1628 – Base troglodyte d’Hexiguel, dans les Confins de North Blue
La compagnie de Rachel était rentrée de leur tout premier engagement, sur Rocbrume. Leur baptême du feu. D’après les chiffres, les résultats étaient des plus satisfaisants pour la sous-lieutenante : cinq morts et une quinzaine de blessés. À mettre en perspective avec les moyens déployés : deux compagnies de cent Marines accompagnées par une équipe d’élite de chasseurs de primes. C’était bien le minimum pour faire face à une pointure comme Barbe-de-fer et son équipage pléthorique.
Mais au-delà des chiffres, il y avait la réalité, comme ne le savait que trop bien Rachel, debout face à l’une des petites chambres de l’hôpital de la Forteresse. L’un de ses hommes se trouvait à l’intérieur. Son état s’était brutalement détérioré sur le trajet du retour. Et d’après les médecins…
La jeune femme inspira longuement, essayant de rassembler tout le courage qu’elle pouvait. Elle était l’officier subalterne en charge de cette compagnie. C’était son boulot de s’occuper de tout le monde. Elle se devait de le faire.
Rachel posa la main sur la poignée, hésita encore une infime seconde, puis ouvrit la porte.
« Bonj…
_ Ah non, pas vous, mon lieutenant ! Allez, sortez maintenant, vous n’avez rien à faire là. »
C’était l’occupant de l’unique lit dans la pièce qui venait de la rabrouer de la sorte. Darius Majalis, matelot de seconde classe.
« Mais vous êtes blessé… commença à protester piteusement Rachel.
_ Et vous, vous avez toute une compagnie à gérer, je vous rappelle, pointa le matelot en lui faisant les gros yeux. Alors venez pas gaspiller votre temps avec moi, ça sert à rien, c’est inutile.
_ Non, c’est pas inutile ! Se buta derechef l’imposante albinos.
_ Raaah merde, chavais qu’fallait pas dire ça, ça m’a échappé. Écoutez, mon lieutenant, soupira Darius. Je vous promets que ça me fait ultra plaisir que vous soyez venue. Si, si. C’est l’intention qui compte et c’est vraiment gentil de l’avoir fait. Mais vous avez des responsabilités, vous devez vous occuper des autres, alors retournez-y. S’il-vous-plaît.
_ Je suis aussi responsable de vous ! Affirma Rachel avec véhémence – et une grosse pointe de culpabilité.
_ Mais non : je suis blessé, éluda le matelot d’un haussement d’épaule. C’est les médecins qui sont responsables de moi, chacun son rôle.
_ Vous faites partie de ma troupe, rappela l’imposante albinos. Et c’est de ma faute, ce qui vous est arrivé !
_ Parce que c’est vous qui m’avez tiré dessus au canon, peut-être ? Souligna ironiquement Darius. Allons, un peu de sérieux, mon lieutenant !
_ C’est vous qui n’êtes pas sérieux, matelot, s’emporta Rachel avec désespoir. Ce qui… je…
_ Non mais c’est bon, calmez-vous, tout baigne, y’a vraiment pas de quoi en faire un drame, voyons ! Tenta de l’apaiser le blessé.
_ MAIS VOUS NE POURREZ PLUS JAMAIS MARCHER !! »
Un lourd silence gênant se fit dans la petite pièce. Rachel se sentait affreusement misérable d’avoir craquée ainsi et d’avoir rappeler aussi brutalement la réalité au blessé. Darius grimaça : il avait beau être bien placé pour savoir ce qu’il en était, l’entendre dire de façon aussi crue lui fichait quand même encore un sacré coup au moral.
« Je suis vraiment désolée, bafouilla piteusement l’imposante albinos. Je voulais pas…
_ Non, mais c’est pas grave, y’a pas… essaya de la rassurer Darius.
_ Si, c’est grave ! Je n’aurai jamais dû vous faire ça ! Se désola Rachel.
_ Admettons, mais…
_ C’est mon rôle de vous soutenir et vous aider dans cette épreuve, insista l’imposante albons.
_ Alors pas d…
_ Ce n’était pas du tout digne du comportement d’un officier, je vous présente mes plus pla…
_ HÉ HO, STOP !! Beugla Darius en faisant de grands signes des bras. Vous allez me laisser en placer une, oui !? Et le respect du blessé, non mais dites-donc ?
_ … Désolée.
_ Non mais relax, je vous charriais, arrêtez de tout prendre au premier degré, hein… Bon, puisqu’il faut qu’on discute, venez vous asseoir, lui suggéra Darius en lui montrant un petit tabouret posé près du lui.
_ Mais…
_ Hé, ch’uis blessé, vous allez pas me forcer à devoir m’époumoner chaque fois que je veux vous dire un truc, quand même ? »
Morte de honte et de culpabilité, Rachel obtempéra et vint s’asseoir auprès de Darius, tête baissée, toute recroquevillée, mains jointes sur les cuisses. Le blessé se fit la réflexion que sa chef trouvait le moyen d’avoir l’air à la fois complètement ridicule sur ce foutu tabouret trop petit pour elle et franchement pitoyable à rassembler à ce point à une gamine en train se faire chapitrer. Darius soupira.
« Nan mais d’accord, j’ai compris, z’êtes imperméable au second degré aujourd’hui. Hé ben, ça va être simple, c’te histoire, tiens. Bon, écoutez, mon lieutenant. Je ne vais pas vous mentir, je me force effectivement à faire bonne figure, admit le blessé. Et tout spécialement face à vous. Et vous voulez savoir pourquoi ? »
Hochements de tête misérables de l’intéressée, qui n’osait plus rien dire de peur de continuer à enchaîner les bourdes.
« C’est parce que vous avez été complètement dévastée par les pertes qu’on a subi sur Rocbrume, rappela Darius. Sans rire, d’après le lieutenant Severn, vous étiez à ramasser à la petite cuillère. On a eu un bol monumental que le chasseur de primes soit là pour vous récupérer, sinon je ne sais pas ce qu’on aurait pu faire. Si on aurait seulement pu faire quelque chose, même.
_ Je suis désolée de vous causer autant de tracas à tous…
_ Oh, mais non mais c’est pas du tout pour ça que je dis ça, voyons… Ce que je veux dire, mon lieutenant, c’est que vous êtes beaucoup trop sensible, pointa le blessé. Alors Ok, en un sens, d’une certaine façon, ça me fait vraiment plaisir que vous vous mettiez dans tous vos états à cause de ma blessure. Ça prouve bien qu’on est pas juste des pions sacrifiables à vos yeux, comme on l’entend parfois dans d’autres compagnies, et ça, ça fait vraiment chaud au cœur.
_ Bien sûr que vous n’êtes pas sacrifiables ! Assura Rachel, horrifiée.
_ Sauf que ça fait aussi hyper-mal en même temps. Sérieusement, mon lieutenant, remettez un peu les choses en perspectives. Oui c’est vrai, je suis fini, terminé, kaputt… Mais c’est pas grave ! Parce que moi, je ne suis qu’un simple pion.
_ Pour moi, c’est grave ! Affirma l’imposante albinos avec véhémence. Et les simples pions, ça n’existe pas !
_ Non mais je sais bien, sinon y’aurait pas besoin de cette conversation, hein… Non, ça ne l’est pas, balaya Darius avec force. Ça ne doit pas l’être ! Écoutez, mon lieutenant, moi, ce qui me fait vraiment flipper, c’est pas le saut dans l’inconnu sans les jambes. Hé hé hé, saut, sans les jambes. … Vous l’avez ? Ouais, non, passons, j’oubliais à qui je parlais. Non, ce qui me fait vraiment flipper, c’est que vous, vous nous claquiez dans les pattes parce que vous vous en voulez à mort pour ce qui m’est arrivé.
_ Mais…
_ Nan, y’a pas de "mais" qui tienne ! l’étouffa impitoyablement le blessé. Au cas où vous ne l’auriez pas encore compris, vous êtes l’âme de notre compagnie. Si elle est ce qu’elle est, c’est uniquement parce que c’est vous qui la dirigez ; vous l’avez façonné à votre image et tous les autres, dehors, ils ont besoin de vous pour continuer dans la bonne direction. Pas de moi : de vous, mon lieutenant. Alors oui, je blague, je tourne ça en dérision, je fais le pitre… Je dédramatise. Pour vous. Parce que c’est peut-être moche qu’ils m’aient eu, mais ça le serait vraiment encore plus si ça vous dégommait par ricochet. »
Silence.
Sanglots bouleversés du côté de l’officier. Soupir mi-blasé mi-gêné en face.
« Vraiment. Trop. Sensible. Oh mais non, mon lieutenant. Vous mettez pas à pleurer comme ça, c’était vraiment pas le but, tenta de la consoler Darius. Pis en plus, j’ai même pas de mouchoir à vous proposer, là. Éventuellement un coin de drap, à la rigueur…
_ Je suis désolée, c’est trop dure, craqua Rachel. J’y arriverai pas.
_ Mais si, mais si, mon lieutenant, affirma gentiment le blessé. Vous avez réussi à tourner la page avec nos morts, alors j’ai confiance, vous allez aussi y arriver avec moi. En réalité, c’est exactement la même chose, vous savez ; je ne vais tout simplement plus faire partie du régiment, voilà tout.
_ Ce n’est pas la même chose ! Éclata l’imposante albinos. Vous n’êtes pas mort ! Je ne veux pas vous abandonner comme ça ! Je ne peux pas !!
_ Soyez pas ridicule, vous n’allez quand même pas me traîner sur le terrain en fauteuil roulant, non ? Ça serait grotesque. Non mais imaginez-moi un peu dans les haubans, franchement…
_ Hé bien, on trouvera des solutions ! Affirma Rachel de façon véhémente.
_ Ah mais bien sûr ! approuva Darius sur le même ton. Saaauuuf que ça, c’est mon job à moi, pas le votre, mon lieutenant. Comme vous l’avez fait remarquer, je ne suis pas mort. Je quitte la Marine, c’est tout. Et du coup, ben je vais juste continuer à vivre ma vie de mon côté, voilà tout, alors pas d’inquiétude.
_ Mais qu’est-ce que vous allez faire ? Demanda l’imposante albinos, semblant retrouver un peu de calme.
_ Je sais pas encore, fit le blessé. Mais je vais trouver : y’a plein d’avantages à ne plus sentir ses jambes, après tout, vous savez ?
_ Ah bon ? Lesquels ?
_ Hé bien… pour commencer, je ne suis plus chatouilleux des pieds, révéla Darius avec un grand clin d’œil complice. Osez me dire que c’est pas pratique, ça.
_ N’importe quoi, gloussa doucement Rachel.
_ Aaah, il est là ! Triompha le blessé. Le grand retour du sourire ! Voilà le lieutenant qu’on connaît, c’est ça qu’on veut. v’voyez que vous pouviez y arriver.
_ Mais sérieusement, matelot, qu’est-ce que vous allez faire ? S’inquiéta l’imposante albinos.
_ Ch’ais pas vraiment, admit Darius. Je pensais demander aux Parieurs : vu qu’ils reversent les bénéfices des paris de l’Arène à des associations caritatives pour la Marine des Confins, je me dis qu’ils devraient pouvoir me pointer une assoc’ qui peut me rencarder sur le devenir des grands blessés de guerre.
_ Ah ben bon courage pour traiter avec les Parieurs, grommela sombrement Rachel.
_ Heu… Y’a un truc que j’aurais loupé ? S’alarma le blessé.
_ La récompense du Maire d’Havrejonc. »
Sur Rocbrume, Rachel avait non seulement mené à bien la stratégie de la Marine et dirigé d’une main de maître l’évacuation du petit village locale, mais aussi et surtout, par son opiniâtreté, sauvé le village susmentionné d’un totale destruction après ladite évacuation, là où tout le monde avait laissé tomber. En récompense de quoi, la Maire lui avait remis une fraction du trésor saisi de Barbe-de-fer : la bagatelle de dix millions de Berries.
L’imposante albinos n’avait jamais possédé autant d’argent à la fois et ça la mettait curieusement mal à l’aise.
« Je persiste à penser que je ne la mérite pas, expliqua Rachel. Je veux dire, j’ai fait que mon travail et la Marine me paye déjà justement pour ça, alors pas besoin de récompense, et encore moins d’aussi grosse !
_ Ouais, alors si vous me demandez vraiment mon avis, mon lieutenant…
_ Du coup, j’ai proposé aux Parieurs de donner ça à une association, mais ils m’ont envoyé péter, révéla l’imposante albinos. Selon eux, si vraiment je veux faire un don, j’ai qu’à me débrouiller par moi-même et me renseigner toute seule sur ce qui existe.
_ Sans vouloir vous froisser, je crois qu’ils ont juste pas le droit d’accepter votre argent et qu’ils voulaient pas vous influencer sur ce que vous en feriez… C’est des braves types, à la base, hein…
_ … Et vous, ça vous intéresserait pas ? Demanda subitement Rachel.
_ De quoi ? Les dix millions ?
_ Ben oui, ça vous laisserait le temps de vous retourner, affirma l’imposante albinos. J’aurais l’esprit plus tranquille vous concernant, comme ça.
_ Nan mais déconnez pas avec ça, mon lieutenant, la rabroua Darius. C’est littéralement vingt mois de soldes, c’est beaucoup trop. Non, non, non, si vous n’en voulez vraiment pas, refilez donc ça à une association, elle sera bien contente de toucher un tel pactole et saura le transformer en quelque chose de bien. N’insistez pas. Non parce que sinon, je pourrais carrément finir par accepter, hein…
_ Vous croyez vraiment que c’en est un, de pactole ? S’enquit l’imposante albinos. Pour une association, je veux dire. J’me rend vraiment pas compte, là, pour le coup.
_ Sûr, affirma le blessé. Elles se battent constamment pour un peu de pognon. Les subventions et les dons, ça leur tombe pas tout cuit dans la bouche, mon lieutenant : ‘faut qu’elles luttent pour ça. Ma grand-mère était trésorière d’une association de bobsleigh, elle nous en a raconté, des vertes et des pas mûres…
_ C’est si dur que ça ?
_ Ch’uis sûr que non, balaya Darius. Mon avis, c’est surtout qu’elles s’y prennent mal. Je veux dire, elles vont à la pêche au pognon en ordre dispersé, sans se concerter. Voire des fois, elles se tirent dans les pattes et se mettent bêtement en concurrence. "Bonjour, la Mairie, vous préférez subventionner le club de karaté ou le club de bobsleigh ?" Non mais sérieusement, dans ces cas-là, ‘faut monter un pôle commun et juste demander une plus grosse enveloppe aux financeurs ! C’est pourtant pas compliqué : plus t’es gros, plus on te file de la moula sans rechigner. C’est comme ça qu’i’ marche, le monde.
_ Non mais le sport et le caritatif, ce n’est pas pareil, voyons… Objecta Rachel.
_ D’un point de vue financier, ça ne fait vraiment aucune différence, ça je vous le garantis.
_ Vous y avez déjà vachement réfléchi, on dirait. Vous comptez vous impliquer dans une association ? Voulut savoir l’imposante albinos.
_ Ben… C’est un peu le plan : je vais avoir beaucoup de temps libre, maintenant, autant que je me rende utile, non ? Reconnut Darius. Pis c’est une bonne cause, le caritatif, c’est bon pour le karma. Un truc pour les anciens combattants ou pour l’aide aux familles des collègues tombés. Y’en a un paquet, j’en trouverai bien une sympa.
_ Ben du coup, pourquoi vous ne les fédéreriez pas vous-même, toutes ces associations ? Proposa Rachel.
_ Impossible, signala le blessé d’un ton sans appel. Même si une toute petite structure suffit pour chapeauter le bouzin, le problème, c’est la première année. C’est possible de s’auto-financer après, mais sur le premier exercice financier, il faudrait un fond de lancement, point final.
_ Genre… dix millions ? Suggéra l’imposante albinos.
_ Dans cet goût-là, ouais, mais le… Attendez, attendez, mon lieutenant ! Vous parler de vos dix millions, là ? Vérifia Darius.
_ Ben oui : j’en ai toujours pas l’usage, et là, ça serait pour une bonne cause. Ça vaudrait le coup, non ? Insista Rachel.
_ Ah la vache, on peut dire que vous en avez, vous, de la suite dans les idées, hein…
_ Alors ? Persista l’imposante albinos. Vous avez la motivation, j’ai les fonds, ça serait parfait !
_ Nan mais attendez : et si ça marche pas ? S’inquiéta le blessé.
_ Hé bien, tant pis : au moins, on pourra se dire qu’on a essayé et qu’on a fait de notre mieux pour que ça marche, relativisa Rachel d’un haussement d’épaule.
_ Mais vous perdrez votre pognon, mon lieutenant, souligna Darius.
_ Ben je le récupérerai pas non plus si ça marche, alors ça revient au même.
_ Heeuuu… Alors oui, c’est pas faux, mais c’est pas du tout là où je voulais en venir.
_ C’est une occasion en or, pourquoi vous refuseriez ? Lui demanda l’imposante albinos.
_ Je… Non mais un instant, mon lieutenant. … J’veux dire, bon, très bien, moi je vois bien l’intérêt pour moi, je concrétise un projet qui me trottait dans la tête, je m’investis différemment auprès de la Marine, tout ça… Mais vous, vous y gagnez quoi, à faire ça ? Lui renvoya Darius.
_ La satisfaction d’aider mon prochain ? Proposa Rachel.
_ Le pire, c’est que venant de vous en particulier, ça me paraît pas follement improbable… C’est juste que… hésita le blessé. Sauf vot’respect, j’ai pas envie que vous fassiez ça par charité envers moi, vous comprenez ? Moi, si on le fait, je veux qu’on parte sur une base saine. Et vous avez le droit de m’accuser de chercher un échappatoire, je m’en fiche.
_ Hé bien… tergiversa un instant l’imposante albinos. Pour être franche, c’est à cause de ce que vous m’avez dit à l’instant. Que j’étais trop sensible et que je devais… m’endurcir, en quelque sorte. Et… Hé bien, c’est peut-être stupide, mais je crois que je me sentirai moins mal à l’idée que mes hommes tombent en chemin si j’ai la certitude que quelqu’un s’est assuré de tendre un filet de sécurité pour eux ou leurs proches.
_ Oh. … Ok, décida Darius, ça pour moi, c’est une bonne raison, mon lieutenant. »
Quelques mois plus tard – Base G-6, QG de la Marine de North Blue
Rachel sortait tout juste de sa réunion avec l’amiral Jared et l’énigmatique directrice du CP-1. À peine arrivée, déjà repartie : ses hommes n’auraient pas le temps de profiter du G-6 car ils étaient d’ores et déjà attendu sur Luvneel.
Fort heureusement, le temps que tout le cirque d’embarquement se mette en branle, la commandante avait tout de même l’opportunité de passer voir comment se passait l’installation des nouveaux locaux du Rêve de Belmer, la fondation que Darius et elle avaient fondée quelques temps plus tôt sur Hexiguel et qui l’avait suivit jusqu’au QG.
L’imposante albinos était donc présentement en train de fureter dans l’aile administrative. Darius lui avait dit qu’ils étaient casés au deuxième étage, mais sans plus de précision : elle regardait donc les étiquettes sur chaque porte, sans grand succès pour le moment.
« Dégagez le passage ! Brailla soudainement une voix derrière elle. Taïaaauuut, j’arrive !! »
Rachel eût tout juste le temps de se plaquer contre le mur qu’un fauteuil roulant la dépassa en trombe.
« Et hop, dérapage contrôlé pour le style ! » annonça Darius en forçant son moyen de locomotion à virer de bord.
Malheureusement pour lui, la roue extérieure de son fauteuil roulant se bloqua dans la rainure du dallage au sol et le siège bascula sur le côté, envoyant l’handicapé bouler sur plusieurs mètres.
Rachel laissa échapper un soupir fataliste : même handicapé, Darius restait une pile électrique avec un trop plein d’énergie à dépenser n’importe comment. Ce qui était très appréciable quand il fallait dégager des trésors d’énergies pour boucler des dossiers velus jusqu’à pas d’heure, mais pouvait s’avérer difficile à gérer quand il n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent.
L’imposante albinos releva le fauteuil, souleva délicatement l’infirme pour le remettre en selle, avant d’attraper d’autorité les poignées à l’arrière pour le pousser à un rythme plus raisonnable.
« Darius, tu vas finir par avoir des soucis à foncer comme ça dans les couloirs, affirma gentiment Rachel.
_ Penses-tu, relativisa l’infirme. J’ai lu et signé le règlement intérieur tout à l’heure et il est déconseillé de courir dans les couloirs. Alors d’une, y’a zéro obligation, et de deux, ne pouvant pas courir, je ne suis de toute façon pas concerné, par définition. Le diable, les détails, tout ça…
_ Je leur donne pas deux mois avant qu’ils n’adaptent le règlement intérieur à ton cas spécifique. J’en déduis que la signature de la convention d’hébergement est terminée. Ça s’est bien passée ? Demanda l’imposante albinos.
_ Nan, une horreur, avoua Darius, totalement dépité.
_ Ah bon ? S’alarma Rachel. Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?
_ Edwin. Voilà ce qu’il s’est passé !
_ Marlow ? M’enfin, mais que… ? »
Edwin Marlow était le lieutenant-commissaire rattaché à la troupe de Rachel. Depuis qu’il avait été assigné à ce poste, il avait toujours fait preuve d’une efficacité systématique et la jeune femme n’avait jamais eu à se plaindre de quoi que ce soit le concernant.
« Ce qu’il s’est passé ? Se plaignit l’infirme. Et bien déjà, il s’est pointé à la réunion avec la moitié des formulaires requis déjà pré-remplis. Je peux t’assurer qu’on était pas les seuls à qui ç’a coupé le sifflet. Mais c’est pas le pire !! Parce que l’autre moitié, là, que les bureaucrates d’en face nous ont sorti au débotté… Ben il les a rempli tout seul. Direct. Et à une de ces vitesses. Tac-tac-tac-tac-tac !! Ce type est pas humain, c’est juste pas possible. On est sûr que c’est pas un genre de pacifista administratif ?
_ Et ça t’étonne ? S’amusa Rachel. Bien sûr qu’il est doué pour ça : lui, il trouve ça simple à comprendre. J’avoue, ça m’échappe totalement comment il fait…
_ Ouais, mais il nous a carrément foutu la honte, là… Soupira Darius. Je veux dire, moi et mon équipe, ça fait des mois qu’on en bouffe des formulaires à la con pour ci ou pour ça. On a acquis une certaine aisance pour le sujet. On se sentait un peu expert en la matière, même ! Putain, comment qu’on vient de se faire renvoyer dans nos vingt-deux, là…
_ C’est comme ça, on trouve toujours plus fort que soi, s’amusa Rachel dans un sourire.
_ Ouais, ben qu’il profite bien, affirma l’infirme. Parce qu’on va bosser comme des fous et dans six mois, on va jouer la revanche, namého ! En plus, j… Stop-stop-stop ! Bureau 228 et 229, c’est là ! Les gars sont dans la 28. »
Rachel poussa docilement le fauteuil roulant jusqu’à la porte du bureau 228 que Darius ouvrit joyeusement.
« Salut les gars ! Y’a Rachel qui passe voir comment se passe l’installation ! » S’écria l’infirma à la cantonade.
Dans la petite pièce, une demi-douzaine de gars s’affairait. Plusieurs anciens de la troupe de Rachel, démobilisés à cause de leurs blessures, et deux anciens des Parieurs qui avaient souhaité se recycler dans la Fondation. Ils y avaient été accueilli à bras ouverts vu le nombre d’associations avec lesquels ils étaient déjà en contact.
Les bénévoles saluèrent chaleureusement la commandante, avant de lui faire le – très rapide – tour des lieux.
« Hé bien, tout se passe nickel, affirma l’un d’entre eux. On a installé les tables et les chaises, la machine à café est dans le coin là-bas et parfaitement fonctionnelle – d’ailleurs vous en voulez une tasse, Syracuse ?
_ Non merci, sans façon, c’est gentil.
_ Et les dendens commencent à s’acclimater à leur nouveau locaux. On essaye de les amadouer avec de la salade pour accélérer le processus ! On sera de nouveau opérationnel dès demain, m’est avis.
_ Super, les gars, les félicita Darius, bon boulot ! Continuez comme ça, j’ai hâte de reprendre les affaires sérieuses ! »
Les deux larrons refermèrent tout doucement la porte et Rachel les dirigea vers la 229, en face : le bureau de Darius. À peine entré, l’infirme impulsa une petite ruade à son fauteuil pour se dégager de la prise de l’imposante albinos et vint se planter au milieu de la pièce avant de se retourner triomphalement, bras écartés.
« Tadaaaa ! Et voici le cœur du bouzin ! S’exclama Darius. Ok, en face, c’est le centre névralgique, mais ici, c’est vraiment là que se passent les choses intéressantes : c’est mon bureau ! Il est trop cool, non ? Deux fois plus grand qu’à Hexiguel !
_ Hé bien… Fit diplomatiquement Rachel en détaillant la pièce presque entièrement pleines de cartons empilés.
_ Nan, mais d’accord, ç’a pas beaucoup de gueule vu comme ça, concéda l’infirme. Mais faut imaginer avec moins de cartons et plus de rangements, c’est tout.
_ Oh, ça sera très impressionnant, je n’en doute pas. » opina l’imposante albinos en souriant.
Darius croisa les bras, fier comme un paon, tandis que Rachel tentait visiblement de compter le nombre de cartons qu’on avait réussi à entasser dans la pièce.
L’infirme posa un regard évaluateur sur son ancienne supérieure. Ça ne remontait qu’à quelques mois depuis leur discussion dans l’infirmerie et pourtant, l’imposante albinos avait beaucoup changé. Certes les épreuves d’Hexiguel l’avait aguerrie, mais il y avait aussi autre chose. La jeune femme s’était affermie dans son rôle d’officier.
La sous-lieutenante qui se faisait trop de mourons pour ses hommes – beaucoup trop pour son propre bien – était maintenant devenue une solide commandante qui avait su trouver le bon compromis entre sa sensibilité naturelle et les nécessités du commandement. Et comme elle l’avait dit, le fait de savoir que d’autres étaient là pour s’occuper de ceux qui tombaient sous ses ordres l’avait beaucoup aidé dans ce cheminement.
Et somme toute, c’est plutôt satisfaisant de se dire qu’on a joué un rôle crucial dans cette évolution, songea l’infirme. Cela lui faisait plaisir d’avoir pu aidé son amie, même à son niveau.
« Wow, j’ai compté près de cent-cinquante cartons, s’exclama Rachel. Ça en fait, des dossiers traités. En vrai, c’est plutôt flatteur de se dire que j’ai joué un petit rôle dans la mise en place de ce truc…
_ Et c’est que le début, affirma Darius. On avait beau se démener sur Hexiguel, c’était chaud pour la visibilité. Les gens civilisés, ils ne savent même pas que les Confins existent… Maintenant qu’on est au QG, on va pouvoir rayonner sur l’ensemble de North Blue sans aucun problème. Crois-moi, ce qu’on a réalisé jusqu’ici, c’était qu’une mise-en-bouche par rapport à ce qu’on va pouvoir faire maintenant ! C’est officiel, aujourd’hui, le Rêve de Belmer prend véritablement son essor !
_ À ce propos, rebondit l’imposante albinos, j’ai toujours voulu te demander le pourquoi de ce nom.
_ Commença, le pourquoi ? Fit Darius en fronçant les sourcils.
_ Ben ch’ais pas… C’est qui Belmer, c’est quoi son rêve et le rapport avec notre tambouille… ?
_ Tu me fais marcher, là, Rachel ? Hé hé hé, me faire marcher, infirme. … Tu l’as ? Nan mais ok, j’vois bien que c’est vraiment pas ton genre d’humour… … M’enfin, Belmer, quoi !
_ Inconnu au bataillon.
_ C’était la mère de Nami, voyons ! Expliqua l’infirme.
_ Ah d’accord, acquiesça Rachel en hochant ostensiblement la tête.
_ Tu vois pas non plus qui c’est, hein ?
_ Nop, du tout.
_ Nami, c’était la navigatrice de Chapeau de paille ! Rassure-moi, t’en a entendu parler d’çui-là ? Vérifia Darius.
_ Oh ben dit, je connais la légende, comme tout le monde, quand même, se défendit l’imposante albinos.
_ Nami aussi fait partie de la légende, hein…
_ Rooh, c’est bon, ça date d’y a au moins dix milles ans, tout ça.
_ À peine un siècle ! Pis c’est littéralement l’Histoire !
_ Oui ben je suivais pas en Histoire, moi…
_ Belmer, c’était une Marine d’élite, expliqua Darius. Elle a été démobilisée après de nombreuses blessures et est rentrée sur son île natale en emportant deux orphelines qu’elle a adopté : Nami et Nojiko. Elle était pauvre mais ils vivaient quand même heureux. Le drame : le pirate Arlong arrive et décrète un impôt sur chaque tête. Belmer ne peut pas payer pour elle et ses enfants, alors elle se sacrifie pour eux et Arlong l’abat sous les yeux des petites.
_ Elle est horrible, ton histoire.
_ C’est les pirates qui rendent toujours tout horrible. Bref, les petites grandissent, Nami devient une experte-voleuse et fait la rencontre de Chapeau de paille. Le reste appartient à la légende.
_ Jusque là, ok.
_ Tout ce à quoi aspirait Belmer, c’était de pouvoir mener une vie heureuse avec ses petites, poursuivit Darius. Si quelqu’un, ou quelque chose, genre une association d’anciens combattants soutenue par une fondation leur permettant de couvrir plus efficacement tous leurs besoins – exemple totalement au pif, bien entendu, hein – bref, si elle avait pu recevoir de l’aide, hé bien, elle aurait pu vivre son rêve, tout simplement. Et si Belmer avait été là, alors Nami ne serait jamais devenue une voleuse. Et sachant que Chapeau de paille était au moins aussi nul que toi en navigation ; sans Nami, il serait resté à faire éternellement des ronds dans East Blue et l’Histoire telle qu’on l’a connaît aurait quand même été vachement différente, pour le coup. Ça fait partie de l’argumentaire qu’on sert aux financeurs qu’on démarche, d’ailleurs.
_ Ok, je comprends mieux, maintenant, acquiesça Rachel. Le Rêve de Belmer vise à aider les anciens Marines et leurs proches pour leur éviter des malheurs… C’est vrai que ça colle bien, finalement.
_ Tu sais que tout est expliqué dans notre brochure de présentation ? Soupira Darius en lui en lançant un exemplaire.
_ Je m’en doute, mais j’ai jamais pris le temps de la lire, s’excusa Rachel. Et puis j… Hé, minute, c’est quoi, cette histoire de Ticket Belmer ? Et y’a marqué "New" à côté, alors c’est normal que je sache pas, cette fois-ci.
_ Oh, ça ? C’est une idée de Krieger.
_ De Krieger ?? »
Jürgen Krieger était le fidèle sergent-chef de Rachel. Des idées, il en avait plus souvent qu’à son tour. Malheureusement, c’était rarement des idées utiles et applicables. D’où le profond étonnement de l’imposante albinos.
« Nan mais oui, mais non, mais d’accord… Pinailla Darius. Ok, en vrai, il nous l’a pas servi sur un plateau comme ça. Mais on était en train de discuter à propos des grands philanthropes, là, et il a sorti un truc comme quoi ce qui comptait pour ces types, c’est quand même plus d’avoir l’occasion de frimer que d’aider leur prochain. Partant de là, il a proposé une idée complètement stupide – c’est Krieger, tout de même – mais moi, du coup, ça m’a inspiré le coup des tickets. Mais bon, à la base, c’est son idée, ‘faut admettre.
_ Et donc ? Insista Rachel. Kézessé ?
_ En gros, pour chaque tranche de millions de berries donné, la fondation cède un Ticket, expliqua l’infirme. Ensuite, en échange de quatre cents tickets, le donateur peut demander un petit bonus custom à la Marine.
_ Quel genre de bonus ? S’enquit l’imposante albinos.
_ Hé bien sache qu’officieusement, on est soutenu à fond par l’Amirauté, signala joyeusement Darius. Donc c’est variable, genre une casquette dédicacée par un Amiral, une visite guidée du G-6 avec rencontre de l’Amiral Jared à la clef, ou bien une invitation à une soirée mondaine quelconque avec le gratin de l’Amirauté. Des trucs comme ça…
_ Une rencontre avec l’Amiral Jared… Tiqua Rachel. Heu… vu l’animal, c’est pas un peu… un peu… Ben, un peu, quoi.
_ Au contraire ! S’enthousiasma l’infirme. Les atypiques comme lui, c’est ce que recherchent les gens. J’veux dire, t’es parfaite en tant qu’officier, Rachel, mais on va pas se mentir, t’es gentille, raisonnable, humble, facile à vivre… Les gens qui voudraient te rencontrer n’auraient pas beaucoup d’anecdotes croustillantes à raconter pour épater la galerie après une entrevue avec toi. Alors qu’avec le Jared, là, ils vont carrément être servi. Nan, clairement, le petit frisson de l’aventure, l’impression de côtoyer la bête, ce genre de chose, c’est toujours nettement plus vendeur. Hé, l’objectif, c’est que les pétés de thunes dépensent sans compter, hein…
_ Jeeeee… vais prendre ça pour un compliment, en fait, décida l’imposante albinos.
_ Carrément. Et t’inquiètes pas, c’est rétro-actif, précisa Darius. Tu les auras, les tickets qui correspondent à tes dons. Non parce que j’ai bien vu comment tes yeux ont flashé à la mention de la casquette dédicacée, hein…
_ C’est gentil, mais moi, les tickets…
_ Nan mais exceptionnellement, pour toi, on gardera tes tickets dans les locaux, décida l’infirme. Je me doute bien que t’accorderas aucune importance à ces bouts de papiers, tu serais bien fichues de les paumer…
_ Merci. Tu me connais rudement bien, dis donc.
_ Franchement, je crois que j’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi peu matérialiste que toi.
_ En tout cas, c’est impressionnant de voir que tout ce que tu as accomplis en si peu de temps, assura Rachel. Beau boulot, Darius. Je ne regrette vraiment pas mon investissement.
_ Bah, c’est encore trop tôt pour les remerciements, plastronna l’intéressé. Maintenant qu’on couvre tout North Blue, l’objectif c’est clairement de toper les trois autres. Ça serait quand même le comble qu’un truc nommé le Rêve de Belmer soit absent d’East Blue.
_ Beau boulot, Darius, répéta doucement l’imposante albinos. Sur ce, Luvneel m’attend et j’ai un bateau à prendre. Je v…
_ Un instant, Rachel ! La coupa Darius. Heu… Avant que tu partes, j’aurais besoin de ton aide pour un truc qui va pas te plaire.
_ Heu… Tu sais que tu le vends vachement bien, dit comme ça ? Admettons, c’est pour quoi ?
_ Je voudrais que tu m’aides à me lever pour que je puisse te serrer très fort dans mes bras. » Fit l’infirme en lui tendant les mains.
C’est que Darius commençait à bien la connaître, son associée. Il savait que le syndrome de l’imposteur jouait à plein chez la jeune femme chaque fois que quelqu’un faisait montre du moindre compliment ou marque d’estime. Elle estimait trop souvent qu’elle ne les méritait pas et prenait habituellement grand soin de les esquiver en se retranchant derrière des platitudes telles que « je n’ai fais que mon travail, voyons ».
Mais il la connaissait aussi suffisamment bien pour savoir qu’elle n’était pas du genre à tourner le dos à quelqu’un qui lui demandait de l’aide. Après tout, c’était bien pour ça qu’elle avait financé cette fondation, en premier lieu.
Et effectivement, après un instant d’hésitation, l’imposante albinos lui attrapa les mains et l’aida à se redresser. Les jambes de Darius ne lui permettaient plus de se tenir debout par lui-même, mais ce n’était pas grave : il se laissa tomber en avant sur Rachel pour la serrer dans ses bras. L’imposante albinos lui rendit maladroitement son accolade, affreusement gênée par cette soudaine effusion.
« Merci de m'avoir permis de mettre tout ça en place, Rachel, déclara Darius avec émotion. C'était peut-être pas grand-chose pour toi, mais moi, ç'a changé ma vie. Vraiment. Et en bien. Alors merci.
_ Non mais j'ai juste... 'fin, heu... Mais c'était pas grand-chose non plus... bafouilla Rachel.
_ ...
_ ... Heuuu... c'est-à-dire que j'ai un bateau à prendre, rappela l'imposante albinos avec douceur alors que l'étreinte s'éternisait.
_ Tout le monde dit que vous rejoignez Luvneel pour intégrer l’expédition pour Vertbrume, murmura Darius la gorge nouée. Je vous promets de gérer la baraque sans faute en votre absence, alors je vous en prie, faites gaffe à vous, mon commandant. Faites vraiment gaffe.
_ C’est vrai, acquiesça Rachel, surprise par la détresse subite de son ancien subordonné. Mais pas d’inquiétude, tout ira bien, vous verrez, tenta de le rassurer l’imposante albinos en lui tapotant gentiment le dos. Allez, je vous promet de faire de mon mieux pour vous rapporter une prime du Nouveau Monde.
_ Ce qui me rassurerait vraiment, c’est que tu me promettes de tout faire pour revenir en un seul morceau, soupira l’infirme en relâchant sa prise et en se laissant retomber dans son fauteuil. Sérieusement, j’aurais vraiment horreur que toi ou tes proches ayez besoin du soutien de la Fondation. Me fait pas ce coup-là, hein..
_ Je ferai au mieux, ne pût s’empêcher de grimacer l’imposante albinos.
_ Tu parles, si quelqu’un a besoin d’aide, tu fonceras tête baissée sans te soucier des conséquences, comme d’habitude.
_ Que veux-tu, on se refait pas, hein… Ne t’inquiète pas, l’Amiral à un plan, ça va bien se passer. Et pis, en vrai, c’est pas comme si on allait tomber direct sur des pirates du Nouveau Monde, hein…
_ Mon dieu, pourquoi je crains le pire, tout d’un coup…
_ Sur ce, Darius, je te confie North Blue, déclara Rachel avec un grand sourire.
_ Et je la laisserai pas tomber jusqu’à ton retour, promit l’infirme. Ni même après, d’ailleurs, en fait. Bon vent, commandant. »
La compagnie de Rachel était rentrée de leur tout premier engagement, sur Rocbrume. Leur baptême du feu. D’après les chiffres, les résultats étaient des plus satisfaisants pour la sous-lieutenante : cinq morts et une quinzaine de blessés. À mettre en perspective avec les moyens déployés : deux compagnies de cent Marines accompagnées par une équipe d’élite de chasseurs de primes. C’était bien le minimum pour faire face à une pointure comme Barbe-de-fer et son équipage pléthorique.
Mais au-delà des chiffres, il y avait la réalité, comme ne le savait que trop bien Rachel, debout face à l’une des petites chambres de l’hôpital de la Forteresse. L’un de ses hommes se trouvait à l’intérieur. Son état s’était brutalement détérioré sur le trajet du retour. Et d’après les médecins…
La jeune femme inspira longuement, essayant de rassembler tout le courage qu’elle pouvait. Elle était l’officier subalterne en charge de cette compagnie. C’était son boulot de s’occuper de tout le monde. Elle se devait de le faire.
Rachel posa la main sur la poignée, hésita encore une infime seconde, puis ouvrit la porte.
« Bonj…
_ Ah non, pas vous, mon lieutenant ! Allez, sortez maintenant, vous n’avez rien à faire là. »
C’était l’occupant de l’unique lit dans la pièce qui venait de la rabrouer de la sorte. Darius Majalis, matelot de seconde classe.
« Mais vous êtes blessé… commença à protester piteusement Rachel.
_ Et vous, vous avez toute une compagnie à gérer, je vous rappelle, pointa le matelot en lui faisant les gros yeux. Alors venez pas gaspiller votre temps avec moi, ça sert à rien, c’est inutile.
_ Non, c’est pas inutile ! Se buta derechef l’imposante albinos.
_ Raaah merde, chavais qu’fallait pas dire ça, ça m’a échappé. Écoutez, mon lieutenant, soupira Darius. Je vous promets que ça me fait ultra plaisir que vous soyez venue. Si, si. C’est l’intention qui compte et c’est vraiment gentil de l’avoir fait. Mais vous avez des responsabilités, vous devez vous occuper des autres, alors retournez-y. S’il-vous-plaît.
_ Je suis aussi responsable de vous ! Affirma Rachel avec véhémence – et une grosse pointe de culpabilité.
_ Mais non : je suis blessé, éluda le matelot d’un haussement d’épaule. C’est les médecins qui sont responsables de moi, chacun son rôle.
_ Vous faites partie de ma troupe, rappela l’imposante albinos. Et c’est de ma faute, ce qui vous est arrivé !
_ Parce que c’est vous qui m’avez tiré dessus au canon, peut-être ? Souligna ironiquement Darius. Allons, un peu de sérieux, mon lieutenant !
_ C’est vous qui n’êtes pas sérieux, matelot, s’emporta Rachel avec désespoir. Ce qui… je…
_ Non mais c’est bon, calmez-vous, tout baigne, y’a vraiment pas de quoi en faire un drame, voyons ! Tenta de l’apaiser le blessé.
_ MAIS VOUS NE POURREZ PLUS JAMAIS MARCHER !! »
Un lourd silence gênant se fit dans la petite pièce. Rachel se sentait affreusement misérable d’avoir craquée ainsi et d’avoir rappeler aussi brutalement la réalité au blessé. Darius grimaça : il avait beau être bien placé pour savoir ce qu’il en était, l’entendre dire de façon aussi crue lui fichait quand même encore un sacré coup au moral.
« Je suis vraiment désolée, bafouilla piteusement l’imposante albinos. Je voulais pas…
_ Non, mais c’est pas grave, y’a pas… essaya de la rassurer Darius.
_ Si, c’est grave ! Je n’aurai jamais dû vous faire ça ! Se désola Rachel.
_ Admettons, mais…
_ C’est mon rôle de vous soutenir et vous aider dans cette épreuve, insista l’imposante albons.
_ Alors pas d…
_ Ce n’était pas du tout digne du comportement d’un officier, je vous présente mes plus pla…
_ HÉ HO, STOP !! Beugla Darius en faisant de grands signes des bras. Vous allez me laisser en placer une, oui !? Et le respect du blessé, non mais dites-donc ?
_ … Désolée.
_ Non mais relax, je vous charriais, arrêtez de tout prendre au premier degré, hein… Bon, puisqu’il faut qu’on discute, venez vous asseoir, lui suggéra Darius en lui montrant un petit tabouret posé près du lui.
_ Mais…
_ Hé, ch’uis blessé, vous allez pas me forcer à devoir m’époumoner chaque fois que je veux vous dire un truc, quand même ? »
Morte de honte et de culpabilité, Rachel obtempéra et vint s’asseoir auprès de Darius, tête baissée, toute recroquevillée, mains jointes sur les cuisses. Le blessé se fit la réflexion que sa chef trouvait le moyen d’avoir l’air à la fois complètement ridicule sur ce foutu tabouret trop petit pour elle et franchement pitoyable à rassembler à ce point à une gamine en train se faire chapitrer. Darius soupira.
« Nan mais d’accord, j’ai compris, z’êtes imperméable au second degré aujourd’hui. Hé ben, ça va être simple, c’te histoire, tiens. Bon, écoutez, mon lieutenant. Je ne vais pas vous mentir, je me force effectivement à faire bonne figure, admit le blessé. Et tout spécialement face à vous. Et vous voulez savoir pourquoi ? »
Hochements de tête misérables de l’intéressée, qui n’osait plus rien dire de peur de continuer à enchaîner les bourdes.
« C’est parce que vous avez été complètement dévastée par les pertes qu’on a subi sur Rocbrume, rappela Darius. Sans rire, d’après le lieutenant Severn, vous étiez à ramasser à la petite cuillère. On a eu un bol monumental que le chasseur de primes soit là pour vous récupérer, sinon je ne sais pas ce qu’on aurait pu faire. Si on aurait seulement pu faire quelque chose, même.
_ Je suis désolée de vous causer autant de tracas à tous…
_ Oh, mais non mais c’est pas du tout pour ça que je dis ça, voyons… Ce que je veux dire, mon lieutenant, c’est que vous êtes beaucoup trop sensible, pointa le blessé. Alors Ok, en un sens, d’une certaine façon, ça me fait vraiment plaisir que vous vous mettiez dans tous vos états à cause de ma blessure. Ça prouve bien qu’on est pas juste des pions sacrifiables à vos yeux, comme on l’entend parfois dans d’autres compagnies, et ça, ça fait vraiment chaud au cœur.
_ Bien sûr que vous n’êtes pas sacrifiables ! Assura Rachel, horrifiée.
_ Sauf que ça fait aussi hyper-mal en même temps. Sérieusement, mon lieutenant, remettez un peu les choses en perspectives. Oui c’est vrai, je suis fini, terminé, kaputt… Mais c’est pas grave ! Parce que moi, je ne suis qu’un simple pion.
_ Pour moi, c’est grave ! Affirma l’imposante albinos avec véhémence. Et les simples pions, ça n’existe pas !
_ Non mais je sais bien, sinon y’aurait pas besoin de cette conversation, hein… Non, ça ne l’est pas, balaya Darius avec force. Ça ne doit pas l’être ! Écoutez, mon lieutenant, moi, ce qui me fait vraiment flipper, c’est pas le saut dans l’inconnu sans les jambes. Hé hé hé, saut, sans les jambes. … Vous l’avez ? Ouais, non, passons, j’oubliais à qui je parlais. Non, ce qui me fait vraiment flipper, c’est que vous, vous nous claquiez dans les pattes parce que vous vous en voulez à mort pour ce qui m’est arrivé.
_ Mais…
_ Nan, y’a pas de "mais" qui tienne ! l’étouffa impitoyablement le blessé. Au cas où vous ne l’auriez pas encore compris, vous êtes l’âme de notre compagnie. Si elle est ce qu’elle est, c’est uniquement parce que c’est vous qui la dirigez ; vous l’avez façonné à votre image et tous les autres, dehors, ils ont besoin de vous pour continuer dans la bonne direction. Pas de moi : de vous, mon lieutenant. Alors oui, je blague, je tourne ça en dérision, je fais le pitre… Je dédramatise. Pour vous. Parce que c’est peut-être moche qu’ils m’aient eu, mais ça le serait vraiment encore plus si ça vous dégommait par ricochet. »
Silence.
Sanglots bouleversés du côté de l’officier. Soupir mi-blasé mi-gêné en face.
« Vraiment. Trop. Sensible. Oh mais non, mon lieutenant. Vous mettez pas à pleurer comme ça, c’était vraiment pas le but, tenta de la consoler Darius. Pis en plus, j’ai même pas de mouchoir à vous proposer, là. Éventuellement un coin de drap, à la rigueur…
_ Je suis désolée, c’est trop dure, craqua Rachel. J’y arriverai pas.
_ Mais si, mais si, mon lieutenant, affirma gentiment le blessé. Vous avez réussi à tourner la page avec nos morts, alors j’ai confiance, vous allez aussi y arriver avec moi. En réalité, c’est exactement la même chose, vous savez ; je ne vais tout simplement plus faire partie du régiment, voilà tout.
_ Ce n’est pas la même chose ! Éclata l’imposante albinos. Vous n’êtes pas mort ! Je ne veux pas vous abandonner comme ça ! Je ne peux pas !!
_ Soyez pas ridicule, vous n’allez quand même pas me traîner sur le terrain en fauteuil roulant, non ? Ça serait grotesque. Non mais imaginez-moi un peu dans les haubans, franchement…
_ Hé bien, on trouvera des solutions ! Affirma Rachel de façon véhémente.
_ Ah mais bien sûr ! approuva Darius sur le même ton. Saaauuuf que ça, c’est mon job à moi, pas le votre, mon lieutenant. Comme vous l’avez fait remarquer, je ne suis pas mort. Je quitte la Marine, c’est tout. Et du coup, ben je vais juste continuer à vivre ma vie de mon côté, voilà tout, alors pas d’inquiétude.
_ Mais qu’est-ce que vous allez faire ? Demanda l’imposante albinos, semblant retrouver un peu de calme.
_ Je sais pas encore, fit le blessé. Mais je vais trouver : y’a plein d’avantages à ne plus sentir ses jambes, après tout, vous savez ?
_ Ah bon ? Lesquels ?
_ Hé bien… pour commencer, je ne suis plus chatouilleux des pieds, révéla Darius avec un grand clin d’œil complice. Osez me dire que c’est pas pratique, ça.
_ N’importe quoi, gloussa doucement Rachel.
_ Aaah, il est là ! Triompha le blessé. Le grand retour du sourire ! Voilà le lieutenant qu’on connaît, c’est ça qu’on veut. v’voyez que vous pouviez y arriver.
_ Mais sérieusement, matelot, qu’est-ce que vous allez faire ? S’inquiéta l’imposante albinos.
_ Ch’ais pas vraiment, admit Darius. Je pensais demander aux Parieurs : vu qu’ils reversent les bénéfices des paris de l’Arène à des associations caritatives pour la Marine des Confins, je me dis qu’ils devraient pouvoir me pointer une assoc’ qui peut me rencarder sur le devenir des grands blessés de guerre.
_ Ah ben bon courage pour traiter avec les Parieurs, grommela sombrement Rachel.
_ Heu… Y’a un truc que j’aurais loupé ? S’alarma le blessé.
_ La récompense du Maire d’Havrejonc. »
Sur Rocbrume, Rachel avait non seulement mené à bien la stratégie de la Marine et dirigé d’une main de maître l’évacuation du petit village locale, mais aussi et surtout, par son opiniâtreté, sauvé le village susmentionné d’un totale destruction après ladite évacuation, là où tout le monde avait laissé tomber. En récompense de quoi, la Maire lui avait remis une fraction du trésor saisi de Barbe-de-fer : la bagatelle de dix millions de Berries.
L’imposante albinos n’avait jamais possédé autant d’argent à la fois et ça la mettait curieusement mal à l’aise.
« Je persiste à penser que je ne la mérite pas, expliqua Rachel. Je veux dire, j’ai fait que mon travail et la Marine me paye déjà justement pour ça, alors pas besoin de récompense, et encore moins d’aussi grosse !
_ Ouais, alors si vous me demandez vraiment mon avis, mon lieutenant…
_ Du coup, j’ai proposé aux Parieurs de donner ça à une association, mais ils m’ont envoyé péter, révéla l’imposante albinos. Selon eux, si vraiment je veux faire un don, j’ai qu’à me débrouiller par moi-même et me renseigner toute seule sur ce qui existe.
_ Sans vouloir vous froisser, je crois qu’ils ont juste pas le droit d’accepter votre argent et qu’ils voulaient pas vous influencer sur ce que vous en feriez… C’est des braves types, à la base, hein…
_ … Et vous, ça vous intéresserait pas ? Demanda subitement Rachel.
_ De quoi ? Les dix millions ?
_ Ben oui, ça vous laisserait le temps de vous retourner, affirma l’imposante albinos. J’aurais l’esprit plus tranquille vous concernant, comme ça.
_ Nan mais déconnez pas avec ça, mon lieutenant, la rabroua Darius. C’est littéralement vingt mois de soldes, c’est beaucoup trop. Non, non, non, si vous n’en voulez vraiment pas, refilez donc ça à une association, elle sera bien contente de toucher un tel pactole et saura le transformer en quelque chose de bien. N’insistez pas. Non parce que sinon, je pourrais carrément finir par accepter, hein…
_ Vous croyez vraiment que c’en est un, de pactole ? S’enquit l’imposante albinos. Pour une association, je veux dire. J’me rend vraiment pas compte, là, pour le coup.
_ Sûr, affirma le blessé. Elles se battent constamment pour un peu de pognon. Les subventions et les dons, ça leur tombe pas tout cuit dans la bouche, mon lieutenant : ‘faut qu’elles luttent pour ça. Ma grand-mère était trésorière d’une association de bobsleigh, elle nous en a raconté, des vertes et des pas mûres…
_ C’est si dur que ça ?
_ Ch’uis sûr que non, balaya Darius. Mon avis, c’est surtout qu’elles s’y prennent mal. Je veux dire, elles vont à la pêche au pognon en ordre dispersé, sans se concerter. Voire des fois, elles se tirent dans les pattes et se mettent bêtement en concurrence. "Bonjour, la Mairie, vous préférez subventionner le club de karaté ou le club de bobsleigh ?" Non mais sérieusement, dans ces cas-là, ‘faut monter un pôle commun et juste demander une plus grosse enveloppe aux financeurs ! C’est pourtant pas compliqué : plus t’es gros, plus on te file de la moula sans rechigner. C’est comme ça qu’i’ marche, le monde.
_ Non mais le sport et le caritatif, ce n’est pas pareil, voyons… Objecta Rachel.
_ D’un point de vue financier, ça ne fait vraiment aucune différence, ça je vous le garantis.
_ Vous y avez déjà vachement réfléchi, on dirait. Vous comptez vous impliquer dans une association ? Voulut savoir l’imposante albinos.
_ Ben… C’est un peu le plan : je vais avoir beaucoup de temps libre, maintenant, autant que je me rende utile, non ? Reconnut Darius. Pis c’est une bonne cause, le caritatif, c’est bon pour le karma. Un truc pour les anciens combattants ou pour l’aide aux familles des collègues tombés. Y’en a un paquet, j’en trouverai bien une sympa.
_ Ben du coup, pourquoi vous ne les fédéreriez pas vous-même, toutes ces associations ? Proposa Rachel.
_ Impossible, signala le blessé d’un ton sans appel. Même si une toute petite structure suffit pour chapeauter le bouzin, le problème, c’est la première année. C’est possible de s’auto-financer après, mais sur le premier exercice financier, il faudrait un fond de lancement, point final.
_ Genre… dix millions ? Suggéra l’imposante albinos.
_ Dans cet goût-là, ouais, mais le… Attendez, attendez, mon lieutenant ! Vous parler de vos dix millions, là ? Vérifia Darius.
_ Ben oui : j’en ai toujours pas l’usage, et là, ça serait pour une bonne cause. Ça vaudrait le coup, non ? Insista Rachel.
_ Ah la vache, on peut dire que vous en avez, vous, de la suite dans les idées, hein…
_ Alors ? Persista l’imposante albinos. Vous avez la motivation, j’ai les fonds, ça serait parfait !
_ Nan mais attendez : et si ça marche pas ? S’inquiéta le blessé.
_ Hé bien, tant pis : au moins, on pourra se dire qu’on a essayé et qu’on a fait de notre mieux pour que ça marche, relativisa Rachel d’un haussement d’épaule.
_ Mais vous perdrez votre pognon, mon lieutenant, souligna Darius.
_ Ben je le récupérerai pas non plus si ça marche, alors ça revient au même.
_ Heeuuu… Alors oui, c’est pas faux, mais c’est pas du tout là où je voulais en venir.
_ C’est une occasion en or, pourquoi vous refuseriez ? Lui demanda l’imposante albinos.
_ Je… Non mais un instant, mon lieutenant. … J’veux dire, bon, très bien, moi je vois bien l’intérêt pour moi, je concrétise un projet qui me trottait dans la tête, je m’investis différemment auprès de la Marine, tout ça… Mais vous, vous y gagnez quoi, à faire ça ? Lui renvoya Darius.
_ La satisfaction d’aider mon prochain ? Proposa Rachel.
_ Le pire, c’est que venant de vous en particulier, ça me paraît pas follement improbable… C’est juste que… hésita le blessé. Sauf vot’respect, j’ai pas envie que vous fassiez ça par charité envers moi, vous comprenez ? Moi, si on le fait, je veux qu’on parte sur une base saine. Et vous avez le droit de m’accuser de chercher un échappatoire, je m’en fiche.
_ Hé bien… tergiversa un instant l’imposante albinos. Pour être franche, c’est à cause de ce que vous m’avez dit à l’instant. Que j’étais trop sensible et que je devais… m’endurcir, en quelque sorte. Et… Hé bien, c’est peut-être stupide, mais je crois que je me sentirai moins mal à l’idée que mes hommes tombent en chemin si j’ai la certitude que quelqu’un s’est assuré de tendre un filet de sécurité pour eux ou leurs proches.
_ Oh. … Ok, décida Darius, ça pour moi, c’est une bonne raison, mon lieutenant. »
*
* *
* *
Quelques mois plus tard – Base G-6, QG de la Marine de North Blue
Rachel sortait tout juste de sa réunion avec l’amiral Jared et l’énigmatique directrice du CP-1. À peine arrivée, déjà repartie : ses hommes n’auraient pas le temps de profiter du G-6 car ils étaient d’ores et déjà attendu sur Luvneel.
Fort heureusement, le temps que tout le cirque d’embarquement se mette en branle, la commandante avait tout de même l’opportunité de passer voir comment se passait l’installation des nouveaux locaux du Rêve de Belmer, la fondation que Darius et elle avaient fondée quelques temps plus tôt sur Hexiguel et qui l’avait suivit jusqu’au QG.
L’imposante albinos était donc présentement en train de fureter dans l’aile administrative. Darius lui avait dit qu’ils étaient casés au deuxième étage, mais sans plus de précision : elle regardait donc les étiquettes sur chaque porte, sans grand succès pour le moment.
« Dégagez le passage ! Brailla soudainement une voix derrière elle. Taïaaauuut, j’arrive !! »
Rachel eût tout juste le temps de se plaquer contre le mur qu’un fauteuil roulant la dépassa en trombe.
« Et hop, dérapage contrôlé pour le style ! » annonça Darius en forçant son moyen de locomotion à virer de bord.
Malheureusement pour lui, la roue extérieure de son fauteuil roulant se bloqua dans la rainure du dallage au sol et le siège bascula sur le côté, envoyant l’handicapé bouler sur plusieurs mètres.
Rachel laissa échapper un soupir fataliste : même handicapé, Darius restait une pile électrique avec un trop plein d’énergie à dépenser n’importe comment. Ce qui était très appréciable quand il fallait dégager des trésors d’énergies pour boucler des dossiers velus jusqu’à pas d’heure, mais pouvait s’avérer difficile à gérer quand il n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent.
L’imposante albinos releva le fauteuil, souleva délicatement l’infirme pour le remettre en selle, avant d’attraper d’autorité les poignées à l’arrière pour le pousser à un rythme plus raisonnable.
« Darius, tu vas finir par avoir des soucis à foncer comme ça dans les couloirs, affirma gentiment Rachel.
_ Penses-tu, relativisa l’infirme. J’ai lu et signé le règlement intérieur tout à l’heure et il est déconseillé de courir dans les couloirs. Alors d’une, y’a zéro obligation, et de deux, ne pouvant pas courir, je ne suis de toute façon pas concerné, par définition. Le diable, les détails, tout ça…
_ Je leur donne pas deux mois avant qu’ils n’adaptent le règlement intérieur à ton cas spécifique. J’en déduis que la signature de la convention d’hébergement est terminée. Ça s’est bien passée ? Demanda l’imposante albinos.
_ Nan, une horreur, avoua Darius, totalement dépité.
_ Ah bon ? S’alarma Rachel. Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?
_ Edwin. Voilà ce qu’il s’est passé !
_ Marlow ? M’enfin, mais que… ? »
Edwin Marlow était le lieutenant-commissaire rattaché à la troupe de Rachel. Depuis qu’il avait été assigné à ce poste, il avait toujours fait preuve d’une efficacité systématique et la jeune femme n’avait jamais eu à se plaindre de quoi que ce soit le concernant.
« Ce qu’il s’est passé ? Se plaignit l’infirme. Et bien déjà, il s’est pointé à la réunion avec la moitié des formulaires requis déjà pré-remplis. Je peux t’assurer qu’on était pas les seuls à qui ç’a coupé le sifflet. Mais c’est pas le pire !! Parce que l’autre moitié, là, que les bureaucrates d’en face nous ont sorti au débotté… Ben il les a rempli tout seul. Direct. Et à une de ces vitesses. Tac-tac-tac-tac-tac !! Ce type est pas humain, c’est juste pas possible. On est sûr que c’est pas un genre de pacifista administratif ?
_ Et ça t’étonne ? S’amusa Rachel. Bien sûr qu’il est doué pour ça : lui, il trouve ça simple à comprendre. J’avoue, ça m’échappe totalement comment il fait…
_ Ouais, mais il nous a carrément foutu la honte, là… Soupira Darius. Je veux dire, moi et mon équipe, ça fait des mois qu’on en bouffe des formulaires à la con pour ci ou pour ça. On a acquis une certaine aisance pour le sujet. On se sentait un peu expert en la matière, même ! Putain, comment qu’on vient de se faire renvoyer dans nos vingt-deux, là…
_ C’est comme ça, on trouve toujours plus fort que soi, s’amusa Rachel dans un sourire.
_ Ouais, ben qu’il profite bien, affirma l’infirme. Parce qu’on va bosser comme des fous et dans six mois, on va jouer la revanche, namého ! En plus, j… Stop-stop-stop ! Bureau 228 et 229, c’est là ! Les gars sont dans la 28. »
Rachel poussa docilement le fauteuil roulant jusqu’à la porte du bureau 228 que Darius ouvrit joyeusement.
« Salut les gars ! Y’a Rachel qui passe voir comment se passe l’installation ! » S’écria l’infirma à la cantonade.
Dans la petite pièce, une demi-douzaine de gars s’affairait. Plusieurs anciens de la troupe de Rachel, démobilisés à cause de leurs blessures, et deux anciens des Parieurs qui avaient souhaité se recycler dans la Fondation. Ils y avaient été accueilli à bras ouverts vu le nombre d’associations avec lesquels ils étaient déjà en contact.
Les bénévoles saluèrent chaleureusement la commandante, avant de lui faire le – très rapide – tour des lieux.
« Hé bien, tout se passe nickel, affirma l’un d’entre eux. On a installé les tables et les chaises, la machine à café est dans le coin là-bas et parfaitement fonctionnelle – d’ailleurs vous en voulez une tasse, Syracuse ?
_ Non merci, sans façon, c’est gentil.
_ Et les dendens commencent à s’acclimater à leur nouveau locaux. On essaye de les amadouer avec de la salade pour accélérer le processus ! On sera de nouveau opérationnel dès demain, m’est avis.
_ Super, les gars, les félicita Darius, bon boulot ! Continuez comme ça, j’ai hâte de reprendre les affaires sérieuses ! »
Les deux larrons refermèrent tout doucement la porte et Rachel les dirigea vers la 229, en face : le bureau de Darius. À peine entré, l’infirme impulsa une petite ruade à son fauteuil pour se dégager de la prise de l’imposante albinos et vint se planter au milieu de la pièce avant de se retourner triomphalement, bras écartés.
« Tadaaaa ! Et voici le cœur du bouzin ! S’exclama Darius. Ok, en face, c’est le centre névralgique, mais ici, c’est vraiment là que se passent les choses intéressantes : c’est mon bureau ! Il est trop cool, non ? Deux fois plus grand qu’à Hexiguel !
_ Hé bien… Fit diplomatiquement Rachel en détaillant la pièce presque entièrement pleines de cartons empilés.
_ Nan, mais d’accord, ç’a pas beaucoup de gueule vu comme ça, concéda l’infirme. Mais faut imaginer avec moins de cartons et plus de rangements, c’est tout.
_ Oh, ça sera très impressionnant, je n’en doute pas. » opina l’imposante albinos en souriant.
Darius croisa les bras, fier comme un paon, tandis que Rachel tentait visiblement de compter le nombre de cartons qu’on avait réussi à entasser dans la pièce.
L’infirme posa un regard évaluateur sur son ancienne supérieure. Ça ne remontait qu’à quelques mois depuis leur discussion dans l’infirmerie et pourtant, l’imposante albinos avait beaucoup changé. Certes les épreuves d’Hexiguel l’avait aguerrie, mais il y avait aussi autre chose. La jeune femme s’était affermie dans son rôle d’officier.
La sous-lieutenante qui se faisait trop de mourons pour ses hommes – beaucoup trop pour son propre bien – était maintenant devenue une solide commandante qui avait su trouver le bon compromis entre sa sensibilité naturelle et les nécessités du commandement. Et comme elle l’avait dit, le fait de savoir que d’autres étaient là pour s’occuper de ceux qui tombaient sous ses ordres l’avait beaucoup aidé dans ce cheminement.
Et somme toute, c’est plutôt satisfaisant de se dire qu’on a joué un rôle crucial dans cette évolution, songea l’infirme. Cela lui faisait plaisir d’avoir pu aidé son amie, même à son niveau.
« Wow, j’ai compté près de cent-cinquante cartons, s’exclama Rachel. Ça en fait, des dossiers traités. En vrai, c’est plutôt flatteur de se dire que j’ai joué un petit rôle dans la mise en place de ce truc…
_ Et c’est que le début, affirma Darius. On avait beau se démener sur Hexiguel, c’était chaud pour la visibilité. Les gens civilisés, ils ne savent même pas que les Confins existent… Maintenant qu’on est au QG, on va pouvoir rayonner sur l’ensemble de North Blue sans aucun problème. Crois-moi, ce qu’on a réalisé jusqu’ici, c’était qu’une mise-en-bouche par rapport à ce qu’on va pouvoir faire maintenant ! C’est officiel, aujourd’hui, le Rêve de Belmer prend véritablement son essor !
_ À ce propos, rebondit l’imposante albinos, j’ai toujours voulu te demander le pourquoi de ce nom.
_ Commença, le pourquoi ? Fit Darius en fronçant les sourcils.
_ Ben ch’ais pas… C’est qui Belmer, c’est quoi son rêve et le rapport avec notre tambouille… ?
_ Tu me fais marcher, là, Rachel ? Hé hé hé, me faire marcher, infirme. … Tu l’as ? Nan mais ok, j’vois bien que c’est vraiment pas ton genre d’humour… … M’enfin, Belmer, quoi !
_ Inconnu au bataillon.
_ C’était la mère de Nami, voyons ! Expliqua l’infirme.
_ Ah d’accord, acquiesça Rachel en hochant ostensiblement la tête.
_ Tu vois pas non plus qui c’est, hein ?
_ Nop, du tout.
_ Nami, c’était la navigatrice de Chapeau de paille ! Rassure-moi, t’en a entendu parler d’çui-là ? Vérifia Darius.
_ Oh ben dit, je connais la légende, comme tout le monde, quand même, se défendit l’imposante albinos.
_ Nami aussi fait partie de la légende, hein…
_ Rooh, c’est bon, ça date d’y a au moins dix milles ans, tout ça.
_ À peine un siècle ! Pis c’est littéralement l’Histoire !
_ Oui ben je suivais pas en Histoire, moi…
_ Belmer, c’était une Marine d’élite, expliqua Darius. Elle a été démobilisée après de nombreuses blessures et est rentrée sur son île natale en emportant deux orphelines qu’elle a adopté : Nami et Nojiko. Elle était pauvre mais ils vivaient quand même heureux. Le drame : le pirate Arlong arrive et décrète un impôt sur chaque tête. Belmer ne peut pas payer pour elle et ses enfants, alors elle se sacrifie pour eux et Arlong l’abat sous les yeux des petites.
_ Elle est horrible, ton histoire.
_ C’est les pirates qui rendent toujours tout horrible. Bref, les petites grandissent, Nami devient une experte-voleuse et fait la rencontre de Chapeau de paille. Le reste appartient à la légende.
_ Jusque là, ok.
_ Tout ce à quoi aspirait Belmer, c’était de pouvoir mener une vie heureuse avec ses petites, poursuivit Darius. Si quelqu’un, ou quelque chose, genre une association d’anciens combattants soutenue par une fondation leur permettant de couvrir plus efficacement tous leurs besoins – exemple totalement au pif, bien entendu, hein – bref, si elle avait pu recevoir de l’aide, hé bien, elle aurait pu vivre son rêve, tout simplement. Et si Belmer avait été là, alors Nami ne serait jamais devenue une voleuse. Et sachant que Chapeau de paille était au moins aussi nul que toi en navigation ; sans Nami, il serait resté à faire éternellement des ronds dans East Blue et l’Histoire telle qu’on l’a connaît aurait quand même été vachement différente, pour le coup. Ça fait partie de l’argumentaire qu’on sert aux financeurs qu’on démarche, d’ailleurs.
_ Ok, je comprends mieux, maintenant, acquiesça Rachel. Le Rêve de Belmer vise à aider les anciens Marines et leurs proches pour leur éviter des malheurs… C’est vrai que ça colle bien, finalement.
_ Tu sais que tout est expliqué dans notre brochure de présentation ? Soupira Darius en lui en lançant un exemplaire.
_ Je m’en doute, mais j’ai jamais pris le temps de la lire, s’excusa Rachel. Et puis j… Hé, minute, c’est quoi, cette histoire de Ticket Belmer ? Et y’a marqué "New" à côté, alors c’est normal que je sache pas, cette fois-ci.
_ Oh, ça ? C’est une idée de Krieger.
_ De Krieger ?? »
Jürgen Krieger était le fidèle sergent-chef de Rachel. Des idées, il en avait plus souvent qu’à son tour. Malheureusement, c’était rarement des idées utiles et applicables. D’où le profond étonnement de l’imposante albinos.
« Nan mais oui, mais non, mais d’accord… Pinailla Darius. Ok, en vrai, il nous l’a pas servi sur un plateau comme ça. Mais on était en train de discuter à propos des grands philanthropes, là, et il a sorti un truc comme quoi ce qui comptait pour ces types, c’est quand même plus d’avoir l’occasion de frimer que d’aider leur prochain. Partant de là, il a proposé une idée complètement stupide – c’est Krieger, tout de même – mais moi, du coup, ça m’a inspiré le coup des tickets. Mais bon, à la base, c’est son idée, ‘faut admettre.
_ Et donc ? Insista Rachel. Kézessé ?
_ En gros, pour chaque tranche de millions de berries donné, la fondation cède un Ticket, expliqua l’infirme. Ensuite, en échange de quatre cents tickets, le donateur peut demander un petit bonus custom à la Marine.
_ Quel genre de bonus ? S’enquit l’imposante albinos.
_ Hé bien sache qu’officieusement, on est soutenu à fond par l’Amirauté, signala joyeusement Darius. Donc c’est variable, genre une casquette dédicacée par un Amiral, une visite guidée du G-6 avec rencontre de l’Amiral Jared à la clef, ou bien une invitation à une soirée mondaine quelconque avec le gratin de l’Amirauté. Des trucs comme ça…
_ Une rencontre avec l’Amiral Jared… Tiqua Rachel. Heu… vu l’animal, c’est pas un peu… un peu… Ben, un peu, quoi.
_ Au contraire ! S’enthousiasma l’infirme. Les atypiques comme lui, c’est ce que recherchent les gens. J’veux dire, t’es parfaite en tant qu’officier, Rachel, mais on va pas se mentir, t’es gentille, raisonnable, humble, facile à vivre… Les gens qui voudraient te rencontrer n’auraient pas beaucoup d’anecdotes croustillantes à raconter pour épater la galerie après une entrevue avec toi. Alors qu’avec le Jared, là, ils vont carrément être servi. Nan, clairement, le petit frisson de l’aventure, l’impression de côtoyer la bête, ce genre de chose, c’est toujours nettement plus vendeur. Hé, l’objectif, c’est que les pétés de thunes dépensent sans compter, hein…
_ Jeeeee… vais prendre ça pour un compliment, en fait, décida l’imposante albinos.
_ Carrément. Et t’inquiètes pas, c’est rétro-actif, précisa Darius. Tu les auras, les tickets qui correspondent à tes dons. Non parce que j’ai bien vu comment tes yeux ont flashé à la mention de la casquette dédicacée, hein…
_ C’est gentil, mais moi, les tickets…
_ Nan mais exceptionnellement, pour toi, on gardera tes tickets dans les locaux, décida l’infirme. Je me doute bien que t’accorderas aucune importance à ces bouts de papiers, tu serais bien fichues de les paumer…
_ Merci. Tu me connais rudement bien, dis donc.
_ Franchement, je crois que j’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi peu matérialiste que toi.
_ En tout cas, c’est impressionnant de voir que tout ce que tu as accomplis en si peu de temps, assura Rachel. Beau boulot, Darius. Je ne regrette vraiment pas mon investissement.
_ Bah, c’est encore trop tôt pour les remerciements, plastronna l’intéressé. Maintenant qu’on couvre tout North Blue, l’objectif c’est clairement de toper les trois autres. Ça serait quand même le comble qu’un truc nommé le Rêve de Belmer soit absent d’East Blue.
_ Beau boulot, Darius, répéta doucement l’imposante albinos. Sur ce, Luvneel m’attend et j’ai un bateau à prendre. Je v…
_ Un instant, Rachel ! La coupa Darius. Heu… Avant que tu partes, j’aurais besoin de ton aide pour un truc qui va pas te plaire.
_ Heu… Tu sais que tu le vends vachement bien, dit comme ça ? Admettons, c’est pour quoi ?
_ Je voudrais que tu m’aides à me lever pour que je puisse te serrer très fort dans mes bras. » Fit l’infirme en lui tendant les mains.
C’est que Darius commençait à bien la connaître, son associée. Il savait que le syndrome de l’imposteur jouait à plein chez la jeune femme chaque fois que quelqu’un faisait montre du moindre compliment ou marque d’estime. Elle estimait trop souvent qu’elle ne les méritait pas et prenait habituellement grand soin de les esquiver en se retranchant derrière des platitudes telles que « je n’ai fais que mon travail, voyons ».
Mais il la connaissait aussi suffisamment bien pour savoir qu’elle n’était pas du genre à tourner le dos à quelqu’un qui lui demandait de l’aide. Après tout, c’était bien pour ça qu’elle avait financé cette fondation, en premier lieu.
Et effectivement, après un instant d’hésitation, l’imposante albinos lui attrapa les mains et l’aida à se redresser. Les jambes de Darius ne lui permettaient plus de se tenir debout par lui-même, mais ce n’était pas grave : il se laissa tomber en avant sur Rachel pour la serrer dans ses bras. L’imposante albinos lui rendit maladroitement son accolade, affreusement gênée par cette soudaine effusion.
« Merci de m'avoir permis de mettre tout ça en place, Rachel, déclara Darius avec émotion. C'était peut-être pas grand-chose pour toi, mais moi, ç'a changé ma vie. Vraiment. Et en bien. Alors merci.
_ Non mais j'ai juste... 'fin, heu... Mais c'était pas grand-chose non plus... bafouilla Rachel.
_ ...
_ ... Heuuu... c'est-à-dire que j'ai un bateau à prendre, rappela l'imposante albinos avec douceur alors que l'étreinte s'éternisait.
_ Tout le monde dit que vous rejoignez Luvneel pour intégrer l’expédition pour Vertbrume, murmura Darius la gorge nouée. Je vous promets de gérer la baraque sans faute en votre absence, alors je vous en prie, faites gaffe à vous, mon commandant. Faites vraiment gaffe.
_ C’est vrai, acquiesça Rachel, surprise par la détresse subite de son ancien subordonné. Mais pas d’inquiétude, tout ira bien, vous verrez, tenta de le rassurer l’imposante albinos en lui tapotant gentiment le dos. Allez, je vous promet de faire de mon mieux pour vous rapporter une prime du Nouveau Monde.
_ Ce qui me rassurerait vraiment, c’est que tu me promettes de tout faire pour revenir en un seul morceau, soupira l’infirme en relâchant sa prise et en se laissant retomber dans son fauteuil. Sérieusement, j’aurais vraiment horreur que toi ou tes proches ayez besoin du soutien de la Fondation. Me fait pas ce coup-là, hein..
_ Je ferai au mieux, ne pût s’empêcher de grimacer l’imposante albinos.
_ Tu parles, si quelqu’un a besoin d’aide, tu fonceras tête baissée sans te soucier des conséquences, comme d’habitude.
_ Que veux-tu, on se refait pas, hein… Ne t’inquiète pas, l’Amiral à un plan, ça va bien se passer. Et pis, en vrai, c’est pas comme si on allait tomber direct sur des pirates du Nouveau Monde, hein…
_ Mon dieu, pourquoi je crains le pire, tout d’un coup…
_ Sur ce, Darius, je te confie North Blue, déclara Rachel avec un grand sourire.
_ Et je la laisserai pas tomber jusqu’à ton retour, promit l’infirme. Ni même après, d’ailleurs, en fait. Bon vent, commandant. »