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Zaun, North Blue et...

Princesse Elastasia Flemingo,

(Je vous présente d’avance mes excuses pour les erreurs de forme qui pourraient transparaître dans tout ce qui suivra, je ne suis pas au fait des exigences protocolaires à respecter pour s’adresser à vous. Soyez assurée que je souhaite faire preuve de tout le respect qui vous est dû. Contrairement à mon petit débordement de la dernière fois, certes. Mais j’aimerais que nous en arrivions à quelque chose de constructif).

Je vous écris à la demande de Monsieur Magdar et de plusieurs autres notables de Norland pour vous relayer nos inquiétudes, toutes afférentes à l’activité croissante du gouvernement mondial sur North Blue. Mon message ne relaye pas seulement l’avis de nous les plus aisés, ce sont aussi des sujets qui se font entendre dans la population, dans les tavernes, dans les marchés. Je pense que vous confirmerez facilement mes propos en investiguant un minimum.

Pour commencer, je vais reprendre l’historique des incursions de la mouette dans notre voisinage :

1625, Manshon a été complètement secouée par la marine suite au blocus et à l’occupation qui a suivi la fuite du Gila. Alors certes, l’écosystème qu’on y trouvait avant n’était absolument pas ce qui était le plus souhaitable en la matière, mais ils n’ont fait qu’empirer les choses. Et nous sommes démunis pour traiter ça. Il n’empêche que la marine pourrait faire basculer l’île sous sa bannière à tout moment, qu’elle y a déjà fait jouer ses muscles, et qu’elle n’hésitera pas à reprendre si l’envie lui vient.

1626, Hat Island, annexée par le gouvernement mondial suite au passage du lieutenant Morneplume. Vu ses exploits chez nous, je pense que vous l’appréciez autant que moi, et même davantage compte tenu de sa réputation. Ils n’y ont pas de garnison et leur gouverneur est le meneur d’une tribu locale, des immigrés sur l’île que Morneplume a fait le choix de privilégier pour accomplir sa tâche. Pas un produit maison des cinq étoiles qui risquerait de faire du zèle pour propager la bonne parole. Ce qui n’exclut pas que le gouvernement mondial cherche à s’y implanter progressivement, puisqu’ils en ont le droit.

Evidemment, comme Manshon, Hat Island n’est pas un abri d’enfants de chœur, c’est une jungle où l’on argumente en faisant parler la poudre. Je n’ai pas les nuances, mais je comprends que leur situation n’a pas évolué depuis. Par contre, à la différence des mafieux, Hat Island n’a jamais eu d’influence néfaste sur ses environs.

Néant en 1627, même si le gouvernement mondial s’est illustré ailleurs sur cette année. Kanokuni. Je pense ne pas avoir besoin de détailler.

En 1628, c’est maintenant le tour de Zaun. Qui sont des voisins excentriques chez qui je ne souhaiterais pas vivre. Mais qui n’ont jamais rien fait de dangereux à l’encontre de qui que ce soit hors de leurs murs et ne le feront jamais vu leur société quasiment anarchique. Et la voilà qui reçoit de plein fouet la visite du rouleau compresseur de Marijoa, avec des ordres de mission qui appellent à la pacification d’un nid à criminels pourvoyeurs d’armes et de ravitaillements pour la piraterie. C’est vrai, mais pas dans des proportions qui justifient l’ampleur des mesures déployées par la marine.

Pour se convaincre du prétexte, il suffit de lire la dernière brève, les journaux ne se donnent même pas la peine de faire semblant : « fragiliser Zaun », « assurer à la marine le contrôle de la production des technologies sous-marines des bleues ». Et le gouvernement mondial s’était déjà illustré avec son intérêt pour les inventions créées chez eux (je fais référence à l’affaire des sonars de 1626).

Dans les faits, c’est une invasion, rien d’autre. Zaun est indépendante depuis une quinzaine d’années, et la loi du GM n’a pas lieu de s’y appliquer. Hat Island relevait du même cadre.

Sur la base de tout ça, l’inquiétude dont je souhaite vous faire part : nous pourrions tout à fait être les prochains à y passer. Pour le moment, ils essaient simplement d’obtenir notre adhésion en nous faisant du charme et par la voie diplomatique. Je pourrais dire que nous sommes suffisamment puissants et influents pour qu’ils n’osent pas nous attaquer, mais j’aurais dit exactement la même chose de Kanokuni l’année dernière. Il leur a suffit de proclamer que la révolution était présente dans le pays, jusqu'au sommet de son gouvernement, pour passer à l'attaque. Nous savons toutes les deux qu'ils peuvent planter des preuves s'ils en ont besoin.

Mais tout ça, vous le savez probablement déjà.

Notre message : nous espérons que Luvneel prenne des mesures pour anticiper une invasion et se montre aussi dissuasive que possible.

Si ce n’est pas trop tard, mais c’est probablement le cas, que nos diplomates s’interposent sur Zaun pour empêcher la marine d’y installer un gouverneur ou de remplacer leur dirigeant par un homme de paille qui serait à leur botte. Je sais qu’il faut choisir ses martyrs et ses alliés correctement quand on défend une cause, mais Swain jouit d’une bonne réputation que la marine ternit parce qu’il s’oppose à leur emprise.

En ce qui concerne nos forces, nous pensons que le moment est venu pour le royaume de se reconstituer une flotte de guerre et de patrouilleurs. Nous pouvons le faire : pour Vertbrume, nous avons pu mobiliser plus d’une dizaine de navires en l’espace d’un mois. Les finances du pays n’ont jamais été aussi bien portantes et nous avons toutes les infrastructures nécessaires. Et si cela ne suffit pas, les marchands de Norland se portent volontaires pour contribuer à sa construction tant sur les plans matériels que financiers.

Une fois cela fait, nous proposons que Luvneel cesse de déléguer la surveillance de ses mers à la marine et reprenne cette fonction. Et si possible, étende sa protection à d’autres territoires indépendants qui souhaiteraient le rester. Ce qui nous permettrait de faire tampon aux élans agressifs du GM, et également de justifier une réduction de sa présence sur North si nous prenons le relai.

Enfin, obtenir des alliés officiels. Vous êtes bien mieux à même que nous pour étudier ce point. Zaun aurait pu en faire partie, et c’est peut-être encore le cas. L’Archipel de Sanderr, plus modeste, est dans une situation comparable à la nôtre.

Quoi qu’il en soit, nous nous doutons que ces sujets ont déjà été portés à votre attention et sont étudiés par votre père et ses ministres. Je vous invite à nous faire part de vos décisions ou des problèmes que vous rencontreriez. Sachez que nous nous tenons à votre disposition, même depuis le nouveau monde en ce qui concerne Sigurd et moi, si vous en avez besoin. Il en va de même pour la majorité des marchands de Norland, et probablement dans toutes les strates de l’ensemble du royaume.

-Et voilà. Je ne sais pas quelle est la formule de politesse à utiliser pour conclure, mais Konan devrait savoir, je lui demanderais demain. Qu’est-ce que vous en dîtes, Sigurd ?
-Ca m’a l’air top, répondit-il en s’enfonçant un peu plus dans le lit de leur modeste cabine, visage enfoui dans l’oreiller. Mais pour ce qui est relecture critique et p'tits détails subtils, j’propose qu’on fasse ça bien au frais demain matin. Dodo.
-…
-…
-Juste pour être sûre : est-ce que vous avez écouté, au moins ?
-J’ai essayé j’pas réussi. Il est une heure du mat’, je sais que j’ai pas grand-chose à faire de mes journées mais j’aimerais bien dormir quand c’en est l’heure.
-Vous auriez pu me dire que je perdais mon temps au lieu de…
-ZzZzzzzZzzzzZzzzzz.
-Evidemment.
-Eh, vous auriez quand même insisté pour lire, j’vous connais, et puis j’aime bien entendre votre voix quand je suis somnolant. Et puis pitié, j’ai passé tout l’aprèm à ressortir et éplucher mes archives de journaux et de fiches d’îles pour qu’on ait des exemples à caser, vous pendant ce temps vous enchaîniez les épisodes de votre dessin animé au titre à rallonge en faisant semblant de regarder des trucs d’HSBC. La princesse samourai-ninja là. Super Sentai Ninja Princess : Hishimonji’s Pink chais plus quoi.
-Non mais je ne… hihihi hi hi… mais pas du tout je ne vois pas de quoi vous parlez vous voulez dire que vous entendiez enfin je ne suivais pas cette émission je suis tombée dessus par accident et je peux…
-Désolé, l’inconvénient quand on a qu’une petite cabine au lieu d’un grand manoir à se partager comme nid douillet, c’est que je peux plus faire semblant de pas me rendre compte que vous regardez des dessins animés pour enfants qui trouvent aussi succès dans la démographie des femmes adultes 20-35 ans. C’Gravelor le producteur, il me parlait de ses productions y’a quelques semaines et j’ai deviné en raccordant les bouts.
-Mnghpfchssss… ça n’est pas du tout…
-Mais vous avez le droit hein, perso j’trouve ça marrant et adorable. Bon, la sorcière elle fait tout de suite moins peur, mais entre ça et vos lubies c’est assez cohérent. Et je précise d’office que votre secret est bien gardé avec moi donc pas besoin de m’adresser les habituelles menaces de mort ou des ultimatums en prévention.
-…
-Bon alors, vous venez vous coucher ? Me connaissant, demain matin j’aurais oublié que nous avons eu cette discussion, et dans le doute je ferais semblant et vous aussi.
-Oui. Parfait.
-Paaaaarfait, voilà. Allez, bisou. Je vous aime.
-Bisous. Bonne nuit.
-…
-…
-Mais si vous voulez, je peux vous bercer dans votre sommeil en fredonnant le générique : ♪ ♫ Na na na li lu da da ta da po pom, Princesse Ninjaaaa ♫ ♫ ♪ !!!
-Sigurd, je vous hais.
-Mwarharharh arh arh arh
aïe, pas dans les dents ! Bon ok c’pas volé.
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-Uuuuuurgh.

Un long soupir grinçant de désolation. Mince. Ca ne lui ressemblait pas, de laisser passer des réactions de ce genre sans les filtrer au préalable. Mais cette roturière avait le don de lui froisser les nerfs et de la rendre folle. Un point qui n’échappa ni à sa maquilleuse, ni à son visiteur.

-De mauvaises nouvelles de Vertbrume ?, demanda Ulrand.
-Oui, c’est bien de Konan. Mais pas pour Vertbrume. Plutôt… Zaun, la marine et nous. Je te laisse lire.
-J’aime beaucoup son écriture, commenta le révolutionnaire. Je sais qu’il est lettré, mais pour arriver aux tournures de phrases qu’il emploie, je suis un peu déçu qu’il n’ait jamais voulu m’expliquer comment il a app…
-…
-Oh. Ca n’est pas son écriture. Qu’est-ce que c’est ?, s’inquiéta-t-il tout de suite.
-Les sapins. C’est la deuxième fois qu’ils se servent de lui pour m’envoyer des courriers, je trouve ça…
-Les sap… ?
-La planche et le ragondin.
-Aaaaaaah. Ffffffffff. J’ai eu peur, j’ai cru que c’était grave. Qu’est-ce qu’ils disent ?
-Je te laisse lire.

Bien qu’elle soit irritée, Elastasia Flemingo, fille du roi de Luvneel, princesse et héritière du trône, restait imperturbable. Déjà, parce que ses précepteurs l’avaient conditionnée depuis toute petite à apparaître telle qu’elle voulait qu’on la voie, immunisant ses traits à l’inconfort, aux émotions ainsi qu’au rire et à la douleur, poussant le vice jusqu’à faire d’elle une joueuse de poker experte même si ce jeu ne l’avait jamais intéressée.

Deuxième raison, parce qu’elle était actuellement aux bons soins de Basilie, la première de ses dames de compagnie et amie inséparable depuis le jour où, chacune du haut de leur dix ans et demi, elles s’étaient découvertes une passion commune pour les romans d’amour niais, l’escrime, et les chiens. Surtout les chiens. Comme ceux de la meute de chasse du roi avec lesquels elles avaient joué un petit peu trop longtemps, au point de se perdre en forêt pendant une bonne quinzaine d’heures et de mettre tout le palais en émoi du haut de leurs dix ans.

Aujourd’hui, Basilie était en train de parfaire la coiffure et le maquillage d’Elastasia tandis que cette dernière révisait les points clés du discours qu’elle devrait prononcer à l’académie de médecine. Dans vingt-sept minutes et dix-neuf secondes, elle apparaîtrait en public en compagnie du haut gratin universitaire de la capitale, tous en quêtes de mécènes et de subventions.

Ce qui serait une partie de plaisir à côté de la visite de courtoisie qu’elle avait dû faire au duc de Lunveelroom la veille. Un matamore arriviste de la première heure qui espérait encore que son fils ait la moindre chance de l’impressionner, au grand désespoir de ce dernier qui en était plus gêné qu’autre chose. Plus d’une fois, le jeune homme s’était excusé en lui mettant à disposition son propre bureau pour qu’elle puisse se consacrer à ses affaires. Comme bien souvent, elle avait profité de ce temps mort pour échanger avec ses messagers de l’AR.

Comme maintenant en fait, à ceci près que c’était Ulrand, architecte du mouvement sur Luvneel, actuellement déguisé en simple concierge comme à l’accoutumée, qui était venu la voir à sa demande. Même si elle n’avait que deux tranches d’une demi-heure à lui consacrer avant de devoir s’envoler pour une énième mondanité auprès de la jeunesse aristocratique de la capitale. Parmi lesquels se trouveraient potentiellement ses futurs ministres et vassaux, et qu’il serait stupide de dédaigner. Parce qu’elle avait beau partager les idéaux de la révolution et œuvrer pour que son pays puisse leur servir de refuge et base logistique, elle ne se voyait pas remplacer de sitôt un système monarchique stable et prospère par un gloubi-boulga de principes déstructurés qui tuerait la puissante ossature administrative de son royaume.

Enfin, d’ici à ce qu’elle en soit à pouvoir réformer quoi que ce soit, il y avait de la marge. Son père lui laissait carte blanche, et l’avait exhortée à s’accaparer le maximum de tâches pourvu qu’il soit mis au courant de tout ce qui était important. Elle était de plus en plus autonome sur énormément de domaines, mais la parole du roi était absolue en toutes circonstances, parfois sans que sa fille n’ait le droit ne serait-ce que d’appuyer son propos.

Et pourtant, il y avait des sujets sur lesquels il se contentait de l’écouter sans se prononcer sur quoi que ce soit, préférant faire office de miroir pour la forcer à réfléchir à voix haute alors même que c’était lui qui la convoquait. C’était peut-être ces affaires là qu’Elastasia trouvait les moins confortables. Son père savait se faire terriblement énigmatique quand l’envie lui prenait. Souvent.

-Donc même eux ils s’inquiètent, conclut Ulrand au terme de sa lecture. Il aura fallu aller loin. Qu’est-ce que vous en dîtes ?
-Je n’ai pas eu le temps d’y penser. J’aurais du temps demain. Matin.
-Ils ont l’air d’accord avec nous sur pas mal de choses.
-Ils sont beaucoup trop naïfs et optimistes sur énormément de choses, incisa la princesse.
-Certes. Et sacrément en retard. Ils réagissent parce qu’ils découvrent Zaun, comme si c’était nouveau. D’un autre côté, si ce qu’ils disent est vrai, ça veut dire qu’on s’y prend très très bien.
-…
-Est-ce que vous voulez que je leur réponde, pour vous faire gagner du temps ?
-Non. Il ne sait pas qu’on se connait, tous les deux. Du coup, une lettre de ta part…

Et puis, trop de risques. Elle avait ses moyens pour faire passer des missives en toute sécurité sans que rien de compromettant ne puisse en ressortir. Ca n’était pas comme si elle allait envoyer des courriers qui seraient du pain béni dans le cas où un Cipher Pol mettrait la main dessus. D’autant plus qu’elle ne souhaitait pas mettre à mal tout le travail effectué par les services d’espionnage de son père et ses amis de l’ombre pour désinformer Marijoa.

-Mais elle elle est au courant, redemanda Ulrand.
-Oui. Elle ne veut pas qu’il sache.
-Pas plus mal, je vois bien le scénario catastrophe qui tomberait si c’était le cas.
-Elle est tordue et prétentieuse, mais pas idiote. Et pas entièrement folle.
-Belle façon de parler des héros de son pays.
-Ils ont les défauts de leurs qualités, nuança Elastasia. Et nous aussi. Je m’en chargerai demain. Autre chose dont tu voulais me parler ?
-J’ai un rapport à faire remonter aux Affaires au sujet de Manshon, et la Guerre nous a envoyé un devis pour des jouets d’Aeden. Par quoi est-ce que je commence ?

Face à la question, Elastasia se retrouva à… divaguer complètement. Elle était fatiguée. Epuisée, même. Il lui restait vingt-cinq minutes et treize secondes avant de devoir intervenir auprès des universitaires, et il lui faudrait relire ses notes pendant onze minutes et demi –à peu près- pour pouvoir être parfaite.

Elle gérait, depuis le temps. C’était une technique que ses précepteurs lui avaient appris pendant ses cours de danse. Et d’escrime, parce que c’était le même. Son chronomètre intérieur, acquis à force de s’exercer dans une salle remplie d’horloges, tiquait en permanence au point de dicter sa vision du monde en termes de pulsations par seconde.

Et le temps, c’était précisément la ressource dont elle manquait cruellement depuis qu’elle était née.

-Princesse, je vous demande pardon ?
-Je suis désolée, mais attends un instant.

Elle avait besoin d’une pause. Une minute, les yeux fermés.

C’est que c’était dur, d’être la princesse de Luvneel. Le simple fait de réussir à satisfaire aux exigences de la cour, de la bourgeoise, du peuple et de la petite noblesse était déjà une tâche herculéenne dont elle parvenait à s’acquitter par dieu seul sait quel miracle – encore que c’était elle, le miracle, et qu’elle en avait parfaitement conscience. Ses mentors et précepteurs aussi. Ulrand également. Il en était toujours impressionné même après trois ans depuis qu’ils coopéraient. Elastasia se sentait interdite de fournir moins que ça, de toute manière, il y avait infiniment trop de choses qui dépendaient du fait qu’elle soit à la hauteur sur tous les fronts. Qu’on l’y attende ou pas.

Alors quand l’autre abrutie furieuse de planche à pain embourgeoisée lui envoyait des lettres pour lui donner des leçons sur des sujets dont elle se chargeait depuis déjà trois ans, ça la rendait…

Une minute, fin de la pause.

-Manshon. Tu me parleras de l’autre une autre fois, je n'aurai pas le temps aujourd'hui.
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Chers Noëls,

(Dans le doute, je me permets d’user de ce titre, en souhaitant faire écho à tous les exploits que vous avez accompli au service de mon royaume).

J’ai entendu vos remarques. Soyez assurés que nous les partageons et que je suis déjà personnellement investie dans plusieurs chantiers destinés à nous prémunir de ces difficultés, et ce depuis plusieurs années maintenant. Je comprends toutefois qu’avec l’envergure croissante que prend le halo néfaste de Carcinomia, les recrudescences d’expéditions pirates financées par les commerces des Usuriers, ainsi que le sentiment croissant d’impunité que connaît la forfanterie depuis que Gluttony, Sainte Ardelia et Un Canard se sont élevés au rang de prétendants au titre d’empereurs pirates…

Haylor cessa sa dictée, reprenant silencieusement sa lecture depuis le début avec l’air contrarié qui lui allait si bien. « Carcinomia, les usuriers, Empereurs » ? Elle avait l’impression d’avoir glissé dans un escalier après avoir raté une marche, ou en l’occurrence, après avoir raté une étape du cheminement logique qui amenait la princesse Elastasia Flemingo à leur parler de…

Quelque chose qui n’avait absolument rien à voir avec ce dont ils lui avaient parlé ?

-Je crois qu’elle fait exprès de parler d’autre chose. Un peu comme si elle avait peur d’être espionnée, que son courrier soit intercepté, ce genre de trucs.

Le commentaire venait de son homologue, curieux, qui avait glissé sa tête par-dessus son épaule pour continuer la lecture de lui-même. Le fait qu’il prenne toujours autant appui sur elle était aussi inconfortable qu’à l’accoutumée, mais son habituel mélange d’espièglerie et de douceur, la façon dont il l’enlaçait, ses doigts dansant contre son flanc tandis qu’il jouait de sa joue contre la sienne pour la cajoler distraitement, rachetaient largement la gêne.

Elle attendrait vingt secondes avant de le chasser de là. Ou trente. Peut-être. Il était lourd, quand même.

… autant de situations qui impactent négativement l’efforts de nos marchands pour apporter leur contribution au bien commun.

J’en profite néanmoins pour notifier à la sorcière que ses interventions mal avisées, ou plus précisément tombées par excès de zèle, nous ont significativement ralentis dans le financement de plusieurs des projets que j’avais commandé pour endiguer ces vagues de criminalité. L’affaire est déjà vieille, le mal également. Passons. Et j’entends, comme j’avais déjà entendu, vos propres motivations. Je vous demanderai toutefois de méditer à nouveau sur cet incident pour tirer les conséquences de votre impulsivité.

-De quoi elle parle ?, demanda Sigurd.
-De notre entrevue à la vente aux enchères. C’était en… mi-1626 ? Et de quelques autres interventions que j’ai pu effectuer en passant sur des associations qui recevaient des financements un peu n’importe comment.
-« N’importe comment » dans le genre ?
-Irrégularités de forme flagrantes et montants abracadabrants dont l’usage et la traçabilité apparaissaient… dangereusement incertains. Autant du royaume que de plusieurs mécènes, dont la princesse elle-même. Elle n’a pas apprécié que j’insiste pour qu’ils nettoient tout ça, quitte à restreindre leurs rentrées d’argent et leur faire restituer des dons versés.
-Ah j’crois que ça me parle maintenant. C’était quoi, vous flairiez le blanchiment d’argent avec des gars de la mafia qui se sentaient soudainement généreux avec leurs gros soussous ?
-Hu hu.

Mensonge par omission. Qui ne rongeait pas vraiment la jeune femme, même s’il lui infligeait une sensation désagréable. Ses entrailles qui se tordaient péniblement dans son ventre, l’impression que ses poumons étaient lestés de plomb, à chaque fois qu’elle retenait son souffle pour étouffer l’information. Qu’elle avait découvert que la princesse, en plus d’être totalement dévouée et investie dans la cause révolutionnaire, avait généreusement financé des actions et groupuscules affiliés en se montrant aussi subtile qu’une enfant de huit ans convaincue de tout connaître à la vie. Et Haylor avait dû y aller au forceps, à grand renforts de menaces et d’intimidation pour endiguer tout ça. Plus parce que ça l’avait rendue folle de rage que par réelle nécessité. Mais n’importe quel enquêteur du GM suffisamment consciencieux et compétent aurait pu établir des rapprochements qui auraient viré au scandale en une fraction de seconde, pour peu que des espions s’en mêlent.

-Donc z’avez bien fait quoi.
-Evidemment.

Toutefois, les sujets que vous évoquez portent sur un domaine régalien que nous continuerons à traiter sans votre participation, votre aide n’étant pas requise à ce stade. Je vous rappelle que la couronne est propriétaire du chantier naval de Norland et que mon père appointe personnellement la moitié de ses instances dirigeantes, ce qui nous donne toute latitude pour en orienter la production. Ces charges sont attribuées au mérite, pas transmises par le droit du sang. Nous ne parlons donc que de personnes compétentes.

A tout hasard, je précise que nous savons ce que nous faisons et que nous nous y appliquons déjà avant que vous ne deveniez actifs sur Luvneel : faîtes-nous confiance. D’autant plus que vous êtes devenus trop connus et attirez l’attention sur tout ce que vous faîtes. Ainsi que les ennuis. Tout ça rendrait votre participation beaucoup trop hasardeuse pour notre sécurité.

-Je lis « Vous êtes des singes incontrôlables, surtout lui là, du coup je vous garde sous le coude mais pas encore ».
-Je vous assure qu’elle m’aime beaucoup moins que vous.
-Bah j’espère bien que je vous aime beaucoup plus qu’elle.
-Non mais je… tht, crétin.
-Mwarharharh, souffla-t-il en la gratifiant d’une bise avant de se faire écarter d'un revers de la main. Bon bah au moins elle a l’air d’accord avec nous sur le fait que le monde doit pas arrêter de tourner quand on est pas là pour donner un coup de main. C’est chouette.
-Sauf que si c’est pour le faire tourner n’importe comment, je ne suis pas sûre que…
-Ah tiens elle aussi elle a zyeuté la tronche de notre compte en banque. 'Fin j'imagine que si le CP2 se permet de le faire, y'a pas de raison qu'elle elle se gêne hein. Heureusement que je fais mes fraudes fiscales qu'en retraits de petites coupures à 10 berries l'unité une fois par semaine histoire de pas être grillé, hein. Bande d'amateurs, jamais vous aurez rien sur moi.

Toutefois. Puisque vous offrez votre assistance. Je propose que vous mettiez à profit le milliard et demi de berries que vous laissez dormir en banque pour contribuer à renforcer le pays. Luvneel est plus prospère qu’elle ne l’a jamais été depuis quatre cent ans, et nous reconnaissons à l’unanimité que vous avez vastement porté l’essor des trois dernières années au travers de vos affaires et de vos coups d’éclats. Mais compte tenu des temps difficiles qui se profilent, je souhaite vous demander d’étendre au maximum la toile de vos bénéficiaires dans le royaume. Contentez-vous de ce que vous savez faire et n’essayez pas de vous découvrir des compétences pratiques quand vous n’êtes que des financiers capables de mettre un plan à exécution : nos provinces sont remplies de personnes talentueuses qui se chargeront de tout pourvu que vous les lanciez dans la bonne direction. Et je suis persuadée qu’un certain nombre d’entre elles devrait se présenter à vous dans les semaines qui suivent. Dans l’espoir que l’expédition Vertbrumoise ne mobilisera pas toute votre attention, je vous prie de les accueillir au maximum de vos capacités.

Mes respects,
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