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Entretien avec un Révo

La forteresse d'Hexiguel:
Dans les épisodes précédents:

La frêle barque à voile filait bon train vers le quai de la petite île de Rosac. À son bord, quatre Marines : deux simples matelots, un sergent-chef à la barbe rousse qui cachait fort habilement son casque à cornes sous sa casquette de Marine et une imposante albinos vêtu du fameux Manteau 正義 des officiers.

La petite équipe venait de quitter en urgence l’escadre du Vice-Lieutenant Tolosa, alors de retour de l’avant-poste révolutionnaire. En effet, Hexiguel avait été informée qu’un Révolutionnaire fichait le bordel sur Rosac et le groupe du vice-lieutenant était le plus proche des lieux. Rachel s’était immédiatement portée volontaire pour s’en occuper. D’abord, parce qu’elle n’avait qu’une confiance limitée dans la capacité de son supérieur à traiter cette affaire proprement. Ensuite, pour éviter l’ambiance lourde qui régnait entre eux depuis leur récent désaccord sur la marche à suivre concernant les prisonniers de la Révolution.
Le vice-lieutenant avait aussitôt accepté son offre : lui rechignait à dérouter la caraque capturée et son lot de prisonniers, au cas où il s’agisse d’un piège. Et puis, si la sous-lieutenante se jetait effectivement dans la gueule du loup en petit comité, hé bien… hé bien de son point de vue, ça ne serait qu’un juste retour de bâton.
Saine ambiance, donc. Rachel avait été ravie d’avoir une occasion de filer.

La barque fut à peine proche du ponton que l’imposante albinos sauta derechef sur le plancher des vaches, laissant son sergent-chef, Jürgen Krieger, gérer l’accostage. Plusieurs civils étaient présents, attendant visiblement avec impatience l’arrivée de renforts. Avant même que ses pieds n’aient touché le sol, les villageois se précipitèrent vers elle, la submergeant d’un flot de questions, demandes et autres remarques. Rachel leva les mains pour appeler au calme.

« Mesdames, messieurs, pas tous en même temps, s’il-vous-plaît ! Imposa l’imposante albinos d’une voix apaisante. J’ai besoin qu’une seule personne fasse la liaison.
_ Je suis le Maire, annonça un vieux monsieur au front dégarni et à la canne noueuse. Je vais parler au nom de tous.
_ Très bien, opina Rachel avec un sourire encourageant. Je suis la sous-lieutenante Rachel Syracuse. Quelle est la situation ?
_ Nous avons un Révolutionnaire coincé dans le village ! Affirma l’édile. Il s’est retranché dans l’épicerie avec un otage. Faites quelque chose !
_ Bien sûr, je vais voir ce que je peux faire, affirma l’imposante albinos d’un air grave. Êtes-vous certain qu’il s’agit d’un Révolutionnaire ?
_ Oui ! Certifia le Maire. Je n’y étais pas, mais madame Oshige, la gérante de l’épicerie, l’a entendu pendant qu’il parlait dans le Den-den en libre-service. Il avait l’air paniqué, rapport que ses amis s’étaient tous fait avoir ou ch’ais pas quoi, alors il n’était pas très discret. Et c’est quand il s’est rendu compte que tout le monde l’avait entendu qu’il a sorti une arme et pris une gosse en otage. Tout le monde s’est enfui en hurlant. Personne n’est sorti et nous n’avons pas osé nous approcher non plus.
_ Il sait que la Marine est en chemin ? Demanda Rachel.
_ Oui. On le lui a crié, dans l’espoir qu’il relâche la petite et s’enfuie, mais ça n’a rien changé. Vous allez vous en occuper, hein ? Voulut savoir l’édile, plein d’espoir.
_ C’est mon travail, je suis là pour ça.
_ Heu… Écoutez, mam’zelle Syracuse, hésita le Maire. Je sais que vous, la Marine, et pis les Révo… ‘fin tout ça…
_ Monsieur le Maire, je suis là pour vous aider, alors dites ce que vous avez à dire sans crainte, l’assura l’imposante albinos.
_ On est qu’un petit village tranquille et on aspire qu’à le rester, s’empressa d’affirmer l’édile. Je vous en prie, sauver notre petite Kusada, c’est tout ce qui compte. J’m’en fiche de si le Révolutionnaire file, j’m’en fiche s’il faut qu’on accède à toutes ses demandes, tout ce qui compte, c’est que tout se termine bien, je vous en supplie, officier ! » L’implora le vieil homme en s’accrochant désespérément à son uniforme.

Rachel posa ses mains sur les épaules du vieillard et le repoussa tout doucement avec une infinie douceur.

« Monsieur le Maire, je vous promets que j’ai exactement la même priorité que vous, affirma l’imposante albinos. Rassurez-vous, je vais tout mettre en œuvre pour que tout se termine bien. Faites-moi confiance. »

L’édile hocha la tête, visiblement rassuré par la confiance qu'affichait ouvertement l’officier. Il n’était pas le seul : derrière lui, les autres habitants échangeaient des sourires soulagés. Tout s’arrangeait, quelqu’un allait s’occuper du problème.
Mais restait encore à savoir comment, songea Rachel.

« Krieger, Tygon, Ruben ? Suivez-moi, on y va ! »

Le quatuor de Marines se mit en route, remontant le chemin qui menait du quai jusqu’au petit village. Composé d’une vingtaine de maisons, c’était vraiment une toute petite communauté, tout le monde connaissait tout le monde. Les habitants seraient dévastés si quelque chose tournait mal avec l’otage…
Le village formait un disque grossier, avec en son centre une petite place en terre battue agrémentée d’un vénérable chêne. L’épicerie bordait l’est de la place. C’était un bâtiment bas, sans étage, avec une porte et deux fenêtres en façade principale.

« Vous avez un plan, mon lieutenant ? Voulut savoir Jürgen pendant que sa chef détaillait les lieux.
_ Je commence à en avoir un, oui, marmonna Rachel en pleine réflexion.
_ Une chance que vous ayez fait partie des commandos d’assaut de votre île, se réjouit le Nordique. Vous savez comment gérer.
_ Ouaaaaais… »

La philosophie des commandos d’assaut en la matière était des plus simples : tenir les otages pour négligeables et lancer l’assaut dans l’unique but d’éradiquer la menace. Doctrine aussi radicale que fonctionnelle : après quelques résolutions dans le genre, leur réputation les précédaient et bien rares étaient les fous à ne serait-ce qu’envisager de prendre des otages du temps des commandos d’assaut.

Mais si, à l’époque, cette gestion de crise n’avait posé aucun problème à Rachel, ça, c’était avant. Maintenant, elle avait mûri et ça ne lui semblait plus du tout une si bonne idée que ça. Certes, au niveau macro, elle comprenait le principe et entendait qu’il puisse se défendre. Mais c’était tout de même oublier que fondamentalement, dans le monde réel, on parlait de vraies personnes avec de vraies vies et de vraies drames derrière ce que les commandos d’assaut appelaient pudiquement « des dommages collatéraux ».
Nan, pas question de gérer ça à l’ancienne, pour le coup. Rachel avait été des plus sincères quand elle avait promis au vieil homme de faire tout son possible pour récupérer l’otage intact.

« … Je vais aller négocier, répondit l’imposante albinos.
_ Négocier ? N’en revint pas Jürgen. M’enfin, mon lieutenant, c’est un terroriste !
_ Et c’est une gosse, répliqua Rachel.
_ Mais… Bon, ben comme vous voulez. » Se résolut le Nordique : après tout, il était le sergent-chef breveté de Rachel, c’était donc son rôle de la soutenir quoi qu’il advienne, de son avis.

« Tygon ? Il pourrait y avoir une porte de derrière, faites le tour et, si c’est le cas, maintenez-là sous surveillance. Ruben, même chose ici pour la façade principale. Sergent Krieger, je vous confie le commandement, assurez-vous que les villageois ne s’approchent pas. Juste au cas où. Par ailleurs, quoi qu’il arrive, interdiction de tirer le moindre coup de feu sans mon ordre express, peu m’importe que vous ayez l’occasion du siècle. Notre priorité, c’est de récupérer l’enfant sans la traumatiser à vie dans l’affaire. C’est bien compris, tout le monde ? 
_ Oui, mon lieutenant ! Acquiescèrent les trois Marines en chœur.
_ Bon, ben j’ai plus qu’à y aller, alors… »

L’imposante albinos inspira un grand coup pour se donner du courage, puis s’avança sur la place. Aucune réaction. Soit le type ne surveillait rien – peu probable – soit il attendait de voir dans quel sens le vent allait souffler.

« Ohé, du bâtiment ? Héla Rachel. Je suis l’officier de la Marine Rachel Syracuse. Je viens pour négocier la libération de l’otage. Je vous promets qu’il n’y a aucune entourloupe. »

Aucune réaction. L’imposante albinos poursuivit sa progression sans ralentir ni hésiter.

« N’approchez pas ! Reculez, reculez tout de suite !! » Proclama subitement une voie aiguë.

Bien. Contact établi. On avançait.

« N’ayez crainte, lui assura Rachel. Regardez, je me sépare de mes armes, poursuivit-elle en dégrafant sa ceinture à laquelle étaient accrochés son sabre et son pistolet. Je veux juste discuter. J’arrive, ajouta la jeune femme en reprenant son approche.
_ Nan, n’approchez pas ! Reculez ou je tire !! Hurla le forcené.
_ Écoutez, si ça peut vous mettre en confiance de me blesser au préalable, je n’y vois aucune inconvénient, affirma Rachel avec une sincérité désarmante. Je vais ralentir, prenez votre temps pour viser si nécessaire.
_ Je plaisante pas, je vais tirer !
_ Je suis tout à fait sérieuse aussi, asséna l’imposante albinos. Je veux simplement que nous ayons une discussion ensemble. Si cela peut vous aider de me tirer dessus, faites-le, je vous promets que je ne vous en tiendrai pas rigueur. »

Tenant parole, Rachel ralentit le pas. Elle continuait à avancer, bras levés, désarmée, progressant lentement mais sûrement en direction de l’épicerie, affreusement consciente de sa vulnérabilité. Elle appréhendait à chaque instant le claquement d’un coup de feu, partagée entre la certitude de son imminence et le soulagement que cela n’ait pas encore eu lieu. Une part de son esprit regimbait violemment à l’idée de servir de cible aussi facilement avec le risque qu’il l’abatte purement et simplement en pure perte. Mais aucune négociation ne pourrait jamais avoir lieu sans confiance. Si elle voulait établir un lien, si ténu soit-il, elle se devait de faire le premier pas, peu importe les risques.

La place ne faisait pas plus de trente mètres de large, mais l’imposante albinos avait l’impression de n’avoir jamais rien traversé d’aussi long. Ni pendant aussi longtemps. Tirera ? Tirera pas ? L’angoisse la tenaillait mais elle fit de son mieux pour le cacher, persuadée que si elle donnait l’impression de savoir ce qu’elle faisait, le forcené y croirait aussi et se sentirait plus à l’aise. C’était bien connu, c’était toujours plus rassurant d’avoir affaire avec des gens qui savent ce qu’ils font plutôt qu’avec des types qu’improvisent ouvertement à l’arrache au petit bonheur la chance, non ?

À son grand soulagement, elle atteignit enfin le pas de la porte de l’épicerie sans que rien ne lui soit arrivé. Une demie bonne chose de faite. Il restait encore le risque qu’il lui tire dessus quand elle entrerait. Par panique, par réflexe, par surprise, par préméditation… Rien n’était encore exclu. Mais elle pouvait peut-être en prévenir une partie en s’annonçant ?
Rachel toqua donc doucement à la porte.

Toc ! Toc ! Toc !

« Partez ! Partez !! Si vous entrez, je tire ! Glapit immédiatement la voix suraiguë.
_ Allons, ne dites pas bêtise ! Le morigéna gentiment l’imposante albinos. Je vous ai laissé amplement le temps de tirer durant mon approche et vous n’en avez rien fait. Alors que vous saviez pertinemment ce que j’avais en tête. Vous êtes curieux de savoir ce que j’ai à dire et c’est pour ça que vous m’avez laisser approcher.
_ …
_ Heu… Allô ?
_ D’accord, je vous écoute mais n’entrez pas. Vous restez dehors !
_ C’est ridicule, je ne vais parler pas à une porte, enfin ! Pointa Rachel. Non, non, non, je vais entrer, ça serait beaucoup plus simple et confortable pour nous deux.
_ Si vous entrez, je tire !!
_ Pas de soucis, je vous ai déjà donné ma permission, rappela l’imposante albinos. J’arrive ! »

Sans attendre davantage de récriminations de la part du forcené, Rachel fit jouer la poignée de la porte et l’ouvrit tout doucement en grand. Elle savait que sa silhouette devait parfaitement se découper dans la lumière extérieure, mais elle était maintenant sereine. Elle était persuadée que le Révolutionnaire ne tirerait pas : il ne l’avait pas fait pendant qu’elle approchait et, maintenant, elle l’avait ferré. Il voulait l’écouter. Et puis, elle s’était suffisamment annoncée pour qu’il n’y ait aucune surprise et donc aucun réflexe malencontreux.

L’épicerie était une petite boutique d’une seule pièce. Un genre de grand rectangle dont les murs étaient tapissés d’étals et d’étagères de choses diverses. La porte était plus ou moins centrée. Sur la gauche, face à la fenêtre, un genre d’îlot central soutenait une montagne de denrées en tout genre. Sur la droite, l’absence d’îlot offrait plus d’espace, mais le mur opposé à la porte y était occupé par un genre de comptoir-caisse.

Debout près du comptoir se tenant un jeune homme à peine sortie de l’adolescence. Probablement pas encore la vingtaine. Une tignasse brune, des vêtements clairs passe-partout, des poignets de force en cuir ouvragé qui soulignaient surtout en creux la carrure maigrichonne du jeune homme. Le type transpirait abondamment, ses grands yeux écarquillés jetant des regards nerveux sur Rachel, la porte, la fenêtre et l’énorme flingue qu’il tenait braqué sur son otage. Pas la peine d’avoir fait psycho pour comprendre que le jeune homme était paniqué et à deux doigts de plonger dans l’hystérie.

Près de lui, la gamine, Kusada, contrastait par son calme. Quatre-cinq ans à tout casser. Des yeux en amande, des cheveux noir corbeau coiffés en palmier, une salopette mauve et un doudou-licorne rose entre les mains. La petite ne bougeait pas d’un pouce, sage comme une image. Mais en croisant son regard, Rachel put clairement y lire la peur.

L’imposante albinos franchit tout doucement la porte, bras bien en évidence, referma derrière elle puis vint se positionner contre le mur, entre la porte et la fenêtre, sans s’approcher davantage du comptoir. Elle dédia un sourire rassurant au duo qui lui faisait face une demi-douzaine de mètre plus loin. Tant pour rassurer la petite que le forcené. Surtout, éviter tout comportement qui puisse faire dramatiquement basculer la situation.

Tout en se déplaçant, Rachel tenta de mettre de l’ordre dans ses idées. Elle ignorait comment on était censé procéder dans ce genre de situation. De toute évidence, la première priorité, c’était que le canon de l’arme cesse d’être pointé sur l’otage. C’était là-dessus qu’il fallait qu’elle se concentre en premier lieu. Ensuite, parvenir à la faire relâcher. Et après… Et bien, on aurait bien le temps d’aviser lorsqu’on y serait.

« Bien. Je suis l’officier Rachel Syracuse, commença tout doucement l’imposante albinos. Et vous, qui êtes vous ?
_ Vous n’avez pas besoin de le savoir ! Affirma le forcené. Dites ce que vous avez à dire puis partez !
_ Vous n’avez pas besoin de me donner votre vrai nom si vous ne le désirez pas, affirma Rachel avec douceur. Mais j’ai besoin de savoir comment vous appeler. Un pseudo, un nom de code, n’importe quoi fera l’affaire. Comment souhaitez-vous que je vous appelle ?
_ Je… Heu… Black ! Black, ça fera l’affaire, répondit le jeune homme – sa voix partait tellement vers les aiguës que l’imposante albinos se demanda un instant s’il posait une question.
_ Très bien, assura Rachel. Enchantée, Black. Vous pouvez m’appeler Rachel, si vous le souhaitez.
_ Arrêtez votre cirque ! Hurla le forcené. On a pas de temps à perdre avec ces conneries ! Jouez pas aux cons avec moi !!
_ Désolée, Black, mais ce sont tout sauf "des conneries", réfuta fermement l’imposante albinos. La politesse est la base de la civilité et du respect d’autrui. Et dans une situation où une arme se retrouve pointée sur une enfant, je pense que nous avons besoin de nous raccrocher à toute forme de civilité pour éviter qu’un horrible accident ne survienne malencontreusement. »

Black lui jeta un regard troublé, ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais se tint coi, les lèvres frémissantes. Son regard revint sur la petite, il s’humecta nerveusement les lèvres. Sa main armée tremblait légèrement. Finalement, il reporta son attention sur l’imposante albinos et raffermit l’emprise sur son arme.

Bon, à tout le moins, il était mal à l’aise avec le fait de menacer une enfant, preuve qu’il devait avoir encore quelques notions de morale, songea Rachel. Mais il voyait dans la notion d’otage son seul bouclier face à la Marine. Ce n’allait pas être simple de la lui faire relâcher. Elle pouvait lui donner sa parole sur tout ce qu’il voulait, tant qu’il ne la croirait pas, il n’abandonnerait pas son unique assurance-vie.
Un objectif à la fois. D’abord, lui faire retirer cette vilaine arme de sur la tête de la gamine. La confiance viendrait en son temps après ça. Certes, Rachel était à peu près certaine que Black n’irait pas tirer sciemment sur la petite. Mais le forcené était à cran, proche de craquer et il suffisait d’un doigt un tout petit peu trop nerveux pour que les choses évoluent même contre sa volonté.

« Bien, je vous écoute, Black, annonça aimablement l’imposante albinos. Quelles sont vos revendications ?
_ Que… Mes revendications ?
_ Oui, qu’est-ce que vous espérez obtenir de tout ceci ? Lui demanda Rachel. Moi, je n’ai qu’une revendication : je veux qu’on s’en sorte tous sans dommage. Et plus particulièrement la petite. Et vous, que voulez-vous ?
_ Je veux… Je veux un moyen de partir ! Affirma Black. Je veux un bateau et je veux pouvoir partir sans qu’on me poursuive !
_ Hmmm, je n’ai vu aucun navire à quai en arrivant, pointa l’imposante albinos. Ceux du village doivent être tous de sortie pour une raison ou une autre…
_ Je le sais, ça !! Beugla le forcené. Alors c’est pour ça qu’on va rester comme ça jusqu’à ce qu’ils reviennent !
_ D’un autre côté, que feriez-vous d’un navire digne de ce nom ? Fit mine de se demander Rachel. Ils sont trop gros pour pouvoir être manipuler aisément par une unique personne… En revanche, il n’en va pas de même pour la petite barque à voile par laquelle je suis arrivée ici.
_ Une… Une barque à voile ?
_ Cela vous ferait même d’une pierre-deux coups : si vous partez avec mon moyen de transport, je n’aurais plus aucun moyen de vous poursuivre, vous seriez tranquille, souligna l’imposante albinos d’un sourire. Cette issue vous satisferait-elle ?
_ Je… C’est quoi, le piège ? S’inquiéta Black.
_ Pas de piège, c’est promis, affirma Rachel. Une condition, néanmoins : vous relâchez la petite.
_ Hors de question ! Rétorqua le forcené avec véhémence tout en raffermissant sa prise sur l’otage. Elle constitue mon unique assurance-vie alors elle reste avec moi jusqu’à ce que je sois hors de danger !
_ Et après ? Vous la relâchez en pleine nature après être arrivé à destination ? Souligna l’imposante albinos. Allons, Black, ce n’est qu’une gamine, comment vous figurez-vous qu’elle puisse rentrer par ses propres moyens ?
_ Si je la relâche, vous en profiterez pour m’abattre ! Vociféra le Révolutionnaire.
_ Ridicule, balaya Rachel. Je ne suis même pas armé, j’ai explicitement donné l’ordre à mes hommes de ne rien entreprendre et puis, sur le principe, je n’abats pas les gens qui ne représentent pas une menace. Vous n’avez rien à craindre de moi dès lors que vous ne menacez plus personne.
_ Du vent !! C’est votre job à vous, la Marine ! Avec les lois d’exceptions, vous avez ordre de nous abattre comme des chiens !
_ C’est vrai, Black, acquiesça l’imposante albinos. Les lois d’exceptions sont claires sur ce sujet. Et pourtant, vos autres compagnons ont bel et bien été capturés et non "abattu comme des chiens". C’est bien la preuve que la Marine dispose d’un certain degré d’interprétation et d’application de ladite loi.
_ Juste capturés ? Hésita un instant le forcené. M-Menteuse !! Comment pourriez-vous le savoir, d’abord ?!
_ Parce que c’est moi qui ait procédé à leur arrestation, déclara fermement Rachel. J’ai vaincu Kazumachi, j’ai capturé ses hommes et on a arraisonné sa caraque. Par contre, tout ce beau monde est sous le coup d’un acte d’accusation de piraterie, en ce moment.
_ Vous… Vous avez vaincu Kazumachi ? » N’en revint pas Black.

En même temps que l’incrédulité cédait le pas à la crainte dans le regard du Révolutionnaire, qui réalisait qu’il faisait face à quelque chose de suffisamment dangereux pour écraser un Valet, sa main armée bougea sensiblement pour se mettre à pointer vers l’imposante albinos. Rachel retint un sourire de satisfaction alors qu’elle venait de remplir le premier objectif qu’elle s’était fixée. Même si d’un point de vue très personnel et hautement égoïste, elle ne se félicitait pas d’être maintenant dans la ligne de mire du Révolutionnaire, au moins avait-elle vu juste : les gens qui tiennent une arme ont toujours tendance à la pointer sur ce qu’ils identifient comme étant la menace la plus prégnante.
De ce point de vue, une gamine de quatre ans ne faisait clairement pas le poids face à un officier de la Marine chevronné.

Bon, étape deux, désamorcer la crise.

« Je maintiens mon offre, Black, reprit Rachel. Vous libérez l’enfant et je vous laisse filer avec mon embarcation. L’échange est honnête, vous ne trouvez pas ?
_ Je… hésita le forcené. Pourquoi vous feriez ça ? Je suis un Révolutionnaire, pourquoi vous me laisseriez filer ?
_ Au risque de vous paraître affreusement méprisante, vous n’êtes que du menu fretin, pointa l’imposante albinos. Que vous filiez ou non ne pèsera pas lourd dans le conflit qui oppose la Révolution à la Marine. Prendre le risque de pertes civils juste pour vous ajouter à mon tableau de chasse ? Non, désolée, mais le jeu n’en vaut pas la chandelle. En revanche, céder une barque pour sauver et protéger un civil à coup sûr, là oui, c’est une perte que je suis prête à payer sans la moindre hésitation.
_ Vous… vous voulez dire…
_ L’enfant contre ma barque. Pas de poursuite, pas de bagarre. Tout le monde s’en sort sans dommage. »

Black se passa nerveusement la langue sur les lèvres tandis qu’il soupesait l’offre. Rachel observa attentivement la main armée du forcené. Celle-ci se relâcha, l’arme dévia sans plus vraiment pointé quoi que ce soit. Bien : le Révolutionnaire ne s’en était pas encore rendu compte mais sa décision était en fait déjà prise.

Des éclats de voix retentirent sur la place. Une voix féminine pleine de détresse auquel répondait la grosse voix bourru de Jürgen.
Black sursauta.
Détonation.

Avant même que l’écho du tir ne se soit éteint, Rachel entra en action, déverrouillant d’un geste la fenêtre sur sa droite et se pencha à demi en travers, levant la main droite en signe d’apaisement.

« Fausse alerte ! Fausse alerte ! Le coup est parti tout seul, c’était un accident ! Personne n’est blessé, tout va bien ! Que tout le monde tienne son poste dans le calme ! »

Le sergent Krieger, qui empêchait une jeune femme d’approcher de l’épicerie – sûrement la mère de la gamine – hocha vigoureusement la tête. Mais Rachel n’avait même pas attendu sa réaction pour s’abriter à l’intérieur. D’abord, parce qu’elle avait une confiance absolue dans l’obéissance de Jürgen. Ensuite parce qu’elle ressentait le besoin irrépressible de plaquer sa main sur son cœur alors qu’une douleur terrible explosait dans sa poitrine.

Elle était touchée. Black lui avait tiré dessus. Sans le vouloir. Sans la viser. Par accident.

Bordel, elle l’avait tellement pas vu venir, celle-là.


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La douleur enfla, balayant tout sur son passage, jusqu’à occulter le monde tout autour de Rachel. La jeune femme serra convulsivement les dents pour s’empêcher d’hurler sa souffrance. Ça ne ferait qu’alarmer ses Marines dehors et elle ignorait les conclusions qu’ils en tireraient. Elle devait faire face. En silence.

S’apercevant subitement que le choc lui avait en fait coupé la respiration, Rachel s’efforça d’inspirer un grand coup pour essayer de passer outre le supplice. Ce fut encore pire, comme si quelque chose se déchirait physiquement dans sa poitrine. Pendant une fraction d’éternité, la souffrance la submergea, noyant de nouveau ses perceptions. Un grondement étouffé de douleur et de colère mêlées s’échappa de sa gorge. Des points noirs apparurent devant ses yeux, avant de se mettre à danser et à grossir. Elle suffoquait. Respirer. Vite !

L’imposante albinos se concentra, tentant d’endiguer au mieux la douleur pour reprendre le contrôle de son corps. Cette fois-ci, elle entreprit d’inspirer progressivement, tout doucement. La souffrance monta crescendo. Rachel relâcha sa respiration avant que la douleur n’atteigne le point d’explosion, expirant rapidement avant de reprendre de nouveau une faible inspiration. Voilà, respirer, tout doucement, sans aucune amplitude. Là, c’était supportable.

Les tâches noirs commencèrent à refluer devant ses yeux. Ses sens lui revenait. Elle posa son regard sur sa main, toujours plaquée contre la blessure. Le sang dégoulinait au travers de ses doigts. Au prix d’un immense effort de volonté, elle se résolut à retirer un instant la paume pour observer la blessure. Même avec tout ce sang qui en dégueulait, noyant les détails, ça n’était pas joli-joli à voir. Rachel pressa de nouveau la blessure, espérant pouvoir endiguer le flot d’hémoglobines et faciliter la coagulation.

Bon, la bonne nouvelle, décida l’imposante albinos, c’est qu’elle n’était pas morte. Ce n’était visiblement pas passé loin, mais son cœur n’avait pas été touché, il battait toujours. La mauvaise, c’est que ce n’était peut-être pas passé si loin que ça. Elle dégustait. Méchamment. La souffrance continuait d’irradier, à peine soutenable.

Rachel cligna des yeux, chassant les larmes de douleur qui avaient commencé à poindre, et tâcha se concentrer sur le monde présent. Black se tenait toujours devant elle, près du comptoir-caisse, le teint livide, la bouche béante, tétanisé par ce qui venait de se passer, son colt encore fumant en main. Près de lui, la petite otage serrait désespérément son doudou contre elle, visiblement terrifiée. N’ayant ni le temps ni la capacité de réfléchir à une nouvelle stratégie, l’imposante albinos décida de coller vaille que vaille à son plan initial et de mettre à profit la situation.

« Black, croassa laborieusement Rachel en tentant de reprendre le contrôle de sa gorge, relâchez la gamine.
_ …, la dévisagea le forcené encore en état de choc.
_ Reprenez-vous ! Siffla rageusement l’imposante. Il faut libérer la petite. Maintenant !
_ Mais… pourquoi… ?
_ Vous avez tiré, répliqua la jeune femme. Les gens doivent être alarmés. Si rien n’évolue… –  Rachel dut s’interrompre le temps de digérer laborieusement une pointe de douleur. Sous l’effort, la sueur se mit à perler sur son visage – si rien n’évolue, mes hommes vont s’inquiéter. Et ils vont vouloir passer à l’action. Laisser filer la gosse.
_ Mais je… !
_ Vous n’en avez plus l’usage, gronda l’imposante en essayant de garder un ton persuasif. Je vaux plus qu’elle. Vous craignez quoi ? Que je traverse la pièce pour … pour vous sauter dessus en un clin d’œil ? Dans mon état ? Je suis à votre merci. Vous le savez. Vous n’avez plus besoin … besoin de cet enfant. Relâchez-là. »

Black restant interdit, les bras ballants. Merde, ses neurones ne connectaient plus.

« Approche, petite. » intima Rachel avec toute l’autorité dont elle était capable.

L’enfant n’hésita qu’un bref instant avant de s’approcher en tremblant de l’imposante albinos.

« Bien. Très bien, l’encouragea Rachel d’une voix plus douce. Approche. N’aie pas peur. … Comment tu t’appelles, petite ? Lui demanda-t-elle lorsqu’elle ne fut plus qu’à cinq pas.
_ Je m’appelle Kusada, madame. »

La jeune femme le savait déjà, mais sa question n’avait eu d’autre but que de faire parler la gamine. Rassurer, dialoguer, briefer.

« Tu saignes, madame. Ça fait mal ? Demanda la petite.
_ Perspicace, hein… Non, ça picote juste un peu, assura Rachel en se forçant à lui sourire.
_ Ah bon ? Fit Kusada, visiblement peu convaincue.
_ Qu’est-ce que tu fais, toi, quand tu as mal ? Lui demanda gentiment l’imposante albinos.
_ Ben je pleure et j’appelle ma maman.
_ J’ai l’air de pleurer ? Releva Rachel, tout sourire.
_ Naaan ! Répondit la petite en lui rendant son sourire complice.
_ Super ! Bon… Écoute, Kusada, tu vas pouvoir sortir retrouver ta mère, d’accord ? Mais avant ça… avant ça, il faut que tu me promettes de dire à personne que je saigne, signala l’imposante albinos.
_ Pourquoi ? Demanda innocemment la petite.
_ Parce que sinon, mes amis vont s’inquiéter et faire des bêtises. Alors… alors tu ne dois rien dire à personne.
_ Comme pour une surprise ? S’illumina Kusada.
_ Heu… Oui, voilà, comme une surprise, acquiesça Rachel en tâchant de cacher son air las. Écoute, si on te demande ce qui se passe ici, tu leur diras… leur diras que je t’ai dit de dire que tout va bien et que je continue comme prévu. D’accord ? Tu sauras t’en souvenir ?
_ Ouiiiii ! Répondit joyeusement Kusada.
_ Super, c’est très bien, affirma l’imposante albinos. File maintenant. Et n’oublie pas de refermer la porte derrière-toi, hein… »

La petite Kusada acquiesça d’un grand mouvement de tête avant de trottiner à toute vitesse jusqu’à la porte. Elle était si petite qu’il lui fallut se hisser sur la pointe des pieds pour atteindre la poignée. Elle entrouvrit, se faufila par l’entrebâillement, repassa sa tête et une main pour saluer Rachel (« Aur’voir madaaaame ! ») et s’en fut, non sans refermer consciencieusement la porte derrière elle comme on le lui avait dit.

Peu après, des cris retentirent. Des éclats de joie. La famille était réunie.

Rachel se laissa glisser au sol, les jambes coupées par la douleur, laissant derrière elle une traînée écarlate sur le mur. La balle l’avait transpercée de part en part. La jeune femme décida de s’auto-persuader que c’était une bonne chose : on disait toujours que c’était pire si la balle restait à l’intérieur, non ?

Une nouvelle onde de souffrance irradia de sa poitrine, toujours plus forte, menaçant de tout engloutir. Au moins, la gamine n’était plus là et Rachel n’avait plus à faire semblant que tout allait bien. Elle ne se préoccupa plus guère de retenir ses geignements et ses grimaces, concentrée tout entière sur le fait de surnager au-dessus de cette douleur. L’angoisse l’assaillait, maintenant. Elle avait peur de ce que cette douleur signifiait. Peur de ce que capituler face à la douleur impliquait. Elle n’avait jamais eu mal comme ça. Jamais à ce point.

« Non, non, non, n’importe quoi, murmura l’imposante albinos entre ses dents serrés pour conjurer la panique. C’est juste un petit bobo de rien du tout, comme j’en ai déjà eu plein.
_ Pardon ? Vous avez dit quelque chose ? »

Rachel cligna des yeux. Black. Oui, il était toujours là.

« Rien, éluda l’imposante albinos. Dites-moi plutôt pourquoi vous avez rejoint la Révolution.
_ Que… ? Pourquoi ça ?
_ Vous m’avez tiré dessus, alors vous pouvez bien m’aider à penser à autre chose, au moins ! Cracha hargneusement Rachel. Je déguste, moi, merde !
_ Heu… oui, bien sûr. »

Bon, Ok, ce n’était ni très juste de se défouler sur lui, ni très honnête d’accentuer sa culpabilité, mais, parfois, nécessité fait force de loi : là, Rachel estimait qu’elle avait vraiment besoin d’un dérivatif à sa douleur et ses angoisses.

« Je sais pas trop quoi vous dire… hésita Black. C’est un peu ridicule, en fait… Je voulais… Je voulais me battre pour changer le monde, si vous voulez vraiment le savoir.
_ Un objectif plutôt noble, répondit distraitement Rachel en jetant un coup d’œil à sa blessure – le sang coulait moins vite ou bien c’était juste qu’elle se faisait des idées ? – Qu’est-ce que vous vouliez changer ? Continuez de parler, vous voulez ?
_ Ben… Ch’ais pas trop, à vrai dire, avoua le forcené. C’est juste que le monde est vraiment un endroit pas terrible, surtout dans certaines îles. Je voulais construire un monde meilleur, où il ferait bon vivre pour tout un chacun, où qu’il soit. En faire un lieu de paix et d’harmonie.
_ Ce n’est pas ridicule du tout, affirma l’imposante albinos. Au contraire, c’est une motivation que je comprends très bien : c’est exactement pour ça que j’ai moi-même rejoint la Marine…
_ Sérieux ? N’en revint pas Black.
_ Quoi, ça vous étonne ?
_ Je ne pensais pas avoir le moindre point commun avec des Marines. Vu comme on se déteste, je pensais que tout nous opposait…
_ Je ne hais pas la Révolution, soupira Rachel d’une voix lasse – tant qu’elle ne bougeait pas, la douleur se faisait plus diffuse, maintenant ; presque supportable, en fait – Au contraire, vous aussi vous battez pour un noble idéal et c’est quelque chose que je respecte. Le fait que nous soyons adversaire n’y change rien. En réalité, Je me sens plus proche de vous que d’un agent du Cipher Pol, par exemple.
_ Mais qu’est-ce que vous fichez dans la Marine si vous souhaitez la même chose que la Révolution ? S’étonna le révolutionnaire.
_ Même si nous poursuivons le même but, les moyens que nous nous fixons pour y arriver diffèrent, explicita l’imposante albinos d’une voix pâteuse. Je pense que s’il faut corriger des choses, alors il est préférable d’essayer de les changer de l’intérieur, pas à pas, pour les orienter progressivement dans la bonne direction. Alors que vous, les révolutionnaires, vous appelez de vos vœux un changement radical depuis l’extérieur du système quitte à le faire s’effondrer. En définitive, personne ne peux dire laquelle de ces deux méthodes est la meilleure, hormis peut-être de futurs historiens. Moi, je sacrifie le présent afin de parier sur le futur, tandis que vous pariez sur le présent quitte à sacrifier le futur…
_ Comment ça ? Lutter contre le joug du GM est le moyen le plus rapide pour changer les choses ! Affirma Black.
_ Le plus rapide mais aussi le plus risqué, déclara doucement Rachel alors que ses paupières se faisaient de plus en plus lourde. Quoi qu’on en pense, le GM est parvenu à instaurer une paix mondiale en établissant son hégémonie sur les différents Royaumes. En tentant d’ébranler cette hégémonie, la révolution va fracturer le monde en deux : des Royaumes soutiendront le changement, d’autres resteront fidèles au Gouvernement… Il sera alors inévitable qu’ils s’arment et s’affrontent directement, déclenchant une ère de guerre totale comme on en a encore jamais connue. Peut-être que la Révolution l’emportera à terme. Et peut-être que ce qui en résultera sera effectivement un monde où il fera bon vivre partout, pour tous. Mais à quel prix ? Combien de massacres, combien d’horreurs ? Pourra-t-on réellement bâtir un monde de paix sur autant de sang et de cadavres ? Moi, ça me parait un prix à payer bien trop lourd pour un pari aux résultats des plus hasardeux. Je ne peux ni m’y résoudre, ni le laisser faire, c’est aussi simple que cela… »

Un lourd silence s’abattit après la déclaration de la jeune femme. La fatigue l’engourdissait, anesthésiant la douleur. Un petit somme lui ferait le plus bien grand, songea-t-elle. Elle ne l’avait pas volé, après tout, non ?
Un ricanement sordide la rappela à la réalité. Black riait, mais sans une once de joie. Il n’y avait rien de joyeux dans cette hilarité mortifère, lourde d’un écho désespéré.

Rachel s’ébroua. Un dard de douleur intense la transperça aussitôt, chassant le voile léthargique qui l’avait enveloppé tantôt. Serrant les dents, l’imposante albinos s’en servit pour nourrir sa hargne et sa colère. C’était vraiment pas le moment de glandouiller comme une cruche, bordel ! Elle avait encore une mission à remplir !

« C’est drôle, je n’avais jamais réfléchi jusque-là, avoua Black entre deux rires tourmentés. Je m’étais toujours dit qu’on renverserait un jour le GM mais je ne m’étais jamais figuré ce que ça pouvait impliquer. C’est dingue. Protéger les gens ? Haha, on prépare juste le plus gros génocide de l’Histoire, en fin de compte. Trop drôle.
_ Hé, rien ne dit que ça se passera forcément comme ça, tenta de l’apaiser Rachel. Vos chefs doivent sûrement préparer des plans pour éviter ça.
_ Nos chefs ? Releva le forcené en pouffant. Moi, je pense qu’ils s’en contre-fichent… Ce ne sont que des bâtards sans foi ni loi !
_ Heu… Pardon ?
_ Vous saviez qu’ils négocient des alliances avec les pirates ? avoua Black avec un sourire sans joie. L’ennemi de mon ennemi est mon ami, je suppose. Mais comment peut-on s’allier avec des types qui tuent, pillent, violent et massacrent à tour de bras les innocents ? Je veux bien qu’on soit ennemis avec la Marine ; mais vous, au moins, vous protégez et respectez les civils. On peut pas vous mettre sur le même plan que les pirates. Traiter avec eux, c’est cautionner leurs agissements ! Ça m’a tellement rendu malade quand je l’ai appris. Mais vous savez ce qui est le plus drôle, dans tout ça ?
_ Heu… Non, mais…
_ Je ne vaux pas mieux qu’eux ! Clama le forcené avec une ferveur malsaine. Regardez-moi, j’ai grillé comme un con ma couverture dans un village paumé et quelle a été la première chose qui me soit passée par la tête ? Mais oui, prendre un civil un otage ! Exactement !!
_ Black, je crois qu’il serait préférable de vous calmer, insista Rachel d’un ton persuasif.
_ Me calmer ? Ricana le jeune homme avec une telle note de désespoir dans la voix qu’elle fit frisonner l’imposante albinos. Mais je suis calme. Ha ha, je n’ai jamais été aussi lucide… J’ai misé ma vie sur une cause sans issue, j’ai servi des connards qui n’en ont rien à carré des gens, j’ai menacé de simples civils innocents que j’avais juré d’aider et puis j’ai abattu un officier de la Marine pour faire bonne mesure.
_ Hé, je ne suis pas encore morte ! Allons, je suis bien placée pour savoir que vous n’avez pas réellement voulu me tirer dessus, affirma Rachel.
_ Toute ma vie n’est qu’un putain de gâchis, cracha sombrement Black. J’ai tout bousillé…
_ Personne ne sait de quoi demain sera fait, tenta l’imposante albinos. Il faut garder espoir et…
_ Espoir !? Quel espoir ? Ricana de plus belle le jeune homme. Je suis un révolutionnaire avéré, le monde entier veut ma mort. Et après avoir tué un officier, la Marine va me traquer sans relâche jusqu’à m’avoir !
_ Oui, alors je vais très égoïstement partir du principe que je vais survivre, moi, hein…
_ Je n’ai plus aucun échappatoire, en définitive, murmura le révolutionnaire en fixant son pistolet.
_ Non, non, non, Black, soyez gentil de poser votre arme, vous n’êtes pas dans votre état normal ! Ordonna Rachel en ramenant laborieusement ses jambes sous elle pour se relever.
_ Vous êtes quelqu’un de bien, officier. Je regrette sincèrement de vous avoir tiré dessus, fit Black en lui jetant un regard désolé.
_ Black, arrête tes conneries et pose tout de suite ce flingue ! Gronda l’imposante albinos.
_ Adieu, officier ! » Salua le jeune homme en portant le canon à sa tempe.

Doigt qui presse la détente. Choc violent qui secoue tout le corps du révolutionnaire.
Mais pas de détonation.

Rassemblant toutes ses forces, Rachel avait bondi sur Black et enserré sa main droite sur le barillet du colt, empêchant sa rotation et donc la mise à feu de la munition – une astuce que le sous-lieutenant Severn lui avait montré à la dure, dans l’Arène d’Hexiguel.

L’imposante albinos eut le temps d’arracher rageusement l’arme de la main du révolutionnaire avant que la douleur ne la rattrape et ne l’écrase impitoyablement. Avant même de s’en rendre compte, Rachel s’était déjà effondrée à terre, se recroquevillant sur elle-même, jurant et grognant de douleurs, les larmes aux yeux.
Lorsque l’atroce douleur commença à refluer, la jeune femme roula sur le dos. Son bras gauche ne lui répondait plus du tout. Et la tête lui tournait. Quelle quantité de sang un être humain pouvait bien perdre avant d’y rester ? Rachel l’ignorait mais décida de façon très optimiste que puisqu’elle était plus massive que la moyenne, elle pouvait sûrement se permettre d’en perdre en peu plus que les autres, pas vrai ?

Elle s’aperçut que Black était en train de parler. La boulette. À trop s’occuper d’elle-même, elle l’avait négligé. Vraiment pas le moment.

« Désolée, tu peux répéter ? murmura doucement Rachel.
_ Pourquoi vous avez fait ça ? Redemanda Black tout bas. Ç’aurait définitivement réglé tous les problèmes.
_ T’as pas écouté : j’ai dit que ma priorité, C’était qu’on s’en sorte tous sans dommage… marmonna l’imposante albinos. Bon, moi, c’est un peu raté, j’avoue…
_ À quoi bon ? Y’a plus d’espoir pour moi. Je ne veux pas passer le restant de mes jours en prison ! Vous auriez du me laisser mourir ! Geignit le révolutionnaire.
_ T’es vraiment trop con, lâcha très diplomatiquement Rachel. T’as foiré ta vie, alors hop, terminus ? Hé, ho : t’as quel âge ? Vingt piges ? Dix-neuf ?
_ Presque dix-huit.
_ Génial, dix-sept, quoi… Statistiquement, t’as donc encore quarante à soixante ans pour rectifier le tir, grommela l’imposante albinos. T’as de quoi faire, non ? Si t’estimes que t’as pris la mauvaise voie, ben t’as juste à rebrousser chemin et tenter autre chose.
_ Genre, vous pensez que c’est aussi simple ? Fit Black, sans pouvoir empêcher une note d’espoir de teinter sa voix.
_ Genre, je sais que c’est aussi simple, affirma Rachel.
_ Vous… vous étiez une révolutionnaire ?
_ Du tout, non. Y’a quelques années, j’étais… j’étais qu’une brute qui écrasait tout sur son passage, chuchota l’imposante albinos. Je me fichais pas mal d’autrui si je ne les connaissais pas ; et ce qui pouvait leur arriver m’importait peu. À l’époque, j’aurais juste pris d’assaut l’épicerie pour te défoncer et au diable l’otage. Mais un jour, Vict… Quelqu’un m’a fait prendre conscience d’à quel point j’étais à côté de la plaque. Alors j’ai décidé de changer. Tu peux constater le résultat…
_ Ben ç’a pas l’air de vous avoir vraiment réussi, là tout de suite… fit Black avec un pâle sourire.
_ Ha ha harrgh… Me fait pas rire, putain, ça fait atrocement mal. Ce que je peux te dire, c’est que pour peu que tu veuilles sincèrement changer, tu trouveras toujours des gens prêt à te tendre la main et à t’aider. Et je suis certaine que je ne serai pas la seule.
_ Alors quoi… Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? Voulut savoir le jeune homme.
_ Tu me fais confiance ? S’enquit doucement Rachel.
_ Oui, répondit sans hésiter Black.
_ C’est réciproque : tiens ! Fit l’imposante albinos en faisant glisser le colt aux pieds du révolutionnaire. Tu vas aller jusqu’à la porte, balancer ton flingue dehors et annoncer à mes gars que tu veux que le Maire nous rejoigne pour que tu négocies les termes de ta reddition.
_ Et après ?
_ Après, on discute des termes de ta reddition avec le Maire, répéta la jeune femme. Suis un peu, quoi…
_ Très bien, je vous fait confiance, acquiesça Black avant de se mettre en branle.
_ Allez, t’inquiètes, je suis avec toi, je vais pas te laisser tomber maintenant, affirma Rachel. Mais si on pouvait accélérer un peu, je crois que j’ai besoin de voir un médecin rapidement, en fait… »
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« Mon lieutenant ! » Appela l’adjudant Marlow dans les couloirs de la forteresse d’Hexiguel.

Rachel se retourna tout doucement pour faire face à son subalterne et ne manqua pas la légère hésitation qui grippa son pas lorsque celui-ci l’aperçut. Pour s’être contemplée dans un miroir, l’imposante albinos savait que le spectacle n’était effectivement pas très joli à voir.

Son uniforme, toujours percé à la poitrine, là où la balle l’avait transpercée, était maculé de sang séché. L’énorme tâche sombre bavait jusqu’à la ceinture, vestige de lorsqu’elle s’était tenu droite, mais s’étalait aussi largement sur le flanc, rapport au moment où elle s’était retrouvée à terre. Elle avait même du sang collé aux cheveux, sur tout l’arrière du crâne : elle avait laissé une traînée sanguinolente quand elle avait glissé le long du mur pour s’asseoir  et sa tête avait baigné en plein dedans.
Sa peau, d’ordinaire déjà très pâle du fait de sa carnation naturelle, était presque devenue translucide des suites de l’hémorragie : les veines la marbrait de bleue et d’énormes cernes violettes s’étaient faites jour sous ses paupières. Nul besoin d’une imagination débordante pour que le concept de cadavre ambulant ne vienne à l’esprit de ceux qui la voyait.
Enfin, si son uniforme cachait l’épais bandage qui lui ceignait maintenant la poitrine, l’écharpe qui maintenait son bras gauche en bandoulière et sa démarche traînante et circonspecte trahissaient la présence de sa blessure.

Malgré son état, Rachel se força à réceptionner son timide subalterne avec un sourire encourageant.

« Adjudant Marlow, l’accueillit-elle d’un hochement de tête.
_ Mon lieutenant, répéta Edwin en la saluant derechef. Je vous cherchais. Heu… Mais à l’infirmerie… parce que vu votre état… enfin… hum…
_ Tout va bien, comme vous pouvez le voir, assura gentiment Rachel. ’fin, en gros, vous focalisez pas sur les détails. Les médecins m’ont autorisée à sortir du moment que je me reposais au calme.
_ Ah. Heu… Mais du coup, que faites-vous dans le couloir du colonel ? Objecta l’adjudant en fronçant des sourcils.
_ Je vais lui faire mon rapport, pardi, souligna l’imposante albinos avec évidence. Après tout, je suis rentrée de mission.
_ Mais… les médecins n’ont pas dit… ’fin… vous savez ?
_ Je ne vais faire que discuter, où est le mal ? Assura Rachel avec un sourire. Après tout, qu’est-ce qu’on est en train de faire, là ?
_ C’est méchant, je peux plus rien objecter, là !
_ ‘faut savoir avoir réponse à tout quand on est officier. Vous apprendrez. Vous vouliez me voir pour quelque chose… ? Relança l’imposante albinos avec douceur.
_ Heu… oui ! Alors voilà, pendant que vous faisiez votre détour à Rosac, on a terminé de bidouiller l’Arène, expliqua l’adjudant. J’ai vu avec les Parieurs et ils sont d’accord pour que je la présente en avant-première à notre compagnie. Et… heu… ben comme tout le monde était super inquiet… je… je me demandais si c’était envisageable… q-qu’on mange là-bas tous ensemble, comme à l’époque du Piton Blanc. Pour… pour rassurer les gars sur votre état. Parce… Parce qu’on était…  mort d’inquiétude. À vrai dire. Nous tous. Et les cuisiniers ont donné leur accord, hein, ça ne leur posera aucun problème ! »

Rachel ne put réprimer un sourire. Les Parieurs, le groupe d’ex-Marines qui avait la gestion de l’Arène d’Hexiguel, étaient venus supplier Edwin pour qu’il mette ses talents de bricoleurs de génie à leur service pour améliorer les lieux : une occasion en or s’était présentée après le combat infructueux de Rachel pour arracher le titre de la Reine l’Arène, qui s’était soldé par la destruction d’une large partie de la scène ainsi que des gradins attenants. Bien évidemment, l’adjudant Marlow ne s’était pas fait prier : il aimait bricoler, il aimait aider les gens, alors bricoler pour aider les gens…

N’en restait pas moins que les Parieurs estimaient avoir une dette éternelle envers le jeune homme qui avait permis de concrétiser leurs rêves les plus fous. Edwin aurait pu tout leur demander – et les Parieurs n’étaient pas dénués de ressources, loin s’en fallait. Mais visiblement, la seule chose qui était venu à la tête du jeune homme, c’était un service qui ne coûtait rien aux Parieurs. Et ce dans le seul but d’assurer le bien-être de la troupe, qui plus est. L’adjudant bricoleur semblait incapable de la moindre pensée égoïste, songea Rachel avec amusement, sans même faire une seule seconde le rapprochement avec l’exemple qu’elle-même donnait à ses hommes par son propre comportement.
Oui, Edwin Marlow était vraiment un type en or, se fit-elle la réflexion. Ce serait un crève-cœur de s’en séparer…

« Bien sûr, adjudant, lui répondit Rachel avec un sourire. C’est une excellente idée ! Et puis, c’est vrai que ça fait un moment que je n’ai pas pu manger avec toute la troupe en même temps. Moi aussi, ça me fera du bien, en fait.
_ Mais… heu… vous êtes certaine que ça va aller ? S’inquiéta Edwin. Avec votre blessure, j’veux dire.
_ Hé bien, je ne m’attarderai probablement pas jusqu’au bout de la nuit, signala facétieusement l’imposante albinos, mais tant qu’il s’agit de se poser, de manger et de papoter un brin, je devrais pouvoir tenir, pas d’inquiétude.
_ C’est-à-dire que… vous avez vraiment l’air crevé, tiqua l’adjudant. … Heeeeu, ‘fin, dans le sens de fatigué, hein, pas dans… Non. … Non, non ! Loin de moi l’idée… ‘fin, jamais je ne… Oh non non, je vous assure, je n’oserai pas ! »

La gêne terrible d’Edwin fit doucement glousser Rachel. Néanmoins, bien que maladroite, la remarque de l’adjudant tapait juste : l’imposante albinos s’était rarement sentie aussi fatiguée.
Rarement.
Pas jamais.
Et elle connaissait suffisamment bien ses limites pour savoir qu’elle était encore apte à tenir une poignée d’heures supplémentaires. Tout ce qu’elle aurait à faire, c’était de s’assurer de prendre congé de tout le monde avant de s’endormir sur place comme une masse. C’était tout à fait jouable.

« Ne vous inquiétez pas, affirma Rachel, je tiendrai, vous pouvez me faire confiance.
_ Bien sûr, opina Edwin. Après tout, vous avez du sang de géant dans les veines.
_ Pour la centième fois, je suis tout à fait humain, Edwin.
_ Les tout-à-fait-humains, ils restent à l’infirmerie, eux, mon lieutenant.
_ Têtu, hein…
_ Hum… Ben je vais tout préparer, alors, mon lieutenant, conclut Edwin. Heu… Avec votre permission, salua le jeune homme.
_ Un instant, adjudant Marlow, l’alpagua derechef Rachel avant que son subalterne ne puisse mettre les bouts.
_ Oui, mon lieutenant ? Se retourna aussitôt Edwin.
_ Avez-vous pris votre décision concernant l’offre de l’Ingénieure-Général Severn ? » Voulut savoir l’imposante albinos.

L’Ingénieure-Général Tatiana Severn n’était autre que la tante du sous-lieutenant Severn. À l’occasion d’une discussion, peu avant l’opération contre Barbe-de-fer, Rachel avait appris l’existence de celle-ci au sein de la Brigade Scientifique. Elle avait donc demandé au sous-lieutenant de sonder discrètement s’il existait des passerelles possibles entre la Régulière et la Scientifique : Edwin gâchait clairement son talent, ici, à Hexiguel. L’imposante albinos estimait que la Scientifique donnerait amplement au jeune homme l’occasion d’exploiter son génie inné du bricolage et d’y exprimer son plein potentiel créatif.
Quelques échanges par l’entremise du sous-lieutenant Severn et l’Ingénieure-Général Tatiana s’était montrée de suite ravie par le profil d’Edwin Marlow au point de lui offrir de rejoindre son laboratoire de recherche.

Ça, c’était pour la partie facile. En effet, Rachel connaissait suffisamment bien son adjudant pour savoir que le timide jeune homme ne sauterait jamais spontanément à l’aveugle dans un nouvel environnement. Elle avait donc entrepris de lui présenter les choses de façon progressive, afin de l’habituer en douceur à cette éventualité pour qu’il puisse s’en imprégner à son rythme. Néanmoins, le temps commençait à manquer…

« Hum… En fait, avoua l’intéressé, entre l’affaire de l’avant-poste révolutionnaire et la réfection de l’Arène, heu… Je n’ai pas vraiment pris le temps d’y réfléchir et hum… ’fin, y’avait beaucoup à faire, aussi, vous savez…
_ Marlow…
_ Non, non, mais maintenant qu’on a un peu d’accalmie, je vais y réfléchir sérieusement, promis, mon lieutenant ! Affirma l’adjudant.
_ D’accord, mais faites-le vraiment, insista Rachel. C’est important.
_ Oui, mon lieutenant, opina Edwin. Mais heu… Je croyais que vous aviez dit que rien ne pressait, que j’avais le temps, tout ça… ’fin, sans vouloir…
_ Je sais, je sais, admit l’imposante albinos en soupirant. Mais les choses pourraient bien s’accélérer, alors j’aurai aimé régler ça au plus vite.
_ Oh. Heu… Des problèmes en vue, mon lieutenant ? S’inquiéta Marlow.
_ … Nan, mentit Rachel. Nan, du tout. C’est juste que… c’est pas passé loin, cette fois-ci, fit l’imposante albinos en désignant sa blessure de son bras valide. Disons que ça remet les choses en perspective et que ça n’incite pas à laisser traîner inutilement les trucs qu’on pourrait régler de suite.
_ D’accord, je comprends, opina Edwin. Non mais je vous promets que je vais vraiment y réfléchir, mon lieutenant.
_ Je ne vous en demande pas plus, adjudant, lui répondit gentiment Rachel. Bien, on se retrouve tout à l’heure. Je vous laisse tout préparer.
_ Sûr, mon lieutenant, affirma Marlow. Je m’occupe de tout, vous n’aurez qu’à mettre les pieds sous la table ! »

Le jeune homme salua prestement et fila, le regard songeur de Rachel sur son dos. La jeune femme s’interrogeait. Elle ignorait sincèrement quelle décision Edwin prendrait. Et s’il refusait ? Il aurait peut-être d’excellentes raisons de le faire, mais peut-être aussi déclinerait-il simplement par peur ou par crainte de ne pas s’en sentir capable. Auquel cas, devrait-elle respecter son choix ou lui forcer la main pour son propre bien ?
Rachel se gratta la tête en soupirant. Quand elle avait accepté de devenir officier, elle avait pensé qu’il s’agissait juste de mener les gars à la bagarre et de tout faire pour les ramener en un seul morceau. Elle n’avait jamais songé une seule seconde qu’il lui faudrait aussi s’inquiéter de leur devenir et de leur carrière. Les choses semblait devoir se compliquer chaque jour davantage…

L’imposante albinos secoua la tête, remisant ces tracas dans un coin de son esprit. Ce n’était ni le moment ni le lieu pour se prendre la tête sur ces choses. Elle avait plus important à faire dans l’immédiat.

Rachel toqua doucement à la porte du bureau du colonel. La grosse voix du maître d’Hexiguel invita à entrer. La jeune femme s’exécuta.

Le bureau du colonel, tout en longueur, était un effroyable fatras de papiers, livres, cartes, porte-documents, feuilles volantes, avis de recherche, schémas et autres calepins griffonnés. Un impressionnant capharnaüm qui s’étalait où que le regard se pose. Les étagères sur les côtés étaient bourrées ras-la-gueule, leurs planches se déformant sous le poids et le volume de tout ce qui y avait été entassé de force. L’énorme table qui occupait la majeure partie de la pièce croulait sous des montagnes de paperasses qui arrivaient quasiment à hauteur de poitrine de la lieutenante. Le bureau du colonel lui-même, tout au fond, n’était pas en reste, copieusement noyé sous des centaines, voire des milliers, de documents divers et variés.

C’était là-bas que siégeait le colonel. Une carrure colossale, une imposante barbe touffue, un regard féroce, un sourire tout en dents, des bras noueux et particulièrement poilus… Le colonel Trévor évoquait immanquablement un ours à tout ceux qui le croisaient. Encore plus dans son bureau qui ressemblait à s’y méprendre à une tanière. Pourtant, en dépit de son aspect peu engageant, le colonel était quelqu’un de minutieux et d’accessible, comme s’en rendaient très vite compte tous les officiers d’Hexiguel.

Soucieuse d’éviter les cahots inutiles pour ménager sa blessure, Rachel progressa doucement jusqu’au bureau du Colonel avant de le saluer impeccablement.

« Mon colonel.
_ Bienvenue à la maison, Rachel, lui répondit chaleureusement Trevor. Allez, reste donc pas debout, prends-toi une chaise ! » Lui proposa l’officier d’un geste.

L’imposante albinos coula un regard vers la direction indiquée. En effet, coincée entre deux étagères, une chaise était présente contre le mur. C’était discret : une énorme pile de papiers était entassée entre ses pieds et ce n’était rien comparé au monticule ce qui se trouvait sur la chaise, suffisamment haut pour en occulter le dossier.

« Non mais t’as qu’à mettre tout ça sur la table, t’en fais pas, je rangerai plus tard, affirma Trevor.
_ … Haussa dubitativement un sourcil Rachel, tout en commençant à s’exécuter.
_ Oui, bon, d’accord, j’entasserai ça autre part plus tard, si tu tiens vraiment à jouer sur les mots. »

L’imposante albinos attrapa une première liasse de documents divers et la déposa avec précaution sur la montagne qui trônait sur la table. Mais dès la deuxième poignée, de petits éboulements de papiers se produisirent en divers endroits.

« Hum… Bon, ok, fous plutôt directement tout par terre, se ravisa finalement Trevor. Sinon ça va prendre des plombes, hein…
_ Oui, oui, des plombes, acquiesça Rachel, pas contrariante pour deux sous.
_ D’accord, d’accord, ça peut pas du tout tenir sur la table, je le reconnais. T’es quand même dur avec moi, je trouve.
_ Allons, je n’ai absolument rien dit, mon colonel. »

L’imposante albinos ne se fit pas prier, attrapa le dossier puis inclina la chaise, laissant tout le fatras posé dessus s’effondrer par terre. Après quoi, elle souleva la chaise, la posa devant le bureau du colonel et s’assit dessus, laissant involontairement échapper un soupir de soulagement. Elle avait beau dire, ça lui faisait rudement du bien de pouvoir s’asseoir.

« Sacrée blessure, commenta Trevor en fixant le trou dans l’uniforme de Rachel. Et du genre bien douloureuse, si je ne m’abuse.
_ Pas autant que le traitement qui s’en est suivit, avoua l’imposante albinos.
_ Tiens donc ? Fit le colonel, curieux.
_ Hé bien, Rosac ne dispose que d’un médecin de campagne alors hors de question de pratiquer une chirurgie pour s’occuper proprement les lésions, expliqua Rachel. Bizarrement, défoncer la cage thoracique pour accéder au cœur, ça ne s’improvise pas. Alors, à la place, il… il a chauffé à blanc une fine tige de métal et l’a faite passer par la plaie afin d’aller cautériser l’hémorragie interne. Sans anesthésie.
_ Ouch ! Grimaça Trevor.
_ J’ai perdu connaissance avant même qu’il n’ai fini et je suis restée inconsciente pendant la majeure partie du trajet de retour, admit l’imposante albinos. J’ai bien cru crever, sur le coup, en vrai.
_ Rude, reconnut le colonel. Enfin, tout ceci nous amènes donc à LA grande question… Qu’est-ce que tu fiches dans ce bureau ?
_ Je suis rentrée de mission, je viens donc vous faire mon rapport, mon colonel, répondit tout naturellement Rachel.
_ Nan mais au temps pour moi, j’suis pas clair quand je cause, reconnut Trevor. Je reformule : qu’est-ce que tu fiches dans ce bureau au lieu de te reposer à l’infirmerie ?
_ Je n’ai rien à faire à l’infirmerie puisque la blessure a été correctement traitée, répondit Rachel. D’après les médecins, je dois me tenir à carreau le temps que tout cicatrise bien proprement, quant à l’anémie, je dois juste bien manger et bien dormir dans les jours qui viennent. Et je compte bien m’y mettre dès ce soir, d’ailleurs.
_ Donc quand on te demande de te reposer, toi, tu files direct faire ton rapport au colonel ? Voulut vérifier Trevor.
_ Ma blessure ne m’empêche pas de parler, rétorqua l’imposante albinos.
_ Je comprends mieux pourquoi toi et Beth vous entendez comme larrons en foire, en fin de compte. D’accord, d’accord, capitula le colonel. Débriefons-donc… Au moins, comme ça, je pourrais peut-être comprendre comment t’as fait ton compte pour dégommer un Valet et en revenir indemne mais manquer de te faire abattre juste après par un simple rookie sur une île perdue.
_ C’était un accident, se défendit Rachel. Il ne me visait pas et il n’avait même pas l’intention de tirer… Comment j’aurais pu l’anticiper !?
_ On ne relâche jamais son attention devant une arme à feu, peu importe la situation ! La chapitra Trevor.
_ Maintenant, je le sais, oui, mon colonel, approuva l’imposante albinos. Et je ne suis pas près de l’oublier, vous pouvez me croire.
_ Bah, c’est comme ça que le métier rentre. Alors, et cette prise d’otage ?
_ L’otage a été libérée sans heurts, résuma sobrement Rachel.
_ Parfait, je n’en attendais pas moins de toi, affirma joyeusement Trevor. Et le preneur d’otage ?
_ Il n’est plus, admit l’imposante albinos.
_ Oh ? S’étonna le colonel. Tu l’a abattu ? J’aurais pas cru.
_ Non, mon colonel, rectifia Rachel. C’est le porte-flingue de Rosac qui en a disposé.
_ Le… Le porte-flingue ? De Rosac ? J’ai loupé un épisode ou bien ?
_ Le Maire de Rosac a récemment engagé un porte-flingue pour faire régner l’ordre et protéger l’île, expliqua l’imposante albinos. Il n’était pas là au début de la prise d’otage, mais il est arrivé pendant que je négociais et a pris les choses en main. Il n’est encore qu’à l’essai, mais je pense qu’il y a de bonnes chances pour qu’il devienne le shérif du coin.
_ Ah ben première nouvelle ! Aboya Trevor. Bon, ben faudra que je pense à mettre à jour mes infos concernant l’île, alors. Hum… Alors comme ça, ce vieux grigou a recruté un mercenaire, hein ? J’aurais pas cru ça de lui non plus, tiens… Mais du coup, si je comprends bien, la Marine n’a servi à rien dans cette histoire ?
_ Hé bien… non, admit Rachel. Au final, j’ai juste occupé le terrain "le temps de"… Tout le mérite revient finalement aux civils.
_ C’est le pompon, on a donc failli te perdre pour des prunes… Tu parles d’une mauvaise blague. Bien, bien, bien. »

Trevor se cala plus confortablement dans son fauteuil, caressant son opulente barbe d’un air songeur tout en posant son regard acéré sur l’imposante albinos, absolument impassible.
Finalement, il eut un petit reniflement et commença à farfouiller dans son tiroir.

« Une petite question, si tu me permets, Rachel ?
_ Bien sûr, mon colonel.
_ T’te façon, c’était rhétorique. Ce porte-flingue, t’en pense quoi ?
_ Plein de bonne volonté, désireux de bien faire et soucieux de protéger les gens, détailla l’imposante albinos. Il me semble être quelqu’un de fiable. Je pense qu’il est digne de confiance et fera le boulot correctement.
_ Ouais, je me disais… Ah, la voilà ! Triompha soudainement Trevor en tirant un bout de papier carré de son tiroir. Tu savais que le preneur d’otage était un des informateurs de Kazumachi, le Valet que t’as affronté ?
_ Oui, j’ai pu discuter un peu avec lui, acquiesça Rachel.
_ Hé ben figure-toi que l’agent du CP infiltré a eu la gentillesse de tous nous les prendre en photo, signala le colonel.
_ Ce qui aurait pu avoir un intérêt pour le débusquer avant, plutôt qu’après, mon colonel, fit remarquer l’imposante albinos.
_ Oui ben ça va, j’ai jamais dit que mon système de classement était infaillible, hein. Du coup, je me demande bien à quelle conclusion j’aboutirais si l’envie me prenais de comparer cette photo avec le visage de ce nouveau porte-flingue ? S’interrogea malicieusement Trevor tout en dardant un regard inquisiteur vers sa subordonnée.
_ Qu’il a un visage très commun ? Proposa Rachel en conservant une expression impénétrable.
_ …, la dévisagea le colonel en fronçant les sourcils.
_ …, soutint son regard la jeune femme, imperturbable.
_ Pfhfhfh… Pfhfhfh. Pohahaha ! Explosa de rire Trevor, hilare. POHAHAHA!! Un visage très commun… Pohahaha ! Ah, on me l’avait encore jamais faite, celle-là. Pohahaha ! Nan, mais je te fais marcher, Rachel, on a aucune photo, tu te doutes bien que le CP se préoccupe pas des quantités négligeables comme cet informateur. Pohahaha… Bon, allez, te fatigue pas plus, j’ai compris d’où qu’il vient, ton fameux porte-flingue. Bien essayé, cependant. T’es bien vingt ans trop tôt pour espérer apprendre des grimaces à vieux singe comme moi, va.
_ Mais… ça ne vous dérange pas ? S’enquit Rachel, soucieuse.
_ Ben non, tu me dis que t’as confiance et qu’il fera le job, moi je te crois, déclara le colonel. Pourquoi ça me dérangerait ?
_ Hé bien, certes, j’ai trouvé un arrangement, mais… les ordres… hésita l’imposante albinos.
_ Les ordres, c’était de régler la prise d’otage, ce que tu as brillamment résolu, résuma d’autorité Trevor. Les détails, c’est à ta discrétion.
_ Mais…
_ Écoute, Rachel, intima le colonel avec le plus grand sérieux. Visiblement, y’a un truc qu’Hendricks a oublié de te mentionner lors de ta promotion au grade de sous-lieutenant, alors laisse-moi mettre les choses au clair : tu ne fais plus partie du corps des sous-officiers mais du corps des officiers subalternes. À ce titre, on n’attend plus de toi que tu te contentes d’obéir simplement aux ordres, au contraire : on attend de toi que tu sois capable de faire preuve d’un minimum d’autonomie et d’esprit d’initiative. On te fixe des objectifs précis mais on te laisse toute latitude pour y parvenir. J’ai ordonné de régler cette histoire de prise d’otage, tu l’as fait par les moyens qui t’ont semblé le plus judicieux, je suis satisfait du résultat, mission réussie. On est d’accord ?
_ …, fit la moue l’imposante albinos.
_ On est d’accord ? Insista Trevor.
_ Heu… oui, mon colonel, répondit Rachel.
_ Pas assez de conviction, ça compte pas, décréta le gradé. ON EST D’ACCORD, LIEUTENANT ?
_ OUI MON COLONEL !
_ Ah ben tu vois que quand tu veux, tu peux.
_ Le volume sonore et la conviction n’ont rien à voir, mon colonel.
_ Mais bien sûr que si ; crois-en donc mon expérience. Bon, ben vas-y, raconte, comment ça s’est passé ? Voulut savoir Trevor.
_ Comment ça, comment ça ça s’est passé ? Buta Rachel, interloquée.
_ Oh ben dit, t’as quand même convaincu un révolutionnaire de changer de bord et le Maire de Rosac de l’accueillir dans sa communauté, ça mérite quand même mieux qu’un simple : "l’otage a été libérée sans heurts", tu crois pas ? La morigéna le colonel. Allez, je t’écoute et fais pas ta modeste, surtout. ’fin, bon, j’dis ça mais je commence à bien te cerner, va…
_ Il n’y a pas grand-chose à en dire, relativisa l’imposante albinos. J’ai approché le Révolutionnaire pour négocier la libération de l’otage, tout marchait plutôt bien jusqu’à ce qu’il me tire dessus par inadvertance. Là, j’en ai profité pour le forcer à libérer l’otage et puis on a discuté, tout simplement.
_ Tout simplement ? Dis, t’as une idée du nombre de Marines qui tatanent d’abord et discutent ensuite ? Avant même de se faire tirer dessus, j’veux dire.
_ J’ai fini par avoir la conviction qu’il avait rejoint la Révolution par idéalisme plutôt que par idéologie, poursuivit Rachel. Et qu’il était très déçu de ce qu’il y avait trouvé. Et comme je l’ai empêché de mettre fin à ses jours, je…
_ Pardon ? Tu lui as sauvé la vie !? N’en revint pas Trevor.
_ Bien sûr, je n’allais pas le laisser mourir en vain sous mes yeux ! Affirma l’imposante albinos.
_ Ben il t’a quand même tiré dessus, non ? Insista le colonel.
_ Et alors ? Ça n’a rien à voir, mon colonel, balaya Rachel. Pis en plus, il l’avait pas fait exprès. C’était un accident.
_ Ah non mais je suis juste impressionné par tant de magnanimité, c’est tout. Parce que clairement, moi, à ta place…
_ Bref, je l’ai convaincu de se rendre au Maire, continua l’imposante albinos. Ensuite, j’ai vu avec ce dernier s’il ne pouvait pas l’accueillir dans son village, en arguant qu’avec un type pour les défendre, ce genre de mésaventure ne serait jamais advenue. Il y a mis comme condition que la famille de l’otage devait donner son accord. Je lui ai donc aussi expliqué la situation et elle a tout de suite dit oui.
_ À tous les coups, c’est parce qu’ils ont cru que c’était genre ta dernière volonté, vu ton état, devina Trevor. Pis te connaissant, ch’uis sur qu’en plus t’as naïvement du sortir une connerie du genre que tu pouvais pas voir le médecin tant que ta tâche n’était pas terminée…
_ Bah, le principal, c’est qu’ils lui laissent une seconde chance, conclut Rachel. Il va falloir qu’il fasse amende honorable, bien sûr, mais j’ai confiance, il est déterminé à faire ses preuves… Tout ce qu’il voulait, c’était un moyen d’assouvir ses aspirations et de s’extraire du conflit entre la Révolution et la Marine et c’est maintenant chose faite.
_ Je réitère : en ce qui me concerne, c’est du bon boulot, décida le colonel.
_ Je doute que le vice-lieutenant Tolosa soit de cet avis, pointa l’imposante albinos.
_ Ah oui, fit Trevor en hochant la tête. Bartholomé m’a fait part à demi-mots de votre récente divergence d’opinion. Bon, pour être honnête, quand il m’a dit qu’il avait ramené des prisonniers, j’avais déjà pigé que t’avais du y mettre ton grain de sel, hein… Tout à fait entre nous, Rachel, comment le vice-lieutenant a-t-il pris ton intervention ?
_ Hé bien… Il était… quelque peu fâché, admit la jeune femme.
_ Il t’as promis un coup de poignard dans le dos, pas vrai ? Devina le colonel. ’fin, au sens métaphorique, hein…
_ Heu… Effectivement, mon colonel, admit l’imposante albinos après une petite hésitation.
_ T’fatigue pas à le couvrir, je commence à bien le connaître, çui-là aussi… J’en prends bonne note. Mais il n’aura pas la tâche facile, vu que je vais te faire passer vice-lieutenant, toi aussi, se réjouit joyeusement Trevor.
_ Attendez… Vous n’allez pas me promouvoir juste pour empêcher le vice-lieutenant Tolosa de se venger ? Tiqua Rachel. Ça serait n’importe quoi, voyons, mon colonel !
_ Bien sûr que non, je te promeut parce que tu es prête à passer à l’échelon supérieur. » Réfuta le colonel.

À la moue renfrognée de la jeune femme, Trevor comprit aisément que l’argument ne la convainquait pas. Le colonel soupira intérieurement. C’était l’ennui des gens humbles et sans aucune ambition : ils étaient tout à la fois persuadés d’être très bien là où ils étaient et qu’ils ne feraient absolument pas l’affaire au poste supérieur. De véritables anti-principe de Peter incarnés.
Mais cela n’inquiéta pas le colonel : on ne gérait pas des années durant une base peuplée majoritairement de gens à problèmes sans apprendre à s’occuper efficacement des cas de figures les plus récurrents.

« D’accord, reprenons donc depuis le début, proposa Trevor. Piton Blanc, colonel Hendricks, promotion d’adjudant à sous-lieutenant, affectation à Hexiguel. Tu te souviens ?
_ Bien sûr, mon colonel.
_ Quand tu es arrivée, t’avais aucune idée de comment commander ta troupe, rappela le colonel. Tu l’as appris à la dure dans l’Arène. Et en un temps record, qui plus est. Ensuite, pour ta première vraie mission, t’as été gâtée avec l’assaut contre Barbe-de-fer. Tu as géré seule toute la partie stratégique et démontré tes talents en la matière. Qui plus est, le sous-lieutenant Severn m’a précisé que tu avais sauvé le village de la destruction à toi toute seule.
_ J’étais pas vraiment toute seule, en vrai.
_ Personne n’aurait bougé sans ton intervention, donc ça revient au même. Lors du nettoyage de l’avant-poste, poursuivit Trevor, tu as remis en cause les ordres de ton supérieur qui te paraissait inadaptés, faisant montre d’un début de prise d’autonomie. Autonomie que tu as confirmé dans ta gestion de cette prise d’otage sur Rosac. Moralité : tu n’as plus rien d’une officier-subalterne qui tâtonne en phase d’apprentissage. Tu as maintenant bien saisi ton rôle et il est donc normal que ton grade reflète cette évolution. D’où ta promotion au rang de vice-lieutenant. Convaincue, maintenant ?
_ Ben, présenté comme ça, forcément. Heu… Hé bien, merci, mon colonel. … je suppose.
_ Super ! Alors, laissons tomber le protocole et trinquons à cette bonne nouvelle ! S’exclama joyeusement le colonel en sortant deux verres et une bouteille d’alcool.
_ Je suis blessée.
_ Justement, ‘faut que tu refasses du sang.
_ Je suis en service.
_ Du tout, t’es en convalescence.
_ C’est rigoureusement interdit par le règlement intérieur que vous avez établi, mon colonel.
_ J’autorise expressément une exception.
_ …
_ Oh, allez, c’est une bonne nouvelle, ça se fête, quoi ! Va vraiment falloir que je t’en donne l’ordre ? Insista Trevor en se composant sciemment une mine affreusement déçue.
_ Bon, bon… Juste un verre, alors, capitula Rachel. Mais vous ne me le remplissez pas à ras-bord !
_ Pfff… Rabat-joie. »

Le colonel servit prestement les deux verres, en tendit un à sa subalterne et les deux trinquèrent – «  À votre promotion, vice-lieutenante Syracuse ! ». Rachel se contenta de tremper poliment ses lèvres dans le breuvage avant de reposer son verre : exception express ou non, elle était en service après tout. Et puis, elle n’avait pas du tout la tête à la fête, il fallait bien le dire.

« Quelque chose ne va pas ? Remarqua Trevor. T’as rien bu du tout, là.
_ Mon colonel, je peux vous poser une question un peu… disons personnelle ? Demanda brusquement l’imposante albinos.
_ Tu peux toujours essayer, s’amusa le colonel tout en sirotant sa boisson.
_ Est-ce que j’ai vraiment ma place dans la Marine ? »

Trevor avala de travers, manqua de s’étouffer et recracha la moitié de son verre sur le bureau avant de jeter un regard éberlué à Rachel.

« Je… Pardon ? C’est une blague ?
_ Est-ce que j’ai vraiment ma place dans la Marine ? Répéta l’imposante albinos, mortellement sérieuse.
_ Je viens de te donner une promotion, c’est pas une réponse, ça ? Pointa Trevor.
_ Non. Répondez à ma question, s’il-vous-plaît, mon colonel, insista Rachel. Je vous en prie. C’est vraiment important pour moi.
_ Attend, attend, attend, juste que je sois bien certain des enjeux : et si jamais c’était pas le cas ? Voulut savoir le gradé.
_ Je démissionnerai sur-le-champ, répliqua l’imposante albinos avec une surprenante honnêteté.
_ Ah oui, non mais carrément, quoi… Bon sang de bois, mais c’est pas vrai, tu comptes vraiment toutes me les faire, toi ! D’accord, alors écoute-moi bien : en ce qui me concerne, tu es un officier-né, Rachel, déclara Trevor. Tu t’en sors très bien, tes hommes te font confiance comme je l’ai rarement vu, les civils sont systématiquement ravis à chacune de tes interventions, t’es littéralement faite pour ce job. Même Bethsabée place de grands espoirs en toi et je peux t’assurer que c’est vraiment pas à la portée du premier venu, ça. Alors maintenant, dis-moi, qu’est-ce qui peut bien te faire croire que t’aurais pas ta place parmi nous ?
_ Je… hésita l’imposante albinos. … Les Révolutionnaires.
_ Quoi, ils ont essayé de te débaucher ? S’inquiéta le colonel.
_ Non, non, pas du tout, le rassura Rachel. Mais c’est juste que… Ce n’est pas que j’ai voulu faire preuve d’autonomie ou d’esprit d’initiative face au vice-lieutenant Tolosa, vida son sac la jeune femme. Ni non plus dans ma façon de résoudre la prise d’otage. C’est… Je ne me sens absolument pas capable d’appliquer les lois d’exceptions, mon colonel. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Et même sans parler des exécutions extra-judiciaires. Je ne veux pas qu’il y ait de morts ni même de conflits inutiles, tout simplement. Si le Maire de Rosac n’avait pas accepté d’accueillir le révolutionnaire repenti, très honnêtement, je l’aurais juste laissé filer. Il ne voulait définitivement plus se battre, il ne représentait aucun danger ni aucun enjeu. Ça n’aurait rimé à rien de… Je ne suis pas assez impitoyable, mon colonel. Voilà tout. Et je ne le serai jamais. »

Seul le silence accueillit la déclaration de la jeune femme. Trevor la regardait avec de grands yeux papillotant. Et puis, un petit bruit se fit, comme celui d’une cocotte-minute sous pression et…

« Pfhfhfh… Pfhfhfh. Pohahaha ! Explosa de rire Trevor, hilare. POHAHAHA!!
_ Arrêtez de vous moquer ! Se vexa derechef Rachel en se relevant brusquement.
_ Pohahaha ! J’me moque pas, je… Pfhfhfh. Je suis juste soulagé, essaya de se ressaisir le colonel. Rassois-toi. Pohahaha ! Ô mon dieu, mais tu m’as fait une de ces peurs, t’as pas idée… Pfhfhfh. Dire que c’était juste ça. Pfhfhfh… Du calme. Houlàlà… Pffuuuu… Du calme.
_ Hé bien moi, je ne vois pas ce qu’il y a de drôle, mon colonel, se buta l’imposante albinos tout en se rasseyant.
_ Bon, se calma Trevor. Déjà, d’où tu tiens qu’un Marine se doit d’être impitoyable ? Voulut savoir le gradé.
_ Le vice-lieutenant Tolosa a…
_ Ignore Bartholomé, décréta le colonel.
_ Les lois d’exceptions sont…
_ Oublie les lois d’exceptions, asséna Trevor.
_ … Je ne comprends pas, mon colonel, fit Rachel, perplexe.
_ Bartholomé n’est qu’un officier parmi une myriade, répliqua le colonel. Quant aux lois d’exceptions, elles n’ont pas toujours existé et n’existeront pas pour toujours. Donc… d’où tu tiens qu’un Marine se doit d’être impitoyable ? Répéta le gradé.
_ Mais je croyais…
_ Faux.
_ Mais attendez, j’ai même pas pu finir ! Comment ça, "faux" ? Voulut savoir Rachel.
_ Tu crois ; c’est faux.
_ …
_ Tu ne t’étais jamais posée la question jusqu’ici, reprit Trevor. Pourtant, ça fait déjà quelques temps que tu fais partie de la Marine. Alors comment tu déterminais ce que tu devais faire, auparavant ? Genre l’opération contre Barbe-de-fer ?
_ J’en sais rien, je ne me posais pas vraiment la question, reconnut l’imposante albinos.
_ Voila, acquiesça le colonel. Tu agissais naturellement et tu ne te posais pas de questions parce qu’au fond de toi, tu savais que ce que tu faisais était la bonne chose à faire, tout simplement. Et c’est toujours le cas, puisqu’en dépit de Tolosa ou des lois d’exceptions, tu continues à agir à ta façon. Alors arrête d’hésiter et continue comme tu le fais, c’est tout.
_ Le vice-lieutenant Bartolomé, je veux bien, mais les lois d’exceptions, je suis censée les appliquer, rétorqua la jeune femme. Je ne peux quand même pas les ignorer : c’est la loi.
_ Sauf que tu ne les a déjà pas appliqué, rappela Trevor. Et est-ce que moi ou Bethsabée t’en avons fait le reproche ? Absolument pas. Ce sont des lois extrêmes et radicales, alors si tu ne te sens pas de les appliquer, ne le fait pas, c’est normal.
_ Mais… ça n’a aucun sens, se rembrunit l’imposante albinos. On est la Marine… et c’est la loi… Je… Je… Non, là, je suis vraiment perdue, mon colonel.
_ Ok, une petite devinette, alors, proposa le colonel. La Marine est une institution pluri-centenaires et présente sur l’intégralité du globe ; c’est l’unique organisation militaire à disposer d’une telle longévité ainsi que d’une telle envergure. Son capital sympathie est au plus haut du côté des civils. Même du côté des Révolutionnaires, qui ne jurent que par la chute du Gouvernement Mondial, les plus excités et les plus radicaux ne revendiquent pas le démantèlement de la Marine. Est-ce que tu sais pourquoi ?
_ Absolument pas, mon colonel, avoua Rachel.
_ Parce que la Marine incarne la Justice, affirma sentencieusement Trevor.
_ Comment ça, la Justice ? tiqua l’imposante albinos. C’est vague, dit comme ça, non ?
_ Très précisément ! Souligna le colonel avec enthousiasme. La Justice n’est pas une et indivisible. C’est une notion étrange et curieuse dont la définition change selon l’angle sous laquelle on l’observe. Or, justement, nous ne prétendons pas incarner "une Justice" mais "la Justice". Quelle qu’elle soit. Sous toute ses facettes, toute sa complexité, toute ses déclinaisons et toutes ses contradictions. Tu trouveras autant de définitions du mot Justice qu’il y a d’hommes sur terre ou sur mer. Partant de là, tu trouveras donc autant d’approches et d’applications de la Justice qu’il y a d’officiers dans la Marine. Et notre grande force en tant qu’institution, c’est justement de ne rien imposer spécifiquement en la matière. Chaque officier remplit sa tâche, guidé par son approche personnel de la Justice. Que plusieurs types de Justice se côtoient au sein de la Marine n’est pas un problème, bien au contraire : chacune est plus ou moins adapté à certain cas de figure, ce qui permet à la Marine d’avoir toujours le bon élément bien adapté à la situation pour chaque déploiement. Genre, pour participer à un Buster Call, je songerai tout de suite à Bartholomé, c’est clair.
_ … Vous venez pas juste d’inventer tout ça uniquement pour me rassurer ? Soupçonna l’imposante albinos, suspicieuse.
_ Ah ben bonjour la confiance…
_ Ç’a l’air trop parfait pour être vrai.
_ Un millénaire d’expérience, gamine, bien sûr qu’on a eu le temps de perfectionner le bouzin ! Du tout, voyons. Prenons par exemple les Amiraux. … Tu connais les Amiraux, hein ?
_ Ben, juste de noms, quoi…
_ Super, ça suffira. Hé bien, pour commencer, le commandeur Mallory est adepte d’"Une Justice Honorable". Pour les amiraux, on a Kenora : "Une Justice Répressive" ; Shiro : "Une Justice Bienveillante" et Kindachi : "Une Justice Cruelle". Et enfin, pour l’Élite, on a le Major avec "Une Justice Intègre". Les cinq types au sommet et déjà cinq variantes de la Justice.
_ Mais… Vous n’auriez pas oublié l’Amiral Boïna, du coup ?
_ Nan, mais elle, on en reparlera le jour où elle se dotera d’une psychologie, hein…
_ Mais vous le voyez bien, revint à la charge l’imposante albinos. La grosse moitié des Amiraux sont du genre impitoyables ! Répressive, cruelle ; c’est vous qui l’avez dit.
_ Attends, attends, je vais trouver mieux… Si, voilà un exemple qui va te plaire ! S’exclama Trevor en claquant des doigts. Yamamoto Kogaku, colonel d’élite. T’en as déjà entendu parler ?
_ Heu… Juste comme ça, en passant.
_ Alors dis-moi si ça te rappelle pas un peu quelqu’un : originaire de North Blue, il a intégré la Marine Régulière au rang de Caporal, ce qui fait donc de lui un officier issu du rang, qui s’est élevé à la dure. Il a fini par intégrer l’Élite, la division dédiée au combat. Et tu sais quelle est son approche de la Justice ?
_ Du tout, reconnut Rachel.
_ "Une Justice par l'Espoir", annonça le colonel avec emphase.
_ Comment ça ?
_ Une Justice qui veut sauver tout le monde et prône des valeurs de secondes chances et d’empathie, explicita Trevor.  Ça ne te rappelle toujours personne, là ?
_ Mais… Il est Colonel… Et dans l’Élite, fit remarquer l’imposante albinos.
_ Ouais. Et tu vois, ça ne pose aucun problème, triompha le gradé.
_ Le colonel d’élite Kogaku, répéta pensivement Rachel. Une justice par l’espoir… Oui, j’aime bien ça. J’aime beaucoup. Ça, je peux le faire !
_ Après, admit Trevor, j’avoue que j’ai aussi entendu parler d’un certain colonel d’élite en mode "Une Justice Déchaînée" qu’était pas très joli-joli à voir mais…
_ Nan mais je m’en fiche de çui-là, je préfère l’exemple du colonel Kogaku, affirma l’imposante albinos avec conviction.
_ Hein ? Non, mais je voulais justement dire qu’il s’agissait de… non, mais oui, t’as raison, prends juste le premier exemple, ça sera très bien comme ça. Enfin, te concernant, vu ta façon de te soucier de tout le monde en toute circonstance, je reformulerai plutôt ça en "Une Justice Humaine".
_ Une Justice Humaine ?»

Trevor se laissa aller à un sourire très satisfait. À la façon dont la jeune femme se répétait l’expression, les yeux brillants, un sourire rayonnant plaqué sur les lèvres, pas besoin de sens hors normes pour voir qu’elle était conquise par l’idée. Et une crise adroitement désamorcée, une, se félicita le colonel, tout en songeant qu’il faudrait qu’il briefe Bethsabée pour que Rachel ne fasse plus équipe avec Bartholomé autant que faire se peut. Déjà, parce que l’irascible vice-lieutenant avait la rancune dure et chercherait à se venger de sa prétendue humiliation pour tous les moyens possibles. Mais surtout, parce qu’à ce stade de développement, Rachel n’avait absolument pas besoin qu’on lui mette constamment sous le nez un contre-exemple à ses aspirations profondes. Pas question de lui laisser l’occasion de ressortir cette ineptie du « je n’ai pas ma place dans la Marine » !

Élever des rookies impliquait toujours une bonne dose de manipulation. Mais, hé ! c’était pour la bonne cause, se défendait Trevor. Parce que si on laissait faire le hasard, y’avait une chance sur deux qu’ils tournent mal et finissent pirates ou révolutionnaires, réutilisant par la même occasion tout ce qu’ils avaient appris contre la Marine. Non, non, non, il était infiniment préférable de contrôler leur environnement jusqu’à ce qu’ils aient correctement mûri, c’était plus sûr comme ça.

« J’admets qu’un sous-lieutenant qui se pose déjà des questions sur son sens de la justice, c’est plutôt précoce, mais bon, ce n’est jamais une mauvaise chose d’y réfléchir et définir sa doctrine personnel, reprit le colonel. Rassurée, du coup ?
_ Je ne sais pas… hésita Rachel. Et si mon approche des choses entre en contradiction avec les objectifs de la mission ?
_ Pas ton problème, trancha Trevor.
_ Ben… si. Non ?
_ Non, soutint le colonel. Hum… Comment t’expliquer ça… Si, ça y est : actuellement, les deux piliers de ta compagnie sont l’adjudant, Edwin Marlow, carré, prudent, un peu timoré sur les bords, et le sergent-chef, Jürgen Krieger, pas forcément une lumière, mais courageux et impétueux.
_ C’est un peu méchant de les résumer comme ça, mon colonel.
_ Si tu devais monter une position défensive face à un ennemi en surnombre pour tenir le plus longtemps possible, tu confierais cette tâche à Edwin. Inversement, s’il s’agissait de mener une contre-attaque audacieuse au cœur de l’ennemi, t’y collerais plutôt Jürgen.
_ Bien sûr, affirma Rachel.
_ Et à aucun moment il ne te viendrait l’idée de faire l’inverse ? Vérifia Trevor.
_ Bien évidemment, reconnut l’imposante albinos. Je suis leur supérieur, c’est ma responsabilité de connaître leurs points forts et leurs faiblesses et d’intégrer ces aspects à ma stratégie.
_ Et bien il en va de même pour tes propres supérieurs, souligna le colonel. À partir du moment où tu es clair sur ta doctrine de combat, c’est à tes supérieurs de prendre cela en compte lorsqu’ils te déploient sur une mission. Tu connais l’expression : "il n’y a pas de mauvais soldats, seulement de mauvais officiers". S’il devait advenir que la façon dont tu t’acquittes de ta tâche entre en contradiction avec les objectifs mêmes de la mission, alors la faute en revient uniquement à ton supérieur. Chaque officier a ses propres spécificités, le rendant plus aptes à certaines tâches et moins à d’autres. Et c’est justement le rôle de la hiérarchie de s’assurer de déployer le bon élément au bon endroit. Donc contentes-toi d’agir comme tu le fais d’habitude, sois fidèle à tes convictions, et le reste, ça n’est pas ton problème.
_ Oh. … Vous êtes sûr ? Insista Rachel.
_ C’est le principe d’une organisation pyramidale, confirma Trevor. Chacun est responsable de ses subordonnés, du sommet de la pyramide jusqu’à la base. Charge à toi de t’occuper de tes hommes, charge à tes supérieurs de s’occuper de toi. Qu’est-ce que tu crois que je fais depuis tout à l’heure…
_ D’accord, opina l’imposante albinos. Je… Heu merci, mon colonel. Je suis désolée de vous faire perdre du temps avec tout ça.
_ De rien, va, balaya Trevor. Et te bile pas, c’est tout sauf une perte de temps. Mais puisqu’on y est, je vais te révéler ton nouvel objectif en tant que vice-lieutenante.
_ Mon colonel ?
_ Gagner en confiance en soi, annonça en grande pompe le gradé. Il faut maintenant que tu t’affermisses en tant qu’officier, Rachel. Moins d’hésitations, plus de convictions. Je te l’ai dit : ni moi, ni Bethsabée n’avons quoi que ce soit à redire à ton comportement. Alors sois toi-même, garde la tête froide et continue d’avancer.
_ Plus facile à dire qu’à faire, mon colonel, soupira l’imposante albinos.
_ Le colonel Hendricks et moi savons juger les gens et on pense tous les deux que tu as les épaules pour être un excellent officier. Alors, si tu n’as pas confiance en toi pour l’instant, aie confiance en nous, proposa Trevor avec un grand sourire. Et si ça ne suffit pas, fait semblant : à force, tu verras que tu n’auras plus besoin de feindre la confiance, elle sera vraiment là.
_ Je vais essayer, mon c… Je vais le faire, j’voulais dire, se reprit Rachel en voyant les gros yeux du colonel.
_ Nickel, approuva Trevor. Je ne t’en demande pas plus. Allez, j’arrête de torturer, tu peux filer rejoindre tes gars, j’ai ouï-dire d’un rassemblement exclusif dans l’Arène.
_ Oui, mon colonel, merci, mon colonel ! Répondit sincèrement l’imposante albinos en se relevant.
_ Hepepep, oublie pas ton verre ! Signala le colonel envoyant la jeune femme filer.
_ C’est ridicule, mon colonel, je ne vais pas me balader dans les couloirs un verre à la main ! Protesta Rachel.
_ Bien sûr que si, sinon tu seras la seul à ne pas en avoir un à ton repas : j’ai déjà demandé aux cuisiniers de servir une tournée à tes hommes. Hé, z’avez une promotion à fêter, tout de même. Pis mon alcool surclasse carrément çui des cuisiniers, ça, je peux te l'affirmer.
_ D’accord, mon colonel, capitula la jeune femme. Comment vous faites pour avoir toujours le denier mot ?
_ T’apprendras avec le temps. Allez, file donc t’amuser un peu ! »

Rachel s’en fut tout doucement, toujours un peu gênée par sa blessure, un grand sourire jouant sur les lèvres. Les colonels étaient vraiment des types hors du commun, songeait-elle.
Et si Trevor lui faisait confiance, alors elle n’avait absolument pas l’intention de le décevoir, se promit la nouvelle vice-lieutenante.

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