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[Quête] Les flammes du mal - Incipit

Dans l'épisode précédent :

Olek coulait, tout comme des dizaines de corps mourants et de débris autour. La mer, d'un turquoise transparent quelques minutes auparavant, n'était plus que d'un rouge sombre et opaque. Sa propre vision était rendue floue par son état critique et ses nombreuses hémorragies. Ce fut avec une ironie morbide qu'il vit avant de tourner de l'œil des requins s'approcher, menaçants et déterminés à faire de lui leur casse-croute.  Ils surgirent des profondeurs et se jetèrent à pleines dents sur lui et les autres malheureux en train de couler. Le pirate n'avait ni la force ni suffisamment d'air pour crier, mais la douleur d'un bébé requin en train de lui mâchouiller la cheville lui fila un regain d'énergie suffisant pour qu'il puisse voir clairement sa propre mort. Et pour le coup, elle était originale :

Une bouche énorme engloba son champ de vision, si large que même lui, du haut de ses trois mètres, paraissait ridicule. De cette mâchoire colossale sortit aussi vive que l'éclair une longue langue râpeuse. Olek vit cette liane visqueuse immonde l'enlacer, l'attirer à lui et l'avaler inéluctablement. Le monstre immense et hideux, mi-crapaud, mi-poisson-chat, continua sa besogne et goba sans relâche tout ce qui coulait. Morceaux de ponton et de coque, caisses en bois et sacs de tissus, blessés et noyés, le tout en laissant échapper à chaque coup de langue un son caverneux tout droit sortit de ses entrailles. Une sorte de vrombissement grave qui pulsait de sa gorge et ondulait sur les eaux. Il s'agissait du rire de la bestiole ou plus exactement de son ronronnement, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu le ventre plein et en cette fin d'après-midi, la chance lui souriait enfin.

À la surface, le cuirassé volé par Jack s'éloignait à pleines voiles, pourchassé par le contre-amiral Sillius Blake et sa flotte. Tournant autour de la zone du combat, proche de l'île en proie aux flammes, les hommes-poissons de l'équipage du contre-amiral Ulrik sondaient les eaux à la recherche du moindre survivant et de la dépouille du pirate primé. Tandis que le soleil disparaissait timidement à l'horizon, le capitaine rappela enfin ses hommes. Bredouilles, ceux-ci lui apprirent qu'un monstre marin gigantesque avait englouti tout ce qui s'y trouvait. Ulrik serra si fort la rambarde qu'elle explosa en morceaux, il devait prendre une décision et vite, son supérieur, le vice-amiral Jurgen, n'accepterait jamais leur "victoire" s'il rentrait sans preuve. Surtout que la deuxième Supernova, le détestable Skellignton, était en bonne voix pour s'échapper aussi. Cette mission ne pouvait, ne devait pas être un échec, toute sa carrière en dépendait. Le regard sévère et les poings crispés, il distribua ses ordres. Ils écourtèrent donc la cérémonie d'adieu en l'honneur de leurs frères d'armes disparus et prirent le large. Leur objectif était simple, traquer cette maudite bête et lui ouvrir le bide pour recouvrer les restes d'Olek ou alors la chasser suffisamment longtemps pour que de nouveaux ordres leur parviennent. La seconde option étant de loin sa préférée.

Olek de son côté se sentit avaler, une drôle d'expérience. Son corps fut malaxé le long d'un tuyau gluant qu'il devina comme étant la trachée du monstre. Il cessa de lutter et s'abandonna à la mort et aux ténèbres alors qu'il chutait dans le vide, s'enfonçant dans une sorte de vase brulante. Quelques cris de misérables encore vivants et pris au piège avec lui le bercèrent vers une inconscience bienvenue. Ce fut dans ce bain quasi bouillant qui anesthésiait et cautérisait ses blessures qu'il s'endormit. L'estomac du monstre, capable de digérer sur plusieurs années jusqu'au granit marin, commençait doucement, mais surement son travail corrosif.

De nombreux jours passèrent, charbon ardent de souffrance, le pirate n'avait plus rien d'humain et était à présent un être dénué de raison. Il divaguait entre la vie et la mort, les rêves et la réalité, la frontière entre les deux mondes était si fine qu'il ne savait jamais dans laquelle il se trouvait. Ces quelques moments d'éveil étaient rythmés par des éclairs de douleurs si intenses qu'il ne souhaitait qu'une chose, en être délivré et resombrer dans l'oubli. Som métabolisme monstrueux lui permettait de survivre dans cet acide gastrique là où tous les autres malheureux piégés avec lui n'étaient déjà plus que des squelettes fumants. C'était bien ça le problème, il semblait pris au piège dans un cycle de souffrance infinie et même si son esprit, sa psyché avait abandonné son corps, ce dernier se refusait encore et toujours à rendre son dernier souffle, une machine biologique dont les rouages luttaient sans fin, mais surtout sans raison.  

L'instinct de survie était probablement la chose la plus puissante au monde, plus puissante même que la mort, son ennemie jurée, son opposée et sa raison de vivre, paradoxalement. L'un ne peut vivre sans l'autre, sans la menace d'une mort imminente et d'une souffrance inconsidérable, la lutte inconsciente pour en survivre n'exciterait pas. Dans cette logique, le corps d'Olek se débattait, encore et toujours pour ne jamais laisser s'éteindre sa fine étincelle de vie. Ses mains valides se tendaient dans les ténèbres par spasmes irréguliers à la recherche de nourriture, de la moindre chose comestible à se foutre sous la dent. Ses mâchoires fracassaient, broyaient et mastiquaient tout ce qui semblait avoir une quelconque substance organique.

Il bouffa ainsi toute la nourriture ingurgitée et prédigérée de la monstruosité qui l'avait avalé. Au menu, du monstre et mammifère marin à la pelle, du crustacé et du poisson, peut-être même de l'homme-poisson et de l'humain. Le pirate ne le saurait jamais et sa santé mentale l'en remercierait toute sa vie. Au-delà de son état maladif, fiévreux et complètement délirant, les ténèbres omniprésentes dans l'estomac de la bête n'offraient aucun repère, laissant tout à l'interprétation, à une imagination malsaine contrôlée par des cauchemars bien réels. Des illusions qui se mêlèrent aux étranges bruits de l'endroit, tant aux sons gutturaux du propriétaire de l'organe digestif et de son système parasympathique qu'aux gémissements des dizaines d'autres créatures avalées, blessées et mourantes.
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Préférant l'eau d'ici que l'au-delà, petit à petit l'homme qu'était Olek revint à la surface de la conscience et du présent. Il n'avait aucune idée du temps qu'il avait passé dans ce suc gastrique, dans cette poche à l'odeur nauséabonde ni ce qu'il avait pu y bouffer. La seule chose qui importait était qu'il reprenait des forces et commençait à se repérer dans l'obscurité, à s'habituer à la pénombre omniprésente. Son esprit avait même tenté de dessiner un schéma virtuel à plusieurs reprises, mais chaque mouvement un peu trop brusque du monstre retournait l'endroit et tout ce qui s'y trouvait. Olek se voyait alors secoué dans tous les sens et cogné contre les muqueuses rugueuses jusqu'à perdre toutes notions de l'espace.

Il finit par abandonner l'idée et se concentra sur ce qu'il pouvait maitriser, sa guérison. Il se hissait avec peine sur des rochers ou sur ce qu'il devinait être des morceaux de navires pour reprendre des forces et ainsi calmer les brulures dues aux bains prolongés dans l'acide chlorhydrique. Il détestait ces moments de calme et de lucidité, mêmes s'ils étaient sources de répit pour son corps, la douleur physique s'amenuisant, sa clarté d'esprit revenait au galop et avec elle les pathétiques souvenirs de sa récente défaite. L'humiliation avait été terrible et son égo continuait de saigner abondamment, une plaie ouverte, invisible dans sa fierté autrefois titanesque et infaillible.

Olek se détestait, sa toute-puissance autoproclamée et acquise après des années de victoires était finalement fissurée, tout comme le miroir grossissant qui reflétait faussement son talent et son ambition démesurée. Grand-Line était un autre monde, il s'en rendait compte maintenant et les paroles de Red il y a dix ans tournaient en boucle dans son esprit névrosé, sonnant le glas de son ignorance :

"Alors si tu veux quitter ce trou et survivre, il faut que tu mettes bien dans le crâne qu'il y a toujours un type plus fort que toi qui t'attend quelque part. "

Une vérité dure à accepter que le pirate avait refusé d'entendre, jusqu'à aujourd'hui. Cela faisait quelques mois à peine qu'il voguait sur ces mers, son combat contre Urik avait été son premier véritable duel dans la cour des grands et il l'avait perdu, pitoyablement et sans équivoque. Le sentiment qui l'habitait était un de honte et de dégout, la seule raison pour laquelle il n'était pas encore un morceau d'étron de monstre marin coulant dans les profondeurs au gré des courants était son corps, son sang, son héritage qui ne s'était jamais avoué vaincu, à l'instar de son mental brisé.

Il récupéra un semblant de dignité à cette pensée, comme l'on ramasse les miettes d'une épée cassée. Olek était en vie, c'était indéniable et il avait toujours su qu'il rencontrerait un jour des gens à la puissance frôlant le divin. Le problème était que son adversaire n'était qu'un homme comme les autres, pas de pouvoirs spéciaux, pas d'avantages déloyaux, aucune capacité spéciale, rien d'autre que de la discipline et de l'entrainement alliés à des années d'expérience. Discipline et entrainement, deux mots que le pirate détestait, dont il ne connaissait même pas la définition et qu'il considérait comme l'arme et le recours des faibles. Il n'avait eu besoin d'aucun des deux pour arriver là où il était, sa puissance brute et son talent inné ne lui avaient encore jamais fait défaut, jusqu'à aujourd'hui.

Il était tombé de haut et sa décadence psychologique était aussi douloureuse que le coup qui l'avait vaincu. Le pirate était trop fier pour se trouver des excuses, il aurait pu rejeter la faute de sa défaite sur le boulet de canon qu'il s'était pris en pleine tronche avant le début du combat, ou encore sur sa gueule enfarinée et alcoolisée, mais fuir la réalité n'avait jamais fait partie de son tempérament. Cette conviction inébranlable envers soi-même, lorsqu'elle se fissurait, se transformait en mensonge, en malédiction. Tout ce en quoi il croyait risquait de partir en fumée et ça, il ne pouvait le permettre.

Son corps, envers et contre tout, venait de lui prouver une fois de plus qu'il était plus grand que la mort, cette maudite faucheuse n'était rien d'autre qu'une vieille prostituée ridée et coriace qui ne l'aurait jamais. Son destin n'était pas de finir dans l'intestin d'une bête au QI d'huitre. Il n'avait encore rien vécu, rien découvert, ni retrouvé Red, ni vécu assez d'aventures avec Jack et ses troufions, il n'avait pas encore prouvé à son défunt père que ses choix avaient été les bons. Mais surtout, il n'avait encore conquis aucun territoire ni pris de princesses et reines pour épouses, ce stupide rêve de gosse qui pulsait dans un coin de sa mémoire comme un phare en pleine tempête.
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Olek devait se reprendre, renaitre et se relever encore plus fort de cette épreuve. Ainsi livré à lui-même dans les ténèbres, au fin fond des mers dans le ventre de cette créature, le temps semblait arrêté. L'endroit était idéal pour se remettre en question et là où le phœnix renaissait de ses cendres, le pirate renaitrait de la merde et des viscères. Il continua donc à manger tout ce que la bestiole ingurgitait, sans relâche, son appétit était immense et chaque calorie avalée, quelle que fût son origine, lui redonnait une fraction de sa force qu'il pensait avoir perdue à jamais. Certains repas étaient infects à la texture si traumatisante qu'il remercia les dieux de ne pouvoir voir ce qu'il avalait, mais il continuait encore et toujours à se goinfrer. Son quotidien était simple, manger et dormir, entre deux, revivre sa défaite et les moments clés de sa vie, réfléchir à ce qu'il aurait pu faire autrement. Chose compliquée pour lui qui n'avait toujours suivi qu'une seule et unique stratégie : rentrer dans le lard la tête la première.

Le pirate était pour la créature ce qu'un vers intestinal était pour l'humain, plus Olek mangeait et plus le monstre marin gobait et chassait des proies pour combler le manque de calorie créé par cet hôte indésirable. La bestiole, autrefois aussi large que grande était en train de maigrir de jour en jour, son gras fondait comme neige au soleil sans qu'elle en comprenne la véritable raison. Plus elle mangeait et plus elle s'affaiblissait et perdait du poids, folle de rage et affamée elle sillonnait les mers à la rechercher de nourriture, continuant ce cycle incohérent qui causait doucement sa perte.

Olek de son côté, sans être en pleine forme, commençait à reprendre du poil de la bête, sans mauvais jeu de mots. Le régime alimentaire à base de poiscailles qu'il subissait à son insu depuis des semaines, était ultra protéiné, bourré de collagène et d'acide gras nécessaire à la reconstruction de son organisme et de ses tissus. Il en avait même peut-être légèrement abusé, son ventre, autrefois veineux et strié de muscles était à présent recouvert d'une grosse couche de graisse, une boue de sauvetage qu'il n'avait jamais porté et qui lui rappelait avec nostalgie son vieil ami Gura, un catcheur des blues disparut depuis longtemps.

Gras, complètement nu et blanc comme un cul, le corps strié de cicatrices plus ou moins récentes, le tout couplé avec une barbe de plusieurs mois et des cheveux tombant jusqu'aux fesses. Le colosse s'éloignait chaque jour un peu plus du modèle humain et de la civilisation. L'absence de lumière et d'activités sociales tout autant que les effluves toxiques de l'endroit commençait à peser sur sa santé mentale déjà bancale, jusqu'au jour où il n'en put plus. Alors que la bestiole semblait dormir et que rien ne bougeait, ni à l'intérieur ni à l'extérieur, il décida d'escalader la paroi de l'intestin et retrouver la surface. Le pirate s'engouffra dans la trachée, se faufilant dans un long tuyau visqueux, l'air y était un peu plus frais, moins acide et piquant. Il continua son ascension avec un peu plus d'entrain, mais tout en douceur pour ne pas réveiller le monstre, jusqu'à enfin atteindre la glotte.

Il pouvait voir, par intermittence et à travers les dents gigantesques de l'animal, la lumière de la lune et des étoiles à l'extérieur. Rythmée par la respiration du sommeil profond de son geôlier, Olek apercevait sa liberté à portée de mains, par delà la gigantesque bouche à moitié fermée. Il s'apprêta à taper aussi fort que possible contre les parois de la mâchoire lorsqu'une idée bien plus vicelarde naquit dans son esprit. Son regard revint vers la glotte qui tremblotait à chaque ronflement et sa ressemblance avec un sac de frappes en devint frappante, jeu de mots à l'appui.

En équilibrant le poids de son corps sur la langue du monstre endormi, Olek se redressa, écarta légèrement les jambes et arma son bras le plus lentement possible. Le poing fermé, les phalanges prêtes à exploser sous la pression, il mit dans son coup toute sa rancœur, toute sa frustration, l'intégralité de sa haine et de sa rage accumulées ces dernières semaines. Du sang coula de ses ongles perforant la chair des paumes, et au moment où la première goutte toucha le sol, il envoya sa frappe.

Le bruit fut salvateur pour le pirate et sonna le glas pour la bestiole, l'impact, elle, fut dévastatrice et les répercussions instantannées. La créature dans un hurlement de douleur vomit l'intégralité de son estomac et Olek fut propulsait dans les airs, dans un geyser verdâtre sous un clair de pleine lune. Son rire, roque et bestiale de celui qui n'a pas parlé depuis longtemps, accompagna sa chute libératrice jusque dans les bras glacés de la mer. Il continua durant plusieurs minutes, clamant sans aucune retenue sa joie de vivre aux étoiles et aux dieux, frappant la surface de l'eau de ses bras comme un gosse surexcité. À quelques mètres, le monstre marin récupérait tant bien que mal de cette attaque sournoise et crachait des glaires rouge sang.

- Bien fait pour ta gueule sale merde ! Maintenant c'est l'heure de la fessée !

Celui qui avait inventé le dicton "la vengeance est un plat qui se mange froid" n'aimait probablement pas la nourriture ou n'avait pas la force nécessaire pour agir sans réfléchir sur le coup. Pour Olek, la vengeance était semblable à un bon barbecue : saignante, fumante, très sale et cancérigène.

Bien que très bon nageur, le pirate restait en position de faiblesse en pleine mer contre un monstre marin, sa seule chance de victoire se trouvait dans l'état critique dans lequel la bestiole se trouvait. Il repartit donc à l'assaut dans un crawl puissant, atteignant la créature en quelques secondes, une vitesse de pointe qui aurait rendu Alain Bernard fou de jalousie. Malheureusement, ce ne fut pas suffisant, le monstre venait de reprendre possession de ses moyens et attrapa d'une main trouée et striée de cicatrices l'humain qui lui fonçait dessus. Il tenta de l'écraser en serrant le poing aussi fort que possible, mais ce fut les articulations de ses doigts qui craquèrent sous la pression, il hurla de douleur en ouvrant la paume pour voir les restes écrasés de sa proie.
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La déception autant que l'incompréhension furent visibles dans ses yeux jaunes globuleux, Olek était au centre, intacte, nue comme un verre et l'entièreté de ses muscles contractés en défense. Le pirate restait cependant inerte, le faciès défiguré par un élan de concentration inhabituel alors qu'il cherchait quelque chose dans ses souvenirs. Il finit par trouver et explosa une nouvelle fois de rire devant le comique de la situation. Cette gigantesque main palmée abimée, ce nez fracassé, cette silhouette énorme aussi ingrate que grasse. Malgré la faible luminosité et les quelques tonnes de kilos perdus suite au régime forcé des dernières semaines, Olek reconnut enfin le monstre marin en face de lui.

Cette foutue bestiole l'avait suivi depuis South Blue ? Depuis toutes ces années ? Leur combat à l'époque s'était terminé en un match nul, les deux finissant dans un état pathétique, l'un coulant dans les profondeurs et l'autre sauvé de justesse par une petite ange du nom d'Izya. Aujourd'hui célèbre Reine Céleste connue dans le monde entier, elle n'était à l'époque qu'une jeune femme apeurée au moindre signe de monstre-marin. Le colosse prit deux coups, un de vieux et un de pression, lui qui n'avait pas accompli grand-chose en comparaison repensait à ce moment avec nostalgie. C'est elle qui l'avait sauvé alors, à croire que le pirate avait toujours eu besoin d'un chaperon, son père Druss, Red, Gura, Izya et maintenant Jack. Cette pensée pitoyable le mit hors de lui, en lunatique accompli il cessa de sourire et fit claquer ses poings l'un contre l'autre avant de repartir à l'assaut dans un cri de colère et de honte dissimulée.

Le truc était que la créature aussi avait gagné en puissance depuis lors, aussi rapide que la maudite mouche qui osait l'affronter, elle usa dans sa longue langue comme d'un fouet. Elle claquait l'air dans un son tonitruant, cherchant autant à se saisir de l'humain qu'à le blesser tandis que celui-ci sautait au dernier moment, tant sur une épaule, que sur sa tête. Substantivement plus vif, Olek parvenait à éviter de justesse les attaques dévastatrices du monstre tout en causant de sérieux dégâts avec ses poings, il laissait à chacun de ses passages des petits trous béants et douloureux dans la peau verdâtre du monstre qui s'affaiblissait.

Il décida de le finir et attrapa de ses bras puissants la langue à présent beaucoup moins vive. D'un double saut, il atteignit l'épaule opposée jusqu'à se retrouver à pendre dans le dos de la créature. Sa propre langue serrée autour du cou et l'humain en train de tirer de toutes ses forces, le monstre marin se débattait avec l'énergie du désespoir pour ne pas finir étranglé à la Jabba le Hutt. Sans grand succès, sa vision finit par s'assombrir et le mastodonte vaincu tomba à la renverse, son corps inerte flottant à la surface.

Olek, éreinté par le combat, sortit de l'eau et grimpa sur le ventre protubérant du monstre avant de s'y affaler. Bras et jambes étendus, il se laissa caresser la peau par les rayons de lune et profita tant de l'air frais que de ce calme post-apocalyptique presque surnaturel. Gagner faisait du bien, il était né pour ça, pour vaincre et dominer, il était amoureux de cette sensation et se promit de ne jamais plus l'oublier. Le pirate s'endormit au rythme de la cage thoracique du monstre sous lui qui montait et descendait, une respiration profonde qui le berça aussi tendrement que les bras de morphée.

Il fut réveillé par des secousses violentes, le soleil pointait timidement le bout de son nez à l'horizon et ses premiers rayons de soleil n'apportaient qu'une chaleur bénigne. À l'eau, une dizaine de petits monstres-marins s'affairaient à bouffer les poignées d'amour du mastodonte, la respiration de celui-ci était beaucoup plus faible et sifflante, mourante même. Son manque de réaction face à ce danger qui aurait dû le faire hurler de douleur signifiait qu'il n'en avait plus pour longtemps. Voir cette créature qui avait failli avoir raison de lui se faire bouffer ainsi vivant par de la vermine le mit hors de lui. Il ne pouvait laisser cet être ancestral qui devait terroriser les mers depuis des centaines d'années mourir d'une manière aussi pathétique.

Le pirate se mit donc au travail et fit ce qu'il faisait le mieux, il attrapa sans ménagement et d'une main ferme un des monstres par la queue et tabassa les autres avec. Olek continua ainsi pendant plusieurs heures, le sang de l'immense crapaud-poisson-chat attirait les bestioles sur des kilomètres à la ronde, comme le miel avec les mouches. Le soleil était à son zénith et l'humain aux allures de géant ne tenait plus un, mais deux monstres, fracassant sans relâche les interminables têtes de poiscaille. L'effort lui faisait du bien et lui permettait de renouer avec sa nature de chasseur, il sentait ses muscles bruler et se crisper sous l'effort. L'adrénaline et l'endorphine prenaient possession de la douleur et lui donnaient l'énergie autant qu'une envie masochiste de continuer à forcer malgré la fatigue grandissante.
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Sans s'en rendre compte, ils finirent par buter contre un petit îlot, avec une dizaine d'arbres et une plage au sable blanc, l'endroit était trop petit pour être considéré comme une ile ou cartographié sur une carte. Le pirate sauta à terre et usa de ses dernières forces pour remorquer le mastodonte sur la plage, enfin à l'abri des dents de la mer, il se permit quelques minutes de repos qui se transformèrent en plusieurs heures. Lorsqu'il se réveilla, le matin était déjà bien avancé et la première chose qu'il fit fut de vérifier si le monstre respirait encore, se disant qu'au pire, il n'avait pas fait tout ça pour rien et qu'il aurait de quoi manger pendant plusieurs jours.

Heureusement ou malheureusement, la bestiole respirait toujours et après deux ou trois gifles retentissantes, elle ouvrit même les yeux. Olek, accroupi sur son front, put y voir la résignation et la mort, une absence totale de résistance. Le mastodonte avait perdu trop de sang et comptait se laisser mourir ici.

- Hors de question ! Tu fais un bien trop bon punching-ball pour que je te laisse crever ici le crapaud !

C'est ainsi qu'Olek passa les prochaines semaines, à soigner, nourrir et surveiller la créature, refusant de la laisser mourir en la forçant à bouffer et en cautérisant ses blessures les plus graves à l'aide de morceaux de bois brulés. Faire un feu était simple, chasser les bestioles qui rôdaient autour de l'ilot encore plus et le pirate se surprit à apprécier ces quelques jours à l'état sauvage, à chasser, à bouffer du steak de monstre marin, à dormir à la belle étoile et à empêcher la grosse bestiole de clamser. Lui-même avait retrouvé la pleine possession de ses moyens, sa peau était de nouveau tannée par un bain de soleil permanent, ses muscles avaient retrouvé leur pleine puissance et leurs  veines étaient revenues, palpitant poétiquement au rythme de ses battements de cœur réguliers.

Très vite le monstre comprit qu'il devait sa survie à l'humain et son regard haineux changea et s'adoucit. Ses pupilles se dilataient de jour en jour et le pirate pensait même y voir une sorte de reconnaissance chaque fois qu'il lui apportait son repas. Ils finirent par se lier d'amitié, ou au moins faire preuvre d'un respect mutuel. Olek commença même à lui raconter sa vie et ses aventures, sans jamais avoir de réponse, il était cependant  intimement convaincu que la bestiole comprenait ce qu'il disait, si ce n'était les paroles alors au moins leurs intonations.

Vint le jour où le crapaud put se mouvoir à nouveau et se remettre seul à l'eau, il disparut dans les profondeurs de la mer sans un regard en arrière et le pirate se sentit trahi l'espace de quelques minutes, pour finalement voir surgir de l'autre côté de l'ilot l'immonde pastèque à dents de sabre qui lui faisait office de compagnon ces dernières semaines. Pour s'amuser, la créature lui cracha à la gueule un geyser d'eau capable de briser les os et qui l'envoya s'écraser contre les quelques arbres encore debout. Un vrombissement sourd tout droit sorti des entrailles du monstre marin fit trembler la surface de la mer et Olek comprit qu'il s'agissait de son rire. Ils se tapèrent ainsi sur la gueule avec tendresse et allégresse pendant plusieurs jours.

Alors qu'ils somnolaient côte à côte à regarder les nuages passer en une belle fin d'après-midi orageuse, l'un dans l'eau et l'autre sur la plage au sable blanc, leur corps parsemé d'ecchymoses et de blessures superficielles, Olek tourna le regard vers son nouvel ami et lui dit d'une voix faussement sérieuse.

- Il va falloir que je bouge. J'ai des choses importantes à faire dans le monde et mes amis m'attendent. J'ai perdu déjà beaucoup trop de temps.
- GROAAAAA !

Quoi que cela puisse signifier, le pirate continua.

- Je te propose de m'accompagner, il faut qu'on suive ce bout de papier !
- GROAAAAA !

Son lexique de cris n'était pas très varié. Olek s'enfonça la main dans le derrière et sortit du fond de son cul une bouteille en fer. Il la déboucha d'un coup de dents et en sortit deux feuilles parfaitement sèches et protégées, une petite qui n'était autre qu'une vive card pour armada, plus particulièrement les Précieuses, et l'autre un poster wanted de l'impératrice Kiyori. Il montra fièrement l'affiche au mastodonte.

- Et vlà ma cible finale ! Elle est belle, hein ? Une vraie tête à claques, une de ses commandantes m'a humilié alors que j'étais bourré, du coup faut que je me venge ! Mais j'hésite encore entre lui foutre une fessée, l'épouser ou les deux à la fois !
- GROAAAA !

Il explosa de rire.

- T'as bien raison ! Allez, allons-y !

Quelques jours plus tard, une flotte de la marine accostait sur le même petit bout de terre. Le contre-amiral Ulrik, en fin traqueur, savait qu'ils venaient enfin de retrouver la trace de la supernova. La chasse continuait.
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