire. ’faut pas déconner, non plus, hein ; j’ai ma fierté ! Alors ? Égalité ? Répéta Rachel en tendant une main vers son adversaire.
_ Va pour cette fois, égalité. » Lui concéda le lancier.
Mark lui serra la main en affichant son grand sourire franc. De son avis, la vie devenait toujours plus amusante chaque fois qu’on se dégottait de nouveaux rivaux auxquels se mesurer.
*
* *
* *
Assise dans un coin de la salle d’arme, Rachel regardait sans les voir deux officiers d’une autre section s’entraîner sans grande inspiration. Après la prestation de Mark et la résistance que la jeune femme lui avait opposé, personne n’osait plus y aller sérieusement de peur de pâtir de la comparaison.
L’imposante albinos secoua la tête, dépitée. Ses cheveux étaient encore humides de la douche qu’elle venait de prendre. L’eau brûlante avait détendue ses muscles douloureux, mais elle avait encore mal des innombrables chocs qu’elle avait encaissé lors de la rafale monstrueuse du sous-lieutenant. Elle en serait vraisemblablement quitte pour une belle collection de bleus pendant quelques jours.
En y songeant à tête reposée, ils y étaient quand même allés un peu fort pour un simple duel d’entraînement. Si sa défense avait flanché à ce moment-là, si elle n’avait pas proprement esquivé son monumental coup d’estoc d’après, si Mark n’avait pas non plus su gérer sa contre-attaque surprise, si elle-même n’avait pas réussi à stopper son ultime frappe au dernier moment… En toute franchise, ils étaient quand même passés à deux doigts de la catastrophe à de multiples reprises.
Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas battue comme ça. Et jamais pour un "duel d’entraînement". L’un et l’autre s’étaient laissés entraîner par la force de leur adversaire, s’émulant réciproquement dans une dangereuse surenchère mortifère. Ça ne lui ressemblait pas de se comporter ainsi. Ou plutôt, si, cela ne lui ressemblait que trop bien, à elle, celle qu’elle avait longtemps été auparavant. Et dire qu’elle pensait avoir pourtant évolué depuis cette époque…
Mais Mark était indubitablement fort. Pour parler franchement, elle n’était vraiment pas certaine de pouvoir le vaincre en combat réel et ça, ça la tracassait énormément.
« Ben alors, c’est quoi cette tête d’enterrement ? Se signala Mark tout en lui tendant une canette. Allez, tiens, bois, ça va te remonter le moral.
_ Tu pousses carrément les gens à l’alcoolisme ?
_ Meuhnon, c’est un jus de fruit. Faut bien s’hydrater après s’être dépensé ! Allez, fait risette, c’est quoi le problème ? S’enquit joyeusement le jeune homme en ouvrant la sienne. Il était plutôt chouette, notre petit combat, non ?
_ Le problème, c’est que tu es fort, maugréa Rachel.
_ Heu… Merci ? ’fin je crois. … C’était un compliment, non ?
_ Les autres officiers de la section aussi, hein ? Voulut savoir l’imposante albinos.
_ Sûr ! Affirma Mark. Plus que moi, même ! Le vice-lieutenant Tolosa se bat carrément avec un canon. Je ne l’ai jamais affronté mais je l’ai déjà vu en action : il te pilonne à distance et si tu te figures que tu vas être en sécurité en te rapprochant, il se sert de son canon comme d’une grosse massue.
_ Sérieux ?
_ Il est pas juste énorme, il est vachement costaud, en fait… Le lieutenant Jaeger… Bon, lui, je n’en ai aucune idée, je ne l’ai jamais vu se battre et il fuit les entraînements comme la peste. Mais comment une dilettante comme lui est devenue lieutenant ?
_ Je me le demande aussi, parfois…
_ Quant à la commandante de Castelcume, reprit le jeune homme. Pfff… Elle aussi, elle prétend n’être que très moyenne à l’épée, mais en vrai, elle joue quand même clairement dans le haut du tableau. Mais le pire, c’est sa façon de combattre : c’est comme quand elle t’a affronté avec ses hommes dans l’Arène. De l’inattendu, des coups fourrés, des tactiques auxquelles t’aurait jamais pensé… à mon avis, la commandante serait capable de nous affronter tous ensemble et de nous écraser sans difficulté ! Elle est juste tellement monstrueuse. Je me demande si c’est la condition sine qua non pour devenir commandant… »
La tirade du sous-lieutenant arracha un nouveau soupir dépité de la part de sa collègue albinos.
« T’es pas contente de travailler avec des gens forts ? Voulut savoir Mark en fronçant les sourcils de perplexité – lui trouvait justement ça on ne peut plus génial, pour tout dire.
_ Ce n’est pas ça, balaya Rachel. C’est juste que… Jusqu’à ce que je quitte mon île natale, je me considérais moi-même comme quelqu’un de fort, en fait. Je veux dire, là-bas, je n’avais pour ainsi dire personne qui m’arrivait à la cheville et j’étais littéralement invaincue, tu vois ce que je veux dire ?
_ Carrément, je pensais pareil quand je me suis engagé dans la Marine. Je m’étais même dit bêtement que ça irait tout seul et que les Empereurs n’avaient qu’à bien se tenir…
_ À ma première affectation, reprit la jeune femme, je me suis battue contre un agent du CP, M. Fletcher…
_ Tu t’es… battue contre un agent du CP ?
_ Non mais c’était un malheureux quiproquo : j’avais kidnappé son collègue sans le savoir.
_ Kidnappé ?
_ Longue histoire… Bref, pour faire simple, il m’a flanqué une dérouillée dont je me souviendrais longtemps. Ce jour-là, j’ai bien compris la différence entre une bagarreuse comme moi et un vrai combattant.
_ Ahan, opina un Mark très incertain de comprendre où tout cela les emmenait.
_ C’était un spécialiste du close-combat et il m’a complètement défoncé sur ce point, expliqua Rachel. Du coup, je me suis entraîné comme une folle pour pouvoir lui rendre la monnaie de sa pièce si on se recroisait.
_ Ah ouais, d’où le coup de poing de malade que tu m’as sorti…
_ Je pensais m’être sortie d’affaire et là-dessus, je tombe sur toi, poursuivit l’albinos avec un pâle sourire. Et en plus, tu m’apprends que les autres officiers de la section sont tous encore plus fort… Jaeger aussi, je pense. T’as pas vu sa façon de bouger dans l’Arène ?
_ Ben et alors ? Demanda le jeune homme. Oukilé, le problème ?
_ Le problème, c’est que je pensais être un gros poisson alors que je ne suis finalement qu’un simple têtard perdu dans une mare immense, résuma sombrement l’imposante albinos.
_ Ouais, c’est plutôt génial, non ? S’exclama Mark avec enthousiasme. C’est comme ces alpinistes qui découvrent toujours un nouveau sommet plus haut après en avoir gravit un autre. Moi, ça m’excite de me dire qu’il me reste encore tous ces échelons à gravir un par un ! Ça n’aurait pas été amusant si j’avais pu me tenir aussi facilement au sommet ! Bon, du coup, j’admets que ça va me prendre plus de temps que prévu mais je persiste : la prochaine génération d’Empereurs n’a qu’à bien se tenir !
_ Non, ce n’est pas génial, rétorqua doucement Rachel en secouant la tête. Jusqu’alors, j’avais la certitude de pouvoir me charger des pires menaces toute seule si nécessaire. Mais maintenant, je réalise que je n’ai pas du tout la force de protéger mes hommes en cas de pépin. Et ça… Ça, ça craint… Ça craint même carrément… »
Rachel reporta son attention sur ses pieds tout en lâchant un nouveau soupir. Ces histoires de commandement étaient tout de suite beaucoup moins amusantes maintenant qu’elle réalisait à quel point la survie de ses hommes dépendait uniquement de ses décisions et qu’elle ne disposait finalement d’aucun joker pour rattraper le coup en cas de soucis. Une prise de conscience aussi effrayante que démoralisante…
De son côté, Mark fit la moue. Il n’avait jamais songé à toutes ces questions et de tout ce que cela impliquait. De son propre avis, il était un officier exécrable et sa collègue albinos le lui prouvait indirectement encore une fois : lui, tout ce qui l’intéressait, c’était de meuler ses adversaires ! Et ses hommes… bah, ses hommes faisaient de leur mieux pour le suivre et prendre exemple sur lui au combat, voilà tout, non ? Mais maintenant que Rachel l’avait souligné, le jour où il tomberait sur un adversaire trop fort pour lui, il se ferait écraser et toute sa compagnie avec lui. Pas cool.
« Naaaan, mais tu te fais du mouron pour rien ! Asséna subitement le jeune homme.
_ Pardon ?
_ J’veux dire que le jour où je tombe sur quelqu’un de plus fort que moi… Hé bien, déjà, ça sera le moment où jamais de me surpasser pour lui poutrer la gueule ! Non parce que les entraînements, c’est bien gentil, mais rien ne vaut une bonne baston pour progresser, pas vrai ? Mais quand bien même, s’il devait advenir que je perde, j’espère bien que mes hommes ne sont pas suffisamment cons pour tenter leur chance après moi au lieu de s’enfuir se mettre en sécurité le plus vite possible !
_ Mais on est la Marine, protesta Rachel, on ne fuit pas devant le danger ! Sinon, qui lui fera face ?!
_ Bien dit, c’est exactement ça ! Souligna le lancier d’un air triomphant.
_ Gné ?
_ On est la Marine, reprit Mark, on a le devoir de risquer notre vie pour les autres, alors on a pas le droit de se permettre de la gaspiller inutilement ! Donc si moi, le plus fort de ma compagnie, je ne peux pas abattre un adversaire, mes hommes ont le devoir de ne pas se laisser massacrer inutilement sans raison. Et donc de fuir se mettre en sécurité. Faudra juste que je pense à le leur dire à la prochaine réunion, histoire que ce soit bien clair pour tout le monde. »
Le raisonnement arracha un sourire Rachel. Elle-même ne réfléchissait pas du tout comme ça, mais l’argument se tenait d’une certaine façon. Mark voyait juste.
« Tu as raison, approuva l’imposante albinos. Puisque je ne peux pas avoir la certitude d’écraser tous mes adversaires, charge à moi de m’assurer que mes hommes aient toujours une voie de repli au cas où les choses tournent mal.
_ Heu… Non mais attends : moi aussi, faut que je me soucie de ça pour mes hommes !?
_ Sûr, c’est pour t’occuper d’eux que tu es officier.
_ Roooh merde, c’est peut-être moi qui devrait broyer du noir, en fait… »
Les deux officiers restèrent un instant silencieux, à siroter leurs boissons. Mark jeta un coup d’œil à l’albinos et fronça les sourcils. Ça continuait quand même à n’aller pas fort, visiblement.
Le lieutenant Severn n’était pas encore un bon officier, même s’il était loin d’être aussi incompétent qu’il se plaisait à se l’imaginer. Il lui manquait simplement une certaine maturité en la matière, mais le colonel Trevor et la commandante de Castelcume ne s’inquiétaient guère à ce sujet : cela viendrait en son temps et probablement bien plus vite que ne le pensait le jeune homme. Mais bien qu’il ne soit donc pas encore un bon officier, il était déjà un excellent supérieur de l’avis de ses hommes. Tout simplement parce que Mark était quelqu’un d’attentif et de particulièrement sensible aux humeurs des autres.
Le jeune homme sentait bien que sa collègue continuait à se tracasser. Probablement pour rien, de son point de vue : elle se débrouillait déjà très bien avant sa prise de conscience, il ne voyait donc pas bien ce que celle-ci changeait réellement. Mais il l’aimait bien, la Rachel. Au début, il lui en avait un peu voulu quand elle l’avait battue dans l’Arène, mais vu qu’elle avait remporté le tournoi par la suite, ce n’était finalement pas trop la honte de s’être faire rétamer par la bleue. Et puis, ça faisait du bien d’avoir enfin une collègue normale dans la section, avec qui il pouvait discuter tranquillement : le vice-lieutenant Tolosa était beaucoup trop rigide, le lieutenant Jaeger vraiment trop frivole et la commandante de Castelcume bien trop inaccessible. Bref, son affectation à Hexiguel était bien plus supportable depuis que Rachel était là. Alors il n’avait pas envie de la voir de triste humeur.
C’était comme la commandante qui semblait toujours si tourmentée, songea-t-il. Sûrement l’inconvénient des gens trop futés : ils sont géniaux pour trouver toutes sortes de solutions à tous les problèmes qui pouvaient se présenter, mais visiblement, quand ils n’avaient rien à se mettre sous la dent, ils s’en créaient inutilement de toute pièce là où il n’y avait pas lieu.
Mais qu’à cela ne tienne ! S’il ne pouvait rien faire pour sa supérieure, au moins pouvait-il tenter quelque chose pour sa collègue. Si elle avait tant besoin d’un os à ronger, alors la solution était des plus simples : il lui suffisait de l’orienter sur des problèmes autrement plus intéressants !
« Bon, alors ? Demanda subitement le lancier. Ta prochaine technique spéciale ?
_ Pardon ? Tenta de comprendre Rachel.
_ Ça va être quoi ta future technique spéciale ? Insista Mark. T’as bien dit que t’en avais pas, alors il va falloir y remédier ! Avoue que c’est quand même carrément la classe, nan ?
_ Certes, mais… Pourquoi j’aurais besoin d’une technique spéciale ? S’inquiéta l’imposante albinos.
_ Mais c’est obligatoire, voyons ! Tu te dois d’avoir une technique spéciale, enfin ! La rabroua immédiatement le lancier. Et ton esprit shônen, alors !?
_ Hein ? Mais j…
_ Un truc qui dépote et dont tu peux brailler le nom à pleins poumons pour impressionner les foules ! Insista l’officier avec enthousiasme. Un mouvement finish qui te permet de mettre un point final à un combat avec suffisamment de classe pour que personne n’ait la mauvaise idée de vouloir t’affronter derrière parce que t’as l’air diminué !
_ J’…
_ Une technique spéciale, c’est o-bli-ga-toire dans la panoplie de tout officier qui se respecte. Crois-moi, tu te dois de t’en dégotter une ! Appuya Mark.
_ …
_ …
_ Fini ? J’peux en caser une ?
_ Roooh, ça va, j’me suis juste un peu enflammé, ç’arrive à tout le monde, hein…
_ Dis-moi, ça t’as pris combien de temps pour maîtriser ton festival d’estocs de la Moisson ? Demanda l’imposante albinos.
_ Mousson !! Pas moisson, ça voudrait plus rien dire sinon ! Ben, ch’ais pas trop… Quelques mois, peut-être un an, je dirais. Mais ça valait carrément le coup, t’as vu comme ça en jette !?
_ C’est exactement là où je veux en venir, pointa gentiment Rachel. Comment veux-tu que je trouve le temps de développer un truc comme ça ? Ça va me prendre une éternité…
_ Boah, ça va, on a plein de temps libre, ici, à Hexiguel, rigola Mark.
_ Tout le monde ne fait pas l’impasse sur la paperasse administrative. » Rétorqua l’imposante albinos avec un sourire indulgent.
Ni Mark ni le lieutenant Jaeger ne s’occupaient des papiers que la direction d’une compagnie de Marines leur imposait, prétextant que ça ne servait à rien puisque tout fonctionnait au poil malgré tout. Ce qui n’était pas tout à fait faux mais ne se vérifiait qu’uniquement parce que les trois autres officiers de la section Alpha, Rachel, le vice-lieutenant Tolosa et la commandante, s’occupaient d’administrer aussi les compagnies des deux hurluberlus et se partageaient donc la surcharge de travail ainsi occasionnée.
« Nan, mais t’as pas forcément besoin d’un truc trop élaboré, éluda Mark. Ce qu’il te faut, c’est un outil qui dépote. Tiens, regarde le mien ! »
Le sous-lieutenant se dirigea joyeusement vers un coin de la salle où reposait une longue lance emmailloté dans un drap blanc. Il en retira le tissu avant de lancer nonchalamment l’arme à Rachel, qui l’avait suivit docilement.
Bien qu’elle réceptionnât la lance à deux mains, l’impact fit vaciller l’imposante albinos. Bigre, sans en avoir l’air, cette arme était méga lourde ! La force hors norme du sous-lieutenant s’expliquait soudainement beaucoup mieux…
« Alors, alors ? Kess’t’en penses ? S’enthousiasma Mark.
_ Elle pèse carrément son poids !
_ Ouais, hein !? S’exclama fièrement le sous-lieutenant. On dit qu’il faut être neuf fois plus fort pour manier une lance qu’un sabre. Un vrai, hein, pas un de ces sabres d’abordage tout léger et fragile. Hé bien cette beauté est vingt fois plus lourde qu’une lance classique ! »
Beauté. C’était effectivement le mot, songea Rachel en détaillant l’arme sous toutes les coutures. Elle n’y connaissait rien en lance et sa science des armes se limitait à savoir que le bout pointu et tranchant servait à faire mal aux méchants, et pourtant même elle pouvait voir combien cette arme était magnifique. Il n’y avait pourtant aucune fioriture, mais l’objet était inexplicablement doté d’une esthétique saisissante en dépit de son apparent dépouillement. Simple, fonctionnel, avec seulement quelques détails discrets réhaussant ses formes parfaites. L’œuvre d’un maître-artisan, cela ne faisait aucun doute même pour une néophyte comme elle.
Quant au poids, il semblait provenir en grande partie de l’énorme garde qui enserrait la lame de lance. Une gangue de métal chromé présentant d’énigmatiques ondulations et dont deux étranges tiges émergeaient pour courir le long de la nervure centrale de la lame.
« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? S’étonna Rachel.
_ C’est le cœur de mon arme, pavoisa Mark. C’est le système RAGE pour … heu… Ah, merde, ch’ais plus ce que ça veut dire… Bidule Amélioré… Générateur de heu… Énergie ? Bref, on s’en fiche du nom, mais c’est ça qui rend la lance si spéciale !
_ Pourquoi ?
_ Avec ça, j’ai juste à taper comme un bœuf avec et au bout de quelques échanges, le système RAGE est chargé ! Expliqua joyeusement le lancier. Et là, avec une petite manip’, je peux libérer un gros arc électrique ! C’est trop cool, non ! Tu vois ? Pas besoin d’entraînement de folie : avec le bon outil, tu peux improviser facilement des techniques spéciales !
_ C’est dingue, c’est hyper-lourd, et pourtant le poids à l’air bien répartie, n’en revint pas Rachel – elle venait de trouver comment la faire tenir en équilibre sur une seule main.
_ En fait, expliqua diligemment Mark, comme le système RAGE pèse son poids et implique en plus de taper très fort, il a fallu renforcer le manche par une épaisse gaine de métal pour le lester. Du coup, là, bon courage pour le casser, lui.
_ Et pourquoi la lame a ces étranges motifs moirés ?
_ Je connais pas les détails, avoua le lancier. C’est de l’acier damassé, y’a des histoires de qualités du métal avec plus ou moins de bidules dedans selon les couches. Si ça t’intéresse vraiment, je peux demander à ma tante de me réexpliquer tout ça…
_ Ta tante ? Elle est forgeron ?
_ Nan, mais elle bosse à la Brigade Scientifique, révéla Mark avec un grand sourire. Alors elle connaît des types qui savent faire. Le RAGE, c’était un prototype qu’elle a développé, mais ce n’était pas concluant, alors ils ont abandonné le projet. Elle l’a intégré dans une super-lance et me l’a offerte. C’était pour mes dix-huit ans. C’est trop cool comme cadeau, non ?
_ Ta tante bosse à la Brigade Scientifique ? Tu m’intéresses carrément, là ! Fit Rachel en lui rendant son sourire.
_ Aha, je l’savais ! T’as qu’à demander, ch’uis sûr qu’ils peuvent te construire ce que tu veux : un fulguro-ceste, un power-lighting-glove, un… oh non, je sais : un mega-thunder-metallo-manique !!
_ Non mais t’alignes juste des mots random totalement au pif, là ! Non, non, non, ne le prends pas mal mais je me fiche d’avoir une arme spéciale, révéla l’imposante albinos. Sérieusement, ça serait juste du gâchis entre mes mains… Mais je me demandais si tu pourrais lui poser quelques questions de ma part… ?
_ Sûr, acquiesça Mark. Qu’est-ce que tu veux savoir ?
_ Est-ce qu’il existe des passerelles entre la Marine Régulière et la Brigade Scientifique ? Demanda la jeune femme.
_ Oh mais non, Rachel, ça serait du gâchis ! Se lamenta le lancier. T’as carrément ta place dans la Régulière, pourquoi tu voudrais t’enterrer dans la Scientifique ? Tu veux fuir Hexiguel à ce point-là ?
_ Non mais c’est pas pour moi, c’est pour un ami.
_ Ouais, ils disent tous ça…
_ C’est pour mon adjudant. Edwin Marlow. Tu vois qui c’est ? »
Le sous-lieutenant Severn hocha la tête. Bien sûr qu’il voyait qui c’était. Toute la base d’Hexiguel savait qui c’était.
Lors du dernier affrontement entre la compagnie de Rachel et celle de la commandante de Castelcume, l’emploi exagéré de moyen pyrotechnique avait conduit à la destruction de la moitié de l’Arène et d’une belle partie des gradins. Les Parieurs, le groupe en charge de l’exploitation et de l’organisation de l’Arène, s’étaient donc mis en tête de la reconstruire. Sauf que les Parieurs avaient la mauvaise habitude de tout savoir sur tout le monde. Et ils savaient que l’adjudant Marlow était un bricoleur de génie. Ils étaient donc venus le supplier de les aider à concrétiser leur nouveau projet pour l’Arène.
De l’avis de Rachel, ç’avait été doublement stupide. Déjà, parce qu’Edwin était l’une des personnes les plus timides qu’elle ait jamais rencontré. La vision des Parieurs se prosternant à ses pieds devant tout le monde l’avait surtout poussé à s’enfuir se cacher très loin dans un trou de souris. Ce qu’il aurait probablement fait si Rachel n’était pas intervenue. Ensuite, parce qu’Edwin était tout simplement un type bien : il aimait aider les gens autant qu’il aimait bricoler, alors aider les gens à bricoler… Pas besoin de lui promettre la lune, une prime ou la reconnaissance éternelle de toute la Base, le jeune homme aurait immédiatement dit oui si les Parieurs le lui avait simplement demandé comme ça en passant.
L’histoire avait fait le tour de la Base : ce n’était pas tous les jours que les Parieurs estimaient avoir besoin de l’aide de quelqu’un. Elle charriait aussi son lot de rumeurs avec : on racontait que sous l’impulsion de l’adjudant, l’Arène allait être transfigurée. Auparavant, elle n’était qu’un vaste quadrillage dont les espaces étaient délimités par des cubes en bois. Maintenant, Edwin supervisait l’installation de cloisons pivotantes et même de rails. Ce ne serait plus un quadrillage, ç’allait devenir un labyrinthe. On racontait même que les Parieurs envisageaient un système permettant de modifier l’Arène en cours de bataille. Bref, les spéculations allaient bon train et tout le monde essayait de tirer les vers du nez à l’adjudant et à ses équipiers.
« Tu veux le muter à la Scientifique ? Réalisa Mark.
_ Ben il gâche carrément son talent parmi nous, avoua Rachel. Non mais t’inquiètes, on attendra que l’Arène soit finie d’être retapée.
_ Mmmh… Bon, moi j’y connais rien, mais je peux toujours demander à ma tante, fit le lancier. De toute façon, ça prendra un peu de temps, l’Arène serra probablement finie avant…
_ Merci beaucoup ! S’exclama l’imposante albinos. Tu me rendrais un fier service !
_ De rien, je… »
Mark n’eût pas le temps de finir sa phrase que la porte de la salle d’entraînement s’ouvrit brutalement à la volée, dévoilant un petit sous-officier blond arborant les insignes d’adjudant. Lewis, l’aide de camps personnel du colonel Trevor.
« On a une urgence !! S’exclama le nouveau venu. Lieutenants Severn et Syracuse, veuillez vous présenter immédiatement au bureau du Colonel ! »
Rachel acquiesça. Il n’y avait qu’une seule sorte d’urgence possible à Hexiguel.
« Bien reçu, adjudant Lewis. Pouvez-vous dire à mes hommes de se présenter immédiatement à l’embarcadère ? Vous trouverez l’adjudant Marlow à l’Arène et le sergent-chef Krieger à la salle de tir numéro quatre. »
Jürgen Krieger supervisait la remise à niveau d’une partie du contingent de Rachel. Ce dernier provenait du Piton Blanc, une garnison de seconde zone, chiche en équipement, notamment en ce qui concernait les fusils. Aussi, beaucoup de ses hommes n’étaient que des spadassins se battant au sabre et n’ayant reçu qu’une formation toute théorique au maniement des armes à feu. Cependant, Hexiguel était une vraie garnison et son arsenal permettant d’équiper tous les hommes d’un fusil, aussi le sergent-chef s’assurait donc que chacun sache s’en servir convenablement.
« Bonne idée, renchérit Mark. Adjudant, prévenez aussi mes hommes pour les mettre en état d’alerte. Rendez-vous à l’embarcadère !
_ Bien reçu, lieutenant, acquiesça Lewis. Où puis-je les trouver ?
_ …
_ …
_ Rah merde… »
Dernière édition par Rachel le Sam 25 Juin 2022 - 22:43, édité 1 fois