Affalé sur le dos meurtri par l’inconfortable roche, le jeune entrepreneur s’en remettait une fois de plus au destin pour échapper à son triste sort. Il venait toutefois d’augmenter ses chances de survie en hurlant d’une tonalité si aiguë qu’on aurait pu croire à l’enlèvement d’une enfant par un prédateur d’une autre espèce.
A la manière d’un aimant, le bougre attirait les péripéties sans interruption. Peut-être aurait-il été judicieux de suivre plus convenablement les cours de défense personnelle mis en œuvre lors des multiples séminaires inintéressants du Cipher Pol. A la place, l’ancien employé préférait écouter d’anciens agents poussés vers une retraite anticipée, eux qui adoraient dépoussiérer leurs pseudo-gloires passées tout en recrachant les petits fours tout juste mâchés. Mais face à cet énième danger, le cancre manquait de temps pour apprendre à se défendre sans aide extérieure, comme un grand. N’était-ce pourtant pas la raison pour laquelle il montait une équipe de gros bras ? Éviter de se salir les mains ? Plutôt éviter de se tordre le poignet en frappant. Si je m’en sors, je demande à Fenice comment frapper avec mes jambes pensa-t-il, épris d’un mince espoir d’avenir pendant ces maigres secondes où le lion des montagnes ne le dévorait que du regard, cherchant la pièce la plus tendre du morceau.
Déjà assombri par le pelage ébène de la bête, le ciel s’obscurcit de plus bel lorsque sa sauveuse se dressa au dessus du corps recroquevillé, protégeant corps et gants le vulnérable à terre. A défaut d’être autonome, l’agent de Supers avait au moins le mérite de s’entourer de personnes prêtes à se ruer vers le danger pour le sauver. Un savant mélange de physionomie et de naïveté attendrissante. Un cocktail nonobstant moins impressionnant que la prise qui envoya le matou quelques mètres plus loin, offrant au chapeauté l’occasion d’agrandir la distance d’un ridicule – mais réfléchi- roulé-boulé en arrière. Son acrobatie lui valu d’audibles plaintes, s’écorchant ici et là contre les rasoirs rocailleux, et l’empêcha de profiter de la fin du combat.
Le gantelet en métal se dressait face à lui, obstruant les rayons de l’astre pour offrir à Rilas un répit de courte durée, suffisant malgré tout à adresser à sa bienfaitrice tout le bien qu’il pensait d’elle :
" On vous a déjà dit que vous feriez une magnifique héroïne ? "Le temps d’un souffle, d’une fermeture de paupières et la maître-chien disparaissait dans un chahut assourdissant, évaporée en un claquement de doigt. La brise soutenue d’un évènement bref fit trembler le menton du cécité qui rouvrit les yeux. Seul. Déboussolé.
" Bah.. Ashlinn ? Puma effrayant ? Il n’y a plus personne ? Quelqu’un ?... "
Son attention vira vers une crevasse, non loin, d’où s’échappaient les échos d’une voix familière. Déjà terrée dans les profondeurs, les hurlements du soldat se déformaient trop amplement pour délivrer les conseils avisés de la sucrerie, reconvertie en carie pour se débattre dans la gueule du gecko.
Un rictus inquiet se dessina sur ses lèvres alors que le dilemme frappait à sa porte. L’engagée n’avait pas hésité un seul instant pour lui venir en aide, faisant fi de la nature du danger. Quant à lui, il gardait fixement son séant sur les graviers, bien moins téméraire que sa comparse disparue. Rendre la pareille ou se sauver ? Désormais, ses chances de voir le destin lui sourire étaient drastiquement réduites a l’instar de son groupe. Évidemment, le mécanidé s’était empressé de suivre sa créatrice (et je n’ai pas dit progénitrice, attention).
Un bref regard balaya les alentours dévastés, appuyant le sentiment de solitude au grand dam du laissé-pour-vivant. Aucun slip au dessus du pantalon à l’horizon, pas même le bruit aussi désagréable qu’excitant des combinaisons en latex. A peine volaient-ils de leurs propres ailes que le paternel regrettait de leur avoir donné tant de libertés.
" Fenice ?... "…
" Captain ?... "…
" Non ?.. Personne ?... "
…
" Que disent les slogans de sensibilisation de la Marine déjà ? En cas de danger, restez où vous êtes, cachez-vous et attendez les secours ? Je.. Je suis sûr que mes supers vont débarquer d’une seconde à l’autre… "
Une devise importante et pourtant si malencontreusement restituée, incomplète, coupée d’un de ses fondements principaux : contactez les autorités compétentes. Quatre mots - trois selon son jugement de la marine - cruciaux pour se sauver d’une montagne meurtrière. A côté d’elle, les rues de Manshon paraissaient si paisibles, presque bucoliques.
" Un bon chef est un chef qui est le premier sur la ligne de front.. Elle m’a sauvé la vie, je ne peux pas rester ici, les fesses aplaties. Soldat Ashlinn, je viens vous sauver ! Vous, votre chien, et vos autres personnalités ! "Un élan de courage inattendu s’empara de la perche, suffisant pour le remettre sur ses échasses fébriles et engager la marche jusqu’à l’ouverture des entrailles. Son visage, déjà crispé, se plissait pour affronter péniblement les émanations de soufre brûlantes qui s’échappaient par là. Pas de quoi éliminer ses réticences ou ses points noirs, discrets mais présents. Le plus dur était fait se rassurait-t-il mentalement alors qu’il pénétrait ENFIN les profondeurs du mont Jifu-San, pourtant pas au bout de ses surprises.
" Maintenant, il suffit de suivre le bruit pour la retrouver. Mais lequel..? Tous les bruits de ces grottes ressemblent à des plaintes inaudibles et infondées. "
Même si le rédacteur se désolidarise entièrement des propos du minable misogyne, il fallait lui accorder ce point : on ne comprenait pas plus la colère d’une femme qui reprocherait à son mari d’être rentré en retard que ces gargouillis magmatiques provenant des abîmes de la terre.
Le phallocrate progressait dans les galeries creusées naturellement. Une main sur le ventre pour contenir la boule d’angoisse qui s’y agitait, l’autre râpant les parois chaudes pour se guider alors que la luminosité faiblissait.
A mesure que sa vision s’assombrissait, son souffle accélérait au rythme d’un cœur battant frénétiquement. Paniqué mais pas figé, la silhouette se fondait dans l’obscurité la plus totale qui le rendit totalement aveugle. Privé de son deuxième sens préféré, surpassé de loin par celui de la parole (qui en était assurément un pour lui), le chapeauté fût assailli par la dimension sonore, terriblement exacerbée.
" Ne pas céder à la panique. Ne pas céder à la panique… "Se répétait-il entre ses lèvres avant que l’écho ne s’en empare pour l’amplifier, rendant sinistre une phrase se voulant rassurante.
" Toi qui voulais de l’aventure, te voilà en plein dedans mon grand. Ce n’est pas le moment de se défiler, surtout si tu veux impressionner le bonbon schizophrénique. Je suis sûr qu’elle s’entendra parfaitement avec les autres membres du groupes ! "
Alors qu’il se parlait à lui-même pour chasser la folie, Rilas percevait presque les bienfaits du trouble de la personnalité dont était victime Ashlinn. C’est ce qu’il pensait tout du moins et la réponse sèche administrée ne lui fit pas changer d’avis.
Sa dextre tâtonnait la roche comme seule guide dans les ténèbres ardentes.
" Oups pardon madame. "
Les doigts du maladroit venaient de palper une rondeur mollassonne. Une sexagénaire nudiste ici ? Gluante de surcroît ? Une étrangeté sur laquelle le pervers ne s’attarda pas, faute de vision et d’une timidité envers la gente féminine. La propriétaire de la présumée mamelle ne s’était même pas offusquée du pétrissage. Un silence qui encouragea Rilas à continuer sa route dans le noir abyssal.
Sans relâche, bravant la peur et les odeurs nauséabondes - qui venaient en partie de ses aisselles suantes - l’aventurier parcourait les couloirs magmatiques avec son instinct comme seule boussole.
Soudain, un bruit plus conséquent vint perturber son ouïe, suivi d’une secousse qui le fit trembler de tout son être.
" Qu’est-ce que c’était que ça ? J’ai mangé il y a moins de quatre heures, impossible que cela provienne de mon ventre, krikri. Mais alors.. Ashlinn ?! Tenez-bon petite sucrerie rosée, votre futur patron arrive ! "
Comme à son habitude, on entendait que lui. Et comme si sa tirade ne suffisait pas, l’écho mesquin distribuait ses paroles au plus profond de l’île. De quoi donner de mauvaises idées à l’orateur aussi charismatique qu’insupportable.
Il venait pourtant d’ouvrir la voie vers son but, usant malgré lui de sa grande gueule comme d’un ultrason. Émission et réception. Si bien que se dessinait au loin les prémices d’une lueur réconfortante, pas assez claire pour provenir de l’extérieur. Loin d’être un volcanologue de génie, le chapeauté se doutait de l’existence de cavités plus imposantes, creusées par la lave lumineuse.
" Un méchant se terre forcément dans l’endroit le plus dangereux. S’il y a de la lave, alors je trouverai sans doute la bestiole qui l’a attrapée. "Si la luminosité grandissait, la distance entre ses pas rapetissait pour approcher la gueule du loup avec précaution. D’abord ébloui par l’illumination croissante, le discret s’étonna des nouveau bruissement qu’il percevait.
Le choc assourdissant du métal qu’on abat contre la pierre, aisément reconnaissable après ses semaines de bagne.
" Des griffes sont aussi acérées qu’une lame… "La bourrasque d’un souffle brûlant.
" Capable de cracher le feu ardent… "L’effondrement de la pierre.
“ Si puissante qu’elle balaye la roche de sa queue… ”
- Dépêchez-vous misérables vermines ou le capitaine vous balancera dans la lave !
“ Assez intelligente pour menacer verbalement ? Uh ? “L’horizon s’était complètement éclairci pour dévoiler la fin de l’allée, abrupte, offrant un surplomb sur une scène inattendue en ces lieux. Se hissant jusqu’à ce dernier sur ses quatre pattes, Rilas venait de mettre involontairement le nez dans une sombre affaire.
En contrebas, hommes et femmes se démenaient contre une roche grisâtre à coup de pioches. D’autres se chargeaient d’acheminer les cailloux extraits sur des tapis roulants, eux-même manœuvrés par d’énième esclaves enduits de crasse. Le tout était géré dictatorialement par quelques contremaîtres positionnés aux endroits clés de la chaîne de production, tous semblant agir sous le joug d’un fanion noir donc l’espion ne distinguait pas bien le symbole.
Rilas se jeta au sol subitement, retirant aussitôt son couvre-chef pour éviter que le blanc ne dépasse de la cachette. A quelques pauvres mètres plus bas se baladaient deux tortionnaires truculents, d’une forme olympique comparé aux exploités qui tombaient comme des mouches, croulant de fatigue, en manque d’oxygène.
- Cette grixcendre ne va pas s’extraire toute seule ! Si vous n’atteignez pas les dix tonneaux avant ce soir, vous servirez de repas à la Salamandre !
- Niar niar niar. Et le pire c’est qu’ils croient à cette histoire. J’ai rarement vu une idée de génie pareille.
- Le patron a fait fort sur ce coup. Déterrer une vieille légende locale pour exploiter tran-qui-llement cette poudre.. Ils sont vraiment débiles ces konami- ces konarme-..
- Je crois qu’on dit koneashimiens.
- La ferme ! C’est exactement ce que j’ai dit. T’as de la suie dans les oreilles.L’homme resserrait le chapeau contre son torse, les oreilles grandes ouvertes pour investiguer sur ce poteau rose de grande ampleur. A la manière d’un lombric, Rilas ondulait pour quitter le promontoire et se remettre sur ses deux pieds.
“ La bête n’existerait donc pas ? Mais qu’est-ce qui a attrapé le soldat alors ? Il faut que je retrouve les autres. “…
“ C’est par où déjà ?... ”