- Dans l'épisode précédent :
- Après avoir secouru Jack des mains du célèbre chasseur de primes Charles Belhomme sur Whiskey Peak, la troupe de pirates pense ses plaies sur une petite île méconnue de Grand Line. Ils sont alors retrouvés par une flotte de la Marine composée du Vice-amiral Jurgen et de deux contre-amiraux qui les prennent par surprise. Tandis que Jack et quelques autres parviennent à s'échapper in extremis, Olek est séparé du reste de l'équipe suite à un duel contre le contre-amiral Ulrik. Il est porté disparu après être tombé d'une falaise et dans les flots, sans jamais réapparaitre.
Olek coulait, tout comme des dizaines de corps mourants et de débris autour. La mer, d'un turquoise transparent quelques minutes auparavant, n'était plus que d'un rouge sombre et opaque. Sa propre vision était rendue floue par son état critique et ses nombreuses hémorragies. Ce fut avec une ironie morbide qu'il vit avant de tourner de l'œil des requins s'approcher, menaçants et déterminés à faire de lui leur casse-croute. Ils surgirent des profondeurs et se jetèrent à pleines dents sur lui et les autres malheureux en train de couler. Le pirate n'avait ni la force ni suffisamment d'air pour crier, mais la douleur d'un bébé requin en train de lui mâchouiller la cheville lui fila un regain d'énergie suffisant pour qu'il puisse voir clairement sa propre mort. Et pour le coup, elle était originale :
Une bouche énorme engloba son champ de vision, si large que même lui, du haut de ses trois mètres, paraissait ridicule. De cette mâchoire colossale sortit aussi vive que l'éclair une longue langue râpeuse. Olek vit cette liane visqueuse immonde l'enlacer, l'attirer à lui et l'avaler inéluctablement. Le monstre immense et hideux, mi-crapaud, mi-poisson-chat, continua sa besogne et goba sans relâche tout ce qui coulait. Morceaux de ponton et de coque, caisses en bois et sacs de tissus, blessés et noyés, le tout en laissant échapper à chaque coup de langue un son caverneux tout droit sortit de ses entrailles. Une sorte de vrombissement grave qui pulsait de sa gorge et ondulait sur les eaux. Il s'agissait du rire de la bestiole ou plus exactement de son ronronnement, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu le ventre plein et en cette fin d'après-midi, la chance lui souriait enfin.
À la surface, le cuirassé volé par Jack s'éloignait à pleines voiles, pourchassé par le contre-amiral Sillius Blake et sa flotte. Tournant autour de la zone du combat, proche de l'île en proie aux flammes, les hommes-poissons de l'équipage du contre-amiral Ulrik sondaient les eaux à la recherche du moindre survivant et de la dépouille du pirate primé. Tandis que le soleil disparaissait timidement à l'horizon, le capitaine rappela enfin ses hommes. Bredouilles, ceux-ci lui apprirent qu'un monstre marin gigantesque avait englouti tout ce qui s'y trouvait. Ulrik serra si fort la rambarde qu'elle explosa en morceaux, il devait prendre une décision et vite, son supérieur, le vice-amiral Jurgen, n'accepterait jamais leur "victoire" s'il rentrait sans preuve. Surtout que la deuxième Supernova, le détestable Skellignton, était en bonne voix pour s'échapper aussi. Cette mission ne pouvait, ne devait pas être un échec, toute sa carrière en dépendait. Le regard sévère et les poings crispés, il distribua ses ordres. Ils écourtèrent donc la cérémonie d'adieu en l'honneur de leurs frères d'armes disparus et prirent le large. Leur objectif était simple, traquer cette maudite bête et lui ouvrir le bide pour recouvrer les restes d'Olek ou alors la chasser suffisamment longtemps pour que de nouveaux ordres leur parviennent. La seconde option étant de loin sa préférée.
Olek de son côté se sentit avaler, une drôle d'expérience. Son corps fut malaxé le long d'un tuyau gluant qu'il devina comme étant la trachée du monstre. Il cessa de lutter et s'abandonna à la mort et aux ténèbres alors qu'il chutait dans le vide, s'enfonçant dans une sorte de vase brulante. Quelques cris de misérables encore vivants et pris au piège avec lui le bercèrent vers une inconscience bienvenue. Ce fut dans ce bain quasi bouillant qui anesthésiait et cautérisait ses blessures qu'il s'endormit. L'estomac du monstre, capable de digérer sur plusieurs années jusqu'au granit marin, commençait doucement, mais surement son travail corrosif.
De nombreux jours passèrent, charbon ardent de souffrance, le pirate n'avait plus rien d'humain et était à présent un être dénué de raison. Il divaguait entre la vie et la mort, les rêves et la réalité, la frontière entre les deux mondes était si fine qu'il ne savait jamais dans laquelle il se trouvait. Ces quelques moments d'éveil étaient rythmés par des éclairs de douleurs si intenses qu'il ne souhaitait qu'une chose, en être délivré et resombrer dans l'oubli. Som métabolisme monstrueux lui permettait de survivre dans cet acide gastrique là où tous les autres malheureux piégés avec lui n'étaient déjà plus que des squelettes fumants. C'était bien ça le problème, il semblait pris au piège dans un cycle de souffrance infinie et même si son esprit, sa psyché avait abandonné son corps, ce dernier se refusait encore et toujours à rendre son dernier souffle, une machine biologique dont les rouages luttaient sans fin, mais surtout sans raison.
L'instinct de survie était probablement la chose la plus puissante au monde, plus puissante même que la mort, son ennemie jurée, son opposée et sa raison de vivre, paradoxalement. L'un ne peut vivre sans l'autre, sans la menace d'une mort imminente et d'une souffrance inconsidérable, la lutte inconsciente pour en survivre n'exciterait pas. Dans cette logique, le corps d'Olek se débattait, encore et toujours pour ne jamais laisser s'éteindre sa fine étincelle de vie. Ses mains valides se tendaient dans les ténèbres par spasmes irréguliers à la recherche de nourriture, de la moindre chose comestible à se foutre sous la dent. Ses mâchoires fracassaient, broyaient et mastiquaient tout ce qui semblait avoir une quelconque substance organique.
Il bouffa ainsi toute la nourriture ingurgitée et prédigérée de la monstruosité qui l'avait avalé. Au menu, du monstre et mammifère marin à la pelle, du crustacé et du poisson, peut-être même de l'homme-poisson et de l'humain. Le pirate ne le saurait jamais et sa santé mentale l'en remercierait toute sa vie. Au-delà de son état maladif, fiévreux et complètement délirant, les ténèbres omniprésentes dans l'estomac de la bête n'offraient aucun repère, laissant tout à l'interprétation, à une imagination malsaine contrôlée par des cauchemars bien réels. Des illusions qui se mêlèrent aux étranges bruits de l'endroit, tant aux sons gutturaux du propriétaire de l'organe digestif et de son système parasympathique qu'aux gémissements des dizaines d'autres créatures avalées, blessées et mourantes.