...Rend tout le Monde Aveugle
Flashback 1628
✘ Quête ~ Partie 2
✘ Quête ~ Partie 2
La nuit était tombée depuis longtemps sur le Royaume de Goa, et notre fuite depuis la ville jusqu’à ma maison-taverne avait été un succès. Assis de chaque côté du comptoir, moi côté bar, Jack côté salle, nous discutions depuis un bon moment déjà. Des choppes devant nous dans lesquelles flottait une bière blonde aux notes douce-amer. Un feu crépitait dans la cheminée et Morpheo, le petit chat noir, était roulé en boule sur le comptoir, juste assez loin pour être hors de portée de caresses.
« Quand même, t’aurais pus me prévenir que ta taverne était posée sur le dos d’un cochon vert géant. » s’esclaffa-t-il en se nettoyant la moustache de mousse collée à la vraie.
« Borat, c’est son nom à ce gros cochon. » déclarais-je en souriant.
~ Gruiiiik Gruik gruik ! ~ couina le pachyderme à l’extérieur comme pour me répondre.
« Mais oui, t’es le plus beau mon pote, tiens attrape. » lui répondis-je en lui lançant une pomme à travers la fenêtre ouverte près du bar. « Il adore la pomme, et le cidre, et le schnaps à la pomme aussi. » ricanais-je en entendant mon ami-animal croquer le fruit avant de reporter mon attention sur mon invité. « Et en plus il peut nager, ce qui fait que cette magnifique maison-taverne peut se déplacer à travers le monde ! » m’exclamais-je très fièrement en désignant la salle.
Le mobilier était simple, des tables rondes entourées de tabourets de la même forme, un long bar en angle derrière lequel s’alignaient des dizaines de bouteilles et de tonneaux. Tout autant de couleurs de liquides et de parfums lorsqu’on en retirait les bouchons. Derrière le comptoir, une petite porte fermée d’un rideau donnait sur plusieurs petites pièces dont une cuisine sommaire, une chambre froide et un débarras un peu plus grand.
Jack, la tête posée entre ses mains, coudes sur le comptoir, faisait une triste mine. Pendant notre fuite jusqu’ici, je lui avais raconté comment je l’avais trouvé grâce aux rumeurs des passants devant son établissement, en ruines encore chaudes de l’incendie qui l’avait ravagé.
« Bordel, c’était toute ma vie ce boui-boui. » se lamenta-t-il en serrant les dents. « J’vais faire quoi maintenant, faire picoler les gens c’est mon seul talent. Tu sais qui a fait le coup ? »
« Je pensais que c’était les soldats qui t’avaient embarqués ? »
« Non, ils ont fais ça dans les règles de l’art, en débarquant en grandes pompes dans ma taverne pour me passer les menottes sans que je puisse m’expliquer, mais aucun d’entre eux n’a mit le feu. » expliqua-t-il, pensif. « J’suis sûr que c’est l’autre minable de Geoffroy Theodorius, j’lui ai piqué sa gnôle alors il me crame ma baraque. » souffla-t-il en faisant tourner la bière dans sa choppe, un visage grave aux traits froncés. « Œil pour œil, comme on dit... » souffla-t-il alors tristement.
« ...rend tout le monde aveugle. » finis-je en l’observant.
« Qu’est-ce que tu dis ? »
« Non, rien, un vieil adage. commençais-je en plaçant mes coudes sur le comptoir, plaçant ma tête entre mes mains, un air narquois sur le visage. « J’ai bien une petite idée pour te venger, histoire de continuer ce cercle infernal, et j’suis sûr que ça va te plaire ! »
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Le lendemain soir, j’étais préparé, marchant tranquillement dans les rues de Goa en sifflotant un air, sans peur de me faire repérer malgré les évènements de la veille. Dépourvu de mes vêtements décontractés, j’avais opté pour un style un peu plus chic. Un costume trois pièces noir par-dessus une chemise blanche, sans cravate, des mocassins tout aussi sombres. L’avantage des cheveux blancs, c’est qu’ils sont faciles à teindre et, pour se déguiser c’est l’idéal. J’avais suivis une vieille recette de ma mère, à base de henné mélangé à du sang de bœuf, que j’avais galéré à trouver sur l’île avant de le transformer en côtelettes. Ainsi, j’avais recouvert mes cheveux de la teinture noire aux reflets rouges et laissé reposé quelques heures pour donner ce résultat du plus bel effet. Plaqués en arrière, sans couvre-chef, mes cheveux brillaient d’un noir profond aux faibles reflets carmins sous les lampadaires du centre-ville. Je m’étais collé une fausse moustache qui me donnait un air de jeune bourgeois gentilhomme dans mes atours impeccables. Tout ce qu’il manquait, c’était les manières à présent, une démarche noble et digne, menton légèrement relevé, à regarder droit devant moi comme si le monde autour n’existait pas.
La soirée était jeune et le soleil déclinait inlassablement vers l’horizon, étirant les ombres des bâtiments qui envahissaient les rues. Le centre-ville était grouillant de monde en cette fin de semaine, le soir où les gens sortaient pour se décontracter après une dure semaine de labeur, là où les couples naissants se rencontraient. Avec autant de monde dans les rues, je passerais d’autant plus inaperçu. Je pris ainsi la direction de la grande place, un endroit où s’alignaient de nombreux commerces, auberges et tavernes. La vie y battait son plein sous l’œil inquisiteur des patrouilles de soldats, en petits groupes autour de la place. Depuis les évènements de la veille, les patrouilles semblaient s’être densifiées, sur leurs gardes d’un nouveau grabuge sous leur supervision. Et je ne manquerais pas de leur donner un peu de boulot ce soir.
Enfin, j’arrivais à destination, cette rue assez large et mouvementée en cette heure de la soirée, dénommée ‘Rue de la Soif’ elle accueillait la majorité des tavernes et auberges cossues. Tous les nobliaux et soldats en pause ou permission entraient dans le même établissement, d’où provenaient musique, rires et exclamations. La joie était de mise, et les beaux atours pour passer les portes aussi. Gardées par deux videurs tout en muscles chacun aussi large que la double porte, qui se permettaient de juger les gens à leur physique ou à la richesse de leur allure pour décider de qui entrait ou non. Bien entendu, certains allongeaient quelques billets pour acheter leur entrée. De plus, les soldats qui se présentaient en uniforme étaient automatiquement acceptés, probablement une décision du patron pour les brosser dans le sens du poil. Autant être en bons termes avec les autorités locales, voir distribuer quelques dessous de table pour se les mettre dans la poche, et qu’ils ferment les yeux sur toute activité illégale. Ou pour protéger les acheminements de marchandises, comme cela avait été le cas quelques jours plus tôt, lorsque j’avais volé cette charrette remplie d’alcool et de vivres pour l’établissement.
« Bonsoir, Monsieur, puis-je connaître votre nom ? » me demanda l’un des deux gardes, ses épais bras croisés devant lui, ses sourcils broussailleux froncés.
Sans un mot, ni plus d’un bref regard hautain, fidèle à mon rôle, je sortais discrètement une petite liasse tenue par une pince à billets en argent, subtilisés à un jeune nobliau . L’homme, une lueur cupide dans le regard, s’empara de la liasse avant de la mettre dans une poche qui semblait déjà bien remplie de pots de vin similaires. Sans plus de cérémonie, le videur m’ouvrit un battant de la porte pour me laisser entrer dans l’établissement.
Fiche par Ethylen sur Libre Graph'